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Article de revue

L'identification des Juifs : l'héritage de l'exposition de 1941, « le Juif et la France »

Pages 170 à 191

Notes

  • [1]
    Cité par Corinne Touati-Pavaux dans « La Séduction de la conspiration : de la représentation de la réalité à la réalité de la représentation », in Les Protocoles des Sages de Sion, II : études et documents, Éd. P.-A. Taguieff (Paris : Berg, 1992), p. 524.
  • [1]
    Cité par George Montandon dans Comment reconnaître le Juif (Paris : Nouvelles Éditions Françaises, 1940), p. 39.
  • [2]
    Cf. La Propagande sous Vichy 1940-1944, Éd. Laurent Gervereau et Denis Peschanski (Paris : BDIC, 1990) et Dominique Rossignol, Histoire de la propagande en France de 1940 à 1944 : L'utopie Pétain (Paris : PUF, 1991).
  • [3]
    Patrick Modiano, La Place de l'Étoile (Paris : Folio, 1968), p. 47.
  • [1]
    La source la plus complète pour des renseignements sur l'exposition de 1941 est le livre de Joseph Billig, L'Institut d'étude des Questions juives : officine française des autorités nazies en France. Les inventaires des archives du Centre de Documentation Juive Contemporaine, vol. III, (Paris : CDJC, 1974). Cf. aussi André Kaspi, « “Le Juif et la France” : une exposition à Paris en 1941 », Le Monde juif, 79 (1975), pp. 8-20.
  • [2]
    Michael R. Marrus and Robert Paxton, Vichy France and the Jews (New York : Basic Books, 1981), p. 211. Paul Sézille fut le premier directeur de l'Institut. Son renvoi, pendant l'été de 1942, coïncide avec la fin de l'organisation.
  • [3]
    André Kaspi, « Le Juif et la France », p. 16.
  • [1]
    J. Marquès Rivière, Le Juif et la France, Catalogue de l'exposition (Paris : 1941), p. 21. Cette phrase est imprimée en majuscules dans le catalogue. Des affirmations semblables sur l'impossibilité d'intégrer les Juifs dans la société française se trouvaient dans la plupart des écrits antisémites de l'époque. Jacques Lesdain, par exemple, écrivit qu'entre « nous, Français, et eux, Juifs, il n'y a aucune affinité possible. Notre esprit est noble, large, facile ; l'esprit du Juif est bas, vulgaire, accapareur » (Comment on reconstruit les peuples [Paris : 1941], p. 35).
  • [2]
    Archives du Centre de Documentation Juive Contemporaine (CDJC) XCIX-16.
  • [1]
    CDJC, XCIX-12. Le livre de Pierre Birnbaum, Un Mythe politique : « la République juive », de Léon Blum à Pierre Mendes France (Paris : Gallimard, 1988) contient une analyse exhaustive des stéréotypes antisémites de Léon Blum et de Pierre Mendes France. Cf. aussi la description de Blum dans le livre de Montandon, Comment reconnaître le Juif, p. 16.
  • [2]
    Marc Knobel, « Un événement bien parisien en 1941 : une cérémonie à la mémoire d'Edouard Drumont », Yod, p. 19 et pp. 60-61.
  • [1]
    Archives de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), Journal 62 41 498.
  • [2]
    Cité par Montandon, 41.
  • [3]
    Sander Gilman, « The Jew's Body : Thoughts on Jewish Physical Difference », in Too Jewish ? Challenging Traditional Identities, Ed. Norman L. Kleeblatt (New York : The Jewish Museum of New York and Rutgers UP, 1996), p. 60. [ « Les Juifs sont intrinsèquement visibles dans la Diaspora européenne, car ils sont si différents de leur entourage ; les Juifs sont intrinsèquement invisibles, car ils ressemblent à tout à chacun. »]
  • [1]
    CDJC LXXV-150.
  • [2]
    Franco Solinas, Mr. Klein, in L'Avant-Scène Cinéma 175 (1er novembre 1976), pp. 1- 25, pp. 43-64. Pour plus de détails sur la carrière de Montandon, cf. Joseph Billig, L'Institut d'étude des Questions juives, pp. 186-205 ; Marc Knobel, « L'Ethnologie à la dérive », Le Monde juif (dec. 1988), pp. 179-192, et aussi « L'Ethnologue à la dérive : George Montandon et l'ethnoracisme », Ethnologie française, XVIII (1988), pp. 107-113 ; Pierre Birnbaum, La France aux Français (Paris : Seuil : 1993), pp. 187-198 ; William Schneider, Quality and Quantity : The Quest for Biological Regeneration in Twentieth-Century France (Cambridge : Cambridge UP, 1991) ; et Herman Lebovics, True France : The Wars over Cultural Identity, 1900-1945 (Ithaca : Cornell UP, 1992).
  • [1]
    Solinas, pp. 8-9.
  • [2]
    Losey lui-même a reconnu que « there wouldn't be a film without this introductory sequence » [ « il n'y aurait pas de film sans cette séquence d'introduction »], Michel Ciment, Conversations with Joseph Losey [London : Methuen, 1985], p. 355.
  • [3]
    CDJC, CXV-110. Voir aussi Birnbaum, La France aux Français, pour d'autres transcriptions des examens raciaux de Montandon.
  • [4]
    Dès 1933 Montandon avait formulé son concept d'ethnie, qui, à la différence de celui de race, prenait en compte les aspects culturels d'une population. Cf. Knobel, « L'Ethnologue à la dérive », 107.
  • [1]
    Par exemple, dans l'examen ethno-racial de Jacques Mering (21 août 1943), Montandon nota : « Statut [du pénis] : fourreau très long (4 cm) nettement délimité par un anneau pigmentaire. Frein et chancrelle intacts. Tout l'aspect en effet d'une circoncision musulmane » (CDJC, CXV-136).
  • [2]
    Dans la scène suivante aussi on ne peut qu'être frappé par la façon dont la femme et son mari (qui, lui aussi, vient de subir un examen ethno-racial) réussissent miraculeusement à préserver leur humanité : « [Le mari] lui prend tendrement la nuque. Elle baisse légèrement la tête, puis s'efforce de lui sourire. Un sourire tendre » (Solinas, 9). La tendresse, cette qualité précieuse et humaine, se trouve parmi ceux qui sont examinés et non ceux qui les examinent.
  • [1]
    Je tiens à remercier Suzanne Langlois d'avoir attiré mon attention sur ce film.
  • [2]
    Billig, op. cit., 173.
  • [1]
    Jacques Renard, lettre à l'auteur, le 7 décembre 1995.
  • [1]
    François Truffaut, Suzanne Schiffman, Jean-Claude Grumberg, The Last Metro, Ed., Mirella Afron and E. Rubinstein (New Brunswick, NJ : Rutgers UP, 1985), pp. 102-103.
  • [1]
    Pour le lien entre les Juifs et l'image des vampires, cf. Michèle Cone, « Vampires, Viruses and Lucien Rebatet : Anti-Semitic Art Criticism During Vichy », in The Jew and the Text, pp. 174-186.
  • [1]
    CDJC, CIII 19 (6).
  • [2]
    Il y a un certain désaccord parmi les critiques littéraires pour savoir si Mondiano a gagné ou perdu quelque chose en tant qu'écrivain quand il a laissé derrière lui le questionnement explicite de son identité juive que l'on trouve dans ses trois premiers romans (La Place de l'Étoile, La Ronde de nuit. Les Boulevards de Ceinture). Cf. Ora Avni, « Patrick Modiano : A French Jew ? » in Discourses of Jewish Identity in Twentieth-Century France, Ed. Alan Astro, Yale French Studies 85 (1994), pp. 227-247.
  • [1]
  • [2]
    Panneau de l'exposition.
  • [1]
    André Langaney, Ninian Hubert van Blijenburgh et Alicia Sanchez-Mazas, Tous parents, Tous différents. Catalogue de l'Exposition du musée de l'Homme (Paris : musée de l'Homme, 1995), p. 64.
  • [1]
    Pour une critique de cette façon de combattre le racisme, cf. le travail de Pierre-André Taguieff, surtout La Force du préjugé. Essai sur le racisme et ses doubles (Paris : La Découverte, 1988) et « Les Métamorphoses idéologiques du racisme et la crise de l'antiracisme », in Face au racisme, vol II, éd. Pierre-André Taguieff (Paris : La Découverte, 1991).
  • [2]
    Jacques Roubaud, Poésie, etcetera : ménage (Paris : Stock, 1995), p. 14.
  • [3]
    André Kaspi, Les Juifs pendant l'Occupation (Paris : Seuil, 1991), p. 55 . Cet article fut modifié le 2 juin 1941 par Vallat.
  • [1]
    Roubaud, op. cit., pp. 15-16.
A Régine Barshak, survivante de la Rafle du Vélodrome d'Hiver, visiteuse de l'exposition de 1941

