Notes
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[1]
Incluant les 4 sous sections présentes au moment de l’enquête en 2018 (Épidémiologie, économie de la santé et prévention, Médecine et santé au travail, Médecine légale et droit de la santé et Biostatistiques, informatique médicale et technologies de communication). L’épistémologie clinique ne faisant pas encore partie de la 46e section du CNU.
Introduction
1L’expression « Santé Publique » (SP) est très employée, entendue et lue dans de nombreux communiqués d’institutions ou dans les médias, accolée à toutes sortes de problématiques. La SP fait en effet appel à des concepts parfois très différents selon le contexte. En 2002, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), en donne une définition, décrivant la SP comme « l’ensemble des efforts par des institutions publiques dans une société pour améliorer, promouvoir, protéger et restaurer la santé de la population grâce à une action collective » [1]. Le niveau d’action populationnelle sur la santé est donc essentiel, et va de pair avec un rôle de coordination et d’action au niveau des institutions publiques, lieux d’organisation des efforts permettant de remplir ces missions. Cette définition souligne ainsi les vastes champs d’action de la SP et justifie la variété d’utilisations de ce terme en lien avec la diversité des missions. Plus concrètement, huit « fonctions essentielles » de la SP sont identifiées par l’OMS [2-3], allant de l’évaluation d’indicateurs sanitaires à la promotion de la santé, en passant par l’efficacité de la gouvernance de la santé ou le développement de la recherche en SP. Ces définitions soulignent la diversité des champs de la SP agissant dans différents domaines de la société et impliquant, de ce fait, une grande variété d’acteurs.
2En France, on trouve, parmi ces acteurs, les médecins spécialistes de SP (MSP). Ces derniers ont investi progressivement, depuis trois décennies, les établissements publics de santé, dans des domaines variés tels que l’épidémiologie, la recherche clinique, l’information médicale ou encore l’hygiène et l’informatique médicale [4-5]. Les centres hospitaliers universitaires (CHU) regroupent la majorité de ces MSP, l’autre partie exerçant dans des centres hospitaliers ou dans des organismes extra-hospitaliers. Avec la mise en place des pôles d’activités cliniques ou médicotechniques en 2005 (ordonnance du 2 mai 2005 [6], réaffirmée par la loi « hôpital, patients, santé et territoires » en 2009 [7]), les services, et notamment ceux dans lesquels des activités transversales telles que celles de SP sont réalisées, ont fait face à de nombreuses réorganisations. Du fait d’une pression croissante sur l’efficience des coûts, ces réorganisations se sont accentuées ces dernières années [8].
3Une première étude réalisée en 2013 a mis en évidence que la majorité des CHU avaient regroupé leurs activités de SP au sein d’un même pôle, et que plus de la moitié de ces pôles étaient uniquement composés d’activités de SP [9]. Dans quelques CHU cependant, les activités de SP étaient dispersées dans plusieurs pôles, illustrant l’hétérogénéité de ces structures rassemblant des activités ou spécialités sans logique commune évidente [10].
4Plus de 5 ans après ces constats, dans un environnement de plus en plus contraint, comment les organisations polaires des activités de SP ont-elles évolué ? Comment se sont développées les activités de SP ? Ce travail, réalisé à l’initiative du Collège Universitaire des Enseignants de SP (CUESP) et en partenariat avec le Collège national des enseignants d’Informatique médicale, bioMathématiques, méthodes en Épidémiologie et Statistiques (CIMES), a pour objectif de décrire, du point de vue des MSP, les contours et les organisations des activités de SP au sein des CHU français, ainsi que leurs liens avec le territoire.
Méthode
5Une enquête transversale a été réalisée, au premier semestre 2018, auprès des 30 CHU français à l’aide d’un questionnaire auto-administré et d’entretiens téléphoniques. De par sa taille, l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), a été divisée en 12 hôpitaux universitaires (HU). Dans ce travail, le mot « établissement » sera utilisé pour désigner à la fois les CHU et les HU ciblés par l’enquête. C’est donc 41 établissements (29 + 12) qui ont été enquêtés.
Développement du questionnaire
6Un groupe projet, composé d’un interne de SP et de deux médecins universitaires spécialisés en SP, a coordonné l’étude en lien avec le président du CUESP.
