Notes
-
[1]
Médecin-conseil chef du service Bases de données et communication – Echelon local du service médical (CNAMTS) de Marseille. 56, chemin Joseph Aiguier – 13009 Marseille. E-mail : georges. borges. da. silva@ elsm-marseille. cnamts. fr
-
[2]
Chirurgien-dentiste-conseil, Echelon local du service médical (CNAMTS) du Var. Toulon.
-
[3]
Chirurgien-dentiste-conseil chef de service chargé de mission dentaire, Direction régionale du service médical (CNAMTS) de Languedoc-Roussillon. Montpellier.
-
[4]
Chirurgien-dentiste-conseil chef de service chargé de mission dentaire, Direction régionale du service médical (CNAMTS) de Provence-Alpes-Côte d’Azur-Corse. Marseille.
-
[5]
Médecin-conseil régional adjoint, Direction régionale du service médical (CNAMTS) de Provence-Alpes-Côte d’Azur-Corse. Marseille.
-
[6]
Médecin-conseil régional, Direction régionale du service médical (CNAMTS) de Provence-Alpes-Côte d’Azur-Corse. Marseille.
-
[7]
Loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d’une couverture maladie universelle (JO 28 juillet).
1Les personnes les plus démunies accèdent plus difficilement à la santé [12, 18, 19, 23] et, notamment à la santé dentaire [7, 13]. En conséquence, l’influence du niveau socio-économique d’une population sur son niveau de santé dentaire doit pouvoir être mesurée.
2Le Haut comité de la santé publique souligne que les données disponibles ne nous disent rien des inégalités de santé dans de nombreux domaines, faute d’indicateurs collectés ou d’analyses spécifiques à ce jour dans notre pays [15].
3L’état de santé dentaire a été fréquemment exploré chez les enfants ou les adolescents. Mais peu d’études ont porté sur des tranches d’âges adultes [17]. Les travaux qui y ont associé une analyse des effets du gradient socio-économique sont très rares [16, 4, 24]. La précarité, comme facteur de risque majorant la morbidité dentaire, reste encore insuffisamment précisée dans les publications scientifiques [20].
4Les personnes exprimant un besoin prothétique sont parmi celles ressentant le plus fort besoin de santé dentaire. Elles peuvent présenter à la fois des besoins de prévention primaire (soins d’hygiène, détartrage), secondaire (traitement des caries pour éviter les complications) ou tertiaire (appareillage). L’état de cette population nous a paru être le meilleur témoin de la capacité du système de santé à effacer ou, au contraire, à accentuer les différences socio-économiques.
5Parmi les demandeurs de prothèses dentaires relevant de la couverture maladie universelle associée à une couverture complémentaire (CMUC) ou bien du Régime général stricto sensu, notre objectif était :
- d’évaluer et de comparer le niveau de santé dentaire de ces deux populations pour en définir les besoins,
- de mesurer le risque pour la santé dentaire représenté par l’exposition à la précarité.
6Un an après son instauration, la CMUC devenait une réalité pour plus de 4,7 millions de personnes protégées par le Régime général, qui auparavant ne pouvaient souscrire à une assurance complémentaire [22]. Le 30 juin 2001, le nombre de bénéficiaires atteignait 5,3 millions [5].
7Outre les allocataires du revenu minimum d’insertion, inscrits de droit à la CMUC, les bénéficiaires peuvent appartenir à des populations très diverses : des salariés ayant un travail temporaire ou à temps partiel, des chômeurs ou encore des jeunes de plus de 16 ans en rupture familiale. Pour ces personnes, la CMUC est un dispositif qui permet l’accès aux soins par l’instauration d’un panier de soins remboursables. Elles peuvent aujourd’hui se faire soigner gratuitement dans tous les cabinets libéraux et les structures de soins.
