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Article de revue

Perception de la qualité des soins chez les professionnels de santé de l'Établissement Hospitalier et Universitaire d'Oran (EHUO)

Pages 475 à 485

Notes

  • [1]
    Labo. recherche Système d’information en santé - Université d’Oran - BP 83 El Moujahed - 31009 Oran - Algérie.
  • [2]
    Service Épidémiologie et de Médecine Préventive. E - Route de Sidi Marouf - Oran.
  • [3]
    Décret présidentiel 03-270 du 13 août 2003 pour l’EHU et Décrets exécutifs 05-459 pour l’EH de Aïn Témouchent, 06-143 pour l’EH de Skikda, 06-384 pour l’EH d’Aïn El Turck, 06-422 pour l’EH de Aïn Azel, 07-209 pour l’EH de Didouche Mourad.
  • [4]
    MSPRH 2001 : Développement du Système national de Santé : Stratégie et Perspectives, État de santé des algériens 2002 et 2004.
  • [5]
    Circulaire du 19 décembre 2001.
  • [6]
    Contribution à l’humanisation des hôpitaux. 2001.
  • [7]
    Instruction du 13 mai 2003.
  • [8]
    Instruction n° 1 du 2 mai 2006 de prise en charge des PVVIH.

Introduction

1Différentes acceptions du terme de la qualité abondent dans la littérature, à tel point que définir la qualité des soins s’apparente à une « une auberge espagnole » [1]. Le thème de qualité est central aujourd’hui et le « consommateur » est « agressé » par la surabondance d’information sur la qualité des produits et services de plus en plus nombreux.

2Notre établissement, l’EHUO, de soins de haut niveau, à caractère non administratif doit développer son projet de qualité, selon les missions qui lui sont attribuées officiellement. La tutelle, chargée en principe d’accompagner les établissements à répondre au cadre légal institutionnel, n’a pas encore proposé de guides méthodologiques pour appuyer les hôpitaux à réfléchir, préparer et mettre en place de tels projets. Au lieu de rester sur un discours récurrent contenu dans les notes et instructions de la tutelle, nous avons voulu aborder la qualité selon une approche construite sur une base factuelle en explorant l’environnement interne de l’hôpital. L’unité d’information hospitalière du pôle prévention de l’établissement, en plus à sa contribution à la réflexion au projet d’établissement, a contribué à jeter les jalons de la construction du projet qualité. La première étape a été de mobiliser un groupe de travail, qui s’est transformé en cercle de qualité, autour de certaines problématiques urgentes, telles que les circuits du linge et des déchets hospitaliers, de la fonction restauration, en particulier. En parallèle, les avis des patients ont été demandés dans le cadre d’une enquête satisfaction. Le point de vue des professionnels restait encore à explorer c’est ce qui a été à l’origine de ce travail. Cette première étape qualitative doit être suivie d’autres permettant d’approfondir l’investigation et d’avoir une vision plus claire de la situation.

3L’environnement économique de l’EHUO ne présente aucune menace sérieuse pour le moment, malgré une poussée du secteur privé lucratif qui sepositionne sur les segments d’activité innovants et très rentables. Par ailleurs, la contractualisation entre les prestataires de soins et la sécurité sociale, qui est en train de se mettre en place, considère la qualité des soins comme un élément important dans le processus d’achat des soins. La mise en concurrence des prestataires, publics ou privés, est le mode qui a été choisi, selon la loi, pour départager entre les fournisseurs de soins. Le payeur recherche des soins de qualité et au meilleur coût.

4Le but qui motive la réflexion sur le projet de qualité reste d’une part la conformité avec ses statuts et d’autre part une volonté d’inscrire la qualité dans le processus de soins où il est question de compétences, de sécurité des pratiques, d’efficacité et de relations humaines.

5Cette démarche est actuellement soutenue dans le cadre d’un travail collaboratif entre des professionnels impliqués au sein d’un cercle de qualité mis en place depuis plus de deux années, mais dont les progrès restent encore non significatifs.

