Introduction
1La démographie médicale est une question d’actualité. Les projections démographiques sont considérées comme alarmantes par certains pour la décennie à venir, en particulier pour la médecine générale. Sont en cause le départ en retraite des promotions pléthoriques, le nombre insuffisant d’étudiants formés limité par le numerus clausus et le manque d’effet de son élévation du fait de la longueur des études médicales, la féminisation, la diminution du temps de travail, les réticences à l’installation des jeunes médecins, le manque d’attractivité de cette spécialisation pour les étudiants. La baisse de la densité médicale est ainsi estimée à 4% d’ici 2020, d’où une diminution de l’offre de soins [5].
2En Pays de la Loire, la densité est proche de la densité nationale à 144 médecins pour 100 000 habitants, mais la disparité intra régionale est grande [11]. De plus, on note en 10 ans, une élévation moyenne de 0,4 % du nombre de médecins généralistes au niveau régional, de 6 % pour le département universitaire mais une diminution de – 3 % à – 7 % pour les deux autres départements concernés par l’enquête [10].
3À quoi sont dues ces fluctuations démographiques ? La presse grand public met en lumière ces médecins généralistes qui dévissent leur plaque. Quelle est cependant la réalité de ces cessations d’activité dans les trois départements ? Qui sont ces médecins généralistes qui ont cessé leur activité et pourquoi ? « Que font-ils lorsqu’ils cessent leur activité en tant que généralistes libéraux ? » [9].
4L’objectif de ce travail est donc de recenser et connaître les raisons de ces cessations d’activité anticipées des médecins généralistes libéraux de soins primaires dans trois départements de l’Ouest de la France de 2000 à 2005.
Méthodologie
5La population étudiée est celle des médecins généralistes libéraux de trois départements de l’ouest de la France constituant la subdivision attachée à la Faculté de médecine. Seuls les médecins ayant cessé leur activité libérale de façon anticipée, c’est-à-dire avant l’âge légal de la retraite à 65 ans, du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2005 ont été recensés, soit 150 départs. Cet intervalle a été retenu afin d’obtenir une cohorte suffisante et un recul nécessaire, au plus près du contexte démographique. Cela représente un turn-over d’environ 2 % (8 % dans les professions salariées) et 84 % de départs (126 sur 150) sont des départs anticipés (15 % à partir 60 ans, toute profession confondue, en France).
6Les listes de ces cessations ont été obtenues auprès des conseils départementaux de l’Ordre des Médecins (CDOM). Chaque médecin a été interrogé grâce à un questionnaire comprenant 35 questions regroupées en six chapitres : situation personnelle et familiale, études médicales, parcours professionnel, exercice professionnel libéral antérieur, cessation d’activité libérale, raisons de la cessation. Il a été testé par quatre médecins non inclus dans l’étude et modifié selon leurs remarques. L’anonymat du médecin était garanti.
7Les analyses statistiques ont été réalisées avec le logiciel SPSS version 15. Les résultats sont exprimés sous forme de moyenne ± déviation standard (pour les variables quantitatives) ou de pourcentage (pour les variables qualitatives). Une analyse descriptive simple a été réalisée sur l’ensemble de la population de l’étude puis par sous-groupes, selon le devenir professionnel à l’arrêt de l’activité libérale. Les tests statistiques utilisés sont le test de Chi-deux de Pearson (ou le test exact de Fisher selon la distribution de la variable) pour les variables qualitatives et le test-T de Student (ou le test non paramétrique de Mann-Whitney selon la distribution de la variable) pour les variables quantitatives. Le seuil de significativité est fixé à 0,05 et tous les tests sont bilatéraux.
8Les items « raisons de cessations » et « mesures incitatives à la poursuite d’activité » ont été notés de 0 à 10 ou parfois seulement cochés par les médecins. Les moyennes ont été calculées uniquement avec les notes. Le pourcentage de médecins citant les propositions reprend les notes de 1 à 10 et les items cochés.
Résultats
9126 questionnaires accompagnés d’une lettre explicative ont été envoyés. Au total, 75 réponses valides (60 % de réponses).
