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Article de revue

L'hospitalisation à domicile et la prise en charge de la fin de vie : le point de vue des patients et de leurs proches

Pages 443 à 457

Notes

  • [1]
    Médecin pneumologue ancienne chef de clinique en réanimation pédiatrique, Angélique Sentilhes-Monkam s’est orientée après avoir exercé comme PH en soins palliatifs vers la recherche en santé publique. Elle devient médecin inspecteur de santé publique en 2003 et passe sa thèse de Docteur en Santé Publique à l’université de la méditerranée (spécialité : Méthodes d’Analyse des Systèmes de Santé) en octobre 2004. Le présent article est issu de son travail de recherche intitulé « La prise en charge de la fin de vie dans le cadre de l’hospitalisation à domicile : étude qualitative auprès des patients, de leur famille et des soignants ». Elle est à l’heure actuelle attachée au laboratoire de Santé Publique EA 3279 de l’Université de la Méditerranée dirigé par le Professeur Sambuc et spécialisé dans l’évaluation hospitalière et les mesures de la santé perçue.
  • [2]
    En 1993 l’INSERM publiait une étude qui montrait que 66 % des français mouraient en institution, 28 % chez eux et 6 % sur la voie publique.
  • [3]
    Enquête DHOS auprès des ARH. Le développement des soins palliatifs et de l’accompagnement – Bilan du programme national 2002-2005 et perspectives. Résultats présentés au colloque organisé le 7 décembre 2005 par la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS). Consultable sur le site Internet www.sfap.org/pdf/III-B3-pdf.pdf.
  • [4]
    La phase terminale est l’ultime phase de la maladie, celle où le nombre d’heures qui restent à vivre est faible et le processus physiologique de mort est déjà entamé. À titre de comparaison, on estime qu’à l’hôpital 10% des patients sont considérés comme étant en phase palliative, phase plus précoce où le patient n’est plus considéré comme guérissable. Il lui reste alors quelques mois à vivre et la mort n’est pas encore imminente.
  • [5]
    Il s’agit d’un travail de recherche universitaire réalisé avec le laboratoire de santé publique de l’université de la Méditerranée dans le cadre d’une thèse de Sciences soutenue le 28 octobre 2004. L’enquête a été en partie financée par la Fondation de France dans le cadre de son programme de soutien à la recherche en soins palliatifs. Une partie des résultats ont fait l’objet d’un mémoire ENSP pour l’obtention du diplôme de Médecin Inspecteur de Santé Publique en Juillet 2004. Ce mémoire est consultable dans son intégralité sur le site internet [url : http://ressources.ensp.fr/memoires/2004/misp/sentilhes_monkam.pdf] [dernière consultation : le 1er septembre 2005].
  • [6]
    L’expression « soignant naturel » désigne des proches susceptibles d’endosser successivement l’habit de l’aide-soignant (quand il s’agit de réaliser une toilette et plus généralement de prendre en charge les fonctions quotidiennes), de l’infirmière (quand il s’agit de faire un pansement, de faire fonctionner une sonde de stomie, de réaliser une injection) mais aussi bien souvent d’un médecin (quand il s’agit par exemple de prendre la décision bien qu’extrêmement encadrée par la prescription de faire une interdose de morphine). Les proches sont plus que des « aidants ». Ils participent activement à « l’œuvre soignante ». Déjà en 1986, Favrot évoquait leur « expertise » concernant l’état de santé (global) du patient. Les proches assurent une gestion de la santé du malade. Et Bungener évaluant, dès 1985, la « production familiale de soins » faisait remarquer qu’il est une chose que font les proches que ne font pas les soignants professionnels, qui est d’assurer une présence soignante 24 h sur 24 [4, 5, 8, 13, 14].
  • [7]
    Il s’agit de l’HAD spécialisée qui a mis en place des procédures d’élaboration d’un projet de vie et de soins avec les patients et leurs proches, lequel projet est régulièrement réexaminé au cours des réunions d’équipe.
  • [8]
    L’association antidépresseur tricyclique et Rivotril (benzodiazépine) servait en réalité à stabiliser la composante neurologique de la douleur et non à traiter un trouble de l’humeur ainsi que le croyait le patient.
  • [9]
    Dans cette HAD, généraliste, sévissait une sévère pénurie de personnel et l’absence de médecin coordonnateur. Alors que les soignants d’HAD auraient dû pouvoir écouter et répondre à cette personne, ils n’en avaient pas le temps. Lors du forum avec les soignants, cette situation a été évoquée par les soignants qui en conservaient une frustration de n’avoir pu faire leur travail comme ils auraient aimé pouvoir le faire.
  • [10]
    Ce qui suppose que toute ambiguïté soit levée quant au fait que l’hôpital n’a plus rien à proposer qui ne soit faisable au domicile du patient.

Introduction

1La fin de vie en France constitue un enjeu de santé publique, puisque ce sont 540 000 personnes qui meurent chaque année, dont 66 % en milieu institutionnel [2]. En 2050 les démographes estiment que la mortalité parmi les personnes âgées de plus de 60 ans sera de 700 000 [2]. Le nombre de personnes qui ont besoin en France de soins palliatifs et d’accompagnement est estimé entre 150 000 et 200 000 [2, 7, 12]. Actuellement ont été mises en place un certain nombre de structures spécialisées qui ne couvrent pas la totalité du territoire avec 317 Équipes Mobiles de Soins Palliatifs (EMSP), 78 Unités de Soins Palliatifs (USP) qui représentent 783 lits, 1 281 lits identifiés répartis entre 254 établissements, 20 lits en hôpital de jour (soit un total de 2 084 lits spécifiques soins palliatifs) et 84 réseaux de soins palliatifs au 31 décembre 2004 [3]. Ces structures sont souvent destinées à une population constituée d’adultes atteints de cancers, ou se situant en phase terminale. Et ces populations ne recouvrent pas la totalité des personnes qui aujourd’hui auraient besoin de recevoir des soins palliatifs [2, 12].

