Couverture de SPUB_190

Article de revue

Un tournant dans la prise en compte des arbres et des forêts en santé publique

Pages 7 à 13

Notes

  • [1]
    Historiquement la première contribution de la forêt à la santé publique a été perçue via les remèdes trouvés dans sa biodiversité et les savoirs traditionnels afférents. Or ce patrimoine est désormais menacé à la fois par la perte rapide de l’une et des autres. C’est ce qui explique la structuration en cours d’une nouvelle discipline, l’ethnopharmacologie, qui, dans ce contexte, est une sorte de course de vitesse. Sur les 28 000 plantes (pas seulement forestières) utilisées comme plantes médicinales dans le monde, seules 2 300 environ ont fait l’objet d’une recherche moderne. L’espoir de trouver de nouveaux médicaments dans la flore et la faune des forêts tropicales, en se fondant notamment sur les savoirs traditionnels, reste un argument majeur mis en avant en faveur de la protection des forêts à l’échelle mondiale. C’est un des grands enjeux de l’Accord sur le Partage des Avantages (APA), dans le contexte de la convention mondiale sur la diversité biologique (1992).
  • [2]
    Terme anglais qui signifie « étreindre un arbre ». Serrer un arbre dans ses bras aurait un effet bénéfique sur les gens : effet calmant, diminution du niveau de stress et de dépression, amélioration du niveau de concentration, soulagement des maux de tête… Cette pratique fait l’objet d’une abondante littérature sur internet, qui affirme que ces effets sont démontrés scientifiquement.
  • [3]
    Muriel Vayssier-Taussat, François Houllier, Jean-François Cosson et Pascale Frey-Klett ; https://theconversation.com/lyme-collectionnons-les-tiques-pour-aider-les-chercheurs-70607.
  • [4]
    Depuis le 1er mai 2016, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), l’Institut de veille sanitaire (InVS) et l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) sont devenus Santé publique France.
  • [5]
    Nordic Centre for Spatial Development.

1Longtemps le livre de Georges Plaisance sur la sylvothérapie3 (1985) a été le seul ouvrage connu des forestiers francophones comme s’intéressant aux effets de la forêt sur la santé humaine. Depuis la fin des années 1990 et surtout le début des années 2000, les publications de toutes natures (articles scientifiques et techniques, méta-analyses d’articles, synthèses à l’attention des décideurs…) sur les interactions entre forêts et santé publique se sont multipliées. Des programmes de recherche ont été initiés, aux niveaux national ou international. La plupart des grandes organisations internationales se sont rapidement emparées de cette thématique, aussi bien dans le secteur de la santé que dans le secteur forestier ou celui de la protection de la nature, et ont adopté des résolutions ou publié des orientations de travail. Plusieurs essais d’approches transdisciplinaires ont vu le jour, par exemple entre l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et le Secrétariat exécutif de la convention sur la diversité biologique (CBD), s’appliquant notamment à la forêt. Très rapidement les centres d’intérêt, partis de la forêt stricto sensu, se sont élargis dans la direction des forêts urbaines et des espaces verts en ville.

2Parallèlement, sur le web, les sites traitant de ce sujet se sont également multipliés, manifestant une appétence certaine de l’opinion publique pour « un retour aux sources et à la nature », parfois sur un mode plus idéologique que scientifique et inspiré par des « médecines alternatives » ou d’autres cultures que celles de l’Occident moderne. Même si la France, et plus généralement les pays de culture francophone, sont loin d’être les plus actifs dans ce domaine de la recherche, il est désormais facile de trouver en France des prestataires de service proposant de remettre en contact le citadin et la forêt pour améliorer sa santé physique et psychique. Il est non moins symptomatique de voir désormais des brochures de promotion touristique évoquer le bénéfice sanitaire de séjours en forêt, y compris en reprenant la terminologie japonaise si exotique du shinrin yoku, le « bain de forêt ».

3Cette situation foisonnante peut légitimement intriguer, mais sans doute aussi inquiéter le professionnel de santé, le forestier ou simplement « l’honnête homme du xxie siècle », qui cherchent à se faire une idée personnelle de ce qu’il est possible d’affirmer dans un domaine aussi vaste, sur des bases étayées. Il existe une demande d’en savoir plus, d’identifier les débats en cours, la diversité des questionnements, les référents culturels implicites, et ce qu’il est raisonnablement possible de dire dans des limites méthodologiques explicites. La Revue forestière française et la revue Santé publique, qui partagent le fait d’être implantées dans la métropole nancéienne, capitale forestière, ont décidé de joindre leurs efforts pour dresser un état des lieux, profitant de regards croisés sur une grande diversité d’approches, de synthèses provisoires, de pistes de réflexion, en faisant largement appel à des spécialités variées et à des regards étrangers.

