Notes
-
[1]
Paul Claudel, « Religion et poésie », Positions et Propositions, dans Œuvres en prose, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1965, p. 61.
-
[2]
D’après les mots de Jankélévitch distinguant le regret et le remords : « le regret est une aspiration rétrospective, ou une espérance à l’envers, de même que l’espérance, aspiration futuriste, est une sorte de regret à l’endroit. Si le regret est compatible avec la très vaine illusion de renverser l’irréversible, le remords est le désespoir de jamais révoquer l’irrévocable » (L’Irréversible et la nostalgie, Paris, Flammarion, coll. « Champs essais », 1974, p. 269).
-
[3]
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Au lecteur », v. 32. Tous les poèmes de Baudelaire sont cités dans l’édition de Claude Pichois, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1975. Ennui et remords sont associés dans « Réversibilité » (« Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse, / La honte, les remords, les sanglots, les ennuis [...] ? ») et dans « Le Fou et la Vénus » (« un de ces bouffons héroïques chargés de faire rire les rois quand le Remords ou l’Ennui les obsède »).
-
[4]
Voir Bertrand Marchal, « De quelques comparaisons baudelairiennes », L’Année Baudelaire, vol. 9/10, 2005/2006, p. 189-201.
-
[5]
Dans ses « Notes sur Baudelaire », Jules Laforgue célèbre les comparaisons « américaines » de Baudelaire : « il a le premier trouvé après toutes les hardiesses du romantisme ces comparaisons crues, qui soudain dans l’harmonie d’une période mettent en passant les pieds dans le plat – (non le charme d’une quinte) – comparaisons palpables, trop premier plan, en un mot américaines semble-t-il » (Œuvres Complètes, t. III, Paris, L’Âge d’homme, 2000, p. 164).
-
[6]
« Et nous alimentons nos aimables remords / Comme les mendiants nourrissent leur vermine » (v. 3-v. 4).
-
[7]
« Spleen », v. 8-10.
-
[8]
Voir deux célèbres pages sur le remords : Rousseau évoquant, à propos du vol du ruban, « l’insupportable poids des remords dont au bout de quarante ans [s]a conscience est encore chargée » (Les Confessions, II) et Hugo disant de Jean Valjean dans l’épisode de Petit-Gervais : « ses jarrets fléchirent brusquement sous lui comme si une puissance invisible l’accablait tout à coup du poids de sa mauvaise conscience » (Les Misérables, I. 2, 12).
-
[9]
Rappelons que Baudelaire cite Lady Macbeth dans « L’Idéal », v. 10.
-
[10]
Victor Hugo, La Légende des Siècles, « L’épopée du ver », v. 307 et « Le Poète au ver de terre », v. 21.
-
[11]
Victor Hugo, Les Feuilles d’automne, « La Prière pour tous ».
-
[12]
Charles Baudelaire, « Le Mort joyeux », v. 9 : « ô vers ! Noirs compagnons sans oreilles et sans yeux ».
-
[13]
Jérôme Thélot, « Pour une poétique de la faim », dans Les Fleurs du Mal. Actes du colloque de la Sorbonne des 10 et 11 janvier 2003, dir. André Guyaux et Bertrand Marchal, Paris, PUPS, 2003, p. 292. Voir notamment Patrick Labarthe, Baudelaire et la tradition de l’allégorie, Genève, Droz, 1999, p. 455-456 ; Jean Pellegrin, Réversibilité de Baudelaire, Lille, Atelier national de reproduction des thèses, 1988, p. 316 ; Henk Nuiten et Maurice Geelen, Baudelaire et le cliché : le cliché entre les mains de l’auteur des Fleurs du Mal, Stuttgart, F. Steiner Verl Wiesbaden, 1989, p. 35. Voir aussi le commentaire de « Remords Posthume » par Alain Vaillant dans Baudelaire, poète comique, Rennes, PUR, coll. « Interférences », 2007, p. 230 et un chapitre sur l’imaginaire du ver dans Hugh McGrath, Valéry’s Graveyard: « Le cimetière marin » translated, described and peopled, New York, Peter Lang, 2012, p. 141 et suiv.
-
[14]
Isaïe, 66:24. Voir aussi Judith, 16:17 : « Le Seigneur souverain s’en vengera au jour du jugement, en mettant le feu et les vers dans leur chair ».
-
[15]
Saint Augustin, La Cité de Dieu, livre XX, § XXII, Paris, éditions du Seuil, t. III, 1994, trad. Louis Moreau, revue par Jean-Claude Eslin, p. 201.
-
[16]
Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Le Monde des ressuscités, trad. Réginald Omez, Paris, Éditions du Cerf, 1961, Question 97, art. 2, p. 382. Le Supplément de La Somme Théologique est constitué de textes de jeunesse de saint Thomas regroupés et ordonnés par son disciple Réginald de Piperno.
-
[17]
Bernard de Clairvaux, La Conversion, trad. Françoise Callerot, Jurgen Miethke, Christiane Jaquinod, Paris, éditions du Cerf, 2000, p. 343.
-
[18]
Expression qu’emploie Baudelaire dans Les Paradis artificiels (Œuvres complètes, éd. cit., p. 429).
-
[19]
Charles Baudelaire, Œuvres complètes (éd. cit.), II, p. 314. Laforgue relève ces mots dans ses Notes sur Baudelaire (ouvr. cité, p. 160). Il s’agit d’une citation de Morella de Poe (« I found food for consuming thought and horror, for a worm that would not die »), nouvelle traduite par Baudelaire.
-
[20]
« Il a un ver de conscience qui le ronge », note Furetière à l’article Conscience.
-
[21]
Louis Bourdaloue, « Sur le remords de conscience », dans Sermons choisis, Paris, Delagrave, 1884, p. 183.
-
[22]
« L’Aube Spirituelle » (v. 2) ; « Le Cygne », v. 36.
-
[23]
« L’Irréparable », v. 36-40. Voir aussi, dans « L’Imprévu », v. 20, le mur « qu’habite et que ronge un insecte ».
-
[24]
Paul Valéry, L’Idée fixe ou deux hommes à la mer, dans Œuvres, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 197.
-
[25]
Voir « Le Reniement de Saint-Pierre » : « le remords n’a-t-il pas / Pénétré dans ton flanc plus avant que la lance ? » (v. 28).
-
[26]
« Le Goût du néant », v. 11. Voir telle formule de L’Art Romantique : « comme les années s’écoulent, rapides et voraces ! » (Baudelaire, Œuvres et vie d’Eugène Delacroix, dans Curiosités esthétiques, Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 427).
-
[27]
« Le Voyage », v. 115-116.
-
[28]
« L’Irréparable », v. 7.
-
[29]
« Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d’effroi / Se planteront bientôt comme dans une cible » (« L’Horloge », v. 3-4) ; « Connais-tu le Remords, aux traits empoisonnés / à qui notre cœur sert de cible ? » (« L’Irréparable », v. 33-34).
-
[30]
Vladimir Jankélévitch, L’Irréversible et la nostalgie, ouvr. cité., p. 283.
-
[31]
Ibid., p. 323 ; ibid., p. 7.
-
[32]
« L’Horloge », v. 24. C’est sur ces mots que se conclut la section « Spleen et Idéal ». Jankélévitch commente la hantise du « trop tard » : « la conscience [...] c’est aussi une voix qui, dans le silence, chuchote à [l’]oreille ces deux syllabes obsédantes, lancinantes, fatidiques : trop tard » (Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, Paris, Seuil, coll. « Points », 1981, t. II, p. 105).
-
[33]
Henk Nuiten et Maurice Geelen notent que « le remords et la vermine ne rongent plus activement, mais sont respectivement alimenté et nourrie » (Baudelaire et le cliché, ouvr. cité, p. 35).
-
[34]
Dans « Au lecteur » comme dans « L’Horloge », le repentir est associé à la lâcheté : « nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches » ; « où le Repentir même (oh ! La dernière auberge !) / Où tout te dira : Meurs, vieux lâche, il est trop tard ».
-
[35]
Pour un même contre-emploi de l’adjectif aimable, voir « Le Flacon » : « je serai ton cercueil, aimable pestilence ». Sur cette paradoxale qualification méliorative du remords, voir Les Paradis artificiels, où le remords est un « singulier ingrédient du plaisir » et se prête à une « analyse voluptueuse » (Œuvres, p. 434).
-
[36]
« Dans nos cerveaux malsains, comme un million d’helminthes / Grouille, chante et ripaille un peuple de démons » (pour cette variante des v. 21-22 d’« Au lecteur », voir Œuvres, éd. cit., p. 831). Selon Littré, helminthe est « le nom donné aux entozoaires ou vers intestinaux, classe d’animaux qui est la troisième et dernière du sous-embranchement des vers ». Félix Dujardin publie en 1845 une Histoire naturelle des helminthes ou vers intestinaux.
-
[37]
Bertrand Marchal (« De quelques comparaisons baudelairiennes », art. cité, p. 191) le souligne, avant d’ajouter que « s’il est vrai que la logique poétique n’est pas la logique formelle, il se produit dans celle-là des phénomènes de contamination qui font qu’en poésie, a [le remords] peut égaler c [le ver] et b [nous] peut égaler d [les morts] ». Précisons que cette comparaison entre remords et ver est elle-même le développement d’une métaphore (« le Remords se nourrit de nous »).
