Introduction
1 La lutte contre l’iatrogénie médicamenteuse en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), avec ses conséquences humaines et économiques, constitue un enjeu de santé publique pour les agences régionales de santé (ARS). En effet, les EHPAD sont quotidiennement confrontés au risque d’iatrogénie médicamenteuse compte tenu de la poly-pathologie, l’âge avancé et le niveau de dépendance des résidents [1]. Or, l’iatrogénie médicamenteuse peut entraîner des complications cliniques voire des hospitalisations. Ces complications peuvent accélérer le déclin fonctionnel et cognitif des résidents et engendrer une perte d’autonomie.
2 Une part de cette iatrogénie résulte d’erreurs médicamenteuses qui sont, par définition, évitables. Ces erreurs médicamenteuses peuvent être liées à des défauts d’organisation des étapes de la prise en charge médicamenteuse (PECM) et à des prescriptions inappropriées ou insuffisamment réévaluées. L’iatrogénie est donc un sujet complexe, et peut être prévenue par la mise en place d’actions parfois simples et pragmatiques.
3 La sécurisation de la PECM en EHPAD apparaît ainsi comme un enjeu important pour améliorer la qualité et l’efficience du système de santé. Le ministère de la santé [2], les agences nationales (Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et Haute Autorité de santé (HAS)) [3-5], certaines agences régionales de santé [6-7], l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF) [8] ont, à cet égard, publié des référentiels et documents opérationnels sur la PECM des personnes âgées. Dans le cadre de la politique régionale du médicament, l’ARS Île-de-France (IDF) s’est engagée dans une démarche d’amélioration globale de la PECM en EHPAD.
4 L’ARS IDF a souhaité réaliser un état des lieux afin de disposer de données précises concernant les pratiques et l’organisation de la prise en charge médicamenteuse dans les EHPAD de sa région. L’objectif secondaire de l’enquête était d’identifier des axes d’amélioration en vue d’établir un plan d’actions régional à l’attention des EHPAD d’Île-de-France.
Méthodes
5 L’état des lieux effectué entre mars et juin 2014, via un questionnaire en ligne, auprès de l’ensemble des établissements de la région portait sur l’ensemble du processus de prise en charge médicamenteuse.
6 Une analyse de la représentativité des établissements ayant répondu au questionnaire par rapport à l’ensemble des EHPAD de la région a été réalisée sur les principales caractéristiques des établissements : statut juridique de l’établissement, présence d’une pharmacie à usage intérieur (PUI), département (localisation), capacité de l’établissement, niveau de dépendance des résidents. La similitude des caractéristiques des EHPAD interrogés avec celles de l’ensemble des EHPAD de la région a évité un redressement statistique des données recueillies.
7 Dans un premier temps, une analyse descriptive de chaque étape de la PECM a été réalisée. Puis, une analyse comparative a été effectuée entre les différents sous-groupes d’établissements :
- Selon le statut juridique de l’EHPAD : privé lucratif, privé non lucratif, public hospitalier, public non hospitalier.
- Selon la capacité de l’établissement : ≤ 70 lits ; 70-80 ; 80-90 ; > 90 lits.
- Selon le niveau de dépendance des résidents, GMP (Groupe iso-ressources Moyen Pondéré) : ≤ 700 ; 700-750 ; 750-800 ; > 800.
- Selon la présence ou non d’une PUI.
8 Les variables qualitatives ont été comparées au moyen de tests statistiques classiques : test du Chi2 de Pearson (ou correction de continuité de Yates si les effectifs théoriques calculés étaient inférieurs à 5) et les variables quantitatives au moyen de test de Student ou de Fisher. Un seuil de significativité de 5 % a été adopté pour l’ensemble des analyses statistiques.
9 L’analyse statistique a été conduite avec le logiciel SAS® version 9.3 (North Carolina, USA).
10 Les données déclaratives ont été confrontées à la réalité du terrain via des visites sur site entre novembre 2014 et février 2015. En effet, des entretiens qualitatifs semi-directifs auprès des professionnels (médecin coordonnateur, infirmier coordonnateur, directeur, pharmacien) de 15 EHPAD ont été réalisés. Les EHPAD interrogés avaient tous répondu au questionnaire et ont été choisis afin de disposer d’une diversité de profils, sans soucis de représentativité.
