Introduction
1 Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), on dénombrerait 8 millions de morts prématurées dans le monde liées aux troubles psychiatriques [1]. La surmortalité des personnes ayant des troubles psychiques sévères est connue depuis les années 1930. Cette surmortalité s’aggrave de manière continue, alors que l’espérance de vie de la population générale augmente [2-4]. Ainsi, les personnes ayant des troubles psychiques sévères et persistants ont une espérance de vie inférieure de vingt ans par rapport à la population générale, même en écartant les causes de décès par suicide [5]. On constate une surreprésentation des facteurs de risque et des pathologies cardiovasculaires dans ces populations [6]. Dit autrement, une personne chez qui un diagnostic de schizophrénie ou de troubles bipolaires a été porté aurait deux à trois fois plus de risque de mourir d’une maladie cardiovasculaire qu’une personne indemne de tels troubles [7].
2 Un des leviers pour réduire les inégalités de santé est de mettre en avant l’expérience des personnes et leur donner l’opportunité d’être actrices de leur santé pour qu’elles puissent faire prendre en compte certaines contraintes structurelles auxquelles elles sont confrontées [8], par exemple, une insuffisance de soignants sensibilisés aux principes de respect du droit et de la dignité des patients dans les services, quels qu’ils soient, y compris aux urgences générales. La prévention et le suivi en ambulatoire sont à améliorer pour éviter des hospitalisations en situation de crise et le maintien en hospitalisation de patients au long cours, faute de place dans la cité. De plus, les actes de prévention et de dépistage des troubles somatiques sont en général moins développés pour les personnes vivant avec des troubles psychiques (examen somatique, bilan sanguin, accès à la contraception, vaccinations, dépistage du virus de l’immunodéficience humaine — VIH — et du virus de l’hépatite C — VHC —, prévention des addictions, hygiène bucco-dentaire, etc.), que ce soit en service de psychiatrie, en ambulatoire ou par les structures de soins primaires [4].
3 Ces constats partagés collectivement conduisent à un changement de paradigme politique. Les personnes vivant avec un trouble psychique sont invitées à intégrer le processus de décision des politiques sanitaires et sociales en psychiatrie.
4 Dans ce contexte, le projet « Collaboration patientsoignant pour une meilleure prise en charge des troubles cardiovasculaires des patients souffrant de troubles psychiques au long cours » (COPsyCAT) vise à compléter les réformes amorcées et incluses dans la feuille de route de la santé mentale 2022 [9] pour réduire ces inégalités de santé par la place centrale accordée à l’expérience des patients. Ce sont en effet les savoirs expérientiels [10] produits par la discussion collective autour de l’analyse des expériences individuelles partagées par les patients, leurs aidants et leurs soignants qui fondent le programme d’empowerment [11].
5 Le concept d’empowerment se comprend comme un mouvement d’émancipation qui s’appuie sur la prise en compte de la parole des personnes. Dans cette perspective, le malade est avant tout un citoyen, dorénavant considéré comme acteur et auteur de sa santé. Dans cette « nouvelle démocratie sanitaire », il participe aux décisions politiques de santé publique tant à un niveau individuel que collectif. Cela situe l’ambition d’exigence démocratique que nous portons dans l’élaboration de ce programme.
6 Le programme que nous avons coconstruit avec des personnes ayant ou ayant eu des troubles psychiques se situe au croisement du care/case management et de l’empowerment. Le care/case management tel qu’il est défini par la Haute Autorité de santé (HAS) [1] se conçoit comme une fonction spécifique de coordination pouvant être nécessaire pour organiser l’aide et les soins autour du patient en favorisant sa responsabilisation, son implication et son autonomie dans la gestion de sa maladie, ainsi qu’en facilitant les interactions entre les différents professionnels impliqués dans les soins et l’accompagnement. Il constitue ainsi un « processus par lequel on obtient, coordonne et assure l’utilisation de services qui aideront les personnes à satisfaire de façon efficiente leurs besoins multiples et variés » [12].