8Dans le domaine dentaire, les coûts des prothèses sont peu pris en charge par les organismes de protection sociale. Les tarifs sont libres et soumis au principe de l’entente directe avec le praticien. Ces appareillages représentent des sommes importantes [8, 2]. C’est pourquoi, un panier de soins spécifique a été constitué pour les bénéficiaires de la CMUC. Il concerne des prestations d’optique et de prothèse dentaire, prestations auxquelles ces personnes peuvent accéder sans aucune participation financière. Au moment de notre étude, à la prise en charge du ticket modérateur, s’ajoutait un forfait plafonné à 396 euros par période de deux ans. Il permettait, par exemple, la prise en charge de quatre couronnes métalliques ou de deux couronnes en céramique. Pour les prothèses de plus de dix dents, ou bien en cas d’impérieuse nécessité médicale, le plafond de prise en charge de 396 euros pouvait être dépassé, dans le respect des tarifs.
Méthode
9Cette étude a été réalisée dans huit régions administratives : Aquitaine, Auvergne, Basse-Normandie, Corse, Haute-Normandie, Languedoc-Roussillon, Provence-Alpes-Côte d’Azur, et Rhône-Alpes.
Définition de la population et échantillonnage
10La population est constituée par l’ensemble des demandes d’entente préalable pour la réalisation de prothèses dentaires reçues au service médical du Régime général de l’Assurance maladie entre le 15 février et le 18 mai 2001 dans les huit régions administratives participant à l’étude.
11L’unité statistique est la demande d’entente préalable provenant d’un bénéficiaire de la CMUC ou d’un autre bénéficiaire du Régime général stricto sensu (hors CMUC).
12L’échantillon est composé d’une série continue de huit demandes d’ententes préalables de prothèses dentaires par unité fonctionnelle (secteur d’activité des chirurgiens-dentistes-conseils auprès d’une caisse primaire) et par semaine pendant la période citée : 4 demandes émanant de bénéficiaires de la CMUC et 4 demandes des autres bénéficiaires du Régime général stricto sensu.
13Sur les huit régions administratives, l’échantillon étudié était composé de 7 168 demandes d’entente préalable, concernant autant d’individus.
Recueil et saisie des données
14Toutes les personnes concernées par une demande d’entente préalable ont été invitées à se présenter au service médical pour un examen clinique pratiqué par un chirurgien-dentiste-conseil selon la méthode définie par l’Organisation mondiale de la santé [16, 21]. Celui-ci devait décider de la suite à donner à la demande.
15Le chirurgien-dentiste-conseil connaissait des modalités de protection sociale dont relevait le bénéficiaire qu’il examinait. Ces personnes ont été examinées à l’aide d’un plateau technique constitué d’une sonde et d’un miroir.
16Par conséquent, l’éventuelle existence de poches parodontales ne pouvait être objectivée, car un sondage parodontal et un bilan radiologique auraient été nécessaires.
17Les résultats de l’examen buccal et les réponses des bénéficiaires au questionnaire établi dans le protocole d’enquête ont été consignés sur une fiche individuelle anonyme.
18La proportion de patients qui ne s’est pas rendue à la consultation du chirurgien-dentiste-conseil est de 10,3 %. Parmi les bénéficiaires de la CMUC, 12,9 % ne se sont pas présentés. Chez les bénéficiaires du Régime général stricto sensu, cette proportion est de 7,8 % et diffère significativement de la première (p < 0,001). Cette population n’ayant pas été examinée a été exclue de l’analyse.
19Ainsi, 6 428 personnes, pour lesquelles une demande d’entente préalable dentaire pour prothèse adjointe ou conjointe avait été adressée au Service médical, ont été examinées, soit 89,7 % de l’échantillon. Parmi celles-ci, 3 118 bénéficiaient de la CMUC et 3 310 du Régime général stricto sensu.
Indicateurs mesurés
20L’état dentaire a été enregistré pour les dents permanentes. Les critères diagnostics ont été les suivants : dent cariée, absente ou obturée. Pour chaque individu, ces données ont permis de calculer les indices suivants :
- indice C : nombre de dents cariées
- indice A : nombre de dents absentes
- indice O : nombre de dents obturées
- indice global de santé dentaire CAO : total des trois indices précédents
- indice d’utilisation O/CAO : valeur de l’indice O divisée par celle de l’indice CAO et multipliée par cent pour un indice exprimé en pourcentage.
21A l’aide de ces indices, nous avons recherché l’existence d’un facteur de risque qu’une dent atteinte soit cariée ou absente plutôt qu’obturée chez les demandeurs de prothèse bénéficiaires de la CMUC, par rapport à ceux du Régime général stricto sensu. Pour cela, nous avons calculé un odds-ratio par tranche d’âge non pas pour les individus des deux populations mais pour les dents atteintes (CAO) des deux populations.
