Notes
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[1]
Médecin généraliste – 110 avenue du Général Leclerc – 54500 Vandœuvre-lès-Nancy.
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[2]
Service Médical de la Région Nord-Est – 85 Rue de Metz – Nancy – France.
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[3]
Centre Hospitalo-Universitaire de Nancy Unité de Post-Urgences Polyvalente – 29 Avenue Maréchal De Lattre de Tassigny – Nancy – France.
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[4]
Université de Lorraine Faculté de médecine – 9 avenue de la Forêt de Haye – Vandœuvre-lès-Nancy – France.
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[5]
Cette évolution se retrouve dans des données chiffrées que nous avons obtenues auprès de l’Assurance maladie en Lorraine, qui montrent que sur la période 2012-2014, le nombre de conditionnements de clonazépam soumis au remboursement s’est effondré de 54,7 %. De la même manière, la carbamazépine a été beaucoup moins citée dans les traitements actuels par nos participants, ce qui est semblable aux données de l’Assurance maladie, puisque cette molécule est la seule de celles étudiées, en dehors du clonazépam, à avoir vu son nombre de prescriptions baisser entre 2012 et 2014 (– 3,9 %). Nous tenons à disposition des lecteurs qui le souhaitent ces données quantitatives, sur simple demande aux auteurs.
-
[6]
Ces déclarations se retrouvent dans les chiffres de l’Assurance maladie en Lorraine, puisqu’entre 2012 et 2014, les prescriptions de ces molécules ont augmenté de 18,3 % et 16,5 % respectivement.
Introduction
1Les douleurs neuropathiques sont définies comme des douleurs associées à une lésion ou une maladie affectant le système somato-sensoriel [1]. De causes diverses, on estime leur prévalence à environ 25 % de l’ensemble des douleurs chroniques [2].
2Malgré l’existence de plusieurs recommandations, françaises et internationales, différentes études montrent que les médicaments spécifiques des douleurs neuropathiques ne sont pas toujours utilisés au mieux, voire pas utilisés du tout [3-5].
3En quelques années, l’offre en molécules s’est étoffée avec l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de médicaments aux preuves scientifiques d’efficacité bien établies, tandis que d’autres sont en cours de développement. Inversement, des médicaments sont retirés du marché ou font l’objet de restriction d’AMM pour mésusage ou effets indésirables graves [6-8].
4Le médecin généraliste se trouve confronté à la nécessaire adaptation de la prise en charge de ses patients atteints de douleurs neuropathiques. Aussi, devant ce constat, l’objectif de notre travail était de déterminer les pratiques actuelles des médecins chez un échantillon de généralistes lorrains, et d’évaluer les difficultés qu’ils rencontrent.
Méthodes
5Nous avons effectué une étude qualitative par la technique des groupes d’entretien collectifs semi-dirigés. Elle avait pour but de recueillir le vécu, le ressenti et la perception des participants sur le sujet, tout en s’intéressant à leurs émotions, sentiments et attitudes individuelles, au sein d’un groupe [9].
Constitution des groupes d’entretien collectifs semi-dirigés
6Nous avons constitué un panel raisonné de médecins, afin de répondre à des critères de diversification dans le but de faire émerger le maximum de points de vue. Pour cela, nous avons tenté de recruter autant d’hommes que de femmes, des médecins appartenant à toutes les classes d’âge, ainsi que des personnes exerçant dans différents milieux (urbain, rural et semi-rural). La taille de chaque groupe a été définie afin de favoriser l’expression individuelle et de faciliter l’animation de l’entretien. Nous avons essayé de recruter initialement plus de participants que le nombre souhaité, prévoyant d’éventuels désistements, pour obtenir au final des groupes de six à huit personnes. D’autre part, en raison d’emplois du temps chargés de nombre de médecins contactés, nous avons dû faire appel à des personnes de notre connaissance directe ou indirecte, afin de constituer des groupes suffisamment grands pour permettre une analyse cohérente.
7Le nombre de groupes a été fixé afin d’obtenir une saturation des données, les informations fournies par les derniers entretiens n’apportant plus d’élément nouveau.
8Une invitation a été envoyée à des médecins généralistes exerçant en libéral, à Nancy et son agglomération, ainsi que dans la commune du Thillot (département des Vosges) et ses alentours. Ces deux lieux ont été choisis par commodité d’accès et d’organisation.
Rôles
9L’auteur principal de cette étude avait le rôle d’observateur, afin de noter les grandes idées émergentes lors des discussions, ainsi que les éléments du langage non verbal. Il s’occupait également de l’enregistrement audio et vidéo.
10Un animateur s’est chargé de modérer le débat, afin que les participants puissent s’exprimer librement, sans déborder du cadre de l’étude et en ayant chacun un temps de parole suffisant pour exprimer ses idées. Il avait en sa possession un guide d’entretien résumant les points importants à aborder.
Analyse
11Pour respecter l’anonymat des participants, chacun d’entre eux a été doté d’un code formé d’un chiffre et d’une lettre. Le chiffre correspond au numéro du groupe d’entretien collectif semi-dirigé (1 pour Nancy, 2 pour Le Thillot), et la lettre à chaque participant à l’intérieur du groupe (de A à E pour Nancy, de A à H pour Le Thillot).
12Les verbatims ont été analysés selon deux méthodes. D’une part, plusieurs lectures des retranscriptions ont été faites par l’auteur principal, l’animateur et le directeur de thèse, ce dernier étant formé à la recherche qualitative, afin d’en ressortir les grandes idées par triangulation des données. D’autre part, les verbatims ont été intégrés dans le logiciel informatique NVivo version 10, afin de disposer d’une analyse mécanique en complément.
Résultats
Caractéristiques de l’échantillon
13L’échantillon ayant participé aux groupes d’entretien collectifs semi-dirigés était constitué de treize médecins généralistes. Cinq exerçaient dans l’agglomération de Nancy, huit dans la commune du Thillot et ses alentours.
