Notes
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MCF, HDR, Université de Bretagne Sud, IMABS, IREA/EA 4251 - marc.dumas@univ-ubs.fr
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MCF sociologie de la santé, Université Bretagne Sud, LABERS/EA 3149 - florence.douguet@univ-ubs.fr
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MCF, Université de Bretagne Sud, IMABS, IREA/EA 4251 - youssef.fahmi@univ-ubs.fr
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Introduction
1 Si pendant longtemps, la qualité et la sécurité des patients ont été considérées comme essentiellement une affaire de connaissances et de compétences individuelles et notamment d’expertise médicale, il est aujourd’hui admis et reconnu que l’organisation des services, des équipes, la capacité des acteurs à travailler ensemble efficacement sont indispensables pour la qualité des actes médicaux et des soins et la sécurité des patients. Le Programme National Sécurité des Patients (PNSP) présenté le 14 février 2013 par le Ministère de la santé cible particulièrement les événements indésirables graves (EIG) et le retour d’expériences ainsi que la notion d’équipe, de culture de sécurité partagée et de formation. C’est ce premier élément, la notion d’équipe, que nous souhaitons développer et qui nous semble le socle, pour agir sur les leviers de la qualité des soins que sont l’échange d’information et le partage des savoirs. En effet, la coordination des professionnels du secteur de la santé autour du patient requiert une forte et constante collaboration (Cordier, 2009). Ainsi le dossier du patient est conçu comme un outil non seulement de traçabilité mais également comme un outil pluridisciplinaire permettant la concertation autour du patient.
2 Pour la Haute Autorité de Santé (HAS), « l’équipe est un groupe de professionnels qui s’engagent à travailler ensemble autour d’un projet commun centré sur le patient. L’équipe se compose de professionnels avec des compétences complémentaires dont le patient a besoin » [4]. Xyrichis et Ream (2008) proposent une définition du travail en équipe de soins comme un processus dynamique impliquant deux professionnels du soin ou plus avec des connaissances complémentaires et des compétences, partageant des objectifs médicaux et de soins communs et exerçant des efforts mentaux et physiques concertés en évaluant et organisant les soins aux patients. Estryn-Béhar et Le Nezet (2006, p.5) précisent : « une équipe n’est pas un simple côtoiement hiérarchique de personnes œuvrant dans différentes disciplines pour délivrer des soins aux patients. Une équipe soignante est d’abord le fruit d’un fonctionnement collectif ». Ainsi nous souhaitons identifier les caractéristiques d’une bonne ou d’une vraie équipe, comprendre ce qui fait équipe (notamment un projet commun centré sur le patient, partage des objectifs médicaux et de soins communs) et son fonctionnement.
3 L’étude porte donc sur l’équipe, son organisation et son fonctionnement ; ainsi nous nous interrogerons sur les caractéristiques de la « bonne équipe » au sein de trois services de deux établissements de santé et verrons en quoi le travail d’équipe est différent. Les trois cas illustrent des situations de réussites et d’échecs. L’objectif étant d’identifier ce qui fait équipe dans le but de développer le management des équipes de soins. Après la revue de littérature, nous présenterons la méthodologie de l’étude et les terrains de la recherche. Les résultats ont porté sur l’organisation des services, sur les relations entre les professionnels qui composent les équipes au sein des services. Nous discuterons ensuite les résultats au regard du cadre d’analyse de l’étude.
1 – Le travail en équipe en établissements de santé : quelle organisation ?
4 La revue de littérature sur les équipes et notamment dans le contexte hospitalier nous a conduits à structurer des éléments de synthèse issus de notre problématique autour de quatre points : l’équipe comme un collectif, le travail en équipe, gérer les interdépendances au sein du collectif ; le soutien et la confiance au sein de l’équipe. Enfin, nous nous intéresserons au rôle du cadre hospitalier en tant qu’animateur d’équipe.
1.1 – L’équipe, un collectif, une communauté ?
5 Les termes d’équipe soignante et de collectif soignant sont relativement équivalents. Pour Beaucourt et Louart (2011, p.117), « dans les établissements de santé, les acteurs constituent en général des collectifs soignants, c’est-à-dire des groupes de travail fonctionnels incluant une ou plusieurs catégories de professionnels au sein de la même organisation. Une même personne peut appartenir à plusieurs collectifs. Si les liens sont forts, on observe un sentiment d’appartenance communautaire, qui s’exprime par des représentations communes de l’action collective (à travers ses buts ou ses valeurs) ». La notion de communauté est également utilisée. Le travail en équipe consiste à faire ensemble, entre membres d’une communauté soignante élargie, mais il s’agit aussi de collaborer, d’expliquer, de rendre compte, sans que les professionnels ne soient préparés (Claveranne et Vinot, 2004). Le partage se décline sous différentes formes de réunions : groupe de parole, groupe interdisciplinaire, réunion d’équipe, staff, mini staff, transmissions. Ces différents moments sont totalement institutionnalisés et bien balisés. En effet, il apparaît que le travail d’équipe correspond à un « ensemble de cognitions, d’attitudes et de comportements inter-reliés contribuant aux processus dynamiques de l’activité » (Hackman, 1990, p. 3). Comme l’indiquent Baret, Vinot et Dumas (2008, p.7), « un repositionnement des métiers traditionnels de l’hôpital en mettant au cœur la relation : « coordination », « coopération », « collaboration » … s’impose aujourd’hui, dans la mesure où tous expriment l’idée commune de mise en relation, de travail en commun : là où la spécialisation était une des références majeures à la qualification des métiers hospitaliers, l’exigence de coopération a pris le pas ». Si la coopération constitue l’une des « valeurs centrales » de l’hôpital, « un modèle de bon fonctionnement » de l’institution (Gonnet et Lucas, 2003), dans les faits, on observe de nombreux cloisonnements, particularismes, spécialisations. La coordination des membres au sein des équipes peut s’avérer difficile, coûteuse et nécessitant des règles. Chédotel et Krohmer (2014, p.20) citent Pinto et ses coauteurs (1993) qui distinguent notamment deux niveaux des règles propres aux équipes soignantes : « certaines traversent les niveaux hiérarchiques (règles organisationnelles), et d’autres guident localement l’équipe dans son action (règles de l’équipe). Leur enquête qualitative met en évidence un lien positif entre les règles de l’équipe et la collaboration ; la décentralisation de règles organisationnelles génériques permet aussi de réguler les comportements dans les équipes ». Les règles de fonctionnement et d’organisation du travail sont fondamentales pour garantir ces interdépendances et permettre l’échange d’informations d’ordre médical, sur les soins, le comportement du patient.