2De son côté, l’hospitalisation à domicile aurait vocation à mailler également le territoire. Fin 2004, 4 904 places d’HAD sont autorisées, 91 établissements hospitaliers ont une HAD, 30 départements en sont dépourvus. Elles sont inégalement réparties, surtout concentrées en Île-de-France. Une récente prise de conscience des pouvoirs publics a conduit à un objectif de doublement du nombre de places, dans le cadre du plan hôpital 2007 [9]. Ce plan et les crédits qui lui ont été alloués dans le cadre du plan Urgences [10] devraient porter le nombre de places d’HAD à 8 000 environ sur l’ensemble du territoire. L’objectif est d’en faciliter le développement, de façon à favoriser une offre de soins généraliste, de qualité hospitalière destinée à un public le plus large possible demeurant à son domicile, endroit où 68 % des français disent souhaiter terminer leur existence [16].

3Il existe de plus une sollicitation des services HAD pour prendre en charge les patients en fin de vie. En témoigne l’Enquête Nationale sur les HAD (ENHAD 1999-2000) publiée par l’Institut de Recherche et Documentation en Économie de la Santé (IRDES, ancien CREDES) en décembre 2003. Celle-ci montre que l’HAD est bien identifiée par les usagers comme étant adaptée à la prise en charge de ces patients complexes et multi pathologiques. La moitié des patients sont atteints de cancers. Ils sont plus souvent en phase d’aggravation que de stabilisation ou d’amélioration. 7 % d’entre eux sont déjà en phase terminale [4]. Les protocoles de soins palliatifs figurent parmi les quatre protocoles principaux (avec la chimiothérapie, les pansements complexes et les soins de nursing lourds) [6].

4Nous nous sommes intéressés à la manière dont ces prises en charge se déroulaient. Une étude qualitative de 2000 à 2003 a été réalisée avec la Fondation de France et l’Université de la Méditerranée [5], dont l’objectif a été de découvrir comment les personnes concernées, à savoir les patients en fin de vie, leurs proches et leurs soignants, vivaient les prises en charges et ce qu’ils pouvaient en dire et de déterminer quels étaient d’après leurs points de vue les éléments de qualité ou de non qualité. L’analyse des propos entendus au cours des entretiens semi-directifs s’est orientée vers le point de vue des patients et de leurs proches concernant la prise en charge dont ils bénéficiaient ainsi que celui de leurs soignants concernant les soins qu’ils dispensaient. Puis nous avons tenté de dégager des éléments de qualité. Les patients et leurs proches contribuent à représenter l’HAD comme un outil destiné à répondre à leurs besoins. Les soignants contribuent à représenter l’HAD comme un dispositif parsemé de difficultés, déséquilibré dans ses différentes dimensions mais néanmoins professionnellement attractif.

5Les entretiens qui ont été menés suivaient une grille destinée à comprendre le contenu des prises en charges : qui fait quoi, comment interagissent les acteurs, comment se répartissent les tâches, quels sont les rythmes de la prise en charge, comment et en quels termes les acteurs évoquent-ils ces situations ?

6Cet article ne rapporte que les résultats en lien avec le point de vue des patients et de leurs proches en ce qui concerne leur vision et appréciation mais aussi leurs attentes concernant « l’outil HAD ». Toutes les thématiques qui sont rapportées dans la suite de cet article ont été évoquées par les patients et leurs proches, que l’HAD soit spécialisée en soins palliatifs ou généraliste, même quand elles semblent concerner de très près les soignants.

7Le parti pris de ne pas établir de comparaison entre les HAD spécialisées et les généralistes s’explique par le fait que seules trois HAD ont pu être enquêtées. Dans ces conditions, une comparaison systématique aurait eu peu de sens. En revanche sur certains thèmes, certaines attitudes qui se retrouvaient plutôt dans telle ou telle HAD et qui semblaient directement liées à l’organisation de celle-ci, font l’objet d’une note indiquant qu’il s’agit d’une HAD spécialisée ou généraliste.

8Le point de vue des patients laisse apparaître une prise en charge séquencée en trois temps que sont : l’avant HAD, les quinze premiers jours de l’HAD et l’HAD au long cours. Chacune de ces séquences comporte ses enjeux et ses propres difficultés. La connaissance par les soignants de ce séquençage permet, outre de mieux comprendre les réactions des familles et des malades, d’adapter leur prise en charge mais aussi leurs attitudes et comportements de façon à répondre au mieux aux besoins exprimés durant chacun de ces temps de prise en charge.

Méthode

9Pour décrire la situation de l’hospitalisation à domicile dans le cadre des prises en charge de fin de vie, nous avons réalisé une enquête qualitative auprès de patients dont l’espérance de vie était estimée à moins de trois mois, de leurs proches et de leurs soignants d’HAD [13, 14].

10Parmi ces HAD deux sont généralistes, situées à Paris et Marseille et une est spécialisée en soins palliatifs, située à Paris.

11La technique d’entretien repose sur une grille d’entretien semi-structuré pour les patients et leurs proches, sur des forums pour les soignants. Le consentement des personnes que le chercheur a rencontré était recueilli par le soignant référent lors d’une visite préalable. Les entretiens et les forums ont été intégralement enregistrés sur cassette audio, avec l’accord des personnes interrogées. La retranscription a été réalisée en tenant compte des manifestations émotionnelles telles que : pleurs, rires, soupirs, silences prolongés.

12L’analyse portait sur le corpus ainsi constitué et a été faite selon deux méthodes complémentaires que sont l’analyse lexicale par le logiciel ALCESTE [11] et l’analyse de contenu classique [3].

1319 patients ont été identifiés avec les équipes soignantes comme répondant aux critères d’inclusion et susceptibles d’être rencontrés. Tous ont accepté. Entre le moment où les soignants ont obtenu leur consentement et le moment où l’entretien a eu lieu, 2 patients sont décédés et 2 autres se sont aggravés sur le plan cognitif. L’enquêteur a donc pu mener ses entretiens avec 15 patients en fin de vie. Concernant les proches, le nombre de personnes rencontrées s’élève à 16 (1 à 2 proches par patient). Pour trois patients vivant seuls et se prenant en charge seuls, aucun proche n’a été rencontré. Tous les proches rencontrés étaient des soignants naturels [6], investis en première ligne dans les soins à apporter au patient.

