Couverture de ROM_203

Article de revue

Introduction

Pages 12 à 17

Notes

  • [1]
    Anamaria Curea, Entre expression et expressivité : l’école linguistique de Genève de 1900 à 1940, Paris, ENS éditions, 2015.
  • [2]
    Antoine Albalat, Préface de L’Art d’écrire enseigné en vingt leçons, Paris, Colin, 1899, p. V.
  • [3]
    Revue de l’Institut catholique de Paris, janvier-février 1899, Paris, Poussielgue, p. 96.
  • [4]
    Voir notamment Daniel Compère et Catherine Dousteyssier-Khoze, Zola. Réceptions comiques. Le naturalisme parodié par ses contemporains, prose-poésie-théâtre, Paris, Eurédit, 2008.
  • [5]
    Trente-trois jusqu’en 1950.
  • [6]
    Le nom apparaît en Allemagne pour la première fois en 1837 avec le manuel d’apprentissage du latin de Simon Herling intitulé Theoretisch-Praktisches Lehrbuch der Stilistik für obere Classen höherer Schulanstalten und zum Selbstunterricht, dont le tome 2 s’intitule Die Stilistiche Analyse (Hannover, Hahn).
  • [7]
    Revue de l’instruction publique en France et dans les pays étrangers, 2 avril 1857, p. 12.
  • [8]
    Ibid., p. 13.
  • [9]
    Sur l’importance de Condillac, héritier des remarqueurs, pour la pensée du style au xixe siècle, voir Sonia Branca-Rosoff, « La dimension discursive. L’Art d’écrire de Condillac », dans Condillac, philosophe du langage ?, Aliènor Bertrand (dir.), Lyon, ENS éditions, 2016. En ligne : https://books.openedition.org/enseditions/7131?lang=fr.
  • [10]
    Sur le développement de la stylistique en Allemagne au xixe siècle, voir Helmut Schanze, « Rhetorik und Stilistik der deutschsprachigen Länder von der Romantik bis zum Ende des 19. Jahrhunderts », Halbband 1 Rhetorik und Stilistik/Rhetoric and Stylistics, Ulla Fix, Andreas Gardt et Joachim Knape (dir.), Berlin-New York, De Gruyter Mouton, 2008, p. 131-146 et Étienne Karabétian, Histoire des stylistiques, Paris, Armand Colin, 2000.
  • [11]
    Louis Bertrand, La Fin du classicisme et le retour à l’antique dans la seconde moitié du xviiie siècle et les premières années du xixe, en France, Paris, Hachette, 1897, p. 207.
  • [12]
    Wincenty Lutoslawski, « Principes de stylométrie appliqués à la chronologie des œuvres de Platon », Revue des études grecques, 1898, t. ix, n° 41, p. 65.
  • [13]
    Jean-Vincent Bainvel, Causeries pédagogiques, Paris, Poussielgue, 1898, p. 121.
  • [14]
    Gaston Paris, préface à Léon Clédat, Grammaire raisonnée de la langue française, Paris, Le Soudier, 1894, p. III.
  • [15]
     Clovis Vernier, La Dissertation de pédagogie, théorie et pratique : à l’usage des candidats au certificat d’aptitude pédagogique, des candidats aux brevets de capacité, au certificat des classes élémentaires des lycées et collèges…, Paris, Belin, 1890, p. 6.
  • [16]
    Voir aussi le numéro 148 de Romantisme dirigé par Éric Bordas en 2010 et consacré au « style d’auteur ».
  • [17]
    Ernest Hello, Le Style, Paris, Victor Palmé, 1861, p. 16.
  • [18]
    Voir Gilles Philippe, Sujet, verbe, complément. Le moment grammatical de la littérature française (1890-1940), Paris, Gallimard, 2002.
  • [19]
    Francis Wey, Remarques sur la langue française, Paris, Didot, t. I, p. 27.
  • [20]
    Ibid., t. II, p. 204-206.
  • [21]
    Charlotte Guichard, « Le connoisseurship et ses révisions méthodologiques », Perspective, 3/2009, p. 348.
  • [22]
    Voir Michael Riffaterre aux États-Unis, Roger Fowler, Donald Cary Freeman et Geoffrey Leech en Grande-Bretagne, Tzvetan Todorov popularisant Bakhtine et les formalistes russes, Gianfranco Contini et sa critica delle varianti en Italie, etc.
  • [23]
    Voir le numéro 195 de Romantisme, dirigé par Philippe Hamon et Vincent Jouve, consacré à « penser la poétique » en 2022.
  • [24]
    Voir Éric Bordas, « La “stylistique des concours” », Pratiques, 2007, n° 135-136, p. 240-248.
  • [25]
    Les épreuves en question ont heureusement évolué ces dernières années.
  • [26]
    Sur ce mot-valeur et ses avatars, voir Éric Bordas, « Style », un mot et des discours, Paris, Kimé, 2008.

