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Article de revue

Repenser les partenariats entre écoles primaires et secteurs de psychiatrie infanto-juvénile en temps de COVID-19

Pages 531 à 535

Introduction

1Les problèmes de santé mentale représentent la première cause de morbidité chez l’enfant. Bien que débutant dans l’enfance et l’adolescence, ces morbidités restent la plupart du temps ni identifiées ni traitées [1]. Les partenariats entre les services de pédopsychiatrie publique et les écoles primaires – maternelles et élémentaires – pourraient contribuer au développement d’interventions précoces qui permettent d’améliorer les trajectoires de santé, de la prévention jusqu’aux soins. Cependant, ceux-ci restent, en France, insuffisamment développés et leur structuration peu formalisée. Une recherche interventionnelle (Parpsych-ED : ClinicalTrials.gov Identifier : NCT04300712NCT) est actuellement en cours, dans le but précisément d’inventorier et d’analyser les cadres partenariaux et interventionnels les plus efficients sur plusieurs sites en France. Le but de cet article est de revisiter leurs objectifs sous le prisme de la pandémie actuelle et de ses conséquences sur la santé mentale des enfants.

Re-définir des frontières instituées et prioriser les actions

2Examiner les moyens par lesquels les gouvernements, les professionnels et les sociétés, dans leur ensemble, peuvent améliorer les stratégies de santé et de bien-être de l’enfant représente un enjeu majeur [2]. La pandémie liée à la Covid-19 et ses conséquences renouvellent l’urgence de fournir des solutions multisectorielles à court et long terme. Elle justifie des investigations qui renseignent l’évolution de l’état de santé des enfants et les facteurs en cause (effets du confinement, de la fermeture des écoles, de l’affaiblissement des familles – précarisation, décès…) et la mise en œuvre d’interventions qui apportent des réponses en fonction [3, 4].

3En France, le développement des partenariats entre les institutions dédiées à l’enfance (sanitaire, médico-sociale, scolaire et éducative) constitue un moyen et un objectif fort de la politique de santé mentale, qui incite à une recomposition de l’action en pédopsychiatrie de secteur à partir d’une reconfiguration globale du système d’action en santé mentale (en référence à la conception de la santé définie par l’OMS) [5]. Toutefois, les transformations des dispositifs et des pratiques professionnelles restent à la marge. Les recommandations et préconisations – valorisant notamment l’éducation et la promotion de la santé mentale – semblent éloignées des besoins identifiés par les acteurs sur le terrain. Aussi, les réorganisations promues apparaissent plus comme une réponse à des impératifs économiques qu’à des priorités de santé publique clairement identifiées, et emportent difficilement l’adhésion des professionnels. Les espaces d’élaboration et de partage d’expériences, qui offrent la possibilité de redessiner les frontières d’action à l’intérieur et à l’extérieur du système sanitaire, manquent pour envisager leur nécessaire articulation dans une logique à la fois inter-institutionnelle et pluridisciplinaire. C’est le défi que se proposent de relever plusieurs secteurs de psychiatrie infanto-juvénile engagés dans la recherche Parpsych-ED qui vise à accompagner et analyser la mise en place de partenariats entre les écoles et les centres médico psychologiques (CMP), en articulation avec les Conseils Locaux de Santé Mentale (CLSM), et à évaluer leurs effets. À partir d’une coordination optimisée entre professionnels et une graduation des aides apportées aux enfants exposés à des problématiques de santé mentale, ces partenariats visent à faciliter l’accès à la prévention et la mise en œuvre de soins pédopsychiatriques à partir de l’école, lieu susceptible de cristalliser l’expression des difficultés d’ordre psychique. Cette recherche devrait, par ailleurs, contribuer à redéfinir une politique locale de santé mentale en identifiant les besoins et les ressources institutionnelles mobilisables, les relais associatifs et communautaires existants ou à développer, pour infléchir la trajectoire personnelle des enfants confrontés à des problématiques intriquant différentes dimensions (sociale, éducative, « psy »…).

