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Article de revue

Lever de la barrière linguistique dans la prise en charge médicale de patients allophones

Pages 783 à 793

Notes

Introduction

1 La scoping review (SR) est un type de revue systématique qui vise à appréhender l’étendue des connaissances sur un sujet donné, en cartographiant de manière exhaustive les concepts clés relatifs à un sujet de recherche [1]. La SR proposée ici porte sur les techniques mises en œuvre pour pallier la barrière linguistique dans les soins, et vise à informer des initiatives qui ont déjà été mises en œuvre par les équipes médicales pour améliorer l’accompagnement des patients allophones. Elle s’appuie sur trois revues de littérature et une dizaine d’articles scientifiques publiés entre 2005 et 2021.

2 La communication est une composante importante dans l’accompagnement d’un patient. En effet, elle peut avoir un impact sur la relation soignant-soigné et la sécurité des patients [2]. Afin que les soins soient les plus appropriés et les mieux adaptés, il est nécessaire que cette communication soit la plus efficace possible. On entend par « communication efficace » une communication comprise par les participants [2]. En l’absence de celle-ci, il est possible que la prise en charge perde en qualité et que les risques pour la sécurité des patients augmentent [2]. La communication ne se heurte pas seulement au problème linguistique. La littératie en matière de santé correspond à la « capacité d’accéder à l’information, de la comprendre, de l’évaluer et de la communiquer de manière à promouvoir, à maintenir et à améliorer sa santé dans divers milieux au cours de la vie » [3-4]. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [5], la littératie en matière de santé « [va] au-delà de l’aptitude à lire des brochures et à prendre des rendez-vous ». Elle repose essentiellement sur l’aptitude à obtenir, à comprendre, à interpréter et à évaluer l’information sur les soins et les services de santé afin d’être en mesure de prendre des décisions appropriées. Communication et littératie en santé sont donc deux concepts reliés mais bien différents. En effet, la communication est le processus qui consiste à échanger de l’information. La littératie en santé, quant à elle, correspond à l’utilisation d’une série de compétences et d’habiletés (lecture, écriture, écoute, communication orale, calcul, analyse critique, compétences en communication et en interaction) pour analyser et comprendre cette information [3].

3 Les problèmes linguistiques restent un problème important dans la prise en charge des patients, compte tenu de la forte évolution démographique de la population générale et de la migration mondiale [6]. La France, comme l’Europe, poursuit son évolution vers une société multiculturelle [7]. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), au 1er janvier 2014, 11,6 % des personnes qui vivent en France sont nées à l’étranger [1]. Ces immigrés éprouvent souvent des difficultés à parler le français et sont confrontés à des problèmes de communication dans tous les champs de la vie sociale, dont le secteur de la santé. Pourtant, rares sont les études qui s’intéressent à la barrière linguistique en France.

4 Les barrières linguistiques dans les soins posent de nombreux problèmes pour la prise en charge des personnes comprenant et parlant mal le français. En effet, ces difficultés de compréhension peuvent-être un réel frein et engendrer de nombreuses répercussions sur la santé des patients [2]. Si la compréhension est confuse, les soins peuvent être mal effectués, voire n’avoir aucun rapport avec ceux qui sont nécessaires. Afin d’éviter un certain nombre d’erreurs thérapeutiques et d’améliorer la prise en charge des patients allophones [8], de nombreux acteurs ont essayé de mettre en place des techniques pour palier la barrière linguistique que les professionnels de santé peuvent rencontrer au quotidien.

5 La littérature met particulièrement en évidence les bénéfices des interprètes médicaux professionnels sur les soins cliniques pour les patients qui ne parlent pas la même langue que le clinicien. En effet, lorsque les soins sont fournis par des cliniciens qui parlent la même langue maternelle que les patients, la satisfaction sur les soins est différente et on observe une meilleure prise en charge par la suite [6, 9]. Alors que le Code de santé publique français garantit l’égal accès aux soins de santé pour tous, il existe toutefois une disparité entre les patients dans de nombreux services de santé, provoquant des inégalités de santé et d’accès aux soins persistante [2]. En effet, cette disparité, en partie due à la barrière linguistique, est réduite lorsque la communication et la compréhension de la maladie et des soins est réelle. L’étude menée par Diamond et al. montre, par exemple, que les patients déclarent avoir reçu plus d’informations sur leurs soins, avoir eu moins de questions à poser et une meilleure qualité de prise en charge lorsque la langue du clinicien concordait avec la leur [9].