7 Le projet CoPsyCAT est financé par le ministère de la Santé (direction générale de l’Offre de soins — DGOS) dans le cadre du Programme de recherche sur la performance du système des soins (Preps 2017). Il est enregistré auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) avec le n° 2019-A00281-56 et sur le site national des essais cliniques avec le n° NCT03689296. Il a reçu la validation du Comité de protection des personnes (CPP), (CPP IDF XI, le 11 avril 2019).
8 Le présent article vise à décrire le processus par lequel le programme d’empowerment a été coconstruit par les chercheurs de l’étude COPsyCAT, les usagers et associations d’usagers et les professionnels de santé à partir de leurs savoirs expérientiels et d’en présenter le résultat final avant expérimentation.
Méthode
9 Le projet COPsyCAT intègre une étude qualitative qui a précédé la phase de coconstruction ici décrite. Le projet a ainsi été soumis à validation auprès du CPP. Les personnes qui ont participé à l’étude ont renseigné un formulaire de consentement en amont de leur participation. Les entretiens ont été transcrits et anonymisés par les chercheurs. Seuls les extraits d’entretien après encodage thématique ont été portés à la connaissance de l’ensemble de l’équipe du projet et aux membres du Copil durant la phase de coconstruction du programme d’empowerment.
10 La phase de coconstruction du programme d’empowerment s’est déroulée en 6 étapes.
Étape 1 – Analyse des résultats de l’étude qualitative
11 Dans un premier temps, une étude qualitative conduite auprès des patients, de leurs aidants et des professionnels de santé a mis en évidence des contraintes d’accès au suivi cardiovasculaire [14]. Ses résultats ont été soumis à triangulation. Chaque résultat a été discuté par l’équipe de recherche afin de préenvisager des leviers d’action à confronter à la littérature publiée et au savoirs expérientiels des membres du comité de pilotage (Copil), qui incluait des représentants de patients et d’aidants. À noter que les questions de recherche ont été identifiées en Copil avec la participation des patients.
Étape 2 – Revue de littérature
12 La seconde étape a consisté en la réalisation d’une revue de la littérature qui avait pour objectif d’identifier des critères d’efficacité concernant différentes interventions visant à prévenir les maladies cardiovasculaires chez les personnes présentant des troubles psychiques sévères et persistants. Il ne s’agit pas d’une revue systématique, mais plutôt d’une scoping review, dont le but est d’identifier « les meilleures données disponibles issues de la recherche, de la pratique et de l’expérience, ainsi qu’à utiliser ces données pour éclairer et améliorer la pratique et les politiques en santé publique » [15].
13 Les sources consultées ont inclus : des bases de données bibliographiques scientifiques (PubMed®, Google Scholar, HAL), des plateformes de revues (ScienceDirect, Cairn), des producteurs de revues systématiques (Cochrane Library, INSPQ), des revues en ligne ou sous format papier (Érudit.org, Éducation thérapeutique du patient), des bases de données expérientielles (Bib-Bop, Ascodocpsy) et des sites institutionnels (Fondation FondaMental, OMS, CCOMS [2]).
14 La recherche a inclus des documents dont le texte intégral est disponible (en accès libre ou sur abonnement), en français et en anglais, et a exclu ceux antérieurs à 2010.
15 Une première recherche a associé les éléments suivants : « maladies cardiovasculaires »/« cardiovasculaire »/ « MCV »/« troubles psychiques »/« psychiques »/« prévention »/« santé mentale »/« bipolaire »/« psychiatrique »/ « éducation thérapeutique » et « severe mental illness »/ « severe mental »/« cardiovascular »/« mental health »/ « mental diseases »/« psychoeducation »/« patient education »/« metabolic syndrome »/« psychiatric »/« lifestyle intervention »
16 Une deuxième recherche a intégré les termes : « coordination »/« médiation »/« pair »/« médiateur ».
Étape 3 – Élaboration d’une trame de programme
17 Une trame de programme a ainsi été élaborée en tenant compte des résultats de l’étude et des critères d’efficacité des programmes déjà mis en œuvre dans des pays comparables.
