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Article de revue

Optimiser le co-enseignement patient/professionnel de santé

Pages 35 à 44

Notes

  • [1]
    Le Centre interprofessionnel de simulation de Genève réunit la Haute École de santé, la faculté de médecine de l’université de Genève, les hôpitaux universitaires de Genève et l’Institution genevoise de maintien à domicile. L’équipe interprofessionnelle se consacre principalement à la formation des professionnels et futurs professionnels de santé et à d’autres domaines liés.

Introduction

1 Dans l’intérêt d’une amélioration continue de la qualité des soins et notamment de leur efficience, les institutions de formation doivent former des professionnels de santé capables de répondre à de multiples défis (1). Or, la collaboration interprofessionnelle (CIP) est un des moyens indispensables pour délivrer des soins de qualité (2). Ainsi, depuis 2013, le Centre interprofessionnel de simulation de Genève [1] forme environ 1 500 étudiants par an à la CIP (3). Un accent particulier est mis sur l’enseignement du partenariat entre les patients et les professionnels de santé en impliquant des patients dans le curriculum. En 2010 déjà, Towle et al. (4) avaient montré que l’implication active des patients dans la formation des futurs professionnels de santé se justifiait par les bénéfices qu’elle apportait aux étudiants, patients et professionnels de santé. Certains auteurs (5) ont ainsi pu observer que ce qui est transmis par le patient a une portée pédagogique plus importante pour les étudiants. En effet, les étudiants sont plus enclins à considérer les besoins et les ressentis des patients lorsque ceux-ci sont explicités par le patient lui-même et non par le prisme d’un professionnel de santé (6). Ils estiment que, au travers de cette forme d’enseignement, l’authenticité des patients et l’exposition aux savoirs incarnés leur permettent de mieux comprendre des concepts tels que l’écoute ou la décision partagée et développent leur capacité à s’ajuster sur le plan de la communication (7-10). Conscients de la plus-value apportée par l’implication des patients dans les curricula (11) et du rôle modèle que peut représenter un binôme d’enseignants, nous avons fait le choix d’associer un patient avec un professionnel de santé pour co-enseigner le partenariat. Or, peu d’études détaillent les bonnes pratiques du processus d’engagement des patients dans ce format d’enseignement. Nous avons déjà montré que le co-enseignement du partenariat est utile et pertinent tant du point de vue des patients et des professionnels de santé que des étudiants, et que chacun prend plaisir à cette expérience. Néanmoins, engager des patients et des professionnels de santé dans une activité de co-enseignement sans une préparation scrupuleuse est source d’inquiétude, d’inconfort et d’insatisfaction pour chacun (13). Nous avons aussi relevé que certains patients éprouvaient un stress important avant l’activité et qu’ils ressentaient nombre de doutes quant à leurs compétences à enseigner. En effet, le co-enseignement est une activité exigeante, quelle que soit la composition du binôme, qu’il s’agisse de deux professionnels de santé (14) ou d’un patient et d’un professionnel de santé. Il semble alors nécessaire que les rôles et responsabilités de chacun soient clarifiés pour que patient et professionnel de santé puissent mutualiser leurs savoirs (expérientiel, clinique et pédagogique) en toute confiance. Ceci favoriserait l’équilibre et l’authenticité dans le co-enseignement (15).

2 Ainsi, nous nous sommes interrogés sur les moyens d’accompagner les binômes patient/professionnel de santé dans ce type d’activité et avons identifié des recommandations de bonnes pratiques pour le co-enseignement. Cette étude est exclusivement centrée sur le co-enseignement et non sur ses répercussions sur l’apprentissage des étudiants.

Contexte

3 Au cours du premier des trois modules destinés aux étudiants des sept filières de la Haute École de santé (nutrition et diététique, médecine, pharmacie, physiothérapie, sage-femme, soins infirmiers et technique en radiologie médicale) et des facultés de médecine et de pharmacie, des ateliers sont co-construits et co-animés par des binômes patient et professionnel de santé (3). Ces ateliers traitent du partenariat de santé dans la formation, la recherche et la gouvernance des systèmes de santé. L’accent est mis sur le continuum de l’engagement des patients selon le modèle de Montréal (4).