-
[38]
Corbeau et ver sont associés dans « L’Irréparable » (« à cet agonisant que le loup déjà flaire / Et que surveille le corbeau », v. 16) et « Le Mort Joyeux » (« vivant, j’aimerais mieux inviter les corbeaux / à saigner tous les bouts de ma carcasse immonde », v. 8). Voir aussi les « corbeaux lancinants » qui « triturent [l]a chair » dans « Un Voyage à Cythère » (v. 51-52).
-
[39]
Aurel Kolnai, Le Dégoût, Paris, Agalma, 1997, trad. Olivier Cossé, p. 61.
-
[40]
Voir par exemple tel morceau célèbre de Pascal : « baissez vos yeux vers la terre, chétif ver que vous êtes » (Pensées, Sellier 683). Le ver est le plus humble animal qui soit (au sens étymologique de l’adjectif).
-
[41]
Eschyle, Les Choéphores, v. 1048-1050.
-
[42]
« Et tu devineras la gratitude d’un autre Oreste dont tu as souvent surveillé les cauchemars » (Œuvres, éd. citée, p. 400). Voir aussi la référence à Pylade et Électre aux vers 134-135 du « Voyage ».
-
[43]
Voir par exemple « comme des exilés s’en vont d’un pied traînard » (« Réversibilité », v. 13) ; « Ils trottent, tout pareils à des marionnettes / Se traînent, comme font les animaux blessés » (« Les Petites Vieilles », v. 13-14).
-
[44]
Dans « Au lecteur », il est question des « monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants » (v. 31). Dans « L’Irrémédiable », Baudelaire évoque les « monstres visqueux » (v. 21).
-
[45]
« L’Irréparable », v. 6-9.
-
[46]
Dans « Le Lion et le rat », la fable où figurent ces mots, c’est bien le rongement du rat qui finit par sauver le lion (« Sire rat accourut, et fit tant par ses dents / Qu’une maille rongée emporta tout l’ouvrage »). à propos de la vermine, Aurel Kolnai parle de « mixture de nullité futile et de zèle affairé et lancinant » (Le Dégoût, ouvr. cité, p. 62).
-
[47]
« Pouvons-nous étouffer l’implacable remords ? » (v. 5) ; « dis, connais-tu l’irrémissible ? » (v. 32). Voir aussi l’adjectif irrémédiable, qui donne son titre à un autre poème, et l’Horloge désignée comme un « dieu sinistre, effrayant, impassible ». Sur la substantivation de l’adjectif irréparable (le Remords étant métonymiquement identifié à sa cause : la conscience du caractère irréparable des fautes passées), voir les analyses de Jean-Luc Steinmetz : « par le moyen de la substantivation, Baudelaire crée certaines entités effrayantes qui, auparavant, n’avaient pas de droit de cité en littérature » (« Essai de tératologie baudelairienne », Les Fleurs du Mal, L’intériorité de la forme, Paris, SEDES, 1989, p. 161-176).
-
[48]
« Moesta et Errabunda », v. 14 ; « Recueillement », v. 5-9.
-
[49]
Titre d’un poème de Poe traduit par Baudelaire et Mallarmé.
-
[50]
En moyen-anglais, le remords est the ayenbite, c’est-à-dire the again-bite.
-
[51]
On trouve chez Cicéron et Lucrèce la tournure « morderi conscientia » (« être mordu par la conscience ») et chez Martial l’expression « tristes animi morsus » (« de tristes morsures de l’âme »). Nietzsche évoquera le « morsus conscientiae » dans La Généalogie de la morale (Gallimard, 1971, §15, p. 92), après avoir écrit dans Humain trop humain : « le remords, comme la morsure du chien sur une bête, est une bêtise » (Gallimard, 1988, II. 2, §38, p. 201).
-
[52]
Voir par exemple v. 19-20 (« je mords Socrate, Eschyle, Homère, après l’envie. / Je mords l’aigle ») puis v. 545-546 : « je mords, en même temps que la pomme sur l’arbre / L’étoile dans le ciel ».
-
[53]
« À une madone », v. 25 ; « L’Heautontimorouménos », v. 15-16. Voir dans ce dernier poème les vers : « elle est dans ma voix, la criarde ! C’est tout mon sang, ce poison noir ».
-
[54]
Voir notamment « Le Léthé » (« et le Léthé coule dans tes baisers ») et « Une Charogne » (« dites à la vermine / qui vous mangera de baisers... »).
-
[55]
« Le Poison », v. 16-20. Sur l’orthographe du mot remords chez Baudelaire, voir une remarque de Claude Pichois dans la notice de la Pléiade (éd. cit., p. 819).
-
[56]
Baudelaire et la tradition de l’allégorie (ouvr. cité, p. 456).
-
[57]
Sur cette variante, voir Œuvres complètes (éd. cit.), p. 971.
-
[58]
« Comme il penchait la tête, découvrant le cou, sa victime, folle de rage et d’épouvante, se tordit, avança les dents, et les enfonça dans ce cou » (Zola, Thérèse Raquin, Paris, Librairie Générale Française, 1997, p. 94).
-
[59]
Ibid., p. 219. Voir aussi la nouvelle de Maupassant La Confession : « alors l’obsession qui me hantait depuis un mois pénétra de nouveau dans ma tête. [...] Elle me rongeait comme rongent les idées fixes, comme les cancers doivent ronger les chairs. Elle était là, dans ma tête, dans mon cœur, dans mon corps entier, me semblait-il : elle me dévorait, ainsi qu’aurait fait une bête » (Maupassant, Toine, Paris, Gallimard, coll. « Folio », p. 181-182).
-
[60]
Sur les liens avec le sonnet « Quand vous serez bien vieille », voir Olivier Pot, « “Remords posthume”, Baudelaire, Les Fleurs du Mal, XXXIII », Versants, 2003, n°43, p. 108-114.
-
[61]
« Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse / La honte, les remords, les sanglots, les ennuis / Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits [...] ? » (« Réversibilité »).
-
[62]
Selon Bernard Caramatie, le remords, « véritable mort de la mort, ôte aux souvenirs, doublement tués par la torpeur de la mémoire et par la dent de ‘l’Irréparable’, ce qu’ils pouvaient conserver de charme et de tendresse pour les ‘morts les plus chers’ » (L’ordre de Baudelaire. Lecture des Fleurs du Mal, Paris, Hermann, 2015, p. 219). Il peut paraître curieux que dans ce poème sur l’encombrement de la mémoire il soit question de souvenirs dévorés par l’oubli ; à moins, précisément, que seuls les souvenirs chers ne soient détruits par les vers.
-
[63]
Voir Idéolus : « suis-je assez bas tombé, mon Dieu, dans cet abîme / Où le remords déchire ? » (I. 6, v. 283).
-
[64]
Dans « Je t’adore à l’égal de la voûte nocturne... », Baudelaire évoque un « chœur de vermisseaux » dévorant un cadavre (v. 8).
-
[65]
Dans le v. 6 du quatrième « Spleen ».
-
[66]
Voir Brigitte Buffard-Moret, Précis de versification, Paris, Armand Colin, 2011. On sait que Baudelaire recourt également à cette forme dans « Le Balcon », « Réversibilité », « Moesta et Errabunda », « Lesbos » et « Le Monstre ». De ces poèmes, « L’Irréparable » et « Le Monstre » sont les seuls dans lesquels existent de légères variations entre le premier et le dernier vers du quintil.
-
[67]
Charles Baudelaire, Nouvelles notes sur Edgar Poe, dans Œuvres complètes, éd. cit., t. II, p. 336.
-
[68]
Voir Verlaine dans Les Poèmes Saturniens : « Ils sont heureux ! Pour moi, nerveux, et qu’un remords / Épouvantable et vague affole sans relâche / Par les forêts je tremble à la façon d’un lâche » (« Dans les bois »).
-
[69]
Comme l’écrit Dominique Billy, ce terme, couramment employé par la critique baudelairienne, « est tiré d’un essai sur Edgar Poe d’E. Lauvrière qui décrit ainsi les procédés de répétition (‘cette sorte de rumination verbale’) chez l’auteur du Corbeau » (Les formes poétiques selon Baudelaire, Paris, Honoré Champion, 2015, p. 164).
-
[70]
Titre de la première partie de « La Comédie de la mort », où Gautier imagine le dialogue, qui a manifestement inspiré Baudelaire, du ver et de la trépassée.
-
[71]
« Le Mort Joyeux », v. 11. Viveur signifie que le ver non seulement vit, mais, bien plus, « jouit de tous les plaisirs, de tous les agréments de la vie » (Littré).
-
[72]
« Le Soleil », v. 8 et v. 10.
-
[73]
Voir par exemple la fin de « L’Âme du vin » (« pour que de notre amour naisse la poésie / Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ») et celle de « La Mort des artistes » (« C’est que la Mort, planant comme un soleil nouveau / Fera s’épanouir les fleurs de leur cerveau »).
-
[74]
« Vieux squelettes gelés travaillés par le ver » (« La servante au grand cœur... », v. 11). Voir aussi les premiers vers des Fleurs du Mal : « La sottise, l’erreur, le péché, la lésine, / Occupent nos esprits et travaillent nos corps, / Et nous alimentons nos aimables remords, Comme les mendiants nourrissent leur vermine ».
-
[75]
« Et ceux-là qui sauront blanchir nos ossements / Les bons vers immortels qui s’ennuient patiemment » (Apollinaire, Alcools, « Vendémiaire », v. 150-151). On songe à l’analyse, chez Baudelaire, de la « patience » du remords.