Résultats
11 Plus de 70 % des EHPAD (473/670) ont répondu à l’enquête en ligne, constituant un échantillon représentatif de l’ensemble des établissements de la région.
Caractéristiques des EHPAD répondeurs
12 Les tableaux I et II présentent les caractéristiques des établissements : 47 % sont des établissements privés à but lucratif (N = 221), 33 % des établissements privés à but non lucratif (N = 154), 8 % des établissements hospitaliers (N = 36) et 12 % des établissements publics non hospitaliers (N = 62), soit près de 80 % d’établissements privés et 20 % d’établissements publics.
Principales caractéristiques des établissements selon leur statut juridique a
Principales caractéristiques des établissements selon leur statut juridique a
a. À la date de validation de la coupe PATHOS.Effectifs et taux d’encadrement dans les établissements
Effectifs et taux d’encadrement dans les établissements
13 Les établissements ont une capacité moyenne de 89,5 résidents (+/– 47,2). Globalement, les EHPAD publics non hospitaliers accueillent des personnes ayant un niveau de dépendance plus important que les EHPAD privés à but lucratif (Groupes iso-ressources moyens pondérés – GMP-respectifs : 743 vs 711 ; p = 0,003) et des besoins en soins supérieurs (PATHOS moyen pondérés – PMP – moyens respectifs 206 vs 188,2 ; p = 0,0016). Les établissements publics hospitaliers ont des résidents plus jeunes et plus dépendants que les établissements privés.
14 Parmi les répondants, 15 % des EHPAD ont une pharmacie à usage intérieur (PUI). Il s’agit principalement d’établissements publics hospitaliers.
15 Près de 90 % des EHPAD travaillent en collaboration avec des établissements de santé, dans le cadre d’une filière gériatrique pour 78 % d’entre eux (principalement les établissements publics hospitaliers).
16 Le médecin coordonnateur est présent en moyenne à mi-temps. La présence de médecins salariés (0,13 équivalent temps plein – ETP – en moyenne) a été identifiée dans 16 % des établissements, principalement dans les établissements publics hospitaliers. Un tiers des établissements font intervenir plus de 15 médecins libéraux par an. Le nombre médian de médecins libéraux varie selon le statut des établissements et est plus élevé dans les établissements privés (12) que dans les établissements publics (2) (p < 0,0001).
17 Les taux d’encadrement des résidents par des soignants sont de 0,27 équivalent temps plein/résident pour les établissements privés non lucratifs, de 0,29 pour les privés lucratifs, 0,37 pour les publics hospitaliers et 0,32 pour les publics non hospitaliers. Le recours à des infirmiers de nuit a été observé dans 15 % des établissements (tableaux I et II).
Organisation de la prise en charge médicamenteuse
18 Prescription : 87 % des établissements ont un logiciel de prescription et 25 % déclarent l’utiliser systématiquement. Les principaux logiciels de prescription utilisés sont PSI®, Netsoins®, Medicor®, Titan®, Easy-soins® et Osiris®. Plus de 36 % des établissements déclarent retranscrire la prescription médicale (toujours ou souvent) au cours d’une ou plusieurs étapes de la PECM. Les établissements disposent dans 36 % des cas d’une liste de médicaments adaptés à la personne âgée (liste préférentielle ou livret thérapeutique) et 37 % d’entre eux l’utilisent systématiquement.
19 Plus des deux tiers des établissements (77 %) ont mis en place des protocoles de PECM (plus fréquents dans les établissements avec PUI). Ces protocoles concernent les anticoagulants (84 %), les antalgiques (75 %), les antidiabétiques (62 %), les antibiotiques (36 %), les psychotropes (28 %).
20 Dispensation : 86 % des établissements ne disposant pas de PUI ont désigné un pharmacien référent et 87 % ne sont approvisionnés que par une seule officine de ville. Le plus souvent (46 % des cas), la transmission des ordonnances à l’officine est assurée en mains propres, par coursier ou par fax.
21 Détention : La quasi-totalité des établissements (99 %) disposent de locaux de détention dédiés pour les médicaments et d’un coffre-fort pour les stupéfiants. Environ 20 % des établissements ne disposent pas de procédures de vérification des dates de péremption.
