Notes
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[1]
Institut de Veille Sanitaire, Saint-Maurice, France.
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[2]
ORS Île-de-France, Paris, France.
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[3]
ORS Nord-Pas-de-Calais, Lille, France.
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[4]
Décès anticipés : terme utilisé dans le cas des effets à très et à court terme de la PA. Il s’agit de décès qui surviennent un jour donné en relation avec la pollution, et qui, en l’absence de pollution, ne se seraient pas produits ce jour-là sans que l’on puisse déterminer précisément leur délai d’anticipation.
Introduction
1De nombreuses études épidémiologiques ont mis en évidence les effets nocifs de la pollution particulaire sur la santé [12, 13]. La plupart d’entre elles sont des études écologiques temporelles et concernent les effets à très court terme (exposition du jour et de la veille) ou à court terme (exposition cumulée sur les 40 jours précédents) de la pollution particulaire [5, 14]. Certains travaux ont étudié les effets à long terme de cette pollution, au moyen de suivis de cohorte sur plusieurs années [15, 24]. Ces effets concernent la mortalité (toutes causes ou pour causes cardio-vasculaires et respiratoires), et la morbidité cardiaque et respiratoire (admissions hospitalières) [10, 22, 25, 28].
2Les résultats d’études expérimentales émettent des hypothèses quant aux mécanismes physiopathologiques des particules sur la santé [7, 16, 34], et représentent des arguments supplémentaires quant à la causalité de l’association entre l’exposition à la pollution particulaire et les effets sanitaires [13]. À la vue de ces éléments et des autres critères de causalité de la relation, il semblait donc légitime de développer des méthodes et des outils permettant la quantification de l’impact sanitaire attribuable aux niveaux de pollution atmosphérique particulaire rencontrés actuellement en milieu urbain [8].
3Le programme européen Apheis (Air Pollution and Health : A European Information System) a été créé dans ce contexte. Son objectif est de fournir régulièrement une évaluation actualisée de l’impact sanitaire de la pollution atmosphérique en Europe. Des évaluations de l’impact sanitaire de la pollution particulaire de fond sont réalisées localement depuis 1999, selon une méthodologie commune, dans 26 villes (39 millions d’habitants) de 12 pays européens [29, 31]. Après une étude de faisabilité du programme publiée en mars 2001 [4], une première série d’évaluations a donné lieu à la publication d’un rapport en septembre 2002 [2]. Ces analyses ont ensuite été réactualisées, enrichies et approfondies au cours de l’année 2003-2004 [3].
4Pour la France, les évaluations d’impact sanitaire ont été réalisées dans les neuf villes (Bordeaux, Le Havre, Lille, Lyon, Marseille, Paris, Rouen, Strasbourg, Toulouse) participant au Programme de surveillance air et santé (Psas-9) coordonné par l’Institut de Veille Sanitaire (InVS). Cet article présente les résultats de l’évaluation d’impact sanitaire (EIS) pour les particules de diamètre aérodynamique inférieur à 10 µm (PM10) dans les neuf villes françaises.
Matériels et méthodes
5La démarche d’évaluation de l’impact sanitaire peut être mise en œuvre dès lors que l’on dispose d’une évaluation de l’exposition de la population, d’une relation causale liant l’exposition à un indicateur sanitaire et de l’incidence de référence des événements sanitaires considérés dans la population. La méthode mise en œuvre est basée sur les recommandations de l’OMS et peut être décomposée en plusieurs étapes successives [29, 31] :
- la quantification de l’exposition ;
- la définition des indicateurs sanitaires ;
- la sélection des fonctions exposition-risque correspondant à ces indicateurs sanitaires, quantifiées par leurs risques relatifs (RR) respectifs ;
- le calcul du nombre de cas attribuables à l’exposition observée dans la population considérée par rapport à une exposition de référence.