6 Aujourd’hui, la barrière linguistique fait partie du quotidien des professionnels de santé. Ces derniers testent et se servent de différents outils pour améliorer la communication, voire la littératie en santé (interprètes en direct ou par téléphone [10, 11], utilisation de pictogrammes ou d’un lexique pour expliquer le déroulement des différents examens [8, 12], etc.). Cet article a pour objectif de proposer un état des connaissances sur les problématiques linguistiques, l’interprétariat dans les soins et les solutions mises en œuvre, voire ayant fait l’objet d’une évaluation.

Matériels et méthodes

7 Les articles de cette revue sont issus de différentes bases de données (EM Premium, BDSP, PubMed, Cairn.info) ainsi que d’une recherche sur de la littérature grise. Les recherches ont été réalisées à partir de mots-clés axés autour de la barrière linguistique, des langues étrangères, et de la prise en charge de personnes non francophones. Les articles sélectionnés ne devaient pas être antérieurs à 2005 afin de retenir un corpus récent et restreindre le nombre d’articles à traiter.

8 Cette recherche a été complétée par une autre, réalisée dans Google Scholar. Les termes de recherche ont couvert divers champs lexicaux tels que « Communication barriers », « Translating », « Physician-patients relations », « Quality of health care », « Patient satisfaction ».

9 Sur 5 548 articles recueillis à partir des bases de données, 120 articles ont été retenus dans un premier temps à partir d’une première lecture du titre et du résumé pour garder, dans un second temps, uniquement les articles traitant de la barrière linguistique dans les soins (figure 1).

Figure 1 :

Résumé de la stratégie de recherche.

figure im10

Résumé de la stratégie de recherche.

Critères d’inclusion et d’exclusion

10 Sur les 120 articles retenus, une deuxième sélection a été faite à partir des critères d’exclusion : les documents qui n’incluaient pas réellement les techniques utilisées pour pallier la barrière linguistique ou ceux qui abordaient des problèmes de communication autres que ceux liés à la barrière de la langue (par exemple, les articles abordant les problèmes linguistiques observés dans la relation de soins avec des personnes malentendantes ou sourdes et muettes) ont été sortis du corpus documentaire.

11 En revanche, les articles décrivant les problèmes linguistiques liés à une langue étrangère, les revues de littérature s’attachant à aborder l’impact de cette barrière de la langue dans les soins ainsi que les différentes techniques mises en pratique pour la compenser ont été retenus.

Articles sélectionnés

12 In fine, après vérification des critères d’inclusion et d’exclusion, 15 articles dont 2 essais contrôlés randomisés ont été inclus ainsi que 3 revues de littérature [6, 9, 13] (tableaux I et II).

Résultats

Description des articles inclus

13 Les articles rapportent des études qui ont été principalement menées aux États-Unis (n = 7) et en France (n = 8). Un article est issu d’une recherche effectuée en Allemagne et deux articles rapportent des résultats d’études issus du Canada.

14 La majorité des articles ont présenté une technique permettant de pallier la barrière linguistique. Malheureusement, peu d’études évaluent l’efficacité de ces techniques par des essais contrôlés randomisés. Ce manque de mesures standardisées ne permet donc pas, en toute rigueur, de statuer sur l’efficacité ou non de ces méthodes d’interprétariat dans les soins.

Population des études retenues

15 Les articles portaient sur différentes populations : les patients et/ou les membres de leur famille, les cliniciens, les interprètes médicaux et les professionnels de santé.

