Notes
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[1]
Cet article est issu de réflexions menées au sein du secrétariat général du Conseil d’orientation des retraites (Cor) dans le cadre de la préparation du 6e rapport du Cor consacré aux droits familiaux et conjugaux (Cor, 2008). Les principaux éléments de cet article ont été repris dans ce rapport. L’ensemble des vues exprimées dans cet article n’engage cependant que les auteurs et en aucune façon le Conseil d’orientation des retraites.
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[2]
Les données brutes de l’enquête CAMS (Consumption and Activities Mail Survey) mettent en évidence une chute des dépenses de 25% dans l’année qui suit le décès. Cependant, les dépenses baissent aussi légèrement dans le groupe témoin (couples de retraités où aucun décès n’est intervenu) à cause des biais liés à la source, de sorte que les auteurs estiment la chute moyenne de consommation dans l’année qui suit le veuvage à 16%. Ces observations ne constituent pas une mesure de l’échelle d’équivalence. En effet, l’évolution des dépenses ne reflète l’évolution des besoins que pour des ménages d’épargnants qui ne sont pas contraints budgétairement. Pour des ménages contraints budgétairement, l’évolution des dépenses reflète surtout l’évolution des revenus.
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[3]
Les personnes âgées peuvent éprouver plus de difficultés que les personnes plus jeunes à adapter leur mode de vie à un changement de composition du ménage, car leur comportement de consommation est davantage marqué par le désir de conserver leurs habitudes.
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[4]
Par exemple, en matière de transports, l’automobile est moins rentable pour une personne seule que pour un couple, tandis que les transports en commun deviennent plus attractifs; le survivant peut donc avoir intérêt à revendre l’automobile du couple ou à choisir une voiture moins onéreuse.
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[5]
Par exemple, dans l’enquête « ERFI » réalisée par l’Insee et l’Ined auprès d’un échantillon de ménages, où une question sur le taux de réversion souhaitable a été introduite, une majorité d’enquêtés s’est prononcée en faveur d’un taux de réversion à 100%, dans le cas d’une veuve n’ayant jamais travaillé (Bonnet, Destré, 2008).
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[6]
Le barème du minimum vieillesse (montant 1,8 fois plus élevé pour le couple que pour la personne seule) est demeuré proche de l’échelle d’Oxford jusqu’en 2008. Cependant, la revalorisation du minimum vieillesse versé aux personnes seules prévue dans la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) 2009 devrait rapprocher le barème de l’échelle standard, sous réserve des décrets d’application de cette loi. Voir à ce sujet l’article de Augris N. et Bac C., p. 14 de ce numéro.
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[7]
Voir Atkinson et al. (OCDE, 1995), ou le rapport « Croissance et inégalités » (OCDE, 2008).
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[8]
Si l’on observe dans les enquêtes qu’une personne vivant seule avec un budget de 1000 euros par mois dépense autant pour ses vêtements qu’une personne vivant dans un couple sans enfant dont le budget est de 1500 euros, alors l’échelle d’équivalence est estimée à 1,5.
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[9]
Si, au vu des déclarations des ménages, une personne vivant seule avec un budget de 1000 euros par mois se déclare aussi à l’aise financièrement qu’une autre personne vivant dans un couple sans enfant dont le budget est de 1500 euros, alors l’échelle d’équivalence est estimée à 1,5.
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[10]
Voir Atkinson et al. (OCDE, 1995).
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[11]
Le terme de bien collectif est employé par analogie avec l’économie publique. Mais ici, il s’agit de biens collectifs à l’intérieur du ménage.
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[12]
Les paramètres de l’échelle d’Oxford avaient été calculés dans les années 1940 à partir des besoins nutritionnels, en supposant que ceux de la femme représentaient 70% de ceux de l’homme. À cette époque, l’alimentation représentait plus de la moitié des budgets ouvriers.
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[13]
On pourrait vouloir estimer des échelles d’équivalence sur des sous-populations. Les tentatives faites dans la littérature mettent cependant en évidence l’instabilité des résultats.
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[14]
Les femmes consomment plus de soins médicaux (hors maternité) que les hommes.
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[15]
Les situations de dépendance ne concernent qu’une minorité de personnes âgées, et sont extrêmement variables. Si la personne veuve souffre de handicap ou de dépendance et qu’elle était assistée par son conjoint défunt, elle devra recourir à des services marchands, et elle risque ainsi d’avoir des besoins plus importants après le décès qu’avant. Inversement, si c’était le défunt qui était dépendant, son décès entraîne une baisse importante des dépenses du ménage.
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[16]
La structure de consommation présentée dans le tableau 3 (p.84) ne prend pas en compte les loyers fictifs. En effet, le niveau de vie – ou revenu par unité de consommation – étudié dans cet article prend en compte une définition du revenu qui n’intègre pas les loyers fictifs (il s’agit, pour l’essentiel, des retraites par unité de consommation). Puisque le revenu ne prend pas en compte les loyers fictifs, il est logique que l’échelle d’équivalence soit également basée sur une structure de consommation hors loyers fictifs. En toute rigueur, si l’on intégrait les loyers fictifs dans le revenu, il faudrait déterminer une échelle d’équivalence adaptée à une structure de consommation y compris loyers fictifs (le poids du logement serait plus important, donc le paramètre ? serait un peu plus faible). Cependant, l’écart entre les deux échelles avec ou sans loyers fictifs est négligeable : ? = 0,65 avec loyers fictifs contre ? = 0,69 sans loyers fictifs).