4 Pour identifier les éléments clés du co-enseignement patient /professionnel de santé, nous avons mené une étude qualitative en deux phases (Figure 1). Celle-ci a été construite et réalisée par une équipe de recherche composée de professionnels de santé, d’une patiente partenaire, d’une formatrice et d’une chargée de recherche. Cette équipe est aussi à l’origine de la création et du déploiement de cette nouvelle activité pédagogique.

Matériel et méthode

5 Phase 1 : Élaboration de recommandations pilotes.

6 Des entretiens semi-dirigés ont été réalisés auprès de six patients et de six professionnels de santé à la suite des ateliers. Ils ont été conduits et analysés par la patiente, un professionnel de santé et une formatrice. L’objectif des entretiens était d’interroger les participants sur leur expérience du co-enseignement en questionnant sur les éléments facilitateurs et les obstacles rencontrés. L’analyse de ces derniers avait pour objectif d’identifier des éléments clés du co-enseignement pour les traduire en recommandations pilotes de bonnes pratiques.

Figure 1

Déroulement de l’étude

figure im1

Déroulement de l’étude

7 Phase 2 : Application et évaluation/ajustement des recommandations pilotes.

8 Lors d’une séance d’introduction aux ateliers, les cinq binômes patient/professionnel de santé ont pris connaissance des recommandations pilotes élaborées durant la première phase. Elles leur ont été détaillées par écrit et illustrées par des binômes ayant co-enseigné en phase 1.

9 Pour réaliser l’observation des cinq binômes pendant les ateliers, une grille d’observation (Annexe 1) a été conçue. L’objectif de ces observations était de suivre les binômes dans la mise en œuvre des recommandations et d’apprécier la dynamique pédagogique des ateliers. Les observations ont été réalisées uniquement par la patiente afin de ne pas introduire de biais de subjectivité dans l’évaluation. En effet, elle seule ne connaissait pas au préalable les binômes.

10 Les professionnels de santé et patients ayant animé les ateliers ont également répondu par écrit à un questionnaire leur demandant d’indiquer dans quelle mesure ils s’étaient sentis à l’aise dans le co-enseignement (relation avec le binôme et la gestion du groupe) et avec le contenu de l’enseignement (connaissance du contenu).

11 Enfin, un focus groupe d’une heure trente à six semaines réunissant trois patients et deux enseignants a été réalisé. Il était animé par la formatrice et la patiente. L’objectif était d’approfondir les résultats obtenus au questionnaire et relevés pendant l’observation pour ajuster les recommandations pilotes. Les données recueillies dans toute cette phase ont fait l’objet d’une analyse de contenu séparément puis elles ont été combinées afin de les mettre en dialogue pour étayer leur interprétation. Cette analyse a été principalement conduite par la formatrice et la chargée de recherche. Les résultats obtenus ont fait l’objet d’une discussion sur leur interprétation en équipe complète.

Résultats

Phase 1

12 L’analyse des entretiens a permis d’identifier les thématiques suivantes comme étant des éléments clés pour favoriser l’expérience de co-enseignement :

  • Préparation du binôme pour l’enseignement ;
  • Sentiment de confiance pour co-enseigner le partenariat ;
  • Qualité de la collaboration au sein du binôme à chaque étape du développement de l’atelier ;
  • Facteurs ayant favorisé et/ou fait obstacle à la collaboration dans le binôme ;
  • Relation entre les membres du binôme ;
  • Discussion de type débriefing au sein du binôme à l’issue de l’atelier.

14 Ces thèmes ont été reformulés sous forme de recommandations pilotes de bonnes pratiques. Celles-ci concernent l’organisation du binôme (avant, pendant, après l’atelier), les connaissances du contenu enseigné et les compétences pour co-enseigner en confiance. Elles sont présentées dans le Tableau I.

Phase 2

15 L’analyse a porté sur les données combinées recueillies lors des observations (O), en réponse au questionnaire (Q) et extraites des verbatim du focus groupe (FG).

Rencontres préparatoires

16 Les résultats indiquent que les cinq binômes se sont rencontrés au moins une fois avant de co-enseigner lors de l’atelier. Durant ces rencontres, la majorité de leurs membres ont pris le temps de se raconter leurs parcours respectifs, d’échanger sur leurs valeurs communes et sur ce qu’ils souhaitaient transmettre concernant le thème de l’atelier (i.e. le partenariat). « Apprendre à se connaître » semble être une recommandation importante pour créer un lien au sein du binôme. Elle a aussi permis à un binôme de lever un ancien conflit. Néanmoins, il semble que le nombre de rencontres ne soit pas lié à une meilleure compréhension des attentes du patient.