7Une enquête préliminaire a été réalisée afin d’améliorer nos connaissances sur les activités de SP existantes et d’identifier des personnes ressources au sein de chaque établissement. Elle a consisté en une analyse des sites internet des établissements concernés et des associations locales d’internes de SP. L’analyse des données recueillies a permis d’élaborer le questionnaire d’enquête (disponible sur demande). Il était composé de questions fermées et de zones de commentaires libres, abordant les thèmes suivants :
- l’existence d’un pôle de SP et sa composition,
- les liens entre la SP et la gouvernance,
- les liens avec le territoire,
- les perspectives d’évolution des activités de SP.
8Afin de garantir un recueil de données homogène, plusieurs termes ont été définis a priori : un pôle de SP était défini comme un pôle incluant la majorité des activités de SP présentes au sein de l’établissement ; un médecin de SP était défini comme un médecin diplômé de la spécialité de SP ou nommé dans les sous-sections 46.01 ou 46.04 du Conseil National des Universités (CNU). Aucune définition des activités de SP ou de spécialités n’a été donnée, afin de permettre à chaque répondant d’exprimer librement ses idées, en choisissant l’une des propositions ou en ajoutant sa réponse en commentaire. Ainsi, nous avons permis aux répondants de définir eux-mêmes les contours des activités de SP hospitalière présentes dans leur établissement.
9Ce questionnaire a été testé par le groupe projet et par un membre supplémentaire du CUESP, puis a été validé par les présidents du CUESP et du CIMES.
Destinataires et accessibilité du questionnaire
10Afin de s’assurer d’un taux de réponses suffisant, trois types de destinataires ont été identifiés :
- le coordinateur local du diplôme d’études spécialisées (DES) de SP,
- le chef du pôle de SP, lorsqu’un pôle avait été identifié par l’enquête préliminaire,
- une personne ressource susceptible d’avoir une vision globale des activités locales de SP, identifiée par l’enquête préliminaire ou le groupe projet.
11Dans certains établissements, une même personne pouvait correspondre à plusieurs types de destinataires.
12Un lien vers une version électronique du questionnaire finalisé a été envoyé par courriel aux différents destinataires, il était accessible durant les mois de février et mars 2018 ; deux courriels de relance ont été adressés aux destinataires durant cette période.
13Plusieurs questionnaires pouvant être remplis pour chaque établissement, nous avons fait le choix de prendre en compte prioritairement les réponses du coordinateur de DES, qui nous semblait être l’interlocuteur le plus informé. Ces réponses étaient complétées par les données des autres répondants.
Entretiens téléphoniques
14Afin de mieux comprendre certaines spécificités locales, nous avons complété les données issues du questionnaire par des entretiens téléphoniques. Ces entretiens ont été réalisés auprès d’un échantillon de 10 MSP ayant accepté d’être contactés à l’issue du remplissage du questionnaire. Il s’agissait d’entretiens semi-directifs d’environ 30 minutes réalisés à l’aide d’un guide d’entretien (disponible sur demande). Ces entretiens ont eu lieu entre mi-mars et fin avril 2018. Ils reprenaient les mêmes thèmes que le questionnaire en faisant préciser au répondant ses réponses au questionnaire ainsi qu’en recueillant son opinion sur chaque thème.
Méthode d’analyse
15Une analyse descriptive des données recueillies à partir du questionnaire a été réalisée à l’aide du logiciel SPSS (V19.0). Cette analyse quantitative a été enrichie et illustrée par l’analyse des données qualitatives issues des commentaires du questionnaire et des entretiens téléphoniques. L’analyse qualitative a consisté à un regroupement par idées et un dénombrement de la fréquence de celles-ci. Les citations verbatim des commentaires et entretiens sont rapportés entre guillemets et en italique, et les éléments modifiés pour une meilleure compréhension sont indiqués entre crochets. Les caractéristiques du répondant sont notées dans la phrase ou entre parenthèse : CDP pour chef de pôle, DES pour coordinateur du DES de SP et CDS pour chef de service.
Terminologie
16Afin de mieux apprécier les idées exprimées lors des entretiens, les termes la plupart, plusieurs et de nombreux répondants ont été utilisés lorsque ces idées étaient présentes dans au moins 50 % des entretiens. Certains et quelques ont été utilisés lorsque la fréquence des idées était inférieure à 50 %.
