Notes
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Par exemple, de 2010 à 2015, bien qu’inférieurs aux budgets alloués à la lutte contre le VIH ou pour les vaccinations, plus de 95 millions d’euros ont été investis par la France via le Fonds français MUSKOKA pour soutenir le travail conjoint de l’OMS, l’UNICEF, UNFPA et l’ONU Femmes, en vue de renforcer les systèmes de santé au Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Niger, République Démocratique du Congo, Sénégal, Tchad, Togo et Haïti. – [http://wcaro.unfpa.org/fr/news/mortalité-maternelle-et-infantile-en-afrique-une-réduction-notable-mais-trop-lente]
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Introduction
1En Afrique de l’Ouest, de nombreux programmes ont été, et sont encore régulièrement mis en œuvre, notamment par diverses institutions internationales, pour réduire une mortalité maternelle toujours très élevée [1]. Cependant, malgré ces importants financements et ces vastes actions, force est de constater que ces objectifs du développement durable (ODD), s’ils produisent quelques effets, peinent à s’inscrire dans la réalité des situations sanitaires. Près d’un tiers des décès maternels dans le monde survient en Afrique de l’Ouest et du Centre où vit pourtant moins de 6 % de la population mondiale. Dans cette région, le taux de mortalité maternelle reste parmi les plus élevés du monde, variant de 483 à 888 décès pour 100 000 naissances vivantes, avec une moyenne de 510 pour 100 000 naissances vivantes. Les progrès sont constants, mais lents – moins de 40 % de réduction en 25 ans – et, en tout cas, beaucoup moins rapides que dans les autres régions du monde et notamment de l’Asie [2]. Pour améliorer cette situation sanitaire, deux types d’actions complémentaires sont préconisés : l’installation « cohérente » en périphérie (en « brousse ») des sages-femmes et l’amélioration de la qualité de la prise en charge de l’accouchement et des soins accordés aux parturientes [1, 2]. Cependant, les obstétriciens et les sages-femmes restent très largement dans les capitales ou en milieux urbains [3], et depuis 1993 de nombreuses études soulignent le développement important du secteur privé à but lucratif, et la mauvaise qualité des soins obstétricaux dans les services publics documentant des formes de « privatisations financières informelles » des soins – voire de corruption – entraînant de grandes inégalités dans les prises en charge des parturientes. Partout, les parents, amis et connaissances des soignants ou les personnes nanties sont prioritairement accueillis, souvent aux dépens des véritables urgences [4-6]. Ces conduites inégalitaires induisant des « mobilisations différenciées » selon le statut social des malades [7] et que prolongent souvent des violences verbales et physiques, constituent, malheureusement, l’ordinaire de l’offre de soin dans le domaine obstétrical [8-10] et dans d’autres domaines médicaux [11].
2Globalement, et sans trop préciser ici ce que nous avons analysé dans un article précédent [12], diverses études expliquent ces situations par la conjugaison d’un ensemble de facteurs allant du plus large des dimensions socio-politiques au plus spécifique de leurs inscriptions dans les vies des soignants. Pour résumer : (1) les soins font partie d’un mode global de délivrance des biens publics qui sont tous surfacturés [13] ; (2) les personnels de santé sont à la fois victimes et acteurs de cette économie « informelle » les obligeant pour vivre à trouver des ressources autres que celles de leurs salaires ; (3) du fait de cette constante monétarisation des soins ou « petite corruption », des discriminations et des négligences tragiques affectent ceux et celles qui sont trop pauvres pour entrer dans ces jeux où la qualité du service dépend d’une « sur-rémunération informelle » [5, 14].
3Ces études, décrivant empiriquement et expliquant des conduites professionnelles et des situations sanitaires par des articulations et des clivages entre divers segments de la morphologie sociale, sont indispensables. Elles permettent de mieux comprendre le fonctionnement réel des services et d’analyser l’insertion des programmes de développement sanitaire dans ces contextes locaux. Cependant ces causalités externes et ces corrélations n’épuisent pas le champ des explications. Notamment, on ne peut considérer les professionnels comme des êtres passifs, dont toutes les conduites seraient déterminées par les jeux abstraits de vastes variables sociales (inégalités sociales, domination, etc.). Ils décident – tout au moins en partie – de leurs actes et diffèrent dans leurs façons de travailler. Certains font ce que d’autres refusent. C’est pourquoi il nous a semblé essentiel, comme le recommandent d’autres travaux [15], de compléter ces études « sur » les sages-femmes par un travail « à partir » de ce que les sages-femmes disent de leurs vies professionnelles. Disons-le simplement, on ne peut espérer améliorer la qualité des soins sans se donner les outils méthodologiques et le matériau empirique pour dialoguer avec ces professionnelles sur leurs raisons d’agir.
Matériel et méthodes
4Que disent les sages-femmes de leurs vies professionnelles ? Que pensent-elles de leurs affectations en milieu rural ? Comment parlent-elles des accouchements et des soins souvent ressentis comme violents par les parturientes ?
5Ces questions, constituant les « pertinences motivationnelles » des acteurs [16] semblent simples et banales. Mais, il faut, pour les traiter, user d’une méthodologie adaptée à ces interrogations.
6Il faut tout d’abord, recourir à un ensemble de concepts – intentions, motifs, raisons d’agir – permettant de rendre compte des choix des acteurs [17]. Ce que Élisabeth Anscombe, au décours de ses réflexions sur l’intention, formalise en distinguant les emplois des mots why et because of, où le premier terme renvoie à un ordre causal et le second aux multiples jeux ouverts des « motivations » [18].
7Ce choix lexical autant que méthodologique permet d’éclairer « de l’intérieur » les pratiques des professionnels de santé. D’étudier les logiques qui orientent leurs conduites et d’analyser des intentionnalités complexes puisque ces acteurs n’analysent leurs situations que de façons partielles et partiales : du point de vue de leurs intérêts et des contraintes qu’ils doivent affronter.
8Par ailleurs, évoquant leurs vies et leurs pratiques professionnelles, les sages-femmes parlent de leurs émotions, de leurs sentiments et de leurs sensations. Ce faisant, elles « incarnent », au sens strict, leurs pratiques de soin. Et, de cette façon, les acteurs se disent non dans l’abstraction d’un titre ou d’une fonction, mais selon les jeux pluriels et souvent contradictoires de leurs identités affectives, sensorielles et techniques.
9Cette triple perspective (1) d’acteurs « capables » et effectuant des choix, (2) lisant le monde depuis des points de vue spécifiques et situés et (3) incluant dans leurs choix des dimensions corporelles et morales, a globalement défini notre posture d’enquête.
10Très concrètement, nos entretiens qui portaient sur des expériences antérieures en milieu rural, ont été réalisés à Cotonou et à Ouagadougou, capitales du Bénin et du Burkina Faso.
11Dans chacune de ces deux villes, avec l’accord des comités d’éthique, nous avons interrogé 12 sages-femmes, le plus souvent de manière très informelle, à leur domicile et lorsque cela était impossible sur leur lieu de travail, mais en dehors de leurs moments d’activité. Les entretiens (n = 24) ont duré de 90 à 120 minutes et l’ensemble a été enregistré puis transcrit in extenso. Par ailleurs nous avons analysé le « journal », composé de 197 pages, qu’une étudiante sage-femme a tenu chaque jour pendant un stage rural de deux mois.
12Nous avons, en parallèle, afin de mieux documenter l’importance des négociations familiales quant aux décisions professionnelles, effectué huit entretiens avec des maris et quatre entretiens avec les enfants de 5 à 12 ans de ces sages-femmes. Ces discussions furent aussi enregistrées et transcrites.
13Durant ces entretiens, ayant la forme de discussions habituelles, « familiales » ou « amicales », nous avons adopté comme posture que « tout ce qui est présent dans la situation à comprendre, ou qui lui est lié, doit être pris en compte et utilisé […] même si la chose semble peu importante ou est peu visible » [19]. Ceci afin d’éviter de « se focaliser sur une question définie de façon trop pointue, trop étroitement délimitée » [19].
14Ces entretiens se sont déroulés en français, sauf lorsqu’il était nécessaire de faire référence à des termes ou des expressions utilisées dans les langues locales. Nos interlocutrices ont été rencontrées selon la méthode de la « boule de neige » et sélectionnées selon un choix raisonné. Outre le principal critère d’inclusion qui était d’avoir travaillé plus d’une année en brousse, une division de notre échantillon par tiers selon des critères d’âge – « anciennes » ou à la retraite (55 ans – 66 ans), sages-femmes en activité (30 ans – 55 ans) et jeunes débutant dans la profession (24 ans – 30 ans) – nous ont permis d’envisager une variété de situations et de comparer des similarités et des différences dans les propos.
15Nous avons donc « raisonné à partir de singularités » [20] mais en étant attentifs aux récurrences qui, dans l’évocation de ces expériences singulières, renvoyaient à un argumentaire commun dont usaient nos interlocutrices pour légitimer leurs choix et justifier leurs conduites.
16Pour analyser qualitativement nos données selon une lecture thématique, nous avons été particulièrement attentifs à trois points.