1 La stylistique comme discipline distincte de la rhétorique et envisagée comme composante des sciences linguistiques se stabilise avec les travaux de Charles Bally qui publie en 1905 son Précis de stylistique, présenté comme l’« esquisse d’une méthode fondée sur l’étude du Français moderne ». Comme l’a noté Anamaria Curea, « l’échafaudage » en « est encore fragile [1] ». C’est en travaillant sur la question de l’expressivité que le linguiste s’efforcera par la suite de dissocier la stylis­tique tant des études allemandes sur les langues anciennes, pour lesquelles a été créé le nom même de stylistique, que de la psycholinguistique en train d’apparaître, mais aussi des manuels pratiques prétendant faire comprendre l’« art d’écrire ».

2 Le romancier Antoine Albalat, six ans auparavant, dans L’Art d’écrire enseigné en vingt leçons s’était en effet proposé de remédier à un prétendu manque criant en « démontrant » les « procédés de style » et notamment en proposant une « analyse intrinsèque et détaillée de la science des phrases ». Le modèle revendiqué est L’Art d’écrire de Condillac présenté pour autant par Albalat comme une simple « tentative de désarticulation gramma­ticale [2] » trop coupée de la littérature. L’ouvrage est reçu comme un ensemble de modèles à suivre, et ce non sans réticence de la part de certains conservateurs qui cherchent à en atténuer la portée sans en nier l’importance novatrice. On peut lire ainsi dans le compte rendu qu’en fait la Revue de l’Institut catholique de Paris : « Il me paraît qu’en réunissant l’Art d’écrire de cet auteur, à la Délicatesse dans l’Art de Martha, on composerait une “stylistique” d’un rare intérêt, à la fois traditionnelle et neuve, moderne et classique, telle enfin qu’elle aurait chance d’agréer aux plus difficiles [3]. »

3 Cette praxis du style fait la part belle aux « styles d’auteurs » sur lesquels Albalat reviendra très vite dans ses ouvrages suivants en s’intéressant aux autocorrections. Elle propose des exercices de comparaisons et de pastiches qui reprennent de façon sérieuse les pratiques parodiques qui ont procédé, via toutes sortes de pastiches, à une forme de critique stylistique « en action » des formes d’écriture naturalistes quelques années auparavant [4] pour en faire une sorte de méthode. Le constat très négatif d’Albalat sur un xixe siècle incapable de prendre en compte de façon fouillée et constructive les procédés d’expression autrement qu’à travers le filtre de plus en plus usé et inadéquat de la rhétorique interroge. Aussi caricaturales et peu scientifiques que puissent être souvent les analyses et propositions du romancier, elles n’en apparaissent pas moins novatrices à ses contemporains et rencontrent un succès immédiat, appelé à durer, comme en témoignent les très nombreuses rééditions [5], puisqu’elles semblent effectivement combler un vide, sous le signe essentiel de la prescription.