4Beaucoup d’articles ont été rédigés par des forestiers enseignants ou chercheurs, ou par des experts de la santé publique. Mais, dans le contexte sociétal de ce qui semble motiver la curiosité des décideurs et de l’opinion publique, il a paru légitime de donner également la parole à des auteurs spécialistes de l’histoire, de l’anthropologie, de la sociogéographie, de l’urbanisme, du bruit, etc., afin qu’ils nous aident à comprendre les questions relatives aux interactions « forêts-santé » telles que chacune des disciplines se les posent. La santé a été abordée dans ses différentes dimensions, physiologique, psychologique et sociale, individuelle et collective, au moyen d’approches épidémiologiques ou de recherche clinique. Sur beaucoup de sujets, il a été choisi de laisser plusieurs auteurs s’exprimer sur les mêmes questions, parfois de manière convergente, parfois moins, car il est manifeste que le champ des connaissances ne peut actuellement être considéré comme stabilisé et les regards sur ces questions restent pluriels. Un certain nombre d’auteurs étrangers font référence, plus ou moins explicitement, au contexte social, politique et culturel dans lequel les débats sont menés dans leur pays, nous invitant à identifier ce qui nous est commun et ce qui l’est moins.

5Le premier article, rédigé par Patrick Fournier (université Clermont-Auvergne) et Christian Barthod (Académie d’agriculture de France), dresse un panorama historique de la manière dont les forêts ont participé à construire, depuis le xviiie siècle, un discours et des pratiques relatives à la santé, qui sont à la racine des débats de la société sur ce qu’est la santé publique. La forêt y est perçue sur le mode de l’ambivalence, majoritairement comme source de santé (notamment au travers des ressources pharmaceutiques [1], de l’assèchement des zones humides favorables à certaines maladies, et du « bon air » en forêt), mais aussi, dans une moindre mesure, de problèmes sanitaires, davantage pour la forêt tropicale que pour la forêt européenne. L’extraordinaire bouillonnement d’idées, de recherches et d’initiatives depuis le début des années 2000 est retracé, avec le constat que la France, aussi bien dans le secteur forestier que dans le monde de la santé publique, est restée assez largement à l’écart de ces débats, ne se mobilisant progressivement que sur le sujet de la maladie de Lyme.

6La discipline de l’anthropologie sociale et culturelle appelle notre attention sur le fait que cet intérêt moderne pour une forêt « guérisseuse » revêt une forte dimension culturelle, qui trouve ses racines dans des comportements, représentations et « savoirs traditionnels » qui dépassent de très loin la seule dimension de la pharmacopée. Déborah Kessler-Bilthauer (université de Lorraine), à l’issue de deux recherches menées en Lorraine, nous rappelle la persistance de « guérisseurs » qui revendiquent des compétences sur la nature, et sur la forêt en particulier, vécue comme un espace de ressourcement, d’énergie, de purification et de guérison. Ces approches que l’on pensait « dépassées », incompatibles avec une conception moderne de la santé, peuvent retrouver une nouvelle jeunesse. Il est notamment frappant de voir le développement international de la pratique du tree hugging[2], aux États-Unis, en Asie et en Europe, y compris chez des personnes ayant fait de longues études. Il existe donc un arrière-plan culturel manifeste, riche et complexe, dans la manière dont les messages concernant les relations entre forêt et santé seront reçus, compris et appropriés.

7Même parmi les personnes les plus étrangères à cette dimension culturelle de la forêt guérisseuse, il existe parfois une version modernisée : la forêt peut contribuer à la santé, au travers de l’alimentation. Il s’agit notamment de l’engouement actuel pour les suppléments nutritionnels, compléments alimentaires et autres « alicaments », dont un certain nombre proviennent des forêts. Yves Birot (Académie d’agriculture de France) en présente quelques exemples dans un encadré.

8La forêt peut aussi être source de risques. Michel Thibaudon et Jean-Pierre Besancenot (Réseau national de surveillance aérobiologique) ont réalisé une large synthèse bibliographique sur les forêts tempérées, mais aussi les bosquets et arbres isolés, comme sources potentielles d’allergies, via les pollens de certaines espèces, des spores de champignons, des sciures, la résine et certaines chenilles. Même si les allergies constituent la quatrième pathologie chronique mondiale, en pleine croissance, la forêt n’est que modérément identifiée comme source d’allergies en fonction de sa composition spécifique, la fréquentation de ces espaces boisés n’étant pourtant pas plus basse lors des périodes d’émission pollinique. Mais l’inquiétude la plus forte semble porter sur la chenille processionnaire du pin, en expansion continue vers le nord, en raison du changement climatique. Il est intéressant de constater que le regard du forestier et celui du spécialiste de la santé publique ne convergent pas sur l’importance du risque respectif de la chenille processionnaire du pin et de la chenille processionnaire du chêne. Le forestier sait s’accommoder de la première dont les « nids » sont principalement en lisière et n’empêchent pas les activités en forêt, alors qu’une pullulation de la deuxième conduit généralement à devoir interdire toute pénétration en forêt par un arrêté préfectoral pour des raisons sanitaires.