22 Préparation des doses à administrer (PDA) : Le plus souvent (78 % des cas), la préparation des doses à administrer est réalisée par la pharmacie (l’officine ou la PUI) et dans 21 % des cas par un infirmier de l’EHPAD. Environ la moitié des établissements (51 %) réalise la PDA de façon manuelle (principalement les établissements publics hospitaliers), 41 % des établissements la réalisent de façon automatisée (le plus souvent dans les établissements privés) et 8 % ont d’autres solutions de préparation. La majorité des établissements (63 %) réalisent la PDA pour une semaine de traitement.
23 Administration : Près de la moitié des établissements (47 %) disposent d’un document indiquant les formes orales sèches pouvant être écrasées. Dans 65 % de ces établissements, les dispositifs d’écrasement sont à usage unique. Dans la moitié des établissements (52 %), l’administration est réalisée par l’infirmier et/ou l’aide-soignant et dans 37 % des établissements par l’infirmier uniquement. Dans 79 % des établissements, l’administration se fait toujours au vu de la prescription. L’identité du résident est toujours vérifiée au moment de l’administration, principalement par reconnaissance physique (94 % des cas). L’administration est systématiquement tracée pour 69 % des établissements. Pour 60 % d’entre eux, cette traçabilité est réalisée par informatique. Le refus du patient de prendre son traitement est systématiquement noté dans 72 % des établissements.
24 Déclaration des évènements indésirables : 70 % des établissements disposent d’une procédure de déclaration des évènements indésirables associés aux soins, et 39 % d’une procédure de gestion des évènements indésirables médicamenteux. La présence de ces procédures est majoritaire dans les établissements publics hospitaliers (p < 0, 0001).
25 Le nombre d’événements indésirables médicamenteux déclarés en interne en 2013 est connu dans 38 % des EHPAD.
26 Une sous-déclaration des évènements indésirables graves liés aux soins ou médicamenteux auprès de la cellule de coordination des vigilances de l’ARS IDF a été relevée.
27 Commission de coordination gériatrique (CCG) : 62 % des établissements ont mis en place les commissions de coordination gériatrique, visant la coordination des professionnels de santé libéraux et salariés. Cette commission s’est réunie deux fois dans l’année dans 29 % d’entre eux et la sécurisation du circuit du médicament a été abordée dans 64 % d’entre elles.
Analyse selon la présence ou non d’une PUI et le statut juridique de l’établissement
28 L’enquête a montré que les EHPAD dotés d’une PUI disposaient d’avantage d’outils en lien avec la PECM :
- 89 % des établissements avec PUI ont mis en place une liste préférentielle contre 27 % des EHPAD sans PUI (p < 0,0001) et cela est vérifié dans une sous-analyse hors établissements publics hospitaliers.
- 73 % des établissements avec PUI disposent d’un document indiquant les formes orales sèches pouvant être écrasées contre 42 % des établissements sans PUI (p < 0,0001), corrélation vérifiée en retirant de l’analyse les établissements publics hospitaliers.
29 De même, l’enquête a montré que les EHPAD publics hospitaliers disposaient davantage d’outils en lien avec la PECM :
- La mise en place de protocoles thérapeutiques est plus fréquente dans les établissements publics hospitaliers (92 %) que dans les EHPAD privés lucratifs (77 %) et non lucratifs (80 %) et les EHPAD publics non hospitaliers (60 %) (p = 0,0015).
- La présence de procédure de déclaration des évènements indésirables associés aux soins est plus fréquente dans les établissements publics hospitaliers (92 %) que dans les EHPAD privés lucratifs (74 %) et non lucratifs (66 %) et les EHPAD publics non hospitaliers (52 %) (p < 0,0001).
30 Les EHPAD ont exprimé leur volonté d’améliorer la prise en charge médicamenteuse. En effet, si les répondants estiment à 7,3/10 leur satisfaction, sur une échelle allant de 0 (pas du tout satisfaisante) à 10 (très satisfaisante), quant à la prise en charge médicamenteuse au sein de leur établissement, ils sont conscients de la nécessité d’améliorer certaines étapes du circuit du médicament (tableaux III et IV).
Organisation de la prise en charge médicamenteuse dans les établissements
Organisation de la prise en charge médicamenteuse dans les établissements
Protocoles de prise en charge médicamenteuse disponibles dans les établissements
Protocoles de prise en charge médicamenteuse disponibles dans les établissements
Discussion
31 L’enquête montre une diversité et une hétérogénéité des pratiques et organisations en matière de PECM selon les profils des établissements. Les principaux résultats de l’enquête sont les suivants :
- Le taux d’informatisation des EHPAD est très élevé (87 %) mais les professionnels de santé, en particulier les médecins libéraux utilisent peu les logiciels d’aide à la prescription.