17Tout d’abord, à la façon dont ces sages-femmes liaient ou séparaient les divers évènements qui jalonnent leurs vies professionnelles et affectives. Pour le dire simplement, nous avons gardé et traité ensemble ce qu’elles enchaînaient dans leurs récits. Autrement dit, la continuité narrative a été interprétée comme dénotant une certaine unité interprétative et comportementale. Cette posture a permis de traiter conjointement des éléments affectifs et des éléments professionnels lorsque les sages-femmes agençaient ensemble ces dimensions. Ce traitement d’évènements conjoints a permis de mettre à jour les dilemmes de ces soignantes et d’analyser des « situations vécues » qu’elles devaient résoudre, comme par exemple, le fait de se marier et d’être à la même période affectée en milieu rural. Plus qu’analyser des thématiques distinctes, nous avons été soucieux de montrer comment le mouvement pluriel des vies oblige les acteurs à faire des choix et définir des priorités.
18Par ailleurs, nous avons veillé à respecter des sortes d’unités opérationnelles de temps présentées dans les récits. Quelles actions, au regard des sages-femmes, se succèdent et parfois se chevauchent et sont vécues comme composant une même période d’activité ou une même séquence comportementale. Nous avons ainsi analysé les dires de nos interlocutrices en fonction de leurs temps vécus plutôt que selon des regroupements thématiques « médicaux » : les accouchements, les suites de couche, les visites… – ne permettant pas de suivre le déroulement linéaire des gestes des acteurs. Très concrètement, comment les sages-femmes évoquent les actes qui composent une heure de suivi d’une parturiente, une journée de travail ou une « garde ».
19Enfin, nous avons pris à la lettre les comparaisons que nos interlocutrices pouvaient faire entre diverses situations. Nous avons supposé que des expressions comme, « c’était comme si… » ou « ça me fait penser à… » révélaient que nos interlocutrices avaient vécu ces moments de vie comme appartenant à même système de sens.
20L’aspect très informel et ouvert des discussions ainsi que ces opérations de lecture par contiguïté nous ont permis de « coller au plus près » des vécus des sages-femmes. De tenter une introspection plutôt que d’analyser les conduites de ces professionnelles en fonction de variables préconstruites par nos propres hypothèses.
Résultats : Ce que les sages-femmes disent de leur métier et de leurs vies
21C’est donc au plus proche des discours des sages-femmes que nous présentons, selon quatre larges rubriques, la façon dont elles vivent – ou, tout au moins, disent vivre – leurs mondes socio-professionnels et ce qu’elles pensent des questions soulevées par les programmes de Santé Maternelle.
Comment les sages-femmes parlent de leur métier
22L’identité professionnelle se situe toujours à l’intersection de constructions biographiques (identité que je me donne) et de processus de reconnaissance par autrui (identité que l’on me reconnaît) [21]. De ce fait, le choix d’un métier et son exercice conjuguent toujours des aspects institutionnels (diplôme, filière d’emploi, hiérarchie professionnelle) et des « processus biographiques » s’exprimant notamment par les choix plus ou moins libres des carrières et par le goût plus ou moins affirmé pour certaines activités.
23Dans notre corpus, pour exprimer les raisons de leur choix du métier de sage-femme toutes nos interlocutrices, que ce soit pour s’en déprendre ou, au contraire, pour s’y accorder, usent du terme de « vocation ». Un terme qu’elles relient, pour la plupart à un événement biographique [22].
24« Quand j’étais petite, ma grande mère avait une amie qui était sage-femme. Une tante allait accoucher et c’est cette sage-femme qui la suivait. Le jour de l’accouchement, je me suis couchée avec la tante sur le même lit. Quand la nuit elle a eu les contractions […] on s’est apprêtées pour aller voir la sage-femme […] je n’oublierais jamais ce jour où la sage-femme l’a examinée… » dit une sage-femme béninoise retraitée de 60 ans. « J’avais un père infirmier et j’avais une tante sage-femme et c’est surtout elle qui m’a beaucoup inspirée. Je me rappelle quand j’étais petite, c’est moi qui m’occupait des soins des autres qui avaient leurs poupées malades » dit encore une sage-femme du Burkina (A. D., 33 ans).
25Bien sûr, comme le soulignent ces quelques exemples, cette « vocation » se décline différemment selon les contextes des vies, et chacune de nos interlocutrices évoque ses souvenirs qui sont autant de récits expliquant, après coup, des choix.
26Cependant, il ne s’agit pas d’un simple trait sémantique ouvrant à une étude des « représentations sociales d’une profession ». En effet, cette « présentation de soi », comme toute histoire ou biographie, interroge et utilise le passé pour donner sens et répondre à des questions du présent [23]. Autrement dit, les aspects performatifs liés au fait de définir sa profession comme une « vocation » sont ici déterminants. La valeur de ce terme est avant tout fonctionnelle. Il sert à caractériser un certain type de rapports au métier. C’est pourquoi, plutôt que de nous interroger sur les multiples sens que pourrait recouvrir cette expression, il est essentiel de décrire comment cette représentation d’un soi professionnel de type « vocationnel » structure un certain rapport au monde obstétrical, à ses tâches et à ses acteurs.
« La vocation » : une définition émique du care
27Selon nos interlocutrices, le métier est décrit comme un dévouement largement défini selon des valeurs religieuses. Dans tous les propos, la déontologie relève du compassionnel. C’est ce qu’énonce clairement, à l’unisson de l’ensemble de nos interlocutrices, cette sage-femme : « J’ai l’amour du prochain et je compâtis beaucoup aux douleurs des femmes. Je les rassure et j’explique même les effets des contractions […] Tout ce que fait la sage-femme, je pourrais dire que ça vient de la Bible, ça vient du Coran. Il faut aider, aimer, porter assistance et c’est ce que les sages-femmes font. Je pense que la source vient de là-bas, de la religion. Il faut s’oublier, il faut se sacrifier pour ce travail. C’est difficile de pouvoir bien travailler en tant que sage-femme. On nous dit dans la religion qu’il faut un sacrifice. C’est ce sacrifice que l’on fait, ça va ensemble avec le travail » (L. V., 34 ans, Burkina Faso).
28Cette référence au religieux n’est pas qu’idéelle et normative. Ici encore, de façon très pragmatique, cette posture morale correspond aux situations concrètes de ces praticiennes qui doivent souvent déborder d’un strict rôle professionnel pour assurer, en tant que personnes privées, une certaine continuité des soins. « Notre religion dit d’aimer ton prochain comme toi-même. À partir du moment où la personne a commencé à se plaindre, je n’ai pas ceci, je n’ai pas cela, tu te mets à sa place et tu ressens ce qu’elle est en train de sentir, et alors tu l’aides des fois en lui donnant de l’argent. […] Des fois il y a des femmes qui commencent par saigner et il n’y a même pas de parent pour aller acheter le sang. Alors on cotise de l’argent pour faire le groupage, payer le sang. Si tu as un Dieu, tu dois quand même avoir pitié de ton prochain, ça c’est automatique, à moins que tu fasses semblant d’être chrétien » (S. A., 47 ans, Bénin).
29La précarité des situations fait que nul ne peut agir efficacement s’il limite ses pratiques à celles qui sont officiellement définies. Concrètement, dans bien des situations, les soignants doivent « se débrouiller » et faire plus – ou tout au moins autrement – que ce que des procédures et une déontologie strictement professionnelles proposent abstraitement, et en dehors du contexte, dans divers « guide des bonnes pratiques ». Pour agir efficacement, autant que tenir un rôle professionnel, il faut toujours « donner de sa personne ». Et, pour nos interlocutrices, cette sotériologie populaire et ces morales religieuses incitant à une certaine sollicitude envers l’autre et qui se présentent avec l’autorité d’éléments hérités d’une « tradition » constituent des valeurs et des convictions en acte : des raisons d’agir incorporées et qui évitent aussi de céder à une certaine « fatigue de la compassion » [24].
30Ce terme de « vocation » permet ainsi aux sages-femmes, en évoquant des situations concrètes, de définir un ensemble de conceptions positives constituant leur éthique pratique. Cet ensemble de conduites devrait conjuguer deux principales vertus.
31Tout d’abord une certaine douceur envers les parturientes. « Si vraiment on aime ce qu’on fait, on doit aimer les femmes. Mais si tu n’aimes pas le travail que tu fais, tu ne vas pas pouvoir les aimer comme il faut. Une fois qu’on a vraiment la vocation de travailler au milieu des femmes, il n’y a pas de soucis. Mais quand on vient sans vocation, c’est très difficile de pouvoir travailler et être gentille avec les femmes. Mais il y a des gens à qui on a imposé d’être sage-femme. Ce sont elles qui font du “racket”. Souvent aussi quand on lève la main sur les femmes qui accouchent, c’est peut-être qu’on s’est énervé à la maison. On vient, on est de mauvaise humeur et souvent ça peut arriver et ça passe. Mais celles qui crient à tout moment c’est comme je vous l’ai dit, elles n’ont pas vraiment la vocation » (T. A., 42 ans, Burkina Faso).