14Le sex ratio (hommes/femmes) était de 3/2 à Nancy et 5/3 au Thillot. Les médecins exerçaient dans différents milieux : rural, semi-rural et urbain. Ils étaient installés en moyenne depuis 1995, avec des valeurs extrêmes d’installation de 1977 et 2008.
Résultats
Expérience personnelle
15• L’étiologie des douleurs neuropathiques rencontrées par les médecins étaient, par ordre de fréquence de citation : les douleurs post-zostériennes, les sciatalgies, les neuropathies des membres inférieurs d’origine diabétique, les névralgies faciales et la migraine. Ils citaient, de manière moins fréquente : les névralgies cervico-brachiales, les douleurs associées aux cancers, les douleurs de la maladie de Lyme, les neuropathies de réanimation, les arrachements du plexus brachial, les douleurs associées à la sclérose en plaques et les douleurs du membre fantôme.
16• La prévalence et l’incidence de la douleur neuropathique étaient considérées comme relativement peu fréquentes :
171B : « Enfin, je trouve que ce n’est pas hyper fréquent quand même »
18• Concernant le problème du traitement et/ou du diagnostic, les médecins interrogés étaient partagés.
19Certains ne ressentaient aucune difficulté :
202D : « Eh bien, moi, je me sens compétent »
212H : « Les molécules on les connaît, on sait les manier »
22D’autres se sentaient moins à l’aise dans l’un et/ou l’autre de ces domaines :
231A : « C’est parfois au niveau du diagnostic que ça peut poser des difficultés »
242C : « Je suis un petit peu moins à l’aise que vous »
25• Dans le domaine de la formation professionnelle, les différents participants s’accordaient à dire que c’était surtout dans la pratique quotidienne, sur le terrain, qu’ils avaient appris à traiter une douleur neuropathique, beaucoup plus que lors de leur formation initiale :
262F : « La formation initiale, elle est réduite, quand même. Je crois que je n’ai pas eu de cours à la fac »
272B : « C’est surtout de la formation de terrain »
28Les médecins généralistes disaient avoir peu recours aux recommandations officielles, par manque de temps, par difficulté à les trouver, ou par méconnaissance de leur existence :
291C : « Certainement [qu’il existe des recommandations], mais on ne les a pas apprises »
30• La majorité déclarait faire appel à un avis spécialisé régulièrement. Le recours se faisait surtout auprès des centres anti-douleur et du neurologue, et très rarement vers le psychiatre ou le rhumatologue.
311D : « On s’appuie quand même sur les spécialistes, parce que souvent, on est coincé au bout d’un moment »
321A : « Si j’ai des difficultés, j’envoie plus chez le neurologue »
332C : « J’adresse volontiers dans les centres anti-douleur »
34Concernant les centres « anti-douleur », les médecins s’accordaient sur l’intérêt d’une prise en charge médico-psycho-sociale :
351C : « Et il y a une prise en charge, effectivement, par un psychologue »
36Mais ils regrettaient le manque d’accessibilité en raison de longs délais d’attente pour obtenir un rendez-vous, et parfois l’absence d’une approche pluri-professionnelle attendue :
372D : « Moi je trouve les centres anti-douleur inutiles, notamment dans les Vosges, inaccessibles à Nancy, donc je suis très embêté pour passer la main »
38Le centre anti-douleur était souvent utilisé en dernier recours :
392D : « Mais globalement, c’est quand on n’a pas d’autre choix. C’est en dernier recours, quoi »
Les molécules utilisées
40• La plupart des participants considérait ne pas avoir changé leurs modalités de prescriptions médicamenteuses, sauf quant à la fréquence de prescription de ces molécules :
412D : « Ma pratique n’a pas évolué ces dix dernières années »
422E : « On s’en servait peut-être moins facilement, à part peut-être le Neurontin® dans les douleurs post-zostériennes. C’était un peu plus limité, j’ai l’impression »
43• Lors de nos entretiens, nous avons fait préciser les molécules utilisées par les médecins généralistes interrogés, il y a dix ans et actuellement, dans le traitement des douleurs neuropathiques (tableau I).
Citations des molécules par les médecins généralistes interrogés, utilisées (X) ou non (0) il y a 10 ans et à l’heure actuelle, et perception de cette évolution
Citations des molécules par les médecins généralistes interrogés, utilisées (X) ou non (0) il y a 10 ans et à l’heure actuelle, et perception de cette évolution
44Certains médecins, bien que conscients de la non indication de certaines molécules dans les douleurs neuropathiques, citent les molécules présentées au tableau I, justifiant leurs prescriptions sur la difficulté, parfois, sur le plan clinique, de n’avoir qu’un seul type de douleur. Ils évoquent le fait que s’associe parfois, avec la douleur neuropathique, une douleur nociceptive.
45Nous avons constaté que les prescriptions les plus souvent citées dans l’indication « douleur neuropathique » sont la gabapentine et la prégabaline.
46Pour le traitement actuel de la douleur neuropathique d’origine diabétique, les médecins ont cité la prégabaline (Lyrica®), la duloxétine (Cymbalta®), et l’association de ces deux molécules.
47Pour le traitement des douleurs post-zostériennes, les participants ont cité les patchs de lidocaïne (Versatis®).
48• Des médecins généralistes réservaient la prescription de certaines molécules aux neurologues ou aux centres anti-douleur, dont le topiramate (Epitomax®), le clonazépam (Rivotril®), la rispéridone (Risperdal®), les patchs de capsaïcine (Qutenza®), la buprénorphine (Méthadone®), la cyamémazine (Tercian®).
492E : « C’est comme dans le traitement de la migraine, où on voit apparaître l’Epitomax®, qui n’existait pas il y a quelques années »
501D : « Tégrétol®, ça a encore l’indication névralgie faciale. Ils font ça en neurologie, au niveau du CHU »
512D : « [Le Cymbalta®] est prescrit par les neurologues un peu dans tous les sens. Par les psychiatres aussi »
52• Bien que ne faisant pas partie de la question de recherche de ce travail, les médecins ont cité des approches non médicamenteuses, et tout particulièrement les neurostimulations électriques transcutanées (TENS), l’ostéopathie, les infiltrations scanno-guidées, la neurolyse, et les médecines alternatives, dont l’acupuncture, la médecine chinoise et les guérisseurs.