22Alors que pour les individus les variables mesurées étaient quantitatives (nombre de dents cariées, absentes versus nombre de dents obturées), pour la dent la mesure était qualitative (cariée ou absente versus obturée). Ainsi la méthode de mesure du risque par l’odds-ratio était facilitée. Pour l’appliquer nous avons considéré que le bénéfice de la CMUC était l’exposition au risque à tester par rapport à l’affiliation au Régime général stricto sensu.
Traitement des données et analyses statistiques
23Le traitement des données a été effectué avec le logiciel Statistical Package for Social Science® (SPSS). Les odds-ratios ont été mesurés avec le logiciel Epi-Info® (les intervalles de confiance à 95 % y sont calculés selon Cornfield). Leur représentation graphique a été réalisée sur le logiciel Excel®.
24Les tests statistiques utilisés sont le test de Levene sur l’égalité des variances et le test t de Student pour la comparaison des moyennes.
25Les intervalles de confiance des moyennes ont été calculés au risque 5 %.
26L’intervalle des tranches d’âge de 20 à 74 ans était de 5 ans. Ceci a facilité les comparaisons avec les populations étudiées par d’autres auteurs [4, 16].
Résultats
27Le tableau I décrit la population des 6 428 personnes examinées. Le sex-ratio est en faveur des femmes, quel que soit le mode de protection sociale.
Répartition de l’ensemble de la population étudiée, selon le mode de protection sociale, le sexe et la tranche d’âge
Répartition de l’ensemble de la population étudiée, selon le mode de protection sociale, le sexe et la tranche d’âge
28Le tableau II montre que jusqu’à la tranche d’âge 65-69 ans, l’indice CAO moyen par tranche d’âge était semblable dans les deux populations étudiées (pas de différences statistiquement significatives).
Répartition des différents indices de santé dentaire, selon les tranches d’âge et le mode de protection sociale
Répartition des différents indices de santé dentaire, selon les tranches d’âge et le mode de protection sociale
29Cet indice était approximativement multiplié par deux entre la première et la dernière tranche d’âge.
30Pour près de la moitié des tranches d’âge, les bénéficiaires de la CMUC avaient significativement plus de dents cariées (indice C).
31Dans les tranches d’âge de 25 à 74 ans, les bénéficiaires de la CMUC avaient significativement plus de dents absentes (indice A). L’écart entre les indices des deux populations tendait à augmenter avec l’âge.
32Dans les tranches d’âge de 30 à 74 ans, les bénéficiaires de la CMUC avaient significativement moins de dents traitées par obturations (indice O).
33Par années d’âge, le point d’inflexion de la courbe de distribution des moyennes d’indice O se situait à 28 ans avec un indice de 9,8 chez les bénéficiaires de la CMUC. Chez les bénéficiaires du Régime général stricto sensu il se situait à 38 ans avec un indice de 12,3. Le décalage du maximum de l’indice moyen par âge était donc de dix ans entre les deux populations.
34À partir de la tranche d’âge 20-24 ans et dans les dents atteintes (CAO), la proportion de dents traitées par des soins conservateurs (indice O/CAO) chez les bénéficiaires de la CMUC était inférieure à celle des bénéficiaires du Régime général stricto sensu.
35L’indice CAO de chaque tranche d’âge ne différait pas significativement entre les deux populations, entre 0 et 69 ans. Par contre, sa composition entre dents traitées par soins conservateurs (obturées) et dents cariées ou absentes était différente selon l’appartenance à l’une ou l’autre population.
36Nous avons calculé le risque relatif, pour les dents atteintes (indice CAO) des demandeurs de prothèse, de ne pas avoir eu de soins conservateurs (indice O) au moment de notre examen, chez les bénéficiaires de la CMUC en comparaison avec l’état des dents atteintes, dans les mêmes conditions, chez les bénéficiaires du Régime général stricto sensu.