16 Trois études ont évalué la satisfaction des patients ayant une maîtrise limitée de l’anglais (limited english proficiency [LEP]) et la technique mise en œuvre pour améliorer leur prise en charge. Certaines études portaient plus particulièrement sur le service des urgences de centres hospitaliers, car c’est potentiellement le lieu où les soignants sont le plus confrontés à la barrière de la langue.

Tableau I :

Synthèse des revues de littérature et essais contrôlés.

Auteur (date, lieu)DesignObjectifsInterventionRésultats/Conclusion
Gu et Shah (2019).
États-Unis
Revue de littératureSynthétiser les preuves de l’efficacité des interventions ciblant les problèmes linguistiques.Étude plaidant en la faveur de la mise en œuvre de stratégies d’amélioration de la communication liées à l’accent dans les soins.
Diamond et al. (2019).
États-Unis
Revue de littératureSynthétiser les données sur l’impact des soins de concordance linguistique pour les patients LEP* par rapport à d’autres interventions pour améliorer l’accès linguistique.L’étude montre que lorsque les soins concordant avec la langue améliorent la prise en charge des patients.
Karliner et al. (2007).
États-Unis.
Revue de littératureDéterminer si les interprètes médicaux professionnels ont un impact sur les soins cliniques pour les patients ayant une maîtrise limitée de l’anglais.Il a été constaté que le recours à des interprètes professionnels améliore la qualité des soins pour les patients LEP.
Gany et al. (2007).
États-Unis
Essai contrôlé randomiséÉvaluer l’impact de la méthode d’interprétation sur la satisfaction des patients.Fournisseurs de langue concordante vs fournisseurs de langue discordanteL’interprétation médicale simultanée à distance (RSMI) peut améliorer la satisfaction des patients LEP. Cet essai montre que la mise en œuvre de RSMI** pourrait éliminer les barrières linguistiques dans les soins médicaux.
Bagchi (2010).
États-Unis
Essai contrôlé randomiséExaminer si l’utilisation d’interprètes professionnels aux urgences affecte la satisfaction des patients qui ne maîtrisent pas l’anglais.Fournisseur de langue discordante vs interprèteCet essai montre que le recours à des interprètes médicaux professionnels augmente la satisfaction des patients hispanophones.

Synthèse des revues de littérature et essais contrôlés.

* LEP : limited english proficiency (maîtrise limitée de l’anglais).
** RMSI : remote simultaneous medical interpretation (interprétation médicale simultanée à distance).
Tableau II :

Synthèse des articles.