Étape 4 – Discussion de la trame de programme en Copil
18 La trame de programme a ensuite été présentée aux membres du comité de pilotage du projet. Ce comité est composé de toutes les parties prenantes (professionnels de santé, professionnels de la psychiatrie, représentants usagers, pair-aidants, décideurs politiques et chercheurs). Chaque caractéristique du programme proposé a été discutée à l’aune de l’expérience des participants.
Méthode et résultats par étape
Étape | Personnes impliquées | Méthodes | Résultats principaux | |
---|---|---|---|---|
1 | Étude qualitative | Équipe projet (recherche + promotion de la santé) Participation du Copil dont des patients à l’élaboration des questions de recherche | Analyse triangulée des entretiens dans le cadre de l’étude qualitative | Contraintes structurelles : cloisonnement médecine de ville, spécialités et psychiatrie ; emphase sur traitement psychiatrique lors de consultation en médecine générale ; besoin d’une approche globale ; Contraintes individuelles : manque de repères sur l’offre de soins ; besoin d’orientation sur les activités bien-être et santé hors des murs de la psychiatrie qui est un lieu stigmatisant ; |
2 | Revue de la littérature | Ingénieure documentaire | 64 articles sélectionnés | 4 critères d’efficacité de programmes d’ETP communs retenus : pluridisciplinarité de l’équipe, combinaison de plusieurs modes d’intervention (sensibilisation, activité, accompagnement), association d’un suivi motivationnel individualisé et de sessions de groupe, un programme d’une durée de 3 mois minimum et 2 ans maximum ; |
3 | Élaboration de la trame 1 de programme | Équipe projet (promotion de la santé + recherche) | Identification des axes d’interventions et de leurs modalités | Depuis les services de psychiatrie, 7 séances : 4 collectives et 3 individuelles sur une période de 3 mois dont 2 entretiens motivationnels et un accompagnement en consultation de médecine générale ; |
4 | Discussion de la trame 1 en Copil | Membres du Copil : patients, associations de représentations d’usagers, professionnels de santé, décideurs politiques, équipe projet | Groupe de discussion | Accroche motivationnelle à favoriser : améliorer la qualité de vie et le bien-être plutôt que seulement la santé cardiovasculaire ; Nécessité d’une approche globale de la santé (psychique et physique) : favoriser un programme externalisé à la psychiatrie et proposer un programme à la carte (part de choix) ; |
5 | Restructuration de la trame – version 2 | Équipe projet (promotion de la santé + recherche) | Comparaison de la trame 1 et des axes prioritaires identifiés par le Copil. Ajustement du format et du contenu proposés. | Programme situé depuis les instances de coordination (CLSM/CLS ; CPTS) ; Recensement de l’offre d’activités établi par cette instance et remis au patient ; Outils de dialogue « Mon GPS » et d’autogestion « Aller mieux à ma façon » proposés ; Orientation vers un cardiologue après sensibilisation par quiz cardio. |
6 | Finalisation de la trame en Copil | Membres du Copil : patients, associations de représentations d’usagers, professionnels de santé, décideurs politiques, équipe projet | Soumission du format et du contenu du programme à la discussion | Trame validée en Copil |
Méthode et résultats par étape
Étape 5 – Restructuration de la trame
19 À l’issue de cette séance de coconstruction, les axes d’intervention ont été réenvisagés. Des outils existants et susceptibles de soutenir les patients, leurs aidants et les équipes professionnelles ont été identifiés.
Étape 6 – Finalisation de la trame en Copil
20 Une nouvelle trame a été proposée aux professionnels impliqués dans la phase d’expérimentation et a été validée en comité de pilotage.
Résultats
21 Le tableau I, ci-dessous, présente les acteurs impliqués, les méthodes et principaux résultats des différentes étapes de la coconstruction du programme.