- Près de la moitié des EHPAD (44 %) ne dispose pas de liste de médicaments adaptés à la personne âgée (liste préférentielle ou livret thérapeutique).
- Les établissements manquent de document concernant l’écrasement des formes orales sèches (moins d’un EHPAD sur deux dispose d’une liste de médicaments pouvant être écrasés ou de gélules pouvant être ouvertes).
- Près d’un tiers des établissements (31 %) ne trace pas systématiquement l’administration des médicaments.
- La culture de déclaration et de suivi des évènements indésirables associés aux médicaments fait défaut avec 38 % des EHPAD ayant connaissance du nombre d’événements indésirables médicamenteux déclarés en 2013.
- La concertation entre les acteurs internes ou externes à l’établissement est encore insuffisamment développée (commission de coordination gériatrique mise en place dans 62 % des EHPAD). La PECM est évoquée dans 64 % des cas.
32 La bonne représentativité des établissements répondants au questionnaire (71 % de réponse) permet à cette enquête de proposer des axes d’amélioration adaptés aux différents profils des EHPAD de la région. Le fort taux de réponse témoigne également de l’intérêt des EHPAD pour cette thématique.
33 L’analyse globale fait émerger quatre principaux axes d’amélioration :
1 – La politique de l’établissement en matière de qualité et de sécurité de la PECM
-
Responsabiliser les professionnels de l’établissement et mise à disposition d’outils : les directions ont un rôle déterminant dans l’impulsion d’une politique de sécurisation de la PECM, notamment en incitant l’implication des professionnels de santé et l’identification d’un référent médicament (pharmacien ou autre le cas échéant) sur la base du volontariat.
L’appartenance à un groupe gestionnaire (ie groupement d’EHPAD géré par une direction commune) est considérée comme une plus-value par les EHPAD du fait du partage d’expérience, d’outils (liste préférentielle, procédures, etc.), de la mutualisation de certaines activités, etc. Par ailleurs, de nombreux EHPAD ont émis leur souhait de disposer d’outils « officiels » diffusés au niveau régional, tels que des protocoles, des listes de médicaments adaptés à la personne âgée, qu’ils pourraient adapter selon leurs besoins. Si des outils sont souhaités, on peut cependant relever que des outils nationaux officiels tels que l’outil diagnostic de la prise en charge médicamenteuse en EHPAD promu par l’ANAP et l’Observatoire du médicament, des dispositifs médicaux et de l’innovation thérapeutique (OMEDIT) d’Aquitaine [3] et soutenu par la HAS, n’aient pas été mentionnés lors des entretiens sur site. La communication en interne sur la PECM (exemple : diffusion d’outils, inscription de sujets autour de la PECM à l’ordre du jour de réunions en interne) peut permettre de sensibiliser les professionnels de santé à ces différents sujets en montrant l’implication de la direction. En complément, le pharmacien a un rôle essentiel dans la prise en charge médicamenteuse, qu’il convient de renforcer. Sa plus-value relève notamment de son analyse des prescriptions et dans sa participation à la politique du médicament au sein de l’établissement. -
Renforcer les collaborations externes notamment avec les médecins généralistes et les filières gériatriques :
- Les commissions de coordination gériatrique (CCG) n’ont été mises en place que dans 62 % des établissements : davantage instituées dans les établissements privés lucratifs (73 %), faisant intervenir de nombreux médecins libéraux, que dans les établissements hospitaliers (44 %). Le circuit du médicament n’y est pas systématiquement abordé (abordé dans 64 % des cas) contrairement à ce qui est stipulé dans l’arrêté du 5 septembre 2011 relatif à la commission de coordination gériatrique [9]. Par ailleurs, l’assiduité et l’implication des médecins libéraux dans ces CCG sont très faibles. Une piste d’amélioration pourrait être de mettre en place des CCG communes entre différents établissements de façon à limiter le nombre de sollicitations des médecins libéraux.