Objectif

6L’objectif principal est d’essayer de comprendre et de connaître comment est perçue la qualité globalement et la qualité des soins en particulier par les professionnels de l’EHUO.

Population

7L’étude a touché les personnels médicaux, paramédicaux (tous les grades et fonctions), administratifs, techniques, à l’exclusion des ouvriers professionnels chargés de tâches de logistique et des personnels dépendant des sociétés qui sous-traitent les fonctions d’hygiène, de gardiennage, de buanderie…

Méthodologie

8Pour l’échantillon de l’étude, nous avons utilisé la méthode des quotas où 20 % des catégories des personnels ont été enquêtés : médecins-chefs de services (n = 7), médecins hospitalo-universitaires (n = 14), médecins hospitaliers (n = 10), médecins résidents (n = 10), infirmiers diplômés d’État (n = 19), infirmiers (n = 5), aides-soignants (n = 14), biologistes (n = 12), autres soignants (n = 3), cadres administratifs (n = 4), administratifs (n = 6) et personnel technique (n = 5).

9Le questionnaire utilisé comprend un ensemble de questions fermées, des questions ouvertes pour le recueil des définitions et des descriptions de situations propres à chaque catégorie de professionnels, ainsi que des échelles de score pour chiffrer les appréciations.

10Une pré-enquête sur un sous-échantillon de chaque catégorie professionnelle a été réalisée pour tester et corriger les questions et estimer le taux de réponse et l’acceptation de ce type d’approche. Le staff de direction a autorisé et facilité l’enquête, et l’encadrement médical et soignant a été sensibilisé pour permettre son bon déroulement.

11Il s’agit en définitive de connaître la perception de la qualité par catégorie professionnelle et la concordance avec les termes contenus dans les directives de la tutelle ministérielle. Il s’agira également de savoir comment le personnel se détermine par rapport à la démarche globale de la qualité (séquences : dire-écrire-faire) et aux outils et méthodes d’amélioration de la qualité tels que les cercles et la certification.

Résultats

Caractéristiques de la population des répondants

12Les caractéristiques des personnels de l’EHUO ne montrent pas d’éléments particuliers à noter, sauf peut-être la faible représentation féminine dans le corps médical qui est due à un effet de structure de l’établissement. Il en est de même pour l’ancienneté plus faible chez les soignants de sexe féminin. L’EHUO a basé son recrutement d’une part sur les mutations, où les hommes, les médecins et les administratifs ont plus souvent accepté ce statut ; et d’autre part sur les nouveaux recrutements essentiellement des soignants de sexe féminin (Tableau I).

Tableau I

Caractéristiques de la population des répondants selon la catégorie des personnels (N = 117)

Tableau I
Médicale Soignant Administrative Total Genre Féminin Masculin Ancienneté moyenne (Écart-Type) Féminin Masculin Globale 18 30 8,55 (11,2) 8,1 (10,2) 8,31 (10,5) 49 3 5,2 (6,6) 15,6 (14,5) 5,86 (7,48) 10 7 2,4 (1,8) 16,8 (12,6) 8,35 (10,77) 77 40 P = 0,9 test H de Kruskal-Wallis

Caractéristiques de la population des répondants selon la catégorie des personnels (N = 117)

Les différents types de représentation de la qualité selon les catégories de personnels

13Chaque corps professionnel composant le personnel de l’hôpital possède un type de représentation spécifique. Ainsi, les médecins utilisent plus souvent les termes « soins adéquats », « efficacité », « efficience », « observance », « état de l’art ». La qualité peut être définie, selon leurs propos, comme « l’utilisation des techniques de soins selon l’état de l’art et la production de prestations selon des standards universels », c’est « un service ou un produit qui est ni nocif, ni toxique, il est efficace et bien organisé ». Leur système de référence est très lié aux soins techniques.