53• Tous les participants au groupe d’entretien collectif semi-dirigé de Nancy déclaraient ne jamais débuter un traitement spécifique de douleur neuropathique d’emblée, même s’ils étaient certains du diagnostic. Ils commençaient toujours par les traitements des douleurs nociceptives, c’est-à-dire les trois paliers de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) (palier 1 : paracétamol, anti-inflammatoires non stéroïdiens et aspirine ; palier 2 : opioïdes faibles – codéine et tramadol ; palier 3 : opioïdes forts – morphiniques) :
541A : « Toujours traitement classique : anti-inflammatoires, anti-douleur, euh… Quand on n’a pas d’efficacité, on change pour les médicaments des douleurs neuropathiques. On passe au Lyrica®, au Neurontin® »
55Concernant les posologies des produits, et notamment l’augmentation des doses, les médecins étaient partagés. Certains considéraient la nécessité d’atteindre la posologie maximale par paliers progressifs :
561A : « Il faut quand même taper fort pour avoir un résultat au niveau de l’efficacité, tant qu’il n’y a pas d’effets secondaires »
572F : « Moi je trouve que la gabapentine est relativement bien tolérée quand on va progressivement »
58D’autres tentaient de limiter au maximum l’augmentation, et de rester à la plus faible dose possible :
591E : « Moi j’essaie de ne pas augmenter »
60• Quelques médecins disaient utiliser des associations de molécules :
611E : « Ça m’arrive de mettre du Cymbalta® avec du Lyrica® »
622C : « Et puis [le Cymbalta®] en association »
63• Les participants estimaient majoritairement que les différentes molécules disponibles avaient une efficacité équivalente entre elles :
642H : « Il n’y a pas une molécule, de toute façon, qui se détache en terme d’efficacité et de tolérance »
65• Un médecin estimait que l’impact de la molécule était fonction du contexte propre au patient :
662H : « En fonction du patient, en fonction du tableau, la réponse va forcément être différente entre telle ou telle molécule »
Les difficultés rencontrées dans la prise en charge
67Les différents participants de ces groupes de discussion ont déclaré rencontrer de nombreuses difficultés dans la prise en charge des douleurs neuropathiques au quotidien.
68• La part psychologique, voire psychiatrique, est fondamentale dans la prise en charge :
691D : « (…) avec une composante psychologique très compliquée à gérer »
70• Quant au choix des molécules, il était difficile de distinguer l’efficacité et d’évaluer le coût. La quantité de molécules disponibles leur semblait insuffisante :
711C : « On ne sait plus qui fait quoi ! »
722E : « Des molécules, on en a pas cinquante à notre disposition, quand même, dans les douleurs neuropathiques »
732A : « On te met tellement la pression que tu culpabilises de prescrire quelque chose de cher »
74• La poly-médication ainsi que le risque d’escalade thérapeutique, étaient pris en compte. Certains tentaient de les éviter :
751A : « Le problème des fois, justement, des vieux diabétiques, c’est qu’ils cumulent les pathologies (…), alors ils ont des ordonnances à dix ou douze médicaments. (…) C’est vrai que c’est toujours un souci de rajouter des trucs »
761D : « C’est une espèce d’escalade »
77D’autre part, l’échappement thérapeutique était abordé :
781C : « Quand on lui propose un nouveau médicament, ça va aller mieux un certain temps, et puis après il va échapper »
79• L’importance de la réévaluation régulière du diagnostic et du traitement des douleurs neuropathiques était soulignée par certains médecins, même s’ils trouvaient cela difficile, notamment chez les personnes dépressives :
801A : « Le problème, c’est l’évaluation de la douleur : je trouve que des fois on a du mal à… C’est vrai que ce n’est pas simple »
811B : « Surtout chez les dépressifs »
82• Le problème de l’acceptation des traitements par les patients était soulevé par certains participants :
831C : « Si on leur met d’emblée une molécule avec une notice de 25 pages, je pense qu’au niveau observance ça va mal se passer »
84• Certaines molécules étaient jugées inefficaces ou ne répondant pas à l’efficacité attendue :
852C : « J’ai pas l’impression d’être toujours très très efficace »
861B : « Même quand on prend Lyrica® ou Neurontin®, même à forte dose, c’est quand même pas hyper efficace »
872F : « J’ai un patient qui l’a fait trois ou quatre fois [le Qutenza®], mais c’est pas très efficace »
881E : « Ça faisait trois ans qu’il était sous morphiniques par le (…) centre anti-douleur du CAV (…) Récemment (…) ils l’ont sevré comme ça de la morphine, il ne se plaint plus d’avoir des douleurs de ce côté »
89Ils reconsidéraient leurs prescriptions pour chacun des patients. Certaines molécules utiles chez certains ne l’étaient pas forcément chez d’autres :
902H : « Moi, je suis très gabapentine. Enfin, ça marche pas tout le temps, bien sûr »
912D : « Ça m’arrive quand même d’en prescrire [du Tégrétol®]. Souvent, en fait. Ça marche pas forcément super »
92• Des participants se sentaient restreints dans leurs modalités de prescription, à cause d’AMM trop restrictives ou du contrôle des caisses d’assurance maladie, notamment concernant les morphiniques, les patchs de lidocaïne (Versatis®) et le clonazépam (Rivotril®) :
932A : « Par contre, j’ai l’impression que maintenant, c’est beaucoup plus encadré, qu’on est vachement plus embêté pour faire des prescriptions correctes. Il y a des tas d’indications qu’on a pas. Il y a des tas de molécules qu’on peut utiliser chez certains, qu’on ne peut pas utiliser chez d’autres »
941C : « Alors ça marche bien sur le reste [le Versatis®] : je l’ai prescrit hors AMM (…) Avant de passer à la morphine j’ai essayé ça, et ça a très très bien marché »