-
L’étude met en évidence une méconnaissance de la « filière gériatrique » (organisation des soins gériatriques sur l’ensemble des secteurs de soins permettant une continuité de la prise en charge [10]). Le recours aux équipes mobiles (de gériatrie ou de soins palliatifs) ou un réseau de soins palliatifs reste lié à l’offre territoriale et aux expériences dans le passé des professionnels de l’EHPAD.
L’appartenance à une filière gériatrique tend à améliorer la qualité de la prise en charge médicamenteuse par la mise en place d’une liste de médicaments adaptés à la personne âgée (mise en place dans 44 % de ces établissements contre 20 % hors filières), de protocoles médicamenteux (mis en place dans 81 % de ces établissements contre 69 % hors filières), d’une procédure de déclaration des évènements indésirables (mise en place dans 75 % de ces établissements contre 56 % hors filières).
- Sensibiliser les équipes à la déclaration des évènements indésirables en interne et en externe, via notamment la mise à disposition d’une feuille de déclaration, d’une procédure de déclaration (qui déclare, quoi, à qui et sur quel support ?) et d’une procédure de gestion de l’évènement indésirable. En effet, près d’un tiers des établissements (30 %) n’ont pas de procédure de déclaration des évènements indésirables associés aux soins et plus de la moitié (60 %) n’ont pas de procédures de gestion des évènements indésirables médicamenteux. Or, la remontée d’information et l’analyse des évènements permettent la mise en place d’actions correctives et l’évolution de la gestion du risque a posteriori en gestion du risque a priori. La déclaration en externe auprès de l’ARS IDF en cas d’évènement indésirable grave lié à un défaut de prise en charge [11] est à promouvoir.
2 – L’optimisation des prescriptions
- Soutenir l’utilisation de l’informatique qui reste encore relativement faible sur l’ensemble des étapes du circuit du médicament et inégale selon le statut des établissements. La sous-utilisation de l’informatique engendre une retranscription des prescriptions, particulièrement fréquente dans les EHPAD privés à but lucratif, pouvant être génératrice d’erreurs. On note une réticence des professionnels de santé à l’utilisation de l’informatique, notamment de la part des médecins libéraux. La multiplicité des logiciels et le manque de matériel pour y accéder compliquent leur utilisation par les médecins libéraux. Le sentiment de limitation de leur liberté de prescription lorsque le livret thérapeutique est intégré dans le logiciel est également un point sensible. Un accompagnement des médecins libéraux est nécessaire pour faciliter cette utilisation.
- Définir une liste de médicaments adaptés à la personne âgée en mettant à disposition soit une liste régionale à adapter selon les besoins de l’EHPAD, soit une méthode pour élaborer sa propre liste. En effet, 44 % des établissements n’en disposent pas (surtout dans le privé) et 20 % des établissements sont en cours d’élaboration d’une liste préférentielle. Les principaux freins à sa mise en place sont la peur de la restriction de la liberté de prescription des médecins traitants et les difficultés de consensus sur les molécules à utiliser. Ces difficultés sont très corrélées au nombre de médecins intervenant dans l’établissement. Parallèlement, si cette liste existe, elle a été diffusée aux médecins pour 72 % des établissements et aux pharmaciens pour seulement la moitié des établissements (52 %). Ce dernier chiffre apparaît relativement faible, étant donné la part active que doit prendre le pharmacien dans son élaboration. Enfin, 63 % des EHPAD ne l’utilisent pas systématiquement. Elle est moins utilisée par les prescripteurs des établissements privés lucratifs que par les prescripteurs des établissements publics hospitaliers (p < 0,0001) pour lesquels la liste est souvent intégrée au logiciel de prescription de l’établissement. S’agissant de livret thérapeutique hospitalier, tous ne comportent pas un volet spécifique pour la personne âgée.
- Favoriser l’élaboration de protocoles pour l’utilisation des psychotropes : de nombreux établissements (77 %) ont mis en place des protocoles de la prise en charge médicamenteuse mais une faible proportion d’EHPAD l’ont fait pour les psychotropes (28 %) alors que de nombreux résidents souffrent de troubles psychiques. La mise à disposition de documents élaborés par les autorités de santé (le Ministère chargé des affaires sociales et de la santé, la Haute Autorité de santé, les Agences régionales de santé), les société savantes (Société française de gériatrie et gérontologie) et la Caisse nationale d’assurance maladie, aiderait les EHPAD à élaborer leurs propres protocoles.