Auteur (date, lieu)DesignSujetRésultats/Conclusion
Kotobi (2017). FranceArticleL’interprétariat médico-socialL’interprétariat est indispensable pour que la prise en charge des soins soit correcte pour tous les patients, quelle que soit la langue parlée.
Mais en France, la possibilité de recourir à un interprète formé est difficile (problème financier…)
Le Goff et al. (2017). FranceArticleLes interprètes professionnels en santéL’observatoire national a formé des professionnels à l’interprétation. Il existe un vrai désir des professionnels à s’ouvrir à ce métier d’interprète pour davantage l’introduire dans leur prise en charge.
Hilliard (2018). CanadaArticleLes interprètes en santéLa meilleure solution pour pallier la barrière linguistique chez les enfants est de recourir à un service d’interprète culturel professionnel. L’utilisation d’un interprète non formé est plus risquée.
Mosser-Lutz (2020). FranceArticleLes interprètes en santéLes interprètes en santé sont devenus indispensables autant pour la personne soignée que pour les professionnels de santé.
Djadouadjee (2013). FranceArticleL’utilisation des interprètesLe recours à l’utilisation d’interprètes semble être un service auquel les soignants devraient avoir recours.
Bischoff et Grossmann (2007). AllemagneArticleL’interprétariat téléphoniqueL’interprétariat téléphonique est peu fréquent mais il est une solution judicieuse notamment lorsque les patients communiquent dans des langues peu connues et rares.
Bourgeois (2016). FranceArticleL’interprétariat linguistiqueLe soignant est amené à s’adapter face à un patient ne parlant pas la même langue que lui. La première solution serait que le soignant soit bilingue mais il existe aussi d’autres possibilités comme : le recours à des interprètes non professionnels ou professionnels.
Marin (2012). FranceArticleLes soins en langues étrangères et les risquesLorsque le proche du malade joue le rôle d’interprète, il existe de nombreux risques comme : manque de vocabulaire médical, neutralité, appauvrissement du message, malentendus, incompréhensions, etc.
Alvarez (2016). CanadaArticle scientifiqueSolutions contre la barrière de la langueLors des examens, la communication a lieu entre un intervenant et un bénéficiaire. Parfois lorsqu’il y a une barrière de la langue, l’intervenant peut demander un traducteur pour l’aider. Mais pour les soins de base, il n’est pas toujours disponible. Pour cela, les infirmières ont développé un outil portant sur les six soins de base à l’aide de pictogrammes.
Delacour (2013). FranceArticleSolution contre la barrière de la langueL’équipe du centre hospitalier de Rouen a décidé d’élaborer différents lexiques en plusieurs langues comportant une partie illustrée et les expressions de base utilisées à l’hôpital.
Durbin (2011). FranceArticleBarrière de la langue dans les soinsLa prise en charge de patients étrangers demande aux professionnels de santé de l’anticipation et un investissement personnel.
Ils peuvent avoir recours à des techniques qui traduisent en plusieurs langues. Cependant, l’empathie, le fait de prendre du temps avec les patients pour essayer de communiquer reste la priorité et les choses primordiales.
Schyve (2007). États-UnisArticleBarrière linguistiqueUne communication efficace dans les soins doit prendre en compte la langue, les différences culturelles.
Les problèmes de communication sont la cause la plus fréquente des problèmes indésirables de santé. C’est pour cela, que la Commission Mixte met l’accent sur ses normes concernant la sécurité des patients et la qualité des soins.
Green et al. (2005). États-UnisArticle scientifiqueService d’interprétationEnquête comparant les modes de communication pour les immigrants asiatiques du LEP* aux États-Unis.

Synthèse des articles.

* LEP : limited english proficiency (maîtrise limitée de l’anglais).

Techniques mises en œuvre

17 La majorité des articles porte sur l’utilisation d’interprètes comme techniques pour pallier la barrière linguistique dans les soins. L’interprète représente l’outil le plus utilisé par les professionnels de santé lorsque ceux-ci se retrouvent à prendre en charge des patients allophones. Les interprètes missionnés lors de ces prises en charge peuvent être des professionnels ou non professionnels [2, 13-19].

18 Certains articles rapportent d’autres outils utilisés pour pallier la barrière de la langue et communiquer efficacement avec le patient. On retrouve par exemple l’utilisation de pictogrammes, de lexiques de traductions, etc. [10, 12, 20-22].

19 Les revues de littérature incluses dans la SR abordent le thème de l’importance de communiquer dans la même langue que le patient et l’amélioration de la prise en charge qui en découle.

20 La première revue propose la mise en œuvre de stratégies visant la qualité de communication et son impact sur la satisfaction et la sécurité des patients [6]. La seconde évalue les effets liés à l’utilisation des interprètes professionnels dans les soins et leur impact sur les soins cliniques pour les patients LEP [13]. La troisième plaide en faveur d’une concordance de la langue dans les soins pour améliorer la prise en charge [9].

21 Les deux essais randomisés ont interrogé la satisfaction des patients en fonction de différentes méthodes d’interprétation au sein d’un service des urgences [14, 21]. Le premier a permis de mettre en évidence que le recours à des interprètes médicaux augmente considérablement la satisfaction des patients hispanophones lors de leurs premiers soins au service des urgences [14]. Le deuxième, que la satisfaction des patients aux différentes méthodes d’interprétation est probablement liée à un ensemble de facteurs comme la culture, le temps et la qualité de la méthode d’interprétation [21]. En revanche, il a aussi montré que l’interprétation médicale simultanée à distance (remote simultaneous medical interpretation [RSMI]) peut être utile dans certaines situations et qu’elle devrait être considérée comme un élément important pour éliminer la barrière linguistique dans les soins.

