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Article de revue

Patients partenaires : retour d’expérience sur l’enseignement du partenariat à Genève

Pages 45 à 49

Notes

  • [1]
    Le Centre interprofessionnel de Simulation Genève réunit la Haute école de santé, la Faculté de médecine de l’université de Genève, les Hôpitaux universitaires de Genève et l’Institution genevoise de maintien à domicile. L’équipe interprofessionnelle se consacre principalement à la formation des professionnels et futurs professionnels.

Introduction

1 La collaboration interprofessionnelle (CIP) est indispensable pour délivrer des soins de qualité et répondre aux défis démographiques et sanitaires actuels [1, 2]. La mission des institutions de formation en santé est ainsi de concevoir des programmes permettant l’acquisition des compétences nécessaires à la mise en œuvre de la CIP dans la pratique clinique [3]. Depuis 2013, la Haute école de santé (HEdS) et la faculté de médecine, rejointes en 2019 par la section des sciences pharmaceutiques (ISPSO) de Genève via l’équipe du Centre interprofessionnel de Simulation (CiS [1]), développent un programme d’éducation à la CIP destiné à quelques 1 500 étudiants des filières de médecine, nutrition et diététique, pharmacie, physiothérapie, sages-femmes, soins infirmiers et technique en radiologie médicale [4]. Ce programme se compose de trois modules durant lesquels les étudiants sont formés aux compétences en CIP selon le référentiel de compétences pancanadien [5].

2 Le premier module réunit les étudiants des sept filières via des conférences, des ateliers et des travaux de groupe qui constituent autant de modalités d’apprentissage de la CIP. Ces activités permettent aux étudiants d’identifier les liens entre ces compétences et la qualité des soins et ils s’initient au modèle de travail en équipe TeamSTEPPS® [6].

3 Au cours des deux modules suivants, les étudiants mettent en pratique et approfondissent les compétences en CIP et les outils et stratégies TeamSTEPPS®, en simulation interprofessionnelle et dans une activité de shadowing consistant à « suivre des professionnels dans leurs activités quotidiennes, les observer et dialoguer avec eux » (adapté de Liberati, 2017).

4 Tout au long du programme, un accent particulier est mis sur le partenariat avec le patient et ses proches. Le partenariat est défini comme une relation complémentaire et symétrique qui s’appuie sur les connaissances des professionnels et sur l’expertise du patient, issue de son expérience. Les objectifs du partenariat sont de donner au patient l’opportunité de s’impliquer dans ses soins et de développer une relation permettant la co-construction d’un projet de soins partagé [8]. L’implication des patients conduit à des soins mieux ajustés à leurs préoccupations et à celles de leurs proches [9]. Cette compétence au partenariat est enseignée selon le référentiel de compétences pancanadien [5] et le modèle TeamSTEPPS® qui définit le patient comme un membre à part entière de l’équipe. Le programme propose aux étudiants de se familiariser avec cette compétence à travers du e-learning et des ateliers, puis de la mettre en pratique avec des patients simulés au cours de pratiques simulées.

5 En référence au Montreal Model, les patients devraient être engagés à tous les niveaux du système de santé y compris dans l’organisation des services, l’élaboration des politiques de santé, la recherche et l’enseignement [10]. Pour enseigner le partenariat, nous avons donc développé des activités impliquant des patients comme partenaires de l’enseignement. Cet article décrit deux de ces activités, intégrées au premier module de formation des étudiants à la CIP. Cette sensibilisation précoce des étudiants constitue une approche originale de l’enseignement de cette compétence encore peu développée en Suisse.

Matériels et méthodes

6 Au cours du premier module, les étudiants de 1re année Bachelor de la HEdS et de 2e année Bachelor de la faculté de médecine et de pharmacie sont réunis durant cinq jours de congrès. En 2021, une conférence plénière et des ateliers ont été développés pour renforcer l’enseignement du « partenariat patient ». Le développement de ces activités a nécessité de suivre un processus en plusieurs étapes décrites ci-après.

Sélection des patients et des enseignants

7 La première étape a consisté à identifier des patients et des enseignants intéressés à créer ces activités. Le CiS a sollicité des patients au sein du programme « patients partenaires » des hôpitaux universitaires de Genève. Ce programme met à disposition une plateforme en ligne permettant aux patients, aidants ou professionnels de s’inscrire pour participer aux actions de partenariat. Six d’entre eux, au bénéfice de connaissances sur le partenariat et souhaitant expérimenter ce nouveau rôle dans l’enseignement, étaient disposés à évoquer leur histoire auprès des étudiants. De la même façon, six enseignants issus des différentes filières de la HEdS se sont proposés pour développer cet enseignement.

Constitution des binômes

8 Avant la première séance d’information, la responsable du module s’est chargée de constituer les binômes. Ils ont été appariés en fonction de la probabilité que les patients aient été amenés à consulter un professionnel de même profession que l’enseignant auquel ils étaient associés. Connaissant l’ensemble des personnes impliquées et ayant travaillé avec elles, elle a aussi prêté un soin particulier à constituer des binômes de personnalités qui lui semblaient complémentaires.