32Ensuite, les sages-femmes soulignent l’importance d’une attitude respectueuse induisant une relation de confiance avec les parturientes. « Je dirais que le métier de sage-femme est un métier noble. On travaille avec les femmes, dans leur nudité et on doit garder le secret professionnel. C’est ça qui fait que la confiance se crée entre vous et les femmes. Si vous pouvez garder leur secret, elles vont en tout cas toujours venir. Ce n’est pas seulement côté santé mais souvent on va jusqu’au côté social. […] Et peut-être en trouvant une solution au problème social, on guérit son mal ; peut-être même sans médicament. Donc, je dirais que c’est un métier vraiment noble » (L. V., 50 ans, Burkina Faso).
33Par petites touches, toujours rattachées à des exemples concrets, les praticiennes dessinent ainsi les contours d’une éthique pratique endogène – une définition émique du care – distinguant, pour reprendre les termes de Hughes, les sages-femmes qui « travaillent sur » les parturientes et celles qui travaillent « avec » [25]. Et cette comparaison est effectuée depuis le plus prosaïque des gestes quotidiens, en soulignant les pratiques qui leur semblent positives et celles qu’elles désignent comme étant indignes de leur profession.
34Par ailleurs, cette idée de « vocation » rassemble aussi diverses façons de « tenir » – physiquement et psychologiquement – face aux difficultés ressenties dans leur pratique. « Je vais vous dire que le parcours de sage-femme là, c’est difficile. […] c’est un apostolat. Je me dis souvent que même si on meurt, on ira directement voir Dieu. On ne passera pas par le purgatoire parce qu’on s’échine trop. Mais le métier, si c’est sans vocation là, ça, ne peut pas aller » (S. G., 46 ans, Bénin).
Ce qu’il faut supporter pour être une « bonne sage-femme »
35Aux dires de nos interlocutrices, « s’échiner » c’est tout d’abord, lorsque ces sages-femmes d’origine citadine sont affectées en « brousse », supporter ce qui apparaît comme une certaine étrangeté des populations, des lieux et des coutumes. Et un seul exemple, parmi bien d’autres, exprime combien certaines différences dans les définitions locales et populaires de la prime enfance peuvent questionner ces professionnelles sur ce qui fait le cœur de leur métier. « J’ai pris mon courage à deux mains, je me suis dit bon j’ai choisi, c’est ma vocation, c’est ma carrière […]. Donc j’ai commencé par travailler, j’ai commencé par me faufiler parmi les gens, m’approcher d’eux. Même là-bas ils ont leurs totems, leurs coutumes, ils disent que quand l’enfant naît à huit mois, on doit le tuer. Que c’est un sorcier, […] donc à 8 mois, si tu accouches l’enfant, c’est un sorcier, on doit le tuer » (A. K., 40 ans, Bénin).
36« S’échiner » c’est ensuite supporter les difficultés liées à la précarité des centres de santé. Une jeune sage-femme béninoise souligne ainsi qu’à « P. il n’y avait pas beaucoup de matériel, il n’y avait pas d’électricité, j’accouchais les femmes avec la torche dans la bouche. Je mettais la torche dans la bouche pour centrer sur le périnée et faire accouchement dans l’obscurité. Dès fois je suis malade, on vient, je suis obligé de me lever. Des fois, je suis malade et je fais l’accouchement assise, et je tiens la tête de l’enfant, parce que si je ne le fais pas, qui va le faire ? » (S. D., 46 ans, Bénin).
37Par ailleurs, nos interlocutrices, comme au Burkina Faso cette sage-femme retraitée, sont unanimes pour évoquer un ensemble de douleurs physiques liées aux conditions et aux positions de travail. « J’avais mal à l’épaule […] parfois c’est les poignets, parce que parfois quand vous accouchez c’est là que vous sentez vraiment. Vous sentez vos épaules quand vous sortez le bébé. Si vous faites vraiment un bon dégagement, c’est les poignets et après vous avez des problèmes aux poignets et au dos, des douleurs lombaires, vous allez voir, la plupart des sages-femmes présente ces problèmes » (D. T., 64 ans).
38Il faut aussi, supporter tout un ensemble d’agressions sensorielles et ces dimensions sensibles, négligées par les « fiches de poste » officielles, sont essentielles. « On nous appelle des vidangeurs » dit une jeune sage-femme béninoise évoquant ainsi crûment les dimensions corporelles, souvent oubliées, et pourtant centrales dans les accouchements. « Pour les odeurs, aujourd’hui il y a l’eau de javel et quand la femme sort les selles, vous versez l’eau de javel et l’odeur s’arrête. Mais avant il n’y avait pas ça, c’était le crésyl et l’odeur mélangée aux excréments, vraiment c’était désagréable. Mais vous êtes obligée de supporter ça » (A. T., 42 ans, Burkina Faso). Et toutes évoquent « la salle d’accouchement, jours et nuits, il y a les odeurs, les cris, la chaleur et quand il y a les enfants mort-nés… ça sent assez fort ! Nous on rentre dans ces jambes écartées, c’est vraiment dégueulasse. […] avec le sang, avec l’odeur là […] ça pue, vraiment […] et avant que la tête ne sorte, elle va encore chier avant que la tête ne sorte… » (J. A., 42 ans, Bénin).
39« Un jour j’accouchais une femme pour un mort-né. La nuit j’ai déjà rompu la poche des eaux, mais quand je sortais le bébé elle a poussé ! Et cette eau-là dans laquelle le bébé macérait est sortie et c’est comme si on me l’avait versé sur mon corps. Elle a poussé et c’est sorti avec tout le liquide. Mais je ne pouvais pas la laisser. Je lui ai donné tous les soins qu’il faut, parce que c’est un mort-né, il faut sortir le bébé et il faut aller réviser l’utérus. J’ai fini avec elle, et je suis partie me laver » (A. V., 40 ans, Bénin).
40Dans tous nos entretiens s’enchaînent les mêmes séquences : faire les accouchements puis se laver. Nos interlocutrices sont unanimes à lier ces deux actions et à dire l’importance des douches. Certes, tout cela peut sembler bien banal, et il fait souvent chaud dans les salles d’accouchement. Mais comment ne pas penser que ce geste d’hygiène ne soit aussi une façon de se déprendre d’une souillure liée à cette crudité physique de l’accouchement, à une proximité de la sexualité et à un risque de contamination concrètement présent lors de chaque accouchement ? « Ce n’est pas pour rien, on a d’autres risques associés au travail, on reçoit des trucs dans la bouche, dans les yeux, on te chie dessus ! Depuis le HIV, le stress a augmenté et on a peur. On se pique, et nous dans notre centre, on ne nous donne pas assez de gants. Je me rappelle, j’ai eu trop peur, j’ai commencé à faire un accouchement quand une collègue m’a pincé pour me dire attention elle est séropositive. Sinon je voulais faire la délivrance sans gants. […] En salle d’accouchement, on a peur. Il y a une sage-femme, Mme A. qui a reçu du liquide amniotique dans l’œil, aujourd’hui elle a perdu un œil » (J. A., 42 ans, Bénin).
41Enfin, toutes nos interlocutrices évoquent les traumatismes que furent les décès de « leurs » parturientes. Elles témoignent ainsi de leurs émotions, et de leurs mémoires douloureuses construites par ces évènements qui « ne passent pas » et que souvent elles se reprochent. « C’était une femme, une peule de 14 ans. C’était dans le district de Fada. Elle a saigné après son accouchement. Pour appeler l’ambulance, j’ai démarré ma moto et j’ai fait 20 kilomètres. Mais l’ambulance venait de démarrer pour aller chercher une autre femme. […] Quand l’ambulance est arrivée et qu’on a pris la fille pour l’évacuer, elle avait rendu l’âme. Elle est décédée comme ça et a laissé son petit bébé. Elle avait 14 ans. C’est trop triste » (A. Z., 35 ans, Burkina Faso).
42Ces histoires de cas, singulièrement ressenties, témoignent aussi de la précarité d’un système de santé faisant que savoir ce qu’il faut faire n’est aucunement synonyme de pouvoir le faire. Et cette discordance entre les connaissances acquises et les actions concrètement réalisables est une des autres souffrances de ces praticiennes. « La plus grande souffrance de la sage-femme c’est de vouloir travailler et ne pas avoir de matériel pour faire son boulot. Par exemple, il y a des centres où même le gant c’est un problème ! La dame vient, elle est en train de saigner, tu sais que là maintenant tu dois faire une révision utérine, mais tu n’as pas le gant de révision, tu sais ce que tu dois faire mais tu ne peux pas faire, alors que c’est un geste qui peut sauver la dame. Tu vas dans des centres même pour faire le test d’urine ça pose problème… Donc notre souffrance c’est nous voulons bien faire, on connaît les normes, mais compte tenu du plateau technique et des conditions de travail, tu sais ce que tu dois faire mais tu ne peux rien faire » (A. L., 42 ans, Bénin).
Ce que les sages-femmes disent de leurs parcours professionnels
43Les parcours professionnels ne sont jamais uniquement professionnels. Ils sont inclus et ne sont qu’une partie des biographies complexes qui articulent – harmonieusement ou conflictuellement – des contraintes et des espoirs évalués et renégociés à chaque nouvelle étape où ces praticiennes sont confrontées à des choix. Comprendre les décisions de nos interlocutrices revient donc à analyser comment elles hiérarchisent leurs intérêts, négocient avec leurs divers partenaires familiaux et articulent ces divers « plans de vie » [16].