37La répartition des odds-ratios en fonction des 13 tranches d’âge (figure 1) montrait que de 20 à 74 ans le risque, pour une dent atteinte de ne pas être obturée au moment de l’examen, était multiplié par un et demi à trois chez les bénéficiaires de la CMUC par rapport à ceux du Régime général stricto sensu. Ces dents non obturées étaient cariées ou absentes.
La référence est la population du Régime général stricto sensu de la même tranche d’âge. Répartition des odds-ratios et de leur intervalle de confiance à 95 %, par tranche d’âges. Coordonnées semilogarithmiques dont l’axe des abscisses croise celui des ordonnées sur la valeur du risque = 1.
Discussion
Les limites de la méthode
38Le mode de recrutement dans l’échantillon conduit à une sur-représentation des demandes d’entente préalable des petites unités fonctionnelles de chirurgiens-dentistes-conseils car le sous échantillon qui y est tiré, a le même effectif, quelle que soit la quantité de demandes reçues.
39Cependant, ce mode de recrutement a peu d’incidence sur les comparaisons entre les groupes de bénéficiaires de la CMUC et du Régime général stricto sensu qui constituent l’essentiel de cette étude.
40La constitution de l’échantillon à partir des demandes d’ententes préalables déposées ne permet pas de connaître l’état dentaire de la population générale des bénéficiaires de la CMUC ou celle des bénéficiaires du Régime général stricto sensu. Un nombre indéterminé de patients ne s’est pas rendu chez le chirurgien-dentiste, ou bien s’y est rendu mais s’est heurté à des difficultés le contraignant à renoncer aux soins avant de disposer d’une entente préalable. Les résultats de cette étude sont ainsi extrapolables uniquement à une population semblable de personnes ayant adressé une demande d’entente préalable.
41La proportion de patients qui ne s’est pas présentée à la convocation du chirurgien-dentiste-conseil est de 10,3 %. Parmi les bénéficiaires de la CMUC, 12,9 % ne se sont pas présentés. Chez les bénéficiaires du Régime général stricto sensu, cette proportion est de 7,8 % (p < 0,001). Cette population a donc été exclue de l’analyse. Elle peut avoir des caractéristiques particulières par rapport aux critères examinés. Il est peu probable que cette population ait fait l’objet d’un meilleur suivi des soins que celle qui a répondu à la convocation. Il s’agit certainement de personnes ayant renoncé au traitement prothétique envisagé. L’intégration de ces non-répondants aurait, selon toute vraisemblance, majoré les écarts constatés entre les populations couvertes par les deux modes de protection sociale.
42Dans cette étude, les populations n’ont pas été standardisées sur l’âge car l’analyse a porté sur des comparaisons internes à chaque tranche d’âge. Les données concernant la population globale (les trois dernières lignes du tableau II) ne sont fournies que pour information et la signification statistique des différences n’est pas directement interprétable, compte tenu de cette méthode.
43La modélisation du risque relatif de dents absentes lié à la précarité, par la mesure des odds-ratios a été utilisée par d’autres auteurs. La méthode publiée [4] classe l’échantillon selon le critère : avoir un nombre de dents absentes non remplacées supérieur de 30 % à la moyenne en population générale pour les mêmes âge et sexe.
44Notre méthode ne transforme pas la variable quantitative « nombre de dents absentes » en une variable qualitative. Pour cette partie de l’étude, l’unité statistique n’est plus la personne mais la dent. Ceci nous permet de traiter les caractères « dent absente ou cariée » ou « dent obturée » comme les occurrences d’une variable d’emblée qualitative concernant la dent. Cette variable qualitative est utilisable pour le calcul des odds-ratios par tranche d’âges, sans perte d’information liée à une transformation de variable.
Validité des résultats au regard des données de la littérature
45Nous avons rapproché nos résultats (tableau III) de ceux de Hescot P et al. [16] sur la population régionale de Rhône-Alpes non institutionnalisée et de ceux de Beynet et al. (résultats de l’étude CREDES-Précalog de 1999-2000 comparés à ceux de l’étude INSEE-CREDES ESSM de 1991-1992) [4]. L’échantillon de l’étude Précalog est issu de patients consultants les centres de soins gratuits pour tout motif.