Résultats
Échantillon
17Nous avons reçu au moins une réponse pour 33 des 41 établissements sollicités (24 CHU et 9 HU), soit un taux de réponse de 80 %. Pour 10 établissements, le questionnaire a été renseigné par deux ou trois répondants différents. Ainsi, 44 MSP sur les 84 destinataires identifiés ont contribué au corpus de données. Les répondants étaient très majoritairement des médecins ayant une activité universitaire (89 %) et trois quarts d’entre eux occupaient un poste de chef de pôle ou de service. De plus, 23 d’entre eux étaient coordinateurs du DES de SP. Pour les entretiens téléphoniques, 9 CHU et 1 HU ont été auditionnés par l’intermédiaire de huit coordinateurs du DES de SP et de deux chefs de service ou de pôle.
Existence d’un pôle de SP
18Un pôle de SP était présent dans 85 % (n = 28) des établissements participants, et était sous la responsabilité d’un MSP dans 61 % des cas (n = 17). Pour la plupart des répondants, c’est cette organisation qui semblait idéale. Pour les 16 établissements dans lesquels le chef de pôle n’était pas un MSP, la moitié des répondants considéraient cette situation comme défavorable (n = 8).
19D’après plusieurs répondants, l’existence d’un pôle de SP à part entière permettrait d’atténuer le manque de visibilité et de lisibilité des activités de SP hospitalière. Pour de nombreux répondants, cela permettrait également de « fédérer les forces », de faciliter les interactions et le développement de projets transversaux. Toutefois, selon l’un des répondants (DES), cette structuration en pôle pouvait être purement administrative et sans impact sur les activités quotidiennes de SP. Selon d’autres (DES et CPD), il restait nécessaire qu’un coordinateur organise et fédère localement les différentes activités. En effet, comme le notait l’un des répondants (DES et CDS), « Même quand des pôles existent, affirmer le rôle de la SP reste un combat de tous les jours ».
20Ainsi, la présence d’un pôle de SP n’était pas synonyme de regroupement de l’ensemble des activités de SP en une même entité. D’une part, bien que certaines activités de SP étaient effectivement réalisées au sein de ces pôles (1 à 12 activités selon les établissements, avec une médiane à 6, voir figure 1), ces activités étaient souvent dispersées géographiquement, pour des raisons historiques et d’organisation des locaux. D’autre part, certaines activités comme le groupe « qualité, évaluation des pratiques professionnelles (EPP) et sécurité des soins » ou la recherche clinique étaient réalisées à la fois au sein et hors des pôles de SP, dans une direction par exemple (figure 1). Enfin, certaines activités de SP étaient parfois exercées uniquement hors des pôles (figure 1).
Répartition des activités de santé publique au sein des CHU présentant un pôle de santé publique*,**
Répartition des activités de santé publique au sein des CHU présentant un pôle de santé publique*,**
* EPP : Évaluation des Pratiques Professionnelles** ETP : Éducation Thérapeutique du Patient
21Pour pallier cette dispersion, certains établissements ont créé un guichet unique de recours aux activités de SP, réorientant les demandes vers l’unité concernée. Dans d’autres établissements, des projets de regroupement de certaines activités présentes hors pôle étaient en cours. En revanche, une dynamique inverse était parfois présente puisque l’existence des pôles de SP avait déjà été remise en question par l’institution dans 9 établissements sur 28. Pour deux établissements, une fusion avec un autre pôle avait été envisagée. Pour quatre autres, une réaffectation des activités de SP dans plusieurs pôles ou directions avait été évoquée. Ceci renforçait le « sentiment que toutes les activités de SP pourraient être absorbées par d’autres services ou pôles », exprimé lors d’un entretien (DES et CDP).
22Sur les cinq établissements ne possédant pas de pôle de SP, deux ont vu leur pôle supprimé entre 2010 et 2015. Les raisons expliquant l’absence ou la suppression d’un pôle de SP étaient « historiques », liées à la création d’un pôle recherche ou à une réduction du nombre de pôles, les causes pouvant se cumuler.