-
[76]
Verlaine, « Nevermore », v. 16-20. Il s’agit du deuxième des deux textes des Poèmes Saturniens auxquels Verlaine donne ce titre en hommage au « Corbeau » de Poe. André Guyaux établit un rapprochement avec Baudelaire dans Les premiers recueils de Verlaine, Paris, Presses Paris Sorbonne, 2008, p. 191.
-
[77]
Voir « Regard jeté dans une mansarde » dans Les Rayons et les ombres (« Si ! L’aspic est dans l’herbe / Hélas ! Hélas ! Le ver est dans le fruit superbe ») et « Le Poète au ver de terre » dans La Légende des Siècles (« L’envie est dans le fruit, le ver est dans la gloire »).
-
[78]
« Mais là où il est sans égal, c’est dans ce procédé si simple en apparence, mais en vérité si décevant et difficile, qui consiste à faire revenir un vers toujours le même autour d’une idée toujours nouvelle et réciproquement ; en un mot à peindre l’obsession. Lisez plutôt, dans le genre délicat et amoureux, “Le Balcon”, et dans le genre sombre, “L’Irrémédiable” » (Verlaine, Œuvres en prose complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1972, p. 611). Comme le note Steve Murphy, Verlaine songe à « L’Irréparable » et non à « L’Irrémédiable » (« Effets et motivations : quelques excentricités de la versification baudelairienne », dans Baudelaire, une alchimie de la douleur, dir. Patrick Labarthe, Paris, Eurédit, 2003, p. 296).
-
[79]
Arthur Rimbaud, Une Saison en Enfer, éd. Pierre Brunel, Paris, Librairie Générale Française, 1998, p. 75.
-
[80]
Sur le thème des dents acérées du remords, voir aussi un des poèmes les plus baudelairiens de Mallarmé, « Angoisse ». à propos d’une courtisane inaccessible au remords, le poète évoque un cœur que la « dent d’aucun crime ne blesse ». La « dent du crime » est une périphrase désignant le remords, comme le relève Bertrand Marchal, dans Mallarmé, Poésies, Paris, Gallimard, coll. « Poésie / Gallimard », 1992, p. 192.
-
[81]
« Et aussitôt un coq chanta. Et Pierre se rappela la parole que Jésus avait dite : “avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois”. Il sortit et pleura amèrement » (Matthieu, 26:75). On sait que dans « Le Reniement de Saint-Pierre » (v. 27-28), Baudelaire impute des remords non à saint Pierre, mais à Jésus.
-
[82]
Arthur Rimbaud, Une Saison en Enfer, ouvr. cité, p. 84.
-
[83]
Paul Valéry, « Le Cimetière Marin », v. 111-113.
-
[84]
Voir par exemple dans Le Testament de Villon (v. 111) : « sa conscience me remort » (Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2014, p. 37). On trouve encore chez Malherbe le vers : « sa faute le remord ; Mégère le regarde » (relevé par Littré). Le Trésor de la langue française, à propos de cet emploi archaïsant du verbe, cite Eupalinos : « rien ne nous semble si beau, et ne nous remord si amèrement que les occasions manquées » (Valéry, Eupalinos ou l’architecte, Paris, Gallimard, 1924, p. 206).
-
[85]
Paul Valéry, « Le Cimetière Marin », v. 141-142.
-
[86]
Paul Valéry, Cahiers, II, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 442. Il est question du remords dans les lignes qui suivent : « Qu’est-ce qui permet au Remords, au Regret, à la Jalousie, au Désir, etc., de travailler si obstinément leur homme ? » (ibid., p. 443).
-
[87]
Paul Valéry, « Le Philosophe et la Jeune Parque », v. 56, dans Œuvres, t. 1, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, p. 164.
-
[88]
Bertrand Marchal, « Valéry ou le cogito poétique : l’exemple de La Jeune Parque », Le Genre humain, 2008/1, n° 47, p. 359-369.
-
[89]
Voir aussi l’association du remords et du rat chez Verhaeren : « Les rats du cimetière proche, / Midi sonnant, / Bourdonnent dans la cloche. / Ils ont mordu le cœur des morts / Et s’engraissent de ses remords » (« Chanson de fou », dans Les Campagnes hallucinées, éditions Labor, 1997, p. 175).
-
[90]
Cahier d’un retour au pays natal, Paris, éditions Présence Africaine, 1983, p. 20. Comme chez Baudelaire, le Remords est allégorisé par la majuscule. On sait que plus loin dans le Cahier d’un retour au pays natal, Césaire se réfère ouvertement au Baudelaire de « L’Albatros » : « il était COMIQUE ET LAID. COMIQUE ET LAID pour sûr » (Ibid., p. 41).
1« Baudelaire est le plus grand poète du xixe siècle, parce qu’il est le poète du Remords », écrivait Claudel [1]. Plutôt que la simple « aspiration rétrospective » qu’est le regret [2], ou que l’effort d’amendement qu’est le repentir, Baudelaire n’a en effet cessé de chanter « le vieux, le long Remords », qui hante presque autant son œuvre que le mal qui trône dans « la ménagerie infecte de nos vices », l’Ennui [3]. Or, le remords a dans l’imaginaire baudelairien un répondant métaphorique privilégié : le ver. De façon insistante, la conscience en proie aux remords est comparée par Baudelaire à une dépouille dévorée par les vers. Si la comparaison est dans Les Fleurs du Mal une figure maîtresse [4], tout particulièrement lorsqu’elle est « crue », prosaïque, « palpable » (Jules Laforgue [5]), peu de comparaisons sont aussi chères à Baudelaire que le rapprochement entre le ver qui ronge le corps et le remords qui ronge le cœur. Cette analogie ne fournit de fait pas seulement à « Remords posthume » sa menaçante conclusion (« et le ver rongera ta peau comme un remords ») et au grand poème baudelairien du remords, « L’Irréparable », son anxieuse première strophe :
Pouvons-nous étouffer le vieux, le long Remords
Qui vit, s’agite et se tortille,
Et se nourrit de nous comme le ver des morts,
Comme du chêne la chenille,
Pouvons-nous étouffer l’implacable Remords ?
3On sait que dès les premiers vers d’« Au lecteur », les « aimables remords » sont comparés à une vermine [6] et que, dans le deuxième « Spleen », Baudelaire les assimile au nom de leur égal appétit destructeur :
Je suis un cimetière abhorré de la lune,
Où comme des remords se traînent de longs vers,
Qui s’acharnent toujours sur mes morts les plus chers [7].
5Traditionnellement, les images qui affleurent au sujet du remords sont celles du poids dont on ne peut se délester [8], de la tache qu’on ne peut effacer (« out, damned spot [9]! »), du regard auquel on ne peut se soustraire (« l’œil était dans la tombe... »). Chez Baudelaire, le remords est plutôt pensé comme un corps étranger, grouillant et sournois, qui ronge aussi sûrement que le ver. Certes, l’auteur des Fleurs du Mal n’est pas le premier poète à comparer les remords à une vorace et répugnante vermine. Bien avant qu’il ne donne la parole, dans « L’Épopée du ver », à « l’être final », au « mangeur de l’abjecte matière [10] », qu’est le ver, Hugo écrivait dans Les Feuilles d’automne :
Pas d’aube pour leur nuit ; le remords implacable
S’est fait ver du sépulcre et leur ronge le cœur [11].
7C’est toutefois chez le poète d’« Une Charogne », prompt à invoquer les « noirs compagnons sans oreille et sans yeux [12] », que l’image s’épanouit pleinement. Récurrente chez Baudelaire, cette comparaison macabre engage en effet en profondeur l’esthétique et l’anthropologie des Fleurs du Mal. Le « grand symbole du ver mangeant [13] » a beau avoir retenu l’attention des commentateurs de Baudelaire, il n’a jamais fait l’objet d’une étude tenant compte des variations qu’il connaît dans Les Fleurs du Mal et de sa postérité chez d’autres auteurs. Pour mesurer la fécondité du rapprochement entre ver et remords, il faut avant toute chose souligner qu’il a des antécédents bibliques et repose sur la réinterprétation d’expressions figées aussi bien que de l’étymologie du mot remords.
Aux sources de l’image
8« Leur vermine ne mourra pas, leur feu ne s’éteindra pas ». Ces mots, tirés de l’extrême fin du livre d’Isaïe [14], ont leur équivalent presque littéral dans les Évangiles : « il vaut mieux que tu entres borgne dans le Royaume de Dieu que d’être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne, où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas » (Marc, 9:48). Or, le ver qui dévore éternellement le corps des réprouvés a très tôt été compris comme une figuration du remords. Saint Augustin, dans La Cité de Dieu, distingue deux interprétations – matérielle ou spirituelle – de cette vermine immortelle et de ce feu inextinguible :
Quant aux peines des méchants, ce feu inextinguible, ce ver qui ne saurait mourir, ont été pris en sens divers. Les uns rapportent tous deux au corps, et les autres à l’âme. Suivant une troisième opinion, qui semble plus probable, c’est un feu réel qui doit s’attacher au corps, c’est un ver figuré qui doit ronger l’âme [15].
10En réponse à Augustin, c’est l’interprétation spirituelle qui est retenue dans le Supplément de la Somme Théologique, où le ver est identifié comme un symbole du remords :
Le ver qui sera infligé aux damnés ne doit donc pas être considéré comme corporel, mais comme spirituel : c’est le remords de la conscience (conscientiae remorsus) qui est ainsi appelé, parce qu’il naît de la pourriture du péché, et fait souffrir l’âme, comme le ver corporel, né de la pourriture, fait souffrir en mordant [16].