Les séparations, les enfants, les maris
44Aux dires de toutes, la plus grande difficulté est de rendre compatible les obligations du service avec celles de la vie familiale. Et en ce domaine, les difficultés sont multiples.
45En effet, aller « en brousse » signifie quitter sa famille et les conséquences de cet éloignement concernent l’identité sociale de la sage-femme et le plus intime de ses relations affectives. « Avec le redéploiement, il y a eu des cas de divorce. Il y a eu des collègues qui sont parties et avant leur retour, d’autres femmes avaient pris leur mari. Le mari ne pouvait pas rester seul. Il s’est remarié. Sur le plan matrimonial ça a créé beaucoup d’ennuis. Les femmes ne viennent faire qu’une semaine de temps en temps avec leur mari. Vous voyez ce qui se passe » (V. L., 52 ans, Bénin).
46D’autres difficultés concernent l’éducation des enfants. En effet, lorsque ces enfants sont petits, il est difficile de les scolariser, ou même, comme l’exprime parfaitement cette jeune sage-femme burkinabèe de construire une famille harmonieuse. « Mon enfant n’a pas fait la maternelle à l’âge prévu par manque d’école préscolaire. C’est à cinq ans qu’elle est allée directement à la grande section alors que si j’avais été en ville elle aurait pu commencer depuis la petite section et la moyenne section. Également je n’ai pas pu pratiquer correctement le planning familial. Il y a six ans d’écart entre ma première fille et la deuxième. Je comptais pratiquer un planning de trois ans. Mais quand j’ai été affectée en brousse, le premier avait trois ans et comme je n’avais pas de nourrice et que mon mari n’était pas à mes côtés pour m’aider à m’occuper d’eux, c’était difficile pour moi de prendre une grossesse » (A. S., 38 ans).
47Lorsque les enfants sont plus grands, les scolariser au village est perçu comme un risque scolaire. Il faut donc les laisser partir en ville et organiser un suivi scolaire que ces mères, comme cette sage-femme béninoise, assumaient personnellement avant leur affectation. « Donc avant de partir comme ce sont des scolarisés, j’ai pris des enseignements privés. J’ai pris un cousin et lui tous les soirs, il est là. Les enfants vont lui réciter leurs leçons. Il reste jusqu’à 21 h et ensuite, il rentre » (A. V., 32 ans).
48Les obligations professionnelles et les vies d’épouses sont donc, le plus souvent, contradictoires et les tensions familiales sont constantes. « J’ai d’abord été obligée de laisser l’enfant chez ma mère. L’année suivante, l’enfant m’a rejoint, mais il a refusé de rester au village parce qu’il n’y avait pas la lumière, pas la télé et qu’il estimait que le niveau d’étude au village était bas. Donc il est reparti. C’est compliqué pour la sage-femme de ne pas pouvoir vivre en famille. Mon mari ne pouvait pas travailler au village. Donc il devait quitter Cotonou. Il venait les vendredis. Il quittait Cotonou à 18 heures, c’est vers les 23 heures qu’il arrivait. […] Du village au goudron, ça coûtait 1 500 Cfa, et tu paies ensuite 3 500 Cfa pour atteindre Cotonou, et il fallait faire ça deux fois par mois ! Il fallait en plus payer la scolarité de l’enfant, payer la garde de l’enfant […] Il y avait tous ces coûts supplémentaires… » (S. G., 45 ans).
49En fait, femmes étant sages-femmes ces praticiennes sont mises dans une position de « double bind », de double lien contradictoire entre leur carrière et leur statut socio-affectif. Et elles ne peuvent tenir bien longtemps dans cette situation que les administrations reconnaissent implicitement comme étant socialement « irréalisable » puisque, très largement, les étudiantes en médecine, les médecins femmes et les infirmières lorsqu’elles ne sont pas mariées avec un soignant ou un fonctionnaire lui-même résident en « brousse » peuvent obtenir des dérogations et ne sont pas affectées en milieu rural. Les « dérogations » sont ici la marque de l’appropriation sociale des programmes aux réalités locales.
Les difficultés de la vie quotidienne
50Être en brousse peut cependant offrir quelques avantages. L’interconnaissance, une certaine notoriété « de proximité » et une reconnaissance du travail accompli se marquent souvent par des dons, notamment en nourriture. « Tout le monde se connaît dans la province et il y a une bonne entente entre toi et les habitants quand tu travailles bien. On t’offre des poulets, du maïs, du mil, des tomates et plein d’autres choses. En tout cas les habitants étaient très gentils » nous dit ainsi une sage-femme béninoise de 36 ans.
51Mais, travailler en brousse, c’est aussi y vivre, et affronter à chaque moment un milieu rural n’offrant pas le confort auxquelles elles sont habituées. « Nous n’avons pas d’eau. Tu dors avec les chauves-souris, […] pas d’électricité sauf au Centre de Santé où y avait un groupe qu’on allumait jusqu’à 21 h. Je portais mon seau comme toutes les autres femmes pour aller puiser l’eau » (A.T., 32 ans, Burkina Faso). « Il y avait un forage qui n’était pas de bonne qualité. Il y avait de la rouille dans l’eau. […] Il y a des serpents, des scorpions. Mon bébé a été piqué par un scorpion pendant que j’étais en train de travailler la nuit. […] Tu peux être en train de faire la consultation du nourrisson et puis un serpent se faufile entre vous. J’avais tellement peur que j’avais déchiré des morceaux de pagne pour boucher mes fenêtres » (D.K., 45 ans, Burkina Faso).
52À ces difficultés objectives s’ajoutent des croyances religieuses vécues comme angoissantes par ces urbaines transplantées en des milieux ruraux qu’elles imaginent, plus qu’elles ne connaissent. « La maternité se trouvait à environ 700 mètres de mon logement, et il y a les fétiches qui sortent la nuit. Et pourtant quand il y a une femme en travail, tu y vas, tu te couvres la tête pour ne pas voir. Et même s’il pleut tu rentres sous la pluie et c’est avec une lanterne qu’on traverse une brousse pour aller faire accoucher, c’était “risquant” et ce n’était pas facile » (A. T., 42 ans, Bénin). Le monde rural, dont très souvent elles ne comprennent pas la langue, reste opaque pour ces sages-femmes urbaines. « Il y avait un problème de langage. Parce que je suis arrivée dans un coin où les gens parlaient le Dagari et le Lobi. Alors que moi je ne comprenais que le Mooré et le français. Donc ce n’étais pas facile » dit ainsi une sage-femme du Burkina Faso (M. T., 47 ans).
53Laissons cette autre praticienne conclure : « Ce qui fait qu’on ne reste pas en brousse… On est loin de nos époux ; deuxièmement il y a le fait qu’on n’a pas l’habitude des villages. Il n’y a pas l’électricité, donc il n’y a pas de distraction, à part l’accouchement c’est fini. Il n’y a pas la télé, il n’y a rien pour se distraire. Il n’y a rien quand même pour attirer celle qui est en brousse et qui travaille » (T. A., 36 ans, Bénin).
54Ces catégories sensibles, difficilement quantifiables sont peu prises en compte dans les raisonnements sanitaires. Et pourtant, l’ennui – tous ces moments « vides » où les sages-femmes tentent de communiquer avec leurs téléphones portables – est une des causes déterminantes des conduites d’évitement du monde rural. « L’ennui est une faute vis-à-vis de soi et du don de la vie, […] pire qu’un échec, il fait passer à côté de la vie. L’ennui est une faute non pas dans l’ordre de la morale et du devoir, mais dans celui de l’être et de l’existence. Un gâchis, une chance perdue, une occasion manquée » [26].
La faiblesse des salaires, un sentiment d’injustice et les « petits arrangements »
55En regard de ces difficultés les salaires sont ressentis comme étant insuffisants. Et la comptabilité, ici encore, inclut des dimensions informelles et affectives.
56En effet, concernant le contexte rural, nos interlocutrices mettent en balance le fait que l’on dépense plus, puisqu’il faut se déplacer pour rejoindre sa famille, et que l’on gagne moins puisqu’on ne peut dégager les petites ressources provenant de la rente des perdiems des séminaires ou des diverses primes souvent disponibles dans les structures centrales de l’administration [27]. « En carburant, les distances sont longues, il y a des formations aussi où tu ne vas pas. Les unités téléphoniques, chaque jour tu paies. Tu es obligée d’appeler ta famille. Les problèmes sociaux ne finissent jamais. Tout ton argent va dans le transport et la communication. Sinon quand tu es sur place ou si le couple vit ensemble les dépenses sont minimisées » (E. S., 37 ans, Burkina Faso).
57Cet argumentaire pécuniaire est toujours présenté comme justifiant des pratiques illicites et comme étant à l’origine des « rançonnements » des parturientes et de leurs familles. « Les sages-femmes ne sont pas bien payées. On cherche à gagner plus parce que le salaire seul ne suffit pas. Et en cherchant à gagner plus, on se livre à des pratiques malsaines : la vente illicite, les rançonnements et autres. Mais ce n’est pas la seule manière pour gagner, on peut négocier les gardes ailleurs pour pouvoir avoir plus de sous, on peut faire du commerce. C’est ce qui amène certains à faire le rançonnement et à faire la vente illicite. C’est vrai » (A. T., 43 ans, Bénin).