Résultats

Avant l’HAD : la course d’obstacles

Une convergence paradoxale des intérêts des patients et de l’hôpital

14L’hôpital faisait au patient une proposition de retour au domicile qui rencontrait « par hasard » ce que souhaitait ce dernier. Des motivations divergentes conduisaient à une convergence paradoxale des intérêts de l’hôpital et des patients. La solution pouvait donc paraître également satisfaisante pour les deux parties. Tandis que l’hôpital semblait raisonner, d’après les patients et leurs proches, selon une logique économique et technique, le patient cherchait tout simplement à retrouver son environnement familier et à sortir de celui de l’hôpital. Cette divergence d’objectifs avait des conséquences sur la manière dont était introduite l’HAD, donc sur la façon dont elle était perçue, mais aussi sur le discours tenu au patient et sur l’existence d’un projet de soins.

15Les usagers avaient le sentiment que lorsque s’imposait l’incurabilité du patient, la réalité du fonctionnement hospitalier incitait les médecins à passer à une logique comptable. Celle-ci les invitait à libérer une chambre de façon à admettre un nouveau patient, qui lui pourrait mieux bénéficier de ce que pouvait apporter la technique hospitalière.

16Ce faisant, les services perdaient de vue qu’il eût fallu aider le patient et ses proches à organiser les conditions de son retour à domicile. Les patients et les proches témoignaient que la façon dont la sortie était organisée était difficile à vivre. Certains exprimaient le sentiment d’avoir été mis au pied du mur lorsque l’hôpital leur avait expliqué qu’il fallait libérer leur chambre. Ils témoignaient du temps et de l’énergie dépensés pour essayer de trouver une solution acceptable. Plusieurs témoignages montraient que le plus difficile était non pas d’avoir une place en HAD, mais d’y penser ou d’avoir l’information. Pour plusieurs patients, l’hôpital avait cherché plusieurs jours une solution pour la sortie du patient sans penser à avoir recours à l’HAD. Une patiente expliquait comment elle s’était retrouvée chez elle sans aucune prise en charge durant plusieurs jours (alors qu’elle sortait d’un centre hospitalier intercommunal) jusqu’à ce que survienne un accident aigu obligeant à une réhospitalisation de 3 mois dans l’hôpital de proximité, qui lui, avait pensé à mettre en place une HAD à l’issue de l’hospitalisation conventionnelle. Un autre explique qu’il avait dû contacter deux cents structures et professionnels libéraux avant que quelqu’un ne lui conseillât de contacter l’HAD.

17Ainsi, les patients et leurs proches évoquaient l’abandon et la pression qu’ils avaient ressentis de la part de services hospitaliers desquels ils attendaient au contraire, qu’ils prennent totalement en charge l’organisation et les conditions du retour au domicile.

Des paroles malheureuses qui peuvent hypothéquer l’avenir

18Tandis que le patient se trouvait encore hospitalisé, des propos pouvaient être tenus qui hypothéquaient d’entrée de jeu la réussite du projet de retour au domicile. Il s’agissait en règle générale de paroles malheureuses qui concernaient le pronostic à court terme du patient. L’exemple le plus marquant concernait un patient qui présentait un cancer ORL à envahissement loco-régional englobant la carotide. L’ORL craignait que ce patient ne meure à court terme d’une hémorragie cataclysmique par rupture de la carotide, et avait fait part de ses craintes à ses proches. Il estimait dans ces conditions irraisonnable que le patient rentre chez lui. Dans cette situation, les effets produits (angoisse d’une hémorragie cataclysmique dans le domicile) se sont avérés tellement préjudiciables pour le patient et ses proches que l’équipe d’HAD qui l’a pris en charge s’est trouvée dans l’obligation de prendre le contre-pied du pronostic catastrophique qui avait été prononcé en expliquant qu’il y avait une possibilité loin d’être négligeable que ce soit plutôt une hémorragie en nappe qui se développe sur un mode plus chronique. Tandis que ce patient s’était vu attribuer un pronostic de 8 jours par son ORL qui le suivait depuis 10 ans et une mort cataclysmique, il est décédé 3 mois après et pas d’une hémorragie.

L’absence de projet précis

19Dans certains cas l’absence de projet précis dominait. L’HAD pouvait ne pas être présentée en tant que dispositif d’hospitalisation à domicile. Une personne témoignait qu’elle avait vu s’installer le dispositif chez son père, parvenu à la fin de son existence, sans savoir qu’il s’agissait de l’HAD, sans que le nom « HAD » ne soit prononcé. Cependant, même en l’absence de projet précis, l’HAD était ressentie par les personnes rencontrées comme « la structure providentielle » qui leur avait permis de ne pas retourner à l’hôpital tout en étant efficacement soutenus à domicile. L’HAD était « en soi » un dispositif bénéfique pour le patient et ses proches.

20Dans d’autres cas, l’HAD apparaissait comme la structure idoine capable d’assurer une transition progressive entre deux prises en charges différentes, du curatif au palliatif et de l’hôpital au domicile. Cette transition se fondait d’après les personnes interrogées sur un contact précoce et amical, en dehors de toute situation de crise, sur un a priori favorable des hospitaliers par rapport à l’HAD et sur la prise en compte de la situation du soignant naturel (et pas uniquement du patient) dans l’élaboration collective d’un projet global de prise en charge, qui vient alors se surajouter au dispositif HAD stricto sensu[7].

Les quinze premiers jours d’HAD : l’apprentissage collectif

21C’est le moment où s’installait la logistique. Les acteurs se rencontraient. Ils apprenaient à se connaître. Les « routines » se mettaient en place. Le patient découvrait l’HAD sous ses différentes facettes.