1.2 – Le travail d’équipe, gérer les interdépendances au sein du collectif
6 Wildman et ses coauteurs (2012) dressent la liste des caractéristiques d’une équipe et mettent au premier plan : l’interdépendance des tâches, suivie du rôle des membres, le leadership, la communication, la répartition de l’équipe dans l’espace, la durée de vie des équipes. L’interdépendance des tâches induit la dépendance des membres. Pour Schweyer (2010), les professionnels sont d’autant plus dépendants les uns des autres que le mouvement de spécialisation s’accentue et que les frontières entre spécialités, autres professions de santé et « nouveaux métiers » sont instables. La délégation des compétences est aussi à l’ordre du jour. Elle interroge directement l’identité des médecins et la définition de leur « vrai métier », mais aussi celle des infirmières soucieuses d’être reconnues comme des partenaires à part entière et non comme de simples exécutantes. Les aides-soignants (AS), qui font le « sale boulot » et que Arborio (2001) qualifie de personnel invisible, cherchent à investir l’espace des relations avec les malades, au prix parfois d’une tension avec les infirmières.
7 L’organisation du travail des soignants est fortement déterminée par « la place » du médecin au sein du service. O’Leary, Motensen et Woolley (2011) présentent quatre interventions jugées efficaces pour améliorer le travail d’équipe à l’hôpital, sans toutefois les évaluer : la localisation des médecins affectés au sein des services (plus de proximité physique et qui accroît la fréquence des interactions entre médecins et infirmières), des outils de communication (tels que des formulaires d’objectifs de soins quotidiens et des checklists notamment pour les opérations chirurgicales qui permettent de structurer la discussion entre les membres de l’équipe), la formation au travail d’équipe (sur la connaissance des principes du travail d’équipe, les attitudes favorables au travail d’équipe et la culture de sécurité), les réunions interdisciplinaires, en particulier lorsque les équipes sont éparpillées dans différents lieux. Le positionnement physique des médecins peut fortement déterminer l’activité des autres acteurs compte tenu des interdépendances nécessaires entre eux.
8 Dans leur étude sur les relations hiérarchiques dans les établissements de santé, Jounin et Wolf (2006, p.88) précisent que « les Infirmières Diplômées d’Etat (IDE) sont collectivement subordonnées aux consignes des médecins et organisent leur travail à partir d’une série d’instructions issues du corps médical ». Les auteurs poursuivent en analysant les relations IDE et AS qui sont de type délégation. L’IDE délègue une partie de ses tâches à l’AS, en retour l’AS est sous la responsabilité de l’IDE. « L’IDE « peut le faire » car les tâches de l’AS sont de son propre rôle mais elle peut ainsi le commander » (Jounin et Wolf, 2006, p. 118). Le rapport précise que le degré d’acceptation des consignes données par les IDE varie selon les personnalités des IDE et AS, selon les orientations et le style de gestion du cadre infirmier. La délégation des tâches est une forme de délégation où aide et contrôle sont étroitement associés (Douguet et Munoz, 2005). Acker (2012, p.62) s’est intéressée à la redistribution des tâches entre AS et IDE, Praticien Hospitalier et IDE. « Les AS sont de plus en plus associées à la gestion des dossiers, des flux et peuvent seconder les IDE dans leurs tâches. Les IDE attendent des médecins une réactivité plus grande (pour ajuster une prescription par exemple) ». Castra (2000) observe aussi une grande proximité entre IDE et médecins dans ces services en lien avec des objectifs partagés (valeur centrale accordée au bien-être du malade). La coopération se concrétise dans la collaboration entre les différentes catégories, laquelle vient redéfinir les frontières entre les professionnels (division souple du travail, chevauchement des tâches, proximité IDE – AS à travers le travail en binôme marqué ici par une moindre distinction des tâches, ce qui contribue à revaloriser le travail de l’AS). Les résultats confirment le besoin de coopération, de mise en relation et de partage signalés par Baret, Vinot et Dumas (2008). Enfin des travaux ont mis en évidence les difficultés à mener un travail d’équipe. Ainsi selon Estryn-Behar et le Nezet (2006, p.4), de nombreux handicaps rendent difficile un travail d’équipe de haut niveau : « la grande taille des équipes, le manque de familiarité, l’instabilité des soignants et des affectations, l’absence d’objectif commun sont des handicaps récurrents dans les structures de soins classiques. Les auteurs soulignent également l’impact de l’inadéquation des locaux de travail ».