Les médecins interrogés
10Le tableau I précise les données par département. Dans notre étude, 40 % des médecins exerçaient dans le département universitaire et 60 % dans les deux autres départements ; 85 % étaient des hommes, 89 % vivaient en couple. Leur âge, au moment de la cessation, se situait entre 33 et 64 ans, avec une moyenne de 50,8 ans (écart-type 8,6). Deux pics d’âge à 44-46 et 60-62 ans étaient notés (figure 1).
Cessations d’activité des médecins généralistes par département
Cessations d’activité des médecins généralistes par département
Histogramme des âges de cessation dans les trois départements
Histogramme des âges de cessation dans les trois départements
11Une grande majorité (90 %), déclarait avoir choisi d’exercer la médecine générale. Les médecins avaient changé leur installation à plusieurs reprises : 1,6 installations libérales en moyenne (écart type 0,8). La durée de leur dernière installation était de 17,7 ans (écart type 9,5). Ils avaient cessé leur activité après 23 ans d’activité médicale (écart type 8,7) et 47 % avaient exercé une activité salariée.
12Une majorité des médecins pratiquait son activité en zone rurale (44 %) et semi rurale (36 %), et 20 % exerçaient en zone urbaine ; 61 % travaillaient en groupe et 16 % exerçaient la médecine générale avec une compétence spécifique et près de la moitié (49 %) cumulait une autre activité médicale (telle médecin coordinateur, médecin pompier ou vacations en centre hospitalier). Ils dédiaient d’une à 25 heures de leur temps par semaine à cet exercice (en moyenne 5 heures ± 5,3). Ils estimaient leur temps de travail hebdomadaire à 59 heures en moyenne (de 20 à 94 h, écart type 12,1), avec 1,3 demi-journée de libre par semaine (écart type 1,25). Ils prenaient 4,7 semaines de vacances par an (écart type 1,930), dont la moitié était remplacée et 93 % participaient aux gardes de week-end et 89 % aux gardes de nuit. Une majorité (59 %) jugeait excessif leur nombre d’heures de travail libéral hebdomadaire, normal pour 41 %, aucun ne l’estimait « insuffisant ». De plus, ils estimaient excessif à 61 %, normal à 37 % le travail demandé par les tâches administratives ; 43 % avaient trouvé un successeur à leur activité. Un tiers avaient un ressenti négatif de la qualité de vie professionnelle (figure 2).
Niveaux de satisfaction professionnelle des médecins interrogés
Niveaux de satisfaction professionnelle des médecins interrogés
Avenir professionnel
13Un médecin sur cinq s’était arrêté totalement. Leur âge moyen était de 57 ans (écart type 7,7). Ils avaient cessé après 29 ans d’activité médicale (écart type 8). 62,5 % ont bénéficié des mesures incitatives à la cessation d’activité (MICA).
14Un médecin sur quatre s’était réinstallé hors du département (moyenne 47 ans, écart type 8), après 20 ans de carrière médicale (écart type 8), et quinze années d’installation (écart type 8). Ils s’étaient installés 2,28 fois en libéral dans leur carrière, plus que ceux qui n’ont pas fait ce choix (1,42), différence statistiquement significative. Un médecin sur cinq avait poursuivi une activité hospitalière. Deux pics d’âge de 45-49 ans et 60-62 ans étaient retrouvés, 80 % étaient titulaires de diplômes de formations complémentaires. Un sur trois avait choisi une activité salariée dont 13 en tant que médecins du travail, 4 médecins conseil. Ils avaient cessé, en majorité, entre 45-49 ans. Ce changement était intervenu après 19,5 ans d’exercice (écart type 7) et 15 ans d’installation (écart type 8). Enfin, neuf d’entre eux avaient choisi d’effectuer des remplacements.
15C’est ainsi que trois quarts des médecins avaient poursuivi une activité médicale, et une majorité d’entre eux avait choisi une activité salariée (53 %). Dix-sept médecins avaient bénéficié du MICA, dont 41 % avaient poursuivi une activité médicale salariée ou hospitalière.