9Les métiers de la forêt, à tout le moins celui des ouvriers et bûcherons, présentent des risques particuliers d’accidents du travail et de maladies professionnelles. À partir des statistiques de la MSA (hors Alsace et Moselle), Daniel Perron rappelle l’exposition au bruit des engins mécanisés, aux intempéries, à la charge pondérale des outils (conduisant à des troubles musculosquelettiques, première cause de maladie professionnelle en France). Il identifie la difficulté de donner une vision représentative des risques à partir des seules statistiques (sous-déclarations, données parcellaires, emploi de travailleurs détachés…). Les zoonoses, et notamment la maladie de Lyme, sont une préoccupation majeure et grandissante, nécessitant un travail particulier de prévention et de diagnostic. La présence d’un grand nombre de petites entreprises dans les métiers de la forêt en en aval semble corrélée à des conséquences plus graves des accidents que dans les grandes entreprises, probablement en lien avec l’autonomie plus forte des travailleurs. Il s’agit d’un secteur dont la « sinistralité » reste plus importante que celle de l’ensemble du monde agricole, et pour lequel les politiques nationales dans le domaine des travaux et de la récolte de bois peinent à identifier des mesures d’accompagnement à la hauteur des risques afférents.

10La maladie de Lyme, maladie vectorielle la plus répandue en Europe et très présente en Amérique du Nord, est fortement associée à l’espace forestier, devenu lieu privilégié de loisirs, de détente, de tourisme, de découverte de la flore et de la faune sauvage. Cette faune sauvage, notamment les cervidés, accueille les tiques, vecteurs de la borréliose. Les cervidés, quoique piètres réservoirs pour les borrélies (bactéries du genre Borrelia), jouent un rôle important dans le cycle des tiques et des maladies à tiques parce qu’ils peuvent nourrir un très grand nombre de tiques, jouant ainsi un rôle majeur dans l’écologie de la maladie : un chevreuil peut « héberger » jusqu’à plusieurs centaines de tiques. Mais les tiques infectées sont également abondantes dans les forêts périurbaines, ainsi que dans les parcs et jardins en zone urbaine où, notamment, les oiseaux et nos animaux de compagnie maintiennent leurs populations et la circulation des borrélies.

11Timotée Klopfenstein et ses coauteurs, qui travaillent dans des centres hospitaliers universitaires (CHU) et/ou des unités de recherche médicale, dressent un bilan très complet et nuancé ce qu’il est aujourd’hui possible de dire sur l’épidémiologie de la borréliose de Lyme en France, en insistant sur les difficultés à être précis et catégorique sur de nombreux points qui interpellent pourtant fortement à la fois les forestiers et les biologistes, mais aussi les patients et les médecins. C’est de manière tout à fait pertinente que les auteurs ont choisi d’insister dans leur titre sur un savoir qui se situe « entre incertitudes et certitudes ».

12Dans un article très documenté et illustré, Jean-François Cosson, de l’INRA à Maisons-Alfort, propose une synthèse des connaissances sur l’écologie des maladies à tique et discute, sans en cacher les incertitudes et tâtonnements, les principes de la gestion de ce risque devenu très médiatisé. Les approches modernes de gestion du risque reposent sur l’écologie des écosystèmes, ce qui implique l’intégration de différentes approches exposées dans cette revue et qui font aujourd’hui l’objet d’études nourries, notamment en Amérique du Nord.

13Mais la maladie de Lyme est aussi face à des défis en termes de comportements préventifs, et en termes de diagnostic et de traitement. Costanza Puppo et Marie Préau, de l’université de Lyon, proposent une revue de ces questions. Partant du constat que les mesures préventives, telles que le port de vêtements adaptés lors de séjours en forêt ou dans les espaces verts périurbains, l’utilisation de répulsifs anti-tiques ou l’hygiène personnelle sont insuffisamment mises en pratique, elle présente les travaux menés sur l’acceptabilité de ces mesures et sur les facteurs sociodémographiques qui influencent celle-ci. La prise en charge de la maladie de Lyme est également marquée par des incertitudes, tant dans la perspective des soignants, qui ne disposent pas de recommandations médicales communément admises, que des patients. Confrontés à une prise en charge de la maladie qui leur paraît hétérogène selon le jugement et l’expérience du médecin, de nombreux patients, qui échangent abondamment via les réseaux sociaux, revendiquent une coconstruction de la démarche de soins, ce qui donne, selon les auteures, toute sa pertinence au regard psychosocial.