22Pour le patient il s’agissait de réinvestir son domicile dans des conditions exceptionnelles qui « brouillaient » l’image familière qu’il en avait et qu’il espérait retrouver. Les quinze premiers jours constituaient la durée nécessaire pour que le patient se réapproprie cette « image brouillée », ce « flottement », ce « battement », cette « étrangeté » qu’étaient devenus son intérieur transformé (« étrangeté chez soi ») et sa vie quotidienne.

23Les patients et leurs proches attendaient des soignants qu’ils les accompagnent dans leurs questionnements, qu’ils les encouragent à exprimer ce qu’ils ressentent, et qu’ils leur délivrent des conseils utiles tout en les rassurant. Il s’agissait de se montrer durant cette période à la fois disponible, joignable et didactique. Tous s’accordaient à dire que ces quinze premiers jours constituaient une période d’apprentissage collectif, sensible et délicate en ce que la confiance n’était pas encore établie ni les habitudes communes prises.

24La multiplicité des soignants et leurs rotations irrégulières durant la journée n’étaient ressentis comme un problème que durant ces 15 premiers jours, délai nécessaire pour connaître l’ensemble d’une équipe soignante. Les horaires se cherchaient puis finissaient par se stabiliser en vertu des nécessités de soin, des habitudes de vie des patients et des possibilités de l’HAD. Les patients et leurs proches comprenaient les contraintes des soignants. Ils participaient durant cette période à l’ajustement du projet de soins qui prenait en compte toutes les contraintes, y compris celles des soignants.

Ensuite : la course d’endurance et une autre logique de soins

25Seules les personnes ayant l’HAD depuis plus de 15 jours avaient acquis suffisamment de recul pour pouvoir poser un regard objectif sur les aspects logistiques et organisationnels de leur prise en charge. A posteriori, et compte tenu des difficultés que les patients avaient rencontrées durant la dernière phase de leur hospitalisation conventionnelle, puis durant les 15 premiers jours de l’HAD, le fait que « finalement ça marche » leur apparaissait le plus souvent comme quelque chose d’à la fois inattendu et heureux, en dépit d’un certain nombre d’obstacles évoqués.

Un quotidien bouleversé

26D’une manière générale, les réaménagements nécessités par la mise en œuvre d’une HAD apparaissaient générateurs d’inconforts qui pouvaient être très importants. Les personnes rencontrées cependant les acceptaient dans tous les cas et ne souhaitaient pas en faire un motif de réhospitalisation. À titre d’exemple, le lit médicalisé avait les effets suivants : un rachat de la literie, la pose de barrières plus fréquente, la séparation des conjoints, l’encombrement de la pièce principale… Un patient devait faire sa toilette dans l’évier de sa cuisine, du fait de son incapacité à monter à l’étage où se trouvait la salle de bains. Une patiente devait laisser le lit médicalisé en bas dans son salon car c’est au rez-de-chaussée que se trouvaient les sanitaires. Son étage ne servait plus… et on circulait difficilement dans son salon…

Un accompagnement des symptômes

27La prise en charge des symptômes et de la douleur n’était pas toujours associée à des explications de la part des soignants ni à une élaboration par la parole pour le patient. Des patients expliquaient comment ils allégeaient d’eux-mêmes leur traitement (automédication) pour le motif qu’ils ne parvenaient pas à tout prendre, ou que tel comprimé péniblement dégluti se retrouvait aussitôt dans la poche de gastrostomie… Cette auto médication a conduit dans une situation un patient à stopper un antidépresseur tricyclique et à prendre de façon irrégulière son Rivotril® sous le prétexte qu’il faisait double emploi avec la morphine [8]. Ce patient souffrait d’une tumeur neurologique à envahissement loco-régional. Il présentait des douleurs telles qu’il expliquait comment il demeurait allongé de longues heures tous les jours pour faire « passer la douleur » Tandis que le développement loco-régional de sa tumeur aurait du lui préserver une certaine autonomie, il était en réalité en train de la perdre…

D’un projet médical à une autre logique de soins, à géométrie variable

28Chaque situation clinique rencontrée était unique et complexe. Les patients et leurs proches attendaient que le projet de soins mis en œuvre par les soignants de l’HAD s’affranchisse du concept de projet thérapeutique avec ce que ce dernier comportait d’actes et de procédures standardisés pour se moduler au plus près de ce qu’ils avaient besoin. En particulier, ils souhaitaient être intégrés comme acteurs potentiels. Le projet de soins se fondait dès lors sur une toute autre logique de soins. La charge en soins et la répartition des tâches étaient d’une autre nature. Certains patients « récupéraient » ainsi la tâche qui consistait à faire leur toilette, laquelle était assurée par les soignants durant leur hospitalisation. Plusieurs patients « récupéraient » la tâche très technique du changement de leurs poches (néphrostomie, colostomie, gastrostomie…), ce qui n’est jamais le cas à l’hôpital. Une patiente expliquait non sans humour que chez elle, elle prenait du Doliprane® sans se soucier de demander à qui que ce soit, tandis qu’à l’hôpital, il lui fallait une prescription médicale pour obtenir ne serait-ce qu’un comprimé. Si bien qu’elle conservait le souvenir du désarroi des soignants qui en pleine nuit, ne pouvant obtenir une telle prescription, se résignaient à lui donner un comprimé de Doliprane® en la suppliant de n’en rien dire à personne…

29Les personnes rencontrées faisaient le rapprochement avec la logique hospitalière : les soins en HAD ne pouvaient s’évaluer d’après elles en vertu d’un modèle hospitalier. Elles témoignaient ainsi combien les équipes soignantes étaient attentives à seconder au mieux le patient et son entourage afin qu’ils ne s’épuisent pas.