23L’absence de pôle de SP n’était pas satisfaisante pour quatre de ces cinq établissements, et tous souhaitaient la création d’un tel pôle. Néanmoins, quelques entretiens notaient que cette création ne devait pas se faire au détriment d’activités de SP ayant déjà une place bien connue et reconnue dans l’établissement. Pour un répondant (DES et CDS), l’association avec le pôle « Recherche » a été notée comme un potentiel « tremplin » vers le regroupement et le développement des activités de SP hospitalière. Malgré l’absence de pôle, il existait au sein de ces établissements de quatre à neuf activités de SP avec une médiane de six activités (figure 2).
Répartition des activités de santé publique au sein des CHU ne présentant pas de pôle de santé publique*,**
Répartition des activités de santé publique au sein des CHU ne présentant pas de pôle de santé publique*,**
* EPP : Évaluation des Pratiques Professionnelles** ETP : Éducation Thérapeutique du Patient
Activités associées au sein des pôles de SP
24Dans la majorité des pôles existants (86 %, soit 24 établissements), la SP était associée à d’autres disciplines, notamment la santé au travail (n = 13) ou la pharmacie (n = 8). Le nombre de spécialités associées variait selon les établissements de 1 à 12, avec une médiane à 2.
25D’après les entretiens, l’association avec la santé au travail faisait sens du fait de l’histoire commune des deux spécialités, mais également du nombre réduit de praticiens dans chacune d’elles. Certains répondants envisageaient d’ailleurs une réunion de toutes les disciplines de la 46e section du CNU santé publique, environnement et société (dont la santé au travail, la médecine légale, les biostatistiques et l’informatique médicale [1]) au sein d’un même pôle.
Liens entre la SP et la gouvernance
26Lorsque les activités de SP n’étaient pas dans le pôle de SP ou lorsqu’il n’y avait pas de pôle, les lieux accueillant ces activités ont été recueillis (tableau I). Dans la plupart des cas, les activités de SP se trouvaient au sein d’une direction fonctionnelle. Au regard des commentaires et des entretiens, ces directions semblaient avoir leur propre vision et façon d’aborder une activité de SP, sans forcément consulter des médecins de la discipline.
Lieux des activités hors pôle
Activité | Lieux |
---|---|
Épidémiologie (n = 6) | Direction de la recherche (n = 3), Autre pôle médico-technique en lien avec la SP, Pôle clinique, Pôle médico administratif |
Biostatistiques (n = 9) | Direction de la recherche (n = 5), Autre pôle médico-technique en lien avec la SP, Plateforme recherche, Pôle biologie pathologie, Pôle médico-administratif |
Recherche clinique (n = 12) | Pôle médico-technique (n = 6), Direction (n = 6) |
Information médicale (n = 7) | Direction des finances, Activités ambulatoire, pas de rattachement, Pôle en lien avec la SP, Biologie-pathologie |
Qualité/EPPa/Sécurité (n = 15) | Direction de la Qualité Sécurité des Soins (n = 10), Pôle médico administratif |
Hygiène (n = 12) | Pôle biologie (n = 11) |
ETPb (n = 10) | Services cliniques (n = 3), Pharmacie (n = 2), pas de rattachement, Pôle médico administratif |
Informatique médicale (n = 5) | Direction des systèmes d’information (n =2), Pharmacie, Imagerie, Activités ambulatoires, Pôle en lien avec la SP, DG |
Économie de la santé (n = 3) | Direction de la recherche clinique (n = 2), Pharmacie, Pôle en lien avec la SP, Biologie-pathologie |
Prévention Promotion (n = 6) | Pôle incluant les maladies infectieuses (n = 3), Pôles/Services clinique |
Lieux des activités hors pôle
a EPP : Évaluation des Pratiques Professionnellesb ETP : Éducation Thérapeutique du Patient
27Il semblait, en effet, exister un lien étroit entre les activités des directions et les activités de SP. Ainsi, selon l’un des répondants (CDS) « la SP a un rôle à jouer important dans les CHU, car elle a une vision systémique de l’organisation des soins, de la gestion et a des compétences en analyse de données. Elle devrait prendre une place beaucoup plus importante dans le pilotage d’un CHU ». Dans un entretien (DES, CDP et CDS), la SP était conceptualisée comme une interface entre le monde médical et le monde administratif. Un répondant soulignait qu’une meilleure formation en management des MSP leur permettrait de mieux occuper leur place qui est légitime au sein des directions et des chefferies de service et de pôle.
