Introduction
1Les hôpitaux sont des entités importantes des systèmes de santé [1]. Cependant, ils font face à de nombreux défis [2] notamment les plateaux techniques dégradés, une gestion selon une logique administrative sans référence à la performance, des soins chers et inadaptés [3]. Dans la dynamique d’améliorer la performance des structures hospitalières, de nombreux pays ont tenté d’adopter le concept d’autonomie administrative et financière de l’hôpital [4, 6]. Ainsi, ils sont passés de « l’hôpital administration » à « l’hôpital entreprise », c’est à dire un hôpital public ayant pour mission de contribuer au service public, tout en utilisant le mode de gestion des entreprises [3, 4] pour atteindre des objectifs de performance [5]. Plusieurs études ont été réalisées pour évaluer la performance de ce type d’hôpital en Europe et en Afrique du Nord [7-9], tandis qu’en Afrique Sub-saharienne, nous avons constaté l’indisponibilité de telles études. Ainsi, notre étude visait à analyser la performance de ce mode de gestion à travers les services miroirs que sont les urgences du Centre Hospitalier Universitaire de Tengandogo (CHU-T), après cinq ans de fonctionnement. Il s’agissait spécifiquement de mesurer l’efficacité clinique, l’efficience du service, la gouvernance réactive ainsi que la sécurité du personnel et des patients.
Méthode
Cadre de l’étude
2Le CHU-T a été créé en 2011. Il a une superficie de 16 hectares et se situe à une quinzaine de kilomètres du centre-ville de Ouagadougou. On y distingue deux types de services : cliniques et médicotechniques, avec une capacité d’accueil de 600 lits.
Type de l’étude
3Il s’agit d’une étude transversale à devis mixte (qualitative et quantitative). Le cadre conceptuel est basé sur le modèle théorique PATH (Performance Assessment Tool for Quality Improvement in Hospital) [10] adapté au contexte burkinabé par l’utilisation d’indicateurs-clés du système de santé. C’est un cadre multidimensionnel qui mesure la performance hospitalière dans un processus d’amélioration continue de la qualité des soins (figure 1). Il comprend les dimensions suivantes : 1) l’efficacité clinique, c’est-à-dire la conformité des soins aux standards et normes, 2) l’efficience, 3) l’approche centrée sur le patient, 4) la sécurité du patient, 5) l’orientation vers le personnel et 6) la gouvernance réactive, c’est-à-dire la capacité du staff dirigeant à répondre aux attentes des citoyens par l’adaptation des prestations de services.
Cadre opérationnel de mesure de la performance du CHU-T adapté de PATH [10]
Cadre opérationnel de mesure de la performance du CHU-T adapté de PATH [10]
Échantillon de l’étude
4Pour l’enquête qualitative, nous avons effectué un échantillonnage raisonné. Le choix des interviewés était basé sur la qualité de l’informateur, c’est-à-dire sa capacité à fournir les informations recherchées. S’agissant de la partie quantitative, une grille de collecte a permis l’extraction des données.
Collecte des données
5Les données qualitatives ont été recueillies à travers des entretiens individuels auprès d’informateurs-clés, à l’aide de guides d’entretiens semi-structurés. Une grille de collecte a été utilisée pour extraire les données quantitatives des rapports des services d’épidémiologie et de l’information sanitaire.
Analyse des données
Analyse qualitative
6Tous les entretiens ont été enregistrés, transcrits et saisis sous MS WORD. Les données ont été analysées suivant la méthode de l’analyse thématique. Les thèmes ont été prédéterminés suivant les dimensions du cadre d’analyse présenté. Cette analyse a été facilitée par l’usage du logiciel QDA Miner 4 lite.
Analyse quantitative
7L’analyse des données quantitatives a consisté à déterminer des proportions à l’aide du logiciel Stata. L’intégration des données quantitatives et qualitatives a suivi une approche complémentaire, chaque méthode étant indépendante et éclairant une dimension particulière du cadre d’analyse.