3 – La sécurisation de l’administration
- Aider au développement des procédures concernant l’écrasement des formes orales sèches : moins d’un établissement sur deux (47 %) dispose d’un document indiquant les formes orales sèches pouvant être écrasées. Or, le Rapport Verger [2] rappelle que les pratiques d’écrasement présentent un risque iatrogène potentiel du fait notamment de l’inexactitude des doses réellement administrées. En Île-de-France, ce document est davantage présent dans les établissements publics hospitaliers (78 %) que dans les autres types d’établissements (environ 40 %). Globalement, la quasi-totalité des établissements dispose d’un matériel d’écrasement des formes orales sèches (96 %). Mais pour 36 % d’entre eux, cet équipement n’est pas à usage unique.
- Promouvoir la traçabilité des doses administrées et non administrées : près d’un tiers des établissements (31 %) ne renseigne pas systématiquement l’administration ou la non administration des médicaments. En effet, la non prise du traitement n’est pas systématiquement notée pour 30 % des établissements, notamment lorsque le patient gère lui-même son traitement. Le développement d’un support unique prescription/administration ou de l’informatique portable pour une saisie en temps réel de l’administration des médicaments est une des pistes proposées pour améliorer la traçabilité. En effet, la traçabilité de l’administration est un indicateur de l’observance au traitement.
- Renforcer l’identito-vigilance, dernière étape-clé de la sécurisation du circuit du médicament. La méthode de vérification de l’identité du résident au moment de l’administration la plus souvent citée est la reconnaissance physique du résident (94 %), qui implique de la part des soignants une bonne connaissance des résidents. Cette méthode a ses limites dans les EHPAD ayant une grande capacité d’hébergement, recourant à des intérimaires ou ayant un fort roulement de personnel. Une autre méthode fréquemment utilisée consiste en l’utilisation de photos (54 % des établissements).
- Élaborer entre médecins et pharmacien(s) une liste de médicaments pour besoins urgents. Cette liste permet aux EHPAD sans PUI d’assurer une continuité des soins et d’initier un traitement urgent dès sa prescription.
- Encadrer la gestion des médicaments « si besoin ». Actuellement, les modalités de gestion des médicaments prescrits « si besoin » sont très variables. Cette gestion est souvent organisée en vue d’éviter le gaspillage des médicaments. Le rôle du pharmacien pour la vérification des doses nécessaires en regard des prescriptions a été mis en exergue.
4 – La formation des professionnels
- Harmoniser les niveaux de formation du personnel : la formation professionnelle est un sujet constant d’intérêt des directions des établissements. Il a été constaté que tous les personnels d’une même fonction ne reçoivent pas les mêmes formations à leur arrivée. Des problèmes de budget et de temps sont évoqués. Le tutorat est en général reconnu très utile.
- Promouvoir les formations à l’évaluation et à la prise en charge de la douleur : tous les professionnels de santé ne sont pas formés à l’évaluation de la douleur. Les personnes interrogées ont témoigné leur besoin de formation à l’utilisation des échelles de la douleur et à la prise en charge de la douleur et de la fin de vie.
38 La principale limite de cette étude réside dans le caractère déclaratif des réponses des établissements.
39 L’ARS a un rôle de soutien à jouer en matière de partage d’outils et d’expériences. Ce rôle est d’autant plus important pour les établissements sans groupe gestionnaire. Ils expriment un « sentiment d’isolement » et déplorent l’absence de partage de documents déjà existants. En mettant à disposition des EHPAD des outils spécifiques, l’ARS confirme sa mission d’accompagnement dans une démarche d’amélioration de la prise en charge médicamenteuse des résidents.
Conclusion
40 Cette étude régionale a été l’occasion de dresser un bilan des modalités de fonctionnement et d’organisation des EHPAD en matière de prise en charge médicamenteuse en vue de proposer des pistes d’amélioration les plus adaptées aux attentes du terrain. Elle met en exergue une diversité et une hétérogénéité encore importante des modalités de PECM selon la présence ou non d’une PUI et selon le statut des établissements. Il en ressort également un fort intérêt de la part des EHPAD pour améliorer la prise en charge médicamenteuse de leurs résidents.
41 À la suite de cette étude, l’ARS IDF a initié en 2015, le cadrage d’une phase-pilote qui a pour objectif de tester sur une année, un nombre limité d’actions d’amélioration simples et pragmatiques, au sein d’une quinzaine d’EHPAD volontaires. Les trois axes d’amélioration retenus sont les suivants :
- Mettre en place une politique de qualité et de sécurité de la PECM dans les EHPAD.