952F : « Moi, c’est pour le Versatis® que j’ai eu des soucis avec la MSA. Pourtant, je l’avais prescrit en deuxième intention, après traitement par gabapentine, et je me suis fait allumer par la caisse, la MSA, une ou deux fois »
962F : « Non non, je suis hors AMM, parce qu’il est sous Durogésic®, mais il est pas du tout, mais… Actiq® non plus, je n’ai pas le droit. (…) Après, je sais que je suis hors AMM, mais tant pis, je prend le risque pour le soulager, quoi »
971E : « On a reçu une belle lettre de la Haute Autorité de santé ou de l’Agence régionale de santé en disant que maintenant on avait interdiction de le prescrire [le Rivotril®], que ce serait le pédiatre et le neurologue, et que pour les indications d’épilepsie »
98• Les médecins ressentaient des difficultés dans la prise en charge quotidienne des patients en raison des effets secondaires de ces médicaments à modes d’action complexes, avec des tolérances très variables. Ils citaient tout particulièrement la prégabaline (Lyrica®), la carbamazépine (Tégrétol®), le topiramate (Epitomax®), l’amytriptiline (Laroxyl®), les patchs de lidocaïne (Versatis®) :
991D : « Après, il y a la tolérance des patients, et ça c’est vraiment très variable. Il y en a qui ne supportent pas le Lyrica 25®, et d’autres qui ont des doses de cheval et pas de problème »
1002A : « Je pense que le Neurontin® marche bien, avec peu d’effets secondaires, alors que le Lyrica®, c’est la catastrophe. C’est complètement l’inverse »
1011D : « Il est obligé de prendre des médicaments style Tégrétol®. Ça le ralenti, c’est difficile à vivre pour l’entourage, pour le travail. C’est compliqué »
1022F : « Et ils sont assommés [avec l’Epitomax®] ! Ils sont quand même un peu secoués avec ça, hein ! »
103• Les pathologies associées à la douleur neuropathique, qu’elles soient une cause ou une conséquence de celle-ci, donnaient également des difficultés aux médecins. Ils citaient ainsi le diabète et la dépression.
1041A : « Le problème des (…) diabétiques, c’est qu’ils cumulent les pathologies : ils ont souvent de l’artérite, ils ont souvent des problèmes cardiaques, alors ils ont des ordonnances à dix ou douze médicaments qu’on essaie de réduire, et s’il faut en rajouter… »
1051C : « Quand on a une composante effectivement dépressive, qui vient entretenir les choses… »
106• Concernant le retrait de certaines molécules, les avis des différents participants étaient partagés. C’est sur le clonazépam (Rivotril®) que les discussions se sont cristallisées. Certains ne se sentaient pas gênés par ce phénomène ; d’autres ont réussi, tant bien que mal, à sevrer leurs patients ; enfin, certains déclaraient avoir des difficultés pour traiter leurs patients correctement :
1072B : « C’est un peu comme lors du retrait du dextropropoxyphène, c’est là qu’on se rend compte qu’il n’y a rien d’indispensable »
1081B : « J’en ai vu pas mal qui ont arrêté, qui n’ont pas plus de douleur neuropathique après, hein ! »
1092D : « Moi j’en ai eu une [patiente] que j’avais du mal à sevrer. Je l’ai adressé au neurologue, et le neurologue, qui avait la grande parole du spécialiste, a réussi à lui enlever »
1102A : « Moi, je le regrette quand même, le Rivotril®, parce que j’avais quelques patients qui étaient sous ça, et depuis qu’il n’existe plus pour eux, eh bien j’ai beaucoup de mal à les équilibrer. (…) Ça m’a été supprimé, et moi je trouve ça complètement débile »
111Les médecins se sont bien approprié les nouvelles règles de prescription du clonazépam (Rivotril®), dont les grands principes leur étaient connus, ainsi que la cause de ces modifications :
1121C : « On fait des renouvellements, mais on est obligé d’avoir une première ordonnance faite par un service de neurologie. Et après, on peut renouveler les ordonnances pendant un an. Mais il faut qu’ils revoient tous les ans le spécialiste, autrement on n’a pas le droit ! »
1131C : « Oui, sur ordonnance sécurisée »
1142A : « C’était le mésusage, surtout, qui posait problème »
115• Dernière difficulté soulevée, celle du nomadisme médical des patients atteints de douleurs neuropathiques :
1161D : « [Le centre anti-douleur] c’est avant que le patient ne change de médecin »
1171E : « Oui, ils font le tour des médecins, mais ils reviennent toujours »
Discussion
Comparaison de l’échantillon à la population des médecins généralistes lorrains
118Nous avons donné les caractéristiques épidémiologiques de notre panel à titre d’illustration. En effet, étant donné que l’objectif d’un groupe d’entretien collectif semi-dirigé est de récolter le plus d’avis possibles sur une question donnée, l’échantillon ne peut, par définition, pas être représentatif de l’ensemble de la population étudiée. C’est pourquoi nous avons réalisé un « panel raisonné » en sélectionnant les médecins généralistes en tentant d’être les plus exhaustifs possible en termes de différence de caractéristiques.
119Les femmes étaient au nombre de cinq (deux à Nancy et trois dans la commune du Thillot), et les hommes étaient au nombre de huit (trois à Nancy et cinq au Thillot). Parmi l’ensemble des médecins généralistes lorrains, en 2013, il y avait 29 % de femmes et 71 % d’hommes [11].
120Les femmes représentent 42 % des médecins généralistes dans le département de Meurthe-et-Moselle, et 40 % dans les Vosges.
121L’implication des femmes dans notre panel est donc plus importante que leur part dans la population des médecins généralistes lorrains, ce qui est assez rare dans ce genre d’étude. Ceci peut montrer une implication féminine plus importante dans la prise en charge de la douleur, mais cette différence n’est pas significative, car notre échantillon est trop petit.