Comparaison de nos résultats avec les données d’études publiées
Comparaison de nos résultats avec les données d’études publiées
46Les intervalles de confiance de la moyenne pour l’étude de Hescot P et al. [16] et les effectifs de l’étude de Beynet et al. [4] ont été calculés par nous à partir des informations fournies dans les deux publications. Les résultats de cette dernière étude [4] proviennent d’échantillons de personnes non examinées par un chirurgien-dentiste mais interrogées sur leur nombre de dents manquantes non remplacées.
La tranche d’âge 35-44 ans
47L’indice moyen de caries est comparable entre l’étude de Hescot P. et al. [16] et la nôtre. L’effet réducteur attendu, sur le nombre de caries, de la consultation récente du chirurgien-dentiste n’est donc pas constaté dans notre échantillon.
48Notre échantillon a logiquement un indice moyen de dents absentes supérieur à celui trouvé dans les deux autres études. En effet, notre étude a porté sur des demandeurs de prothèse dentaire.
49L’indice de dents obturées que nous trouvons est semblable à celui de l’étude de Hescot P et al. [16].
50Les indices CAO moyens que nous avons trouvé sont supérieurs à ceux de l’étude de Hescot P et al. [16]. La différence est à imputer à un indice moyen de dents absentes plus élevé.
La tranche 65-74 ans
51Contrairement à la tranche d’âge précédente, les bénéficiaires de la CMUC et du Régime général stricto sensu de cette tranche d’âge présentent un indice moyen de caries légèrement inférieur à celui constaté par Hescot P. et al. [16]. Cette différence peut être attribuée, à l’effet de la consultation récente du chirurgien-dentiste.
52Les indices moyens de dents absentes que nous avons trouvés sont étonnamment semblables à ceux de Hescot P et al. [16] (CMUC : 18,0 versus 19,4 pour le niveau socio-économique faible et, d’autre part, Régime général : 12,3 versus 14,2 et 10,2 pour, respectivement, le niveau socio-économique moyen et élevé). Pourtant notre population de demandeurs de prothèse aurait du présenter plus de dents absentes. Nous formulons l’hypothèse, pour cette tranche d’âge, qu’il existe des déterminants de la demande de prothèse découplés du besoin sanitaire pertinent. Pour des besoins objectifs identiques certaines personnes feraient une demande de prothèse et d’autres non. Ces déterminants seraient à explorer par un protocole d’étude utilisant les méthodes de la recherche qualitative [6] développées par les sciences humaines.
53Les indices moyens de dents obturées et de CAO trouvés par les deux études sont assez proches.
Interprétation des résultats
54Nos résultats montrent que l’indice CAO ne permet pas de différencier les caractéristiques spécifiques de l’état santé dentaire des populations les plus démunies.
55Avec un indice CAO semblable pour chaque tranche d’âge, les bénéficiaires de la CMUC se distinguent par un nombre de dents cariées légèrement supérieur mais surtout par un nombre de dents absentes bien supérieur à celui des bénéficiaires du Régime général stricto sensu. Dans l’indice CAO, ce nombre de dents absentes supérieur est compensé par un nombre de dents obturées nettement inférieur à celui de la population du Régime général stricto sensu.
56Les dents obturées sont celles ayant bénéficié de soins conservateurs. Ce sont des dents atteintes mais soignées, arrivées à un état cicatriciel stable et concourant de manière efficace à la fonction masticatoire. Elles doivent donc être distinguées des autres dents atteintes (caries ou extractions). L’indice O/CAO permet donc une meilleure évaluation de l’état de santé dentaire, sur le plan fonctionnel. Cet indice est indispensable pour éclairer le contenu de l’indice CAO.
57Les valeurs des odds-ratios, mesurant le risque de dents cariées ou absentes plutôt qu’obturées chez les patients bénéficiaires de la CMUC, montrent que les bénéficiaires de la CMUC sont exposés à un risque variant de un et demi à trois, selon la tranche d’âges, par rapport aux bénéficiaires du Régime général stricto sensu.
58Porter un jugement de causalité à l’encontre de la CMUC ne serait évidemment pas pertinent. Le bénéfice de la CMUC est ici un facteur associé plutôt qu’un facteur de risque [1]. Parmi les déterminants socio-économiques permettant le bénéfice de la CMUC, ceux constituant les facteurs de risques proprement dits restent à préciser.