Discussion

22 L’objectif de cette revue systématique était de synthétiser les recherches existantes sur les techniques utilisées dans les soins pour pallier la barrière linguistique, et d’évaluer leur efficacité dans la prise en charge.

L’interprétariat linguistique

23 Lors d’une communication interculturelle, la première et la plus grande difficulté que peuvent rencontrer les soignants est celle de la barrière de la langue. Cette difficulté peut venir du fait que les soignants se retrouvent freinés dans leurs habitudes de prises en charge à cause de l’usage d’une langue différente de la leur. Ainsi, selon Djadouadjee, « Face à un patient ne parlant pas français, les soignants peuvent [alors] se trouver mal à l’aise, voire en difficulté » [16].

24 De plus, le langage verbal, qui était jusqu’alors l’outil de transmission privilégié, est remplacé par le langage non verbal à travers les mimes, la posture et le sourire [8, 16]. En effet, selon Durbin, « la communication non verbale représente 70 % des messages que l’on transmet et que l’on reçoit » [20]. Le langage non verbal constitue donc la première technique utilisée par les soignants pour pallier la barrière de la langue dans les soins.

25 Les articles retrouvés dans la littérature montrent que les différences linguistiques sont une réelle menace pour la qualité et la sécurité des soins de santé [2, 6, 9, 16].

26 Malgré le manque de mesures reflétant l’efficacité des techniques pour pallier la barrière linguistique, les articles présents dans cette revue suggèrent tout de même que les interprètes médicaux professionnels améliorent la prise en charge des patients, en particulier pour les soins qui concernent des patients LEP [14]. L’utilisation du service d’interprétariat semble réduire les erreurs de communication liées à des difficultés de traduction, améliorer la compréhension des patients et apporter des soins égaux à tous. L’interprétariat a été reconnu comme étant indispensable pour que tous les patients puissent être égaux dans l’accès aux soins. En effet, tout patient doit être capable de comprendre ce qui lui est proposé afin d’obtenir son consentement libre et éclairé [17].

27 Les articles abordant le service d’interprétariat dans les soins ont pu être classés selon deux groupes différents : ceux qui avaient recours à des interprètes médicaux [8, 11, 13, 14, 17, 19] et ceux qui avaient recours à des interprètes non professionnels [2, 8, 11, 15]. Cette technique est celle que l’on retrouve couramment dans les services de soins ; elle est la plus connue et la plus abordable.

Les interprètes non professionnels

28 Dans la grande majorité des cas, on a pu examiner que les soignants ont recours à des interprètes non professionnels tels qu’un ami, un membre de la famille, un autre professionnel de santé dont la maîtrise de l’anglais est limitée. Dans ces situations, la satisfaction des patients est moins significative par rapport à la qualité et la fidélité de la traduction [13].

29 L’utilisation d’un membre de la famille peut paraître, au premier abord, plus simple pour les soignants et de meilleure qualité. Le soignant part du principe que le patient préfère effectivement communiquer avec une personne de confiance [15]. Pourtant, certains articles stipulent que ce recours a aussi des effets négatifs [11, 15, 18]. En effet, les interprètes non professionnels ne connaissent pas forcément le langage médical, ce qui peut poser de nombreux problèmes lors de la traduction. Il existe donc un réel risque d’erreur de prise en charge qui est dû à la perte d’informations, à des malentendus, des incompréhensions, etc. [2, 11, 15].

30 Par ailleurs, ce moyen de communication ne respecte pas le cadre professionnel, ne permet pas un dialogue restituant la totalité des énoncés et ne se déroule pas dans le respect de l’autonomie et de l’intimité du patient [23]. En effet, le fait de demander à un membre de la famille de traduire soulève la question de la confidentialité entre les deux personnes et du secret médical. Il semble donc nécessaire de rester prudent sur les informations transmises en raison du lien affectif qui peut les unir [16].