22 Les résultats de chaque étape du projet sont explicités en détail ci-dessous.
Étape 1 – Des contraintes structurelles et individuelles pour accéder à la prévention et au dépistage précoce des risques cardiovasculaires
23 Dans le cadre des entretiens réalisés lors de la phase d’étude, deux types de contraintes pour prévenir le risque cardiovasculaire et accéder à son dépistage précoce ont été identifiés [14] : les contraintes structurelles et les contraintes individuelles. Les contraintes structurelles comprennent le cloisonnement entre médecins généralistes, spécialistes, et psychiatres. D’autres freins résultent de cette structuration tels que l’emphase mise sur le traitement psychiatrique qui implique une faible prise en compte des autres déterminants du risque cardiovasculaire, les manifestations somatiques étant imputées aux effets secondaires induits par les traitements. Les praticiens en médecine générale explicitent également la crainte d’interférer avec le traitement psychiatrique, en orientant vers un sevrage tabagique par exemple. Les participants à l’étude s’entendent sur le besoin d’une approche globale autour du patient, portée par les professionnels des différents secteurs impliqués. En complément, les patients et leurs aidants mettent en lumière les contraintes auxquelles ils se confrontent individuellement. Ils relèvent des difficultés à percevoir le parcours de soin dans son ensemble et à négocier ce parcours avec les professionnels du soin. Un manque de repères sur ce qu’il est possible d’entreprendre comme activités de bien-être et bénéfiques à la santé hors des murs de la psychiatrie est également exprimé alors que participer aux activités proposées en psychiatrie est décrit comme stigmatisant. L’étude conclut par ailleurs à une bonne connaissance partagée des déterminants du risque cardiovasculaire. Autrement dit, le risque est connu, mais l’orientation vers l’offre de prévention pose défi.
Étape 2 – Des critères d’efficacité de programme d’éducation thérapeutique pour la prévention du risque cardiovasculaire identifiés dans la revue de littérature
24 La revue de la littérature a été orientée pour identifier des critères d’efficacité d’interventions visant à réduire les freins à la santé cardiovasculaire des personnes souffrant de troubles psychiques. La recherche bibliographique a permis d’identifier 292 références. Leurs titres ont été passés au crible, étape qui a conduit à la sélection de 113 références. Le résultat a été ensuite affiné par la lecture des résumés. Pour finir, 64 articles ont été retenus [15]. Ces articles couvrent deux types d’interventions : les évaluations portant sur les interventions en psychiatrie (interprofessionnalité et interdisciplinarité, éducation thérapeutique du patient et médiation par les pairs) et la recherche interventionnelle en prévention du risque cardiovasculaire (méta-analyses et revues systématiques, projets visant le « healthy lifestyle » et approches spécifiques avec un focus sur le surpoids et l’activité physique, le tabac et les nouvelles technologies). Quatre critères d’efficacité ont été identifiés dans la littérature et ont été retenus pour élaborer une première trame de programme : la pluridisciplinarité de l’équipe encadrante [16, 17], la combinaison de plusieurs modes d’interventions (sensibilisation, activité, accompagnement) [18], l’association d’un suivi motivationnel individualisé et de session de groupes [19], et un programme d’une durée de trois mois minimum pour amener à un changement de pratiques sur le long terme [20] et de moins de deux ans pour assurer l’engagement du patient et de l’équipe sur la durée complète du programme [21, 22].
Étape 3 – Une première ébauche de trame de programme formatée comme un programme d’éducation thérapeutique
25 Sur la base des critères identifiés dans la littérature, une première trame de programme a ainsi proposé d’intégrer sept séances : quatre séances collectives et trois séances individuelles sur une période de trois mois. Ces séances auraient compris deux entretiens motivationnels qui devaient introduire et conclure le cycle. Les cinq autres séances étaient multimodales. La première devait permettre la sensibilisation des patients aux déterminants du risque cardiovasculaire, aux pratiques pouvant permettre de le prévenir et aux modalités de dépistage. Les séances suivantes auraient permis l’expérimentation des pratiques préventives. Elles auraient été composées d’un atelier culinaire, d’un atelier d’expression de soi et d’une séquence d’activité physique douce. La dernière séquence aurait été constituée d’un accompagnement personnalisé en consultation de médecine générale, en vue d’une familiarisation avec le trajet et l’environnement du praticien pour une progressive autonomisation. Cet accompagnement aurait également offert un appui à l’expression individuelle de ses symptômes et à la formulation du souhait de prise en charge somatique. Le programme aurait été mis en œuvre au sein des services de psychiatrie par des professionnels de différents secteurs. Un professionnel aurait été choisi par le patient pour l’accompagnement individualisé sur la base de la relation de confiance préétablie. Le patient aurait pu choisir d’associer un de ses aidants ; identifier ses personnes-ressources étant une compétence importante.