1On assista, pendant l'Occupation, à une double tentative faite pour séparer les Juifs du reste de la population française. Elle se manifesta, d'une part, par une série de lois qui essayaient de définir qui était juif et quels droits il ou elle possédait ou, plus précisément, ne possédait pas ; d'autre part, sur un plan idéologique et de façon plus extrême, on s'efforça de convaincre les Français que les Juifs étaient dangereux, d'une race différente et infâme et que le Français ordinaire devait apprendre à les reconnaître pour mieux s'en défendre. Cet effort entraîna une campagne de propagande dont le but était de construire un Juif stéréotypé facilement identifiable et vilipendé. Ce stéréotype était de nature physique et morale : la nature peu scrupuleuse du Juif mais aussi son apparence physique étaient présentées afin de transformer la manière dont les vrais Juifs seraient perçus. Dans sa représentation stéréotypée, le corps du Juif devenait ainsi un signifiant destiné non pas à correspondre à une réalité spécifique mais plutôt à créer une réalité.

2Ce processus n'a bien sûr pas commencé avec l'Occupation et nous devons nous rappeler qu'au moment de la condamnation de Dreyfus Barrès a pu parler avec dégoût de la « figure de race étrangère » et du « nez ethnique » de l'officier juif, en dépit du fait que les traits de celui-ci ne ressemblaient guère à ceux du stéréotype traditionnel [1]. Barrès voyait Dreyfus à travers le stéréotype fourni en particulier par Drumont qui avait écrit dans La France juive : « Les principaux signes auxquels on peut reconnaître le Juif restent donc : ce fameux nez recourbé, les yeux clignotants, les dents serrées, les oreilles saillantes, les ongles carrés au lieu d'être arrondis en amande, le torse trop long, le pied plat, les genoux ronds, la cheville extraordinairement en dehors, la main moelleuse et fondante de l'hypocrite et du traître. Ils ont assez souvent un bras plus court que l'autre [1]. »

3Cependant, c'est seulement durant l'Occupation que ce type de « fabrication » du Juif s'inséra dans une politique officielle de discrimination dont le but était de convaincre les Français de la nécessité d'accepter le principe du « nettoyage ethnique ».

4Quels étaient les meilleurs moyens de disséminer cette image stéréotypée du Juif ? Radio, affiches, journaux, revues, films – tous les médias avaient leur utilité dans cette campagne [2]. Mais une exposition permettrait aux promoteurs de l'exclusion raciale de cacher leurs techniques de propagande et leurs discours pseudo-scientifiques derrière une façade pédagogique. Grâce à ses liens institutionnels avec le musée, une exposition fournissait le cadre dans lequel le message antisémite pourrait être transmis avec un maximum d'autorité. On placerait les Juifs devant les visiteurs comme on met en vitrine des créatures exotiques dans les musées d'histoire naturelle. (Patrick Modiano avait donc bien raison de baptiser « Le Juif et la France »« l'exposition zoologique » [3].)

5Cet essai se propose d'examiner trois types de réponses que le souvenir de l'exposition de 1941 – ou du genre d'antisémitisme incarné par elle – a provoquées en France. En premier lieu, il y aura l'effort, surtout au cinéma, de scandaliser le public en le mettant face aux effets déshumanisants d'une politique d'identification et de séparation ethniques. En deuxième lieu, des écrivains, tels que Modiano, essaieront de détruire les stéréotypes des Juifs en présentant une lecture littérale, donc absurde, des types d'accusations antisémites présents dans l'exposition. Enfin, la communauté scientifique tentera de convaincre le grand public de la nature pseudo-scientifique d'un discours raciste basé sur le principe de la différence. Le sentiment, l'ironie et la raison – telles sont les trois armes que l'on utilisera face à la haine antisémite.

6Quoique l'élan premier qui fit naître l'exposition de 1941 fût venu des Allemands, il ne leur fut certainement pas difficile de trouver des Français prêts à participer activement à son organisation [1]. L'Institut d'études des Questions juives (IEQJ), qui mit sur pied l'exposition, avait été créé en mai 1941 par les Allemands essentiellement parce que le Commisariat général aux Questions juives (CGQJ) refusait encore à l'époque de s'impliquer dans une campagne antisémite de type nazi [2]. « Le Juif et la France », qui occupait deux étages dans le palais Berlitz, avenue de l'Opéra, dura du 5 septembre 1941 au 15 janvier 1942, et fut ensuite envoyé à Bordeaux et à Nancy. Même s'il apparut par la suite que l'exposition n'avait pas eu le succès retentissant que les Allemands et leurs collaborateurs français avaient escompté, elle réussit pourtant à attirer près de 200 000 visiteurs, ce qui est loin d'être insignifiant [3].

7Une partie du matériel de l'exposition avait été fournie directement par les nazis, en provenance d'expositions antisémites précédentes qui avaient eu lieu en Allemagne et en Italie ; mais la plupart des éléments se référaient spécifiquement à la situation et aux personnalités françaises. Ainsi, alors que les visiteurs pouvaient trouver presque tous les thèmes habituels de l'antisémitisme transnational (la « conspiration juive » visant la domination culturelle, politique et financière du monde entier ; la nature profondément raciste du judaïsme ; le lien inévitable entre les Juifs et les Bolcheviks, etc.), ils pouvaient aussi visiter plusieurs salles consacrées à 1 '« infiltration juive » en France et au contrôle juif des diverses professions libérales du pays. L'exposition de 1941 cherchait également à établir un lien manifeste entre la législation antijuive de Vichy et des lois similaires édictées dans d'autres pays sous la férule nazie, intégrant de cette façon la France dans la nouvelle Europe nazie. Le message essentiel était clair : « Jamais le Juif n'a pu, ne peut, et ne pourra s'assimiler aux autres peuples [1]. » Impossible donc, pour lui, d'être ou de devenir français.

8Sézille, le directeur de l'IEQJ, parlait dans son introduction au catalogue de l'exposition du besoin urgent d'instruire « le public français sur un sujet qu'il connaît peu, ou mal, ou même pas du tout ». L'exposition, expliquait-il à ses lecteurs, présenterait le Juif dans ses diverses manifestations, si bien que les Français pourraient se défendre, à la fois individuellement et collectivement, « contre l'emprise judaïque » qui les menaçait. Il exprimait l'espoir que l'exposition inspirerait des sentiments d'horreur, de dégoût et de dédain à ses visiteurs, tout en leur donnant une foi renouvelée en une France « enfin débarrassée de ses Juifs ». Ainsi, bien que les organisateurs de l'exposition aient soutenu l'exclusion juridique des Juifs entreprise par le régime de Vichy, voyant en elle un premier pas nécessaire, ils pensaient que seule une mesure radicale mettrait véritablement fin au « problème juif » français : l'expulsion de tous les Juifs du pays.

9C'est dans la partie de l'exposition désignée sur le plan sous le nom d'« étude morphologique » que nous trouvons la présentation la plus claire de la construction pseudo-scientifique et antisémite de la différence physique des Juifs. Un communiqué de presse du 5 septembre 1941 affirmait que l'invisibilité des Juifs dans la société française était due à la surexposition aux traits juifs dans la publicité et le cinéma. Cela avait conduit à une telle déformation du « coup d'œil » des Français qu'ils étaient devenus incapables de reconnaître les Juifs qui se trouvaient parmi eux. Selon le communiqué de presse, l'exposition corrigerait cette déformation débilitante en révélant aux Français « les signes caractéristiques de son ennemi né » [2].