Les interprètes médicaux professionnels

31 Les soignants utilisent aussi le recours à des interprètes médicaux professionnels. La Charte de l’interprétariat médical et social professionnel, en France, définit l’interprète comme une personne qui « exerce de façon qualifiée une fonction d’interface verbale entre plusieurs individus ou groupes ne parlant pas une même langue. Pour ce faire, il met en œuvre sa maîtrise des langues utilisées et sa connaissance des techniques de traduction orale [3]. » Les interprètes respectent une déontologie basée sur la fidélité de la traduction, la confidentialité et le secret professionnel, l’impartialité, et le respect de l’autonomie des personnes.

32 Certains articles ont révélé que les interprètes professionnels améliorent la qualité des soins [9, 14, 21, 24], notamment la prise en charge des soins cliniques par rapport aux interprètes ad hoc[4] lors de la prise en charge pour les patients LEP [9, 13].

33 L’un des essais contrôlés randomisés inclus dans cette revue évalue également l’efficacité des interprètes médicaux professionnels. Les résultats retrouvés par les auteurs indiquent que « 96 % des patients du groupe de traitement étaient très satisfaits de leur capacité à communiquer pendant la visite » [14]. Cet essai a permis de conclure que les interprètes médicaux augmentent considérablement la satisfaction des patients, en particulier dans le service des urgences. Notamment les patients ayant recours à des interprètes étaient plus sujets à se poser de questions sur leur prise en charge et leurs soins [24]. De plus, le recours à un interprète professionnel permet d’offrir « d’une part, aux patients/usagers, les moyens de communication leur permettant de bénéficier d’un égal accès aux droits, à la prévention et aux soins de manière autonome et, d’autre part, aux professionnels, les moyens d’assurer une prise en charge respectueuse du droit à l’information, du consentement libre et éclairé du patient et du secret médical » [23].

34 Néanmoins, un article inclus dans cette scoping review relève que le fait de faire intervenir une tierce personne dans la prise en charge peut rapidement devenir une source de problèmes [18] dans la mesure où cette intrusion d’un tiers dans la communication rompt le dialogue entre le patient et le soignant. Celle-ci devient alors asymétrique : une personne est en position de dépendance et une autre en position de maîtrise. Les soignants se retrouvent alors dans une place inhabituelle et souvent inconfortable [18].

Formation du personnel

35 L’utilisation des interprètes professionnels peut être source de nombreux malentendus, car ils méconnaissent souvent le langage médical et peuvent ainsi commettre des contresens qui sont accentués dans la traduction [15]. Pour éviter de faire intervenir une tierce personne, de nombreux centres de soin ont décidé de former le personnel médical au rôle d’interprète pour pouvoir communiquer de façon sereine avec les patients parlant une langue étrangère [18, 19]. En effet, des plans de formation sont mis en place pour les soignants afin de leur permettre la maîtrise du vocabulaire simple et adapté aux situations professionnelles de base qu’ils utilisent au quotidien [18, 19]. Les professionnels de santé sont désireux de suivre ces formations [18] : ils estiment que ces temps d’échange entre interprètes et soignants sont effectivement l’occasion de s’interroger mutuellement sur les cadres professionnels et les limites de chacun.

Utilisation d’outils

36 D’autres outils sont également utilisés en pratique courante [23] : des pictogrammes, des sites de traduction en ligne et applications pour smartphones (par exemple, MédiPicto[5] éditée par l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris, qui permet de dialoguer à l’aide de pictogrammes sur les principales situations), des lexiques, des questionnaires et consignes traduits en différentes langues. Il semblerait toutefois que ces moyens donnent seulement l’illusion d’une communication entre professionnel de santé et patient. L’un et l’autre peuvent avoir le sentiment de s’être fait comprendre alors même qu’ils n’ont pas été réellement compris. Aussi, la Haute Autorité de santé (HAS) [23] rappelle que ces moyens de communication sont à considérer et à utiliser avec une grande prudence.