La souffrance et l’inquiétude du soignant naturel et du patient

30La souffrance du soignant naturel pouvait être le fait des interventions (ou des non interventions) de l’HAD. Dans certaines situations, on pouvait la qualifier de souffrance iatrogène. Cette souffrance iatrogène se répercutait souvent sur les soignants de l’HAD. Par exemple, lorsqu’une personne qui nécessitait d’être accompagnée parce qu’elle traversait un moment particulièrement difficile et que les soignants soit n’avaient pas le temps, soit ne détectaient pas le besoin, il pouvait s’instaurer un climat de tension entre les acteurs. C’est ce qui a été constaté dans une situation où l’épouse du patient, en proie à l’inquiétude, avait appelé l’HAD. Elle explique que la réponse qu’on lui a faite avait été d’appeler SOS médecins car l’équipe d’HAD « n’était pas disponible » sur le moment et avait d’autres patients à visiter qui n’avaient pas encore reçus les soins [9].

31De l’avis général des patients et de leurs proches, les situations d’attente se révélaient extrêmement délétères. L’incertitude qu’elles généraient était totalement contradictoire avec la recherche d’une sécurité tant psychologique que matérielle. Ces situations recréaient les conditions qui privaient le patient de toute initiative possible et de sa capacité de décider ou d’entreprendre. Ainsi, une épouse expliquait que pour son mari, trois passages étaient prévus dans la journée, avec des amplitudes larges (matin : passage entre 9 h et 11 h, après-midi : passage entre 14 h et 16 h, soir : passage entre 18 h et 22 h). Ce couple ne supportait plus de ne plus pouvoir sortir, ni mener une existence normale. Ils se sentaient condamnés à « attendre » le passage des soignants.

32L’inquiétude selon qu’elle concernait le patient ou son soignant naturel constituait deux entités différentes, deux symptômes requérant des solutions différentes. Chez le soignant naturel, elle s’exprimait souvent de manière brutale, sans nuance et parfois par des voies inhabituelles : agressivité, mutisme, hostilité, hyperactivité, refus de soins étaient autant de formes qui ont pu être rencontrées. L’inquiétude était toujours là, même si elle ne s’exprimait pas en apparence. Ses effets étaient multiples. Cette inquiétude pouvait être de nature à détourner le soignant naturel du patient ainsi que cela a pu être constaté dans une situation. Le soignant naturel se concentrait alors sur lui-même et sur son angoisse. Il perdait de ce fait son statut de co-soignant pour devenir à son tour un « co-patient » qu’il devenait nécessaire de prendre en charge… Une attitude rencontrée chez certains professionnels consistait à dire qu’il leur paraissait indiscret d’investiguer l’inquiétude des proches. Cette attitude conduisait le plus souvent à des situations de plus en plus nouées voire bloquées.

33Paradoxalement, et a contrario, il était étonnant de constater combien les patients se sentaient en sécurité et peu inquiets. Pour les patients, l’HAD constituait une réponse adaptée à ces situations. Cette absence présumée d’inquiétude devait toutefois faire l’objet d’une observation clinique et non de déductions hâtives, afin de s’assurer qu’il n’y avait pas de sujet d’inquiétude enfoui non exprimé, ou s’exprimant de façon détournée.

Le sentiment de sécurité

34Le sentiment de sécurité découlait de la constatation faite par les patients et leurs proches de l’efficacité concrète, quotidiennement vérifiée, de l’équipe d’HAD et de l’assurance qu’au bout du fil, il y aurait toujours quelqu’un pour dire quoi faire en cas de besoin.

35Les patients et leurs proches demandaient à ne jamais perdre le contact avec les soignants, même si c’était pour s’entendre dire que l’HAD continuait de chercher une solution. L’enjeu d’une telle continuité de la relation était de comprendre rapidement ce qui se passait à un moment précis et de pouvoir agir rapidement. Lorsque la situation avait déjà été envisagée, expliquée et qu’une action avait déjà été prévue, la gestion de crise en était facilitée, l’action des proches balisée et les risques de réhospitalisation en urgence amoindris. De plus, les patients qui connaissaient à leurs soignants des ressources se montraient moins inquiets. Ainsi, lorsque les soignants n’étaient pas en mesure de donner un avis, une recommandation, une consigne, cela plongeait les patients et leurs proches dans l’angoisse. À l’inverse, le fait de savoir qu’il suffisait de téléphoner pour tomber sur un soignant qui connaissait le patient et qui dirait très précisément ce qu’il convenait de faire ou de ne pas faire était très rassurant pour le patient et ses proches. Plus la marge de manœuvre des soignants était ressentie comme réelle et efficace, plus les solutions étaient rapidement trouvées et mises en œuvre.

36Les patients et leur entourage expliquaient combien l’amplitude de la marge de manœuvre des soignants était une des clefs de voûte de la réussite d’un projet de soins à domicile durant la fin de vie. Il ne s’agissait pas de laisser aux soignants toute liberté pour prendre toute initiative. Il s’agissait de rechercher avec eux quelles étaient les marges possibles dans lesquelles ils étaient décisionnaires et responsables, dans le cadre de la délégation de tâches et de l’anticipation. Ce point était reconnu comme essentiel pour pouvoir agir vite dans les situations de crise et pour parvenir à éviter certaines ré-hospitalisations.

37L’assurance que le cas échéant un lit était disponible dans un service adéquat et l’assurance qu’en dehors d’une urgence, l’hôpital n’avait plus rien à offrir de plus que l’HAD [10], confirmaient le patient et ses proches dans leur désir de demeurer chez eux et de se prendre en charge.

Une information judicieuse et intelligente

38Les patients évoquaient des degrés et des qualités d’information disparates.

39En effet celle-ci pouvait ne pas être complète, ni claire. Il pouvait régner une certaine confusion. Parfois l’information délivrée n’avait rien à voir avec la question qui avait été posée. Ou encore elle n’était pas centrée sur le patient… Certaines personnes se forgeaient leur propre connaissance du sujet grâce à l’Internet.

40Les patients exprimaient qu’ils souhaitaient « savoir » mais de façon contrastée. Ils attendaient des soignants que ceux-ci s’ajustassent à ce qu’ils désiraient savoir, ce qui supposait de la part des professionnels un certain savoir faire pour décrypter les signaux qu’ils envoyaient.