1.3 – Le soutien, facteur de cohésion et de confiance au sein de l’équipe
9 Pour Langevin (2004) qui s’est intéressé aux facteurs de performance des équipes du point de vue des managers pour différents types d’équipes, les facteurs informels sont jugés plus essentiels que les facteurs formels. Il montre ainsi que la clarté des objectifs mais surtout les relations au sein de l’équipe marquées par la confiance et l’ambiance sont importantes. Pour Estryn-Behar et Le Nezet (2006, p. 12-13), « le support de collègues, de cadres et de médecins avec lesquels on a l’habitude de travailler réduit l’incertitude et les interruptions, car il permet la connaissance spécifique de l’utilisation des équipements et des particularités des réponses aux questions des patients souffrant d’une pathologie donnée. Le soutien et la solidarité sont des conditions favorables pour améliorer la sécurité et la sérénité des soignants, et la qualité du travail qu’ils réalisent ». Le Lan et Baubeau (2004, p.10) insistent également sur le soutien apporté : « La possibilité d’obtenir du soutien au sein du collectif de travail, voire à l’extérieur, constitue un élément susceptible de contrebalancer une charge mentale élevée. L’aide apportée par la hiérarchie, le personnel médical et les collègues ainsi que la fréquence des situations difficiles où l’on est obligé de se débrouiller seul, reflètent l’existence ou non de ce soutien ». Le comportement de soutien apparaît déterminant au sein des collectifs soignants. Les travaux de Ruiller (2012, p.15) sur le soutien en contexte « d’hôpital entreprise » « montrent l’importance de la composante socio-émotionnelle et la co-existence d’un soutien « professionnel » et d’un soutien à la sphère « personnel » de l’individu, dont l’expression se fait par l’ouverture aux autres, par l’empathie et par la transmission d’émotions positives ». Enfin signalons que des travaux ont également montré qu’un groupe trop soudé peut être moins performant. Peneff (1992, p.183 et p.202) observe les pratiques de solidarité, de cohésion au sein d’un service d’urgences. « Le travail collectif est facilité par la connaissance mutuelle des caractéristiques de chacun (tempéraments, compétences, préférences). Toutefois la direction souhaite au contraire la rotation au sein des équipes pour éviter la constitution de blocs trop soudés ». « L’intensité de la coopération au niveau du service referme le groupe sur lui-même et détourne des problèmes parallèles et de la recherche de solutions collectives à des revendications générales ».
1.4 – Le rôle du cadre hospitalier, l’animateur de l’équipe ?
10 La création et le développement d’un collectif sont le fruit d’un réel travail de la part de l’ensemble des membres de l’équipe et de l’encadrement de proximité. Pour Bourret (2012, p.83 et p.89), qui a étudié le rôle du cadre de santé : « L’activité des cadres est par nature un travail d’articulation…, de mise en relation des logiques, des groupes et des personnes ».[..] mais les référents de l’action ont changé et leur activité est reconfigurée par les nouveaux modes d’organisation ». « L’encadrement a une fonction de lien social, son rôle ne consiste pas seulement à relayer l’information, mais à relier des hommes, des mondes sociaux de plus en plus éclatés ». Si le cadre de santé assure la gestion administrative, la gestion des flux de biens matériels et immatériels intégrant les soins, les hommes et leurs compétences, les entrées et les sorties de patients, il a en plus un rôle attendu de leader lui conférant dès lors, une posture sensée être plus managériale que technique (Dumas, Ruiller, 2013). Ainsi « le cadre va circuler dans l’unité, passer d’une activité de lecture de dossier à la vérification de la présence de matériel, au « tour des malades » dans leur chambre. La communication est construite dans le mouvement, dans les aléas de la rencontre à travers des parcours dans l’unité. Inversement la communication génère de nouveaux mouvements. Même lorsqu’il est immobile lors d’une activité (staff, travail sur son poste informatique) il est potentiellement mobile, n’importe quelle personne pouvant venir le déranger » (Bourret, 2004, p. 4). Dumas et Ruiller (2013) montrent que l’élargissement des rôles du cadre est relatif à son implication dans l’équipe et plus généralement, par rapport aux membres de l’institution et ce, en soulignant l’énergie permanente qu’il déploie dans les décloisonnements interprofessionnels, inter-statutaires et interpersonnels. Toutefois, « l’alimentation des machines de gestion » (au sens de Berry, 1983) bride l’exercice d’animation du collectif et par conséquent, l’expression des « savoirs faire communicationnels » des managers de proximité hospitaliers (Detchessahar et Grévin, 2009).
2 – La méthodologie de la recherche
11 Dans le cadre d’une étude menée pour la Haute Autorité de la Santé, sur le thème Management, GRH et qualité des soins à l’hôpital, nous sommes intervenus dans un centre hospitalier (CH), au sein d’un service de médecine interne (MI) de 58 lits, d’un service d’urgences et d’une unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD) de 6 lits. Cette unité accueille, pour une durée de 24 à 48 heures, des patients provenant majoritairement du service d’urgences situé à proximité. Par ailleurs, nous sommes intervenus dans un autre établissement, une clinique mutualiste (CM) au sein du service d’oncologie. Le recueil de données a été réalisé entre la fin de l’année 2011 et le début de l’année 2012 au sein des 2 établissements retenus. La méthodologie des cas multiples approfondis a été utilisée (Yin, 1984). Parmi les six cas approfondis réalisés nous avons retenu trois cas de services qui présentent des fonctionnements différents, notamment un service conflictuel, un service avec un fonctionnement vertueux et un service avec un fonctionnement perfectible.