Efficacité des techniques

37 Un des articles inclus dans cette revue explore différents outils utilisés lors de la prise en charge de patients présentant une barrière de la langue [20]. Celui-ci décrit la mise en place d’une liste, par l’équipe soignante du centre hospitalier de Briançon (05), qui recense toutes les personnes-ressources capables de communiquer en une ou plusieurs langues étrangères. Ceci permet de répertorier les personnes utiles à contacter en cas de problème linguistique avec un patient.

38 Pour la prise en charge spécifique des jeunes enfants, cette même équipe a mis en place un conte illustré qui retrace la prise en charge au travers d’images et de courts scénarios. Peu à peu, ce conte a été traduit dans différentes langues [20].

39 Un médecin a également mis au point un outil, Traducmed[6], composé de phrases préenregistrées par des traducteurs afin que les patients puissent les écouter directement par le biais d’un site internet, qui permet de pouvoir évaluer les urgences médicales en l’absence d’interprète [20]. Les logiciels de traduction effacent toutefois la dimension humaine des fonctions de l’interprète. Lorsqu’ils sont utilisés par le professionnel de santé, celui ne peut plus être pleinement disponible dans la consultation [23].

40 Un second article aborde quant à lui plus particulièrement l’utilisation de l’interprétariat téléphonique pour surmonter les barrières de la langue [10]. Il s’agit d’une technique rapide d’accès pour un besoin immédiat (consultation sans rendez-vous ou d’urgence), dans laquelle l’anonymat peut être respecté : la gêne liée au face-à-face qui peut surgir lors de certaines consultations est ainsi diminuée [23]. Certes, le recours à cette technique est beaucoup moins pratiqué que celle faisant appel à des interprètes professionnels. Pourtant, elle pourrait être judicieuse, notamment lorsque les patients communiquent dans une langue peu répandue [10]. En revanche, la dimension « non verbale » est absente : il faut donc que le professionnel de santé commente tout ce qui se passe dans la pièce, cela peut ne pas être adapté à certaines situations (par exemple, en oncologie, lors d’une consultation d’annonce) et accentuer les incompréhensions [23].

41 Un troisième article explique que les soignants du centre hospitalier de Rouen (76) ont élaboré différents lexiques en plusieurs langues permettant aux patients d’appréhender plus sereinement leur examen. Ils sont composés d’une partie illustrée et du vocabulaire de base. L’efficacité de cet outil a été testée auprès de leurs patients et les résultats sont concluants. Il en est ressorti que les patients se sentent plus intégrés dans leur prise en charge et que les soignants sont satisfaits de pouvoir expliciter le déroulement des différents examens [12].

42 Un quatrième article aborde l’utilisation des pictogrammes pour surmonter la barrière de la langue [22]. Cet outil a été mis en place dans le but de communiquer efficacement avec les patients surtout en situation d’urgence. Ces pictogrammes se retrouvent sur une application dans laquelle on retrouve les sensations et les douleurs « basiques » que peuvent ressentir les patients. Cette application permet aux patients d’avoir une approche visuelle de ce qu’ils peuvent ressentir et éprouver pour le communiquer aux soignants afin d’optimiser leur prise en charge. Elle permet ainsi de comprendre ce que peut avoir le patient et lui administrer les soins nécessaires qui conviennent [22]. Toutefois, les pictogrammes ne sont pas universels, sont difficiles à utiliser par des personnes non habituées à ce mode de communication et ils comportent des risques d’incompréhension puisqu’ils ne permettent pas de vérifier la compréhension en reformulant [23]. La communication reste unilatérale.