14De leur côté, les soignants, tous grades confondus (d’aide-soignant à infirmier diplômé d’État), parlent plus de « confort », « méthode de travail », « accueil », « hygiène »… Pour cette catégorie, la qualité « c’est le bon accueil du malade, l’hygiène et la bonne relation ». La référence ici relève du « relationnel » et des « actes de vie courante ».

15Les biologistes, quant à eux, utilisent les termes de « fiabilité », « précaution », « sécurité », « vigilance », « bonnes pratiques »… Pour eux, la qualité « c’est suivre de bonnes méthodes de travail et d’être en bonne coordination avec les services ». Leur référence penche plus du côté des règles de bonnes pratiques.

16Les personnels techniques, ingénieurs et techniciens, parlent de « normes », « composants », « conception », « délais d’attente », « délais de panne »… Ils considèrent la qualité comme étant « l’assurance de la continuité des prestations et des activités ». Ces personnels sont plus sensibles aux procédures et aux caractéristiques techniques des équipements et matériels. Les fiches techniques des « machines » constituent leurs documents de référence.

17Enfin, le personnel administratif utilise plus les termes de « rendement », « référence », « coût » et « organisation », « conscience professionnelle ». Ils pensent que la qualité « c’est quelque chose qui coûte cher mais qui permet d’atteindre le but » ou encore que « c’est la qualité humaine de respect, d’éducation et de conscience professionnelle par rapport aux obligations du travail ». Les textes réglementaires, du ministère de la Santé, et la législation du travail restent leur documentation la plus usitée.

Les orientations du ministère de la Santé relatives à la qualité

18Les documents publiés par le ministère de la Santé énoncent la qualité à travers les termes suivants : accueil des malades, tenue réglementaire, humanisation, écoute des patients, information du malade, repos des malades, organisation des visites, respect des horaires, restauration, literie, hygiène, compétences des personnels, respect des programmations (explorations, interventions…), disponibilité des médicaments, fonctionnement plateaux techniques.

19Par contre, la qualité est abordée de façon explicite dans les décrets [3] de création des établissements hospitaliers, universitaires ou non (EHU et EH) de statut spécifique à comptabilité commerciale. Il leur est demandé de produire un projet qualité, sans leur préciser ni les domaines ni la méthode de travail.

Importance accordée par le personnel de l’EHUO aux items contenus dans les textes du ministère de la Santé

20Pour les 13 items investigués, le personnel les considère tous comme importants ou très importants dans plus de 90 % des cas. Il y a accord parfait entre les centres d’intérêt du Ministère de la Santé et l’importance accordée par le personnel (Tableau II).

Tableau II

Importance des items relatifs à la qualité selon le personnel de l’EHUO

Tableau II
Aucune importance (%) Peu important (%) Important (%) Très important (%) N (%) Accueil 0 (0) 1 (0,9) 13 (11,1) 103 (88) 117 (100) Tenue réglementaire 0 (0) 9 (7,7) 41 (35) 67 (57,3) 117 (100) Humanisation 0 (0) 1 (0,9) 16 (13,7) 100 (85,5) 117 (100) Ecoute des patients 0 (0) 2 (1,7) 21 (17,9) 94 (80,3) 117 (100) Information des patients sur leur état de santé 0 (0) 6 (5,1) 34 (29,1) 74 (63,2) 117 (100) Repos des malades 0 (0) 3 (2,6) 39 (33,3) 75 (64,1) 117 (100) Organisation des visites 0 (0) 2 (1,7) 34 (29,1) 80 (68,4) 117 (100) Respect des horaires 0 (0) 1 (0,9) 30 (25,6) 85 (72,6) 117 (100) Restauration, literie, hygiène 0 (0) 1 (0,9) 5 (4,3) 110 (94) 117 (100) Compétences des personnels 0 (0) 1 (0,9) 26 (22,2) 90 (76,9) 117 (100) Respect des programmations 0 (0) 2 (0,9) 34 (29,1) 80 (68,4) 117 (100) Disponibilité des médicaments 0 (0) 2 (0,9) 15 (12,8) 100 (85,5) 117 (100) Fonctionnement de plateau technique 0 (0) 2 (0,9) 22 (18,8) 93 (79,5) 117 (100)