Patient 4 (Q) : « On s’est rencontrés, on a échangé notre histoire et défini qui fait quoi»
Patient 3 (FG) : « On s’est rencontrés, quoi ! On s’est raconté nos vies. »
Professionnel de santé 2 (FG) : « On a aussi beaucoup échangé sur notre conception du partenariat, on s’est réparti les rôles et les tâches, on a échangé expériences et idées – on a appris à se connaître. »
Professionnel de santé 5 (Q) : « Rencontres via Zoom pour l’écriture d’un scénario, et allers-retours par e-mails : la patiente m’a beaucoup corrigé. »
Professionnel de santé 2 (FG) : « On se connaissait, on avait eu un différend par le passé, mais on en a discuté et après on est passé à autre chose et c’était fluide. »

Connaissances du partenariat

17 Dans tous les ateliers observés, chacun des membres des binômes a présenté le modèle de Montréal (15). Si tous s’étaient préparés et avaient un minimum de connaissances pour aborder les contenus, certains disaient toutefois ne pas maîtriser suffisamment le sujet. Ils rapportent néanmoins que la répartition des contenus au sein du binôme a amélioré la qualité de l’expérience et la complémentarité des savoirs.

Patient 3 (Q) : « [J’ai le] sentiment de ne pas être assez formé sur le sujet [partenariat] mais j’étais motivé par la transmission, c’était un défi. »
Patient 1 (Q) : « J’ai pris confiance en intégrant progressivement la théorie»
Professionnel de santé 4 (Q) : « Apprentissage “en cours de route” et utilité des apports de la patiente très expérimentée. »
Professionnel de santé 2 (FG) : « Le patient valide la théorie en apportant des exemples, ça appuie le message et augmente la participation des étudiants»
Tableau I

Recommandations pilotes pour le co-enseignement patient/professionnel de santé

ConnaissancesDisposer de connaissances sur les modèles de partenariat et leur mise en œuvre
RencontresPrévoir une rencontre préliminaire entre les membres du binôme
Structure et support d’enseignementCo-construire un support d’enseignement (par exemple des diapositives)
Symétrie et complémentaritéIncarner le partenariat dans le binôme en adoptant des postures symétriques et en apportant des savoirs complémentaires
DébriefingRéaliser un débriefing bidirectionnel immédiatement après l’atelier

Recommandations pilotes pour le co-enseignement patient/professionnel de santé

Structure et support d’enseignement

18 Les modalités d’animation utilisées pendant les ateliers sont très différentes d’un binôme à l’autre : présentation de diapositives, analyse de séquences de films, exploration des représentations des étudiants ou encore jeux de rôle.

19 Les rencontres préparatoires ont permis aux patients et aux professionnels de santé de s’accorder à la fois sur les contenus précis de l’atelier et sur les modalités d’animation.

Patient 2 (FG) : « Il a été convenu que X (professionnel de santé) structurerait l’atelier tandis que je serais l’orateur principal. Grâce à son expérience [en enseignement], j’ai pu apporter du contenu/des idées [sur le partenariat]. »

20 Le professionnel de santé, par son expérience en enseignement, permet ainsi de garantir un format pédagogique adapté. Cela trouve un écho auprès des patients qui relèvent qu’un renforcement de leurs compétences pédagogiques leur serait utile.

Patient 1 (FG) : « [Il faut] avoir une bonne capacité d’expression, une aisance dans l’expression orale, un minimum de connaissances en pédagogie»
Patient 3 (FG) : « J’ai le sentiment de ne pas être assez formée [pour enseigner]»

21 En revanche, tous s’accordent, lors du focus groupe, sur le fait qu’ils auraient besoin « d’une trame de présentation ou d’un support d’enseignement » commun et co-construit tous ensemble dans lequel figureraient le programme, les éléments essentiels à aborder et les messages clés d’enseignement.

Symétrie et complémentarité

22 Pour la majorité des binômes, la notion de complémentarité des rôles et des savoirs est relevée comme un élément positif de leur expérience.