122En ce qui concerne la structure d’âge de notre échantillon, les moins de 40 ans étaient au nombre de trois dans notre panel, et représentent 10 % des effectifs dans l’ensemble de la région Lorraine. À l’échelle départementale, il y avait, en 2013, 15 % de médecins généralistes de moins de 40 ans en Meurthe-et-Moselle, versus zéro dans notre panel, et 4 % dans les Vosges, versus trois dans notre échantillon.
123À l’autre bout de la pyramide des âges, les médecins âgés de 60 ans et plus étaient trois dans notre échantillon, contre 25 % à l’échelle régionale. En Meurthe-et-Moselle, les plus de 60 ans sont 19 %, versus deux dans notre échantillon, et dans les Vosges ils sont 23 %, contre un dans notre panel.
124Les médecins étaient donc, par rapport à l’ensemble des généralistes lorrains, mais de manière non significative, plus jeunes dans le groupe du Thillot, et plus âgés dans le groupe de Nancy. Néanmoins, aucune différence parti-culière n’a pu être relevée dans notre analyse se rapportant à cette caractéristique, à l’exception du sentiment de compétence dans le domaine étudié, comme nous le verrons plus loin.
Principaux résultats
Expérience personnelle
125Concernant les causes des douleurs neuropathiques rencontrées en pratique quotidienne, il est intéressant de noter que certaines ne font pas partie de la liste d’étiologie recensée par la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) [12], notamment la migraine et la maladie de Lyme. En effet, ces deux entités sont discutées, et le débat est toujours ouvert sur leur classement en douleurs neuropathiques ou non.
126Les médecins interrogés considèrent que la douleur neuropathique est une pathologie globalement peu fréquente, à l’exception notable des sciatalgies. Pourtant, des études épidémiologiques françaises ont montré que ces douleurs n’étaient pas rares, puisque des douleurs chroniques avec caractéristiques neuropathiques affectent 7 % de la population générale française, dont 5 % sont des douleurs d’intensité modérée à sévère [2, 13]. Ceci représente un quart des patients douloureux chroniques. On estime ainsi qu’un médecin généraliste suit six à sept patients par mois avec des douleurs de ce type. Peut-être s’agit-il là d’un problème de sous-diagnostic. En effet, comme nous le verrons ci-après, certains médecins généralistes disent avoir des difficultés dans le diagnostic de ces douleurs. Certaines authentiques douleurs neuropathiques ne sont donc peut-être pas diagnostiquées.
127Concernant la compétence des médecins interrogés, les réponses sont variées. Certains se sentent très compétents dans ce domaine, que ce soit au niveau du diagnostic ou du traitement, tandis que d’autres se sentent moins à l’aise. Lorsqu’on regarde dans le détail, on se rend compte que les médecins se sentant parfaitement compétents sont plus jeunes que ceux ressentant des difficultés : moyenne de l’année d’installation 2004 et 1989 respectivement. Comme l’ont bien dit certains, l’isolement des douleurs neuropathiques par rapport aux douleurs nociceptives n’est pas très ancien, ce qui explique peut-être cette différence : les médecins qui ont du « prendre le train en route » ont plus de difficultés que ceux ayant été formés dès leurs études à la prise en charge de ce type de douleurs.
128Malgré une formation initiale en Faculté de médecine, notamment à Nancy où des cours sur la douleur ont lieu lors des premier et deuxième cycles, ainsi qu’un séminaire d’une journée organisé par le Département de médecine générale pour les internes de la spécialité [14], les médecins généralistes interrogés ne se sentent pas assez formés dans ce domaine.
129Leur formation continue est également insuffisante selon eux, par manque d’intérêt ou par difficulté à trouver des ressources documentaires adéquates. Pourtant, des groupes de pairs sont organisés partout en Lorraine, des ressources Internet existent, des publications internationales sortent régulièrement dans ce domaine.
130Nombreux sont les participants à déclarer faire appel à un spécialiste pour les aider dans la prise en charge des patients atteints de douleur neuropathique. Il est d’ailleurs recommandé, que ce soit par la SFETD [12] ou la Haute Autorité de santé (HAS) [15], de confier le patient assez rapidement à un spécialiste en cas de doute diagnostique, de difficulté de prise en charge thérapeutique, ou d’arrivée au-delà de la deuxième ou troisième ligne de traitement.
Molécules prescrites
131À l’heure actuelle, les molécules spécifiques des douleurs neuropathiques qui ressortent le plus fréquemment dans les prescriptions des médecins généralistes interrogés sont les antiépileptiques GABAergiques : gabapentine et prégabaline. Les antidépresseurs arrivent en deuxième position, que ce soit les tricycliques (amytriptiline) ou les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNa) (duloxétine et venlafaxine). Ceci est globalement conforme aux recommandations françaises, puisque la SFETD [12] comme la HAS [15] recommandent l’utilisation en première ligne des antiépileptiques et des antidépresseurs. Au niveau international, les recommandations de l’European federation of neurological societies (EFNS) [16] [17] et de l’International association for the study of pain (IASP) [18] vont dans le même sens, de même que les récentes recommandations sud-africaines [31] et canadiennes [32]. En revanche, la duloxétine est recommandée uniquement dans la prise en charge de la neuropathie d’origine diabétique.
132En ce qui concerne, justement, le cas particulier du traitement de la douleur neuropathique d’origine diabétique, les médecins en ayant parlé ont cité la prégabaline (Lyrica®), la duloxétine (Cymbalta®), ainsi que l’association de ces deux molécules. La SFETD recommande en effet la duloxétine en première ligne dans cette indication, mais ne dit rien concernant la prégabaline, ce qui laisse à penser qu’il n’est pas interdit de l’utiliser, mais en deuxième ligne. Aucun mot non plus concernant les associations de molécules, ce qui renvoie aux recommandations sur le traitement de la douleur neuropathique en général.