10Quels étaient ces signes ? On les trouvait dans une énorme tête, exposée bien en évidence dans la section morphologique (fig. 1). Tous les traits raciaux décrits par Drumont avec tant de détails épouvantables étaient incarnés dans cette œuvre grotesque. Mais, pour les visiteurs qui désiraient des explications supplémentaires, une vitrine « scientifique » placée à côté de la tête contenait des moulages en plâtre de nez, d'yeux, d'oreilles et de bouches juifs (fig. 2). On encourageait le public à apprendre à reconnaître ces traits typiquement juifs par mesure d'auto-défense : « Faites rapidement votre instruction en consultant des documents. » À l'origine de cette section morphologique se trouvait le travail de Georges Montandon, professeur à l'École d'anthropologie à Paris et auteur du livre Comment reconnaître le Juif, publié en novembre 1940. Nous reviendrons sur ce personnage et son rôle dans la persécution des Juifs dans un moment...

Figure 1

Photographie de la tête juive

Photographie de la tête juive

Photographie de la tête juive

Source : CDJC, CIII 19 (56).
Figure 2

Photographie des moulages des traits juifs

Photographie des moulages des traits juifs

Photographie des moulages des traits juifs

Source : CDJC, CIII 19 (58a).

11Il n'est guère surprenant qu'une photographie sur pied de Léon Blum ait été incluse dans l'exposition, car pour les collaborateurs il était la preuve vivante de la domination juive en France. La surprise vient du fait que cette photographie avait été placée non dans la section consacrée au « Juif à travers l'histoire française » mais dans la même pièce que l'étude morphologique, près d'un panneau intitulé « Visages français ». Le but était d'apprendre aux visiteurs à voir Blum sous les traits d'un Juif, tout comme Barrès avait essayé quarante ans plus tôt d'apprendre au public français à voir Dreyfus comme porteur de tous les traits stéréotypés du Juif. Ainsi, toujours dans le même esprit, un communiqué de presse particulièrement grossier et dégradant, ironisait sur une remarque attribuée à Blum selon laquelle on ne pouvait détecter dans son apparence aucune trace de son origine raciale :

12

Eh Juif ! Elles sont, en effet, spécialement remarquables ces traces, et le visiteur le moins averti ne peut manquer de tiquer au passage devant ta typique figure de crapaud. Avec ce profil convexe, cette vaste oreille, ce nez tombant et cette bouche lippue, la moustache pendant n'est pas gauloise, mais juive, et le faciès serait complet s'il s'adornait de papillotes [1].

13Il n'est pas difficile de déceler la voix de Drumont dans cette diatribe. D'ailleurs, le 24 septembre 1941, le IEQJ rendit hommage à son « illustre » prédécesseur en organisant « une journée Drumont » qui comprenait une cérémonie au palais Berlitz [2]. L'actualité de cet événement était consacrée presque exclusivement à un discours d'un membre de l'IEQJ et était illustrée de nombreuses images tirées de l'exposition, surtout de la section morphologique. L'orateur informait le public que : « Sur cent Français de vieille souche française, 90 % au moins sont de vrais Blancs purs de tout autre mélange racial. Il n'en va pas de même du Juif. Celui-ci est issu de métissages accomplis il y a déjà plusieurs millénaires entre des Aryens, des Mongols et des Nègres. Le Juif a donc un visage, un corps, des attitudes, des gestes qui lui sont propres. Il est réconfortant de voir que le public s'intéresse particulièrement à l'étude des caractéristiques juives qui lui sont présentées dans la section morphologique de l'exposition “Le Juif et la France”. Ainsi, grossit chaque jour le nombre des Français qui, sachant discerner le Juif, pourront se protéger contre ses agissements [1]. »

14Il est clair à présent qu'un paradoxe fondamental sous-tendait l'exposition. D'une part, les organisateurs supposaient que les Juifs avaient réussi à infiltrer et à affaiblir la société française à cause de leur étrange capacité à se mêler à la population en imitant les vrais Français, ce qui les rendait indétectables. Céline n'avait-il pas déclaré que « le petit peuple » ne parvenait pas à reconnaître les Juifs parce que ceux-ci « sont tous camouflés, travestis, caméléons » [2] ? D'autre part, l'exposition renfermait des caricatures et des stéréotypes si extrêmes que l'hypothèse initiale de l'invisibilité des Juifs s'effondrait. Dans un autre contexte, Sander Gilman a récemment formulé ce paradoxe de la façon suivante : « Jews are inherently visible in the European Diaspora, for they look so different from everyone else ; Jews are inherently invisible, for they look like everyone else [3]. » En principe il s'agissait d'apprendre au public l'art difficile de reconnaître les Juifs ; mais l'exposition contenait les traditionnels stéréotypes que n'importe quel Français de l'époque aurait pu identifier sans la moindre formation spéciale. Quelle preuve plus éclatante peut-il y avoir quant au véritable but de l'exposition : la construction d'un Juif stéréotypé et non la reconnaissance ou l'identification de Juifs réels.

15Nous savons, bien sûr, que l'identification des Juifs pendant l'Occupation n'était pas un problème abstrait mais un processus conduisant souvent directement à la déportation et à la mort de l'individu « reconnu ». Puisque même les officiels français « formés » du CGQJ pouvaient à l'occasion trouver pareille identification trop compliquée, ils avaient la possibilité de demander l'opinion de l'« expert en détection de Juifs » Georges Montandon en personne.

16Vers la fin de 1941, Xavier Vallat écrit à un officiel allemand : « À la suite de notre conversation [...] où vous m'avez fait part de l'intérêt qu'il y aurait à adjoindre à l'avis juridique de mon Directeur du Statut des Personnes un avis physiologique émis par un ethnologue pour les cas épineux d'appartenance à la race juive, j'ai l'honneur de vous informer que j'ai offert à M. le Professeur Montandon – qui accepte – de vouloir bien être attaché en qualité d'ethnologue au CGQJ [1]. » De cette manière, Montandon commence à faire des examens physiques officiels afin de déterminer si un individu peut recevoir « un certificat de non-appartenance à la race juive », document précieux délivré en de rares occasions par le CGQJ.

17La première image de Mr. Klein, le film de Joseph Losey, réalisé en 1976, est un gros plan sur le visage d'une femme. Ses yeux sombres et expressifs regardent anxieusement quelqu'un que nous ne voyons pas. Deux mains, appartenant à cette personne invisible, relèvent brutalement la lèvre supérieure de la femme et tirent sa lèvre inférieure pour dévoiler ses gencives. Puis nous entendons la voix de l'examinateur : « Gencives bombées... Léger prognathisme... » Ainsi commence l'examen racial d'une femme juive par Montandon, car, bien que l'examinateur ne soit jamais identifié dans le film, son nom est clairement indiqué dans le scénario [2]. Après les gencives, ce sont les narines de la femme que le professeur mesure, tout en dictant ses observations à une infirmière d'un ton froid, inexpressif : « Narines arquées. Espace naso-labial normal. Cloison très abaissée. » Viennent ensuite la lèvre inférieure (« charnue »), le menton (« manifestation de prognathisme osseux commune aux races non européennes »), le front (« étroit »), les cheveux (« épais, gras luisants »), les oreilles (« normales »), les paupières supérieures (« légèrement tombantes »), son teint (« basané »). Sa conclusion préliminaire ? « Expression générale du faciès plus ou moins judaïque. Mimique non judaïque au cours de l'examen. » Puis il demande à la femme, qui est nue, de traverser le cabinet médical, et il continue à dicter en l'observant : « Hanches naturellement larges et flasques... Plante des pieds plate... absence complète de cambrure. » Conclusion scientifique ? « D'après l'ensemble des données morphologiques et du comportement, le sujet examiné pourrait appartenir à la peuplade de la race sémite, d'ascendance soit judaïque, soit arménienne, soit arabe. En conséquence, le cas est à considérer provisoirement comme douteux. [1] » La femme, en d'autres termes, ne recevra pas son certificat.