Considérations éthiques
8Le protocole de recherche a été approuvé par le comité d’éthique pour la recherche en santé du Burkina Faso (n° 2017-5-059).
9La confidentialité des données et l’anonymat ont été respectés à travers des mesures d’archivage sécurisées.
Résultats
10Au total, 13 personnes ont été enquêtées dans le service des urgences polyvalentes. Les résultats portent sur la mesure de l’efficacité clinique, l’efficience du service, la gouvernance réactive ainsi que la sécurité du personnel et des patients.
Efficacité clinique
11Le tableau I montre une évolution du taux de mortalité intra hospitalière en dents de scie entre 2014 (5 %, n = 10 028), 2015 (8 %, n = 10 818) et 2016 (7 %, n = 15 657).
Évolution des indicateurs d’efficacité et d’efficience
Indicateurs | 2014 | 2015 | 2016 |
---|---|---|---|
Taux de mortalité globale (%) | 5,3 | 8,4 | 7,0 |
Taux d’occupation moyen des lits (%) | 18,7 | 15,0 | 23,2 |
Durée moyenne de séjour (jours) | 3,6 | 3,7 | 3,6 |
Évolution des indicateurs d’efficacité et d’efficience
Efficience
12De 2014 à 2016, le taux d’occupation moyen des lits (TOM) a augmenté de 19 % en moyenne. La durée moyenne de séjour (DMS) était d’environ 3,6 jours (tableau I).
Gouvernance réactive
Disponibilité des ressources matérielles
13La majorité des enquêtés ont jugé le plateau technique actuel satisfaisant, alors qu’il était dans un état de détérioration progressive en 2017. « Le plateau technique est bon. Nous avons deux blocs opératoires équipés. Nos salles disposent de scopes multiparamétriques pour la surveillance des patients admis aux urgences. La salle de soins intensifs est équipée de défibrillateur et de source d’oxygène. » (médecin).
Disponibilité des médicaments et des consommables médicaux
14Si, pour la majorité du personnel, le petit matériel (matériels de perfusion, boîtes de pansement, boîtes de petites chirurgies) reste toujours disponible, les données sur la gestion des stocks montrent des ruptures fréquentes (durée moyenne de rupture de trois mois) en médicaments d’urgence et consommables médicaux. La majorité des médicaments d’urgence sont soumis à une prescription externe, retardant ainsi la prise en charge des patients. Cette difficulté est partagée par les pharmaciens : « Les petites quantités que nous prenons sont destinées uniquement au bloc opératoire. Pour les médicaments génériques, la CAMEG qui nous approvisionne a connu d’énormes ruptures en 2017 » (pharmacien).
Disponibilité des ressources humaines
15La majorité des enquêtés juge insuffisant l’effectif du personnel du service des urgences. « Nous ne disposons que de quatre médecins généralistes permanents, quatre Infirmiers Diplômés d’État (IDE) et deux Attachés de Santé par équipe. Les gardes sont donc rapprochées (deux fois par semaine) avec une charge de travail élevée » (infirmier). Néanmoins, malgré le manque de certains profils, la plupart des enquêtés estiment que le personnel est qualifié pour la prise en charge des patients en situation d’urgence.
Organisation et fonctionnement
16La majorité du personnel enquêté dispose de manuels de procédures et de protocoles de prise en charge des pathologies couramment rencontrées. Cependant, des difficultés résident dans leur mise en œuvre. « Pour des spécialités comme la cardiologie et la neurologie, les protocoles ne sont pas toujours bien étoffés, ce qui fait que finalement chaque médecin les applique en fonction de sa formation et de son expérience » (médecin). Tout le personnel paramédical estime que les postes de travail sont bien définis et bien respectés.