4 Albalat ne présente jamais son travail comme relevant de la stylistique en tant que discipline. Le nom stylistique pour désigner des caractéristiques propres à une langue ou à un style est pourtant arrivé en France par emprunt de l’allemand Stilistik dès le milieu du xixe siècle [6]. Un correspondant en Allemagne de la Revue de l’instruction publique en France et dans les pays étrangers rend compte en 1857 de deux « dissertations » de Wichert sur « des points de stylistique latine » : y sont étudiés « tout ce qui […] para[ît] caractéristique sous le rapport de la contexture du discours, de l’énergie de la phrase, de la concision, de la variété, du pathétique, de la métaphore et des transitions [7] ». Une partie entière est ainsi consacrée aux usages de la parataxe par les auteurs latins, avec des essais d’interprétation en termes d’efficace et d’esthétique, que le commentateur considère comme intéressants et possibles pour les langues anciennes, mais pas pour les langues modernes « plus propres à l’abstraction et aux effets purement intellectuels [8] ». Exit donc la possibilité de transférer la méthode dans le domaine de la littérature française. De fait, quand un autre correspondant d’Allemagne, cette fois pour la Revue britannique, rend compte en 1874 de l’ouvrage de Wilhelm Wackernagel intitulé « Poétique, Rhétorique, Stylistique », c’est pour signaler qu’« on dirait en France “Traité de l’art d’écrire et de parler » et ajouter que « ces sortes de matières, si intéressantes à toutes sortes de points de vue, n’ont guère été traitées par les Français » sinon par Condillac [9]. La pratique stylistique à l’allemande [10] ressurgira de façon plus sûre à la fin du siècle avec la traduction en français de la Stylistique latine d’Ernst Berger en 1884, dont l’usage va s’imposer dans l’enseignement du latin pour ouvrir notamment la voie à l’idée de la nécessité d’une « stylistique comparée » dans la traduction [11].

5 On sent de fait tout au long du siècle une réticence très forte à repenser l’étude des textes littéraires à travers une exploration des pratiques langagières dans un cadre autre que ceux, très normatifs, de l’analyse grammaticale ou de la rhétorique, c’est-à-dire sous le signe de la « faute » ou de l’enjolivement réussi. Les rares tentatives se cantonnent à remarquer les différents effets produits par les quasi-synonymes que recueillent quantité de dictionnaires depuis le siècle précédent. Et il manque des objectifs clairs. Que peut apporter une analyse stylistique alors que l’on continue à penser les textes en termes de morale, de transmission de savoir, de conformité ou pas à des modèles, et d’émotion plus ou moins partageable ?

6 En présentant en français en 1897 devant l’Académie des Belles-Lettres sa révolutionnaire « stylométrie » censée permettre, par la statistique, de retrouver la chronologie exacte des dialogues de Platon, le Polonais Wincenty Lutoslawski ne rencontre qu’un intérêt relatif. Il propose pourtant enfin un objectif proprement scientifique, hors de toute volonté normative, et y invente le « stylème » présenté comme « tout usage du langage qui peut être remplacé par un autre [12] ». Celui-ci se trouve ainsi clairement associé à l’idée de variation, ce qui ouvre la voie à une stylistique d’auteur qui puisse se penser en diachronie et dans une perspective contrastive, même si Lutoslawski se cantonne une fois encore à des faits lexicaux. Le théologien et latiniste Jean-Vincent Bainvel semble, quoi qu’il en soit, aller dans le même sens à partir de prolégomènes clairement rhétoriques lorsqu’il propose dans ses Causeries pédagogiques :

7

Dans les hautes classes on fera assister l’élève à l’éclosion et au développement de la pensée : on dégagera les procédés généraux de pensée et de style ; on montrera la proportion des moyens à la fin ; on analysera les effets d’un mot, d’une expression ; on indiquera la différence entre un tour ou tel mot que l’auteur a choisi, et tel autre qu’il aurait pu choisir : une véritable analyse littéraire [13].

8 Dans le passage de l’étude du « mot » à celle du « tour », dans l’importance donnée à des « effets » dont on sent qu’ils pourraient être autres qu’argumentatifs, on sent une préscience de ce qui constitue les fondements d’une stylistique capable de penser en termes de variations, de saillances, de motifs et de réseaux, etc., et non plus simplement d’enjolivements, d’effets de manche et d’écarts.