- Améliorer l’efficience de la prescription.
- Sécuriser et aider à l’administration.
42 Elle prévoit à partir de 2017, un déploiement progressif régional des actions ayant porté satisfaction.
43 En parallèle, pour répondre à la demande des EHPAD, l’ARS IDF a créé une boîte à outils accessible sur son site internet, rassemblant des documents pertinents sur la PECM en EHPAD élaborés par les agences sanitaires (HAS, ANAP, ARS), les OMEDIT, les sociétés savantes, etc.
44 Ce plan d’actions anticipe les mesures du plan national d’action pour une politique du médicament adaptée aux besoins des personnes âgées, annexé au projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement [12].
45 Aucun conflit d’intérêt déclaré
Remerciements
À l’ensemble des établissements franciliens ayant participé à l’enquête déclarative, aux professionnels ayant consacré du temps aux enquêteurs de CEMKA-EVAL pour les entretiens qualitatifs sur site et aux délégations territoriales de l’ARS d’Île-de-France.Références
-
1Bénard-Laribière A, Miremont-Salamé G, Pérault-Pochat MC, Noize P, Haramburu F. EMIR Study Group on behalf of the French network of pharmacovigilance centres. Incidence of hospital admissions due to adverse drug reactions in France : the EMIR study. Fundam Clin Pharmacol. 2015 ;29(1) :106-11.
-
2Ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. La politique du médicament en EHPAD. Paris (France) ; 2013. <http://www.social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_Politiquedu_medicament_en_EHPAD_final.pdf>.
-
3Agence nationale d’appui à la performance des établissements-Observatoire du médicament, des dispositifs médicaux et de l’innovation thérapeutique d’Aquitaine. Outil diagnostic de la prise en charge médicamenteuse en EHPAD. Paris (France) : ANAP-OMEDIT Aquitaine ; 2013.
-
4Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Prévenir la iatrogénèse médicamenteuse chez le sujet âgé. Saint-Denis (France) : AFSSAPS ; 2005.
-
5Haute Autorité de santé. Programme complet d’amélioration de la prise en charge médicamenteuse chez le sujet âgé (PMSA). Saint-Denis la Plaine (France) : HAS ; 2006-2013.
-
6Agence régionale de santé des Pays de la Loire. Guide d’autodiagnostic du circuit du médicament en EHPAD sans PUI. Nantes (France) : ARS Pays de la Loire ; 2012.
-
7Agence régionale de santé de Rhône-Alpes. Guide de la sécurisation du circuit du médicament dans les Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Lyon (France) : ARS Rhône Alpes ; 2012.
-
8Union nationale des pharmacies de France. Livre blanc sur les défaillances du système de préparation des médicaments en maisons de retraite. Pars (France) : UNPF ; 2015. <http://www.unpf.org/250-focus-76.html>.
-
9Code de l’action sociale et des familles. Arrêté du 5 septembre 2011 relatif à la commission de coordination gériatrique mentionnée au 3° de l’article D. 312-158. JO 7 septembre 2011.
-
10Ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative. Circulaire DHOS/02/2007/117 du 28 mars 2007 sur les filières de soins gériatriques. Paris (France) ; 2007.
-
11Ministère des affaires sociales et de la santé. Ministère délégué en charge des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Ministère délégué en charge des personnes âgées et de l’autonomie. Circulaire N° DGCS/SD2A/2014/58 du 20 février 2014 relative au renforcement de la lutte contre la maltraitance et au développement de la bientraitance des personnes âgées et des personnes handicapées dans les établissements et services médico-sociaux relevant de la compétence des ARS. Paris (France) ; 2014.
-
12Ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement. Paris (France) ; 2015. <http://www.social-sante.gouv.fr/espaces,770/personnes-agees-autonomie,776/dossiers,758/adaptation-de-la-societe-au,2971/?fb_locale=es_ES>.
Mots-clés éditeurs : traitement médicamenteux, établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), préparation des doses à administrer (PDA), pharmacien référent, toxicité des médicaments, maisons de retraite, effets indésirables des médicaments, médecin coordonnateur
Date de mise en ligne : 01/12/2016
https://doi.org/10.3917/spub.165.0623