Importance des items relatifs à la qualité selon le personnel de l’EHUO

Appréciation et classement des éléments du projet qualité à l’EHUO

21Les six composantes d’un projet de qualité, à savoir : la charte qualité, l’élaboration des protocoles, la mise en place d’une commission qualité, la formation du personnel, le respect des protocoles et la surveillance des évènements indésirables, ont été appréciées très favorablement. Cependant, le personnel a, en moyenne, mieux apprécié la formation, le recyclage du personnel et la surveillance des événements indésirables que les autres facteurs. Néanmoins, la variation des appréciations n’est pas importante. Les résultats montrent qu’une note complète est donnée par plus de 75 % des personnels pour l’ensemble des variables étudiées (Tableau III).

Tableau III

Appréciation chiffrée des éléments du projet qualité selon le personnel de l’EHUO

Tableau III
Variables N = 117 Moy. Lim < (95% Lim > 95% Min P 25 Médiane P 75 Max Charte qualité 117 8,01 7,62 8,39 0,0 7,00 8,00 10,00 10,00 Élaboration protocole 117 8,50 8,19 8,80 3,00 8,00 9,00 10,00 10,00 Mise en place commission qualité 117 8,66 8,37 8,95 3,00 8,00 9,00 10,00 10,00 Recyclage personnel 117 9,50 9,30 9,71 3,00 9,00 10,00 10,00 10,00 Respect protocole 117 9,26 9,03 9,49 5,00 9,00 10,00 10,00 10,00 Surveillance incidents/accidents 117 9,53 9,35 9,71 5,00 9,00 10,00 10,00 10,00

Appréciation chiffrée des éléments du projet qualité selon le personnel de l’EHUO

22Lorsqu’on classe les composantes du projet qualité, ce sont les aspects de surveillance des événements indésirables qui viennent en tête, suivis de la formation. La charte qualité, qui constitue le fondement de la qualité n’arrive qu’en dernière position dans la préoccupation des personnels (Tableau IV).

Tableau IV

Classement des éléments du projet qualité

Tableau IV
Variables Moy. Classement Surveillance incidents/accidents 9,53 1 Recyclage personnel 9,50 2 Respect protocole 9,26 3 Mise en place commission qualité 8,66 4 Élaboration protocole 8,50 5 Charte qualité 8,01 6

Classement des éléments du projet qualité

Connaissent-ils les missions et les textes fondateurs de l’établissement ?

23La majorité des enquêtés (90 %) n’ont aucune idée des textes du ministère de la Santé qui traitent des thèmes de la qualité. 91 % déclarent, à juste titre, ne pas connaître la structure qui gère la qualité à l’EHUO, alors que 6 % donnent une réponse inexacte.

24Ils ne sont que 20 % à déclarer savoir que le projet qualité est une des obligations statutaires de l’EHUO.

Connaissance des structures et composantes du projet de qualité à l’EHUO

25Plus de la moitié des personnels n’ont aucune idée sur les structures et les composantes d’un projet et entre 1/3 et 1/2 d’entre eux estiment, à tort, qu’elles existent ou sont déjà mises en œuvre.

26Concernant l’affichage des procédures et des protocoles, cette mesure n’est pas uniforme dans tous les services. Par contre, la prévention du risque transfusionnel, qui est bien codifiée à travers les procédures de l’Agence Nationale du Sang, semble être méconnue par près des 3/4 des personnels de l’EHUO (Tableau V).