133En revanche, concernant le traitement des douleurs post-zostériennes, les médecins n’ont cité que les patchs de lidocaïne (Versatis®). Or, la SFETD recommande cette molécule uniquement dans la douleur post-zostérienne du sujet âgé souffrant d’allodynie au frottement et chez qui les traitements systémiques sont déconseillés ou contre-indiqués.
134Concernant les pratiques d’il y a une dizaine d’années, les participants estiment que peu de choses ont changé pendant cette période. Néanmoins, ils citent certaines molécules dont ils n’ont plus parlé dans leurs pratiques actuelles, notamment le clonazépam. Ceci est probablement lié aux modifications des règles de prescriptions de cette molécule, qui ont marqué les habitudes, et qui ont eu pour intérêt de rappeler que cette substance n’a jamais été indiquée dans le traitement des douleurs neuropathiques. En octobre 2010, la durée maximale de prescription a été limitée à douze semaines [28]. En septembre 2011, une partie de la réglementation des stupéfiants s’y applique : la prescription sur ordonnance sécurisée [29]. Enfin, en octobre 2011, la prescription initiale est restreinte aux seuls spécialistes en neurologie et pédiatrie, avec obligation d’un renouvellement annuel [30]. On peut voir dans cette baisse de prescription l’effet de ces nouvelles règles, devenues plus contraignantes pour le prescripteur médecin généraliste, et qui ont peut-être incité certains à remplacer ou à sevrer le clonazépam, même si deux praticiens seulement ont ouvertement parlé du sevrage de leurs patients [5].
135Inversement, certaines molécules sont plus prescrites actuellement qu’il y a dix ans. C’est le cas, en particulier, de la gabapentine et de la prégabaline [6].
136Les prescriptions des spécialistes énoncées par les médecins généralistes peuvent être classées en deux catégories.
137Premièrement, il peut s’agir de molécules à prescription initiale réservée au spécialiste, comme le clonazépam [19, 20], ou non disponible en ville, comme les patchs de capsaïcine [21]. On comprend alors d’emblée pourquoi ces molécules ne sont pas prescrites directement par le médecin généraliste.
138Deuxièmement, il peut s’agir de molécules disponibles en ville, sur prescription de n’importe quel médecin, et ayant l’AMM dans les douleurs neuropathiques, comme la gabapentine [22] ou la prégabaline [23] par exemple. On peut alors se demander pourquoi ces molécules sont prescrites par un spécialiste, puisqu’elles peuvent être de prescription aisée et courante en pratique. Est-ce parce que le médecin adressant le patient ne les a pas utilisées ? Ou parce que le spécialiste n’a pas d’autre arme face à cette douleur ? Une partie de l’explication est probablement qu’il ne s’agit pas ici d’un problème de prescription, mais bien d’un problème de diagnostic. Le médecin généraliste n’ayant pas prescrit de molécule(s) de première intention, alors qu’il le peut, traduit bien que ce qui l’importe avant tout, c’est d’avoir un diagnostic plus précis.
139Concernant les techniques non pharmacologiques pouvant être utilisées dans le traitement des douleurs neuropathiques, les participants ont cité la neurostimulation électrique transcutanée (en anglais transcutaneous electrical nerve stimulation – TENS), la neurostimulation cérébrale, les infiltrations scanno-guidées et l’acupuncture. Ces techniques figurent dans les recommandations de la SFETD [12], mais avec des grades de recommandation faibles (B ou C). En revanche, les autres techniques citées (médecines alternatives) ne sont pas mentionnées dans les recommandations, du fait de l’absence totale de preuve scientifique de leur efficacité.
140Le schéma de mise en place thérapeutique est lui aussi sujet à discussion.
141Dans notre étude, nombreux sont les médecins à déclarer utiliser en premier lieu les antalgiques des paliers de l’OMS contre les douleurs nociceptives (palier 1 : paracétamol, anti-inflammatoires non stéroïdiens et aspirine ; palier 2 : opioïdes faibles – codéine et tramadol ; palier 3 : opioïdes forts – morphiniques), et notamment le palier 1 (paracétamol et anti-inflammatoires non stéroïdiens) et le palier 2 (codéine). Or, ces molécules ne sont recommandées par aucune instance dans le traitement des douleurs neuropathiques.
142Plusieurs études ont d’ailleurs montré qu’il existait une surconsommation des antalgiques des douleurs nociceptives chez des patients atteints de douleurs neuropathiques. Une étude française [3] a montré que moins d’un patient sur deux bénéficiait d’un traitement spécifique, et qu’il existait une surconsommation d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, de codéine et de clonazépam. Une thèse de médecine générale menée à Nancy en 2011 [10] a montré que seuls 5 à 7 % des patients ont une prescription d’antidépresseur tricyclique, et 30 à 40 % d’antiépileptique. Dans le cas particulier du patient diabétique, une thèse de médecine générale réalisée à Lille en 2012 [24] a montré que 40 % des généralistes interrogés ne prescrivent jamais de duloxétine, alors qu’il s’agit de la molécule de première intention dans cette indication.
143Même constat au niveau international. Une Régie de l’assurance maladie du Québec en 2007 [4] a mis en évidence une utilisation totalement inappropriée de certaines molécules dans 34 % des cas, avec notamment une surconsommation d’anti-inflammatoires non stéroïdiens au long cours (7 %), de myorelaxants (7 %) et de benzodiazépines (6,6 %), ainsi qu’un mésusage de l’amytriptiline dans 11 % des cas (non-respect des contre-indications ou des interactions médicamenteuses). De même, une étude belge de 2007 [5] a montré que le paracétamol est la première molécule utilisée en fréquence dans les douleurs neuropathiques, suivie des anti-inflammatoires non stéroïdiens. Et que la bithérapie la plus prescrite est l’association paracétamol et anti-inflammatoire non stéroïdien.
144Ce fait est sans doute corrélé au problème du diagnostic des douleurs neuropathiques, puisque, nous l’avons vu, certains médecins généralistes déclarent rencontrer des difficultés dans le diagnostic de ces pathologies. Ceux-là n’osent peut-être pas utiliser les molécules spécifiques des douleurs neuropathiques, n’étant pas certains de leur diagnostic.