43 Un cinquième article aborde le fait de recourir à des enfants ou des adolescents comme interprètes lors de la prise en charge d’un membre de leur famille [11]. Cet article explique qu’il existe de nombreuses raisons de décourager le recours aux enfants et aux adolescents comme interprètes. En effet, la fiabilité des informations transmises peut être contestée en fonction de l’âge et de la connaissance suffisante pour maîtriser les deux langues dans un langage médical. De plus, ceci place l’enfant dans une situation complexe dans laquelle il peut se retrouver stressé, avec pour conséquence une possible altération du sens des mots. Mais surtout, en cas de négociation, l’enfant peut se retrouver dans une situation délicate, où il est tiraillé entre son rôle d’interprète et sa loyauté envers le membre de sa famille. C’est pour cela, dans la mesure du possible, qu’il est préférable de privilégier une autre personne extérieure pour jouer ce rôle [11]. Le recours à un tiers non formé à l’interprétariat pose encore une fois la question du respect du cadre déontologique qui n’est pas garanti (fidélité de la traduction, confidentialité et secret professionnel, impartialité, respect de l’autonomie des personnes) [23]. Il peut y avoir un réel transfert de responsabilité du patient vers son entourage mettant à mal le rôle d’accompagnant ou d’aidant.

44 Enfin, un des articles inclus dans cette scoping review permet d’évaluer la satisfaction des patients selon les différentes méthodes d’interprétariat, incluant le recours à l’interprétation simultanée à distance. Comme son nom l’indique, l’interprétation simultanée signifie que l’interprète traduit en même temps qu’il entend le discours original de l’orateur, à distance et à l’extérieur du lieu de prise en charge. Les interprètes médicaux communiquent à l’aide de casques et de micros portés par le soignant et le patient. Cette étude a permis de mettre en évidence que les patients randomisés par la RSMI avaient le sentiment d’une meilleure considération ainsi que d’une meilleure satisfaction à l’égard de la communication avec le médecin, en comparaison avec les patients présentant des problèmes de concordance linguistique [21].

45 L’ensemble des résultats des articles de cette revue systématique met en évidence que l’utilisation des différents services d’interprétation, quels qu’ils soient, permet d’améliorer la prise en charge des patients parlant une langue étrangère, mais aussi leur satisfaction sur les gestes réalisés. Néanmoins, des limites à cette scoping review doivent être abordées.

46 Premièrement, la majorité des études a été menée à l’étranger dans des contextes précis et limités, à savoir, elles ne concernaient pour la plupart qu’un service précis, celui des urgences. Les conclusions ne sont donc pas facilement généralisables à tous les pays en fonction de leur développement et de l’accès aux soins pour leur population.

47 Deuxièmement, le sujet de cette scoping review était limité par les techniques utilisées dans la communication verbale avec les patients. Elle ne vise pas les techniques utilisées dans d’autres modes de communication, mobilisées lors des communications non verbales avec des patients sourds et muets, par exemple.

48 Le manque d’études formelles concernant l’utilisation de ces autres techniques nécessiterait la mise en œuvre de nouvelles expérimentations. De plus, les études trouvées dans la littérature sur ce sujet abordent des services de soins bien précis et habituels tels que le service des urgences, mais il est difficile de trouver des articles abordant cette problématique dans certains services de soins plus précis comme la radiologie ou la radiothérapie par exemple.

Conclusion

49 À notre connaissance, il s’agit de la première scoping review traitant des techniques efficaces qui permettent de pallier la barrière linguistique dans les soins.

50 Malgré la faible quantité de recherches sur le sujet et le manque de mesures standardisées dans les articles inclus, cette revue établit suffisamment de données pour conclure sur l’efficacité des stratégies mises en place pour pallier la barrière linguistique dans les soins. En effet, il a été constaté que le recours aux différents services d’interprétation, qu’elle soit exercée par un professionnel ou virtuellement, est associé à une amélioration de la qualité des soins de santé ainsi qu’à une amélioration de la satisfaction des patients concernant leur prise en charge.

51 Les futures recherches dans ce domaine devront servir à évaluer si les techniques sont efficaces pour tous les services de soins. Il est également souhaitable de développer davantage d’essais contrôlés randomisés sur le sujet afin de renforcer la base de preuves concernant l’efficacité de ces techniques.

52 Aucun conflit d’intérêts déclaré

Références

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Mots-clés éditeurs : Prise en charge médicale, Interprétariat, Barrière linguistique, Patient allophone, Satisfaction des patients

Date de mise en ligne : 07/04/2023

https://doi.org/10.3917/spub.226.0783

Notes

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

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