Continuité des soins
17Les passations de consignes se font au lit du patient entre équipe montante et équipe sortante. Toutefois, ce principe n’est pas toujours respecté du fait du retard accusé par certains membres des équipes montantes : « La plupart des passations se font oralement au niveau du poste infirmier à cause des retardataires » (IDE). En outre, le transfert des patients dans les services d’hospitalisation rencontre d’énormes difficultés comme l’indisponibilité de médecins spécialistes et de lits, et l’incapacité des familles à honorer la caution d’hospitalisation, ce qui ne favorise pas le respect des 48 heures réglementaires de séjour aux urgences.
Sécurité du personnel, des patients et de l’environnement
18Aucune notification n’a été faite sur les accidents d’exposition aux liquides biologiques (AELB) ou les événements indésirables liés aux soins reçus par les patients.
Discussion
19L’étude a montré que la performance du CHU-T était peu satisfaisante. Malgré la qualité du mécanisme d’archivage, les données portant sur le taux d’accident d’exposition au sang et aux évènements indésirables liés aux soins ainsi que le taux de réadmission n’étaient pas disponibles. Ces insuffisances ont été comblées par la triangulation des données [11].
Efficacité clinique
20Le taux moyen de mortalité intra hospitalière était nettement en deçà de ce qui est observé sur le plan national (42 %) [12]. Toutefois, l’évaluation de l’efficacité clinique reste limitée par l’absence de données relatives au taux de réadmission des patients. Ce taux pourrait permettre à l’hôpital de mesurer l’impact des réadmissions sur la mortalité globale observée.
Efficience
21Le CHU-T affiche un faible taux d’occupation des lits [12] et une bonne rotation des lits occupés par les patients. Ce faible niveau d’attractivité, malgré la bonne gestion de la durée de séjour des patients, pourrait s’expliquer par le coût élevé des prestations, la distance et l’étiquette « hôpital pour riches ». Une étude réalisée par Younsi M., portant sur l’évaluation du niveau de performance des hôpitaux publics en Tunisie, a trouvé un TOM de 58,1 % (norme en Tunisie 60 %) et une DMS de 3,8 jours environ [13]. Mais il convient de noter le fait que plus de 80 % de la population tunisienne dispose d’une couverture sanitaire [14].
Gouvernance réactive
22Afin d’assurer la continuité des soins, le CHU-T dispose d’un bon plateau technique et de ressources humaines qualifiées mais insuffisantes pour une prise en charge adéquate des patients. Ouédraogo et al. au Bénin fait aussi ressortir un faible niveau d’application de la continuité des soins au niveau de l’hôpital de zone de Comès [15].
Sécurité du personnel, des patients et de l’environnement
23Le manque de données sur la sécurité ne permet pas d’évaluer et de mettre en place des processus de réduction ou d’élimination des préjudices causés par la dispensation des soins. Cette situation est bien différente de ce qui est observé dans les autres CHU africains. Grâce à une étude menée par Ogoina et al. [16] portant sur la prévalence des AELB dans les CHU du Nigéria, les autorités sanitaires ont pu mettre en place des actions correctrices. Letaief et al. en Tunisie [17] ont trouvé que les événements indésirables liés aux soins dans un hôpital public avaient une incidence de 10 % parmi lesquels 21 % a entraîné la mort du patient. Vu leur importance, les AELB et les événements indésirables liés aux soins ne sont pas rares dans notre contexte. D’où la nécessité d’instituer leur notification systématique obligatoire.
Conclusion
24Cette étude a montré que le modèle de gestion inspiré du privé n’a pas permis d’améliorer la performance attendue de l’hôpital. D’autres facteurs devraient être considérés pour résoudre les problèmes structurels affectant la performance des hôpitaux en Afrique.
25Aucun conflit d’intérêts déclaré
Bibliographie
Références
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Mots-clés éditeurs : performance organisationnelle, hôpital public, management, Burkina Faso, modèle PATH
Date de mise en ligne : 11/03/2021.
https://doi.org/10.3917/spub.205.0519