14CiTIQUE est un projet multipartenarial de science participative où les citoyens peuvent aider la recherche sur les tiques et les maladies qu’elles transmettent. Comme l’ont rappelé par ailleurs les principaux promoteurs [3] de ce projet, « les incertitudes relatives à la maladie ont engendré des polémiques entre les patients et les services de santé publique, les premiers reprochant aux seconds de ne pas savoir reconnaître la maladie de Lyme… et les seconds soupçonnant les premiers de compter dans leurs rangs beaucoup de malades imaginaires. Il n’était pas possible de laisser grandir la défiance des citoyens vis-à-vis du monde de la recherche et de la santé, sans réagir. En France, le nombre de laboratoires spécialistes des tiques est limité, ce qui rend difficile un suivi correct des populations naturelles de tiques sur le long terme, dans des espaces naturels variés, au fil des saisons et à différentes heures de la journée. Le plan national de lutte contre la maladie de Lyme, lancé en septembre 2016, prévoyait ainsi de fédérer à la fois les chercheurs, les associations de malades, les amateurs éclairés que sont les naturalistes, les agriculteurs, les forestiers, les médecins, les vétérinaires, les pharmaciens et les citoyens. » Pascale Frey-Klett et ses collègues de divers organismes présentent rapidement le projet CiTIQUE dans un encadré.

15Jean-François Guégan, directeur de recherches à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) de Montpellier, et ses coauteurs travaillent sur les rapports entre environnement et maladies infectieuses. Dans leur article, ils nous montrent comment il est impossible de séparer la vision des forêts tropicales et équatoriales comme extraordinaires réservoirs de biodiversité, du constat que ces mêmes forêts sont par là même des lieux d’une très grande richesse en micro-organismes, virus, bactéries et parasites. À partir de quatre exemples, ils illustrent les liens entre les forêts, et surtout les modifications écologiques apportées à ces forêts par l’action humaine, et certaines infections émergentes, dans une logique où ce qui se passe en forêt a des conséquences fortes sur la santé humaine et animale en bordure de forêt, et même à distance du fait de la circulation des hommes, des animaux et des biens. L’enjeu de la déforestation sensu stricto, mais aussi de la fragmentation et de la modification des habitats naturels, est premier. Certaines observations conduisent également à identifier le changement climatique comme une possible cause aggravante. Néanmoins les pratiques et comportements humains restent les facteurs majeurs du risque émergent pour certaines maladies qui ont un fort potentiel morbide pour l’homme. Dans une dernière partie, les coauteurs cherchent à identifier les forces et les faiblesses des approches en écologie et en biologie évolutives qui sont actuellement déployées, en insistant sur l’ampleur du travail qui reste à faire et sur le besoin d’une attention plus grande portée aux interfaces sauvage/domestique, dans la logique de l’initiative « One health », déjà présente dans la question de la maladie de Lyme et sur laquelle le présent numéro thématique reviendra avec l’article de Jean Simos et al.

16L’article de John Emmanuel Fa et al., cosigné notamment par Robert Nasi (directeur général du Centre de recherche forestière Iinternationale - CIFOR), développe l’ensemble des mécanismes qui participent à la manière dont la consommation de « viande de brousse » interagit avec la santé des populations humaines qui consomment ce type de protéines, y compris pour ce qui concerne la maladie d’Ebola. Il est particulièrement intéressant de constater ce qu’un regard forestier peut apporter à une approche beaucoup plus large de la santé humaine, à l’interface de l’épidémiologie, de la sécurité alimentaire, de la prévention sanitaire et de la réflexion sur l’aménagement du territoire. Cet article insiste également sur le besoin de mieux identifier l’interface entre l’homme et la faune sauvage pour, notamment, améliorer la cartographie du risque et mettre en place des mesures d’atténuation et de prévention.