18Cette courte séquence d'ouverture constitue un des exemples les plus remarquables de la déshumanisation des Juifs par les Français dans tout le cinéma non documentaire. Il se trouve que c'est aussi la scène la plus poignante de tout le film [2]. Mais dans quelle mesure la réalité historique a-telle été respectée par le cinéaste ? Le plus fidèlement possible puisque la terminologie utilisée par Montandon dans le film reprend presque exactement celle utilisée par le vrai Montandon au cours de ses examens raciaux. Par exemple, le 26 février 1943, le professeur fut appelé à Drancy pour faire l'examen « ethno-racial » d'une certaine Mme Karsenty, divorcée Wallenstein. Après avoir noté ses « antécédents ethniques » ainsi que les événements qui avaient conduit à son arrestation, il établit la liste des traits physiques qu'il jugeait pertinents pour déterminer sa « race biologique » : « Stature surmoyenne. Constitution élancée. Pieds normalement cambrés. Sous-brachycéphalie. Teint légèrement basané. Cheveux bruns. Iris brun. Face plutôt allongée. Pommettes normalement marquées. Fente oculaire rétrécie. Nez fin un peu proéminent ; profil légèrement cave ; base légèrement ascendante ; narine très arquée ; cloison très abaissée. Espace nasio-labial normal, un peu charnu, bouche moyenne ; lèvre inférieure un peu plus forte que la supérieure. Oreilles moyennes ; axe oblique normalement accolées. Expression générale du faciès : plus ou moins judaïque. Mimique : pas judaïque au cours de l'examen. [3] » Les deux dernières phrases apparaissent presque mot pour mot dans le film de Losey.

19Dans le cas de madame Karsenty, nous voyons non seulement la nature peu scientifique de l'examen mais aussi à quel point Montandon fondait ses conclusions sur des preuves non physiques : le nom de l'individu, sa façon de parler, ses papiers officiels, etc. [4]. À la fin de l'examen et après être revenu une fois de plus sur les circonstances de l'arrestation de la femme, sur son divorce avec son mari juif (divorce qui, puisqu'il s'était produit après le 25 juin 1940, ne pouvait pas être « valable au point de vue ethno-racial ») et sur le caractère juif des noms de sa famille, Montandon conclut : « Comme enfin l'examinée n'a aucun papier relatif à une religion – elle est en fait sans religion (comme les demi-Juifs restés du côté juif de la barricade) et que sa morphologie, toute gracieuse qu'en soit l'expression, est assez fortement judaïque, le soussigné estime en conclusion : que l'examinée est à considérer comme Juive. » Il ne fait guère de doute que ces mots équivalaient à une condamnation à mort. Puisque la gracieuse mais juive madame Karsenty était déjà internée à Drancy, la prochaine étape ne pouvait être que la déportation à Auschwitz...

20Les examens raciaux de Montandon devaient souvent être encore plus humiliants que dans le film de Losey. Certains comptes rendus, par exemple, contiennent des descriptions détaillées des pénis, puisque Montandon croyait pouvoir différencier les circoncisions musulmanes et chirurgicales de celles faites selon le rituel juif. [1] Néanmoins, la manière dont il traite la femme dans Mr. Klein est déjà suffisamment dégradante. Les gestes insensibles, presque brutaux, qu'il utilise pour mesurer son corps, son attitude froide et dédaigneuse, sa voix inexpressive, son refus de prendre en considération l'effet de ses remarques sur elle ; son refus, enfin, de la regarder en face – tout cela contribue à dévoiler la croyance de Montandon, à savoir qu'il a à s'occuper d'un sous-homme, d'un être dénué de tout sentiment et de dignité. À ses yeux elle est à peine plus qu'une bête.

21Mais le spectateur est amené à réagir devant le regard déshumanisant de Montandon. En fait, il ne peut qu'être frappé par l'humanité de cette femme, par la dignité qu'elle arrive à préserver malgré la terrible humiliation qui lui est infligée. L'actrice qui joue ce rôle réussit admirablement à suivre les indications du scénario : « Dans ses yeux, on lit la tristesse d'une dignité offensée ». [2] En effet, ses yeux sont si expressifs, si profondément humains que l'on ne peut s'empêcher de partager la peur et l'humiliation qu'elle endure devant son examinateur insensible. Le renversement produit dans cette scène est incontestable : c'est Montandon, l'offenseur de la dignité de la femme, qui apparaît comme moins qu'humain et non la femme, alors qu'elle est censée être indigne de faire partie de l'humanité ; c'est Montandon qui en l'humiliant se dégrade lui-même et montre clairement la vraie nature de l'idéologie raciste qui sous-tend son comportement calculateur et cruel.

22Un renversement semblable se produit dans Blanche et Marie, le film de Jacques Renard en 1985. [1] Cette œuvre, qui n'a malheureusement jamais reçu l'attention critique qu'elle mérite, renferme une reconstitution tout à fait remarquable de la section morphologique de l'exposition « Le Juif et la France ». C'est à ma connaissance le seul film qui fasse directement référence à cette exposition. Cependant, Renard situe l'action du film non à Paris mais dans une petite ville du nord de la France. Il n'y a rien de non historique dans cette transposition, puisque, comme nous l'avons déjà vu, l'exposition a bien fini par voyager jusqu'à Bordeaux et Nancy et qu'à l'origine l'IEQJ avait espéré pouvoir l'envoyer à Lille, Rouen, Rennes, Nantes, Tours, Le Mans, Dijon et Poitiers [2].

23La première chose que l'on voit dans l'exposition, telle qu'elle est représentée dans Blanche et Marie, est l'énorme et grotesque tête de « Juif », installée à côté du panneau enjoignant aux visiteurs d'« apprendre à distinguer un Juif d'un Français ». Puis viennent les grands moulages de plâtre des traits typiques des Juifs ainsi qu'un panneau sur lequel est reproduite la définition du Juif selon un article du « Statut des Juifs » du 2 juin 1941. La caméra s'attarde assez longuement sur ce panneau, si bien que le spectateur ne peut ignorer le fait que l'article est signé de la main de Pétain. D'autres panneaux suivent, dont un qui comprend la photo d'un homme avec la légende : « Français ou Juif ? » Simultanément, une voix sortant d'un haut-parleur donne des explications sur la nature corrompue de la « race juive ».

24Il est curieux cependant de voir que, mise à part cette courte scène, le film ne traite jamais de l'antisémitisme, ni de la persécution des Juifs pendant l'Occupation. En fait, on n'y trouve pas un seul personnage qui puisse être identifié comme juif. Sa préoccupation principale est plutôt de révéler le rôle important des femmes de la classe ouvrière dans la Résistance. Pourquoi donc Renard a-t-il choisi d'inclure une reconstitution si extraordinairement précise de l'exposition « Le Juif et la France » ? Je lui ai posé cette question dans une lettre, et voici sa réponse :

25

J'ai écrit et réalisé Blanche et Marie à la suite de mes documentaires sur les mineurs de charbon du Nord-Pas-de-Calais [Mémoires de la Mine]... Une partie est consacrée à leur attitude pendant la Seconde Guerre. Je retrouvais dans leurs propos ceux de ma mère et j'ai donc décidé de raconter l'histoire de ces femmes.
Beaucoup d'entre elles m'ont parlé de cette exposition, dont ma mère m'avait parlé. Peu de gens par ailleurs m'en avaient parlé, comme il y avait peu de traces de celle-ci dans les travaux des spécialistes.
[...] J'ai finalement, grâce au centre de recherche de Bordeaux, trouvé la trace de cette exposition. [...]
Cette découverte m'a bouleversé, scandalisé. Une fois de plus, le silence entourant cette exposition montrait que la France et les Français ne regardaient pas la vérité en face. Que l'occultation était toujours de mise.
Dès lors, il est devenu évident pour moi de la montrer. Comme j'avais décidé de montrer pleinement “l'activisme forcené” des forces de police françaises et non l'éternel Occupant.
Bien entendu personne dans l'équipe n'avait entendu parler de cette exposition. Mais à la sortie du film, personne n'en a parlé non plus. Ni de l'« activisme forcené ». Personne, 40 ans plus tard n'a voulu voir [1].

26En reliant l'« activisme forcené » de la Milice et de la police française à l'exposition antisémite, Renard cherchait à révéler l'étendue de la complicité de certains Français avec les autorités nazies. Très peu d'Allemands apparaissent dans le film et, quand on les voit, ils sont en général accompagnés par leurs collaborateurs français. Pour Renard, la terreur infligée aux familles des membres de la Résistance et l'horrible torture des Résistants eux-mêmes (les deux étant montrés sans ambages dans le film) ne peuvent et ne doivent être séparés d'une politique qui a conduit dans un premier temps à la propagande antisémite et, plus tard, à la déportation massive des Juifs de France. Ainsi, bien qu'il ne nous montre aucun acte de violence perpétré à l'encontre des Juifs, ni même aucun Juif, le cinéaste indique très clairement que leur persécution, comme celle des Résistants, est due non seulement aux Allemands (l'« éternel Occupant ») mais aussi aux Français qui avaient choisi de collaborer.