Population d’étude
6La population d’étude correspond à celle de chacune des neuf agglomérations auxquelles il est fait référence par le nom de la ville dans l’article. La zone d’étude est identique à celle retenue pour le programme Psas-9 [26, 27]. Chaque zone est construite de telle sorte que l’exposition de la population à la pollution particulaire urbaine puisse y être considérée comme homogène. Dans cette optique, la définition de cette zone prend en compte des critères démographiques (dernier recensement de la population en 1999), topographiques, climatiques (vents dominants, température et humidité relative), de déplacements domicile-travail de la population et de couverture de la zone par les stations de mesure de la qualité de l’air. Un indicateur d’exposition unique par polluant est ainsi construit pour l’ensemble de cette zone dans l’hypothèse que ses variations journalières représentent de façon non biaisée les variations journalières de la moyenne des expositions individuelles.
Quantification de l’exposition
7Dans chacune des neuf villes, les mesures de pollution atmosphérique ont été obtenues auprès des Associations locales agréées de surveillance de la qualité de l’air. La sélection des capteurs pour la construction de l’indicateur d’exposition suit la même méthodologie que celle développée dans le Psas-9 [20]. Ces capteurs fournissent des concentrations horaires de PM10 (particules de diamètre aérodynamique inférieur à 10 µm) en µg/m3.
8À partir des valeurs horaires mesurées par chacun de ces capteurs, une moyenne journalière est calculée (moyenne des 24 valeurs horaires) pour chaque station. Puis un indicateur de l’exposition à l’intérieur de la zone d’étude est construit en calculant, pour chaque jour de l’année d’étude, la moyenne des valeurs journalières des capteurs sélectionnés. Une moyenne annuelle est également calculée pour chaque ville.
9Les relations exposition-risque disponibles dans la littérature et concernant les effets à long terme des PM10 sont estimées à partir de mesures des niveaux de PM10 selon la méthode gravimétrique [9, 25]. Or, tous les capteurs-analyseurs retenus pour l’évaluation de l’exposition dans les neuf villes françaises sont des appareils de type TEOM (micro-balance à élément oscillant). La mesure des PM par cette méthode nécessite le chauffage des particules à mesurer, ce qui peut entraîner une perte de matière par volatilisation. Afin de prendre en compte ce phénomène, les villes françaises se sont conformées aux recommandations du groupe de travail européen sur ce sujet [23] et au protocole élaboré dans le programme Apheis. Un facteur correctif a ainsi été appliqué aux mesures de PM10 réalisées en France pour l’évaluation des impacts sanitaires à long terme.
10Pour chacune des villes, un facteur de conversion local, propre à chaque saison, a été calculé. Ces facteurs ont été calculés à partir des données obtenues par l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) et l’Ecole des Mines de Douai dans le cadre du Laboratoire Central de Surveillance de la Qualité de l’Air lors de campagnes associant en parallèle des mesures de PM10 par TEOM et par gravimétrie dans différentes villes françaises, dont les neuf villes du Psas-9. Les facteurs de correction retenus varient ainsi selon les villes entre 1 et 1,18 en été, et entre 1,13 et 1,37 en hiver.
Indicateurs sanitaires
11Les données concernant la mortalité ont été obtenues auprès du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (Cépi-DC) de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Le nombre annuel de décès survenus en 1999 et concernant des personnes domiciliées dans chacune des zones d’étude a ainsi été recueilli.
12Le Cépi-DC réalise un codage de la cause de décès selon la 9e Classification internationale des maladies (Cim9) à partir du certificat établi par le médecin ayant constaté le décès. Outre les décès « toutes causes non accidentelles » (codes Cim9 ? 800), ont également été recueillis :
- le nombre de décès pour causes cardio-vasculaires (codes Cim-9 de 390 à 459) ;
- le nombre de décès pour causes respiratoires (codes Cim-9 de 460 à 519).