12L’analogie entre ver et remords se justifierait donc à deux titres : tous deux sont le fruit de la corruption (corps en putréfaction, âme souillée) et tous deux mordent l’individu. D’autres Pères de l’Église soulignent qu’éprouvé ici-bas, le remords est un salutaire aiguillon qui conduit le pécheur sur la voie du rachat. Se référant au verset d’Isaïe, saint Bernard enjoint ainsi de tirer parti de cette douloureuse démangeaison pour s’amender avant que la vermine ne devienne immortelle :
Il est excellent de sentir ce ver quand il est encore temps de l’étouffer. Qu’il morde maintenant afin qu’il meure, et, qu’à force de mordre, il cesse de mordre. Qu’il ronge notre pourriture durant cette vie afin qu’en la rongeant il la détruise et en soit lui-même également détruit ; qu’en l’entretenant on ne le rende pas immortel ! « Leur ver ne mourra pas et leur feu ne s’éteindra pas ». Devant leurs morsures qui tiendra bon [17] ?
14Bien que Baudelaire ne croie guère aux « remords positifs [18] » agents de la rédemption, il reste hanté par la conception chrétienne du mal et se souvient de toute évidence de ce riche arrière-plan théologique. Dans une de ses notices de Poe, il cite en effet le texte biblique en disant du poète américain qu’il avait en lui « quelque chose à tuer, a worm that would not die [19] ».
15Accréditée par toute une tradition d’exégèse de la Bible, la comparaison du ver et du remords est installée dans la langue française. L’expression ver de conscience est en effet enregistrée par Furetière pour désigner le remords [20] et celle de ver rongeur est recensée à partir du xviiie siècle dans le Dictionnaire de l’Académie au sens de « remords qui tourmente le coupable ». Bien plus, le simple mot ver peut renvoyer à la mauvaise conscience. Selon Furetière toujours, qui justifie cette lexicalisation de l’image : « on appelle figurément ver, le remords de la conscience, parce qu’il ressemble à un ver qui nous ronge le cœur incessamment ». Aussi Bourdaloue, dans son sermon « Sur le remords de conscience », peut-il établir une équivalence entre les deux termes : « c’est au milieu de nous-mêmes et dans le fond de nos âmes que ce ver ou ce remords est formé [21] ». S’il est une expression courante que retravaille Baudelaire, c’est cependant celle du remords qui ronge. Dès le Dictionnaire de l’Académie de 1694, le ver est cité pour illustrer le sens premier du verbe ronger (« les vers rongent le bois ») et le remords son sens figuré (« on dit aussi figurément qu’un remords ronge la conscience »). Dans « Remords posthume », c’est autour du verbe ronger que s’articule la comparaison finale, le futur simple rongera renforçant une allitération en [r] qui mime le sordide travail des dents : « et le ver rongera ta peau comme un remords ». Baudelaire a beau évoquer ailleurs « l’Idéal rongeur » ou l’exilé sublime « rongé d’un désir sans trêve [22] », rien dans ses poèmes ne ronge plus que le remords, témoin une strophe de « L’Irréparable » où le termite est un avatar du ver :
L’Irréparable ronge avec sa dent maudite
Notre âme, piteux monument,
Et souvent il attaque, ainsi que le termite,
Par la base le bâtiment.
L’Irréparable ronge avec sa dent maudite [23].
17Ver et termites sont deux rongeurs qui ont en commun d’être des parasites. C’est bel et bien le parasitisme du remords que met en scène Baudelaire. Hôte non désiré, le remords s’introduit en nous et se nourrit de nos forces vives. La mauvaise conscience n’est-elle pas par excellence cette idée fixe au sujet de laquelle Valéry écrira : « une pensée qui torture un homme échappe aux conditions de la pensée ; devient un autre, un parasite [24] » ? Baudelaire, de fait, associe le remords non seulement à l’infiltration – le mal pénètre au plus profond du for intérieur [25] – mais, bien plus, à l’absorption de l’énergie vitale. Telle la Seconde à « voix d’insecte » de « L’Horloge », le remords « pompe la vie ». à la fin de « L’Ennemi », des liens se nouent entre la peur du rongement et celle de l’absorption, presque pensée sur le modèle du vampirisme :
– Ô douleur ! Ô douleur ! Le Temps mange la vie,
Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie.
19L’Ennemi tire des forces de notre faiblesse, en vertu d’une morbide équation entre perte et croissance. Baudelaire développe ailleurs la figure du temps vorace : « et le temps m’engloutit minute par minute [26] ». Nombre d’analogies existent entre « l’ennemi vigilant et funeste [27] » (le Temps) et « le vieil ennemi [28] » (le Remords). C’est ainsi que la même image du trait qui se plante dans la cible affleure aussi bien à propos des aiguilles de l’horloge que du Remords [29]. L’un des pires tourments que fait subir le tempus fugit est en effet l’angoisse de ne pouvoir réécrire le passé – le remords. Si le Temps et le Remords sont allégorisés de façon voisine, c’est parce que, comme l’écrit Jankélévitch, l’irrévocable (le « mal du remords [30] ») n’est jamais qu’« une précipitation extrême » de l’irréversible (qui « n’est pas un caractère du temps parmi d’autres caractères, il est la temporalité même du temps [31] »). Aussi est-il naturel que le grand poème baudelairien du temps, « L’Horloge », se conclue par des mots qui expriment l’une des principales hantises de l’individu rongé par le remords : « il est trop tard [32] ».
20Carnassier, comme l’est le Temps dévorateur, le remords se repaît de nous. Au début d’« Au lecteur », les pécheurs alimentent leurs remords, le sens figuré du verbe (« favoriser la vitalité, le développement ») étant remotivé par l’analogie avec les mendiants qui nourrissent, au sens propre, leur vermine :
Et nous alimentons nos aimables remords,
Comme les mendiants nourrissent leur vermine.
22Tout le paradoxe est que l’individu semble délibérément alimenter sa mauvaise conscience [33]. C’est la complaisante lâcheté des êtres humains incapables de convertir leurs remords en repentir [34] qu’exprime l’oxymore « aimables remords [35] ». La voracité de la vermine est évoquée plus loin dans le poème lorsque les vers intestinaux – qui reçoivent leur nom scientifique d’helminthes – sont décrits comme « ribotant », voire (dans une première version du poème) « ripaillant » à la façon de convives dissolus [36]. Dans « L’Irréparable », le verbe nourrir est à nouveau le pivot de la comparaison, qui s’opère moins, en toute rigueur, entre le remords et le ver qu’entre les actions auxquelles ils se livrent – se nourrir de nous, se nourrir des morts [37] :
Pouvons-nous étouffer le vieux, le long Remords
Qui vit, s’agite et se tortille,
Et se nourrit de nous comme le ver des morts [...] ?
24Nourrir succède à trois verbes de plus en plus spécifiques (vit, s’agite, se tortille) qui traduisent le remuement infect du ver. Autant que par son appétit, le ver se définit chez Baudelaire par son infâme grouillement. C’est ce qui le distingue entre autres de son frère dans la dévoration qu’est le corbeau [38]. Dans « Crépuscule du Soir », si la Prostitution est comparée à un « ver qui dérobe à l’homme ce qu’il mange », c’est parce qu’elle « remue » au sein de la cité. Étudiant le dégoût provoqué par la vermine, le phénoménologue Aurel Kolnai souligne qu’il tient « au rampement, à l’adhérence, à l’agglutination » mais aussi à « cette vitalité incessante, nerveuse, qui se tortille convulsivement, comme une “danse vitale” abstraite [39] ». Animal terrestre par excellence, incapable de s’élever au-delà du ras du sol [40], le ver se livre à d’abjectes contorsions. Si Baudelaire chante la beauté ondoyante et cadencée du « serpent qui danse », il peint aussi, en miroir, la sordide reptation du ver. Rappelons que les divinités du remords, les Érinyes, ont chez Eschyle une chevelure de serpents [41]. « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? » demande, chez Racine, un des personnages qui incarnent le mieux les tourments du remords : Oreste, dont Baudelaire évoque les « cauchemars » dans la dédicace des Paradis Artificiels [42]. Le mouvement serpentin du ver charognard est suggéré dans « Spleen » :
Où comme des remords se traînent de longs vers
Qui s’acharnent toujours sur mes morts les plus chers.
26Fréquent dans Les Fleurs du Mal [43], le verbe traîner traduit l’inquiétante reptation d’un prédateur tapi dans l’ombre. Le ver se rattache aux « monstres rampants » et aux « monstres visqueux [44] » qui sont au cœur de l’imaginaire tératologique de Baudelaire. Quant au verbe s’acharner, il est particulièrement suggestif pour dire la dévoration, le mot chair y résonnant étymologiquement. S’acharner contre une cible, c’est porter ses forces sur elle à l’exclusion des autres objets. Ainsi les Remords élisent-ils des victimes contre lesquelles ils concentrent leurs noirs efforts. Surtout, l’acharnement suppose l’opiniâtreté et le remords se caractérise, en effet, par sa persévérance. Il détruit moins qu’il n’érode. Son action est d’autant plus atroce que loin d’être instantanée, elle est progressive et persistante. Ce que connote l’image matricielle du rongement, c’est une insupportable gradualité dans la destruction. Dans « L’Irréparable », Baudelaire décrit le remords comme « gourmand » et « patient » :
Dans quel philtre, dans quel vin, dans quelle tisane,
Noierons-nous ce vieil ennemi,
Destructeur et gourmand comme la courtisane,
Patient comme la fourmi [45] ?