17Katharina Meyer-Schulz et Renate Bürger-Arndt (Faculté forestière de l’université de Göttingen, Allemagne) nous présentent une vaste revue de la littérature scientifique portant sur les effets de la forêt sur la santé physique et mentale, soit 119 publications identifiées au terme d’un criblage méthodique des bibliothèques scientifiques et des bases de données électroniques. La plupart de ces études provient d’Asie, principalement du Japon. Il faut néanmoins noter que l’administration écossaise des forêts peut être considérée comme un précurseur en Europe pour la prise en compte des bienfaits des séjours en forêt pour la santé. Les deux auteures rappellent les grandes conclusions des articles sur les différents compartiments étudiés (bien-être physique : système cardiovasculaire, système immunitaire, hormones et autres examens ; bien-être mental : humeur, stress et autres investigations), mais elles identifient également certaines faiblesses méthodologiques de ces études.

18Le Dr Qing Li, immunologiste, professeur associé au Département d’hygiène et de santé publique à l’université de médecine de Tokyo, et membre fondateur de la société japonaise de sylvothérapie, travaille sur le shinrin yoku depuis 2005. En Europe et en Amérique du Nord, il est le représentant le plus connu de cette « discipline » japonaise aujourd’hui très médiatique. Dans son article, il présente les principaux résultats issus des expérimentations menées depuis plus de dix ans, dans le cadre d’une médecine environnementale visant essentiellement le bien-être psychique et la prévention des maladies liées au style de vie urbain (maladies cardiaques, diabète, accidents vasculaires cérébraux, dépression et hypertension…). Au printemps 2018, il a publié, simultanément dans de nombreux pays, un livre de vulgarisation, présenté et commenté par beaucoup de médias généralistes : Shinrin Yoku – L’art et la science du bain de forêt – Comment la forêt nous soigne.

19Rodolphe Dodier (CNRS, université d’Aix-Marseille) nous propose le regard du géographe et du sociologue sur la fréquentation des forêts par le public. La forêt est très largement identifiée comme un espace de ressourcement et de bien-être, où le cadre environnant ne peut qu’accentuer le bénéfice de l’hygiène de vie découlant des activités de loisir en forêt, notamment l’exercice physique. Il est par ailleurs intéressant de constater que les réticences constatées ou éléments négatifs mis en avant par les personnes interrogées mélangent l’angoisse devant certaines ambiances forestières, et le risque lié aux champignons vénéneux et aux piqûres (insectes, tiques, araignée) sur les chiens ou chats comme sur l’homme, mais avec un niveau faible d’appréciation objective du risque, voire même de connaissance de ce risque. Ses enquêtes montrent une surévaluation des bénéfices prophylactiques des activités en forêt, et une sous-évaluation des risques pathogènes, notamment de la borréliose de Lyme. Comme l’indique le titre de son article, la forêt est socialement perçue en France comme un espace plus prophylactique que pathogène.

20La diversité des organismes de rattachement des auteurs donne déjà une bonne idée de la manière dont cette question des interactions entre forêt et santé publique est désormais identifiée (et appropriée) dans de nombreuses régions du monde comme une question riche d’enjeux et un domaine de recherche stimulant. Il a néanmoins semblé nécessaire aux deux revues de donner la parole à des auteurs qui nous font état de la manière dont la question est identifiée comme pertinente pour les politiques publiques dans leur pays, et donne lieu à des initiatives privées ou publiques.

21L’US Forest Service est un des plus gros services forestiers au monde. Il compte environ 34 000 agents pertinents pour une surface de 78 millions d’hectares de forêts nationales. Son service de recherche emploie environ 500 scientifiques et développe des pistes de recherche peu présentes dans les centres européens de recherche forestière, comme les liens entre certains insectes ravageurs des forêts et la santé humaine, ou entre la qualité de l’air et les forêts, dans un souci de contribuer à la santé publique. David Nowak travaille notamment sur les interactions entre les forêts et la santé humaine, y compris dans les zones urbaines. Dans un article conjoint avec Matilda Van den Bosch, dont les activités s’exercent à la fois dans le département Population et santé publique et dans le département Forêt et sciences de la conservation à l’université de Colombie britannique, il nous présente les impacts de la végétation forestière sur la température, le microclimat local, la réduction des polluants atmosphériques, notamment les microparticules d’un diamètre inférieur à 10 microns (PM10), en évaluant les bénéfices pour la santé humaine. Mais ces deux auteurs nous rappellent aussi les émissions de composés organiques volatiles par certaines essences d’arbres, et les impacts sur l’ozone. Ils s’intéressent au bilan global des effets de la végétation arborée, en utilisant la modélisation de la surface arborée, mais aussi les trajectoires de vent, et les flux entre les sources de polluants (automobiles, par exemple) et les êtres humains selon la végétation, avant de conclure de manière très opérationnelle : « Mieux comprendre les mécanismes par lesquels les arbres agissent sur la qualité de l’air et sa température permet de mieux adapter les aménagements paysagers afin d’y intégrer les arbres et la forêt dans le but d’améliorer la santé humaine. »