Patient 3 (FG) : « La gestion du groupe a été faite par l’enseignant, les relances aussi, j’ai eu la possibilité de me reposer sur lui qui maîtrisait des choses que je ne maîtrisais pas. »

23 Cette complémentarité semble liée à l’absence de prise de pouvoir par l’un des membres du binôme. Elle est relevée aussi bien par les patients que par les professionnels de santé. Cette symétrie dans les binômes a aussi été relevée lors des observations.

Patient 1 (Q) : « Pas de prise de pouvoir, fluidité, collaboration, échange, respect mutuel de ce que chacune disait et des échanges de regards. »
Professionnel de santé 1 (Q) : « Fluide. Moi plus de liens théoriques, elle plus de pratique. On a combiné la théorie et l’expérience»
Professionnel de santé 3 (FG) : « Facile, pas de prise de pouvoir, on était complémentaires. On a fait une bonne équipe. »
Patient 2 (FG) : « Finalement, on était sur la même longueur d’onde, solidaires. »

24 Patients et professionnels s’accordent sur le fait que la fluidité dans le binôme, acquise par une meilleure connaissance mutuelle lors des séances de préparation, illustre « le travail entre patients et professionnels qui devrait être fait en clinique » et renforce la participation des étudiants. Celle-ci est aussi augmentée par l’utilisation d’exemples issus de la pratique clinique qui favorise la réflexion sur la place du patient dans l’équipe (O). Les étudiants sont plus enclins à questionner le vécu réel des patients dans leur relation aux soignants (O) et à interroger les professionnels sur la valeur qu’ils accordent au partenariat et sa plus-value (O).

Patient 2 (FG) : « Enseigner ce qui est une évidence ! C’est novateur, pas acquis du tout dans les soins, c’est important de transmettre le message aux étudiants dont c’est le premier contact avec le partenariat. Il est évident que le patient doit être là pour répondre aux questions des étudiants. »
Professionnel de santé 2 (FG) : « Faire émerger ensemble les représentations des étudiants et les confronter à l’histoire vécue par le patient est un levier très fort pour la motivation et la curiosité. »
Professionnel de santé 1 (Q) : « Il faut les mêmes qualités pour travailler en partenariat que dans les soins : l’ouverture à l’autre, la bienveillance, l’écoute et l’empathie. Savoir répondre par sa posture et son attitude aux définitions du partenariat, connaître les techniques de communication. »

25 Patient 1 (Q) : « Ouverture d’esprit, qualité d’écoute, qualité relationnelle, esprit d’équipe, curiosité, envie de co-créer et de collaborer. Se sentir à l’aise avec l’inconnu, adaptabilité, garder l’objectif, ne pas perdre ses moyens, humilité des deux côtés. »

26 Parallèlement, l’élément essentiel relevé durant le focus groupe concerne la difficulté, pour les patients, à saisir l’étendue de ce qui est attendu d’eux : leur rôle est rarement discuté durant les rencontres préalables au co-enseignement, si bien qu’ils ne savent pas toujours si leurs interventions doivent se limiter à un témoignage ou s’ils ont la légitimité pour enseigner des contenus en lien avec le partenariat.

Patient 2 : « On a eu trois rencontres d’une heure chacune mais le rythme était rapide, je ne savais pas ce qu’on attendait de moi dès le départ. »

27 À ce titre, un binôme n’incarnait pas totalement le partenariat car il démontrait une certaine asymétrie relationnelle : le professionnel de santé dirigeait l’enseignement, le patient n’intervenant que ponctuellement pour témoigner de son vécu (O). Ces résultats pourraient être liés aux rencontres préparatoires. En effet, seule une rencontre en visioconférence avait été réalisée et il semble que cet échange n’ait pas été suffisant pour définir les rôles de chacun, ce qui était attendu de la part du patient, préparer un support de contenus commun et définir le fil conducteur de l’atelier.

Patient 5 (Q) : « Pas de place, temps “squeezé”, j’ai été interrompue par l’enseignant. »
Patient 5 (Q) : « [On n’avait] pas de trame structurée, je ne savais pas sur quoi j’allais intervenir, j’ai saisi des occasions au vol pour essayer de placer quelque chose. »

28 Relevons cependant que cette perception ne semble pas partagée par le professionnel de santé, qui indique (Q) : « L’activité s’est bien déroulée. Techniquement et pratiquement. »

Débriefing

29 À l’exception d’un seul, tous les binômes ont échangé « à chaud » après l’atelier. Les retours d’expérience étaient bidirectionnels (O) et centrés sur la réussite et la satisfaction lors de l’expérience. Ils étaient exprimés aussi bien par le professionnel de santé au patient que par le patient au professionnel (O), ce qui indique une certaine symétrie dans les binômes. Ces observations sont confirmées dans les commentaires libres du questionnaire.