41L’enquête a relevé un manque d’informations « commerciales », quant à tout ce que pouvait proposer l’HAD et ce qu’elle pouvait mettre en œuvre. Trop souvent semble-t-il les soignants semblaient considérer que les « gens savaient », alors qu’ils ne connaissaient pas l’existence de l’HAD quelques semaines avant et n’en connaissaient pas ni les différentes possibilités ni les modalités de mise en œuvre pendant que la prise en charge se déroulait. Il existait des situations où chacun des acteurs imaginait que l’autre savait, et ne délivrait pas les informations requises. Le manque de temps pouvait contribuer à accentuer cette « incommunication ».

Une relation évolutive et parfois usante pour les soignants

42L’HAD offrait un cadre exceptionnel pour que s’instaure une relation évolutive, riche, d’abord fondée sur la confiance et l’estime mutuelle, puis sur le partage d’une certaine intimité. Les patients et leurs proches considéraient assez souvent tel ou tel soignant comme un ami plutôt que comme un professionnel.

43La relation avec les soignants pouvait se centrer sur des moments de plaisir, d’échanges agréables et conviviaux, ou incarner un sentiment de protection, d’enveloppement rassurant. Les visites représentaient parfois l’événement qui sortait de l’ordinaire dans une journée laborieuse et monotone, celui qu’on attendait avec plaisir. Cependant, le dispositif relationnel de l’HAD généraliste reposait sur le concept d’affinité et sur l’échange de « confidences ». Il était aléatoire. La relation d’accompagnement qui s’instaurait sur ces bases, consommatrice d’énergie et d’émotions, pesait par conséquent sur le volontariat individuel des soignants et sur leurs sentiments personnels.

44Il existait aussi des situations où un projet d’équipe était élaboré, suivi et évalué semaine après semaine. Même si l’un des soignants se trouvait investi affectivement par le patient, il pouvait toujours élaborer ce qu’il entendait au lit du patient avec son équipe de manière à ce qu’il ne se trouvât pas isolé. Ainsi, une dynamique d’accompagnement se mettait en route qui pouvait même souvent être reprise par d’autres membres de l’équipe. Le patient pouvait alors s’adapter à son état de santé (objectif de l’accompagnement), conserver la maîtrise des événements et les soignants étaient protégés.

Discussion

45S’agissant d’une enquête qualitative, l’enjeu a consisté à explorer et défricher une problématique qui jusque là était peu explorée dans son contenu quotidien. On a donc laissé de côté l’aspect quantitatif, largement décrit et bien connu, et qui trouve actuellement des formes de résolution dans le cadre des réformes récentes avec la suppression du taux de change, l’insertion dans le Schéma Régional d’Organisation Sanitaire de 3e génération, l’objectif de 8 000 places en 2007 et le fonds de 66 millions d’euros sur 2 ans [15]. Cependant, et les résultats le montrent, il ne suffira pas de créer des structures pour générer de facto une prise en charge de qualité satisfaisant les patients, leurs proches et leurs soignants.

46L’analyse de contenu a permis d’identifier les thèmes abordés par les patients, leurs proches et leurs soignants. Délivrant des messages précis concernant les différentes facettes de la prise en charge en HAD, elle laissa apparaître la réalité de cette HAD, celle qui se construit au jour le jour dans le quotidien avec les moyens disponibles. Elle a permis de découvrir les besoins exprimés par les patients et leurs proches, en se référant au cadre des soins palliatifs tel que défini lors de la conférence de consensus de l’ANAES (devenue HAS, Haute Autorité de Santé) [1]. Elle a permis d’examiner concrètement comment les HAD parvenaient à répondre à ces besoins qui s’exprimaient selon de nouvelles exigences et dans des formes différentes. Elle a permis enfin d’identifier des besoins qui ne trouvaient pas de réponse et les raisons pour lesquelles l’HAD ne parvenait pas à proposer une ou des réponses satisfaisantes. Nous avons ainsi tenté d’établir un état des lieux du contenu « intime » de l’HAD dans le contexte de la fin de vie, de comprendre ce que vivaient les familles et les soignants aux prises avec de nombreuses difficultés.

47Dans ce registre du qualitatif, on voit que certaines mesures pourraient être prises qui, sans augmenter ni les effectifs professionnels ni les sommes engagées, seraient de nature à améliorer considérablement le ressenti des prises en charges par les patients et donc la qualité de celles-ci.

48La réussite d’une prise en charge nous semble passer, au terme de cette exploration, par au moins trois conditions que sont le sentiment d’être en sécurité, l’aide apportée aux proches et le transfert de compétences.

49Alors qu’ils sont considérés parfois comme deux obstacles de taille, la multiplicité des soignants et les rotations irrégulières durant la journée offrent en réalité l’occasion pour les soignants d’initier avec les patients et leurs proches une relation de confiance et de négociation. Cette relation est fondamentale en ce qu’elle constituera le socle d’une relation d’accompagnement ultérieure, laquelle ne peut grandir que si elle prend naissance dans un réel sentiment de sécurité.

50Celui-ci est crée par un important dispositif de permanence, qui se justifie en partie par la faible utilisation qui en est faite et la forte réassurance qu’il procure. Cette certitude de pouvoir obtenir un renseignement pertinent rapidement est mentionnée comme un avantage de l’HAD sur l’hospitalisation conventionnelle… L’intérêt des téléphones portables est évoqué.

51Outre qu’il procure un sentiment de sécurité, l’appel en urgence offre l’occasion d’un apprentissage du soignant naturel. Il lui permet d’exprimer une parole signifiante, d’entendre des paroles rassurantes et/ou un conseil utile. En ce sens il contribue de l’avis des personnes rencontrées à prévenir certaines réhospitalisations. Il doit être encadré par des consignes claires. Lorsqu’il prend l’allure d’un dispositif destiné à ce que le contact ne soit jamais rompu entre le patient, son soignant naturel et les soignants professionnels, il contribue à stabiliser la prise en charge.

52Les patients et leurs proches se prenaient en charge de façon très responsable et active, dans le souci de conserver la maîtrise des événements mais aussi de décharger les soignants.