9 Il s’agit encore et toujours de l’enseignement des langues anciennes, mais tout est en place pour un possible transfert dans le domaine des lettres françaises à condition d’échapper au morcellement de remarques linéaires, voire éparpillées, et de trouver un langage commun d’analyse pour réussir ainsi à affirmer une spécificité, ce que nie, entre autres, le très influent philologue Gaston Paris lorsqu’il écrit en 1894, dans sa préface à la Grammaire raisonnée de la langue française de Léon Clédat, que puisque « le style est l’appropriation de la forme à l’idée », « la stylistique relève de la rhétorique [14] ». S’il éprouve le besoin de mettre les choses au clair, c’est que la demande est bien de plus en plus forte, sous l’influence des philologues allemands, de distinguer deux disciplines : la « rhétorique » comme « manière de faire un plan » et la « stylistique » comme « recueil méthodique des procédés les plus efficaces et les plus nécessaires pour la composition et pour la facture de la phrase [15] ». Si cette stylistique est encore en français essentiellement prescriptive et non analytique, puisqu’elle se résume à des conseils pour bien écrire, l’importance donnée à la « facture de la phrase » est intéressante en ce qu’elle semble indiquer que l’approche du style est amenée désormais à passer par une réflexion proprement grammaticale et pas seulement figurale.

10 On peut en rester là ou se demander s’il est possible de remonter dans l’histoire pour contredire le constat négatif d’Albalat. Les études qui suivent montrent clairement l’évolution de la pensée du style au cours du xixe siècle et les enjeux, tant esthétiques qu’idéologiques qui sont attachés au mot lui-même et à celui de manière, qui entretient avec lui des relations complexes [16]. L’idée qui ne cesse de grandir est l’affirmation d’une singularité radicale du style individuel qui implique une prise de distance nette avec les artifices de la rhétorique. Ernest Hello, qui publie en 1861 un traité sobrement intitulé Le Style, le résume très bien lorsqu’il affirme que « le style organique, c’est la parole vivante au service de l’idée vivante » qui « va au cœur des choses et tranche dans le vif » alors que « le style mécanique, c’est un arrangement de mots fait au profit de certaines conventions » qui « glisse à côté [17] ». Mais, dans cette perspective, les analyses qu’il propose de différents styles d’écrivains restent essentiellement psychologiques.

11 Or la stylistique en tant que discipline scientifique nouvelle en devenir avait besoin de se doter d’outils d’analyse d’un autre type que ceux employés tant par la rhétorique que par la forme de critique, alors et aujourd’hui encore abondamment présente dans la presse, qui se résume, quand il s’agit de commenter le travail d’écriture, à quelques adjectifs aussi vagues que métaphoriques (plat, sec, haché, élégant, facile, doux, etc.). Recenser les figures, ranger au sein de pratiques collectives ou réduire une poétique à un certain nombre de traits associés à une personnalité peuvent évidemment présenter un intérêt lorsque la lecture est fine, cultivée et perspicace (les exemples n’en manquent pas tout au long du siècle, les plus intéressants étant souvent le fait des écrivains eux-mêmes, Stendhal, Flaubert ou les Goncourt particulièrement), mais ne constituent pas une méthode digne de reconnaissance au sein des naissantes sciences humaines. Et ce d’autant que les pratiques en question appartiennent souvent à l’espace intime, entre salons, journal et correspondance.

12 De fait, on peut se demander si la stylistique en tant que discipline d’étude des productions langagières telle que nous la pensons aujourd’hui n’est devenue envisageable qu’avec le « moment grammatical » que Gilles Philippe voit débuter à la fin du siècle [18]. Quand Francis Wey se propose en 1845 dans ses Remarques sur la langue française de jeter les bases d’une étude nouvelle de la langue, il est vrai qu’il le fait après avoir pourfendu les prétendus méfaits des grammairiens. Contre les analyses que ceux-ci proposent et qui lui paraissent appauvrissantes et « habitué à scruter les méthodes employées par les auteurs d’autrefois, à chercher à les combiner dans la pratique des lettres, avec le goût et les allures de notre temps », il déclare s’être « efforcé de décomposer le style des écoles diverses, d’en isoler les principes et d’en mettre à nu les ingénieux artifices [19] ». S’il s’agit le plus souvent de proscrire et si l’étude du lexique prend la part du lion, le deuxième tome consacré au style recense pour autant de très nombreux usages grammaticaux rencontrés de façon récurrente chez certains auteurs pour en questionner l’intérêt esthétique. Ainsi Wey s’interroge-t-il, par exemple, sur le remplacement systématique dans le style racinien du possessif par l’article indéfini. Alors qu’au siècle suivant Léo Spitzer, dont on connaît l’influence déterminante sur une certaine stylistique d’auteur à la française, en fera une des manifestations de la poétique racinienne de la sourdine, il y voit, quant à lui, la marque d’une volonté systématique de s’éloigner du prosaïque et en conteste in fine la validité à l’aune de la précision et du naturel comme valeurs premières, conformément à la réaction anti-romantique des années 1850 [20].

