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Article de revue

La recherche interventionnelle en santé publique : partenariat chercheurs-acteurs, interdisciplinarité et rôle social

Pages 303 à 304

Notes

  • [1]
    Sur cet aspect un dossier paru dans La Santé en action [8] présente des expériences et propose des ressources bibliographiques utiles.

1 La recherche interventionnelle (RI) est en plein essor en France. En santé publique, des appels à projets dédiés ont permis aux chercheurs et partenaires de la recherche d’investir ce champ et ainsi, d’innover. La RI est définie comme l’utilisation des méthodes de la recherche pour produire des connaissances concernant des interventions, qu’elles soient menées ou non dans le champ du système de santé [1]. Elle a pour objectifs de démontrer l’efficacité des interventions, d’analyser les leviers à mobiliser, les mécanismes des interventions, leurs conditions et modalités de mise en œuvre, leur reproductibilité et durabilité. Elle repose sur l’expérimentation et sur la capitalisation des innovations de terrain et pour cela fait appel à un large éventail de disciplines, de méthodes et d’outils scientifiques. À visée opérationnelle, la RI tend à produire des connaissances utiles à l’action et à la décision. Elle est la « science des solutions » pour reprendre l’expression de Louise Potvin [2], qu’elle considère à juste titre en retard par rapport à la « science des problèmes ».

2 Des projets actuels, deux dimensions retiennent l’attention comme marqueurs forts d’une démarche de recherche innovante.

3 Premièrement, la RI requiert d’impliquer, dans la démarche de recherche, des partenaires « non chercheurs » mais « acteurs de terrain » [1]. Un des postulats de la RI est en effet qu’une recherche ne peut se concevoir ni se conduire sans les acteurs qui font, et sont au cœur de l’intervention. À partir du moment où la RI a l’ambition d’étudier, d’agir, voire de transformer, un contexte d’action, il convient de reconnaître les professionnels comme acteurs de changement, et d’en faire de véritables partenaires de la recherche [3]. L’on retrouve ainsi le double objectif des classiques recherches-actions : production de connaissances et modification du réel.

4 Bien plus qu’un exercice de style, l’enjeu est de faire du partenariat chercheurs-acteurs un des principes de la RI. Trois arguments plaident en sa faveur. Premièrement, ce partenariat apporte un nouvel éclairage sur des objets de recherche encore non explorés ou parfois déjà investis par le milieu de la recherche mais de manière peu appropriée. Deuxièmement, il engendre une dynamique vertueuse. Le pendant de l’implication des acteurs dans la recherche est en effet celui des chercheurs dans l’action : les démarches d’actions innovantes et d’évaluations se doivent dans cette perspective d’associer les chercheurs. Ceci permet une meilleure valorisation des expériences de terrain pour faire d’une connaissance produite dans un objectif contextuel, une connaissance généralisable et utile à d’autres. L’apport des méthodes et des outils de la recherche dans un contexte d’action est ici crucial. Troisièmement, ce partenariat doit être le ciment du transfert de connaissances [4]. Trop souvent vu comme un dispositif d’aval, un « service après-vente » de la recherche, le transfert des connaissances exige d’impliquer, dès la formalisation de l’idée de recherche, les utilisateurs des résultats de la recherche. La RI n’a en effet de sens que si elle intègre des dispositifs et des mesures visant à mettre ses résultats à disposition des utilisateurs potentiels et à les accompagner à leur utilisation.

5 Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de faire des acteurs de terrain des chercheurs ou réciproquement. Chacun a ses spécificités et ses compétences. Mais il s’agit de construire ensemble les conditions de genèse de données probantes non seulement valides mais aussi utiles et adaptées à l’action et à la décision. De plus, en s’apportant mutuellement soutien, acteurs et chercheurs renforceront leurs capacités respectives à peser significativement sur les décisions et politiques en santé publique [5].