53Car, si au terme de ce parcours, on a pu découvrir combien le point de vue des patients apparaissait positif, on a pu constater aussi qu’ils avaient une façon d’évoquer leur prise en charge très lucide à l’égard de ce que vivent les soignants. En effet, plusieurs patients et proches ont expliqué comment ils avaient découvert et compris que les conditions de travail des soignants qu’ils rencontraient plusieurs fois par jour étaient parfois difficiles. Ils évoquaient cet aspect avec beaucoup de sollicitude.

54Plus largement, les patients supportaient tous les inconvénients de leur prise en charge (réaménagements, effets contradictoires des interventions…). Ils semblaient près à « endurer » beaucoup d’inconvénients, du moment qu’ils étaient chez eux et ne devaient pas être admis à l’hôpital. Les effets contradictoires des différentes interventions de l’HAD et la souffrance iatrogène des proches et des soignants professionnels devrait faire partie des symptômes recensés. S’il n’est pas toujours possible d’y apporter une solution technique, il est utile de signifier au patient qu’on les reconnaît comme inconforts majeurs et que ceci a été pris en compte pour décider de l’intervention incriminée.

55Dans le même ordre d’idée, le décalage entre la représentation qu’a le patient de sa douleur et le traitement mis en œuvre, qui peut se retrouver en contradiction avec cette représentation devrait pouvoir être identifié, exploré. En amont, l’algologue ou le cancérologue doivent explorer les représentations du patient, celles de ses proches, et tenter de réduire ce décalage pour faire adhérer le patient au traitement mis en œuvre. En aval, tous les acteurs de santé doivent s’assurer de ce qu’un tel décalage ne s’installe pas et si c’est le cas, le signaler aux prescripteurs référents.

56La difficulté majeure qui semblait dominer ces prises en charge de la fin de vie était la mise en œuvre d’un accompagnement et d’un soutien élaboré du patient et de ses proches. La manière qu’avaient les patients d’aborder ces questions demeurait littéraire. Le vocabulaire emprunté tournait autour des « confidences ». Le besoin d’être soutenu transparaissait au fil des entretiens. La manière dont il était exprimé cependant pouvait induire les soignants en erreur. Quand ils détectaient le besoin, il semblait que les soignants n’avaient pas toujours les moyens d’y répondre : manque de savoir-faire, manque de temps, manque de personnel…

57En réalité, il ne s’agissait pas tant d’un manque de… que d’un autre état d’esprit à mettre en œuvre. Cet état d’esprit, qui consiste à privilégier dans le projet de soins ce qui soulagera le bénéficiaire plutôt qu’une liste théorique de taches et de procédures techniques à accomplir conduit inévitablement à innover et à inventer de nouvelles prises en charges en partenariat étroit avec les patients et leurs proches, en fonction de ce que ces derniers pouvaient faire à un moment donné. Cette approche du projet de soins s’attachait avant tout à satisfaire les besoins du patient et non ceux du projet médical, en faisant du patient et de son soignant naturel des partenaires décisionnaires. Elle nécessitait des réévaluations régulières de la charge en soin des usagers et des modalités d’intervention des soignants.

58Dans ces situations, les prérogatives des professionnels s’enrichissaient de nouvelles fonctions non nécessairement définies au préalable. Chaque « soin » devenait une opportunité de faire progresser la relation et d’aider le patient et son soignant naturel à exprimer ce qu’ils ressentaient. Chaque passage était l’occasion pour les soignants d’aider, de former, de décharger de certaines tâches domestiques les patients et leurs proches. Ils recherchaient ainsi la meilleure complémentarité possible avec ces derniers et ce à chaque moment de la journée, de façon à durer et cela, grâce à un dialogue ininterrompu.

59La clé de voûte de ce dispositif reposait donc sur la nécessité d’un certain degré de marge de manœuvre des soignants. Or, celle-ci n’était pas toujours au rendez-vous. Les patients et leurs proches le savaient et le disaient. Les personnes rencontrées témoignaient toutes d’un bon niveau de compréhension des symptômes, de leur évolution et de ce qu’il fallait faire. La confiance réciproque entre les soignants professionnels, les patients, les soignants naturels, mais aussi les prescripteurs, les hospitaliers devra progresser.

60En conclusion, l’HAD pour imparfaite qu’elle apparaisse au terme de cette enquête n’en constitue pas moins un dispositif très satisfaisant pour les usagers, du seul fait qu’ils sont de retour chez eux et qu’ils se voient offrir l’opportunité de reprendre leur destinée en main.

61Ce dispositif serait possiblement – et à peu de frais ! – formidable, pour peu que les soignants naturels que sont les proches du patient, et le patient lui-même soient associés au projet de soins. Ce projet de soins, défini avec le patient et ses proches, doit s’articuler autour des trois dimensions que sont le sentiment de sécurité qu’il faut à tout prix procurer à la famille, l’aide qu’il faut apporter aux soignants naturels, aux prises parfois avec de très lourdes responsabilités, et le transfert de compétences qui seul, permet au dispositif d’adopter en temps réel la souplesse et l’adaptation nécessaires pour répondre aux situations nouvelles, mais aussi qui devrait permettre d’anticiper et d’éviter un certain nombre de situations de crises.

REMERCIEMENTS

  • À la Fondation de France
  • Aux équipes d’Hospitalisation à domicile de l’hôpital de la Conception de Marseille, de l’hôpital Croix saint Simon et du centre François-Xavier Bagnoud à Paris.
  • Aux patients et à leurs proches qui ont été rencontrés.