Tableau V

Connaissances des structures et composantes du projet qualité à l’EHUO selon les personnels de l’EHUO

Tableau V
Composantes du projet qualité Oui (%) Non (%) NSP (%) Commission qualité 51 (43) 2 (1,7) 64 (54,7) Existence du CLIN 45 (38) 11 (9,4) 61 (52,1) Signalement (déclaration des Infections nosocomiales) 55 (47) 15 (12,8) 47 (40,2) Protocole de prise en charge de la douleur 63 (53,8) 9 (7,7) 45 (38,5) Prise en compte des plaintes 39 (33,3) 36 (30) 42 (35,9) Enquête de satisfaction des patients 76 (65) 3 (2,6) 38 (32,5) Comité du médicament 44 (37,6) 17 (14,5) 56 (47,6) Comité des antibiotiques 44 (37,6) 11 (9,4) 62 (53) Affichage des protocoles (CAT) de soins ou d’intervention 63 (53,8) 33 (28) 20 (17,1) Prévention du risque transfusionnel 27 (23,1) 60 (51,3) 30 (25,6)

Connaissances des structures et composantes du projet qualité à l’EHUO selon les personnels de l’EHUO

Renforcement de la qualité à l’EHUO

27En matière de méthode utilisée dans le renforcement de la qualité, le personnel est favorable totalement aux audits et à la certification. Cependant, il reste partagé (50 %) pour ce qui est de la participation des représentants des usagers au conseil d’administration de l’établissement, même si cela est réglementaire. Selon le personnel, les patients n’ont pas de rôle à jouer dans le management de la qualité à l’hôpital.

Discussion

28En plus de sa démarche particulière, ses outils et méthodes spécifiques, la qualité englobe beaucoup d’éléments de l’ordre de l’individu, de sa psychologie et de sa sociologie. Une grande partie des domaines cognitif et comportemental intervient dans la construction de la représentation et le développement de la maturation et de la posture de l’individu [2, 3].

29La perception de la qualité est influencée par les acteurs du système de santé eux-mêmes. L’asymétrie d’information dont usent les soignants les met dans une position dominante par rapport aux patients. La qualité ne serait-elle pas aussi une question d’éthique au lieu d’un simple déterminant d’ordre technique ?

30L’engagement soutenu des professionnels est d’une importance capitale pour la réussite de la préparation, la réflexion sur les stratégies à développer et pour la mise en œuvre du projet à l’hôpital [4]. Cette adhésion quasi-unanime des personnels de l’EHUO ne laisse aucun doute sur le fait qu’ils acceptent la qualité comme fondement de progrès. Cet engouement naturel des personnels traduit en fait un héritage culturel construit sur les acquis théoriques et pratiques obtenus lors de leur formation initiale. Ceci permet également d’intégrer et d’accepter les directives de la tutelle et de ne pas mettre en opposition les visions institutionnelle et professionnelle. En somme, il y a là les éléments de la constitution d’une culture organisationnelle [5], sans préjuger de ceux relevant de la vision managériale.

31Parmi les textes ministériels recensés depuis l’année 2000, une dizaine aborde la qualité des soins à travers les concepts ou termes généraux relatifs à l’accueil, à la prise en charge logistique et technique. Il s’agit en fait de textes de présentation du système de santé algérien [4], de circulaires ou d’instructions de prises en charge de la qualité [5], [6], [7] ou encore de non-discrimination de certains patients [8]. Si nos résultats montrent une concordance entre la vision de la tutelle et celle du personnel de l’EHUO, cela devrait être confirmé ou non par des études plus robustes, tant qualitative que quantitative.

32Ce n’est qu’avec la création des établissements hospitaliers de statut non administratif (comptabilité commerciale), comme l’EHUO, que le projet qualité est inscrit de façon formelle, mais malheureusement sans appui, ni accompagnement.

33Nous observons ainsi un passage graduel (en apparence) d’une gestion « par les sentiments » ancrée dans le vécu professionnel à une gestion « managée » de la qualité dans les établissements de santé [6], avec comme phase pilote l’expérimentation dans les Établissements de statut non administratif. À ce jour, aucun de ces six établissements de ce type, n’a encore bâti son projet de qualité. Le projet de coopération de l’UE d’appui au système de santé algérien, lancé en mai 2011, devrait permettre de répondre à cette exigence.