Prise en compte de l’environnement et stratégie thérapeutique

4Même si les données épidémiologiques font défaut en France, dans les structures dispensant des soins pédopsychiatriques de proximité comme les CMP et les Centres Médico-Psycho-Pédagogiques (CMPP), les professionnels s’accordent sur une augmentation des troubles et de leur sévérité. Une des causes majeures de morbidité chez l’enfant se situe au niveau des stress sociaux, de plus en plus nombreux, qui affaiblissent les familles et menacent le développement psychologique [6]. Aussi, améliorer la prise en charge des enfants présentant des problèmes de santé mentale ou d’ordre psychique renvoie à une plus large prise en compte de leur environnement. Cela passe par la diversification des modes d’entrée dans le système de soins et de délivrance de soins. Cette orientation incite au développement d’interventions complexes qui permettent d’ajuster le cadre thérapeutique à la diversité des contextes, dans un souci d’élaborer des stratégies individuelle et collective garantissant la mise en œuvre de soins adaptés aux besoins des enfants et accessibles au plus grand nombre.

5Dans cette perspective, trois axes nous semblent importants :

  • Investiguer les « barrières aux soins » résultant de processus personnel, professionnel, institutionnel et communautaire, qui expliquent les écarts parfois majeurs – pouvant aller jusqu’à 70 %, 80 % – entre les besoins de soins pédopsychiatriques et leur mise en place effective [7].
  • Faire évoluer les pratiques professionnelles en tenant compte des conditions réelles d’exercice des professionnels et des questions qu’ils se posent [8].
  • Privilégier des choix méthodologiques d’évaluation qui permettent de comprendre comment, pour qui et dans quelles conditions les interventions proposées parviennent à être efficaces.

6Agir au niveau des écoles répond au souci de dépasser les blocages rencontrés dans le processus d’identification, d’accompagnement, voire d’orientation, des enfants dont les problématiques sont souvent imbriquées et difficiles à démêler. C’est faire le pari d’effets synergiques de la rencontre entre équipes scolaires et soignantes pour favoriser la mise en place d’accompagnements, notamment thérapeutiques si nécessaires. Il y a donc un intérêt à mobiliser des soignants, pour :

  • accompagner infirmiers, médecins scolaires, assistants de service social et psychologues de l’Éducation nationale (EN) dans l’élaboration de procédures d’identification et d’orientation des enfants dont les situations inquiètent, interrogent ou mettent en difficulté leur entourage, qui soient respectueuses du cadre et des missions de chacun ;
  • aider les enseignants dans l’exercice de leur mission éducative ;
  • « aller vers » les parents dont les attentes de réussite scolaire pour leur enfant sont fortes.

7Sur les territoires les plus pauvres, et en particulier les quartiers de la politique de la ville, l’école se retrouve souvent seule avec des familles non seulement éloignées des soins mais aussi des institutions susceptibles de leur apporter une aide. Dès lors, mettre en œuvre et investiguer l’intérêt et les limites du rapprochement entre la pédopsychiatrie de secteur et les écoles primaires devrait permettre de :

  • produire des connaissances sur les barrières aux soins et sur les modalités d’intervention faisables et acceptables, compte tenu des ressources locales et des attentes des parents pour leur enfant ;
  • favoriser les relais communautaires et les orientations sur les structures sanitaires de proximité (CMP).

8Pour cela, il s’agira, à partir d’une approche inductive et collaborative, de surmonter les nombreux obstacles à la mise en œuvre d’actions soignantes dans le milieu de vie, en l’occurrence à l’école, afin d’améliorer les trajectoires de santé – de la prévention jusqu’aux soins – des enfants exposés à des difficultés d’ordre psychique. In fine, il s’agira, en fonction des résultats, d’intégrer de nouvelles modalités, non stigmatisantes, d’identification des problématiques de santé mentale en milieu scolaire et d’envisager la pérennisation d’interventions précoces à l’interface école primaires-secteur de psychiatrie infanto-juvénile.

Dans l’incertitude des prochains mois, quelques propositions…

9Il est difficile de mesurer l’impact de la période actuelle sur les enfants, qu’ils soient déjà accompagnés ou non reconnus jusque-là comme ayant des problèmes d’ordre psychique. Cette crise avec ses conséquences sociales et économiques directes et indirectes, qui se répercuteront dans chaque famille, ne manquera pas de mettre à l’épreuve les capacités adaptatives de chacun, voire de révéler son potentiel traumatique. Pour certains, ce seront les conditions de confinement qui se révèleront sources de détresse psychologique voire de trouble psychiatrique ; pour d’autres, ce sera la sortie de cette période marquée par l’épreuve du retour à l’école et la séparation d’avec leurs parents ; pour d’autres, enfin, un avenir incertain redouté pour leur famille. Ces signes viendront mettre au jour une vulnérabilité jusque-là restée silencieuse ou le besoin d’une attention accrue et d’un accompagnement intensifié chez des enfants déjà suivis dont la situation se serait aggravée sur un plan clinique.