58À ce sentiment de ne pas être rémunéré à sa juste valeur s’ajoutent diverses « pressions familiales », comme pour cette sage-femme béninoise évoquant les remarques de son fils lors d’un retour de garde. « Un mercredi, je suis arrivée de garde à 15 heures avec ma moto. Je traînais ma moto et mon fils était debout il me regardait. Je lui dis, tu ne peux pas venir me prendre la moto et me dire “bonne-arrivée maman” ? Il me regarde, il rit et il dit : c’est depuis hier matin que tu nous as quitté et chaque fois c’est comme ça, quand tu reviens, ton sac est vide […] tu fais tout ça et tu ne ramènes rien ! Pourquoi tu fais ça ? Et tu nous abandonnes pour les autres, le jour que tu vas tomber là, tu crois que tu vas trouver les autres ? » (A. T., 42 ans).
59À ces critiques familiales s’ajoute un sentiment de lassitude face à une mauvaise gestion « généralisée ». « L’État n’est-il pas conscient pour dire qu’il faut trouver de bon gestionnaire pour l’hôpital ? […] Normalement l’hôpital où nous travaillons doit compléter nos salaires ! Par jour je fais dix accouchements ou vingt accouchements. À la fin du mois, mon salaire est 35 000 Cfa. Alors que par jour moi je fais gagner au service au moins 50 000 Cfa ! » (A. V., 28 ans, Bénin).
60Ensuite, le salaire étant un « marqueur » des hiérarchies, les sages-femmes ressentent comme injustes les écarts entre leurs salaires et ceux de leurs collègues médecins : « Nous les sages-femmes on a une prime de risque qui est à 20 000 Cfa jusqu’à 40 000 Cfa selon les personnes, et les médecins sont à 100 000 Cfa, et pourtant, nous on court plus de risques qu’un médecin » (A.T., 45 ans, Bénin). Par ailleurs, outre ces liens souvent conflictuels entre les divers segments de la profession médicale, d’autres professions de « même niveau », semblent à la fois plus rentables et d’un exercice plus élégant. « J’ai une amie qui est à la BCEAO. […] On est sortie la même promotion de sage-femme […] elle m’appelle un jour, et me dit, quand est-ce qu’on aura de l’argent si on est en train d’essuyer les fesses tout le temps ? Moi je laisse tomber […] Aujourd’hui elle est patronne à la BCEAO ! On l’a affectée au Sénégal » (J. A., 42 ans, Bénin).
61Enfin, divers projets « de développement » disjoignent les revenus de la réalité du travail en incitant à mimer la qualité des soins plutôt qu’à la produire réellement, induisant ainsi, chez nombre de nos interlocutrices un sentiment de lassitude et d’écœurement. « Le “Financement Basé sur les Résultats” (FBR) c’est un programme ça ? Quand ça va prendre fin, il n’y aura pas de pérennisation, parce qu’ils ont amené l’argent pour acheter tes résultats ! […] Ça permet juste aux gens de voler les résultats et de ne pas faire réellement le travail avant d’avoir de l’argent. Les responsables eux-mêmes ils ont commencé à voler de l’argent. Ils viennent seulement au centre de santé et ils trient un dossier, ils voient les résultats et si c’est bon, ils cochent. Surtout si c’est bon et ils prennent de l’argent et les gens sont contents » (J. A., 42 ans, Bénin).
62Les phénomènes de « détournement » partout observés prennent sens dans ces formes de jugement, dans ces contextes sociotechniques qui contraignent les possibilités d’agir des acteurs et dans l’évaluation de ce que « justice » veut dire depuis leurs points de vue et dans leurs situations spécifiques [28].
63Ces propos modestes et ces dialogues prosaïques constituent un argumentaire incorporé, ancré dans les expériences professionnelles, les usages des positions de pouvoir et les impératifs des obligations sociales. Cet implicite partage et ces narrations sociographiques séparant le juste et l’injuste constituent ainsi la trame d’un système de justification des sages-femmes [29]. Et plus encore, ces propos dessinent les contours pratiques de véritables « sphères distributives » [30] distinguant les attitudes qui semblent légitimes aux sages-femmes d’adopter en fonction des personnes, des circonstances et des biens à distribuer.
Ce que les sages-femmes disent de leurs carrières
64Comme nous l’évoquions précédemment, en traitant des difficultés des sages-femmes à s’éloigner de leur foyer matrimonial, les relations de genre sont centrales dans les carrières de ces praticiennes. En toutes les circonstances, leur qualité d’être femme se conjugue, plus ou moins harmonieusement, avec leurs situations professionnelles.
Genres et pouvoirs
65Disons-le, tout d’abord, très simplement : être affectée en milieu rural c’est être une femme seule en milieu rural. Cette constatation peut sembler tautologique. Mais ce banal n’est pas sans importance puisqu’il dit au quotidien comment des asymétries de genres et des jeux de pouvoirs se manifestant concrètement dans diverses formes de harcèlements.
66Au plus simple, il peut s’agir de jeux de « séduction ». « Quand tu regardes à gauche, c’est l’infirmier que tu vois. Quand tu regardes à droite c’est l’instituteur que tu vois. […] Si tu vas seule, les hommes affluents comme des mouches. Quand moi je suis partie à P., le Responsable d’Unité de Production, c’est un vieux… il est venu me chercher, alors que je suis une jeune fille ! Je lui ai dit : tu as l’âge de mon papa ! Il est parti, il n’est plus revenu. Tu vois les trucs que tu n’aimes pas, voilà quand tu es seule, tu es vraiment toute seule » (C. T., 26 ans, Burkina Faso).
67Ces jeux de « séduction » peuvent correspondre à des sociabilités locales auxquelles les femmes, comme dans l’exemple précédent, savent répondre. Mais par paliers, en profitant des relations de pouvoir, ces « jeux » peuvent devenir des impositions. « Que ça soit le médecin chef ou les Directeurs Départementaux de la Santé, en tout cas les autorités, quand tu es dans un poste bien reculé, […] ils te ciblent. Si tu es jeune fille, tu vas les voir les défiler. Tout le monde passe et si tu refuses, alors on ne t’accorde aucun poste. Tu demandes une affectation, on te dit que c’est impossible, comme ça ils prennent celle qui leur plaît » (G. T., 41 ans, Bénin). « Comme j’ai refusé ses avances, on a refusé d’affecter mon mari à L. où j’étais » (S. L., 30 ans, Burkina Faso). Ces conduites et ces usages mêlant le désir et les abus des pouvoirs hiérarchiques sont constants.
68Par ailleurs, administrativement les sages-femmes se décrivent comme des sortes de « mineures sociales » dont l’affectation en ville dépend plus de critères matrimoniaux que de leurs qualités professionnelles. En effet, être mariée détermine les réponses accordées à leurs demandes de mutations, et pour une large part, les carrières et les affectations dépendent des statuts matrimoniaux plus que d’une évaluation des compétences techniques. « J’ai rencontré un pharmacien qui m’a marié. J’ai demandé pour la quatrième fois et comme mon mari était au Ministère, il a appuyé mon dossier et ça a marché. Voilà comment j’ai été affectée à Ouagadougou » (G. Z., 45 ans). « J’ai déposé une demande pour unité de couple pour pouvoir revenir » dit une autre sage-femme au Bénin.
69Outre le statut d’épouse, le statut de mère peut, lui aussi, être dérogatoire à une affectation en brousse. « Moi j’étais affectée dans la province de L. en 2010. Quand j’avais appris que je devais partir là-bas, ça n’a pas été facile. J’étais enceinte de 8 mois et demi. C’est arrivée là-bas que j’ai su que je n’étais pas à L. dans la ville, mais à 77 km et dans un lieu où les véhicules ne pouvaient venir. J’ai juste pris mon service pour bénéficier de mon congé maternité. Comme ça, je suis revenue tout de suite en ville à coté de mes parents pour accoucher » (R. T., 35 ans, Burkina Faso).
70Par ailleurs, d’autres sages-femmes décrivent les multiples arrangements qui discrètement, dans le bruissement du quotidien et les aléas des interactions, régissent les affectations. « À cause du problème de langue que je ne comprenais pas, j’ai dit à mon chef hiérarchique de m’affecter dans un autre poste. L’affectation est sortie et on m’a nommée là où la population me voulait comme sage-femme. Mais la sage-femme qui était en poste ne voulait pas quitter et je n’ai pas été affectée. Plus tard, une enquête a révélé qu’elle achetait beaucoup de médicaments qu’elle revendait discrètement avec ses matrones… » (A. D., 42 ans, Burkina Faso).