28Gourmand, le remords l’est parce que son appétit est insatiable et parce qu’il se repaît de nos plus exquises faiblesses (c’est sur « les morts les plus chers » qu’il s’acharne). Mais surtout, le remords fait preuve de patience : c’est avec une cruelle ténacité qu’il a peu à peu raison de l’individu qu’il torture. Si dans « Chant d’automne » Baudelaire compare l’esprit à « la tour qui succombe » sous les coups d’un infatigable bélier, dans « L’Irréparable », l’âme est dépeinte comme un « piteux monument » rongé à la base par le remords. À l’écroulement s’oppose donc l’effritement ; à la lourde offensive, la désagrégation imperceptible et pourtant inéluctable. Le remords, dont la patience fait plus que force ni que rage [46], triomphe de nous en nous tourmentant inlassablement. Bien qu’il n’ait que les proportions d’un ver ou d’un insecte, il « gagne à tout coup, sans tricher » (« L’Horloge »). À l’adjectif irréparable, substantivé dans le titre, répondent ainsi dans le poème deux adjectifs construits sur les mêmes affixes, implacable et irrémissible [47], qui disent l’impossible victoire sur le remords. Désir condamné à l’échec, en définitive, que de s’évader « loin des remords, des crimes, des douleurs » ou de se recueillir loin de la multitude qui « va cueillir des remords dans la fête servile [48] ».
29En comparant le remords au « ver conquérant [49] », Baudelaire ne tire pas seulement parti d’expressions figées qui lui sont associées, il rend au mot son sens étymologique. Remords porte en effet à l’origine le sème de /morsure/, remorsum étant le supin du verbe remordeo (« mordre de nouveau [50] »). Une morsure de la conscience, morsus conscientiae [51] : tel est le remords. Or, le ver est décrit par les poètes, sans souci de réalisme anatomique, comme un animal qui mord. « Je mords », répète le ver dans « L’épopée du ver » de Hugo [52]. De même que Poe évoque les dents du ver dans Morella (« Et les séraphins sanglotent en voyant les dents du ver / Mâcher des caillots de sang humain »), de même Baudelaire redoute-t-il la « dent maudite » de l’Irréparable. Cet imaginaire de la morsure a une place de choix dans Les Fleurs du Mal. Du serpent qui « mord les entrailles » à la « vorace Ironie » qui « secoue et mord », Baudelaire imagine en effet la mâchoire acérée de monstres qui mordent l’individu de l’intérieur [53]. Dans « Le Poison », mord et remords sont unis par la rime (au prix d’une licence poétique) à la faveur d’une strophe où se déploie le thème, cher à Baudelaire [54], du baiser porteur d’oubli et de mort :
Tout cela ne vaut pas le terrible prodige
De ta salive qui mord,
Qui plonge dans l’oubli mon âme sans remord,
Et, charriant le vertige,
La roule défaillante aux rives de la mort [55] !
31On observe, avec Patrick Labarthe [56], comment la rime étymologique mord / remord redouble ici la plus traditionnelle rime remords / mort, sur laquelle s’ouvre « L’Irréparable » et se conclut « Remords posthume ». Dans une première version du « Mort Joyeux », le dernier tercet, adressé aux vers, « fils de la pourriture », faisait alterner à la rime les mots remords, morsure (finalement remplacé par torture) et morts :
À travers ma ruine allez donc sans remords,
Et dites-moi s’il est encore quelque morsure
Pour ce vieux corps sans âme et mort parmi les morts [57].
33De façon troublante, les vers, tant de fois symboles du remords chez Baudelaire, passent ici pour être « sans remords », au sens où c’est avec zèle et impunité qu’ils s’acquittent de leur tâche. Les affinités poétiques entre mort, morsure et remords expliquent que dans un roman comme Thérèse Raquin, la mauvaise conscience de Laurent soit figurée par la blessure que lui a infligée sa victime, Camille, en le mordant au cou [58]. Cette insupportable cicatrice, décrite comme « le souvenir vivant et dévorant de son crime », est de fait comparée, de façon très baudelairienne, à « une bête qui le dévorait [59] ».
Variations sur un motif
34Si des liens étroits se nouent ainsi entre les poèmes où Baudelaire évoque le rongement, le serpentement, la morsure du remords, l’image connaît dans Les Fleurs du Mal de notables variations. La cible du remords, tout d’abord, n’est pas identique d’un poème à l’autre. Dans « Au lecteur » et « L’Irréparable », le nous générique l’emporte : le Remords est un mal dont souffre l’humanité entière. À l’inverse, dans « Remords Posthume », la dévoration par les vers est pensée à la deuxième personne. Le poète imagine en effet, avec des accents ronsardiens [60], la mise en garde que le tombeau adresse à la courtisane durant « ces longues nuits d’où le somme est banni ». Le remords, de fait, engendre soit l’insomnie soit le cauchemar ; il interdit ou trouble le sommeil, transformant les nuits réparatrices en « affreuses nuits [61] ». Dans « Spleen », enfin, Baudelaire déploie l’image originale du poète-cimetière qui abrite des remords s’acharnant sur « [s]es morts les plus chers ». La formule est susceptible de plusieurs interprétations : faut-il comprendre que le poète souffre de n’avoir pas secouru les êtres aimés, ou que le remords efface le souvenir des disparus qui lui sont chers [62] ? à ces variations s’ajoute en tout cas une hésitation entre singulier et pluriel, article défini et indéfini. Tantôt Baudelaire met en scène « des remords » qui pullulent dans l’ombre, tantôt, comme dans « L’Irréparable », « le Remords » est une entité monstrueuse qui déchire l’individu [63]. À la fin de « Remords posthume », l’article singulier, inhabituel s’agissant du ver (les vers formant généralement une collectivité indifférenciée [64]) a valeur allégorisante, tandis que l’indéfini « un remords » concrétise la notion et la rapproche ainsi du ver.
35Une remarquable réversibilité, surtout, existe entre comparant et comparé lorsqu’il s’agit de ver et de remords. Dans « Au lecteur » et « L’Irréparable », c’est, classiquement, le remords qui a pour comparant le ver, ou du moins le rongement du remords qui a pour comparant le rongement du ver. Mais dans « Remords posthume » et « Spleen », les rôles s’inversent : au lieu que le ver soit convoqué au sujet du remords, c’est le remords qui est convoqué à propos du ver. Loin que l’affect soit compris à partir d’un comparant prosaïque (comme, par exemple, quand Baudelaire compare l’Espérance à une chauve-souris [65]), c’est un être trivial qui est allégorisé par la comparaison avec un tourment moral. À la fin de « Remords posthume », ce choix rhétorique permet au verbe ronger d’être sylleptiquement compris d’abord au sens littéral (le ver ronge) puis au sens figuré (le remords ronge). Dans « Spleen » à l’inverse, le comparant (le remords) est connu avant le comparé (le ver), l’ordre des termes prenant le revers de celui de « Remords posthume » :
Où, comme des remords, se traînent de longs vers...
Et le ver rongera ta peau comme un remords.
37Enfin, il faut faire la part des formes poétiques choisies par Baudelaire. « L’Irréparable » est un poème constitué de quintils dont le dernier vers est l’écho (parfois légèrement déformant) du premier. Ces strophes à antépiphore [66] ont été inspirées à Baudelaire par Poe, chez qui il admire les « retours obstinés de phrases qui simulent les obsessions de la mélancolie ou de l’idée fixe [67] ». Or, le remords est par essence obsession – titre d’un sonnet des Fleurs du Mal où l’ombre du remords se dessine. Baudelaire ne le suggère-il pas en évoquant dans « Le Fou et la Vénus » les bouffons qui cherchent à « faire rire les rois quand le Remords ou l’Ennui les obsède » ? Le remords s’impose sans relâche à l’esprit [68], qu’il condamne à un infernal ressassement. Il n’est dès lors pas de forme plus appropriée que celle du repetend [69] pour exprimer la hantise du remords. Itératif, le remords l’est à la fois au sens où il est reviviscence d’une faute passée et où il est un mal qui se réactualise constamment. La duplication du vers « L’Irréparable ronge avec sa dent maudite » montre que le remords se déploie dans l’éternel retour. Nulle répétition de la sorte dans un sonnet comme « Remords posthume », où Baudelaire tire en revanche parti de l’effet de chute traditionnellement attendu dans le deuxième tercet. La comparaison entre ver et remords constitue en effet une conclusion saisissante qui justifie l’énigmatique titre du sonnet : le paradoxe d’un remords enduré post mortem est en quelque sorte redoublé par la rime morts / remords. Le remords continue à vivre quand bien même le coupable aurait poussé son dernier soupir : c’est ce supplice, inspiré de la Bible, de « la vie dans la mort » (Gautier [70]) qu’imagine Baudelaire en parlant de remords « posthume » et du ver comme d’un « philosophe viveur [71] », qui « vit, s’agite et se tortille ».