12 La méthodologie adoptée dans le cadre de cette étude était essentiellement qualitative et inductive. Notre questionnement repose sur les principes issus de grounded theory (Glaser et Strauss, 1967). Cela veut dire que nous favorisons l’immersion dans le terrain pour reconstruire après exploitation le modèle d’analyse. L’investigation de terrain a débuté par une enquête exploratoire. Cette pré-enquête reposait sur l’usage combiné de deux techniques de recueil de données : l’entretien et l’observation directe. Une première série d’entretiens (de 1 à 2 heures) entièrement retranscrits a été menée auprès des personnels de direction et d’encadrement supérieur plus particulièrement concernés par les questions relatives à la qualité et aux ressources humaines au sein de leur établissement. Ces premiers entretiens avaient pour objectif de prendre connaissance du contexte de l’établissement (organisation, spécificités, évolutions récentes, etc.), de la politique d’amélioration de la qualité propre à l’établissement, à travers son expérience des procédures d’accréditation et de certification achevées ou en cours. A la suite de ces premières entrevues, nous avons réalisé des observations de nature exploratoire au sein des services. Les séquences d’observation ont été programmées de manière à reconstituer in fine une semaine complète d’activité, ce qui nous a conduits à être présents dans les lieux au cours des différents jours de la semaine, mais aussi le week-end et la nuit. Au total, ce sont près de 120 heures d’observation qui ont été ainsi réalisées au sein des services retenus. Ces premières observations étaient assez larges et visaient principalement à situer la nature du contexte étudié (configurations spatiales et matérielles, modalités de fonctionnement et d’organisation, etc.), ainsi que l’activité quotidienne de l’unité (contenu du travail, répartition des tâches entre les différentes catégories professionnelles, savoirs et savoir-faire mobilisés par les soignants, relations de travail, interactions des professionnels avec les malades et les familles, etc). Enfin des entretiens ciblés sur l’usage du dossier du patient (durée moyenne de 1h15 – retranscrits) ont été menés avec des volontaires appartenant aux différentes catégories professionnelles de l’équipe de soins.
Professionnels rencontrés en entretiens
Professionnels rencontrés en entretiens
13 Les services sélectionnés durant notre approche exploratoire, outre les dimensions proprement organisationnelles (composition du personnel, nombre de lits, horaires, etc.), se singularisent par rapport au travail à accomplir. Des services où le rythme de travail est plus soutenu et où le profil des patients relève plutôt d’un traitement ponctuel alors que d’autres services se caractérisent par un rythme plus régulier et où le profil des patients conduit les membres du personnel à adopter d’autres manières de procéder aux soins. Les trois services que nous présentons (voir annexe 1) répondent à nos critères de sélection définis (niveau de programmation de l’activité, place de la technique dans le soin, composition des équipes et diversité du profil des patients) dans le but d’avoir des services relativement différents.
14 La réalisation des entretiens et des observations centrés sur les pratiques professionnelles et le fonctionnement quotidien des équipes de travail s’est appuyée sur plusieurs grilles de recueil des données : guides d’entretien exploratoire et approfondi, grilles d’observation exploratoire et systématique. Les deux grilles exploratoires ont été construites à partir de la revue de littérature (Vega, 2000) et les deux grilles de recueil systématique et approfondi ont intégré, en complément de ces éléments, des items ayant émergé au cours de la phase exploratoire. Ainsi les caractéristiques des équipes identifiées dans la revue de littérature sont la conception du soin partagée, les règles d’équipe et organisationnelles, la stabilité de l’équipe, l’interdépendance, le rôle des membres, le rôle du cadre de santé, la communication, l’esprit d’équipe. L’ensemble des informations a donné lieu à une exploitation de contenu thématique transversale aux 3 services étudiés débouchant sur notre analyse de cas.
3 – Les résultats de la recherche
15 Les données recueillies ont permis de caractériser l’organisation du service, d’identifier les relations de travail avec et entre les acteurs périphériques (les médecins, le cadre de santé, les équipes soignantes) centrées sur l’activité de travail et donc les modes de coordination (tableau 2). Nous reprendrons ici les modes de coordination au sein des équipes, pour présenter les résultats de l’analyse des caractéristiques du fonctionnement des équipes.
Organisation et modes de coordination au sein des services
Organisation et modes de coordination au sein des services
3.1 – Les modes de coopération au sein des équipes
16 En MI, la réorganisation du service et le doublement de la capacité en lits renforcent chez les soignants le sentiment de devoir travailler vite, d’être « au chrono ». La coopération peut être perçue comme impossible ou difficile dans un tel contexte où les conditions de travail sont dégradées et en particulier le rythme de travail est accru. Par ailleurs une division du travail plus accentuée a rendu le partage des tâches entre IDE et AS potentiellement plus conflictuel. En journée, les IDE et AS travaillent séparément et ne fonctionnent pas en binôme. Elles estiment qu’un travail en binôme impose d’avoir plus de personnel ou moins de patients. Les ASH et AS ne travaillent pas davantage en binôme. « J’essaie quand même d’aller voir les AS mais bon, elles font ce qu’elles ont à faire, on fait ce qu’on a à faire » (ASH).