Séance de lancement

9 Une première séance réunissant les patients, les enseignants et la responsable des activités a permis aux binômes de faire connaissance, de présenter le contexte de la formation et son public ainsi que le cadre organisationnel des activités. Les objectifs annoncés pour cet enseignement étaient : sensibiliser les étudiants au partenariat dans les soins, identifier les bénéfices tant pour la sécurité des patients que pour la qualité des soins et explorer des pistes concrètes pour mettre en œuvre ce partenariat. Le choix du contenu et des modalités d’animation des activités était laissé libre aux binômes. Le format était fixé à 45 minutes pour la conférence plénière et 90 minutes pour les ateliers.

Séances intermédiaires

10 Les binômes se sont ensuite organisés indépendamment pour la préparation de leur activité. Ils ont ainsi co-créé les contenus et les supports et défini les modalités de leur co-animation. Pour certains, ils se sont entraînés à la co-animation lors de répétitions et se sont donnés, tout au long du processus, des feedbacks réguliers. Tous pouvaient, à tout moment, faire appel à la responsable pour les questions d’ordre pédagogique ou logistique.

Mise en œuvre des activités

11 Les activités se sont ensuite déroulées dans le cadre de la semaine de congrès, au mois de janvier 2021. La conférence plénière a accueilli environ 600 étudiants, et six ateliers de 90 minutes, impliquant 12 étudiants chacun, ont été réalisés.

Évaluation des activités

12 Une évaluation quantitative et qualitative des activités a été réalisée. Un questionnaire de satisfaction a été adressé aux 600 étudiants ayant participé à l’un des ateliers ou à la conférence. Des entretiens semis-dirigés ont été conduits auprès des six patients et des six enseignants ayant co-construit les ateliers.

Résultats

13 Les résultats montrent que les étudiants sont très satisfaits et qu’ils ont trouvé les ateliers pertinents et utiles pour leur pratique future (M=3.3/4 ; N=383), de même pour la conférence (M=3.2/4 ; N=249). Ces résultats se confirment dans les commentaires libres. Ainsi comme le soulignent les étudiants « J’ai pu me rendre compte des enjeux à travailler et collaborer avec tout autre soignant ainsi qu’avec le patient et ses proches » ou encore « J’ai trouvé le plus intéressant et enrichissant les moments où des soignants et patients racontent des évènements qu’ils ont vécus ». Ils explicitent aussi ce que ces activités leur apportent « nous rendre compte de l’ambiance qui peut régner dans le monde des soins et de repérer les points critiques sur lesquels nous devrons travailler/être attentifs, écouter les autres, rester humbles, utiliser des techniques de communication simples et efficaces pour éviter des erreurs médicales, être un leader et pas un chef, comment désamorcer un conflit, et intégrer le patient ». À la question ouverte « que retenez-vous au terme de l’activité ? », ils rapportent qu’il est important de traiter le patient « d’égal à égal », « d’humain à humain », sans hiérarchie, mais aussi, de partir de l’écoute du patient, de ses avis, sentiments, besoins, croyances et souhaits pour l’intégrer aux prises de décisions. Les étudiants relèvent aussi l’importance de s’assurer que les patients aient les moyens de participer activement à leurs soins. Certains disent s’être rendus compte de l’étendue des connaissances des patients sur leur maladie.

14 Les entretiens réalisés avec les enseignants ont mis en évidence l’intérêt et l’utilité de l’activité d’enseignement conjoint. Les enseignants ont exprimé une motivation interne importante à participer à la co-construction d’une formation pour les étudiants en santé. Ainsi, ils soulignent avoir « adoré » (O=2 ; avec O = nombre d’occurrences dans les entretiens) cette « magnifique expérience » (O=1) et y avoir pris « beaucoup de plaisir » (O=3) tant en la préparant qu’en l’animant. La complémentarité des rôles dans les binômes est aussi soulignée (O=4). Celle-ci a été posée comme un principe de fonctionnement dans la plupart des binômes pour illustrer la symétrie de la relation et la contribution respective de chacun à l’atteinte des objectifs de l’activité (O=4). Une enseignante rapporte qu’elle a apprécié d’être soutenue par la patiente avec qui elle donnait un atelier, reconnaissant son expérience du partenariat. Cela dit, trois des six enseignants disent avoir ressenti de l’appréhension avant l’activité et au début de celle-ci. Finalement, tous les enseignants intervenant dans les ateliers rapportent que les étudiants ont activement participé à l’activité et qu’ils étaient en demande de « comment faire ? que dire ? », c’est-à-dire d’outils pour la mise en œuvre du partenariat dans la pratique clinique. Ils étaient très attentifs au récit et explications des patients et ont souvent réclamé davantage d’enseignements faisant intervenir des patients.