28Des MSP siégeaient dans des instances dans 91 % des établissements, le plus souvent au bureau de la commission médicale d’établissement, au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou au directoire. Ils occupaient un poste de direction dans deux établissements (direction qualité ou de la recherche). D’après les entretiens, la présence d’un MSP au sein des instances leur permettait de se tenir informés des décisions et d’améliorer la visibilité de la spécialité. Toutefois, pour certains répondants (2 DES dont 1 CDP), cette présence était purement réglementaire ou faisait suite à un souhait personnel ne dynamisant pas forcément les projets de SP. Il est également intéressant de noter qu’un répondant (DES et CDS) évoquait une peur de voir la SP hospitalière « se dissoudre dans l’administratif ».
Liens avec le territoire
29Une ou plusieurs structures extra-hospitalières ayant une activité de SP étaient associées administrativement à 45 % des pôles de SP, notamment des centres de prévention des infections associées aux soins (CPIAS) (n = 6) ou des registres de cancers (n = 4).
30Les liens avec l’ensemble des structures extra-hospitalières du territoire ayant une activité de SP étaient variables d’un établissement à un autre. Un répondant appartenant à un CHU sans pôle de SP déplorait un manque de visibilité à l’extérieur de son établissement, et supposait que l’existence d’un pôle permettrait aux entités extra-hospitalières de SP d’identifier plus facilement un interlocuteur hospitalier.
31Quelques répondants considéraient d’ailleurs les activités de SP comme une interface entre l’hôpital, la ville et les politiques : « On est dedans et on a les compétences pour être dehors ».
32Selon un répondant (DES et CDS), « la mise en place des groupements hospitaliers de territoire (GHT) est une opportunité pour sortir de la logique hospitalière et permettre une réflexion plus transversale sur l’organisation des soins ». La création au sein des GHT de pôles thématiques (information médicale, hygiène, etc.) ou d’un pôle unique regroupant les activités de SP permettrait ainsi de mutualiser les moyens, les compétences et d’harmoniser les pratiques. Toutefois, ces structures se développeraient à moyen constant, nécessitant un transfert des ressources hospitalières existantes vers les GHT, vidant ainsi les pôles hospitaliers.
Perspectives d’évolution des activités de SP
33Quel que soit le lieu d’accueil au sein de l’établissement, certaines activités de SP étaient considérées comme peu développées ou à développer, notamment la prévention et promotion de la santé (10 établissements), l’économie de la santé (3 établissements) et l’épidémiologie (3 établissements). L’écart entre les activés de SP présentes au sein des pôles de SP et les activités composant un pôle de SP idéal selon l’ensemble des répondants est représenté sur la figure 3. Un répondant (DES et CDS) évoquait, dans l’idéal, la création d’une marque « Pôle de SP » dans chaque CHU où l’on retrouverait systématiquement différentes activités et compétences.
Comparaison entre les activités déjà présentes au sein des pôles de santé publique et celles d’un pôle idéal*,**
Comparaison entre les activités déjà présentes au sein des pôles de santé publique et celles d’un pôle idéal*,**
* EPP : Évaluation des Pratiques Professionnelles** ETP : Éducation Thérapeutique du Patient
34L’investissement dans de nouvelles activités de SP, comme l’exploitation de données massives (big data), l’analyse des parcours de soins ou la promotion de la santé était envisagé comme un moyen d’augmenter la visibilité de la spécialité et d’accroître les effectifs des MSP au sein des établissements. Toutefois, il a également été rapporté que certaines activités, notamment l’hygiène hospitalière, étaient en cours de désinvestissement par les médecins de la spécialité en France.
35Plusieurs commentaires soulignaient le remplacement progressif des MSP par d’autres corps de métiers (économiste, biostatisticien, ingénieurs, pharmacien…) mais aussi par des médecins d’autres spécialités (tableau II). Les raisons avancées dans les entretiens étaient la transversalité de la spécialité, le fait qu’un médecin clinicien était parfois préféré sur certains postes, mais aussi le manque de MSP pour occuper tous les postes nécessaires.