Patient 1 (Q) : « Super, cela a duré dix minutes. On a mis en évidence ce qui a bien fonctionné. On s’est remercié l’une l’autre pour le soutien mutuel. Ce feedback était une source de motivation pour la suite. »
Professionnel de santé 2 (Q) : « C’était rapide, cinq minutes. On a évalué si les objectifs étaient atteints. On s’est demandé : “Comment ça s’est passé pour toi ?” Ce qui a bien ou moins bien fonctionné. »
Professionnel de santé 1 (Q) : « On s’est félicités pour cette première ! »

30 Les recommandations issues des deux phases de l’étude et ajustées sont présentées dans le Tableau II.

Discussion

31 Les résultats permettent d’appuyer les recommandations que nous avions émises lors de la première phase de l’étude. En effet, nous avons observé une amélioration de l’expérience du co-enseignement à la suite de leur application dans le cadre des ateliers sur le partenariat donné par des binômes réunissant un patient et un professionnel de santé.

Tableau II

Recommandations pour le co-enseignement patient/professionnel de santé

ConnaissancesConnaître le cadre conceptuel du partenariat, notamment le modèle de Montréal, et l’explorer avec les binômes préalablement au co-enseignement
RencontresSe rencontrer avant de co-enseigner. Identifier et exprimer ses valeurs, besoins et les modalités d’interaction durant le co-enseignement pour se sentir le plus à l’aise possible.
Structure et support d’enseignementDiscuter du fil rouge et du déroulement de l’enseignement, partager les objectifs, informer le patient du public de la formation, du temps à disposition, et prévoir un support de cours auquel se référer durant le co-enseignement.
Définir le rôle du patient et du professionnel de santéPréciser et détailler le rôle de chacun dans l’intervention et l’animation, notamment ce qui est attendu de la part du patient. Légitimer sa participation, quelle que soit son étendue.
Symétrie et complémentaritéReconnaître la complémentarité des savoirs et expertises ainsi que la relation d’interdépendance et de symétrie entre les co-enseignants.
DébriefingAvoir un temps d’échanges immédiatement après le co-enseignement avec retour d’expérience constructif bidirectionnel. Identifier ce qui a bien fonctionné, ce qui doit être amélioré et les moyens d’y parvenir. Le professionnel de santé doit encourager le patient à lui faire un retour d’expérience. Un moment de rencontre à distance de l’intervention permet aussi de la repenser et d’envisager les éventuelles modifications à y apporter. Tenir le patient informé des résultats de l’évaluation de l’enseignement le cas échéant.

Recommandations pour le co-enseignement patient/professionnel de santé

32 Les résultats soulignent l’importance d’accompagner les binômes dans la mise en œuvre de ces recommandations. La séance d’introduction qui réunit l’ensemble des patients et professionnels de santé revêt toute son importance pour structurer cet accompagnement. Cette séance, qui a pour fil conducteur les recommandations de bonnes pratiques, permet de fixer le cadre de la collaboration au sein et entre les binômes.

33 Il appartient au responsable pédagogique de ce type d’activité d’animer cette rencontre de façon que chacun puisse trouver du sens dans les recommandations pour les mettre en application. Nous suggérons qu’elles soient présentées comme des moyens de faciliter l’expérience du co-enseignement.

34 Comme l’ont montré d’autres auteurs (16), il est nécessaire de former les patients au contenu qu’ils vont délivrer, que ce soit concernant des habiletés, par exemple l’examen clinique musculo-squelettique (17-18), ou des cadres conceptuels tels que l’interprofessionnalité (19) ou l’approche centrée sur le patient (20). Ainsi, c’est au cours de cette première séance que les objectifs d’enseignement et les cadres et modèles de référence du partenariat en santé sont présentés et explorés avec les binômes afin de renforcer le sentiment de maîtrise du contenu de l’enseignement.