Appréciation et classement des éléments du projet qualité à l’EHUO

34Les six composantes d’un projet de qualité ont été appréciées très favorablement, ce qui est retrouvé par ailleurs dans d’autres études [7]. Cependant le personnel a, en moyenne, donné plus de place à la formation, au recyclage du personnel et à la surveillance des événements indésirables qu’aux autres facteurs.

35Ce sont les aspects de suivi, d’évaluation et de formation (composante processus du projet) qui ont été privilégiés par rapport à la composante vision et buts du projet. Or, celle-ci constitue un fondement préalable de la démarche qualité, mais qui n’arrive qu’en dernière position dans la préoccupation des personnels. Ce déséquilibre dans l’approche méthodologique est une des conséquences de l’absence d’une démarche systémique.

36Les personnels semblent très marqués par leurs expériences professionnelles et les acquis théoriques et pratiques. Aucun ajustement n’est venu corriger ces postures (ou mauvaises postures) par rapport aux exigences des patients (préférences) et/ou techniques (recommandations professionnelles) [8].

37Les mises en situation professionnelle ne sont pas formalisées. Les adaptations aux postes de travail se font lors des formations initiales, qui comportent en même temps les phases théoriques et pratiques. Les élèves ou les étudiants viennent avec leurs représentations et « pénètrent » dans l’enceinte de l’hôpital sans adaptation ni mise en condition. L’immersion n’a jamais lieu. Cette situation est encore plus marquée depuis que les flux d’élèves ou d’étudiants dépassent les capacités de suivi et d’encadrement lors des stages pratiques. La formation pratique n’est plus à temps plein, elle est programmée dans le cadre de vacations par rapport à des objectifs éducationnels contrôlés et limités. Les étudiants et les élèves sont ballotés entre deux cultures, pas trop éloignées heureusement, celle de l’université ou de l’école et celle de l’hôpital, sachant que ce second lieu influe fortement sur les attitudes et les comportements, du fait, entre autres, de l’effet de groupe [9].

38Ces conditions ne permettent aucunement aux personnels intégrant les établissements de soins d’être briefés sur les textes de la tutelle en matière de qualité des soins. Les établissements, déjà handicapés par une politique de communication interne, ne peuvent se hisser à la hauteur des exigences du management de la qualité. La majorité des personnels de l’EHUO déclare à juste titre ne pas connaître la structure qui gère la qualité. Lorsqu’ils évoquent la qualité ils parlent de structures qui n’existent pas encore à l’hôpital, ou bien n’abordent pas du tout des procédures fondamentales comme par exemple la sécurité transfusionnelle, qui représente une action d’envergure nationale managée par l’Agence Nationale du Sang et faisant partie des cursus de formation. Ce gap d’information et de communication constitue un autre obstacle à la construction du projet de qualité [8].

39En matière de méthode utilisée dans le renforcement de la qualité, le personnel est totalement acquis aux audits et à la certification, ce qui constitue un a priori important dans le processus de construction du projet [10-14]. Seulement, il n’accepte pas, dans sa majorité, le jugement des patients et leur participation dans la gestion de l’établissement et dans le management de la qualité à l’hôpital. Ceci nous interpelle doublement ; d’une part les statuts de l’EHUO ne sont pas connu, en ce qui concerne la participation des représentants des usagers au Conseil d’Administration, et d’autre part l’avis des usagers qui constitue un bon indicateur de la performance et de la qualité des soins [15-17] est complètement remis en question.

40Tout en considérant que le jugement des usagers doit être pondéré du fait de la forte influence qu’ont les déterminants hors du système de soins [18].

41D’une manière générale et malgré l’engagement institutionnel en matière de qualité, le management n’a pas été mis en route. Il s’est avéré que le discours n’a pas été suivi d’actions concrètes avec tous les outils nécessaires pour garantir leur réussite [3]. En plus des actions liées à l’immersion, à l’adaptation de la théorie aux conditions de travail sur le terrain, à l’information et à la communication, la participation et la mobilisation des staffs doivent être constantes et non pas occasionnelles et ponctuellement liées à des événements officiels ou à des effets de mode. Elles doivent être intégrées dans un processus organisationnel afin de provoquer un effet de levier pour accélérer le changement dans l’organisation.