71Ces paroles ne sont que des conversations au raz du quotidien. De ce fait, elles pourraient être négligées au prétexte qu’elles relèvent de la large rubrique des anecdotes. Et pourtant, ces expériences d’apparence modeste, décrivent précisément, « par le bas » le référentiel concret des schémas abstraits de la santé publique. Elles montrent comment les jeux d’acteurs reconfigurent sans cesse l’apparente fonctionnalité des organigrammes et autres « pyramides sanitaires » supposées régir les personnels en fonction de critères et de rationalités démographiques et épidémiologiques. Elles disent ainsi pourquoi les décisions officielles et les cartes sanitaires ne sont souvent que de « papier ». En se combinant au gré de multiples stratégies singulières, ces situations vécues dessinent les contours d’une indispensable anthropologie des administrations « pour de vrai » [27].
Comment les sages-femmes expliquent leurs conduites lors de l’accouchement
72Les sages-femmes – et c’est évidemment ce qui définit leur fonction « officielle » – possèdent un savoir théorique et des compétences obstétricales. Mais, aider une parturiente à « donner vie » à un enfant ne peut aucunement se réduire à de simples procédures techniques. Les attitudes, souvent décrites comme violentes de ces praticiennes résultent des articulations complexes de diverses dimensions biologiques, socio-économiques et comportementales : un agencement spécifique de variables discontinues constituant les vulnérabilités des parturientes.
73Une nouvelle fois, pour comprendre comment se construit la qualité des soins dans les services de santé, nous avons choisi d’écouter les sages-femmes. Certes, leurs points de vue ne sont pas « objectifs » et ne peuvent subsumer l’ensemble des facteurs construisant les modalités des prises en charge des parturientes. Mais, ce sont leurs façons d’agir qui construisent ces situations et ne pas écouter ce qu’elles disent de leurs pratiques nous priverait d’une indispensable approche compréhensive de ce qui se déroule dans les maternités. Et, « depuis » leurs propos, trois dimensions constituant de véritables « catégories d’organisation contextuelle du comportement » [31] nous semblent ici essentielles et heuristiques des situations observées.
L’écoute des plaintes et la prise en charge de la douleur
74Bien que se côtoyant dans les services hospitaliers, les malades et les parturientes n’ont pas le même statut. Pour les soignants des services de médecine, la maladie est perçue comme une incapacité – le plus souvent involontaire – d’une durée plus ou moins longue. « On est atteint dans son “je peux”, et on l’est par le “je ne peux pas” » [32]. En revanche, pour nos interlocutrices, la grossesse – sauf si elle est involontaire – est toujours perçue comme la réalisation de l’identité de la femme. Être enceinte se présente donc, à l’inverse de la maladie, comme un « je peux » quasi ontologique : l’accouchement réalise l’être féminin.
75C’est pourquoi l’attitude des sages-femmes est ici complexe et nuancée.
76Elles savent et soulignent l’intensité des douleurs de l’accouchement qu’elles connaissent par l’observation des accouchements ou par l’expérience de leurs propres accouchements. « Pour l’accouchement, il faut le vivre pour comprendre. C’est une douleur qu’on ne peut ni décrire ni expliquer. Moi lors de mon travail d’accouchement, je me disais que je n’allais plus tomber enceinte tellement j’avais mal ! Mais, une fois descendue de la table, j’ai oublié tout ce qui c’était passé en voyant mon joli bébé, tellement nous étions contents avec mon mari. L’accouchement, c’est une joie, une tristesse et une douleur, le tout mélangé » (K. T., 38 ans, Burkina Faso).
77Elles savent donc la douleur. Cependant, comme cela fut aussi le cas en France jusque dans les années 1970 où intervinrent divers mouvements pour « une naissance sans violence » [33, 34], cette douleur est diversement interprétée et ces sémantiques sociales influent sur les conduites des praticiennes.
78C’est ainsi que, outre le fait que dans de nombreuses populations du Sahel, il est inconvenant de gémir pendant son accouchement [4], nos interlocutrices ne reconnaissent pas toutes les plaintes des parturientes – y compris les leurs lorsqu’elles accouchent – comme étant « légitimes ». Après tout, comme nous le soulignions précédemment, c’est être femme que de souffrir et il ne s’agit, lors de l’accouchement, que de ce que l’on nommait autrefois en Europe un « Mal Joli », supposé être consubstantiel à l’identité féminine [35]. La douleur que l’on suppose, de plus, vite oubliée, se présente comme le « prix naturel » à payer pour devenir mère et « femme accomplie ».
79« C’est une douleur qui passe. C’est une douleur qu’on accepte avec joie parce que cette douleur est toujours couronnée d’un bébé. Et les femmes après elles sourient et sont très contentes d’avoir leur bébé. Tu vas te marier et tu diras que tu as besoin d’un enfant. Tu seras en tout cas très contente de venir vers cette douleur-là. Besoin d’un enfant, ça veut dire que déjà tu acceptes cette douleur d’enfanter » (A. Z., 25 ans, Burkina Faso).
80Au fil de leurs propos, les sages-femmes caractérisent les souffrances des parturientes selon trois critères : oubli rapide de la douleur, consolation par le bonheur de la naissance, et réalisation de son identité de femme. Cet argumentaire en trois points constitue le socle interprétatif à partir duquel elles jugent ce que sont des plaintes acceptables et des conduites professionnelles adaptées pour y répondre [36].
81« Quand elles veulent accoucher certaines crient trop ! Ça complique le travail de l’accouchement, il y a des femmes qui crient hein ! Tu vas croire qu’elles ont une sirène de police dans la gorge. Non seulement elles indisposent les femmes qui veulent accoucher et toi la sage-femme et tout l’entourage, […] Quand c’est comme ça, tu la réprimandes un peu et à la fin de l’accouchement, tu dois faire la paix avec elle sur la table avant qu’elle ne descende… » (A. T. 43 ans, Bénin). « Quand le moment de l’expulsion est arrivé, la femme doit faire un effort. Une femme qui est en phase finale et doit pousser pour faire sortir le bébé. En tant que sage-femme, tu es obligée d’élever le ton pour aider la femme à faire sortir l’enfant. C’est une période de sacrifice. La femme doit s’oublier complètement pour pouvoir pousser et faire sortir l’enfant. Et pendant cette période, quand tu vois une femme qui est là et qui ne veut pas faire d’effort et quand tu vois un enfant qui souffre et que la femme ne veut pas pousser et faire sortir, ça fait très mal. Généralement quand c’est comme ça, on va crier. Ça m’a même un jour emmené à crier sur une femme parce qu’elle ne poussait pas et l’enfant souffrait. Il y en a qui se laissent aller à la douleur. Elles trouvent que c’est compliqué et ne participent pas » (K. T., 38 ans, Burkina Faso).
82Ces quelques verbatims énonçant les devoirs des parturientes – « la femme doit s’oublier », « doit pousser… » – ou, à l’inverse, de nombreux qualificatifs désignant les femmes qui ne se conforment pas aux conduites socialement attendues durant l’accouchement – « capricieuses », « femmes pas faciles », « paresseuses » – démontrent combien le travail de l’accouchement est aussi considéré, par les professionnelles, comme un travail moral.
83Ce lexique mêlant des critères médicaux et une sorte d’obligation comportementale, construit le système d’évaluation des conduites des parturientes par les sages-femmes. Et ces catégorisations ordinaires et ces jugements sur les conduites des parturientes – d’autant plus rédhibitoires qu’en usant d’un implicite partagé ils ne peuvent être discutés – peuvent disqualifier certaines femmes, et « motiver » des interactions violentes avec les parturientes.
84Bien sûr, il s’agit d’un dispositif complexe. Rien n’est ici « monofactoriel » et cette sémantique dépréciative est modulée en fonction du statut des clientes. Plus la proximité sociale est grande, ou plus l’intérêt pécuniaire est important et moins les termes disqualifiant des conduites seront utilisés. Mais ce codage sociotechnique des attitudes des parturientes construit l’espace moral de référence des sages-femmes – leur système de réception des plaintes – et explique largement les conduites de ces professionnelles et les modalités de leurs interactions avec les parturientes.
Le langage des sages-femmes et les interactions avec les parturientes
85Outre ces dimensions techniques, tout service médical est aussi un lieu d’échanges langagiers. De façon très différentes, les personnels parlent d’eux-mêmes, parlent entre eux et s’adressent aux patientes. Des informations techniques sont transmises ou pas, des conseils sont donnés, des disputes éclatent et parfois des insultes sont proférées. Par ailleurs une large partie de ces interactions s’effectue dans les langues locales faisant de tous les services de santé africains des lieux complexes de traduction et de constant code switching entre des langues supports de codes techniques et des idiomes populaires.
86Cette sociolinguistique complexe – segmentant les informations, les « secrets médicaux » et les implicites au grès des interlocuteurs, usant de codes techniques ou de langages familiers, mêlant les paroles d’espoir et l’énoncé des résultats d’examen – concerne l’ensemble des services de santé. Mais, la spécificité des services d’obstétrique est que ces interactions langagières concernent et mêlent de façon complexe les domaines de la fécondité, de la sexualité et du désir.
