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Article de revue

Les inégalités de santé entre les femmes et les hommes sont longtemps restées ignorées et demandent encore à être mieux définies, comprises et mesurées

Pages 363 à 365

Notes

  • [1]
    Se reporter, par exemple, au numéro hors-série de la revue Santé Publique de 2018 : Réduire les inégalités sociales de santé, des concepts à l’action, ou plus récent, au numéro de 2021 de la revue Actualité et dossier en santé publique : Les inégalités sociales de santé : vingt ans d’évolution.
  • [2]
    GENDHI. Gender and health inequalities. https://gendhi.eu/

1 Malgré une meilleure compréhension des facteurs intervenant dans leur construction et malgré de nombreux appels à agir pour leur réduction, les inégalités sociales de santé (ISS) persistent, voire s’aggravent, dans de nombreux pays [1]. C’est le cas en France, un des pays d’Europe de l’Ouest qui connait les plus fortes inégalités de mortalité en fonction du niveau social [1], en particulier chez les hommes [2]. L’espérance de vie des hommes, inférieure à celle des femmes [3], a longtemps participé à maintenir dans l’ombre les écarts dans l’accès au soin et la prise en charge médicale entre les hommes et les femmes, en défaveur de ces dernières, et plus encore pour celles en situation de précarité [4]. Ces différences dans les trajectoires de soin entrainent des inégalités de santé liées au genre qui apparaissent comme le reflet des inégalités constatées à un niveau sociétal, dans les différentes sphères de vie, familiales et professionnelles, publiques et privées. Les mécanismes contribuant à cette situation sont complexes [5]. Les liens forts entre développement économique d’un pays et déterminants de la santé invitent à penser en termes d’intersectionnalité, c’est-à-dire à considérer les interactions entre le genre et le statut socio-économique et leurs effets combinés sur la santé [6].

2 La lumière tend, cependant, de plus en plus à être mise sur le sujet. Des travaux scientifiques et des rapports d’expertise mettent aujourd’hui en évidence les inégalités Femmes-Homme en milieu médical. En décembre 2020, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) publiait son rapport intitulé « Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique ». Celui-ci se fonde sur les constats suivants : au-delà des différences de santé liées au sexe biologique, les représentations sociales du féminin et du masculin interviennent également pour engendrer des inégalités de santé. L’influence du genre – qui réfère à la construction sociale des identités et des rapports sociaux entre les sexes – constitue un facteur de risque de discriminations entre les sexes dans la prise en charge médicale. C’est ainsi que les codes sociaux liés aux genres féminin et masculin influencent l’expression des symptômes, le rapport au corps, le recours aux soins de la part des malades. Chez les médecins et personnels soignants, les préjugés liés au genre sont susceptibles d’influencer l’interprétation des signes cliniques et la prise en charge des pathologies. Les recherches cliniques et biomédicales sont également imprégnées de stéréotypes liés au sexe, qui peuvent induire des biais dans les expérimentations et les applications médicales [7].

3 Pour de multiples raisons, y compris au nom de la sécurité des femmes et de leur progéniture, les femmes ont été longtemps sous-représentées dans les études sur la santé [8]. Même si ce n’est plus le cas aujourd’hui, la majorité des connaissances et des directives médicales sont basées sur des études réalisées avec des sujets essentiellement hommes où le corps masculin est pris comme référence. Le principal facteur de différenciation saisi est l’âge sans que soient intégrées les dimensions liées au sexe et au genre.

4 C’est ainsi, qu’avec l’appui des représentations sociales associées aux hommes et aux femmes, des maladies sont à tort considérées comme exclusivement féminines – par exemple l’ostéoporose – ou ne prennent comme référence que la symptomatologie masculine, induisant des prises en charge différentes, moins bien adaptées pour les femmes. C’est le cas notamment de l’infarctus de la maladie coronarienne [7, 9]. Ce biais de genre, basé sur une andronormativité dans les soins de santé, agit au détriment de la santé des femmes. Les exemples sont nombreux.