Part des activités de santé publique sous la responsabilité d’un médecin non spécialiste de santé publique
CHU/HU présentant cette activité (n) | CHU/HU où l’activité est sous la responsabilité d’un non MSP (n) | Part de l’activité sous la responsabilité d’un non MSP (%) | |
---|---|---|---|
Épidémiologie | 30 | 0 | 0 |
Biostatistiques | 30 | 3 | 10 |
Information médicale | 18 | 2 | 17 |
Recherche clinique | 31 | 11 | 35 |
Qualité/EPPa/Sécurité | 27 | 14 | 52 |
Économie de la santé | 16 | 1 | 6 |
Hygiène | 24 | 8 | 33 |
Informatique médicale | 18 | 2 | 11 |
Prévention Promotion | 14 | 5 | 36 |
ETPb | 19 | 11 | 58 |
Part des activités de santé publique sous la responsabilité d’un médecin non spécialiste de santé publique
a EPP : Évaluation des Pratiques Professionnellesb ETP : Éducation Thérapeutique du Patient
36Cette dernière idée fait écho au sous-effectif évoqué dans les entretiens avec une impression que le développement de la SP hospitalière n’était pas une priorité pour les établissements car elle n’était pas lucrative dans le système actuel de tarification à l’activité. Pour plusieurs répondants, ce manque de moyens aurait donc comme conséquence, d’une part, d’empêcher les MSP d’investir de nouveaux champs (« On est organisé pour fonctionner au quotidien, mais pas de perspective de développement »), et d’autre part, d’obliger le recours à d’autres professionnels (ingénieurs, infirmiers, pharmacien, médecins d’autres spécialités, etc.) pour faire fonctionner les services.
37Un répondant (DES, CDP et CDS) indiquait que « tout comportement monopolistique serait préjudiciable à la discipline » et qu’un partage des responsabilités avec d’autres spécialités était nécessaire. Cependant, pour certains répondants (DES, CDP et CDS), cette diversité de professionnels contribuait à rendre moins visible la spécialité, en en floutant les contours : « La bi-appartenance (clinicien et spécialiste de SP) qui a sans doute été un bon moyen de faire pénétrer la discipline au CHU est désormais caduque, elle s’est faite aussi au détriment d’une bonne “expertise” de la discipline. La nouvelle génération devra repenser l’exercice de notre discipline au sein de l’hôpital au risque de la voir de nouveau disparaître […], ne pas se disperser, en faire moins mais de [meilleure] qualité ou partager avec d’autres disciplines certaines activités interdisciplinaires ».
Discussion
38Cette étude a montré la présence d’un pôle regroupant la plupart des activités de SP dans 85 % des établissements, associant généralement à la SP, d’autres spécialités. Ces pôles apporteraient, selon les répondants, une visibilité et une lisibilité à la spécialité. Les activités les plus représentées au sein de ces pôles étaient l’épidémiologie, les biostatistiques et l’information médicale. Ces activités étaient également les plus présentes au sein des CHU n’ayant pas de pôle de SP. Même lorsqu’un pôle spécifique existait, certaines activités se trouvaient souvent dispersées au sein d’autres pôles cliniques ou directions fonctionnelles.
39La comparaison de nos résultats avec ceux du travail réalisé cinq ans auparavant (population et taux de réponses proches) permet de noter quelques évolutions [9]. Tout d’abord, les pôles de SP n’ont pas échappé aux restructurations. On observe ainsi un nombre stable de pôles mais dont la taille est plus importante. Ceci est illustré par la réduction de moitié du nombre de pôles uni-disciplinaires de SP, qui va de pair avec l’augmentation du nombre de pôles pluridisciplinaires, associant à la SP d’autres spécialités. Ainsi, en 2013, il avait été retrouvé une association avec d’autres spécialités dans 11 pôles sur 27, alors que dans notre étude, 24 pôles sur 28, soit deux fois plus, sont concernés. Cette réorganisation est également illustrée par la remise en question de l’existence du pôle de SP dans un tiers des établissements. Cependant, le nombre de CHU n’ayant pas de pôle de SP est resté stable entre les deux études. Ces deux constats ne vont pas dans le sens de la crainte, exprimée par certains répondants, d’une dispersion des activités au sein de l’établissement, mais soulignent plutôt une politique globale de diminution du nombre de pôles dans les établissements de santé.