13 L’intérêt pour la grammaire comme outil fondamental d’approche des caractéristiques stylistiques est donc déjà bien là, comme il l’est aussi, on le verra dans un des articles qui suivent, chez Nodier quand il commente les Fables de La Fontaine en 1818 ou dans les analyses que mène Gustave Planche sur la « contexture » des styles dans la Revue des Deux Mondes autour de 1840. S’agit-il de phénomènes isolés en attente de rencontrer dans le système scolaire et chez les philologues une reconnaissance durable ? Il est intéressant de noter que Baudelaire ne transfère pas dans le domaine littéraire l’importance extrême qu’il donne dans ses Salons au travail de la matière pour analyser les styles des peintres. Quant à la méthode de l’historien d’art Giovanni Morelli dans les années 1880, elle reste « ancré[e] dans un savoir-faire, une connaissance empirique des œuvres liée à leur catalogage et à leur description, leur inventaire [21] ». Dès lors, elle demeure cantonnée aux arts plastiques alors qu’elle s’appuie sur la mise en réseau de stylèmes en tant que procédés singuliers et détaillables de la représentation et était donc a priori exportable à d’autres arts.

14 Une question demeure : née en Allemagne et empruntée par les Britanniques et les Français, pourquoi la stylistique n’a-t-elle pas connu le destin mondial d’autres disciplines qui ont émergé au cours du xixe siècle, en dehors des années 1960-1970 pendant lesquelles elle a bénéficié de l’intérêt général pour tous les types de questionnements critiques venus de France et a su accompagner le structuralisme [22] ? La faute en est sans doute au flou qui s’est installé au début du xxsiècle sur les relations que la stylistique devait entretenir avec l’esthétique. Charles Bally a eu beau refuser ce qu’il considérait comme une limitation, la manière dont elle a été enseignée en France et l’influence exercée par les néo-idéalistes en Allemagne et leurs héritiers ont conduit à considérer la stylistique comme destinée à tout interpréter en termes de valeurs, voire à la penser comme fondamentalement herméneutique, et l’ont donc très vite désignée à la vindicte de la majorité des linguistes sans trouver d’aide du côté des historiens de la littérature qui l’ont accusée de technicité aride et inutile. L’émergence de l’analyse du discours et de la poétique [23] a fini de fragiliser une pratique à laquelle les exercices très normés et scolaires proposés aux concours de recrutement des enseignants français n’ont pas aidé [24], c’est le moins qu’on puisse dire, à donner une légitimité aux yeux de ses détracteurs et des chercheurs étrangers [25].

15 C’est justement en dialoguant de façon étroite avec les deux disciplines en question et en retrouvant certains des principes qui étaient présents à sa naissance (repérage et compréhension de la variation dans une perspective tant diachronique que synchronique, importance de la dimension contrastive, création d’une stylométrie renouvelée grâce aux outils informatiques), en s’intéressant à tous les types de productions langagières et en exploitant les avancées tant des sciences du langage dans toutes leurs dimensions que de la génétique textuelle et des humanités numériques, que l’approche stylistique, sans prétention à se constituer en discipline à part entière et en se débarrassant le plus souvent du lourd héritage du « style [26] » comme le souhaitait Bally, a pu ces dernières années apporter des éléments nouveaux à la communauté des chercheurs, et ce de façon de plus en plus internationale.