59L’ensemble des résultats témoigne du déficit majeur en soins conservateurs chez les bénéficiaires de la CMUC. L’accès des plus démunis à ces soins est insuffisant, malgré la prise en charge sans ticket modérateur qui leur est accordée. Les professionnels et les usagers, notamment ceux qui souffrent de précarité, doivent être incités à la réalisation optimale de ces soins.
60Dans les deux populations, les indices moyens de dents obturées se répartissent selon des valeurs croissantes jusqu’à un âge à partir duquel leurs valeurs diminuent (vers 28 ans pour les bénéficiaires de la CMUC et vers 38 ans pour ceux du Régime général stricto sensu). Par contre, l’indice de dents absentes augmente régulièrement avec l’âge dans les deux populations.
61Ces répartitions suggèrent deux hypothèses explicatives différentes et éventuellement associées :
62– Soit le suivi des soins conservateurs (amalgames par exemple) ne serait pas réalisé. Après un certain nombre d’années, la reprise du processus carieux aboutirait à l’extraction de la dent. Le phénomène serait plus précoce et plus accentué chez les bénéficiaires de la CMUC.
63– Soit nous assisterions à une amélioration de la santé dentaire et une baisse de l’édentement de la population, comme l’envisagent d’autres auteurs [10, 9, 17]. Dans ce cas il ne faudrait plus voir cette répartition comme l’expression d’une dynamique d’évolution liée à l’âge. Les tranches d’âge les plus jeunes seraient les témoins d’une amélioration sanitaire qui va perdurer et les générations les plus anciennes témoigneraient d’une morbidité dentaire révolue.
64Le mouvement de la santé publique se doit de dépasser la vision biomédicale [14] restrictive du champ de son intervention le cantonnant à la promotion de la prévention primaire. Pour le Haut comité de la santé publique, une conception globale de la santé impliquant un continuum des actions de prévention et des actions curatives fondé sur le concept d’évitabilité permettrait de répondre aux enjeux du futur [15].
65La promotion de la prévention secondaire par la valorisation de soins conservateurs efficaces est un axe à privilégier [11]. Les besoins sanitaires révélés par nos résultats permettent d’orienter l’intervention en santé publique dentaire. En plus de la promotion de la prévention primaire avec l’hygiène bucco-dentaire, la santé publique doit promouvoir un accès facilité à des soins conservateurs comme un axe majeur de prévention secondaire [25], notamment dans l’éducation pour la santé [3] des plus démunis.
REMERCIEMENTS
Nous remercions, pour leur contribution à ce travail, les Drs Preel J. (chirurgien-dentiste-conseil chef de service chargé de mission dentaire nationale, DSM), Engel C. (chirurgien-dentiste-conseil chef de service chargé de mission dentaire, DRSM Aquitaine), Tréguier M. (chirurgien-dentiste-conseil chef de service chargé de mission dentaire, DRSM Auvergne), Nérini C. (chirurgien-dentiste-conseil chef de service chargé de mission dentaire, DRSM Normandie), Chabert R. (chirurgien-dentiste-conseil chef de service chargé de mission dentaire, DRSM Rhône-Alpes), Degré A. (médecin-conseil régional, DRSM Aquitaine), Baris B. (médecin-conseil régional, DRSM Auvergne), Laroze M. (médecin-conseil régional, DRSM Languedoc-Roussillon), Thielly P. (médecin-conseil régional, DRSM Normandie), Legal G. (médecin-conseil régional, DRSM Rhône-Alpes) et tous les chirurgiens-dentistes-conseils qui y ont participé.Bibliographie
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Notes
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[4]
Chirurgien-dentiste-conseil chef de service chargé de mission dentaire, Direction régionale du service médical (CNAMTS) de Provence-Alpes-Côte d’Azur-Corse. Marseille.
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[5]
Médecin-conseil régional adjoint, Direction régionale du service médical (CNAMTS) de Provence-Alpes-Côte d’Azur-Corse. Marseille.
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[6]
Médecin-conseil régional, Direction régionale du service médical (CNAMTS) de Provence-Alpes-Côte d’Azur-Corse. Marseille.
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[7]
Loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d’une couverture maladie universelle (JO 28 juillet).