Notes
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[1]
Je remercie très chaleureusement Elizabeth Garver.
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[2]
J’exprime ma gratitude au directeur de la Fales Library, Marvin J. Taylor, pour l’autorisation de publier le manuscrit, et à l’archiviste Lisa Darms pour son aide efficace et aimable. Rien n’est connu de la provenance du manuscrit.
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[3]
« Le Champ d’oliviers » n’est pas encore écrit, bien que ce titre semble apparaître dans le post-scriptum d’une lettre de Maupassant à Havard, d’octobre 1887 : « Ollendorff vient de me vendre la traduction du Champ d’Oliviers... » (Guy DE MAUPASSANT, Correspondance, Jacques SUFFEL (éd.), Genève, Édito-Service, 1973, lettre n? 471). Pierre Borel, dans « Lettres inédites de Guy de Maupassant » (Les Œuvres libres, 143, avril, 1958, p. 42), situe cette information à la fin de la lettre reçue par Havard le 23 février 1890 (lettre n?597), ce qui est, de toute évidence, la date correcte. Le post-scriptum se serait sans doute séparé de la lettre de 1890.
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[4]
Lettre à la comtesse Potocka. Pour la citation et le contexte voir Guy de Maupassant, Paris, Fayard, 2012, chapitre 18, p. 852-853.
1Il y a quelques années, j’ai vu une photocopie de ce fragment de conte de Maupassant dans la collection d’Artine Artinian au Ransom Center, à l’Université de Texas à Austin. Récemment, comme j’ai demandé l’autorisation de le citer, un conservateur du Ransom Center [1] m’a appris que le manuscrit original était conservé à la Bobst Library de l’université de New York, dans la Fales Library & Special Collections, don du banquier et bibliophile De Coursey Fales (1888-1966) [2]. De telles collections étaient restées longtemps confidentielles, mais, grâce à la numérisation des catalogues de manuscrits, elles commencent de nos jours à apparaître sur le web. La collection Fales, divisée entre l’université de New York et la New York Public Library, contient principalement des textes de littérature anglaise et américaine, environ 50 000 livres, autographes et manuscrits. Y trouver ce Jour de Paul de Maupassant a été une découverte inattendue.
2 Il n’y a pas de trace de ce titre dans la correspondance connue de l’écrivain. Le seul indice de datation dans le manuscrit est la mention du modèle de la Tour Eiffel, qui permet de situer le conte vraisemblablement en 1889. Les dates de la rédaction et de son abandon sont donc inconnues, mais l’hypothèse qui suit semble probable.
3 Dans sa lettre à Brunetière du 17 aout 1889, traitant de sa collaboration future à la Revue des deux mondes, Maupassant parle de deux œuvres en préparation qu’il destine à la revue :
Avant le petit roman que je vous ai promis L’Âme étrangère je compte achever une nouvelle que je destinais au Figaro. La nature du sujet et l’intérêt que je prends en l’écrivant font que j’aimerais mieux la voir paraître en une ou deux parties plutôt qu’en quinze ou dix-huit tranches. Je ferai pour le Figaro autre chose de moins réfléchi, de plus mouvementé, et je vous donnerai d’ici à six semaines ce manuscrit.
5 La nouvelle en question serait donc assez longue, nécessitant un feuilleton de quinze ou dix-huit livraisons dans un journal (comme c’était le cas de « Monsieur Parent »), mais, cette fois, Maupassant préfèrerait une revue mensuelle, un choix qu’il a fait pour ses romans depuis quelque temps déjà. Comptant partir le 18 août, il projette d’emporter avec lui L’Âme étrangère qu’il veut terminer (une nouvelle qui, depuis sa conception, est devenue un petit roman), et une nouvelle déjà commencée. Laquelle ? Parmi les nouvelles qu’il écrira par la suite, seules « Le Champ d’oliviers » et « L’Inutile Beauté » sont assez longues pour devoir être publiées en plusieurs livraisons, mais la première paraîtra dans Le Figaro, et la deuxième dans L’Écho de Paris [3]. Ce qui nous permet de supposer que la nouvelle destinée à la Revue des deux mondes, commencée, comme L’Âme étrangère, pendant l’été de 1889 à Triel, est Le Jour de Paul, dont subsistent les trois pages que nous publions ici.