Notes

  • [1]
    Anamaria Curea, Entre expression et expressivité : l’école linguistique de Genève de 1900 à 1940, Paris, ENS éditions, 2015.
  • [2]
    Antoine Albalat, Préface de L’Art d’écrire enseigné en vingt leçons, Paris, Colin, 1899, p. V.
  • [3]
    Revue de l’Institut catholique de Paris, janvier-février 1899, Paris, Poussielgue, p. 96.
  • [4]
    Voir notamment Daniel Compère et Catherine Dousteyssier-Khoze, Zola. Réceptions comiques. Le naturalisme parodié par ses contemporains, prose-poésie-théâtre, Paris, Eurédit, 2008.
  • [5]
    Trente-trois jusqu’en 1950.
  • [6]
    Le nom apparaît en Allemagne pour la première fois en 1837 avec le manuel d’apprentissage du latin de Simon Herling intitulé Theoretisch-Praktisches Lehrbuch der Stilistik für obere Classen höherer Schulanstalten und zum Selbstunterricht, dont le tome 2 s’intitule Die Stilistiche Analyse (Hannover, Hahn).
  • [7]
    Revue de l’instruction publique en France et dans les pays étrangers, 2 avril 1857, p. 12.
  • [8]
    Ibid., p. 13.
  • [9]
    Sur l’importance de Condillac, héritier des remarqueurs, pour la pensée du style au xixe siècle, voir Sonia Branca-Rosoff, « La dimension discursive. L’Art d’écrire de Condillac », dans Condillac, philosophe du langage ?, Aliènor Bertrand (dir.), Lyon, ENS éditions, 2016. En ligne : https://books.openedition.org/enseditions/7131?lang=fr.
  • [10]
    Sur le développement de la stylistique en Allemagne au xixe siècle, voir Helmut Schanze, « Rhetorik und Stilistik der deutschsprachigen Länder von der Romantik bis zum Ende des 19. Jahrhunderts », Halbband 1 Rhetorik und Stilistik/Rhetoric and Stylistics, Ulla Fix, Andreas Gardt et Joachim Knape (dir.), Berlin-New York, De Gruyter Mouton, 2008, p. 131-146 et Étienne Karabétian, Histoire des stylistiques, Paris, Armand Colin, 2000.
  • [11]
    Louis Bertrand, La Fin du classicisme et le retour à l’antique dans la seconde moitié du xviiie siècle et les premières années du xixe, en France, Paris, Hachette, 1897, p. 207.
  • [12]
    Wincenty Lutoslawski, « Principes de stylométrie appliqués à la chronologie des œuvres de Platon », Revue des études grecques, 1898, t. ix, n° 41, p. 65.
  • [13]
    Jean-Vincent Bainvel, Causeries pédagogiques, Paris, Poussielgue, 1898, p. 121.
  • [14]
    Gaston Paris, préface à Léon Clédat, Grammaire raisonnée de la langue française, Paris, Le Soudier, 1894, p. III.
  • [15]
     Clovis Vernier, La Dissertation de pédagogie, théorie et pratique : à l’usage des candidats au certificat d’aptitude pédagogique, des candidats aux brevets de capacité, au certificat des classes élémentaires des lycées et collèges…, Paris, Belin, 1890, p. 6.
  • [16]
    Voir aussi le numéro 148 de Romantisme dirigé par Éric Bordas en 2010 et consacré au « style d’auteur ».
  • [17]
    Ernest Hello, Le Style, Paris, Victor Palmé, 1861, p. 16.
  • [18]
    Voir Gilles Philippe, Sujet, verbe, complément. Le moment grammatical de la littérature française (1890-1940), Paris, Gallimard, 2002.
  • [19]
    Francis Wey, Remarques sur la langue française, Paris, Didot, t. I, p. 27.
  • [20]
    Ibid., t. II, p. 204-206.
  • [21]
    Charlotte Guichard, « Le connoisseurship et ses révisions méthodologiques », Perspective, 3/2009, p. 348.
  • [22]
    Voir Michael Riffaterre aux États-Unis, Roger Fowler, Donald Cary Freeman et Geoffrey Leech en Grande-Bretagne, Tzvetan Todorov popularisant Bakhtine et les formalistes russes, Gianfranco Contini et sa critica delle varianti en Italie, etc.
  • [23]
    Voir le numéro 195 de Romantisme, dirigé par Philippe Hamon et Vincent Jouve, consacré à « penser la poétique » en 2022.
  • [24]
    Voir Éric Bordas, « La “stylistique des concours” », Pratiques, 2007, n° 135-136, p. 240-248.
  • [25]
    Les épreuves en question ont heureusement évolué ces dernières années.
  • [26]
    Sur ce mot-valeur et ses avatars, voir Éric Bordas, « Style », un mot et des discours, Paris, Kimé, 2008.
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