27Renard, scandalisé par sa découverte de l'exposition de 1941, essaiera à son tour de scandaliser le public. Pour réussir ce projet, il faut que le public regarde la section morphologique de l'exposition à travers les yeux de Marie (Sandrine Bonnaire). Jeune membre de la Résistance, elle a reçu l'ordre de se rendre à l'exposition afin d'y rencontrer un autre combattant. C'est certainement sa première visite, car elle ne semble pas du tout préparée à ce qu'elle voit. Tandis qu'elle regarde les grands moulages de plâtre des yeux, des nez et des bouches « juifs », ses propres traits, qui au départ trahissent l'incompréhension, laissent vite place à une expression d'horreur – non l'horreur des Juifs que Sézille avait espéré inspirer aux visiteurs de l'exposition mais l'horreur à l'égard de l'exposition elle-même. Le spectateur du film est amené à partager la stupeur de la jeune femme devant les images grotesques d'une propagande grossière ; comme, dans Mr. Klein, il se trouve confronté à cette déshumanisation radicale du Juif qui était partie intégrante de la politique de Vichy et de ses collaborateurs. Mais il est en même temps amené à faire le lien entre la déshumanisation raciale des Juifs et les persécutions politiques et policières subies par les membres de la Résistance.

28Peu de films comptent autant d'exemples du discours antisémite de l'Occupation que Le Dernier Métro de François Truffaut (1980). Il n'est donc guère surprenant que nous entendions un collaborateur (cette fois à la radio) insister encore une fois sur le besoin urgent qu'ont les Français d'apprendre à identifier les Juifs qui se trouvent parmi eux : « Le mal vient de ce que les Français, dans leur plus grande partie, ne savent pas reconnaître les Juifs. S'ils le savaient, ils se tiendraient sur leurs gardes, c'est ce qui n'arrive pas. [1] » Mais Le Dernier Métro rend encore plus problématique le discours antisémite en montrant l'effet qu'il produit sur les Juifs eux-mêmes. « Qu'est-ce que c'est “avoir l'air juif ' ? » C'est la question que se pose Lucas Steiner, le metteur en scène juif qui, durant les mois qu'il a passés à se cacher dans la cave de son théâtre, a écouté et lu d'innombrables attaques contre les Juifs dans la presse collaborationniste. Songeant au mystère de l'identité juive, il s'affuble d'un grand faux nez tiré de sa trousse de maquillage d'acteur et dit à sa femme qu'il « essaie de [se] sentir juif ». Mais pourquoi doit-il mettre ce nez « juif » stéréotypé pour se sentir juif ? Pourquoi doit-il porter le signe physique extérieur qui va lui permettre de correspondre au stéréotype du Juif tel qu'il a été construit par les antisémites ? En proie à une crise de doute, assume-t-il momentanément l'identité que ses persécuteurs essaient sans relâche de lui imposer ?

29On retrouve cette appropriation théâtrale de l'identité stéréotypée des Juifs sur un mode encore plus extrême dans La Place de l'Étoile, roman de Patrick Modiano publié en 1968. Écoutons, par exemple, le vicomte Lévy-Vendôme, trafiquant de femmes françaises sur le marché des esclaves blancs, donner une explication de ses tactiques à son protégé, Raphaël Schlemilovitch : « Il ôta son turban et ajusta un nez postiche démesurément recourbé. “Vous ne m'avez jamais vu dans mon interprétation du Juif Süss ? Imaginez, Schlemilovitch ! Je viens de la marquise, de boire son sang comme tout vampire qui se respecte. [...] Maintenant je déploie mes ailes de vautour. Je grimace. Je me contorsionne. [...] Regardez mes mains, Schlemilovitch ! mes ongles de rapace [1] !” » (p. 137) Comme dans Le Dernier Métro, un Juif s'affuble d'un faux nez pour « devenir » le Juif stéréotypé des antisémites. Mais alors que l'effort fait par Lucas Steiner pour comprendre son identité face à la propagande de ses persécuteurs est teinté de pathétique et de désespoir, la tentative de Lévy-Vendôme produit, au moins en surface, un effet grotesque et douloureusement comique. En outre, le geste de Steiner ne dure que quelques secondes, tandis que l'appropriation de l'identité juive stéréotypée par Lévy-Vendôme et les autres personnages juifs de La Place de l'Étoile constitue l'élément moteur du récit. En effet, au cours du roman, ces personnages réussissent à incarner presque tous les stéréotypes traditionnels que le discours antisémite français a su créer ou s'approprier, et cela, la plupart du temps, sans l'aide d'un nez postiche ou de tout autre type de déguisement. Ils jouent les rôles que les antisémites leur ont donnés avec une verve et une allégresse que le lecteur trouve à la fois comiques et inquiétantes. Et, pourtant, c'est en faisant interpréter littéralement ces rôles à ses personnages que Modiano réussit à révéler le ridicule et l'absurdité des fantasmes antisémites. Dans l'univers de l'auteur, il est presque impossible d'échapper à ces fantasmes ; les personnages juifs (contrairement à Lucas Steiner) ne peuvent simplement enlever un faux nez pour retrouver une identité nationale plus ou moins neutre. Malgré le fait que l'action du livre a lieu dans la France d'après-guerre, c'est-à-dire dans un pays qui a clairement rejeté la politique antisémite de Vichy, les Juifs de Modiano ressentent le besoin de continuer à jouer les rôles que cette politique a voulu leur imposer. Et cela est vrai même des jeunes Juifs qui n'ont pas eu l'expérience directe de l'antisémitisme hallucinatoire de l'Occupation.

30Deux références directes à l'exposition de 1941 dans La Place de l'Étoile révèlent son importance pour Modiano comme étant un des « lieux de mémoire » principaux de l'antisémitisme français. Après avoir hérité d'une fortune, le jeune Schlemilovitch (nom stéréotypé et absurde, par excellence) proclame aux journalistes : « Je suis JUIF. Par conséquent, seuls l'argent et la luxure m'intéressent. On me trouve très photogénique : je me livrerai à d'ignobles grimaces, j'utiliserai des masques d'orang-outang et je me propose d'être l'archétype du Juif que les Aryens venaient observer, vers 1941, à l'exposition zoologique du palais Berlitz (p. 47). » Cherchant désespérément à obtenir et à garder l'attention du public, Schlemilovitch est prêt à se changer en ce Juif stéréotypé tel qu'il fut construit dans l'exposition de 1941, cette créature dangereuse dotée de traits si affreux, si singuliers, si terrifiants. Pour Schlemilovitch il apparaît que n'importe quelle identité, même celle proposée par la section morphologique de l'exposition, vaut mieux que l'absence de toute identité. Mais sa stratégie échoue. Malgré son effort pour incarner tous les traits stéréotypiques du Juif, traits décrits avec tant de détails par les antisémites de Drumont à Montandon, Schlemilovitch ne réussit pas à provoquer la moindre réaction publique. Du coup, il décide de pousser encore plus loin la provocation. Il place sur son yacht des haut-parleurs qui déversent un flot continu de diatribes antisémites. Il est prêt à prendre sur lui toutes les accusations portées par la tradition antisémite à l'encontre des Juifs : « Oui, je dirige le complot juif mondial à coups de partouzes et de millions. Oui, la guerre de 1939 a été déclarée par ma faute. Oui, je suis une sorte de Barbe-Bleue, un anthropophage qui dévore les petites Aryennes après les avoir violées. Oui, je rêve de ruiner toute la paysannerie française et d'enjuiver le Cantal (pp. 47-48). »