87Comme le soulignait Byron Good, « les études de médecine définissent un monde » [37] et l’apprentissage de la maïeutique et de la reproduction humaine, loin de se limiter à l’acquisition de compétences techniques, construit aussi le plus intime des vies de nos interlocutrices. Ces façons de dire, qui sont de véritables actions langagières, configurent les attitudes et les interactions entre les sages-femmes et leurs milieux d’appartenance. « Quand je suis allée à l’école de sage-femme, j’ai commencé à parler à mon mari de vagin, de planning familial, du pénis et tout ça… Je lui ai dit, il faut qu’on parle du sexe, de notre manière de faire l’amour. Pour lui c’était choquant. Il m’a dit mais toi tu sors d’où ? Vous les sages-femmes-là, je vous connais. L’école t’a transformée, tu es trop gâtée… Mais c’est aussi à son bénéfice ! » (A. D., 32 ans, Bénin). « Pour nous le sexe n’est plus un sujet tabou, on dit que nous sommes perverses. Dans la conversation entre nous agents, nous causons du sexe comme si ce n’est pas quelque chose qui est caché. Parler du sexe ne nous dit plus rien. Je peux par exemple marcher nue devant mon mari ou dans notre chambre. Je le fais sans gêne. Il n’y a plus de honte, on ne se gêne plus. On peut parler facilement du sexe avec les enfants » (A. J., 43 ans, Burkina Faso).
88S’occupant de gynécologie et de ce fait, comme toutes le disent, « travaillant là où les autres s’amusent », les sages-femmes sont contraintes de déroger aux codes habituels de la honte et de la bienséance. L’écart normatif étant franchi, il reste à ces praticiennes à affirmer leur marginalité dans leurs manières et leurs langages comme, pour ne prendre qu’un exemple, en chantant et reprenant en cœur cette chanson enregistrée dans une maternité de Cotonou.
90Ce registre lexical transgressif, caractéristique de ce groupe et qui parallèlement en construit l’homogénéité, est aussi celui qui, par habitude et proximité, est aussi utilisé avec les parturientes. « La profession nous change. Si une femme est devant moi comme ça, […] Je dis : “ah et le zizi”,”le zizi et le papa il aime ça !!!” Et dans les salles d’accouchement, c’est pareil vous dites : “ouvres les cuisses, ton vagin est rasé, ton sexe est rasé, est-ce que ton mari aime le sexe bien rasé”, ces genres de choses » (A. J., 43 ans, Bénin).
91Cet idiolecte professionnel, banal aux yeux des praticiennes, est contraire aux façons de dire des parturientes usant largement d’euphémismes pudiques pour désigner leurs corps.
92Globalement, ces discordances de codes pour parler du sexe, rendent les dialogues difficiles [38]. Mais, plus encore, les constants glissements entre ce qui relève de la stricte prise en charge obstétricale de la fécondité vers l’évocation des conduites sexuelles et l’intimité du désir, font dériver ces interlocutions qui devraient rester « médicales » vers des moqueries ou des remontrances normatives et parfois dépréciatives. On dit ainsi après l’accouchement, « “je vais bien arranger ton sexe pour ton mari, ou tu ne veux pas que j’arrange ça pour ton mari”. S’il y a une déchirure périnéale, si j’ai fait une épisiotomie et que je lui ai réparée, je vais lui dire tu t’es déchirée ! Il faut que je te couse et te fasse un sexe étroit de jeune fille, ou bien tu veux qu’après l’accouchement ton sexe soit grand ouvert comme ça ? » (D. T., 39 ans, Bénin). Le geste médical n’est évoqué que sous les aspects du désir sexuel.
93Par ailleurs, cette façon de dire prend place dans un ensemble d’actes de parole et d’interactions asymétriques empruntant leur forme à des registres de langage que l’on utilise communément entre aînés et cadets, parents et enfants ou maîtres et domestiques. Et d’une certaine manière, les professionnelles calquent leurs conduites sur ces relations habituelles où « la démesure corporelle et langagière de ceux qui détiennent l’autorité est très forte » [39], et s’accordent le droit de parler avec violence à celles qui, parce qu’elles sont en position de faiblesse « médicale », sont assimilées à celles étant statutairement en situation de dominées.
94Les insultes – ou ce qui peut être ressenti comme tel – souvent décrites dans les services obstétricaux résultent de ces divergences de codes lexicaux entraînant une honte sociale et des abus de langage que l’on s’autorise au nom des asymétries de situations. Mais ces pratiques langagières dévoilent aussi une instabilité des sages-femmes quant à leur statut professionnel. Passer du neutre d’un langage médical vers un lexique sexuellement connoté, dépositaire de normes sociales et affectives populaires, souligne combien les sages-femmes peinent à distinguer une neutralité axiologique support de l’éthique médicale et des jugements de valeur sur la sexualité appartenant à la sphère commune des opinions.
Les violences faites aux parturientes
95Outre cette rudesse des paroles, d’autres violences sont physiques. Paradoxalement, loin de les dissimuler, nos interlocutrices en parlent volontiers, les justifiant socialement et professionnellement.
96Au plus immédiat, les sages-femmes expliquent l’ordinaire de leurs conduites, par leur « fatigue ». Un terme vague leur permettant d’évoquer une certaine lassitude : une sorte de burn out à « bas bruit », constant et qu’elles décrivent comme étant structurellement lié aux conditions d’exercice de leur métier. « Tu travailles à la chaîne, tu peux faire 40 accouchements de 8 heures à 20 heures sans te reposer et sans manger. Tu fais des va et vient entre le bloc et salle d’accouchement. Vous n’avez même pas un lieu pour boire de l’eau, pas d’endroit pour vous soulager correctement ! Tu sors le bébé ici, tu sors le bébé là, c’est aussi toi seule qui est au secrétariat » (A. H., 46 ans, Bénin). Certes, toutes les journées ne se déroulent pas ainsi. Mais le temps de travail des sages-femmes est spécifique. Il est « arythmique », oscillant entre des attentes indéfinies et des sortes d’obligations urgentes, et cette incertitude sur « ce qui va se passer » est « usante ».
97Outre qu’elle soit un facteur de risque pour les parturientes, cette désorganisation massive et constante des prises en charge construisant l’espace de soin comme continument conflictuel, érode l’estime de soi et le vouloir des professionnelles. « Quand tu viens comme ça, tu ne sais plus qui est qui dans la salle. C’est tellement bourré que tu as envie des fois de rentrer t’enfermer en salle de garde et t’asseoir. Dès que tu sors seulement des fois on t’engueule. Moi je me rappelle qu’il y a un monsieur qui m’a engueulée parce qu’il ne retrouvait plus le carnet de sa femme ». (T. T., 48 ans, Burkina Faso).
98Et toutes nos interlocutrices insistent sur la façon dont le laxisme, l’usage abusif de la hiérarchie et un manque de reconnaissance du travail accompli construisent leur métier comme un « sale boulot » [25]. « Il y a des moments où quelqu’un est en difficulté comme ça et on appelle le médecin de garde et il ne vient même pas ! Et s’il y a une erreur, ils ne vont rien reprocher au médecin et ils vont plutôt s’attaquer à la sage-femme » (A. T., 59 ans, Burkina Faso). L’écart entre l’urgence des demandes et le peu de réponse de la hiérarchie médicale génère un sentiment de mal être individuel et de ressentiment envers l’institution sanitaire.
99Ces régimes de subjectivité mêlant intiment le politique et le psychologique et constituent l’ordinaire des services. Et c’est sur cette trame, liant des dimensions sociotechniques et des configurations sensibles que vont prendre place de façon spécifique des interactions de violence des sages-femmes envers les parturientes.
100Au moment de l’accouchement, comme le disent ces professionnelles : « elles ont deux vies en charge ». Et unanimement nos interlocutrices, comme d’autres notamment en Guinée [8], s’accordent pour lier l’exercice d’une certaine violence au moment de l’expulsion. Lorsqu’à la douleur des parturientes répond l’intensité de leur propre stress. « Mais les violences que nous on fait parfois, c’est au moment où on voit que la tête de l’enfant est déjà à la grande circonférence. Si en ce moment la femme ne coopère plus et ne veut pas ouvrir ses cuisses, ça là, aucune sage-femme ne se maîtrise en ce moment, parce qu’elle se dit : “ah tu veux me créer des ennuis”. Tu vas crier sur la femme, tu vas la forcer à écarter ses jambes pour que toi tu aboutisses à ton but. Le but c’est de prendre l’enfant. Ça la toutes les sages-femmes le font sans même se rendre compte qu’elles font quelque chose et ça passe. Mais on ne violente pas pour le plaisir, mais on force, on veut prendre notre enfant. Parce que moi j’ai une responsabilité, quand ton enfant va mourir, non seulement tu vas m’en vouloir, et moi j’aurai des problèmes dans l’administration » (D. C., 36 ans, Bénin). « Une parturiente en travail qui refuse de pousser pour expulser le bébé, la sage-femme est obligée de crier voire même la taper pour qu’elle obéisse, pousser le bébé sinon cette dernière va accoucher un mort-né. Il faut souvent comprendre que la sage-femme veut sauver des vies à travers ces violences » (A. Z., 48 ans, Burkina Faso).
101Pour les sages-femmes, ces gestes violents ayant à leurs yeux fonction de protéger les enfants et les parturientes sont donc explicables par le risque encouru, et peuvent être même être légitimés par un enseignement se faisant l’écho de ces pratiques « empiriques ». « En deuxième année, notre professeur de pansement nous a raconté une histoire qu’il a vécue quand il était élève infirmier en formation. “Un jour, une femme est venue à la maternité pour accoucher. Et lors de l’expulsion, elle a refusé de pousser. Alors qu’elle était à dilatation complète et la tête du fœtus était à la vulve. Donc comme elle n’écoutait personne, la sage-femme lui a donné une gifle sur la joue et en même temps le fœtus est sorti » (A. T., 29 ans, Burkina Faso).