22Soulignant que les problèmes de santé mentale constituent l’une des causes majeures de la « charge de la maladie » (plus connue sous son nom anglais de burden of disease), avec en premier lieu l’anxiété et la dépression, Liz O’Brien et ses coauteurs, de la Forestry Commission et de l’université d’Exeter, font un point sur les travaux conduits en Grande-Bretagne sur la place que peut prendre la fréquentation de la forêt dans le renforcement ou la restauration du « capital mental », vu comme l’ensemble des ressources cognitives et émotionnelles d’une personne. L’article expose les conclusions de différentes études intéressant trois formes de relations à la forêt (à l’occasion de la vie quotidienne, pour les habitants de zones urbaines proches d’espaces forestiers ; lors de pratiques actives de promotion de la santé en forêt ; et enfin par des usages thérapeutiques de la forêt sous forme de visites et activités de personnes souffrant de maladies mentales). Les résultats globalement positifs de ces travaux, par-delà leur inégale qualité, en termes de bien-être déclaré ou parfois mesuré via différents paramètres objectivables, conduisent les auteurs à discuter différents mécanismes avancés dans l’abondante littérature citée à l’appui de leur article. Seraient particulièrement en jeu des processus de restauration cognitive, de rétablissement post-stress, l’amélioration de la motivation, l’encouragement des activités physiques, la stimulation de certaines fonctions immunitaires et la promotion des relations sociales.

23Ce numéro thématique consacré aux relations entre forêts et santé publique ne pouvait omettre les nombreux travaux portant sur les bienfaits attendus du mouvement général de « reverdissement des villes » engagé tout particulièrement dans les pays dits « du Nord ». Plusieurs articles lui sont consacrés. La synthèse présentée par Isabelle Bolon et ses coauteurs (université de Genève) met l’accent sur les fonctions d’amélioration du bien-être et de ressourcement de « la forêt en ville », et de renforcement des capacités que permet la mise à disposition d’espaces propices à l’activité physique et aux interactions sociales. La densité de la couverture végétale et sa diversité favorisent le sentiment de bien-être des résidents, notamment en lien avec la richesse en espèces d’oiseaux et plus généralement avec la biodiversité de l’espace urbain. Mais ce mouvement pose aussi des défis, parmi lesquels l’attention qui doit être portée à l’accès équitable et sûr de ces espaces verts pour toutes les catégories de la population (groupes socioéconomiques modestes, personnes âgées, femmes seules, etc.) mais aussi à la maîtrise des risques associés à ce retour de la nature (morsures par des animaux, augmentation des concentrations polliniques selon les espèces d’arbres). La recherche sur les impacts, positifs ou négatifs, de cette révolution verte est nourrie, et informe les différents acteurs des politiques urbaines.

24En conclusion d’un article très documenté sur la contribution des arbres et des forêts à l’amélioration de l’environnement sonore, Jérôme Defrance, chef du département acoustique et éclairage du Centre scientifique et technique du bâtiment, et ses coauteurs (CSTB et entreprise SAFRAN) formulent des recommandations pour optimiser l’impact de la végétation sur l’atténuation et la perception du bruit, impact dépendant d’un grand nombre de facteurs qui doivent être très bien caractérisés dans chaque contexte particulier. Aussi, soulignent-ils, penser la végétation comme moyen de gérer l’environnement sonore doit venir en complément d’autres actions de réduction du bruit, notamment celles visant les sources elles-mêmes. Si, en cœur de ville, les arbres ont un impact très faible sur la diminution globale du bruit routier, l’épaisseur de la bande boisée étant très réduite, ils participent néanmoins, par les effets de diffusion sonore due aux branches et aux feuilles, à amoindrir le caractère réverbérant de certains environnements minéraux et, par leur présence visuelle, à améliorer la qualité de l’environnement urbain.

25La végétalisation de l’univers minéral qu’est l’espace urbain dense est au cœur des politiques d’adaptation au changement climatique, en particulier par son rôle démontré sur la réduction des îlots de chaleur urbains lors des épisodes caniculaires. L’article de Mathilde Pascal et ses collègues de Santé Publique France [4] montre les vertus des feuilles et des branches des arbres qui réduisent le rayonnement solaire atteignant le sol, via des mécanismes d’absorption pour la photosynthèse et de réflexion, tandis que l’évapotranspiration du feuillage consomme une part de la chaleur de l’atmosphère pour évaporer l’eau. Ces deux phénomènes contribuent au rafraîchissement de l’air et donc à la prévention des effets morbides des fortes chaleurs. La végétalisation est également un moyen de lutter contre la pollution atmosphérique, car elle agit comme absorbant pour les polluants gazeux et piège les particules, avec une efficacité dépendant de l’espèce végétale. Mais l’effet peut être au contraire défavorable dans certaines configurations qui empêchent la dispersion des polluants comme dans certaines rues fonctionnant comme des canyons.