35 Cette séance est parfois la première rencontre entre les membres du binôme. Dès lors, il est nécessaire de leur laisser un temps pour faire connaissance et de les encourager à prévoir de futures rencontres afin de mieux se connaître, de partager leurs valeurs, leurs vécus du partenariat, et de définir de façon plus concrète leur intervention.

36 Comme l’ont montré Lartiguet et al. (2019) (21), le partage entre le patient et le professionnel de santé sur leurs valeurs et leur vécu du partenariat a une incidence positive sur la culture partagée du partenariat, qui peut dès lors être mobilisée lors de l’enseignement. Or, il n’est pas encore usuel que professionnel et patient soient amenés à collaborer au-delà des limites de la relation soignant/soigné, c’est-à-dire une relation dans laquelle le patient est demandeur de soins et le professionnel pourvoyeur de soins. Ces temps d’échanges sont donc l’occasion d’explorer des postures plus symétriques dans un binôme à fort risque d’asymétrie où les rôles sociaux pourraient l’emporter sur le rôle complémentaire de chacun (22).

37 Nous retenons aussi qu’il faut rendre attentifs professionnels de santé et patients sur la nécessité de s’entendre sur l’étendue du rôle de chacun et les attentes spécifiques vis-à-vis du patient. Qu’il s’agisse d’un témoignage ou du partage de son expérience (15), c’est à ce moment-là que le niveau d’engagement du patient doit être discuté : devra-t-il témoigner ? Illustrer des éléments expliqués par le professionnel de santé ? Participer à la construction de l’intervention ? Donner son retour d’expérience aux apprenants ? Développer du contenu d’enseignement ? C’est ainsi l’étendue de sa participation qui doit être précisée. Dans notre cas, nous cherchions un partenariat allant de la construction au déploiement de l’atelier ; il n’est cependant pas aussi simple d’y parvenir, comme le montrent certains de nos résultats.

38 Lorsque plusieurs binômes délivrent le même enseignement, il est apparu important de proposer la construction commune d’une trame de support à l’enseignement associant tous les binômes. Cette trame devrait intégrer les objectifs, le programme, les éléments essentiels à aborder et les messages clés de l’enseignement. Dans la lignée d’autres auteurs (23), nous pensons que ce support garantit le cadre de l’intervention et, d’après nos résultats, il semble diminuer les appréhensions à enseigner en augmentant le sentiment de confiance. Si nombre d’études et rapports investiguent l’importance de la formation des patients lors de leur implication dans l’enseignement (24), peu s’intéressent à l’importance du débriefing et du retour d’expérience après l’activité (25). Pourtant, une relation positive et authentique entre les membres d’un binôme renforce les compétences en co-enseignement. C’est pourquoi nous attirons l’attention sur le soin particulier qu’il faut apporter au débriefing après l’intervention (26). Lorsque le retour d’expérience est constructif et bidirectionnel (27), la confiance entre les membres du binôme est améliorée et la relation de partenariat plus exemplaire. Ces points doivent être exposés lors de la séance d’introduction et travaillés ensuite au sein des binômes.

39 Par ailleurs, la légitimité du patient à intervenir dans la formation des futurs professionnels de santé doit être relevée, voire répétée. On entend ici par légitimité l’« action ou usage reconnu et autorisé par un groupe, c’est-à-dire un acte qui répond à un certain nombre de règles établies (formelles ou tacites) et qui obtient le pouvoir de s’accomplir » (28). Ainsi, dans notre contexte, en enseignant, avec l’autorisation du groupe de professionnels de santé et l’équipe pédagogique, dans un programme facultaire, les patients trouvent un ancrage fort à leur propre légitimité. L’intérêt des patients et des professionnels de santé pour un débriefing avec retour d’expérience systématique couplé à la reconnaissance de la légitimité des patients à enseigner pourrait accroître les compétences en co-enseignement sans nécessairement passer par la formalisation d’un curriculum destiné aux patients formateurs.

40 Toutefois, rejoignant d’autres travaux (29-30), nous sommes convaincus que les recommandations que nous proposons ne doivent pas formater le co-enseignement. Celles-ci doivent être appliquées dans le but d’étayer la co-construction et de constituer un socle qui favorise la mise en confiance où les savoirs de chacun peuvent s’exprimer et se déployer.