Fonctions exposition-risque
13Pour les effets à très court terme et à court terme, l’évaluation de l’impact sanitaire de l’exposition aux PM10 a utilisé deux types de fonctions exposition-risque, toutes linéaires : risques liés à l’exposition du jour du décès et de la veille (risques à très court terme), et risques liés aux 40 jours précédant le décès (risques cumulés). Les relations exposition-risque concernant la mortalité à très court terme proviennent d’une méta-analyse réalisée par l’OMS [1] qui inclut les résultats d’études de séries temporelles et d’études de panel. En ce qui concerne les effets cumulés de 40 jours, les relations exposition-risque sont celles estimées par Zanobetti et al. [32, 33], dans le cadre du programme Aphea2 à partir des données provenant de 10 villes européennes.
14Pour les effets à long terme, la relation entre l’exposition aux PM10 et la mortalité toutes causes non accidentelles est issue des travaux de Künzli et al. [18], estimée d’après les résultats obtenus dans l’étude américaine des 6 villes [9] et les premières analyses de la cohorte de l’American Cancer Society [25].
Calcul du nombre de cas attribuables et scénarii de réduction des niveaux de pollution atmosphérique
15L’impact de la pollution atmosphérique peut être estimé grâce à la fraction de risque attribuable à l’exposition. Cette fraction de risque attribuable (FA) représente la part des événements sanitaires observés qui peut être attribuée à l’exposition à la pollution particulaire dans une population donnée, sous l’hypothèse d’une relation de causalité entre l’exposition et les événements sanitaires considérés.
16Soient f la prévalence de l’exposition et RR le risque relatif pour une augmentation donnée de l’exposition, la fraction attribuable FA s’écrit :
18Avec f = 1, dans la mesure où l’ensemble de la population de chacune des zones d’étude est exposée à la pollution atmosphérique, d’où FA = (RR – 1) / RR.
19Le nombre de cas attribuables à l’exposition, NA, se déduit de la fraction de risque attribuable, en la multipliant par le nombre moyen d’événements sanitaires, N, observés pendant la période considérée : NA = ((RR – 1) / RR) × N.
20Le RR (quantification de la fonction exposition/risque linéaire) est généralement présenté dans la littérature pour une augmentation de 10 µg/m3 du polluant. Pour le calcul de l’impact sanitaire, il est appliqué au différentiel d’exposition entre le niveau de PA observé et un niveau de référence choisi.
21Les niveaux de référence utilisés dans ce travail correspondent à différents scénarios de réduction des PM10. Pour les effets à très court terme et à court terme, une réduction à 20 µg/m3 des niveaux journaliers dépassant cette valeur et une diminution de 5 µg/m3 de tous les niveaux journaliers a été considérée. Pour les effets à long terme, une réduction de la moyenne annuelle à 20 µg/m3 et une réduction de 5 µg/m3 de la moyenne annuelle ont été envisagées.
22Le calcul du nombre de décès attribuables (ou potentiellement évitables dans le cadre des scénarii ci-dessus), a été réalisé à partir d’une feuille de calcul Excel® développée dans le cadre du Psas-9 et validée pour une utilisation dans le contexte du programme Apheis auquel participent 26 villes en Europe [23]. Dans chaque ville du Psas-9, ce nombre de décès rapporté à l’effectif de la population a permis de calculer un taux de décès évitables pour 100 000 habitants.
Résultats
Caractéristiques de la population et de l’exposition
23Les caractéristiques démographiques de chacune des zones d’étude pour l’année 1999 sont présentées dans le tableau I. Les neuf villes représentent environ 11 millions d’habitants. Deux villes présentent des densités de 6 000 habitants/km2 ou plus (Paris et Lyon). Les autres villes ont des densités comprises entre 1 000 (Toulouse) et 2 500 (Marseille) habitants/km2. Le pourcentage de la population totale représenté par les 65 ans et plus est compris entre 12,8 % à Lille et 18,7 % à Marseille.
Caractéristiques démographiques des neuf zones d’études françaises
Caractéristiques démographiques des neuf zones d’études françaises
24Le tableau II montre la distribution des concentrations atteintes par les particules dans les neuf villes françaises. Dans toutes les villes, les concentrations de PM10 respectent les normes européennes fixées pour 2005 en termes de moyennes annuelles (40 µg/m3). Par contre, la valeur limite européenne pour 2010 fixée à 20 µg/m3 en moyenne annuelle est dépassée dans la quasi-totalité des villes, sauf à Bordeaux. Il existe une large disparité des niveaux de PM10 entre les villes puisque la limite des 20 µg/m3 en moyenne journalière est dépassée 40 % des jours de l’année à Bordeaux contre 70 % à Marseille.