Les raisons de ces changements
16Les trois premières raisons notées étaient : la charge de travail due à la permanence des soins et aux contraintes horaires ainsi que la difficulté à concilier vie familiale et professionnelle (tableau II).
Raisons des cessations anticipées
Raisons des cessations anticipées
17Les contraintes de travail (horaires et de permanence des soins) ont toujours été classées quel qu’ait été leur choix d’avenir professionnel. En revanche, ceux qui s’étaient réinstallés en libéral dans un autre département, notaient principalement la difficulté à concilier vie familiale et vie professionnelle, puis les contraintes de travail.
18Les mesures incitatives proposées figurent dans le tableau III : l’item « aucune mesure » a été noté à 9,2 sur 10 de moyenne par 15 médecins (20 %). Les autres items ont été faiblement notés.
Mesures incitatives proposées par les médecins de l’enquête
Mesures incitatives proposées par les médecins de l’enquête
Discussion
19L’analyse en sous-populations (âge ou modes de cessation) n’a pas été possible en raison du faible nombre de départs anticipés dans les trois départements (126 contactés) et du nombre des répondants (75). Par ailleurs, des entretiens semi-directifs auraient sans doute permis de mieux connaître les raisons profondes de ces départs anticipés.
20Cependant, cette étude est singulière car il n’existe pas de publication sur le sujet des cessations anticipées effectives. Le fort taux de participation des médecins (60 %) révèle l’intérêt d’étudier la question. De plus, peu d’études distinguent les médecins généralistes de soins primaires libéraux : les MEP et activités particulières sont le plus souvent inclus (comme dans les fichiers des CDOM), le distinguo entre médecins généralistes libéraux et salariés est rarement fait. Ainsi, les chiffres des médecins généralistes changent en fonction de la source utilisée et des populations retenues [8] ce qui rend les projections approximatives en surestimant leur nombre.
21Selon les données du conseil départemental de l’ordre, il y a eu 150 cessations d’activité, en six ans dans les trois départements et 16 % sont des départs en retraite à l’âge de 65 ans ou plus (soit 126 départs anticipés). Les retraités, à partir de 57 ans bénéficiant ou non du MICA, représentent 29 % des cessations, et environ 3 % de l’effectif médical de ces départements au premier janvier 2006.
2290 % des répondants déclarent avoir choisi la médecine générale : est-ce une réalité ou s’agit-il d’un discours de justification pour certains d’entre eux ? 90 % d’entre eux avaient fait des remplacements avant leur installation et connaissaient donc le métier lorsqu’ils se sont installés. De plus, on observe des similitudes dans les conditions d’exercice avec les médecins étudiés en panel par la DREES en 2007 [2].
23Pour les médecins reconvertis dans une activité salariée, un sur cinq a suivi une formation en lien direct avec sa future activité : ceux qui pensent partir ont investi dans une formation. De même peut-on se demander si un temps de travail excessif (essentiellement en libéral), ne favorise pas un départ anticipé. L’histoire de vie est un élément souvent évoqué dans ces départs anticipés. Si le premier pic d’âge de cessation est à 44-46 ans, on peut penser que des phénomènes sociaux y sont liés, tel le divorce. La question n’a pas été posée, certains l’ont évoquée. L’existence de conflits avec les associés a été citée huit fois comme ayant participé à cette prise de décision et est retrouvée dans une autre étude [12].
24Avant tout, les cessations anticipées d’activité libérale ne sont pas synonymes de fin de carrière médicale. Seul, un tiers des médecins a cessé toute activité. Sont en cause les départs en retraite avant 65 ans, les décès ou accidents de vie. Un autre tiers a exercé une activité salariée ou hospitalière. De plus, un sur trois a choisi de se réinstaller en libéral, mais dans un autre département. Ce phénomène, retrouvé et qualifié de « deuxième carrière » dans une étude sur l’installation des médecins en Bretagne [7], dévoile une mobilité des médecins. Enfin, si le MICA a permis aux médecins de cesser plus tôt leur activité et sa suppression a, selon la DREES, « conduit [les généralistes] à prolonger leur activité médicale de six mois » [3], quatre médecins sur dix de notre population en ayant bénéficié, ont poursuivi une activité hospitalière ou salariée. S’illustre ainsi le caractère polymorphe des carrières des médecins généralistes : linéaires, ou non, avec exercice mixte ou poly-exercice [6]. Dans une étude concernant les médecins libéraux en Île-de-France, le risque principal pour une installation est « le manque de temps pour la vie familiale et personnelle » et un généraliste sur trois estime que le manque de temps est le plus grave risque du métier [1].