6 Ce fragment ne ressemble à aucune autre œuvre de Maupassant. Paul, le fils naturel, attendu impatiemment par ses jeunes demi-frère et demi-sœur légitimes, n’apparaît pas dans les trois pages rédigées, où se trouve rappelée la jeunesse de son père, étudiant en médecine, au Quartier Latin. La particularité la plus frappante du conte est la profession de ce père, le Dr Benoît : il est médecin de quartier. C’est un type de médecin qu’on ne trouve pas dans les autres œuvres de Maupassant, et qui ne ressemble pas non plus aux médecins que lui-même a l’habitude de consulter. Les enfants, Henri et Louise, ne sont pas non plus comme les jeunes enfants dans les autres textes. Le milieu social, que Maupassant n’a pas exploré ailleurs, tranche avec celui, riche et raffiné, de L’Âme étrangère, à laquelle l’écrivain travaille en même temps. Une nouvelle que l’auteur qualifie de « réfléchie » promet d’être complexe. Le caractère du Dr Benoît est dessiné avec netteté : jeune homme plutôt malléable d’abord, il devient un médecin très dévoué, dépourvu d’ambition. La nouvelle, selon toute vraisemblance, devait explorer la relation du Dr Benoît avec son fils naturel. Notons que dans les pages rédigées il n’y a pas de mention d’une Madame Benoît.
7 L’écrivain n’en dit mot à Brunetière dans sa lettre, mais c’est pour Bron qu’il part le 20 août 1889, pour rendre visite à son frère Hervé, récemment interné. Retrouver ce frère, qui, en quelques mois, avait avancé de « cent lieues vers la mort [4] », provoque chez Maupassant une grande détresse, qu’exacerbe sa préoccupation pour sa mère. Au début de septembre, il partira sur le Bel-Ami pour l’Italie, mais il restreint son projet de voyage, craignant d’être rappelé en France à tout moment à cause de l’état de sa mère ou de la mort attendue de son frère. Les lettres qu’il écrit pendant ce voyage le montrent incapable de travailler. À Florence, il tombe malade, et se voit obligé de rentrer à Cannes. Hervé meurt le 13 novembre 1889, et Maupassant passera encore des mois difficiles à cause de l’état de sa mère. Puis, il entreprend la rédaction de Notre Cœur, de sorte que les deux œuvres commencées pendant l’été de 1889 resteront en attente. Brunetière et la Revue des deux mondes ne recevront ni l’une ni l’autre, et le moment propice pour les terminer ne viendra pas.
LE JOUR DE PAUL
8 Comme la bonne, Joséphine mettait le couvert pour le dîner de la famille Benoit, le petit Henri et sa sœur Louise traversèrent la salle à manger. Henri a neuf <sept> ans, Louise en a sept <cinq>. Ils s’arrêtèrent une seconde pour compter <regarder> les assiettes, car une désir hantait leurs petits esprits, et après avoir compté « une, deux, trois, quatre – cinq » Henry s’écria « Cinq ! c’est le jour de Paul. » Et Louise sauta [en surcharge sur : se] mit à danser en battant ses mains <de plaisir à cette pensée>. Mais comme elle n’avait en son frère qu’une confiance relative, bien inferieure à celle qu’elle accordaitée <par elle> aux grandes personnes, elle demanda <à Joséphine> de sa frêle voix un peu hésitante encore
9 – C’est vrai ? c’est le jour de Paul ?
10 – Oui, mademoiselle Louise.
11 Et les deux enfants, se prenant les mains, se mirent à danser l’un en face de l’autre ; puis ils entrèrent dans le salon, pour voir si, par hasard, Paul n’était pas arrivé. Mais le salon demeurait vide, avec ses housses de coutil qui voilaient durant tout l’été les canapés chaises et fauteuils la peau de velours de Roubaix des canapés chaises et fauteuils.
12 Alors ils s’assirent bien sagement sur le tapis après avoir pris sur une table <dans un meuble une boite contenant> une tour Eiffel en carton qu’ils montaient et démontaient pendant des heures entières.
13 Lorsque le premier étage fut ach achevé
14 – Moi j’aime bien Paul, dit Henri.
15 Louise répondit
16 – Moi aussi.
17 – Il est très bon pour moi.
18 – Pour moi aussi.
19 Henri répéta
20 – Je l’aime bien
21 Louise redit
22 – Moi aussi.
23 Puis ils commencèrent à construire le second étage de la tour Eiffel.
24 Si on leur <les> avait demandé <interrogés sur> ce qu’était Paul, ils n’auraient pas pu répondre. C’était Paul, voila tout. Et Paul venait diner tous les jeudis dans la famille Benoit. Si on leur avait demandé pourquoi Paul appelait « Père » Monsieur Benoit, leur papa, ils auraient dit simplement
25 – C’est parce qu’il l’aime bien.