Étape 4 – Points discutés en Copil : la confrontation du savoir publié aux savoirs expérientiels
26 La première trame a été proposée au comité de pilotage. Trois points d’amélioration ont été exprimés. Le premier point d’attention a porté sur la motivation à adhérer au programme : l’objectif du programme de réduire le risque cardiovasculaire pour augmenter l’espérance de vie ne serait pas déclencheur, voire serait rebutant. En effet, plutôt que vivre plus longtemps, les patients (et leurs aidants) aspirent à vivre mieux. Vivre mieux intègre les dimensions psychique, physique et sociale. Cette considération de la santé dans sa globalité s’est exprimée en écho au constat posé par l’étude du morcellement des parcours de soins par spécialité médicale. La discussion en Copil a rapidement conduit à la décision collégiale de développer un programme externalisé à la psychiatrie pour briser les cloisonnements institutionnels identifiés comme un déterminant essentiel du non-recours aux soins somatiques. Orienter les patients vers les activités de bien-être et santé ancrées dans la cité répond également au ressenti de stigmatisation des patients et de leurs aidants, ressenti refrénant leur passage à l’action. L’externalisation est également perçue comme un facteur pouvant favoriser la pérennisation des pratiques préventives, l’offre n’étant plus corollaire à l’engagement d’équipes soignantes déjà fortement mobilisées sur leurs missions médicales. Orienter vers l’offre existante permet également aux patients et aux aidants de définir leur propre programme à la carte, selon leurs appétences, ce qui entre en adéquation avec le processus d’empowerment.
Étape 5 et 6 – Élaboration et validation en Copil de la trame 2
27 La deuxième trame de programme a posé comme prérequis une dynamique intersectorielle autour du programme (psychiatrie/médecine générale/spécialistes) sous la coordination de l’instance coordinatrice de soins : le contrat local de santé (CLS), le contrat local de santé mentale (CLSM) ou la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). La première étape du programme consiste ainsi en la mobilisation partenariale pour aboutir à la coconstruction d’un outil partagé listant les ressources du territoire. Ce recensement sera remis au patient.
28 Des outils existants « d’orientation » ou « d’autogestion » conçus pour soutenir les patients à adopter des pratiques favorables à leur bien-être et à leur santé, dont la maniabilité par des patients a été évaluée par leurs auteurs, ont été identifiés. Proposés en complément à la fluidification du parcours de soins, ces outils offrent des sections indépendantes que les patients et les autres parties prenantes peuvent sélectionner et combiner selon ce qui leur semble opportun. À l’inclusion du programme, l’outil de médiation « Mon GPS » [22] sera proposé pour faciliter le dialogue entre patient et professionnel autour du traitement psychiatrique et de ses effets secondaires. L’outil comprend un livret à remplir soi-même et des notices pour les patients, les équipes professionnelles et les aidants. Coconstruit par des usagers avec les experts de Psycom, il vise à favoriser le pouvoir d’agir des patients et le respect des droits en psychiatrie. En intégrant « Mon GPS » à la première consultation du programme, l’objectif visé est d’accorder un temps à la discussion sur le traitement psychiatrique. Une fois ce sujet prégnant abordé, il deviendra possible d’orienter la consultation sur l’appréhension du risque cardiovasculaire. Un test d’autoévaluation développé par la Fédération française de cardiologie pour sensibiliser sur les facteurs de risque, les signes d’alerte et le recours aux soins, pourra alors être rempli par le patient, lui permettant de discuter avec le professionnel de sa santé cardiovasculaire et des pratiques qui peuvent lui permettre de l’améliorer. Cette étape, qui mêle prise de conscience et sensibilisation, conduira à deux actions : l’orientation vers un cardiologue et l’explicitation de l’offre de prévention existante sur le territoire. Le recensement des ressources santé et bien-être élaboré par l’instance coordinatrice sera alors expliqué et remis au patient. L’outil d’autogestion canadien « Aller mieux… à ma façon » a été identifié pour être remis au patient afin qu’il puisse le remplir lui-même ou avec l’accompagnement d’un aidant [23]. Le patient peut ainsi y expliciter son plan d’action personnel à partir de sa réflexion sur l’offre territoriale et ses ressources incluant ses appétences et sa capacité à identifier les personnes avec lesquelles il se sent en confiance. La possibilité d’identifier et choisir ses « aidants » selon que leur accompagnement constitue un réel soutien pour se sentir serein et en capacité d’agir est mis en évidence dans la littérature comme une compétence essentielle pour favoriser sa santé [24, 25].