17 Aux urgences du CH, les IDE et les AS travaillent en binôme lorsqu’elles sont affectées à l’accueil des patients. Le plus souvent l’accueil est assuré par l’une ou l’autre de ces professionnelles en fonction de leurs disponibilités respectives. Les autres tâches sont partagées entre les différentes catégories professionnelles. En revanche, les équipes ont la particularité d’être mutualisées entre l’UHCD et les urgences (à l’exception des médecins : trois d’entre eux étant attitrés à l’UHCD). Ainsi, les IDE alternent 6 semaines de travail en UHCD et 7 semaines aux urgences. Cette organisation permet des remplacements mutuels : « on est tous interchangeables » dit un agent à ce propos. Ces modalités semblent être appréciées par l’ensemble des professionnels parce que « cela évite de tomber dans la routine ». Par ailleurs, dans ce service, il n’existe pas d’équipe dédiée au travail de nuit. Faute de volontaires, toutes les 6 semaines, les personnels doivent travailler 5 nuits au cours d’une période d’une quinzaine de jours. D’après le chef de service, ce fonctionnement est positif car « la routine de nuit est toxique pour les équipes » (ambiance particulière, coupure avec l’équipe de jour, absence d’encadrement, etc.). Pour autant, cette alternance peut être vécue plus difficilement par les paramédicaux : « les nuits reviennent souvent », même si ceux-ci en soulignent aussi les avantages : « on est plus souvent chez nous qu’au travail ». Ces spécificités organisationnelles favorisent les pratiques de coopération au sein de l’équipe élargie. Les observations menées in situ dans le service conduisent à souligner le caractère habituel de ces pratiques. A cet égard, de nombreuses formes d’entraide informelle ont pu être repérées entre les personnels de deux unités : une nuit, une IDE de l’UHCD est, par exemple, venue solliciter ses collègues des urgences pour l’aider à prendre en charge un malade dont l’état s’aggravait. Ces formes de coopération, évoquées en termes de « coups de main », s’observent également au sein d’une même unité : par exemple, l’équipe de jour peut rester sur place un peu plus longtemps que le prévoit le planning afin d’épauler l’équipe de nuit qui vient « prendre la relève ». Enfin, ces pratiques dépassent les cloisonnements professionnels : lorsqu’une IDE prépare le transfert d’un malade, la secrétaire de l’UHCD peut se charger de photocopier le dossier du patient afin de l’avancer dans son travail.
18 A la CM, on note une proximité et une facilité d’échange entre les équipes, au sein des équipes, et entre équipe de soins et équipe médicale. Même si c’est le médecin qui décide, il fait participer tout le monde autour des notions de concertation, implication. Le médecin (généraliste) contribue à mettre en place au sein du service un mode organisationnel fondé sur des mécanismes de coordination coopérative, impliquant l’ensemble des équipes de soins. Ces équipes font preuve d’une vraie volonté de partage des informations sur les patients, d’apprentissage et d’absence de résistance à la mise en place de programmes d’amélioration de la qualité des soins. Ces programmes s’appuient aussi sur l’engagement de la direction et notamment sur l’implication du CS afin de mobiliser toutes les équipes de soins. Il ressort de l’étude que l’avis du médecin tient compte de l’avis du patient, de la personne de confiance si le patient ne peut pas s’exprimer, de la famille du patient, des causes de la maladie, de l’état de santé actuel, de l’avis du médecin référent, du médecin traitant, l’avis de l’équipe pluridisciplinaire (assistante sociale, psychologue …), soit un souci de chercher toutes les informations pour le bien du patient.
3.2 – Fonctionnement de l’équipe
19 Au service de MI, l’absence d’un directeur des soins au sein de l’établissement a positionné le cadre de proximité comme responsable des problèmes organisationnels, ce qui a généré de l’épuisement pouvant expliquer l’arrêt maladie d’un cadre. Au plus fort du conflit, le personnel, le tiers du service, est descendu en délégation voir le DRH et le directeur général. Les cadres ont ressenti cela comme une trahison (une des cadres étant d’ailleurs en arrêt maladie depuis cette date). Pour la cadre en activité, « c’était extrêmement violent et ça s’est fait à notre insu », c’était un mal-être évident parce qu’ils ont été traumatisés par ce qui s’est passé ici, « ce déménagement s’est fait à l’arrache ». Nous qualifions cette équipe de soins de dysfonctionnelle.
20 La coopération entre les membres des équipes de l’UHCD et des urgences contribue à entretenir un sentiment de satisfaction au travail au sein de l’équipe. Les différents professionnels des urgences expriment leur contentement à exercer dans un service au sein duquel les soins sont variés et qui leur offre la possibilité d’être « polyvalents ». D’ailleurs, selon la CS, tous ces agents ont choisi de venir travailler dans ce secteur et constate, de fait, qu’ « ils sont heureux au travail ». L’ensemble des professionnels partagent également le sentiment de faire du « bon travail ». La qualité du travail produit par l’équipe est reconnue collectivement sur la base d’un certain nombre d’indicateurs communs. Ainsi, les professionnels soulignent que dans « leur » service, l’accueil et l’évaluation des patients sont extrêmement rapides, « dès le premier coup de sonnette », tout comme leur prise en charge, qui peut intervenir sans que ceux-ci n’aient eu besoin de patienter en salle d’attente. Les performances de « leur service » sont régulièrement comparées à celles des autres services d’urgences du département et caractérisées positivement. Nous qualifions cette équipe d’assez bonne équipe.
21 A la CM, les équipes sont composées d’une IDE, une AS, assistées d’une ASH en journée. Le travail en binôme conduit à s’aider et à une forme d’enrichissement du travail. Le travail dans le service d’oncologie est motivant pour les AS : « le travail ici est plus intéressant par rapport aux soins de suite où on fait un travail plus simple, ça fait un peu maison de repos ou gériatrie, les patients ne sont pas toujours agréables. En plus, les IDE ne nous laissent pas faire certaines tâches. Ici au contraire, on peut aider les IDE » (AS). De même, les ASH ont une perception très positive de leur travail et sentent qu’elles contribuent au confort des patients et à la qualité des soins. Toutes les ASH disent préférer travailler dans les deux secteurs de l’oncologie : « C’est plus riche, on sent qu’on fait partie de l’équipe, on aide les patients pour se lever, changer de position, … ». Cette équipe peut être désignée comme la bonne équipe.
3.3 – Le rôle fédérateur du cadre de santé et parfois du médecin
22 Au service de MI, la CS fait état d’une perte de proximité entre elle et l’équipe et se donne pour mission de donner du sens au travail. La CS tente d’insuffler un esprit d’équipe alors même que son apparent manque de moyens à résoudre les problèmes tend à générer des conflits internes. Sa capacité à créer une dynamique de groupe est remise en cause. Avec l’aide de la cadre supérieure de santé, elle tente de créer du lien entre les membres de l’équipe.