41 Dans la continuité de cette étude et au vu de nos résultats, nous avons développé une formation au co-enseignement en partenariat dont l’objectif est de favoriser la co-construction de projets pédagogiques et la posture partenariale dans des binômes patient/professionnel de santé. Nous avons ainsi accès à d’autres publics en formation, ce qui nous permettra de réaliser une étude plus avancée sur les répercussions de l’application des recommandations sur l’expérience du co-enseignement, tant du point de vue des binômes que des apprenants.

Conclusion

42 Si nous mettons l’accent sur le co-enseignement, c’est que nous sommes convaincus de l’importance du rôle des formateurs dans l’expérience pédagogique des apprenants. Non seulement le patient est présenté comme un membre à part entière des équipes de soins, mais sa posture de partenaire pédagogique d’un professionnel de santé avec lequel il entretient une relation symétrique et complémentaire renforce ce message. Ils traduisent concrètement le principe de modèle de rôle.

43 Or, le co-enseignement en partenariat patient/professionnel de santé est une activité encore marginale. Il doit faire l’objet d’une attention particulière afin de se développer dans les meilleures conditions pour chacun. Souvent ressentie par les patients, l’illégitimité à co-enseigner prend racine dans le manque de reconnaissance de leur savoir expérientiel mais aussi dans leur implication encore très anecdotique dans les institutions de formation. Une rémunération systématique de leurs activités ainsi qu’une légitimation de leur posture d’enseignant renforceraient leur engagement dans la formation.


Annexe

Annexe 1

Grille d’observation des ateliers

Grille d’observation des ateliers de co-enseignement du partenariat
Initiales de chaque membre du binôme observé : ___________________
Comment se présente chaque membre du binôme ?
(Titre, institution d’appartenance, éléments clés du parcours personnel/professionnel, partenaire d’enseignement, autre.)
La relation entre les membres du binôme est-elle égalitaire, symétrique, complémentaire ou hiérarchique ?
(Le patient seconde-t-il le professionnel ? L’enseignant/patient se met-il en retrait car il n’ose pas prendre sa place ? Le binôme fonctionne-t-il en équipe ?)
Contenu : des connaissances sur le partenariat sont-elles transmises ? oui □ non □
Si oui, par qui ? Patient □ Enseignant □
De quelles connaissances s’agit-il ?
(Ex : le patient est décrit comme membre de l’équipe ; un modèle de partenariat et lequel est présenté.)
Les objectifs de l’atelier sont-ils atteints ?
Le patient comme membre de l’équipe est-il présenté et discuté ? oui □ non □
Les bénéfices de la collaboration patient-soignant sont-ils discutés au niveau de la relation, de la qualité des soins et du système de santé ? oui □ non □
Y a-t-il un débriefing entre l’enseignant et le patient à la fin de l’atelier ? oui □ non □
Le retour d’expérience est-il constructif :
  • Ce qui a bien fonctionné est relevé : oui □ non □
  • Ce qui pourrait être amélioré est nommé le cas échéant : oui □ non □
  • Le retour d’expérience est-il bidirectionnel (de l’enseignant vers le patient et du patient vers l’enseignant) ? oui □ non □
Le retour d’expérience aborde-t-il des moyens pour progresser ? oui □ non □
Questions à poser au binôme après l’activité (mini-entretien) :
Avez-vous pris le temps de faire connaissance ? oui □ non □
Avez-vous défini ensemble le contenu et les modalités de l’atelier ? oui □ non □
Avez-vous identifié et exprimé les besoins de chacun pour se sentir le plus à l’aise dans l’expérience d’enseignement ? oui □ non □
Avez-vous défini qui fait quoi et comment interagir durant l’atelier ? oui □ non □
Avez-vous rencontré des difficultés durant la préparation de l’atelier ? oui □ non □
Si oui, avez-vous demandé des ressources ? oui □ non □ Si oui, à qui ?

Grille d’observation des ateliers

Bibliographie

Références

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Notes

  • [1]
    Le Centre interprofessionnel de simulation de Genève réunit la Haute École de santé, la faculté de médecine de l’université de Genève, les hôpitaux universitaires de Genève et l’Institution genevoise de maintien à domicile. L’équipe interprofessionnelle se consacre principalement à la formation des professionnels et futurs professionnels de santé et à d’autres domaines liés.
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