38La prédiction finale de « Remords posthume » est d’autant plus marquante qu’à la syllepse sur le verbe ronger se superpose un évident jeu sur les homophones ver et vers. Le ver qui ronge la peau s’apparente en effet au vers mordant du poète, rappelant amèrement à la courtisane qu’elle n’a pas connu « ce que pleurent les morts ». Cette valeur métapoétique de la référence au ver transparaît également dans « Spleen », où le substantif pluriel vers a successivement ses deux significations. Avant que Baudelaire ne développe l’image du cimetière « où comme des remords, se traînent de longs vers », le cerveau du poète est en effet comparé à un meuble « encombré de bilans / de vers, de billets doux, de procès, de romances ». Dans « Le Soleil » de même, à la mention des vers du poète (« heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés ») répond celle des vers de terre : « [ce père nourricier] éveille dans les champs les vers comme les roses [72] ». La concrétisation du vers poétique (que le poète « heurte » dans le faubourg) et la transfiguration du ver de terre (qui fleurit, comme le feraient dans d’autres textes les productions du poète [73]) renforcent l’association entre le vers et cet être longiforme – telle une ligne de caractères – qu’est le ver de terre. Dans un poème comme « L’Irréparable », les strophes hétérométriques donnent de fait l’impression que le vers serpente, qu’il « se tortille » comme le ver. Si le poète a des affinités avec la mort (« car toujours le tombeau comprendra le poète »), des liens se nouent entre les vers qu’il compose et le ver qui ronge les morts.
Postérité d’une comparaison
39L’analogie entre le ver qui « travaille [74] » le corps et le remords qui ronge l’âme connaît après Baudelaire une fortune certaine. Plusieurs poètes évoquent à leur tour les « bons vers immortels [75] » en se souvenant de « Remords Posthume » ou de « L’Irréparable ». Ainsi peut-on, avec André Guyaux, percevoir des réminiscences baudelairiennes dans le second « Nevermore » de Verlaine :
Le Bonheur a marché côte à côte avec moi
Mais la fatalité ne connaît point de trêve :
Le ver est dans le fruit, le réveil dans le rêve
Et le remords est dans l’amour : telle est la loi.
– Le Bonheur a marché côte à côte avec moi [76].
41C’est à partir d’un décalque de l’expression « le ver est dans le fruit », déjà détournée par Hugo [77], que Verlaine associe ver et remords. Les liens avec Les Fleurs du Mal sont d’autant plus sensibles que Verlaine, pour suggérer l’obsession, emprunte à « L’Irréparable » la forme, qu’il admirait chez Baudelaire, du quintil encadré [78]. La filiation baudelairienne est plus marquée dans une page d’Une Saison en Enfer où Rimbaud répond à Verlaine, en identifiant à nouveau le bonheur et la fatalité au couple formé par le ver et le remords. Avant de chanter « la magique étude / du bonheur, qu’aucun n’élude », il écrit :
Le Bonheur était ma fatalité, mon remords, mon ver : ma vie serait toujours trop immense pour être dévouée à la force et à la beauté. Le Bonheur ! Sa dent, douce à la mort, m’avertissait au chant du coq [...] [79].
43Le Bonheur est à tel point pensé sur le double modèle du ver et du remords que Rimbaud évoque sa dent [80] et l’associe au chant du coq, soit le moment où Pierre est pris de remords [81]. Dans les dernières pages d’Une Saison en Enfer, le ver est à nouveau la figuration d’une culpabilité dévorante lorsque Rimbaud rapproche les vers qui rongent le corps de ceux, plus menaçants, qui rongent le cœur :
Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers pleins les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le cœur [...] [82].
45C’est toutefois peut-être chez Valéry que la comparaison baudelairienne a les prolongements les plus féconds. Dans « Le Cimetière marin », le poète redoute en effet le « ver irréfutable », parasite dont les vivants subissent davantage que les morts l’inéluctable morsure :
Le vrai rongeur, le ver irréfutable
N’est point pour vous qui dormez sous la table,
Il vit de vie, il ne me quitte pas [83]!
47Or, le mot remords figure plus loin, non le substantif, mais l’ancien verbe remordre, convoqué ailleurs par Valéry au sens de « causer des remords [84] » et sur lequel repose la description de la mer comme une hydre immense :
Hydre absolue, ivre de ta chair bleue,
Qui te remords l’étincelante queue [85]
49Inspirée du motif de l’ouroboros (le serpent qui se mord la queue), cette image entre en écho avec des réflexions des Cahiers (« ver rongeur qui s’engendre de ce même dont il doit être rongé [86] ») et avec d’autres poèmes de Valéry où l’imaginaire ophidien se croise avec celui d’une auto-dévoration symbolisant l’éternel retour :
Dans l’âme du moindre homme un serpent se remord [87].
51Comme l’écrit Bertrand Marchal, « le serpent valérien est fils du ver baudelairien, [...] à la différence que le remords valérien n’a plus rien de chrétien [88] ». Ainsi la comparaison entre remords et vermine [89] n’est-elle pas seulement le point de convergence de composantes majeures de la psyché baudelairienne – la culpabilité diffuse, l’angoisse de la décomposition, l’imaginaire de la dévoration. Cette image s’inscrit aussi dans une riche histoire, à la fois en amont (Baudelaire réinterprète un héritage biblique dont il s’affranchit partiellement) et en aval (elle trouve des résonances chez certains des principaux successeurs de Baudelaire). « Mais est-ce qu’on tue le Remords [...] ? », demande Césaire [90], et avec lui d’autres poètes qui ont repris à leur compte l’interrogation désespérée sur laquelle s’ouvre « L’Irréparable » : « pouvons-nous étouffer le vieux, le long Remords ? ».
Notes
-
[1]
Paul Claudel, « Religion et poésie », Positions et Propositions, dans Œuvres en prose, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1965, p. 61.
-
[2]
D’après les mots de Jankélévitch distinguant le regret et le remords : « le regret est une aspiration rétrospective, ou une espérance à l’envers, de même que l’espérance, aspiration futuriste, est une sorte de regret à l’endroit. Si le regret est compatible avec la très vaine illusion de renverser l’irréversible, le remords est le désespoir de jamais révoquer l’irrévocable » (L’Irréversible et la nostalgie, Paris, Flammarion, coll. « Champs essais », 1974, p. 269).
-
[3]
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Au lecteur », v. 32. Tous les poèmes de Baudelaire sont cités dans l’édition de Claude Pichois, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1975. Ennui et remords sont associés dans « Réversibilité » (« Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse, / La honte, les remords, les sanglots, les ennuis [...] ? ») et dans « Le Fou et la Vénus » (« un de ces bouffons héroïques chargés de faire rire les rois quand le Remords ou l’Ennui les obsède »).
-
[4]
Voir Bertrand Marchal, « De quelques comparaisons baudelairiennes », L’Année Baudelaire, vol. 9/10, 2005/2006, p. 189-201.
-
[5]
Dans ses « Notes sur Baudelaire », Jules Laforgue célèbre les comparaisons « américaines » de Baudelaire : « il a le premier trouvé après toutes les hardiesses du romantisme ces comparaisons crues, qui soudain dans l’harmonie d’une période mettent en passant les pieds dans le plat – (non le charme d’une quinte) – comparaisons palpables, trop premier plan, en un mot américaines semble-t-il » (Œuvres Complètes, t. III, Paris, L’Âge d’homme, 2000, p. 164).
-
[6]
« Et nous alimentons nos aimables remords / Comme les mendiants nourrissent leur vermine » (v. 3-v. 4).
-
[7]
« Spleen », v. 8-10.
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[8]
Voir deux célèbres pages sur le remords : Rousseau évoquant, à propos du vol du ruban, « l’insupportable poids des remords dont au bout de quarante ans [s]a conscience est encore chargée » (Les Confessions, II) et Hugo disant de Jean Valjean dans l’épisode de Petit-Gervais : « ses jarrets fléchirent brusquement sous lui comme si une puissance invisible l’accablait tout à coup du poids de sa mauvaise conscience » (Les Misérables, I. 2, 12).
-
[9]
Rappelons que Baudelaire cite Lady Macbeth dans « L’Idéal », v. 10.
-
[10]
Victor Hugo, La Légende des Siècles, « L’épopée du ver », v. 307 et « Le Poète au ver de terre », v. 21.
-
[11]
Victor Hugo, Les Feuilles d’automne, « La Prière pour tous ».
-
[12]
Charles Baudelaire, « Le Mort joyeux », v. 9 : « ô vers ! Noirs compagnons sans oreilles et sans yeux ».
-
[13]
Jérôme Thélot, « Pour une poétique de la faim », dans Les Fleurs du Mal. Actes du colloque de la Sorbonne des 10 et 11 janvier 2003, dir. André Guyaux et Bertrand Marchal, Paris, PUPS, 2003, p. 292. Voir notamment Patrick Labarthe, Baudelaire et la tradition de l’allégorie, Genève, Droz, 1999, p. 455-456 ; Jean Pellegrin, Réversibilité de Baudelaire, Lille, Atelier national de reproduction des thèses, 1988, p. 316 ; Henk Nuiten et Maurice Geelen, Baudelaire et le cliché : le cliché entre les mains de l’auteur des Fleurs du Mal, Stuttgart, F. Steiner Verl Wiesbaden, 1989, p. 35. Voir aussi le commentaire de « Remords Posthume » par Alain Vaillant dans Baudelaire, poète comique, Rennes, PUR, coll. « Interférences », 2007, p. 230 et un chapitre sur l’imaginaire du ver dans Hugh McGrath, Valéry’s Graveyard: « Le cimetière marin » translated, described and peopled, New York, Peter Lang, 2012, p. 141 et suiv.
-
[14]
Isaïe, 66:24. Voir aussi Judith, 16:17 : « Le Seigneur souverain s’en vengera au jour du jugement, en mettant le feu et les vers dans leur chair ».
-
[15]
Saint Augustin, La Cité de Dieu, livre XX, § XXII, Paris, éditions du Seuil, t. III, 1994, trad. Louis Moreau, revue par Jean-Claude Eslin, p. 201.