15 De leur côté, tous les patients perçoivent également l’utilité et la pertinence de contribuer à l’enseignement du partenariat (O=6). Tout comme les enseignants, ils soulignent le plaisir de transmettre (O=6), d’enseigner et de témoigner (O=4). Trois patients disent avoir particulièrement apprécié de pouvoir participer à l’élaboration de l’activité et non pas uniquement apporter un témoignage. Quatre patients souhaitent s’engager dans d’autres activités d’enseignement ou de mises en place de programmes de formation. Une patiente rapporte qu’elle a pu s’exprimer sur son histoire pour la première fois sans être envahie par l’émotion : l’activité d’enseignement lui ayant permis de prendre une certaine distance avec son expérience de la maladie et des soins. Néanmoins, quatre patients disent avoir éprouvé un stress important avant l’activité. Ils rapportent avoir eu beaucoup de doutes quant à leurs compétences à enseigner. Il s’agissait, en effet, de leur première expérience dans l’enseignement. Une patiente a même songé à annuler sa participation quelques jours avant. À l’inverse, une autre exprime que le temps de préparation avec l’enseignant lui a permis de diminuer son appréhension.

Discussion

16 L’objectif de consolider l’enseignement du partenariat patient-équipe de soin par des activités réalisées en binôme patient-enseignant est pleinement atteint et a satisfait l’ensemble des acteurs. Les étudiants ont perçu l’utilité de cet enseignement et ils ont pu rechercher le ressenti du patient et aborder des outils pour l’impliquer dans les décisions qui le concernent La complémentarité des rôles, des savoirs et des expertises a été démontrée dans les binômes patients/enseignants. Au-delà des contenus enseignés, l’activité permettait, en effet, d’illustrer le partenariat par l’exemple que les patients et enseignants ont donné durant l’atelier.

17 Toutefois, il semble nécessaire que les rôles et responsabilités de chacun soient clarifiés dès la séance de lancement. Ainsi, le patient apporte son vécu expérientiel et l’enseignant son expertise pédagogique. Ces savoirs complémentaires sont indispensables pour l’enseignement du partenariat. Par ailleurs, une relation de confiance doit s’établir au sein du binôme pour favoriser l’équilibre et l’authenticité dans l’animation et l’engagement des étudiants.

18 La majorité des acteurs de santé, patients, professionnels, étudiants et enseignants s’accordent sur l’importance d’enseigner le partenariat [11, 12], répondant ainsi à l’évolution des cadres législatifs, notamment le respect du droit à l’autodétermination des patients. Toutefois, plusieurs éléments doivent être pris en considération avant de l’initier. Dès lors que le patient devient un membre de l’équipe pédagogique, il devrait être impliqué précocement dans la co-construction des programmes de formation des futurs professionnels de la santé. Or, la co-construction n’est possible que si les décisions sont partagées à toutes les étapes de développement. Ceci sous-tend un processus réciproque d’apprentissage conjoint entre patients et enseignants. C’est à cette condition qu’une réelle mutualisation des savoirs et des perspectives bénéficiera à la formation et au système de santé. Néanmoins, une intégration des patients dans un continuum de formation (pré-postgrade et formation continue), au-delà d’engagements ponctuels, engendrerait des coûts importants. Le financement à long terme pour leur implication, en tant que patients-ressources dans les soins, patients formateurs dans la formation et patients chercheurs dans la recherche, s’inscrit alors comme un enjeu majeur pour l’obtention de résultats probants. L’engagement des patients à tous les niveaux du système de santé est aussi une question éthique : il ne s’agit pas d’instrumentaliser les patients mais de leur laisser une place au cœur des réflexions qui permettront de faire évoluer la collaboration interprofessionnelle et d’apporter des réponses aux défis démographiques et sanitaires actuels.

19 Aucun conflit d’intérêts déclaré

Bibliographie

Références

  • 1
    World Health Organization. Framework for Action on Interprofessional Education & Collaborative Practice. Geneva, Switzerland: WHO; 2010 p. 64.
  • 2
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  • 3
    Barr H. Toward a theoretical framework for interprofessional education. J Interprof Care. 2013;27(1):4-9.
  • 4
    van Gessel E, Picchiottino P, Doureradjam R, Nendaz M, Mèche P. Interprofessional training: Start with the youngest ! A program for undergraduate healthcare students in Geneva, Switzerland. Med Teach. 2018;40(6):595-604.
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  • 6
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  • 9
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  • 10
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  • 12
    Sannié T. Des patients partenaires d’enseignement : une avancée historique dans les formations médicales. Santé Publique. 2019;31(4):473-477.

Mots-clés éditeurs : activités de formation, implication des patients, équipe de professionnels de santé, partenariat patient, formation académique

Date de mise en ligne : 18/07/2022.

https://doi.org/10.3917/spub.221.0045

Notes

  • [1]
    Le Centre interprofessionnel de Simulation Genève réunit la Haute école de santé, la Faculté de médecine de l’université de Genève, les Hôpitaux universitaires de Genève et l’Institution genevoise de maintien à domicile. L’équipe interprofessionnelle se consacre principalement à la formation des professionnels et futurs professionnels.
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