23 Au service des urgences, la CS cherche à insuffler un même esprit d’équipe mais se heurte à des difficultés liées aux modalités mêmes de fonctionnement du service : les personnels « tournent » entre l’accueil des urgences et l’UHCD et alternent entre des périodes de travail de nuit et de travail de jour : « parfois certains ne se voient pas durant un mois ». La CS a mis en place deux moyens pour tenter de dépasser ces difficultés : la participation obligatoire des professionnels - y compris sur leurs temps de repos - à une réunion de service programmée tous les deux mois ; et un cahier de transmissions entre professionnels. De plus, la CS - dont le bureau se situe à proximité immédiate de l’UHCD - se rend plusieurs fois par jour aux urgences et à l’UHCD, notamment pour y faire le point sur « l’état des lits », ce qui lui offre l’occasion d’être en contact direct avec l’ensemble des personnels de l’équipe.
24 A la CM, la CS joue un rôle déterminant dans la mise en place de la démarche Qualité dans le service d’oncologie. Par son implication, elle a réussi à fédérer tous les acteurs du service autour de la démarche et à mettre la qualité des soins des patients et de leur confort, au centre de toutes les préoccupations. Le personnel reconnaît le rôle de la CS comme levier principal de l’amélioration de la qualité et de l’organisation des activités de soins. Elle est perçue plus comme une animatrice et consultante qu’un pur décideur ou contrôleur. L’implication de la CS se traduit par ses visites régulières dans le service, sa participation aux multiples réunions du service, ses rencontres avec le personnel, les patients et leurs familles. La CS assure le relais entre, d’une part, la Direction et la cellule Qualité, et, d’autre part, le service d’oncologie. Elle mène une fonction de coordination intra et inter services du parcours de cancérologie, ce qui légitime la démarche Qualité aux yeux des équipes médicales et renforce leur motivation collective, tournée vers la recherche du bien-être des patients.
25 Le service de MI est conflictuel car l’organisation n’est pas acceptée par l’équipe des soignants et les médecins en place. Le fonctionnement du service des urgences est perfectible sur quelques caractéristiques étudiées : plus de formalisation des outils/supports du travail en équipe et plus d’ouverture et de collaboration avec les autres unités du CH, tout ceci permettant probablement d’améliorer la qualité des soins tout au long du parcours du patient et de décloisonner les prises en charge. La principale différence entre l’équipe des urgences et l’équipe de la CM réside dans l’élargissement des rôles du cadre, relatif à son implication dans l’équipe. Le cadre de la CM déploie une énergie permanente dans les décloisonnements interprofessionnels, inter-statutaires et interpersonnels et donc au développement d’un management intégrateur.
Les trois situations de fonctionnement différentes
Les trois situations de fonctionnement différentes
4 – Discussion
26 Nous poursuivons en discutant les résultats autour de trois points : la structuration des équipes et la répartition des tâches, la communication et la réduction des distances relationnelles, le rôle médiateur du cadre de santé.
4.1 – La structuration des équipes et la répartition des tâches
27 L’analyse des cas étudiés fait ressortir que l’organisation du travail en équipe et les relations qui s’y exercent sont déterminées par l’organisation du service et le pouvoir médical. Dans le modèle de la bonne équipe, le contrôle hiérarchique est remplacé par l’instauration d’une unité d’objectifs et de valeurs. L’implication des ASH est obtenue en leur accordant une part de responsabilité, en les faisant participer activement à la prise de décision, c’est-à-dire de façon générale, en enrichissant leur travail. Cette implication agit positivement sur la fonction d’utilité des ASH, en augmentant leur motivation, leur satisfaction et leur fierté. En agissant ainsi, le service d’oncologie limite les comportements négatifs des agents, source de dysfonctionnements et de nombreux coûts liés à la démotivation, peut s’assurer de leur coopération, augmenter leur productivité et améliorer la qualité des soins. A l’inverse le manque de proximité perçu (au service de MI) peut être vu comme facteur de conflit et de non qualité. Ainsi comme l’évoque le rapport Gheorghiu et Moatty (2005, p.60) « une division du travail plus accentuée a rendu dans de nombreux cas le partage des tâches entre IDE et AS potentiellement plus conflictuel ». Nos résultats signalent que les représentations des rôles notamment des médecins ne sont pas toujours adaptées ; le rôle du médecin n’est pas d’encadrer ou d’être un leader mais son rôle principal est de faire partager son expérience, son savoir, d’expliquer les prescriptions médicales en analysant les dossiers des patients au cours de staffs et ainsi favoriser la proximité cognitive. L’approche par les rôles permet l’analyse des comportements d’ajustement des acteurs dans des situations d’évolution de certaines attentes vis-à-vis des rôles (Burelier et Valette, 2006). Les infirmières et les AS rencontrées (service de MI) regrettent que les médecins expliquent moins leur projet thérapeutique qu’avant. Ce manque d’échange est mal perçu par les équipes, il constitue un facteur de cloisonnement entre médecin et soignants. Le rôle du cadre de santé est aussi souvent incompris par l’équipe et doit être légitimé (MI). Wallick (2002) met en évidence que l’efficacité du cadre de santé de proximité dépend significativement de l’engagement de la direction quant au développement de ses compétences dans le plein exercice de ce rôle de premier RH.