31Ces mêmes accusations, qui nous paraissent si absurdes, si aberrantes, furent portées (hélas) le plus sérieusement du monde dans l'exposition de 1941. La conspiration juive pour contrôler le monde ? L'affiche de l'exposition (fig. 3) montre un Juif sous les traits d'un vampire saisissant le globe dans ses serres ; et le catalogue affirme que : « Les Juifs rêvent de dominer le monde et travaillent à la réalisation de ce rêve (p. 29). » Les Juifs responsables du déclenchement de la guerre ? « les Juifs sont à la racine de tous les troubles, toutes les perturbations, tous les conflits, toutes les révoltes du monde moderne (p. 29). » L'exploitation sexuelle des femmes françaises par les Juifs ? « Le jour, c'est l'ouvrier, l'employé, le paysan français qui travaillent pour un Bader, un Lehman, un Gompel ou un L.-L. Dreyfus ; la nuit, ce sont leurs filles, devenues chair à plaisir et danseuses pour vivre, qui montrent leurs cuisses ou leurs épaules pour faire rentrer l'argent de la caisse des Michel, Goldin-Rotteenbourg, Pascal-Rothschild et autres directeurs de boîtes (p. 19). » La destruction de l'identité française ? « Les Juifs, par leurs puissants moyens de propagande (cinéma, maisons d'éditions, agences de diffusion des nouvelles, organisations de toutes sortes), travaillent à tuer le sentiment national, racial, religieux, afin de faire crouler la civilisation échafaudée par les peuples blancs (p. 29). »

Figure 3

Photographie de l'affiche de l'exposition

Photographie de l'affiche de l'exposition

Photographie de l'affiche de l'exposition

Source : CDJC, CIII 19 (8).

32On peut faire le même type de corrélation avec l'exposition de 1941 en ce qui concerne la définition même du Juif que Lévy-Vendôme propose à Schlemilovitch : « Les Juifs sont la substance même de Dieu, mais les non-Juifs ne sont que la semence du bétail ; les non-Juifs ont été créés pour servir le Juif jour et nuit (p. 137). » Et voici des passages que le catalogue de l'exposition prétend tirer des écrits juifs : « Les non-Juifs ont été créés pour servir le Juif jour et nuit » ; « Tous les chrétiens seront exterminés » ; « Les âmes des autres peuples descendent du démon et ressemblent à celle des animaux. La non-Juif est une semence de bétail (pp. 20-21). »

33Ces juxtapositions de passages du roman et du catalogue témoignent du degré auquel Modiano s'est inspiré de la propagande antisémite de l'Occupation et de l'exposition de 1941, en particulier. L'humour noir du roman réside précisément dans l'écart existant entre, d'une part, l'absurdité des auto-accusations de Schlemilovitch et de Lévy-Vendôme et, d'autre part, les conséquences – ô combien tragiques – de telles accusations portées par des antisémites entre 1940 et 1944. L'acharnement avec lequel les personnages de La Place de l'Étoile cherchent à incarner les stéréotypes antisémites produit une atmosphère d'absurdité si grotesque que le lecteur a du mal à imaginer que quiconque ait pu prendre ces stéréotypes au sérieux. Et, pourtant, ce fut le cas à peine vingt-cinq ans plus tôt.

34En jouant le rôle du Juif tel qu'il fut représenté dans l'exposition de 1941, Schlemilovitch cherche aussi à imiter son père, car nous apprenons que la photographie de ce dernier « figurait à l'exposition antijuive du palais Berlitz, agrémenté de cette légende : “Juif sournois. Il pourrait passer pour un Sud-Américain” ». Le père joue avec les stéréotypes pendant l'Occupation tout comme son fils le fera plus tard : « Mon père ne manquait pas d'humour : il était allé, un après-midi, au palais Berlitz et avait proposé à quelques visiteurs de leur servir de guide. Quand ils s'arrêtèrent devant sa photo, il leur cria : “Coucou, me voilà !” On ne parlera jamais assez du côté m'as-tu-vu des Juifs (p. 56). » Le fait même que les visiteurs n'ont pas remarqué que Schlemilovitch père est juif, bien qu'ils soient censés mieux le reconnaître grâce aux moulages et photographies de l'exposition, montre toute l'absurdité de ce projet d'identification raciale.

35Mais au moment même où il révèle l'incohérence de l'idéologie raciste de la différence physique, Modiano réussit à ridiculiser un autre stéréotype – celui du « côté m'as-tu-vu » des Juifs. Ce prétendu comportement – qui est en contradiction, d'ailleurs, avec la croyance affichée que les Juifs veulent surtout éviter tout risque d'identification – est bien incarné par le père de Schlemilovitch qui n'hésite jamais à se mettre en avant, même dans les situations les plus dangereuses pour lui. Il y a ici, me semble-t-il, un indice qui nous permettra de mieux comprendre le style que Modiano a choisi d'employer dans ce premier roman, un style que l'on pourrait caractériser de style « m'as-tu-vu ». Le roman s'ouvre par des pastiches remarquables du vitriol antisémite de Céline et Rebatet. Par la suite, le lecteur trouvera des imitations saisissantes de Sartre, de Proust, de Mauriac... En adoptant le style du pastiche, Modiano se conforme lui-même au stéréotype de l'écrivain juif que l'on pouvait trouver dans l'exposition de 1941. En effet, dans une partie de l'exposition consacrée à l'infiltration des Juifs dans les professions et à leur influence dangereuse, nous trouvons la définition suivante de l'écrivain juif :

36

L'Écrivain juif « produit », « lance » et « vend ». Les écrivains juifs trahissent surtout, dans leurs œuvres, leur inquiétude raciale et leurs perversions sexuelles. Ils sont, par tempérament, destructeurs de tous beaux (sic), vieilles coutumes françaises, mœurs honnêtes de la province, respect de la patrie et des croyances. Le plagiat et le scandale ne sont pour eux que des moyens de se pousser. [1]

37La Place de l'Étoile constitue la réponse de Modiano à cette définition. Étant donné que les personnages juifs du roman se sentent obligés d'incarner à la lettre les stéréotypes de la tradition antisémite, est-il si surprenant que l'auteur lui-même ait ressenti une obligation similaire ? En tant que jeune écrivain juif de l'après-guerre, Modiano semble dire à ses lecteurs : « Vous m'avez défini ainsi. Alors, regardez-moi, je serai ainsi. » Mais, comme dans le cas de ses personnages, c'est en acceptant ce rôle, en assumant avec vengeance l'identité de « l'écrivain juif français » tel que l'ont défini les antisémites de 1941, que Modiano réussira à détruire le stéréotype. Et, paradoxalement, c'est en imitant – puisqu'on lui avait dit qu'il ne savait faire que cela – qu'il trouvera sa propre voix littéraire, une des voix les plus originales de la littérature française contemporaine [2].

38La dernière forme de réponse à l'antisémitisme à laquelle j'ai fait allusion au début de cet article est celle du scientifique qui essaiera de montrer la fausseté des théories racistes en s'appuyant sur les preuves de la science moderne. L'exemple le plus parlant de ce type de réponse se trouve dans l'exposition « Tous parents, Tous différents » que l'on peut voir au musée de l'Homme à Paris depuis 1992. Il est vrai que cette exposition ne fait aucune référence à l'exposition antérieure du palais Berlitz ; néanmoins, dans sa tentative de montrer l'impossibilité de toute classification raciale fondée sur des caractéristiques physiques, celle-là peut être considérée comme la réponse directe à la pensée pseudo-scientifique qui s'affichait dans celle-ci, surtout dans sa section morphologique. Le message essentiel de l'exposition du musée de l'Homme est que tous les hommes, malgré les différences physiques qui existent entre les individus et les populations (« tous différents »), ont en commun un patrimoine génétique et donc un même héritage (« tous parents »).