Distribution des concentrations atteintes par les particules de moins de 10 µm de diamètre dans les neuf villes françaises
Distribution des concentrations atteintes par les particules de moins de 10 µm de diamètre dans les neuf villes françaises
Impacts sanitaires
25Le nombre de décès potentiellement évitables pour 100 000 habitants en fonction de chacun des scénarii de réduction et du type d’effets considérés (effets à très court terme et à court terme sur la mortalité toutes causes non accidentelles, respiratoire et cardiovasculaire, et effets à long terme sur la mortalité toutes causes non accidentelles) est représenté pour chaque ville du programme dans la figure 1. À très court terme, le nombre de décès anticipés [4] évitables varie entre 2,0 et 4,3 pour 100 000 habitants. Lorsque les effets à court terme sont évalués, l’étendue de l’impact va de 4,0 à 8,9 décès évitables pour 100 000 habitants. Le gain est plus net pour les effets à long terme, entre 15,0 et 31,5 décès évitables pour 100 000 habitants.
Nombre de décès annuels toutes causes non accidentelles évitables en fonction du scénario de diminution des niveaux de pollution considéré et de l’effet, dans les neuf villes françaises
Nombre de décès annuels toutes causes non accidentelles évitables en fonction du scénario de diminution des niveaux de pollution considéré et de l’effet, dans les neuf villes françaises
26Le scénario de réduction de la concentration en PM10 le plus favorable en termes de mortalité toutes causes non accidentelles varie d’une ville à l’autre (figure 1). Une réduction de 5 µg/m3 des concentrations moyennes quotidiennes et annuelle en PM10 respectivement pour les effets à (très) court et long terme apporte le gain le plus élevé à Bordeaux, Le Havre et Rouen. Par contre, à Marseille et Toulouse, une réduction à 20 µg/m3 des niveaux des moyennes quotidienne et annuelle, respectivement pour les effets à (très) court et long terme, est la plus favorable. Pour les autres villes, selon l’effet considéré, c’est l’un ou l’autre des scénarii qui se montre le plus favorable (tableau II).
27Le tableau III présente le nombre total de décès potentiellement évitables sur l’ensemble des neuf villes pour chacun des scénarii envisagé et pour chaque type d’effet. Globalement, pour les effets à très court terme et court terme, les impacts des 2 scénarii sont proches. Pour les effets à long terme, le scénario réduisant la moyenne annuelle de PM10 à 20 µg/m3 est globalement le plus favorable sur l’ensemble des neuf villes.
Nombre total de décès potentiellement évitables et taux pour 100 000 habitants dans les neuf villes françaises du programme Apheis, pour les effets à très court, court et long terme et deux scénarii de réduction des concentrations des PM10
Nombre total de décès potentiellement évitables et taux pour 100 000 habitants dans les neuf villes françaises du programme Apheis, pour les effets à très court, court et long terme et deux scénarii de réduction des concentrations des PM10
28Selon la cause de mortalité considérée, la part des décès attribuables aux effets à très court terme diffère de celle des effets à court terme (figure 2). Ainsi, lorsque l’on considère les décès pour causes cardio-vasculaires, parmi les décès anticipés intervenant dans les 40 jours suivant l’exposition, la majorité intervient à très court terme, tandis que dans le cas de la mortalité pour causes respiratoires, la majorité des décès intervient au contraire au-delà du très court terme.