145En revanche, lorsqu’ils utilisent des molécules spécifiques aux douleurs neuropathiques, tous s’accordent sur la nécessité d’une progression mesurée dans l’augmentation des doses, ce qui est conforme aux recommandations.
146Peu nombreux sont les participants à déclarer utiliser des associations de molécules, alors que cette option est fortement recommandée, notamment par la SFETD.
147Enfin, la majorité des participants estime que l’efficacité de ces traitements est globalement similaire, et qu’il n’y a pas de molécule en particulier qui serait toujours efficace dans ces douleurs. Ce point de vue est effectivement soutenu par la SFETD lorsqu’elle dit dans ses recommandations que « l’efficacité de ces traitements est modérée dans l’ensemble » et qu’il existe une « difficulté à établir des prédicteurs de la réponse au traitement ».
Les difficultés rencontrées dans la prise en charge
148Nombreux sont les participants à citer les composantes psychologiques et psychiatriques comme une difficulté à une bonne prise en charge des douleurs neuropathiques. En effet, comme l’a démontré une étude britannique sur le sujet [25], ces douleurs s’accompagnent fréquemment d’une composante anxieuse et/ou dépressive, dans la mesure où ce sont des douleurs chroniques, impactant la qualité de vie, et difficiles à soulager. La SFETD recommande d’ailleurs d’utiliser une échelle (type Hospital anxiety and depression scale (HAD) par exemple) pour quantifier cette composante, et la prendre en charge de manière optimale [12]. L’efficacité des antidépresseurs peut d’ailleurs s’expliquer, en plus de leur action pharmacologique pure, par cette caractéristique.
149Le choix des molécules à utiliser pose également problème aux médecins généralistes interrogés. Ceux-ci mettent en avant le nombre limité de molécules à disposition, la difficulté à évaluer leur efficacité, ainsi que celle du coût financier.
150Ainsi, dans les recommandations de la SFETD, seules douze molécules sont citées comme pouvant être utilisées avec des grades de recommandation A ou B, dont deux n’ont pas d’AMM dans cette indication. Ceci explique peut-être pourquoi cet organisme recommande assez rapidement d’adresser le patient à un spécialiste.
151En ce qui concerne le coût des traitements, celui-ci est très variable, allant de 0,12 € par jour pour l’Imipramine (Tofranil®) à 2,73 € journaliers pour le princeps de la gabapentine (Neurontin®) [12], soit un facteur multiplicateur de 22,75.
152Aux États-Unis, on estime les coûts médicaux directs pour un patient atteint de douleur neuropathique à 17 355 dollars par an, soit trois fois plus environ que les coûts médicaux directs d’un patient atteint de douleur chronique sans composante neuropathique [26]. On retrouve à peu près les mêmes proportions dans une Régie de l’assurance maladie du Québec [4] avec des sommes remboursées de 4 163 dollars par patient atteint de douleur neuropathique et par an, contre 1 846 dollars par an pour un patient atteint de douleurs chroniques sans composante neuropathique (ratio 2,3).
153Autre difficulté rencontrée, celle de la poly-médication, et les notions d’escalade et d’échappement thérapeutique. En effet, les douleurs neuropathiques surviennent très souvent dans un cadre de poly-pathologie et de co-morbidités marquées (diabète, dépression, anxiété, handicap lié à un accident vasculaire cérébral ou une sclérose en plaques, etc.), ce qui induit des traitements lourds et nombreux, auxquels viennent se rajouter ceux destinés à traiter les douleurs. L’escalade thérapeutique est souvent nécessaire, car les molécules utilisées individuellement sont moins efficaces qu’utilisées en association, ce qui ne fait que renforcer la poly-médication. Nous l’avons déjà dit, la SFETD recommande les associations de molécules, dans le but de soulager le patient. Il est important de noter, et un participant l’a bien exprimé, que l’objectif du traitement n’est pas de supprimer totalement la douleur, mais de l’atténuer : diminution de 50 % de l’intensité douloureuse selon Bouhassira [27] ; traitement considéré comme inefficace si moins de 30 % de gain sur une échelle d’évaluation de la douleur selon la SFETD [12]. Ceci entraîne une nécessaire et régulière réévaluation de la douleur et de ses traitements, comme l’ont dit plusieurs participants.
154Une conséquence de cette poly-médication est la iatrogénie associée à ces molécules aux modes d’action pharmacologique complexes. L’apparition d’effets indésirables est ainsi un frein à une bonne observance, et donc à une bonne efficacité de ces médicaments.
155La SFETD recommande ainsi de revoir le patient régulièrement (notamment au cours du premier mois) pour évaluer l’efficacité et la tolérance du traitement.
156Faire accepter ces molécules aux patients, dans la mesure où la plupart d’entre elles sont étiquetées antidépresseurs ou antiépileptiques, et du fait d’une longue liste d’effets indésirables potentiels, n’est pas simple pour la plupart des participants. D’ailleurs, la SFETD met l’accent sur la nécessité d’une information claire et complète du patient, concernant à la fois sa pathologie, les traitements et leurs effets indésirables ainsi que l’efficacité attendue.
157Les généralistes ont également souligné le problème de la limitation de leurs prescriptions, que ce soit pour des problèmes d’AMM, de désaccords des caisses d’assurance maladie, ou encore de modifications drastiques des règles de prescription de certaines molécules.
158Dans ce dernier cadre, c’est bien sûr le clonazépam (Rivotril®) qui a fait parler de lui, et nous avons vu plus haut les nouvelles règles de prescription. Même si la plupart de nos participants connaissent très bien ces nouvelles règles, certains font un raccourci en affirmant que le médecin généraliste « n’a plus le droit » de prescrire du clonazépam. Est-ce une façon de dénoncer ces règles ? En effet, certains médecins semblent gênés par ce nouveau mode de fonctionnement, et dénoncent les longs délais d’attente avant d’avoir accès à un spécialiste.