Trame 2 – Déroulé du programme élaboré et effets leviers escomptés
Déroulé | Parties prenantes | Outils | Effets leviers escomptés | |
---|---|---|---|---|
En amont de la prise en charge de tous les patients | ||||
1 | Élaboration d’un document d’orientation à destination du patient recensant l’offre d’activités bien-être et santé sur le territoire | Sous la coordination de l’instance coordinatrice de soins : le contrat local de santé (CLS), le contrat local de santé mentale (CLSM) ou la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) | Document d’orientation remis aux patients par son professionnel de soins | Approche intersectorielle qui fluidifie la coordination et les parcours de soins |
Dans le cadre de la prise en charge de chaque patient | ||||
2 | Orientation du patient en médecine générale | Psychiatrie, médecine générale ; patients et aidants | Dossier médical partagé | Entrée dans un parcours somatique, approche globale |
3 | Consultation de médecine générale : discussion autour du traitement psychiatrique puis prévention avec orientation vers un cardiologue | Professionnel de santé ; patients et éventuellement aidants | Outils en support : « mon GPS » de Psycom, quizz de la Fédération de Cardiologie ; remise du document d’orientation et de l’outil « aller mieux à sa façon » | Orientation vers un spécialiste et sensibilisation aux pratiques préventives |
4 | Élaboration du plan d’action personnel pour sa santé | Patients, avec le soutien d’aidants ou d’un professionnel de santé | Outil « aller mieux à ma façon » en utilisant le document d’orientation | Appropriation individuelle de l’offre d’activités bien-être et santé dans la cité pour passer à l’action, en évitant la stigmatisation en psychiatrie |
5 | Consultation avec un cardiologue | Spécialiste | Dépistage, prévention ou prise en charge |
Trame 2 – Déroulé du programme élaboré et effets leviers escomptés
29 Ainsi, les axes d’intervention, les outils sélectionnés et les effets attendus peuvent être synthétisés de la manière suivante (tableau II).
Discussion
30 La coconstruction du programme d’empowerment COPsyCAT par l’ensemble des parties prenantes a révélé des dynamiques plébiscitées : une volonté de décloisonner les soins somatiques et psychiatriques et l’ambition partagée de considérer les usagers-patients-citoyens comme des partenaires [26, 27]. L’objectif du programme redéfini par le Copil n’est alors pas d’intervenir pour réduire le risque cardiovasculaire, mais d’améliorer le bien-être et la qualité de vie des patients, remplaçant ainsi l’entrée par la pathologie médicale par une approche globale de la santé. Cette réorientation s’inscrit pleinement dans la feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie de 2022 dont l’un des objectifs est « d’améliorer les conditions de vie et d’inclusion sociale et la citoyenneté des personnes en situation de handicap psychique » [10]. L’expérience des patients est ainsi considérée comme centrale pour réorganiser le parcours de soin et de prévention. Le programme COPsyCAT, en adoptant cette approche centrée sur les usagers, pose ainsi les droits des patients comme cadre de réalisation incontournable de l’empowerment et non uniquement comme finalité ; ce qui témoigne du changement de paradigme en cours en France, sur la base des critères d’efficacité de programmes d’empowerment déjà recensés [28].