26 En réalité Paul était un <le> fils naturel du [en surcharge sur : de] monsieur <docteur> Benoit.
27 <Car> Monsieur Benoit était médecin, ce qu’on appelle à Paris un médecin de quartier. Il avait réussi d’ailleurs, vivait dans l’aisance avec sa femme et ses enfants, et amassait même une petite fortune.
28 Autrefois, aux jours déjà lointains du quartier latin il avait eu une liaison comme tant d’autres, une honnête petite liaison, avec une honn presque honnête petite fille qui servait des bocks dans une brasserie. Cela avait duré plusieurs années et elle était devenue mère. Alors comme il la sentait sage, dévouée, aimante, fidèle, il avait eu, durant quelque mois la <aussitôt> reçu docteur <son doctorat passé> <l’honnête la loyale > velléité de l’épouser. Mais M. Benoit père, <avoué en province> prévenu par un ami de son fils était accouru, avait tout rompu, puis tout arrangé en procurant à la maitresse de son fils en emmenant à la campagne son fils <le jeune homme> docile et désolé mais résigné car le père s’était conduit noblement en achetant à <pour> la maitresse <abandonnée> de son fils <enfant> un petit fonds de commerce. Benoit jeune il est vrai avait reconnu son enfant, en le déclarant à la mairie, et le père <vieux> ne pouvant rien contre cette situation inquiétante, s’était montré <plus> généreux avec <envers> la mère, en raison de ses petites <moyennes> ressources, pour calmer les scrupules du pauvre garçon <nouveau> père.
29 Après quelques mois de province on avait fait jurer au jeune homme que jamais il n’aurait plus de rapports suspect [?] intimes avec son ancienne amie. On lui ne lui défendait pas d’ailleurs de voir son rejeton, car on songeait <sentait> bien, on devinait qu’il n’était plus amoureux de la mère <femme>, tant il avait consenti facilement au départ et aux arrangements proposés par son père. Puis on le renvoya à Paris, seul centre ou les hommes de valeur pouvaient parvenir aux grandes situations.
30 Il y devint médecin de quartier.
31 Économe, résigné en toutes les circonstances de la vie, dévoué à tout le monde, bienveillant, plein de sollicitude pour ses malades, il devint <se rendit> populaire parmi les humbles des rues avoisinantes. Par des recommandations de petits commerçants même des <ou de concierges> il devint le il pénétra chez des locataires du sixième, du cinquième, même <parfois> du quatrième. Et par ces locataires il glissa dans les maisons voisines, aux mêmes étages. Très rarement il put descendre jusqu’au troisième. Le premier et le second lui demeurèrent toujours fermés. Mais il se fit une nombreuse clientèle, amicale, reconnaissante sur de pouvoir compter sur lui en toute circonstance, <et> à toute heure, car il considérait sa profession comme une espèce de métier sacré de sacerdoce. Il soignait pour rien les indigents et fut très aimé.
32 Il était beau garçon, d’une beauté de <correct, grave rangé avec de courts favor le menton rasé avec de courts favoris aux joues, beau garçon> à la façon des [hau ?] jeunes [..........?] d’ambassades <magistrats> et des maîtres d’hôtel de très grande maison.
Notes
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[1]
Je remercie très chaleureusement Elizabeth Garver.
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[2]
J’exprime ma gratitude au directeur de la Fales Library, Marvin J. Taylor, pour l’autorisation de publier le manuscrit, et à l’archiviste Lisa Darms pour son aide efficace et aimable. Rien n’est connu de la provenance du manuscrit.
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[3]
« Le Champ d’oliviers » n’est pas encore écrit, bien que ce titre semble apparaître dans le post-scriptum d’une lettre de Maupassant à Havard, d’octobre 1887 : « Ollendorff vient de me vendre la traduction du Champ d’Oliviers... » (Guy DE MAUPASSANT, Correspondance, Jacques SUFFEL (éd.), Genève, Édito-Service, 1973, lettre n? 471). Pierre Borel, dans « Lettres inédites de Guy de Maupassant » (Les Œuvres libres, 143, avril, 1958, p. 42), situe cette information à la fin de la lettre reçue par Havard le 23 février 1890 (lettre n?597), ce qui est, de toute évidence, la date correcte. Le post-scriptum se serait sans doute séparé de la lettre de 1890.
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[4]
Lettre à la comtesse Potocka. Pour la citation et le contexte voir Guy de Maupassant, Paris, Fayard, 2012, chapitre 18, p. 852-853.