25Le conjoint du médecin est le plus souvent actif lui-même : selon la DREES, les actifs exercent en tant que cadre supérieur [4]. Ainsi, deux médecins sur cinq de notre enquête ont noté que la situation de leur conjoint a influencé leur décision de changement, d’autant que le contexte démographique favorise cette mobilité du médecin qui trouvera aisément un nouveau poste. L’épuisement professionnel a aussi été évoqué.
26Un médecin sur cinq a noté qu’aucune mesure n’aurait pu modifier sa décision, un sur trois parmi ceux ayant cessé totalement toute activité. Mais aucune des mesures proposées n’a obtenu la moyenne. Celles les plus souvent notées sont « la facilité de remplacement ou la collaboration d’un associé » et « l’allègement des tâches administratives », ce qui semble cohérent avec les sentiments de contraintes de travail et de volonté de temps pour la vie personnelle et familiale. La possibilité de travail en groupe ou maison médicale n’est pas relevée.
Conclusion
27Les cessations anticipées d’activité des médecins généralistes de soins primaires, de 2000 à 2005, dans trois départements de l’Ouest de la France ont représenté près de 10 % de leur effectif médical. Elles ont pu jouer un rôle déstabilisateur dans des zones déjà en difficulté. Mais les médecins poursuivent en majorité une activité médicale. Il semble important de favoriser le maintien des médecins en exercice des zones peu attractives. En effet, si la permanence de soins a évolué, le risque en 2008 semble toujours actuel : un tiers des médecins âgés de plus de 55 ans souhaitent adapter leur activité et presque autant la cesser dans ces trois départements. Comment penser l’exercice médical de soins primaires pour que le médecin puisse concilier, selon son désir, ses vies professionnelle et personnelle ?
Bibliographie
Bibliographie
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- 3Billaut A. Les cessations d’activité des médecins. Études et résultats 2006, 484. DREES.
- 4Breuil-Genier P, Sicart D. La situation professionnelle des conjoints de médecin. Études et résultats, 2005, 430. DREES.
- 5Conseil national de l’Ordre des médecins. « L’exercice médical à l’horizon 2020 ». Rapport de la Commission nationale permanente adopté lors des Assises du 19 juin 2004.
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- 7Levasseur G, Schweyer FX. Profil et devenir des jeunes médecins généralistes en Bretagne. Les dossiers de l’URCAM. 2004, 22. Numéro spécial. URCAM Bretagne.
- 8Lévy D, Allemand H, Moreau N, Maisonneuve H, Steudler F, Durocher A. La démographie médicale en observation. Cah sociol démogr méd 2004, 44 : 389 p.
- 9Lucas-Gabrielli V, Sourty-Le Guellec M. Evolution de la carrière libérale des médecins généralistes selon leur date d’installation (1979-2001). Questions d’économie de la santé 2004, 81.
- 10ORS des Pays de Loire. « La santé observée dans les Pays de La Loire ». Tableau de bord régional sur la santé Les omnipraticiens libéraux. Édition 2007. Juin 2007.
- 11Sicart D. Les médecins Estimations au 1er janvier 2007. Séries Statistiques 2007, 115. DREES.
- 12Véga A. Les comportements de cessations d’activité des médecins généralistes libéraux. Série études 2007, 1, 73. DREES.
Mots-clés éditeurs : enquête, médecin généraliste, cessation d'activité, département
Mise en ligne 01/10/2009
https://doi.org/10.3917/spub.094.0375