4.2 – Communiquer pour donner du sens à ce qui est fait
28 La comparaison des trois services illustre que plus la taille d’un service augmente (doublement de la capacité en lits au service de MI) et plus la cohésion est affaiblie si l’on ne retrouve pas de nouvelles formes de coopération, plus de temps pour discuter (West et al., 2002). Seules les transmissions orales, les staffs, les réunions de synthèse hebdomadaire mettent en relation les soignants. Par ailleurs les échanges au sein de réseaux externes au service renforcent la cohésion du groupe en faisant intervenir des spécialistes (psychologue…). C’est la conjonction de ces deux formes de proximité qui favorisera la coordination des comportements. Le dossier du patient et les informations qu’il contient sont supposés favoriser la communication entre les acteurs (Dumas, Douguet et Munoz, 2012). Toutefois, c’est moins l’écrit que la communication qui se noue autour de l’écrit qui est important (Detchessahar, 2003). Les échanges se font principalement verbalement dans des cadres précis et relativement formalisés (transmissions, staffs,…). Ainsi, au service des urgences du CH, « tout est dans le dossier, mais on a quand même besoin, on ne peut pas enlever les transmissions orales » (IDE). Si les règles définies au sein des équipes offrent un cadre pour l’action, elles peuvent également favoriser la perte de sens de l’action, notamment dans le cas d’un management absent et d’une absence de partage. A l’inverse, l’échange entre les personnes autour du partage des pratiques de soins favorise la responsabilisation. Les soignants discutent avant d’aller consulter les protocoles. Le doute ou les hésitations sont levés à la consultation des protocoles. Les échanges verbaux et cette proximité physique sont cruciaux. Si les protocoles disent comment on le fait, les échanges avec les médecins apportent des éléments sur le pourquoi. C’est le pourquoi qui apporte du sens, qui donne du sens à ce qui est fait. Le cas du CH illustre une réalité vécue par de nombreux services. Dans la pratique, chaque médecin a un mode de fonctionnement qui lui est propre. Il n’y a pas de coordination, ni de proximité cognitive dans leur fonctionnement et leur organisation. Les médecins recherchent plus la spécialisation et valorisent davantage le temps clinique que les temps d’échange et de coordination au sein des équipes soignantes. La cadre de santé est interrogative sur la capacité des règles organisationnelles à agir sur le comportement des médecins, qui sont (tout comme les soignants) convaincus que les changements dans l’organisation du service (suppression de l’infirmière coordinatrice, taille….) et l’augmentation des tâches administratives (codage) diminuent leur temps médical et par conséquent ils n’adhèrent pas aux règles. Ces résultats sont cohérents avec ceux de Chédotel et Krohmer (2014, p.35) selon lesquels si les règles ne sont pas suffisantes, jouent un rôle déterminant « la définition d’une ligne directrice claire et partagée, la mise en place d’une structure facilitante et la répartition claire des rôles ». La mutualisation d’équipes, le travail en binôme, voire la présence et l’implication plus régulières des médecins auprès de l’équipe, correspondent à des choix organisationnels et individuels qui ne peuvent fonctionner efficacement que si les conditions facilitantes sont présentes. Nous avons constaté que l’équipe ne fonctionne pas bien si de trop nombreuses contraintes exogènes perturbent l’engagement collectif pour le patient. Ainsi, l’organisation ne doit pas être ressentie comme une contrainte (tâches imposées, réunions jugées inutiles, ergonomie des lieux inadaptée,…). L’outil de régulation peut être la mise en discussion du travail car « la discussion permet au premier chef de restaurer les sens du travail » (Detchessahar, 2013, p. 70). Un management de la discussion interviendra dans le cas d’une insuffisance du management de proximité, soit des cadres de santé, à résoudre les problèmes. Il doit permettre la régulation conjointe de l’activité par une expression claire des difficultés et la négociation de règles, la construction d’un compromis (Beaucourt et Louart, 2011). Au service de MI, les difficultés et contraintes du service ont été discutées dans le cadre d’un groupe de travail qui avait pour objectif d’élaborer une charte de service.
29 Nous avons ainsi montré qu’une communication efficace qui contribue aux valeurs et à la quête de sens passe par une taille d’organisation adaptée, un outil partagé tel que le dossier du patient, des médecins qui participent à la coordination par la communication au sein de l’équipe.
4.3 – Le cadre de proximité, agent de médiation
30 Dans ce contexte, à côté d’autres facteurs, le cadre de santé participe à la régulation du fonctionnement des unités de soins. La fonction intégrative du cadre correspond à ce que Crozier nomme le rôle du marginal sécant (Douguet et Munoz, 2005). Cette fonction peut faciliter la négociation des règles entre différents acteurs. En effet, la fonction de cadre se développe principalement dans la médiation. C’est le cas notamment des réunions, où il peut prendre la parole pour défendre un point de vue soignant, c’est lui également qui va rappeler à l’ordre certains médecins pour qu’ils se conforment aux règles définies dans le service (signer les prescriptions par exemple) ; autant d’occasions pour développer son leadership et asseoir son autorité. Comme le souligne le rapport Gheorghiu et Moatty (2005) les positions de médiation et de contrôle se sont multipliées (avec l’apparition des CS), simultanément avec le développement des procédures de régulation et de la coopération directe (les protocoles). La CS de la CM assure le relais entre, d’une part, la Direction et la cellule Qualité, et, d’autre part, le service d’oncologie. Elle mène une fonction de coordination intra et inter services du parcours de cancérologie, ce qui légitime la démarche Qualité aux yeux des équipes médicales et renforce leur motivation collective, tournée vers la recherche du bien-être des patients. La nature des relations entre médecins et personnel soignant est marquée par le développement du rôle des cadres de santé. Comme l’indique Nobre (1998, p. 137), « cela se traduit par le remplacement d’un lien hiérarchique fort et empreint de paternalisme, par une relation de coopération qui réduit les différences de statuts et remet en cause la sphère médicale ». Nous avons montré que le rôle du cadre est de s’assurer de cette relation entre médecin et soignant, en agissant sur l’organisation du service, le respect de règles communes en particulier. Le cadre a plus qu’un rôle de relais, il devient un organisateur. L’étude de Dumas et Ruiller (2013, p. 50) a montré que « le cadre de proximité manager est avant tout celui qui va aider les collaborateurs dans la réalisation de leur travail. L’ « activité managériale » correspond donc au soutien à l’équipe et à la reconnaissance »… « Le cadre assure la vie du service par sa capacité d’écoute active, d’échanges permanents, d’entretien d’un climat relationnel positif et d’assurance de reconnaissance à l’équipe (collectivement et individuellement) ». Son rôle de leader réside donc dans sa compétence à motiver, entraîner et assurer le développement des personnes.