39En entrant dans l'exposition, le visiteur voit d'abord un vestiaire dans lequel des silhouettes d'hommes et de femmes de différentes origines raciales se déshabillent. Ce vestiaire, comme celui de Mr. Klein, révèle le corps humain dépouillé de tout objet culturel (vêtements, bijoux, etc.) qui puisse masquer son apparence. Il s'agit de nous faire comprendre que les différences qui se révèlent entre ces corps, et qui sont parfois assez frappantes, ne peuvent être considérées comme des signes clairs et dépourvus d'ambiguïté d'appartenance à des groupes raciaux spécifiques. Dans la salle suivante est présentée l'énorme diversité des caractères physiques des hommes : la couleur des yeux, des cheveux et de la peau ; la texture des cheveux ; la forme des traits et de la tête, etc. En outre, le visiteur a la possibilité de mesurer certains aspects de sa propre apparence ; il « est ainsi peu à peu amené à réaliser que chaque individu est une combinaison originale [...] de caractères visibles, quelle que soit son origine. Par ailleurs, il existe une telle variabilité de ces caractères au sein des populations que leurs distributions se recoupent d'une population à l'autre. [1] » Donc, les mêmes signes que ceux qui furent présentés dans « Le Juif et la France » afin de convaincre le public du principe de la différence raciale sont employés dans « Tous parents, Tous différents » avec l'intention inverse, puisqu'il s'agit de montrer qu'il « est impossible de diviser l'humanité sur la base des caractères physiques. [2] »

40Après avoir amené le visiteur à tirer une conclusion semblable en ce qui concerne les différences génétiques (cachées), l'exposition se termine par une section intitulée « Les Classifications arbitraires des hommes ». C'est ici que l'on trouve la réponse la plus explicite à la construction des stéréotypes qui fut au cœur de l'exposition de 1941. Un panneau (« L'Illusion des Races ») nous apprend que « les classifications raciales ne donnent pas de résultats cohérents et que les “races” n'ont rien de scientifique ». Et, plus loin, un autre panneau se réfère explicitement à des tentatives malencontreuses visant à entreprendre précisément de telles classifications : ces « classifications confondent des caractères biologiques visibles avec des aptitudes ou des traits mentaux arbitrairement proclamés. Certains ouvrages pseudo-scientifques ne visaient qu'à justifier le mépris des autres ». Parmi ces tentatives malencontreuses, les organisateurs de l'exposition mentionnent la politique raciale de l'Allemagne nazie, la ségrégation des Noirs aux États-Unis et, plus généralement, le racisme des colonisateurs européens depuis le xve siècle. Pas un mot, cependant, sur l'exposition de 1941 et sur la politique antisémite de Vichy...

41Il est clair que le but principal de « Tous parents, Tous différents » est de combattre les formes les plus récentes de racisme, un racisme dirigé en France essentiellement contre les populations d'immigrés. Quand l'exposition dénonce « une propagande irresponsable [qui] prend prétexte des couleurs, des bruits, des religions ou des odeurs pour dissimuler un rejet de l'autre » [1] et insiste sur la viabilité de l'assimilation de populations étrangères, elle prend pour cible principale les tentatives du Front national pour créer des distinctions entre les vrais et les faux Français. Néanmoins, on peut aussi entendre dans ce discours antiraciste une réponse à la doctrine prônée par les antisémites de l'Occupation. Dans le catalogue de l'exposition de 1941 on insiste sur l'impossibilité pour les Juifs de s'assimiler à la population française ou, même, à toute autre population ; dans le catalogue de l'exposition du musée de l'Homme, c'est la position inverse qui est affirmée : « Dans les grandes villes, où de vastes communautés étrangères se sont assimilées depuis longtemps tout en conservant certaines habitudes de leurs pays d'origine, l'origine ethnique ou les caractères physiques différents deviennent vite négligeables quand, à la deuxième ou à la troisième génération, tout le monde parle la même langue et fréquente les mêmes lieux de travail et de distraction (p. 64). » En insistant sur la viabilité de l'assimilation « Tous parents, Tous différents » passe de l'analyse biologique à l'analyse sociologique. On peut constater un mouvement parallèle dans « Le Juif et la France », bien que sa science n'ait été rien d'autre que de la pseudo-science et son ordre du jour social rien de moins que le « nettoyage ethnique » [1].

42J'aimerais conclure par un petit texte du poète Jacques Roubaud qui, à l'instar de l'exposition du musée de l'Homme, s'attaque à la fois à l'antisémitisme des années trente et quarante et au racisme du Front national de Le Pen. Pourtant, la méthode de Roubaud n'est pas l'explication scientifique mais l'ironie et la réduction à l'absurde.

43Dans son introduction à « Le Pen est-il français ? », Roubaud remarque avec ironie que, si la France a récemment emprunté aux Allemands « la conception d'un mouvement politique à tendances fascistes », c'est uniquement pour « montrer qu'elle n'en voulait pas à l'Allemagne de certains malentendus survenus dans leur commune histoire récente ». (La dette de la France envers l'Allemagne me semble exagérée ici, car il serait plus juste de dire que le Front national a émergé plus ou moins directement de la tradition xénophobe des mouvements d'extrême droite propres à la France.) Roubaud poursuit en constatant que le slogan du Front national, « La France aux Français », implique non seulement que la France doit « se débarrasser des étrangers » mais que ceux-ci peuvent être distingués « d'une façon claire et indiscutable des Français [...] » [2]. Et nous voilà de retour, une fois de plus, à cette activité obsessionnelle des collaborateurs antisémites de l'Occupation : l'identification du Juif, si paradoxalement visible et invisible, afin de pouvoir, par la suite, se débarrasser définitivement de lui. Bien que Roubaud ne se réfère pas directement aux statuts de Vichy concernant les Juifs – sa référence semble être plutôt aux lois raciales de l'Allemagne nazie –, il est impossible de ne pas entendre un écho de ces statuts dans la définition qu'il cite de Le Pen : « Est français celui ou celle dont les deux parents sont français (p. 15). » L'article 1er du statut du 3 octobre 1940 affirme : « Est regardé comme juif [...] toute personne issue de trois grands-parents de la race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est juif. [3] » Et il ne faut pas oublier que les organisateurs de l'exposition de 1941, malgré leur conviction que les lois antijuives de Vichy étaient insuffisantes pour débarrasser la France de ses Juifs, avaient décidé d'y inclure un grand panneau contenant des extraits de ce statut.

44Malheureusement, Roubaud ne rend jamais explicite ce lien crucial entre le discours du Front national et le discours antisémite de Vichy, discours qui a été seulement en partie inspiré par les nazis. Néanmoins, la réponse que fait Roubaud aux tentatives du Front national pour définir les Français authentiques mérite d'être citée en entier, car elle révèle non seulement la nature fondamentalement problématique de ce genre de définition exclusioniste, qu'elle date de 1941 ou de 1994, mais aussi la façon dont le souvenir de la construction de la différence juive pendant l'Occupation continue d'influencer le discours antiraciste en France. Et, enfin, cela nous rappellera aussi que parler de détecter les « faux Français » grâce à diverses stratégies d'identification continue à faire partie du discours politique en France à la fin de ce siècle. Voici donc en guise de conclusion le « poème » de Roubaud (qui, nous dit-il, doit être lu aussi vite que possible) :

45

Le Pen est-il français ?
Si Le Pen était français, selon la définition de Le Pen, cela voudrait dire que, selon la définition de Le Pen, la mère de Le Pen et le père de Le Pen auraient été eux-mêmes français, selon la définition de Le Pen, ce qui signifierait que, selon la définition de Le Pen, la mère de la mère de Le Pen ainsi que le père de la mère de Le Pen ainsi que la mère du père de Le Pen, sans oublier le père du père de Le Pen, auraient été, selon la définition de Le Pen, français et, par conséquent, la mère de la mère de la mère de Le Pen ainsi que celle du père de la mère de Le Pen ainsi que celle de la mère du père de Le Pen et celle du père du père de Le Pen auraient été français, selon la définition de Le Pen, et de la même manière et pour la même raison le père de la mère de la mère de Le Pen ainsi que celui du père de la mère de Le Pen ainsi que celui de la mère du père de Le Pen et que celui du père du père de Le Pen auraient été français, toujours selon la même définition, celle de Le Pen
d'où on déduira sans peine et sans l'aide de Le Pen en poursuivant le raisonnement
ou bien qu'il y a une infinité de Français qui sont nés français selon la définition de Le Pen, ont vécu et sont morts français, selon la définition de Le Pen depuis l'aube du commencement des temps ou bien
que Le Pen n'est pas français, selon la définition de Le Pen [1].