Taux de mortalité (décès potentiellement évitables) à très court terme et court terme pour une diminution de 5 µg/m3 des niveaux de PM10, par cause de mortalité
Taux de mortalité (décès potentiellement évitables) à très court terme et court terme pour une diminution de 5 µg/m3 des niveaux de PM10, par cause de mortalité
Discussion
29Les résultats présentés ici pour les neuf villes françaises ont été obtenus au moyen d’une méthodologie standardisée d’évaluation de l’impact sanitaire, commune à l’ensemble des villes du programme Apheis [29, 31]. Les critères de causalité des liens entre pollution atmosphérique particulaire et santé étant de plus en plus fortement étayés [2, 8, 13] cette démarche est en effet aujourd’hui justifiée et recommandée par l’OMS [31].
30Les résultats montrent que, bien que la totalité des villes du Psas-9 respecte d’ores-et-déjà la norme à atteindre pour 2005 (40 µg/m3 en moyenne annuelle), une réduction, même minime, du niveau des PM10 serait susceptible d’induire des bénéfices en termes de décès évitables, aussi bien pour la mortalité toutes causes que pour la mortalité pour causes spécifiques (cardio-vasculaire et respiratoire). Ainsi, quel que soit le scénario de réduction considéré, environ 240 décès anticipés et près de 500 pour respectivement les effets à très court et à court terme pourraient être évités sur l’ensemble des neuf villes et pour une année. À long terme, le scénario de diminution de la moyenne annuelle à 20 µg/m3 s’avère être celui susceptible d’entraîner le plus de bénéfices sanitaires sur l’ensemble des neuf villes, avec près de 2 000 décès évitables chaque année. Ce scénario de diminution de la moyenne annuelle à 20 µg/m3 correspond au respect de la norme européenne prévue pour 2010. Les impacts sanitaires présentés ici ne concernent que la mortalité en population générale et ne représentent donc qu’une partie de l’impact sanitaire global de la pollution atmosphérique particulaire urbaine. Cette approche est donc non exhaustive mais présente l’avantage de reposer sur des connaissances et des méthodes plus robustes et plus largement validées par rapport, par exemple, à des évaluations médico-économiques qui considèrent simultanément les coûts et les conséquences d’un problème de santé.
31Néanmoins, l’interprétation des résultats et de leurs incertitudes doit être précisée. Tout d’abord, les relations expositions-risque utilisées, issues de la littérature et estimées à l’échelle de populations urbaines, sont « sans seuil » : elles ne font pas apparaître de seuil en dessous duquel la pollution atmosphérique particulaire n’aurait plus aucun effet néfaste sur la santé des populations. En effet, au sein de populations de plusieurs centaines de milliers d’habitants, il paraît plausible qu’il existe toujours quelques personnes suffisamment sensibilisées pour réagir à une augmentation, même mineure, du niveau de pollution atmosphérique.
32Cet aspect ne va pas à l’encontre de l’existence d’un seuil de sensibilité pour un individu donné [30] et les RR (risques relatifs) utilisés doivent être interprétés comme des RR collectifs et non individuels. Dans cet esprit, les résultats ne sont pas présentés par rapport à un seuil unique mais ont été produits pour différents scénarii de réduction de la pollution atmosphérique.
33Concernant la mesure de l’exposition, la méthode de construction des indicateurs appliquée dans le cadre d’Apheis (voir population d’étude du chapitre méthodologie) ne diffère pas de celle élaborée dans le cadre du Psas-9 [26]. Les indicateurs d’exposition sont construits pour la population entière de la zone d’étude, à partir des concentrations ambiantes mesurées par les capteurs « de fond » des réseaux de mesure des Associations agréées de surveillance de la qualité de l’air dans chacune des agglomérations. L’hypothèse sous-jacente à cette approche est que les variations journalières de ces concentrations représentent un indicateur non biaisé des variations journalières de la moyenne des expositions individuelles [17].
