Professeur émérite à la Sorbonne, Michel Crouzet s’est éteint le 29 septembre, dans sa quatre-vingt-seizième année.
Comment lui rendre hommage ? comment rendre justice à son œuvre critique, immense par son ampleur et remarquable par sa profondeur ? Pour l’évoquer comme elle le mérite, il ne suffit pas de décliner la liste impressionnante de ses articles et de ses livres. Comment dire son intimité exceptionnelle avec Stendhal, et avec l’œuvre de Stendhal, dont témoigne une vie consacrée à l’éditer, à le commenter, à l’enseigner, à le faire comprendre ? C’est, hélas !, cette mémoire sans équivalent qui disparaît avec lui : hormis Georges Blin et, pour l’érudition, Victor Del Litto, on n’avait jamais eu avant lui une telle science, une telle compréhension intime de la Stendhalie dans tous ses aspects et toutes ses dimensions. Il connaissait Stendhal par cœur, il était même pour beaucoup d’entre nous tout Stendhal, dans la lettre et dans l’esprit.
Cet esprit de Stendhal, il s’était efforcé de le faire vivre, à travers l’Association Stendhal aujourd’hui et la revue HB qu’il avait fondées et qu’il animait ; mais aussi dans ses études magistrales qui semblaient envisager l’œuvre comme un tout, vouloir l’embrasser tout entière et dans chacun de ses aspects, avec un remarquable mélange de hauteur de vue et d’acuité, sans chercher pour autant à l’unifier, cette œuvre diverse, et pour une part fragmentaire, dans un discours univoque, sans failles ni aspérités. À lire Michel Crouzet, on avait l’impression d’une fouille méthodique et complète, fortement cohérente, genre par genre (le roman, la nouvelle, le récit de voyage, l’autobiographie), thème par thème, enjeu par enjeu, problème par problème, pour parler comme Georges Blin (l’esthétique, le langage, les apories du sincérisme, la politique, le romanesque, l’Italianité comme mythe littéraire, l’enchantement italien et son contraire, ou son envers, le désenchantement moderne, américain, etc…