26C’est dans ce contexte que s’inscrit l’article de Françoise Jabot et Anne Roué-Le Gall, de l’école des Hautes études en santé publique, sur la démarche de l’Évaluation d’Impact sur la Santé (EIS) qui, dans le domaine des politiques urbaines ici considéré, vise à anticiper les conséquences sur la santé de politiques et projets avant leur mise en œuvre afin de limiter les impacts potentiellement négatifs et renforcer les impacts positifs. Cette démarche s’est développée avec l’émergence du concept de promotion de la santé promu notamment par l’OMS, selon lequel agir pour la santé des populations consiste à transformer l’environnement et les milieux de vie et non pas seulement à chercher à modifier les comportements. Une condition pour le succès de cette vision est son appropriation par les populations concernées, dans leur diversité, ce qui passe par leur implication dans la conception et la mise en œuvre de ces politiques et projets pour « leur ville ». Plusieurs exemples de démarches d’EIS conduites sur différents continents illustrent leur triple finalité : éclairer la décision, donner corps au principe « la santé dans toutes les politiques », et renforcer les capacités des citoyens à s’impliquer pour influencer les politiques qui les concernent.

27Kjell Nilson (directeur de Nordregio [5] et membre de l’Académie des sciences du Danemark) a coordonné de 2004 à 2008 le pilotage du projet Forests, Trees and Human Health and Wellbeing (action E39) au sein du programme COST, puis le livre synthétisant les résultats, publié en 2011 par l’éditeur Springer. À ce titre, il est un des meilleurs connaisseurs des forces et des faiblesses de la recherche européenne dans le secteur couvert par le présent numéro thématique. En partenariat avec plusieurs collègues suédois et danois, et ce de manière complémentaire aux articles plus ciblés sur des questions ou des résultats, il a accepté de balayer la plus grande partie du champ thématique exploré en s’efforçant de répondre à la question synthétique qui interpelle nécessairement l’honnête homme qui prend connaissance de tous les travaux menés et des difficultés méthodologiques rencontrées : « De quelles preuves scientifiques disposons-nous concernant les effets des forêts et des arbres sur la santé et le bien-être humains ? ». Cette contribution a paru d’autant plus opportune que, parmi les 23 pays impliqués dans l’action COST E39, la France brillait par son absence, ce qui ne fait que renforcer la pertinence du présent numéro.

28Olivia Sanchez-Bandini (Université Yale, États-Unis) et John L. Innes (doyen de la faculté de foresterie de Colombie Britannique), dans le contexte du nord-ouest de l’Amérique du Nord, insistent sur les difficultés du secteur de la santé à s’intéresser à ces questions, même lorsque le secteur forestier est convaincu. Le premier article publié par la prestigieuse revue Science, en 1984, sur un tel sujet mettait en évidence un lien « albeit but tenuous » (« un lien, ténu, mais un lien ») entre la convalescence après une opération et la vue d’un paysage naturel depuis la chambre d’hôpital, et il semble que la perception dominante dans le secteur médical reste que ceci reflète la dimension psychologique du patient, probablement en lien avec la mobilisation de tout ou partie des cinq sens. En Amérique du Nord, la recherche semble avoir privilégié l’enjeu de l’arbre en ville et du bien-être, notamment au travers des situations favorisant l’exercice physique, dans un contexte où l’obésité est un problème sociétal majeur. Plus que dans d’autres régions du monde, la possibilité de quantifier monétairement les bénéfices sanitaires de la forêt et des espaces verts (à la condition de savoir les décrire précisément) est identifiée comme un préalable pour mobiliser le secteur privé de la santé, y compris les entreprises financièrement concernées par les impacts de l’état de santé de leurs employés. Les auteurs insistent au passage sur la différence entre Amérique du Nord et l’Europe pour ce qui concerne les priorités données respectivement à la médecine curative et à la prévention sanitaire.