31 La prise en compte de la charge de travail des équipes de santé (soins primaires et psychiatrie) confirme la nécessité du rôle que peuvent et doivent jouer le patient et ses aidants pour créer la cohérence entre bien-être et santé physique. L’inscription du programme dans la cité et ses ressources existantes, sans financement spécifique à renouveler, répond à l’enjeu de pérennisation du changement favorable à la santé, soulevé dans l’évaluation d’autres programmes d’empowerment [29]. Pour permettre cet ancrage, la place centrale des instances territoriales de coordination et de décloisonnement est réaffirmée afin d’organiser l’orientation des professionnels et patients (les CLSM ou CPTS) et pour agir véritablement sur des leviers réformateurs. Ainsi, le programme d’empowerment centré sur les besoins en information et la capacité d’agir du patient, sur la base d’un dialogue ouvert avec les professionnels de santé, peut à la fois apporter une réponse aux besoins du patient et aux besoins du système de soins. Ici, pouvoir d’agir individuel et construction d’un contexte favorable à la santé ne sont plus pensés séparément, mais se renforcent mutuellement pour une plus grande résilience de l’un et l’autre.
32 Se lit ainsi l’importance du processus participatif incluant les patients pour contribuer à la Stratégie nationale de santé, qui inclut comme objectifs l’amélioration de la transférabilité des parcours en santé mentale et la continuité des parcours de santé [30]. Les étapes par lesquelles le programme a été coconstruit, incluant des ajustements et réorientations importantes à la demande des patients et des aidants, témoignent de la nécessité de recourir à une pluriexpertise amenée par la reconnaissance du savoir expérientiel des usagers, quelle que soit la pathologie considérée. Ce constat est partagé par les acteurs de l’éducation thérapeutique en France, qui préconisent de toujours impliquer les personnes concernées [31] et de passer d’une éducation thérapeutique classique à une formation des usagers à la santé et au rétablissement [32, 33].
Conclusion
33 La phase d’expérimentation du programme COPsyCAT informera sur la faisabilité des orientations proposées. Une évaluation portant sur la faisabilité et l’acceptabilité du programme va être menée en situation réelle. Les questions investiguées sont celles de l’appropriation des outils proposés et de l’observation des effets de leur utilisation hors situation contrôlée. La trame de programme a été conçue en tenant compte des contraintes de temps des professionnels de santé ; l’évaluation mesurera son appropriation. Se pose également la question de son inscription dans les réformes de coordination déjà en cours, l’objectif étant que le programme s’ancre véritablement dans la cité et non dans les institutions. Dépassera-t-il le strict projet de soins pour devenir un projet de vie ?
34 Si l’évaluation conclut que le programme peut être mis en œuvre, il sera alors possible de mesurer son efficacité sur la santé cardiovasculaire des patients, à moyen et long terme. Ses effets sur la santé du patient dans sa globalité seront également à étudier. Si le problème de santé ciblé par le projet COPsyCAT est celui de la santé cardiovasculaire, le programme l’envisage, à la demande des patients et des aidants, comme un programme visant la santé globale. Les études de faisabilité puis d’efficacité intégreront ainsi des mesures portant sur le bien-être.
35 Pourrait se poser la question de la transférabilité d’un tel modèle à d’autres thématiques que celle de la santé cardiovasculaire des personnes avec des troubles psychiques. Davantage de dialogue et d’empowerment des patients pourraient faciliter les parcours de santé en général, qu’il s’agisse de la santé maternelle et infantile ou de celle des personnes âgées ; le dialogue entre usagers et « offreurs de soins » des territoires étant là aussi essentiel [34].
Remerciements
Les auteurs remercient les membres du Copil. Lucie Cros, Anne Theurel et Anne Sizaret, Ireps BFC, ont contribué à la réflexion autour des résultats, des outils de sensibilisation et d’autogestion et de la recherche bibliographique. Céline Loubières, Psycom, a présenté son outil « Mon GPS » et a contribué à la réflexion autour de son utilisation. Marion Cortier, CHU de Dijon, est le manager de ce projet.
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