40Selon la littérature, ce regroupement de disciplines pourrait favoriser la co-construction pluridisciplinaire du contrat et du projet de pôle [11] et apporter une vision de SP aux autres disciplines du pôle. Seule la présence de projets transversaux a été noté dans notre étude comme élément de coopération entre les disciplines d’un même pôle. Cependant, d’autres éléments de l’organisation polaire ont été abordés, comme l’importance du rôle de coordination du CDP. Même si la présence d’un CDP non MSP n’est pas toujours défavorable dans notre étude, on trouve dans la littérature des éléments en faveur de la présence d’un MSP à ce poste dans un pôle de SP : ce dernier, par son statut, peut diffuser une culture de pôle où la SP est plus présente et par ce biais, favoriser son développement [12]. On peut aussi remarquer que, dans les pôles de SP pluridisciplinaires des établissements étudiés, le chef de pôle est un MSP dans un peu plus de la moitié des cas. La connaissance, à la fois des réalités de terrain et des outils et procédés de gestion, peut être un atout pour ce poste, facilitant l’atteinte de l’un des objectifs de la mise en place des pôles : le rapprochement de la décision du terrain [11]. Mais, pour certains répondants, cette logique polaire était illusoire, ce qui fait écho aux critiques des pôles présentes dans la littérature [13]. Selon certains auteurs, le pôle se résume à une juxtaposition de services sans projet commun [14], dans lequel prévaut toujours une logique de service [12]. Ceci est d’autant plus vrai pour la SP, puisque certaines activités sont étroitement liées à celles des directions fonctionnelles, comme l’information médicale ou la qualité/sécurité des soins, qui outrepassent généralement la gouvernance polaire pour la prise de décision dans les activités quotidiennes. Ce constat, associé à l’observation de plusieurs remises en cause de pôles de SP, permet de questionner l’intérêt de ces derniers. Du point de vue des MSP interrogés, cette question ne se pose pas, puisque dans tous les CHU n’ayant pas de pôle de SP, les MSP souhaitent en créer un, et dans tous ceux qui en ont un, les MSP ont exprimé des craintes quant à sa suppression.
41Comme nous avons pu le voir, l’interface entre les directions fonctionnelles et les activités de SP est étroite. Tout d’abord, nous constatons que les activités les plus présentes au sein des établissements, qu’il y ait un pôle ou non, n’ont pas évolué depuis 2013 [9]. Il s’agit de celles travaillant en lien étroit avec les directions fonctionnelles (des finances, de la qualité ou de la recherche). Ces activités sont pour la plupart réglementaires, comme l’information médicale, ou sont nécessaires à son développement et son rayonnement, comme l’épidémiologie ou les biostatistiques, en lien avec la recherche clinique. Ensuite, nous observons qu’une part non négligeable des activités de SP sont réalisées dans ces directions fonctionnelles, qui font appel à différents corps de métiers (ingénieurs, techniciens…). Une tendance à la diminution de la présence des MSP est visible, par exemple dans les domaines de la qualité et la sécurité des soins ainsi qu’en hygiène. Ceci illustre bien que les MSP n’ont pas le monopole des postes de SP à l’inverse d’autres spécialités médicales où, par exemple, seul un médecin peut postuler un emploi de cardiologue [4]. Néanmoins, de nombreux postes de MSP sont vacants (dans les départements d’information médicale par exemple). Enfin, du fait de cette collaboration étroite entre les MSP et les directeurs pour certaines activités, la SP est souvent perçue comme discipline rattachée à la direction [4]. Cependant il apparaît que les MSP sont rarement consultés par les directions pour les prises de décisions stratégiques ne relevant pas d’aspects réglementaires. Il semble regrettable qu’un véritable partenariat ne soit pas mis en place, puisqu’il pourrait être bénéfique pour les deux parties [15], grâce au rôle d’interface des MSP [16]. Habituellement présents dans les instances, les MSP y siègent souvent pour des raisons strictement réglementaires et apportent difficilement leur vision de SP à l’établissement, vision qui pourrait pourtant être une réelle plus-value pour celui-ci [17].