42L’absence ou la faiblesse des projets d’établissement, entre autres, suite à l’instabilité des managers, fragilise encore plus les actions de qualité des soins dans un établissement.

43Même si l’organigramme de l’EHUO prévoit un encadrement de la qualité, il n’est que rarement décliné dans les unités opérationnelles en termes de personnel dédié. Les cadres restent déconnectés du niveau opérationnel producteur des prestations de soins dans l’établissement. De plus, ces modes d’organisation ne suffisent pas à faire impliquer les staffs de soignants. D’autres formes organisationnelles, telles que les cercles de qualité, les groupes d’amélioration des soins… pourraient contribuer encore plus à instaurer un état d’esprit favorable à la qualité.

44Il est donc nécessaire de favoriser une culture de la qualité en développant la remise en cause, la reddition de comptes et la mise à la lumière des dysfonctionnements. En somme, développer les constituants de la bonne gouvernance.

45Ce travail s’inscrit dans une série d’approches exploratoires afin de préparer le projet qualité de notre établissement. Pour plus d’éléments probants, il mérite d’être complété par d’autres enquêtes combinant une approche qualitative stricte (interviews approfondis, focus-groupes par catégorie professionnelle) et une enquête quantitative sur un échantillon plus représentatif et randomisé. De plus, la connaissance de la perception de la qualité chez les malades, la mesure de la satisfaction des usagers, déjà entamées vont contribuer à mieux définir le projet qualité de l’EHUO.

Conclusion

46Les avis diversifiés des professionnels concernant la perception de la qualité d’une part et la faiblesse de la culture de la qualité, d’autre part, ne devraient pas constituer de contraintes majeures dans l’élaboration d’un projet de qualité. Ils pourraient être reformulés et transformés en atouts pour l’organisation et ses buts.

47Aucun conflit d’intérêt déclaré

Remerciements

Les auteurs remercient le Pr Midoun (médecin-chef de service d’Épidémiologie et de Médecine Préventive de l’EHUO) pour son soutien et les Docteurs Benalla L, Benamar H, Benyahia M et Zina M pour leur précieuse collaboration technique.

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    Hansen PM, Peters DH, Viswanathan K, Rao KD, Mashkoor A, Burnham G. Client perceptions of the quality of primary care services in Afghanistan. International Journal for Quality in Health Care 2008; pp. 1-8. doi 10.1093/intqhc/mzn040
  • 18
    Bleich SN, Özaltin E, Murray CJL. How does satisfaction with the health-care system relate to patient experience? Bull World Health Organ 2009; 87:271-8. doi : 10.2471/BLT.07.050401

Mots-clés éditeurs : perception, projet qualité, qualité, EHUO

Mise en ligne 07/02/2012

https://doi.org/10.3917/spub.116.0475

Notes

  • [1]
    Labo. recherche Système d’information en santé - Université d’Oran - BP 83 El Moujahed - 31009 Oran - Algérie.
  • [2]
    Service Épidémiologie et de Médecine Préventive. E - Route de Sidi Marouf - Oran.
  • [3]
    Décret présidentiel 03-270 du 13 août 2003 pour l’EHU et Décrets exécutifs 05-459 pour l’EH de Aïn Témouchent, 06-143 pour l’EH de Skikda, 06-384 pour l’EH d’Aïn El Turck, 06-422 pour l’EH de Aïn Azel, 07-209 pour l’EH de Didouche Mourad.
  • [4]
    MSPRH 2001 : Développement du Système national de Santé : Stratégie et Perspectives, État de santé des algériens 2002 et 2004.
  • [5]
    Circulaire du 19 décembre 2001.
  • [6]
    Contribution à l’humanisation des hôpitaux. 2001.
  • [7]
    Instruction du 13 mai 2003.
  • [8]
    Instruction n° 1 du 2 mai 2006 de prise en charge des PVVIH.
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