Conclusion
31 Le milieu de l’hôpital, tout au moins dans les grands établissements, préférerait la spécialisation et la haute compétence à la transversalité et aux compétences de coordination. Or nous avons montré que ce maillage entre les médecins et les soignants est un facteur d’efficacité et de coordination des équipes médicales et soignantes. Le travail d’équipe consiste à adopter une bonne coordination qui passe par des proximités nouvelles entre les membres dans le cadre de règles formelles de communication et par le respect de règles d’organisation par les acteurs. Cette coordination est l’affaire de tous mais avec un chef d’orchestre, à savoir le cadre de santé qui organise et gère le travail. Selon l’architecture du service et l’éloignement des médecins, un médecin généraliste peut jouer ce rôle pivot et assurer le maillage entre les médecins et les soignants. Des facteurs plus informels participent à la construction de l’esprit d’équipe. Nos résultats ont montré que le soutien apporté entre collègues favorise la confiance et l’ambiance au travail. Enfin nos résultats mettent en évidence un certain nombre de points de vigilance et de tension, signes d’une dégradation du climat social et de l’esprit d’équipe, et de la qualité du travail d’équipe. Les cas étudiés ont soulevé des problèmes, des échecs de coopération mais aussi des réussites. Dans le cas de la CM, c’est l’apport d’une ressource telle que le médecin généraliste qui a amélioré l’organisation. La légitimité du cadre en tant qu’apporteur de moyens et organisateur soutenu par la direction est un facteur moteur dans la dynamique d’équipe.
Présentation des deux établissements de l’étude
32 Le service investigué à la clinique mutualiste (CM)
33 Le service d’oncologie est composé de 17 lits répartis en 15 chambres, dont deux chambres avec 2 lits. Il est divisé en deux secteurs : le secteur 1 (chambre 200 à chambre 208) et le secteur 2 (chambre 209 à chambre 215, pas de chambre numérotée 213). Les deux secteurs ont été mis en place à partir de janvier 2009, suite à la réorganisation du service, à l’arrivée du médecin à la création de l’hôpital de semaine de chimiothérapie. Les équipes soignantes travaillent par sectorisation, une infirmière, une aide-soignante et un agent de services hospitaliers, par secteur et par tranche horaire. Le service emploie également d’autres professionnels : psychologues, assistante sociale, oncologues, etc. Des réunions hebdomadaires sont organisées afin de coordonner l’activité de l’ensemble du service.
34 Les services investigués au Centre Hospitalier (CH)
35 Le service des urgences et l’Unité d’Hospitalisation de Courte Durée (UHCD) : Les services SMUR-Urgences et UHCD font partie du pôle « plateau technique » de l’hôpital. Les services SMUR-Urgences et UHCD sont placés sous la responsabilité d’un même chef de service (médecin) et d’un même cadre infirmier. L’équipe comprend 12 médecins, 20 IDE, 16 AS, 2 ASH, 2 secrétaires médicales et 3 adjointes administratives. Les personnels soignants sont communs à l’UHCD et aux urgences, les uns et les autres « tournent » entre les deux services sur des périodes de quelques semaines. L’équipe ne comprend aucun personnel de nuit, chacun a l’obligation de travailler en alternance de jour et de nuit. Pour faciliter ce fonctionnement, il est prévu d’uniformiser les horaires des différents soignants sur des séquences de travail de 12 heures.
36 Le service de médecine interne (MI) fait partie du pôle Médecine interne, SSR pneumologie et soins palliatifs. Le point commun entre ces trois services est le soin.
37 Le service de médecine interne est un service jeune, créé début 2008. Il résulte de la fusion de deux unités de 25 lits, chirurgie et obstétrique, installées au rez-de-chaussée du bâtiment et qui ont fermé. Le service est dirigé par un nouveau chef de service (le responsable d’unité de soins). Quelques lits du service de médecine interne sont dédiés aux autres services du pôle. Le service compte de 50 à 54 lits, plus 2 lits supplémentaires. Il accueille des poly-pathologies et recrute par les urgences (80 à 90 % des entrées) et les entrées programmées. Compte tenu du territoire et de son activité, le service accueille des patients en majorité d’âges élevés, malgré l’existence d’un service de médecine gériatrique. Il comprend 6 médecins, 2 cadres ; 17 IDE dont 15 ont un TP à 80 % ; 27 AS ; 5 ASH ; 3 secrétaires. Pour le personnel soignant, le roulement se fait à la journée : matin et après-midi. Le personnel de nuit est volontaire, au moins pour les titulaires.
Bibliographie
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Notes
-
[1]
MCF, HDR, Université de Bretagne Sud, IMABS, IREA/EA 4251 - marc.dumas@univ-ubs.fr
-
[2]
MCF sociologie de la santé, Université Bretagne Sud, LABERS/EA 3149 - florence.douguet@univ-ubs.fr
-
[3]
MCF, Université de Bretagne Sud, IMABS, IREA/EA 4251 - youssef.fahmi@univ-ubs.fr
- [4]