10Dans ce contexte, le renforcement des liens écoles-secteur pourrait participer d’une stratégie globale d’évaluation des besoins et d’accompagnement personnalisé des enfants. Cette stratégie pourrait être déployée dans les territoires défavorisés les plus impactés par la crise que nous traversons, notamment en Île-de-France et dans le Grand Est. La montée en puissance des CLSM permettrait d’amplifier les coordinations et collaborations locales – en relayant les besoins et en recensant les ressources locales existantes et les initiatives engagées à l’occasion de cette crise – pour aider les enfants les plus vulnérables psychiquement et accompagner leurs parents, compte tenu de leur situation.

11Ces actions seraient assurées par des équipes pérennes afin de garantir la mise en place d’un accompagnement thérapeutique sur la durée et à la hauteur des besoins. Ces défis organisationnels consistent ni plus ni moins à redonner les moyens humains et matériels aux structures existantes et, notamment au secteur de psychiatrie, pierre angulaire des soins pédopsychiatriques de proximité.

12La situation singulière créée par la pandémie au Covid-19 interroge plus encore les paradigmes de la recherche actuelle. Les enjeux nous paraissent, d’abord et avant tout, relever de la compréhension des trajectoires individuelles en contexte afin de mettre en œuvre une stratégie thérapeutique efficace. Cette perspective permet d’envisager la prévention et les soins dans un continuum et une graduation des interventions inscrites dans une politique territoriale forte. En ce sens, il nous semble que la situation actuelle incite à opérer un rééquilibrage au niveau de la recherche et des pratiques évaluatives centrées sur le modèle biomédical, avec pour corollaire des préconisations et recommandations thérapeutiques excessivement basées sur l’identification d’un trouble. Elle invite à prendre davantage en compte le contexte pour comprendre en quoi les pratiques soignantes prennent sens et tirent leur efficacité et élaborer des méthodologies adaptées pour les évaluer [9]. Pour ce faire, la recherche interventionnelle, dont l’ambition est de comprendre les facteurs en jeu dans les situations complexes et d’ajuster les actions en conséquence, peut permettre non seulement un renforcement de leurs effets, mais aussi d’éclairer la décision politique sur les causes et les besoins et, ainsi, de dépasser les limites d’une production scientifique parfois trop éloignée des réalités des professionnels. L’absence de modèle validé scientifiquement amène à engager une transformation de l’existant à partir d’une approche type bottom-up, qui implique les différentes parties prenantes, privilégiant ainsi le temps long de la recherche en assurant la faisabilité et la pérennisation des dispositifs avant d’en évaluer les effets.

Conclusion

13S’il est difficile d’anticiper une hausse des besoins en santé mentale et en soins pédopsychiatriques, la période que nous traversons laisse à penser qu’une plus grande coordination entre les acteurs du champ de l’enfance sera nécessaire pour répondre de manière personnalisée à ce qui fera crise pour chaque enfant au sein de sa famille. Sans préjuger de l’impact traumatique possible des aléas de la période actuelle, la formalisation de partenariats à l’interface école-secteur devrait accompagner les parents à soutenir le développement de leur enfant dans l’incertitude des lendemains, qui risque de peser plus lourd encore dans le quotidien des familles. Le déploiement de ces partenariats sur les territoires fortement marqués par les inégalités sociales et économiques constitue une priorité en termes de santé publique et d’orientation des politiques locales. Ils fourniront une aide aux professionnels de l’école pour surmonter cette crise sanitaire qui traverse leur institution et éviter qu’elle se cristallise en son sein. Ils permettront aussi de contribuer à ce qu’un accompagnement à visée psychothérapique, dès lors qu’il s’avère nécessaire, prenne en compte, encore davantage que d’ordinaire, les réalités vécues par les enfants au sein de leur famille et de leur école.

14Aucun conflit d’intérêts déclaré

Bibliographie

Références

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Mots-clés éditeurs : prévention, environnement, territoire, intervention précoce, trajectoire de santé, partenariat, stress sociaux

Mise en ligne 11/03/2021

https://doi.org/10.3917/spub.205.0531

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