34Néanmoins, pour l’évaluation des impacts à long terme, un facteur de correction a été appliqué aux mesures directes des PM10 par TEOM, selon les recommandations d’un groupe de travail européen, afin d’harmoniser les mesures utilisées et celles utilisées pour l’estimation des fonctions exposition-risque (méthode gravimétrique) [25, 27]. Or, les campagnes de mesure simultanées réalisées en France montrent qu’il existe une forte variabilité spatio-temporelle pour ces facteurs de correction : le rapport entre les valeurs mesurées par TEOM et celles mesurées par la méthode gravimétrique dépend en effet des conditions météorologiques et de la composition des particules [6]. Cette variabilité a été prise en compte par l’utilisation d’un facteur propre à chaque ville française et à chaque saison (à la place du facteur unique proposé par la Communauté européenne dont la valeur est de 1,3) sans se révéler totalement satisfaisante. Les métrologistes français discutent beaucoup la pertinence de ce facteur de correction pour le contexte climatique français. Globalement, le facteur de correction appliqué tend à augmenter légèrement (d’un facteur de 1,1 à 1,3 selon la ville et la saison) les niveaux de PM10 et donc l’impact sanitaire. La poursuite de la collaboration avec les métrologistes devra permettre de préciser le mode de prise en compte des mesures le plus adapté à l’estimation de l’exposition.
35Concernant la validité de l’application à des villes françaises de fonctions exposition-risque établies « par ailleurs », l’EIS (European Information System) pour les effets à très court terme et à court terme doit être distinguée de celle réalisée pour les effets à long terme. En effet, l’EIS des effets à très court terme et à court terme utilise des fonctions exposition-risque élaborées en Europe, dans un grand nombre de villes dont certaines villes françaises [1, 11, 33]. L’application aux données françaises semble donc tout à fait légitime.
36En revanche, pour les effets à long terme, les seules relations exposition-risque validées à ce jour proviennent toutes d’études épidémiologiques réalisées aux États-Unis. La validité de l’application de ces relations au contexte européen peut donc être discutée, en raison des différences pouvant exister entre les deux continents notamment en termes de population et de composition des particules. Cet aspect entraîne une part d’incertitude dans les résultats concernant les effets à long terme même si les premières études européennes des effets à long terme [17, 30] semblent confirmer les résultats américains. Elles doivent être encore multipliées afin de disposer de résultats aussi robustes que ceux disponibles pour le court terme.
37En dépit des sources d’incertitude mentionnées précédemment, les résultats obtenus montrent que la réduction de la pollution atmosphérique urbaine représente encore un gain pour la santé publique dans les neuf agglomérations étudiées (et potentiellement les autres) dans la perspective des normes fixées pour 2010. Si celles-ci sont respectées, des conséquences positives sont à attendre pour l’état de santé des populations, dans chacune des villes considérées.
38Pour les effets à long terme, le scénario de diminution le plus favorable dans chaque ville dépend du niveau observé de la moyenne annuelle des PM10 (après application du facteur de correction adapté). Très logiquement, si la moyenne annuelle est supérieure de plusieurs microgrammes par mètre cube (trois dans nos résultats) au seuil de référence de 20 µg/m3, alors c’est une réduction de la valeur moyenne à ce seuil qui présente le gain sanitaire potentiel le plus important. Au contraire, si le niveau annuel moyen observé est déjà proche ou inférieur à la future valeur limite européenne, alors le scénario de réduction de 5 µg/m3 conduit à un gain sanitaire potentiel plus important.
39Pour les effets à court terme et à très court terme, le scénario correspondant au différentiel de pollution le plus élevé (entre niveau observé et niveau de référence) sera également le plus favorable. Sur l’année entière, le différentiel de niveau de pollution correspondant à chacun des scénarii dépend de la distribution des niveaux de pollution observés localement au cours de l’année. Ainsi, chaque agglomération doit déterminer le scénario de réduction de la pollution atmosphérique le plus favorable en termes de santé publique lors de l’élaboration des plans de protection de l’atmosphère mis en place dans les différentes agglomérations. Cette approche décisionnelle « ville par ville » permettrait ainsi un gain global plus élevé en termes de décès évitables : en sélectionnant pour chaque ville le scénario le plus favorable, on obtient ainsi pour l’ensemble des neuf villes 260 décès toutes causes non accidentelles évitables à court terme, 529 à court terme cumulé, et 2 068 à long terme.
40Concernant la répartition dans le temps des effets de l’exposition à la pollution particulaire, plusieurs remarques peuvent être faites.