-
[16]
Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Le Monde des ressuscités, trad. Réginald Omez, Paris, Éditions du Cerf, 1961, Question 97, art. 2, p. 382. Le Supplément de La Somme Théologique est constitué de textes de jeunesse de saint Thomas regroupés et ordonnés par son disciple Réginald de Piperno.
-
[17]
Bernard de Clairvaux, La Conversion, trad. Françoise Callerot, Jurgen Miethke, Christiane Jaquinod, Paris, éditions du Cerf, 2000, p. 343.
-
[18]
Expression qu’emploie Baudelaire dans Les Paradis artificiels (Œuvres complètes, éd. cit., p. 429).
-
[19]
Charles Baudelaire, Œuvres complètes (éd. cit.), II, p. 314. Laforgue relève ces mots dans ses Notes sur Baudelaire (ouvr. cité, p. 160). Il s’agit d’une citation de Morella de Poe (« I found food for consuming thought and horror, for a worm that would not die »), nouvelle traduite par Baudelaire.
-
[20]
« Il a un ver de conscience qui le ronge », note Furetière à l’article Conscience.
-
[21]
Louis Bourdaloue, « Sur le remords de conscience », dans Sermons choisis, Paris, Delagrave, 1884, p. 183.
-
[22]
« L’Aube Spirituelle » (v. 2) ; « Le Cygne », v. 36.
-
[23]
« L’Irréparable », v. 36-40. Voir aussi, dans « L’Imprévu », v. 20, le mur « qu’habite et que ronge un insecte ».
-
[24]
Paul Valéry, L’Idée fixe ou deux hommes à la mer, dans Œuvres, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 197.
-
[25]
Voir « Le Reniement de Saint-Pierre » : « le remords n’a-t-il pas / Pénétré dans ton flanc plus avant que la lance ? » (v. 28).
-
[26]
« Le Goût du néant », v. 11. Voir telle formule de L’Art Romantique : « comme les années s’écoulent, rapides et voraces ! » (Baudelaire, Œuvres et vie d’Eugène Delacroix, dans Curiosités esthétiques, Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 427).
-
[27]
« Le Voyage », v. 115-116.
-
[28]
« L’Irréparable », v. 7.
-
[29]
« Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d’effroi / Se planteront bientôt comme dans une cible » (« L’Horloge », v. 3-4) ; « Connais-tu le Remords, aux traits empoisonnés / à qui notre cœur sert de cible ? » (« L’Irréparable », v. 33-34).
-
[30]
Vladimir Jankélévitch, L’Irréversible et la nostalgie, ouvr. cité., p. 283.
-
[31]
Ibid., p. 323 ; ibid., p. 7.
-
[32]
« L’Horloge », v. 24. C’est sur ces mots que se conclut la section « Spleen et Idéal ». Jankélévitch commente la hantise du « trop tard » : « la conscience [...] c’est aussi une voix qui, dans le silence, chuchote à [l’]oreille ces deux syllabes obsédantes, lancinantes, fatidiques : trop tard » (Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, Paris, Seuil, coll. « Points », 1981, t. II, p. 105).
-
[33]
Henk Nuiten et Maurice Geelen notent que « le remords et la vermine ne rongent plus activement, mais sont respectivement alimenté et nourrie » (Baudelaire et le cliché, ouvr. cité, p. 35).
-
[34]
Dans « Au lecteur » comme dans « L’Horloge », le repentir est associé à la lâcheté : « nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches » ; « où le Repentir même (oh ! La dernière auberge !) / Où tout te dira : Meurs, vieux lâche, il est trop tard ».
-
[35]
Pour un même contre-emploi de l’adjectif aimable, voir « Le Flacon » : « je serai ton cercueil, aimable pestilence ». Sur cette paradoxale qualification méliorative du remords, voir Les Paradis artificiels, où le remords est un « singulier ingrédient du plaisir » et se prête à une « analyse voluptueuse » (Œuvres, p. 434).
-
[36]
« Dans nos cerveaux malsains, comme un million d’helminthes / Grouille, chante et ripaille un peuple de démons » (pour cette variante des v. 21-22 d’« Au lecteur », voir Œuvres, éd. cit., p. 831). Selon Littré, helminthe est « le nom donné aux entozoaires ou vers intestinaux, classe d’animaux qui est la troisième et dernière du sous-embranchement des vers ». Félix Dujardin publie en 1845 une Histoire naturelle des helminthes ou vers intestinaux.
-
[37]
Bertrand Marchal (« De quelques comparaisons baudelairiennes », art. cité, p. 191) le souligne, avant d’ajouter que « s’il est vrai que la logique poétique n’est pas la logique formelle, il se produit dans celle-là des phénomènes de contamination qui font qu’en poésie, a [le remords] peut égaler c [le ver] et b [nous] peut égaler d [les morts] ». Précisons que cette comparaison entre remords et ver est elle-même le développement d’une métaphore (« le Remords se nourrit de nous »).
-
[38]
Corbeau et ver sont associés dans « L’Irréparable » (« à cet agonisant que le loup déjà flaire / Et que surveille le corbeau », v. 16) et « Le Mort Joyeux » (« vivant, j’aimerais mieux inviter les corbeaux / à saigner tous les bouts de ma carcasse immonde », v. 8). Voir aussi les « corbeaux lancinants » qui « triturent [l]a chair » dans « Un Voyage à Cythère » (v. 51-52).
-
[39]
Aurel Kolnai, Le Dégoût, Paris, Agalma, 1997, trad. Olivier Cossé, p. 61.
-
[40]
Voir par exemple tel morceau célèbre de Pascal : « baissez vos yeux vers la terre, chétif ver que vous êtes » (Pensées, Sellier 683). Le ver est le plus humble animal qui soit (au sens étymologique de l’adjectif).
-
[41]
Eschyle, Les Choéphores, v. 1048-1050.
-
[42]
« Et tu devineras la gratitude d’un autre Oreste dont tu as souvent surveillé les cauchemars » (Œuvres, éd. citée, p. 400). Voir aussi la référence à Pylade et Électre aux vers 134-135 du « Voyage ».
-
[43]
Voir par exemple « comme des exilés s’en vont d’un pied traînard » (« Réversibilité », v. 13) ; « Ils trottent, tout pareils à des marionnettes / Se traînent, comme font les animaux blessés » (« Les Petites Vieilles », v. 13-14).
-
[44]
Dans « Au lecteur », il est question des « monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants » (v. 31). Dans « L’Irrémédiable », Baudelaire évoque les « monstres visqueux » (v. 21).
-
[45]
« L’Irréparable », v. 6-9.
-
[46]
Dans « Le Lion et le rat », la fable où figurent ces mots, c’est bien le rongement du rat qui finit par sauver le lion (« Sire rat accourut, et fit tant par ses dents / Qu’une maille rongée emporta tout l’ouvrage »). à propos de la vermine, Aurel Kolnai parle de « mixture de nullité futile et de zèle affairé et lancinant » (Le Dégoût, ouvr. cité, p. 62).
-
[47]
« Pouvons-nous étouffer l’implacable remords ? » (v. 5) ; « dis, connais-tu l’irrémissible ? » (v. 32). Voir aussi l’adjectif irrémédiable, qui donne son titre à un autre poème, et l’Horloge désignée comme un « dieu sinistre, effrayant, impassible ». Sur la substantivation de l’adjectif irréparable (le Remords étant métonymiquement identifié à sa cause : la conscience du caractère irréparable des fautes passées), voir les analyses de Jean-Luc Steinmetz : « par le moyen de la substantivation, Baudelaire crée certaines entités effrayantes qui, auparavant, n’avaient pas de droit de cité en littérature » (« Essai de tératologie baudelairienne », Les Fleurs du Mal, L’intériorité de la forme, Paris, SEDES, 1989, p. 161-176).
-
[48]
« Moesta et Errabunda », v. 14 ; « Recueillement », v. 5-9.
-
[49]
Titre d’un poème de Poe traduit par Baudelaire et Mallarmé.
-
[50]
En moyen-anglais, le remords est the ayenbite, c’est-à-dire the again-bite.
-
[51]
On trouve chez Cicéron et Lucrèce la tournure « morderi conscientia » (« être mordu par la conscience ») et chez Martial l’expression « tristes animi morsus » (« de tristes morsures de l’âme »). Nietzsche évoquera le « morsus conscientiae » dans La Généalogie de la morale (Gallimard, 1971, §15, p. 92), après avoir écrit dans Humain trop humain : « le remords, comme la morsure du chien sur une bête, est une bêtise » (Gallimard, 1988, II. 2, §38, p. 201).
-
[52]
Voir par exemple v. 19-20 (« je mords Socrate, Eschyle, Homère, après l’envie. / Je mords l’aigle ») puis v. 545-546 : « je mords, en même temps que la pomme sur l’arbre / L’étoile dans le ciel ».
-
[53]
« À une madone », v. 25 ; « L’Heautontimorouménos », v. 15-16. Voir dans ce dernier poème les vers : « elle est dans ma voix, la criarde ! C’est tout mon sang, ce poison noir ».
-
[54]
Voir notamment « Le Léthé » (« et le Léthé coule dans tes baisers ») et « Une Charogne » (« dites à la vermine / qui vous mangera de baisers... »).
-
[55]
« Le Poison », v. 16-20. Sur l’orthographe du mot remords chez Baudelaire, voir une remarque de Claude Pichois dans la notice de la Pléiade (éd. cit., p. 819).
-
[56]
Baudelaire et la tradition de l’allégorie (ouvr. cité, p. 456).