5 Une revue de littérature portant sur la prise en charge de la douleur montre que, par rapport aux hommes, il est plus accepté que les femmes expriment leur douleur. Cependant, les déclarations de douleur des femmes sont moins prises au sérieux. Leur douleur est dépréciée comme étant psychique ou inexistante et est moins soulagée par des prises en charges adéquates [10-12].

6 Des problèmes de santé spécifiques aux femmes, tels que la ménopause et l’endométriose, ont longtemps été ignorés par le monde médical, ce qui a conduit à un déficit de formation et de compétences dans la gestion des symptômes associés ainsi qu’à l’indisponibilité ou l’inadaptation des traitements [13, 14]. Les violences gynécologiques et obstétricales sont emblématiques des effets des représentations sexistes sur les pratiques médicales, et renvoient à la longue histoire de la médecine traversée par la volonté de contrôler les corps, et notamment celui des femmes [15-17]. Volonté de contrôle que l’on retrouve dans les cadres politiques et législatifs. On peut citer le cas de l’avortement pour lequel le droit des femmes d’interrompre une grossesse non désirée est encore et toujours réprimé dans plusieurs pays du monde. Ce droit acquis dans de nombreux pays européens se trouve menacé en raison de lois de plus en plus restrictives ou d’un manque d’offre et d’accès aux services, ce qui contribue à la persistance des avortements dangereux, des problèmes de santé mentale et de la détérioration des situations socio-économiques [18].

7 De manière générale, par rapport aux garçons et aux hommes, les filles et les femmes sont ainsi confrontées à un surrisque de subir violences économiques, psychosociales, sexuelles et physiques dans le cadre public et professionnel, en ligne et dans la sphère privée [19-21]. Toutefois, les femmes victimes de psycho traumatismes rencontrent des difficultés pour accéder à des soins spécifiques en raison de la rareté du soutien spécialisé [22].

8 Malgré la forte prévalence des violences contre les filles et les femmes, et ses effets avérés sur la santé mentale et physique [23], les questions sur ce sujet ne sont toujours pas incluses de manière systématique dans la recherche épidémiologique ou dans le design des interventions en santé publique.

9 L’ensemble de ces données plaide pour que la santé des femmes devienne un axe majeur au sein des organismes de recherche et de santé, de manière à apporter des éléments de compréhension et des arguments scientifiques à la mise en œuvre d’actions, et à favoriser son inscription sur l’agenda politique.

10 Pour comprendre et agir sur les inégalités sociales liées au genre dans la santé, Schwartz et Clair nous invitent, a minima, à analyser les données de santé stratifiées par la variable homme/femme afin d’identifier des disparités. Toutefois, cette analyse seule ne permet pas d’expliquer toutes les disparités et comporte le risque qu’elles soient interprétées comme biologiques et figées, au détriment d’une perspective de la trajectoire de vie sociale [9].

11 Pour faire bouger les lignes sociétales et politiques, un engagement des chercheurs est indispensable, dans des travaux multidisciplinaires, de manière à relever les défis méthodologiques et épistémologiques. C’est le cas notamment du projet Gendhi qui interroge le supposé avantage féminin en matière de santé et traite la question des inégalités sociales de santé et d’accès aux soins en considérant le genre, en tant que rapport social, comme déterminant clé de ces inégalités [2].

Bibliographie

Références

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  • 13.
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  • 14.
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  • 15.
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    Bousquet D, Couraud G, Collet M. Actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical : reconnaître et mettre fin à des violences longtemps ignorées - Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes [Internet]. HCE; 2018. [cité 13 juill 2023] Disponible su r: http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/sante-droits-sexuels-et-reproductifs/actualites/article/actes-sexistes-durant-le-suivi-gynecologique-et-obstetrical-reconnaitre-et.
  • 17.
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  • 18.
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  • 23.
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Notes

  • [1]
    Se reporter, par exemple, au numéro hors-série de la revue Santé Publique de 2018 : Réduire les inégalités sociales de santé, des concepts à l’action, ou plus récent, au numéro de 2021 de la revue Actualité et dossier en santé publique : Les inégalités sociales de santé : vingt ans d’évolution.
  • [2]
    GENDHI. Gender and health inequalities. https://gendhi.eu/
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