Limites de l’étude
159La première limite est celle de la taille de notre échantillon. En effet, seuls treize médecins en tout ont pu participer aux groupes d’entretien. Que ce soit par manque de temps ou d’intérêt pour le sujet, ou encore par la faiblesse du nombre de patients atteints de douleurs neuropathiques qu’ils suivent, de nombreux médecins ont refusé de participer à cette étude. Du fait de ces difficultés d’organisation, et de la saturation des données obtenue avec les deux groupes, nous avons décidé de ne pas organiser d’autres groupes d’entretien collectifs semi-dirigés. Mais il aurait bien sûr été intéressant de recueillir les avis et pratiques d’un plus grand nombre de médecins.
160En exploitant les données, nous avons réalisé que certains aspects auraient pu être approfondis en relançant le débat, notamment en ce qui concerne l’impact du contexte propre au patient sur l’efficacité des différentes molécules.
161Biais inhérent à la technique du groupe d’entretien, le biais de préservation de face consiste, pour une personne, à ne pas dévoiler une idée qu’elle pense juste dans le but de ne pas avoir « l’air ridicule », ou parce que cette idée entre en contradiction avec ce que le reste du groupe a déclaré jusque-là.
162Les biais externes, dus à l’environnement de l’étude, ont pu être limités grâce aux deux lieux choisis pour le déroulement de ces groupes d’entretien. En effet, il s’agissait d’endroits calmes, agréables, confortables, faciles d’accès, sans possibilité de dérangement des participants (téléphones éteints notamment). De même, le silence respecté par l’observateur, et la limitation des interventions de l’animateur ont permis de laisser se dérouler les entretiens sans entrave.
163Le biais d’investigation, là encore grâce à la limitation des interventions de l’animateur, a pu être contrôlé.
164Enfin, le biais d’interprétation a été limité par la double analyse des données, par trois chercheurs utilisant chacun une analyse manuelle et informatique des données relevées.
Ouvertures
165Nous l’avons vu, les médecins généralistes interrogés se plaignaient de ne pas être assez formés dans le traitement des douleurs neuropathiques.
166Nous proposons donc de mettre à disposition un résumé des recommandations françaises sous la forme d’une figure simple et rapide à utiliser, par exemple intégré à un outil informatique sur Internet tel le site d’Oncolor.
167Nous proposons également d’établir une communication lors de la semaine médicale de Lorraine, sous forme orale ou de poster, résumant les données de cette étude ainsi que les principales recommandations.
Conclusion
168Les douleurs neuropathiques, relativement fréquentes, même si elles ne sont pas perçues comme telles par les médecins interrogés, posent de nombreuses difficultés aux praticiens les prenant en charge, et notamment le médecin généraliste, qui est sollicité en premier recours, comme dans de nombreuses autres pathologies. La difficulté du diagnostic de ces douleurs, et notamment leur différenciation des douleurs pas excès de nociception, est une difficulté soulevée par notre panel, et qui peut expliquer cet état de fait.
169Mauvaise qualité de leur formation, difficultés d’accès aux recommandations, faiblesse d’efficacité ou manque de choix dans les molécules disponibles, etc. font partie des difficultés éprouvées par les médecins que nous avons interrogés et qui, selon eux, les empêchent de soulager au mieux leurs patients. Néanmoins, des solutions existent à certaines de ces difficultés, notamment la formation continue, la recherche internet, l’évolution de l’offre médicamenteuse avec le développement de nouvelles molécules, ainsi que l’utilisation de techniques non médicamenteuses ou de médecines alternatives, auxquelles les professionnels n’ont pas toujours accès ou ne sollicitent pas.
170La douleur neuropathique est de découverte relativement récente. Gageons que les progrès à venir dans ce domaine, que ce soit en termes de diagnostic ou de traitement, permettront dans le futur de mieux prendre en charge ces patients.
171Aucun conflit d’intérêt déclaré
172Note des auteurs : Les données annexes (lettre d’invitation aux groupes d’entretiens semi-dirigés, grille d’entretien des groupes d’entretiens semi-dirigés, tableau contenant les codes identifiants de présentation des molécules interrogées par l’Assurance maladie) sont à disposition des lecteurs sur demande aux auteurs.
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Mots-clés éditeurs : pratiques professionnelles, douleur neuropathique, médecine générale, groupe d’entretien collectif semi-dirigé
Mise en ligne 27/10/2016
https://doi.org/10.3917/spub.164.0505Notes
-
[1]
Médecin généraliste – 110 avenue du Général Leclerc – 54500 Vandœuvre-lès-Nancy.
-
[2]
Service Médical de la Région Nord-Est – 85 Rue de Metz – Nancy – France.
-
[3]
Centre Hospitalo-Universitaire de Nancy Unité de Post-Urgences Polyvalente – 29 Avenue Maréchal De Lattre de Tassigny – Nancy – France.
-
[4]
Université de Lorraine Faculté de médecine – 9 avenue de la Forêt de Haye – Vandœuvre-lès-Nancy – France.
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[5]
Cette évolution se retrouve dans des données chiffrées que nous avons obtenues auprès de l’Assurance maladie en Lorraine, qui montrent que sur la période 2012-2014, le nombre de conditionnements de clonazépam soumis au remboursement s’est effondré de 54,7 %. De la même manière, la carbamazépine a été beaucoup moins citée dans les traitements actuels par nos participants, ce qui est semblable aux données de l’Assurance maladie, puisque cette molécule est la seule de celles étudiées, en dehors du clonazépam, à avoir vu son nombre de prescriptions baisser entre 2012 et 2014 (– 3,9 %). Nous tenons à disposition des lecteurs qui le souhaitent ces données quantitatives, sur simple demande aux auteurs.
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[6]
Ces déclarations se retrouvent dans les chiffres de l’Assurance maladie en Lorraine, puisqu’entre 2012 et 2014, les prescriptions de ces molécules ont augmenté de 18,3 % et 16,5 % respectivement.