102En fait, pour nos interlocutrices, le moment obstétrical est assimilé à l’ensemble des situations où le soin oblige et autorise à une certaine suspension des conduites habituelles, à une « cécité empathique provisoire » [40] permettant d’agir pour le « bien » du patient en négligeant provisoirement ses demandes et ses souffrances.
103La position, elle-même, de l’accouchement qui ne peut que très rarement être négocié par la parturiente, même si elle peut être justifiée par des raisons médicales, reflète ce droit médical à « décider du bien d’autrui » et est une inscription gestuelle d’une relation de pouvoir asymétrique lors de l’accouchement [41].
104C’est ainsi, conjugué à l’ensemble des dimensions de pouvoir précédemment évoquées, que ce droit d’exemption aux normes communes peut devenir une « habitude comportementale ». « Pendant l’accouchement, si une femme ne pousse pas bien, on peut la taper facilement ! Il y a des sages-femmes qui prennent des bâtons pour taper les femmes sur la table, il y a des sages-femmes qui peuvent laisser la femme sur la table et elle va tomber. Donc il y a plusieurs formes de violence ! » (J. K., 39 ans, Bénin).
Discussion : Sémantiques sociales, logiques d’acteurs, implémentation des programmes et qualité des soins obstétricaux
105Bien qu’effectuée sans concertation, notre étude s’accorde avec les vastes données de l’enquête internationale réalisée auprès de 2 470 sages-femmes, où ces praticiennes évoquent un ensemble de difficultés – situations professionnelles, jeux des hiérarchies, questions de genre, faiblesse des salaires, sentiment d’isolement – entravant la qualité de leur travail et l’offre de soins en maternité. Ce rapport souligne aussi combien il serait illusoire d’espérer améliorer la disponibilité, la qualité et la répartition sur le territoire des personnels en charge des soins obstétricaux et néonatals sans écouter ces professionnelles quant à leurs choix et leurs contraintes [42].
106C’est ce que nous avons fait. Nous avons pour cela adopté une posture méthodologique « ouvrant » les questions à l’ensemble des thématiques que souhaitaient aborder nos interlocutrices et avons réduit l’échelle d’observation, afin de passer d’une désignation globale de causalités toujours un peu abstraites et correspondant trop souvent à des séries d’attendus implicites, à une réflexion locale sur les raisons d’agir des acteurs. Ce travail qualitatif nous a ainsi permis d’analyser les motifs des conduites des sages-femmes et d’étudier comment les politiques de santé s’inscrivent concrètement dans les corps et les histoires singulières de ces professionnelles.
107« Privilégier l’expérience des acteurs en reconstruisant autour d’elle le contexte (ou plutôt les contextes) qui lui donne sens et forme » [43] est essentiel si l’on souhaite implémenter les programmes dans les services, véritablement dialoguer avec les professionnelles et initier des réformes concrètes « par le bas » [44-46].
108Cette variation dans l’échelle d’analyse et l’écoute de nos interlocutrices nous permet d’orienter la réflexion vers trois domaines de recherche et d’action qui tous incitent à mieux articuler des politiques de santé publique et des sémantiques sociales.
109Tout d’abord, l’ensemble des sages-femmes souligne ses difficultés à vivre et à exercer en milieu rural. Les obligations liées au genre, et le fait que l’accès à un statut matrimonial reste déterminant pour acquérir un statut social et réduire les incertitudes socio-économiques, apparaissent comme étant contradictoires avec ces affectations. Cette persistance des contradictions sociales et professionnelles liées au genre incite à explorer diverses façons d’étendre l’offre de soin en accompagnant le mouvement démographique des populations rurales vers les villes et le développement concomitant des villes de « moyenne importance » [47] et en organisant la rencontre, en des lieux « médians » entre les populations rurales et ces agents de santé. Par ailleurs, il est indispensable de permettre à divers praticiens de santé (infirmiers, médecins) d’acquérir des compétences dans le domaine obstétrical [48].
110Globalement, sans doute, faut-il ici inverser le regard. Ce ne sont pas ici les sages-femmes qui sont « le problème », mais les programmes de développement sanitaire qui, méconnaissant les réalités locales, proposent des objectifs « hors contexte », difficilement compatibles avec les réalités locales. L’action doit être pensée depuis « le bas » et non selon des schémas virtuels.
111Concernant la qualité des soins, les propos de nos interlocutrices nous interrogent de deux autres façons.
112Tout d’abord, les sages-femmes évoquent dans leurs propos et montrent par leurs conduites combien l’accouchement est un événement « polysémique » conjoignant des savoirs obstétricaux sur la fécondité, des normes morales quant à la sexualité et les façons d’accoucher et les jeux complexes d’un désir qui ne s’évoque que « clandestinement » par le rire, ou des comportements ne correspondant aucunement aux procédures officielles.
113Ces trois dimensions – obstétricales, sexuelles et sensuelles – liées au fait que l’accouchement est à la fois un acte médical et social et affectif, se croisent diversement dans les pratiques des sages-femmes.
114Par exemple, les sages-femmes évaluent largement les conduites des parturientes et leur légitimité selon des normes morales – ne pas se plaindre, ne pas trop gémir, être capable de « pousser » – tout autant, et sans doute bien plus, que selon de stricts préceptes obstétricaux. De même, certains actes « techniques » sont « détournés » de leurs buts médicaux par des demandes liées au désir et à la séduction : césarienne pour ne pas agrandir la filière vaginale, sutures plus ou moins étroites après une épisiotomie [49] ou périnéorraphie pour adapter la taille du vagin à celle du sexe du partenaire [50].
115Ces jeux complexes et les multiples recouvrements de ces dimensions médicales, morales et socio-affectives sous-tendent les conduites des sages-femmes. C’est pourquoi, il est essentiel d’analyser ce travail émotionnel [51] afin de leur permettre de distinguer entre ce qui relève de pratiques professionnelles obstétricales et d’une déontologie impliquant une certaine neutralité axiologique et ce qui, implicitement, appartient à un ensemble de jugements de valeurs rattachées aux mondes sociaux ordinaires.
116Enfin, la violence envers les femmes est justifiée, par les sages-femmes, par le risque perçu, et s’exerce principalement lors de la phase de l’expulsion du nouveau-né. Certes cette violence est exercée diversement par les praticiennes selon le statut des parturientes et globalement en abusant d’une position de pouvoir. Mais ce « corps à corps » s’explique aussi par ces dysfonctionnements des interactions, entre une parturiente « envahie » par la souffrance et une professionnelle « envahie » par le stress.
117Cette situation doit être « anticipée » pour que, dans ces moments « où la femme s’oublie », la soignante puisse continuer à guider la parturiente par la parole plutôt que dans une sorte de panique gestuelle réciproque. Une réflexion sur des préparations à l’accouchement, ou d’autres anticipations de cet acmé corporel, est ici essentielle.
118Certes, d’autres dimensions économiques, administratives et techniques structurent les services de santé [52]. Mais, ces sémantiques sociales construisent les interfaces entre les propositions des programmes de santé et les réponses des professionnel(le)s supposé(e)s les mettre en œuvre. C’est pourquoi, si l’on veut agir avec les professionnelles, ces logiques comportementales doivent abordées par des méthodes réflexives lors de formations initiales ou permanentes dans les services.
119Cette reconstitution des parcours de vie des sages-femmes, de leurs expériences des accouchements, des enchevêtrements conflictuels de leurs contextes de vies sociales et professionnelles et des façons dont ces acteurs négocient entre ces multiples contraintes, est indispensable pour implémenter le global des priorités sanitaires dans le local des actions réalisées.
120Aucun conflit d’intérêt déclaré
Remerciements
Ahouangonou Salomé, Zannou Marie-Ange, Lawani Jeanine et Arcens-Some Marie-Thérèse sont remerciées pour leur participation aux enquêtes avec Yannick Jaffré.Nous remercions également Hélène Kane et Luc de Bernis pour leurs suggestions et la lecture critique qu’ils ont bien voulu faire de ce texte.
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Mots-clés éditeurs : qualité des soins obstétricaux, implémentation, anthropologie, Afrique de l’Ouest
Mise en ligne 30/07/2018
https://doi.org/10.3917/spub.180.0151Notes
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Par exemple, de 2010 à 2015, bien qu’inférieurs aux budgets alloués à la lutte contre le VIH ou pour les vaccinations, plus de 95 millions d’euros ont été investis par la France via le Fonds français MUSKOKA pour soutenir le travail conjoint de l’OMS, l’UNICEF, UNFPA et l’ONU Femmes, en vue de renforcer les systèmes de santé au Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Niger, République Démocratique du Congo, Sénégal, Tchad, Togo et Haïti. – [http://wcaro.unfpa.org/fr/news/mortalité-maternelle-et-infantile-en-afrique-une-réduction-notable-mais-trop-lente]
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