6 La deuxième dimension structurant la RI, est l’interdisciplinarité. D’aucuns affirmeront que l’interdisciplinarité est déjà la marque de fabrique de la recherche en santé publique ; on pourra objecter que si le principe est acté, la pratique de l’interdisciplinarité demande à être développée et mûrie. Ce qu’exige la RI, c’est précisément de persévérer dans cette direction et ce pour une raison simple : les objets d’étude de la RI sont par nature complexes et si l’on se donne pour dessein de les étudier, il convient d’adopter (et d’accepter) plusieurs regards disciplinaires. La RI se confronte aux dimensions de complexité inhérentes aux contextes de santé publique ; le regard uni-disciplinaire n’est dès lors plus adapté, tendant à réduire l’objet de recherche à une lecture unique et à évacuer sa dimension complexe. Ainsi, aux côtés des disciplines de recherche traditionnellement mobilisées en santé publique telle que l’épidémiologie, peuvent – doivent – prétendre à un rôle de choix en RI l’ensemble des disciplines issues des sciences sociales et humaines [6]. Il ne s’agit pas de faire « à côté », ou « en plus », mais bien d’entreprendre des recherches d’emblée interdisciplinaires. Cela demande de penser en amont l’objet étudié, de procéder à une problématisation commune, d’allier méthodes et outils de recherche, et de se retrouver peu ou prou dans des interprétations communes. L’entreprise est osée, les langages disciplinaires menant souvent à des incompréhensions qu’il s’agit de dénouer [7]. Un équilibre est par ailleurs à trouver : il ne s’agit pas d’annihiler les disciplines mais bien de les valoriser au mieux dans un travail commun, en préservant l’expression et la spécificité des savoirs disciplinaires. Bien sûr, les jeux de pouvoirs ne peuvent complètement être évités ; gageons qu’ils prennent d’abord la forme de débats contradictoires au sein desquels se fait la science et émergent des connaissances nouvelles et utiles pour la décision publique.

7 Car là se situe l’essentiel du cheminement de la RI. Explicite et revendiqué, la RI défend le rôle social de la recherche. Le partenariat entre acteurs et chercheurs ainsi que les approches interdisciplinaires en sont les leviers principaux : ils doivent permettre la définition des priorités de recherche au prisme des besoins sociaux, et le développement d’une recherche contextualisée et utile aux acteurs.

8 Santé publique, qui se veut carrefour des chercheurs et acteurs de santé publique, ouvre naturellement ses colonnes aux recherches, retours d’expériences et débats sur le sujet. Ainsi, est proposé dans ce numéro un dossier consacré à la recherche interventionnelle en sciences humaines et sociales dans le domaine du cancer. Ce dossier favorise l’expression et le retour d’expériences de sociologues engagés dans des démarches de recherche interventionnelle. Leurs questionnements alimentent la réflexion autour de la RI et son développement en France. Par la publication de ce dossier, Santé publique espère prendre une part active dans le développement de la RI et appuyer le rôle social de la recherche dans le monde francophone.

Bibliographie

Références

  • 1
    Hawe P, Potvin L. What is population health intervention research ? Can J Public Health 2009 ;100 [Suppl-14].
  • 2
    Potvin L, Di Ruggiero E, Shoveller JA. Pour une science des solutions : la recherche interventionnelle en santé des populations. La santé en action. 2013 ;425 :13-6.
  • 3
    Ferron C, Breton E, Guichard A. Recherche interventionnelle en santé publique : quand chercheurs et acteurs de terrain travaillent ensemble. La santé en action. 2013 ;425 :10-2.
  • 4
    Cambon L, Alla F. Transfert et partage de connaissances en santé publique : réflexions sur les composantes d’un dispositif national en France. Santé publique. 2013 ;25(6) :757-62.
  • 5
    Ferron C. Savoirs révélés, savoirs tacites : le point de rencontre entre chercheurs et acteurs de terrain. Santé publique 2011 ;23(5) :343-4.
  • 6
    Kivits J, Fournier C, Mino JC, Frattini MO, Winance M, Lefève C, Robelet M. Jalons pour une recherche interdisciplinaire en santé et en sciences humaines et sociales : apports d’un séminaire de recherche. Sante Publique. 2013 ;25(5) :579-86.
  • 7
    Villeval M et al. L’interdisciplinarité en action : les « mots-pièges » d’une recherche interdisciplinaire. Santé Publique. 2014 ;26(2) :155-63.
  • 8
    Dossier « Quand chercheurs et acteurs de terrain travaillent ensemble ». La santé en action. 2013 ;425 :10-41.

Notes

  • [1]
    Sur cet aspect un dossier paru dans La Santé en action [8] présente des expériences et propose des ressources bibliographiques utiles.
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