Notes

  • [1]
    Cité par Corinne Touati-Pavaux dans « La Séduction de la conspiration : de la représentation de la réalité à la réalité de la représentation », in Les Protocoles des Sages de Sion, II : études et documents, Éd. P.-A. Taguieff (Paris : Berg, 1992), p. 524.
  • [1]
    Cité par George Montandon dans Comment reconnaître le Juif (Paris : Nouvelles Éditions Françaises, 1940), p. 39.
  • [2]
    Cf. La Propagande sous Vichy 1940-1944, Éd. Laurent Gervereau et Denis Peschanski (Paris : BDIC, 1990) et Dominique Rossignol, Histoire de la propagande en France de 1940 à 1944 : L'utopie Pétain (Paris : PUF, 1991).
  • [3]
    Patrick Modiano, La Place de l'Étoile (Paris : Folio, 1968), p. 47.
  • [1]
    La source la plus complète pour des renseignements sur l'exposition de 1941 est le livre de Joseph Billig, L'Institut d'étude des Questions juives : officine française des autorités nazies en France. Les inventaires des archives du Centre de Documentation Juive Contemporaine, vol. III, (Paris : CDJC, 1974). Cf. aussi André Kaspi, « “Le Juif et la France” : une exposition à Paris en 1941 », Le Monde juif, 79 (1975), pp. 8-20.
  • [2]
    Michael R. Marrus and Robert Paxton, Vichy France and the Jews (New York : Basic Books, 1981), p. 211. Paul Sézille fut le premier directeur de l'Institut. Son renvoi, pendant l'été de 1942, coïncide avec la fin de l'organisation.
  • [3]
    André Kaspi, « Le Juif et la France », p. 16.
  • [1]
    J. Marquès Rivière, Le Juif et la France, Catalogue de l'exposition (Paris : 1941), p. 21. Cette phrase est imprimée en majuscules dans le catalogue. Des affirmations semblables sur l'impossibilité d'intégrer les Juifs dans la société française se trouvaient dans la plupart des écrits antisémites de l'époque. Jacques Lesdain, par exemple, écrivit qu'entre « nous, Français, et eux, Juifs, il n'y a aucune affinité possible. Notre esprit est noble, large, facile ; l'esprit du Juif est bas, vulgaire, accapareur » (Comment on reconstruit les peuples [Paris : 1941], p. 35).
  • [2]
    Archives du Centre de Documentation Juive Contemporaine (CDJC) XCIX-16.
  • [1]
    CDJC, XCIX-12. Le livre de Pierre Birnbaum, Un Mythe politique : « la République juive », de Léon Blum à Pierre Mendes France (Paris : Gallimard, 1988) contient une analyse exhaustive des stéréotypes antisémites de Léon Blum et de Pierre Mendes France. Cf. aussi la description de Blum dans le livre de Montandon, Comment reconnaître le Juif, p. 16.
  • [2]
    Marc Knobel, « Un événement bien parisien en 1941 : une cérémonie à la mémoire d'Edouard Drumont », Yod, p. 19 et pp. 60-61.
  • [1]
    Archives de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), Journal 62 41 498.
  • [2]
    Cité par Montandon, 41.
  • [3]
    Sander Gilman, « The Jew's Body : Thoughts on Jewish Physical Difference », in Too Jewish ? Challenging Traditional Identities, Ed. Norman L. Kleeblatt (New York : The Jewish Museum of New York and Rutgers UP, 1996), p. 60. [ « Les Juifs sont intrinsèquement visibles dans la Diaspora européenne, car ils sont si différents de leur entourage ; les Juifs sont intrinsèquement invisibles, car ils ressemblent à tout à chacun. »]
  • [1]
    CDJC LXXV-150.
  • [2]
    Franco Solinas, Mr. Klein, in L'Avant-Scène Cinéma 175 (1er novembre 1976), pp. 1- 25, pp. 43-64. Pour plus de détails sur la carrière de Montandon, cf. Joseph Billig, L'Institut d'étude des Questions juives, pp. 186-205 ; Marc Knobel, « L'Ethnologie à la dérive », Le Monde juif (dec. 1988), pp. 179-192, et aussi « L'Ethnologue à la dérive : George Montandon et l'ethnoracisme », Ethnologie française, XVIII (1988), pp. 107-113 ; Pierre Birnbaum, La France aux Français (Paris : Seuil : 1993), pp. 187-198 ; William Schneider, Quality and Quantity : The Quest for Biological Regeneration in Twentieth-Century France (Cambridge : Cambridge UP, 1991) ; et Herman Lebovics, True France : The Wars over Cultural Identity, 1900-1945 (Ithaca : Cornell UP, 1992).
  • [1]
    Solinas, pp. 8-9.
  • [2]
    Losey lui-même a reconnu que « there wouldn't be a film without this introductory sequence » [ « il n'y aurait pas de film sans cette séquence d'introduction »], Michel Ciment, Conversations with Joseph Losey [London : Methuen, 1985], p. 355.
  • [3]
    CDJC, CXV-110. Voir aussi Birnbaum, La France aux Français, pour d'autres transcriptions des examens raciaux de Montandon.
  • [4]
    Dès 1933 Montandon avait formulé son concept d'ethnie, qui, à la différence de celui de race, prenait en compte les aspects culturels d'une population. Cf. Knobel, « L'Ethnologue à la dérive », 107.
  • [1]
    Par exemple, dans l'examen ethno-racial de Jacques Mering (21 août 1943), Montandon nota : « Statut [du pénis] : fourreau très long (4 cm) nettement délimité par un anneau pigmentaire. Frein et chancrelle intacts. Tout l'aspect en effet d'une circoncision musulmane » (CDJC, CXV-136).
  • [2]
    Dans la scène suivante aussi on ne peut qu'être frappé par la façon dont la femme et son mari (qui, lui aussi, vient de subir un examen ethno-racial) réussissent miraculeusement à préserver leur humanité : « [Le mari] lui prend tendrement la nuque. Elle baisse légèrement la tête, puis s'efforce de lui sourire. Un sourire tendre » (Solinas, 9). La tendresse, cette qualité précieuse et humaine, se trouve parmi ceux qui sont examinés et non ceux qui les examinent.
  • [1]
    Je tiens à remercier Suzanne Langlois d'avoir attiré mon attention sur ce film.
  • [2]
    Billig, op. cit., 173.
  • [1]
    Jacques Renard, lettre à l'auteur, le 7 décembre 1995.
  • [1]
    François Truffaut, Suzanne Schiffman, Jean-Claude Grumberg, The Last Metro, Ed., Mirella Afron and E. Rubinstein (New Brunswick, NJ : Rutgers UP, 1985), pp. 102-103.
  • [1]
    Pour le lien entre les Juifs et l'image des vampires, cf. Michèle Cone, « Vampires, Viruses and Lucien Rebatet : Anti-Semitic Art Criticism During Vichy », in The Jew and the Text, pp. 174-186.
  • [1]
    CDJC, CIII 19 (6).
  • [2]
    Il y a un certain désaccord parmi les critiques littéraires pour savoir si Mondiano a gagné ou perdu quelque chose en tant qu'écrivain quand il a laissé derrière lui le questionnement explicite de son identité juive que l'on trouve dans ses trois premiers romans (La Place de l'Étoile, La Ronde de nuit. Les Boulevards de Ceinture). Cf. Ora Avni, « Patrick Modiano : A French Jew ? » in Discourses of Jewish Identity in Twentieth-Century France, Ed. Alan Astro, Yale French Studies 85 (1994), pp. 227-247.
  • [1]
  • [2]
    Panneau de l'exposition.
  • [1]
    André Langaney, Ninian Hubert van Blijenburgh et Alicia Sanchez-Mazas, Tous parents, Tous différents. Catalogue de l'Exposition du musée de l'Homme (Paris : musée de l'Homme, 1995), p. 64.
  • [1]
    Pour une critique de cette façon de combattre le racisme, cf. le travail de Pierre-André Taguieff, surtout La Force du préjugé. Essai sur le racisme et ses doubles (Paris : La Découverte, 1988) et « Les Métamorphoses idéologiques du racisme et la crise de l'antiracisme », in Face au racisme, vol II, éd. Pierre-André Taguieff (Paris : La Découverte, 1991).
  • [2]
    Jacques Roubaud, Poésie, etcetera : ménage (Paris : Stock, 1995), p. 14.
  • [3]
    André Kaspi, Les Juifs pendant l'Occupation (Paris : Seuil, 1991), p. 55 . Cet article fut modifié le 2 juin 1941 par Vallat.
  • [1]
    Roubaud, op. cit., pp. 15-16.
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