42Bien que cette nécessité réglementaire soit une première étape, les activités de SP ne peuvent se développer que dans un contexte favorable créé par la gouvernance avec une volonté d’inclure la SP dans la politique de l’établissement [17]. Le développement de nouvelles activités comme par exemple la prévention et la promotion de la santé, en cohérence avec les orientations définies par la stratégie nationale de santé 2018-2022 du Ministère des solidarités et de la santé [18], ne pourra pas se faire sans cette volonté institutionnelle. À ce sujet, le virage vers la prévention et la promotion de la santé est certainement un puissant levier pour le développement des liens avec les acteurs extra-hospitaliers de SP. Un premier support de ce lien est l’association administrative au pôle de SP de structures extra-hospitalières ayant également des activités de SP, qui existe déjà dans de nombreux CHU. Toutefois, ce lien ville-hôpital semble ne pouvoir se renforcer qu’avec la présence de compétences de MSP hospitaliers travaillant en collaboration et en interface avec les différentes parties prenantes du territoire [15]. Une aide suggérée par deux répondants pourrait être une meilleure identification des activités de SP hospitalières par les acteurs extra et intra hospitaliers, qui pourrait passer par la création d’une marque « Pôle de SP », à l’instar de l’agence nationale de Santé publique (« Santé Publique France »).
43Notre étude, de nature déclarative, consigne les connaissances et les représentations, des coordinateurs de DES principalement, sur les activités de SP de leur établissement. Les résultats sont donc à lire à travers le prisme des coordinateurs du DES de SP. L’impact du point de vue de ces derniers sur les résultats est d’autant plus important que nous n’avons pas donné de définition précise des activités de SP et des autres spécialités. Ainsi, dans cet article, lorsque nous parlons d’épidémiologie, il est possible que cette activité de SP englobe des types activités diverses, que certains MSP ont qualifié d’épidémiologie alors que d’autres ne les auraient pas nommés ainsi.
44De plus, il s’agit d’une analyse qualitative notant la présence ou l’absence d’une activité, mais ne permettant pas de préjuger de l’importance, notamment en termes de ressources humaines, de celle-ci, un MSP pouvant assurer à lui seul plusieurs activités de SP.
45Ensuite, l’échelle de l’hôpital universitaire a été retenue pour l’AP-HP, mais reste différente de celle des CHU. En effet, les services de SP étant transversaux, tous ne sont donc pas forcément présents dans chaque HU.
46Enfin, notre étude n’est pas exhaustive, nous n’avons pas obtenu de réponses pour huit des établissements. Ces derniers sont répartis sur l’ensemble du territoire français. Peu d’informations sont disponibles sur leurs sites internet, notamment pour les HU non-répondants, mais la plupart disposent d’un pôle de SP. Les activités généralement présentes dans un pôle de SP, le sont également pour ces établissements non-répondants.
47Malgré ces limites, notre étude, par la complémentarité des données quantitatives et qualitatives recueillies, permet d’obtenir une analyse fine des organisations et des enjeux de la SP hospitalière. Nous constatons, malgré plusieurs difficultés, que la diversité des activités de SP progresse dans les CHU, rendant nécessaire le développement d’un maillage avec les structures extra-hospitalières de SP pour poursuivre la dynamique engagée, propre à construire des politiques de SP territoriales cohérentes et durables.
48Aucun conflit d’intérêts déclaré
Remerciements
Les auteurs remercient les membres du CUESP et du CIMES pour leur soutien sur ce projet, ainsi que l’ensemble des participants à l’enquête. Ils remercient également le Dr Canoui-Poitrine et les associations d’internes de SP régionales pour les avoir orienté vers les bons interlocuteurs au sein de l’AP-HP ou de leur région. Enfin, les auteurs remercient le Dr Paillé pour sa participation en début de projet, notamment lors de la réalisation du questionnaire.Bibliographie
Références
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Mots-clés éditeurs : santé publique, administration de la santé publique, centres hospitaliers universitaires, administration hospitalière
Date de mise en ligne : 11/03/2021.
https://doi.org/10.3917/spub.205.0479Notes
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Incluant les 4 sous sections présentes au moment de l’enquête en 2018 (Épidémiologie, économie de la santé et prévention, Médecine et santé au travail, Médecine légale et droit de la santé et Biostatistiques, informatique médicale et technologies de communication). L’épistémologie clinique ne faisant pas encore partie de la 46e section du CNU.