29En Finlande, de nombreuses études ont montré que les forêts et les autres espaces naturels sont importants pour réduire le stress et aident à récupérer de la fatigue du travail. Des expériences de terrain ont confirmé que la promenade en forêt a des effets bénéfiques, à la fois psychiques et physiologiques, sur la santé humaine. Liisa Tyrvaïnen et ses collègues de l’Institut national des ressources naturelles et de l’Institut national pour la santé et le bien-être nous montrent comment ces études ont débouché sur un programme national intitulé « La nature pour la santé et le bien-être en Finlande (2015-2025) » qui comporte un plan d’action (avec des expériences pratiques et des projets pilotes) et un programme de recherche pluridisciplinaire. Il est à noter qu’un projet international, « Randonnées du bien-être » (2013-2014), coordonné par l’Institut finlandais de la recherche forestière, a été décliné en France, à Brouvelieures, en Meurthe-et-Moselle. Des résultats prometteurs semblent se dégager pour le soin des patients souffrant de diabète de type 2. Les auteurs rappellent néanmoins que peu de données sont disponibles sur le lien entre les différents types d’espaces naturels et leur impact en termes de santé. Pour un Français, il peut être surprenant d’apprendre que des recherches sont actuellement menées sur l’utilisation d’espaces naturels virtuels par les travailleurs du savoir au cours de leur journée de travail.

30Gerhard Mannsberger, directeur fédéral des forêts en Autriche durant une vingtaine d’années et nouveau vice-recteur de l’université des sciences de la vie de Vienne, nous présente les réflexions et initiatives dans son pays sur ce sujet (initiative Green Care FOREST), dans le prolongement de la conférence ministérielle sur la protection des forêts en Europe de 2003, à Vienne. Après avoir établi un état des connaissances scientifiques sur la contribution des forêts au bien-être social, physique et psychologique, l’enjeu semble avoir été de bien comprendre la demande sociale, et de créer sur cette base des liens entre deux groupes qui n’avaient pas vocation à se parler spontanément, celui des gestionnaires forestiers et celui des institutions travaillant dans le domaine de la santé, de l’éducation ou de l’action sociale. Il est intéressant de constater qu’il a fallu dix ans de travail pour décloisonner les approches. L’Autriche a accueilli en 2017 la troisième conférence internationale sur les paysages et la santé publique, réunissant 140 experts de 27 pays, et Gerhard Mannsberger nous montre la manière dont cette conférence fait écho au travail entrepris en Autriche depuis 2003.

31Il nous reste à inviter le lecteur à voyager par lui-même dans ce vaste aperçu des thématiques, des disciplines et des pays, à se faire son idée et formuler ses questions, avant de lui donner rendez-vous dans une tentative de conclusion à la fin de ce numéro. Sans nul doute, les forestiers et les acteurs de la santé publique ont beaucoup à apprendre les uns des autres au fil des articles sur ce sujet d’intérêt commun des relations et interactions entre les forêts et la santé publique.

32Les rédacteurs en chef invités de ce numéro thématique dégagent toute responsabilité sur les opinions émises par les auteurs, et souhaitent que ces éclairages variés stimulent la réflexion des acteurs forestiers et des experts en santé publique.

Notes

  • [1]
    Historiquement la première contribution de la forêt à la santé publique a été perçue via les remèdes trouvés dans sa biodiversité et les savoirs traditionnels afférents. Or ce patrimoine est désormais menacé à la fois par la perte rapide de l’une et des autres. C’est ce qui explique la structuration en cours d’une nouvelle discipline, l’ethnopharmacologie, qui, dans ce contexte, est une sorte de course de vitesse. Sur les 28 000 plantes (pas seulement forestières) utilisées comme plantes médicinales dans le monde, seules 2 300 environ ont fait l’objet d’une recherche moderne. L’espoir de trouver de nouveaux médicaments dans la flore et la faune des forêts tropicales, en se fondant notamment sur les savoirs traditionnels, reste un argument majeur mis en avant en faveur de la protection des forêts à l’échelle mondiale. C’est un des grands enjeux de l’Accord sur le Partage des Avantages (APA), dans le contexte de la convention mondiale sur la diversité biologique (1992).
  • [2]
    Terme anglais qui signifie « étreindre un arbre ». Serrer un arbre dans ses bras aurait un effet bénéfique sur les gens : effet calmant, diminution du niveau de stress et de dépression, amélioration du niveau de concentration, soulagement des maux de tête… Cette pratique fait l’objet d’une abondante littérature sur internet, qui affirme que ces effets sont démontrés scientifiquement.
  • [3]
    Muriel Vayssier-Taussat, François Houllier, Jean-François Cosson et Pascale Frey-Klett ; https://theconversation.com/lyme-collectionnons-les-tiques-pour-aider-les-chercheurs-70607.
  • [4]
    Depuis le 1er mai 2016, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), l’Institut de veille sanitaire (InVS) et l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) sont devenus Santé publique France.
  • [5]
    Nordic Centre for Spatial Development.
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