BIBLIOGRAPHIE

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  • 10
    Ministère de la Santé. Plan Urgences. Voir l’annexe « fiche récapitulative financière des mesures du plan urgences ». [URL : http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/planurgences/sommaire.htm] [Consulté le 1er août 2005].
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  • 12
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  • 13
    Sentilhes-Monkam A. La prise en charge des patients en fin de vie par trois services d’hospitalisation à domicile. État des lieux et propositions. [Mémoire pour l’obtention du diplôme de Médecin Inspecteur de Santé Publique]. Rennes : École nationale de la santé publique (E.N.S.P.), 2004. [URL : http://ressources.ensp.fr/memoires/2004/misp/sentilhes_monkam.pdf] [Consulté le 1er septembre 2005].
  • 14
    Sentilhes-Monkam A. La prise en charge de la fin de vie dans le cadre de l’hospitalisation à domicile : étude qualitative auprès des patients, de leur famille et des soignants. [Thèse pour l’obtention du grade de Docteur de l’Université de la Méditerranée, spécialité : Méthodes d’Analyse des Systèmes de Santé, Option Santé Publique]. Université de la Méditerranée, Faculté de Médecine de Marseille, École Doctorale des Sciences Économiques et de Gestion, Laboratoire de Santé Publique (EA 3279 : Évaluation hospitalière – Mesure de la santé perçue), 2004.
  • 15
    Sentilhes-Monkam A. Rétrospective de l’Hospitalisation à domicile. L’histoire d’un paradoxe. Rev Fr Affaires Sociales 2005 ; 3 : 157-82.
  • 16
    Sondage IFOP-Santé réalisé en 1991.

Mots-clés éditeurs : enquête qualitative, fin de vie, offre de soins, point de vue des usagers, rationalisation des soins, sécurité, transfert de compétences, proximologie, hospitalisation à domicile

Date de mise en ligne : 01/12/2007

https://doi.org/10.3917/spub.063.0443

Notes

  • [1]
    Médecin pneumologue ancienne chef de clinique en réanimation pédiatrique, Angélique Sentilhes-Monkam s’est orientée après avoir exercé comme PH en soins palliatifs vers la recherche en santé publique. Elle devient médecin inspecteur de santé publique en 2003 et passe sa thèse de Docteur en Santé Publique à l’université de la méditerranée (spécialité : Méthodes d’Analyse des Systèmes de Santé) en octobre 2004. Le présent article est issu de son travail de recherche intitulé « La prise en charge de la fin de vie dans le cadre de l’hospitalisation à domicile : étude qualitative auprès des patients, de leur famille et des soignants ». Elle est à l’heure actuelle attachée au laboratoire de Santé Publique EA 3279 de l’Université de la Méditerranée dirigé par le Professeur Sambuc et spécialisé dans l’évaluation hospitalière et les mesures de la santé perçue.
  • [2]
    En 1993 l’INSERM publiait une étude qui montrait que 66 % des français mouraient en institution, 28 % chez eux et 6 % sur la voie publique.
  • [3]
    Enquête DHOS auprès des ARH. Le développement des soins palliatifs et de l’accompagnement – Bilan du programme national 2002-2005 et perspectives. Résultats présentés au colloque organisé le 7 décembre 2005 par la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS). Consultable sur le site Internet www.sfap.org/pdf/III-B3-pdf.pdf.
  • [4]
    La phase terminale est l’ultime phase de la maladie, celle où le nombre d’heures qui restent à vivre est faible et le processus physiologique de mort est déjà entamé. À titre de comparaison, on estime qu’à l’hôpital 10% des patients sont considérés comme étant en phase palliative, phase plus précoce où le patient n’est plus considéré comme guérissable. Il lui reste alors quelques mois à vivre et la mort n’est pas encore imminente.
  • [5]
    Il s’agit d’un travail de recherche universitaire réalisé avec le laboratoire de santé publique de l’université de la Méditerranée dans le cadre d’une thèse de Sciences soutenue le 28 octobre 2004. L’enquête a été en partie financée par la Fondation de France dans le cadre de son programme de soutien à la recherche en soins palliatifs. Une partie des résultats ont fait l’objet d’un mémoire ENSP pour l’obtention du diplôme de Médecin Inspecteur de Santé Publique en Juillet 2004. Ce mémoire est consultable dans son intégralité sur le site internet [url : http://ressources.ensp.fr/memoires/2004/misp/sentilhes_monkam.pdf] [dernière consultation : le 1er septembre 2005].
  • [6]
    L’expression « soignant naturel » désigne des proches susceptibles d’endosser successivement l’habit de l’aide-soignant (quand il s’agit de réaliser une toilette et plus généralement de prendre en charge les fonctions quotidiennes), de l’infirmière (quand il s’agit de faire un pansement, de faire fonctionner une sonde de stomie, de réaliser une injection) mais aussi bien souvent d’un médecin (quand il s’agit par exemple de prendre la décision bien qu’extrêmement encadrée par la prescription de faire une interdose de morphine). Les proches sont plus que des « aidants ». Ils participent activement à « l’œuvre soignante ». Déjà en 1986, Favrot évoquait leur « expertise » concernant l’état de santé (global) du patient. Les proches assurent une gestion de la santé du malade. Et Bungener évaluant, dès 1985, la « production familiale de soins » faisait remarquer qu’il est une chose que font les proches que ne font pas les soignants professionnels, qui est d’assurer une présence soignante 24 h sur 24 [4, 5, 8, 13, 14].
  • [7]
    Il s’agit de l’HAD spécialisée qui a mis en place des procédures d’élaboration d’un projet de vie et de soins avec les patients et leurs proches, lequel projet est régulièrement réexaminé au cours des réunions d’équipe.
  • [8]
    L’association antidépresseur tricyclique et Rivotril (benzodiazépine) servait en réalité à stabiliser la composante neurologique de la douleur et non à traiter un trouble de l’humeur ainsi que le croyait le patient.
  • [9]
    Dans cette HAD, généraliste, sévissait une sévère pénurie de personnel et l’absence de médecin coordonnateur. Alors que les soignants d’HAD auraient dû pouvoir écouter et répondre à cette personne, ils n’en avaient pas le temps. Lors du forum avec les soignants, cette situation a été évoquée par les soignants qui en conservaient une frustration de n’avoir pu faire leur travail comme ils auraient aimé pouvoir le faire.
  • [10]
    Ce qui suppose que toute ambiguïté soit levée quant au fait que l’hôpital n’a plus rien à proposer qui ne soit faisable au domicile du patient.

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