-
[57]
Sur cette variante, voir Œuvres complètes (éd. cit.), p. 971.
-
[58]
« Comme il penchait la tête, découvrant le cou, sa victime, folle de rage et d’épouvante, se tordit, avança les dents, et les enfonça dans ce cou » (Zola, Thérèse Raquin, Paris, Librairie Générale Française, 1997, p. 94).
-
[59]
Ibid., p. 219. Voir aussi la nouvelle de Maupassant La Confession : « alors l’obsession qui me hantait depuis un mois pénétra de nouveau dans ma tête. [...] Elle me rongeait comme rongent les idées fixes, comme les cancers doivent ronger les chairs. Elle était là, dans ma tête, dans mon cœur, dans mon corps entier, me semblait-il : elle me dévorait, ainsi qu’aurait fait une bête » (Maupassant, Toine, Paris, Gallimard, coll. « Folio », p. 181-182).
-
[60]
Sur les liens avec le sonnet « Quand vous serez bien vieille », voir Olivier Pot, « “Remords posthume”, Baudelaire, Les Fleurs du Mal, XXXIII », Versants, 2003, n°43, p. 108-114.
-
[61]
« Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse / La honte, les remords, les sanglots, les ennuis / Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits [...] ? » (« Réversibilité »).
-
[62]
Selon Bernard Caramatie, le remords, « véritable mort de la mort, ôte aux souvenirs, doublement tués par la torpeur de la mémoire et par la dent de ‘l’Irréparable’, ce qu’ils pouvaient conserver de charme et de tendresse pour les ‘morts les plus chers’ » (L’ordre de Baudelaire. Lecture des Fleurs du Mal, Paris, Hermann, 2015, p. 219). Il peut paraître curieux que dans ce poème sur l’encombrement de la mémoire il soit question de souvenirs dévorés par l’oubli ; à moins, précisément, que seuls les souvenirs chers ne soient détruits par les vers.
-
[63]
Voir Idéolus : « suis-je assez bas tombé, mon Dieu, dans cet abîme / Où le remords déchire ? » (I. 6, v. 283).
-
[64]
Dans « Je t’adore à l’égal de la voûte nocturne... », Baudelaire évoque un « chœur de vermisseaux » dévorant un cadavre (v. 8).
-
[65]
Dans le v. 6 du quatrième « Spleen ».
-
[66]
Voir Brigitte Buffard-Moret, Précis de versification, Paris, Armand Colin, 2011. On sait que Baudelaire recourt également à cette forme dans « Le Balcon », « Réversibilité », « Moesta et Errabunda », « Lesbos » et « Le Monstre ». De ces poèmes, « L’Irréparable » et « Le Monstre » sont les seuls dans lesquels existent de légères variations entre le premier et le dernier vers du quintil.
-
[67]
Charles Baudelaire, Nouvelles notes sur Edgar Poe, dans Œuvres complètes, éd. cit., t. II, p. 336.
-
[68]
Voir Verlaine dans Les Poèmes Saturniens : « Ils sont heureux ! Pour moi, nerveux, et qu’un remords / Épouvantable et vague affole sans relâche / Par les forêts je tremble à la façon d’un lâche » (« Dans les bois »).
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[69]
Comme l’écrit Dominique Billy, ce terme, couramment employé par la critique baudelairienne, « est tiré d’un essai sur Edgar Poe d’E. Lauvrière qui décrit ainsi les procédés de répétition (‘cette sorte de rumination verbale’) chez l’auteur du Corbeau » (Les formes poétiques selon Baudelaire, Paris, Honoré Champion, 2015, p. 164).
-
[70]
Titre de la première partie de « La Comédie de la mort », où Gautier imagine le dialogue, qui a manifestement inspiré Baudelaire, du ver et de la trépassée.
-
[71]
« Le Mort Joyeux », v. 11. Viveur signifie que le ver non seulement vit, mais, bien plus, « jouit de tous les plaisirs, de tous les agréments de la vie » (Littré).
-
[72]
« Le Soleil », v. 8 et v. 10.
-
[73]
Voir par exemple la fin de « L’Âme du vin » (« pour que de notre amour naisse la poésie / Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ») et celle de « La Mort des artistes » (« C’est que la Mort, planant comme un soleil nouveau / Fera s’épanouir les fleurs de leur cerveau »).
-
[74]
« Vieux squelettes gelés travaillés par le ver » (« La servante au grand cœur... », v. 11). Voir aussi les premiers vers des Fleurs du Mal : « La sottise, l’erreur, le péché, la lésine, / Occupent nos esprits et travaillent nos corps, / Et nous alimentons nos aimables remords, Comme les mendiants nourrissent leur vermine ».
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[75]
« Et ceux-là qui sauront blanchir nos ossements / Les bons vers immortels qui s’ennuient patiemment » (Apollinaire, Alcools, « Vendémiaire », v. 150-151). On songe à l’analyse, chez Baudelaire, de la « patience » du remords.
-
[76]
Verlaine, « Nevermore », v. 16-20. Il s’agit du deuxième des deux textes des Poèmes Saturniens auxquels Verlaine donne ce titre en hommage au « Corbeau » de Poe. André Guyaux établit un rapprochement avec Baudelaire dans Les premiers recueils de Verlaine, Paris, Presses Paris Sorbonne, 2008, p. 191.
-
[77]
Voir « Regard jeté dans une mansarde » dans Les Rayons et les ombres (« Si ! L’aspic est dans l’herbe / Hélas ! Hélas ! Le ver est dans le fruit superbe ») et « Le Poète au ver de terre » dans La Légende des Siècles (« L’envie est dans le fruit, le ver est dans la gloire »).
-
[78]
« Mais là où il est sans égal, c’est dans ce procédé si simple en apparence, mais en vérité si décevant et difficile, qui consiste à faire revenir un vers toujours le même autour d’une idée toujours nouvelle et réciproquement ; en un mot à peindre l’obsession. Lisez plutôt, dans le genre délicat et amoureux, “Le Balcon”, et dans le genre sombre, “L’Irrémédiable” » (Verlaine, Œuvres en prose complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1972, p. 611). Comme le note Steve Murphy, Verlaine songe à « L’Irréparable » et non à « L’Irrémédiable » (« Effets et motivations : quelques excentricités de la versification baudelairienne », dans Baudelaire, une alchimie de la douleur, dir. Patrick Labarthe, Paris, Eurédit, 2003, p. 296).
-
[79]
Arthur Rimbaud, Une Saison en Enfer, éd. Pierre Brunel, Paris, Librairie Générale Française, 1998, p. 75.
-
[80]
Sur le thème des dents acérées du remords, voir aussi un des poèmes les plus baudelairiens de Mallarmé, « Angoisse ». à propos d’une courtisane inaccessible au remords, le poète évoque un cœur que la « dent d’aucun crime ne blesse ». La « dent du crime » est une périphrase désignant le remords, comme le relève Bertrand Marchal, dans Mallarmé, Poésies, Paris, Gallimard, coll. « Poésie / Gallimard », 1992, p. 192.
-
[81]
« Et aussitôt un coq chanta. Et Pierre se rappela la parole que Jésus avait dite : “avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois”. Il sortit et pleura amèrement » (Matthieu, 26:75). On sait que dans « Le Reniement de Saint-Pierre » (v. 27-28), Baudelaire impute des remords non à saint Pierre, mais à Jésus.
-
[82]
Arthur Rimbaud, Une Saison en Enfer, ouvr. cité, p. 84.
-
[83]
Paul Valéry, « Le Cimetière Marin », v. 111-113.
-
[84]
Voir par exemple dans Le Testament de Villon (v. 111) : « sa conscience me remort » (Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2014, p. 37). On trouve encore chez Malherbe le vers : « sa faute le remord ; Mégère le regarde » (relevé par Littré). Le Trésor de la langue française, à propos de cet emploi archaïsant du verbe, cite Eupalinos : « rien ne nous semble si beau, et ne nous remord si amèrement que les occasions manquées » (Valéry, Eupalinos ou l’architecte, Paris, Gallimard, 1924, p. 206).
-
[85]
Paul Valéry, « Le Cimetière Marin », v. 141-142.
-
[86]
Paul Valéry, Cahiers, II, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 442. Il est question du remords dans les lignes qui suivent : « Qu’est-ce qui permet au Remords, au Regret, à la Jalousie, au Désir, etc., de travailler si obstinément leur homme ? » (ibid., p. 443).
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[87]
Paul Valéry, « Le Philosophe et la Jeune Parque », v. 56, dans Œuvres, t. 1, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, p. 164.
-
[88]
Bertrand Marchal, « Valéry ou le cogito poétique : l’exemple de La Jeune Parque », Le Genre humain, 2008/1, n° 47, p. 359-369.
-
[89]
Voir aussi l’association du remords et du rat chez Verhaeren : « Les rats du cimetière proche, / Midi sonnant, / Bourdonnent dans la cloche. / Ils ont mordu le cœur des morts / Et s’engraissent de ses remords » (« Chanson de fou », dans Les Campagnes hallucinées, éditions Labor, 1997, p. 175).
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[90]
Cahier d’un retour au pays natal, Paris, éditions Présence Africaine, 1983, p. 20. Comme chez Baudelaire, le Remords est allégorisé par la majuscule. On sait que plus loin dans le Cahier d’un retour au pays natal, Césaire se réfère ouvertement au Baudelaire de « L’Albatros » : « il était COMIQUE ET LAID. COMIQUE ET LAID pour sûr » (Ibid., p. 41).