41Les impacts sanitaires obtenus sont toujours plus élevés pour les effets à court terme par rapport aux effets à très court terme (2 jours). Ceci peut s’expliquer par le fait que l’exposition à la pollution particulaire a un effet persistant au-delà de 2 jours.
42Au sein des effets à très court terme et court terme, dans nos résultats, la répartition des décès dans le temps est différente selon que l’on considère la mortalité pour causes respiratoires ou cardio-vasculaires : la majorité des décès pour causes cardio-vasculaires survient à très court terme tandis que la majorité des décès pour causes respiratoires survient au delà de ce délai. Selon Zanobetti et al. qui ont initialement défini les courbes exposition-risque utilisées pour ces évaluations d’impact sanitaire [32], cette répartition différentielle pourrait être expliquée par l’histoire naturelle de ces maladies : les décès pour causes respiratoires seraient le résultat d’une dégradation progressive de l’état de santé, pouvant s’étaler sur plusieurs semaines après l’exposition, tandis que les décès pour causes cardio-vasculaires correspondraient plutôt à l’apparition de pathologies aiguës faisant immédiatement suite à l’exposition et conduisant rapidement au décès.
43Enfin, les impacts sanitaires à long terme sont notablement plus élevés que les impacts à très court ou à court terme qui ne correspondent, par définition, qu’à une partie des effets de la pollution atmosphérique : uniquement les décès liés à l’aggravation brutale de l’état de santé de personnes déjà fragilisées (par une exposition chronique à la pollution ou par d’autres facteurs). Les impacts sanitaires à long terme prennent en compte les décès dus à des maladies chroniques liées à une exposition de longue durée à la pollution atmosphérique, y compris ceux pour lesquels la date du décès n’est pas directement reliée aux niveaux d’exposition récents à la pollution atmosphérique [19]. À l’inverse, la totalité des décès comptabilisés dans l’évaluation de l’impact sanitaire à (très) court terme ne sont pas obligatoirement inclus dans les décès comptabilisés dans l’évaluation de l’impact sanitaire à long terme. C’est le cas par exemple de personnes temporairement fragilisées par une maladie sévère mais de courte durée et qui deviennent transitoirement très sensibles à la pollution atmosphérique [20, 21] : cet effet de la pollution ne sera pas pris en compte dans les effets à long terme. Par conséquent, les effets à très court, à court terme et à long terme ne peuvent être additionnés. L’évaluation d’impact sanitaire ne peut donc se limiter aux seuls effets à long terme d’où la nécessité de présenter à la fois les évaluations concernant les effets à très court, à court et à long terme dans ce travail.
44En conclusion, le programme Apheis, par une méthodologie commune et une sélection de courbes dose-réponse validées fournit des résultats quantifiés accessibles à un large public. Ses résultats représentent une aide à la décision utile à l’échelle locale, nationale et européenne, afin de définir et d’argumenter des politiques de réduction des niveaux de pollution atmosphérique. À l’échelon national, cet EIS (European Information System) confirme la recommandation d’une stratégie de réduction des niveaux dépassant 20 µg/m3 à cette valeur respectivement pour leurs moyennes quotidienne et annuelle. Localement, la prise en compte des concentrations moyennes en PM10 permet de choisir le scénario de réduction des concentrations le mieux adapté.
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Mots-clés éditeurs : particules, pollution atmosphérique, évaluation d'impact sanitaire, mortalité
Date de mise en ligne : 01/01/2008.
https://doi.org/10.3917/spub.061.0071Notes
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[1]
Institut de Veille Sanitaire, Saint-Maurice, France.
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[2]
ORS Île-de-France, Paris, France.
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[3]
ORS Nord-Pas-de-Calais, Lille, France.
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[4]
Décès anticipés : terme utilisé dans le cas des effets à très et à court terme de la PA. Il s’agit de décès qui surviennent un jour donné en relation avec la pollution, et qui, en l’absence de pollution, ne se seraient pas produits ce jour-là sans que l’on puisse déterminer précisément leur délai d’anticipation.