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[17]
Avec une spécification en N?, les besoins d’un couple sont évalués à 2?, ce qui donne ici un paramètre plus proche de 1,6 que du 1,5 de l’échelle standard. Hourriez et Olier (1998) ont testé d’autres spécifications et ont montré qu’une spécification linéraire (sous forme d’unités de consommation) convenait mieux aux données qu’une spécification concave en N? et donnait bien une valeur proche de 0,5 pour l’adulte et 0,3 pour l’enfant. La spécification en N? est utilisée ici parce qu’elle rend les calculs plus simples avec un modèle de Prais-Houthakker : après passage en log, le modèle devient linéaire, d’où la formule (I).
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[18]
Les dépenses de loyers sont relativement faibles, puisque les personnes âgées sont plus souvent propriétaires, mais le poste « énergie pour le logement » est particulièrement lourd.
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[19]
D’après le modèle de Prais-Houthakker cité précédemment, l’échelle spécifique au logement estime que les besoins de logement d’un couple représentent 1,33 fois (20,41 ) ceux d’une personne seule.
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[20]
En mettant à zéro la valeur de ?k pour les dépenses d’habitation, nous simulons ce que serait l’échelle d’équivalence globale si le logement devenait un bien public pur, c’est-à-dire si les besoins de logement d’un ménage étaient indépendants du nombre de personnes habitant dans le logement. Cela reflète l’attitude des personnes qui désirent conserver le même logement après le décès de leur conjoint, puisque leurs besoins en matière de dépenses d’habitation leur apparaissent identiques avant et après le décès.
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[21]
Ce calcul est réalisé sans prendre en compte les loyers fictifs dans la structure de la consommation. Si on les prenait en compte, on obtiendrait ? = 0,49 pour l’échelle sans déménagement, contre ? = 0,65 pour l’échelle avec déménagement, soit un supplément de consommation lié à l’absence de déménagement estimé à 20,16 = 1,12. Le fait d’inclure les loyers imputés alourdit le poids de l’habitation dans la structure de la consommation, de sorte que le surcoût lié à l’absence de mobilité vers un logement plus petit apparaît plus important. Les besoins du survivant en l’absence de déménagement représenteraient alors 2/3 x 1,12 = 75% des revenus du couple. Cependant, si l’on utilise cette échelle, il convient de prendre en compte les loyers fictifs dans le revenu; la baisse des revenus après le décès est alors moins prononcée, puisque le survivant propriétaire ou usufruitier conserve 100% du loyer fictif antérieur.
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[22]
Dans une succession standard (régime matrimonial légal, pas de biens propres à l’un des époux, ni donation entre époux, ni testament, ni assurance vie, ni enfants nés d’une précédente union), le conjoint survivant récupère sa part, correspondant à la moitié du patrimoine du couple, et hérite du défunt une fraction correspondant, au choix, à un quart de la succession en pleine propriété ou à la totalité de la succession en usufruit. Il peut donc posséder soit 5/8 du patrimoine du couple en pleine propriété, soit posséder la moitié du patrimoine du couple en pleine propriété et l’autre moitié en usufruit.
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[23]
(Ressources propres du survivant + pension de réversion du régime de base) < plafond.
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[24]
Le plafond pour une personne seule représente 2080 fois le Smic horaire.
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[25]
Dans le cadre du rendez-vous 2008 sur les retraites, le document d’orientation du 28 avril 2008 précisait que le taux de réversion pour le régime général et les régimes alignés, qui était de 54% depuis le 1er janvier 1995, serait augmenté en trois étapes : 56% au 1er janvier 2009,58% au 1er janvier 2010 et 60% au 1er janvier 2011. Dans la LFSS 2009 (loi de financement de la Sécurité sociale), il est instauré une majoration de la pension de réversion, qui devrait porter le taux de réversion de 54% à 60%. Sous réserve des décrets d’application, cette majoration serait soumise à une condition d’âge (plus de 65 ans) et une condition de ressources plus restrictive (somme des retraites du survivant de droit direct ou de droit dérivé inférieure à environ 800 euros par mois).
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[26]
D’après les enquêtes « Revenus fiscaux » 1999-2001 (Insee). Le ratio entre retraite moyenne féminine et retraite moyenne masculine est voisin de ½ dans l’ensemble de la population des retraités, mais les femmes mariées ont des retraites inférieures aux femmes célibataires ou divorcées. On observe le contraire pour les hommes.
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[27]
Entre la génération 1915-1919 et la génération 1930-1934, le ratio est passé de 0,28 à 0,38.
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[28]
À l’origine, les pensions de réversion étaient réservées aux veuves : en droit dans la Fonction publique où, jusqu’en 1973, les veufs ne pouvaient y prétendre qu’en cas d’invalidité. Ensuite, de 1973 à 2004, ils ne pouvaient en bénéficier qu’à partir de 60 ans, sauf invalidité; ou en fait dans le régime général, puisque la pension de réversion n’était par le passé cumulable ni avec une activité professionnelle ni avec une retraite personnelle, ce qui excluait de facto les hommes (Cor, 2008).
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[29]
Le taux de réversion de 50% en vigueur dans les régimes spéciaux semblerait ainsi légèrement insuffisant pour les générations de veuves actuelles. Cependant, le ratio Ps/Pd pourrait s’écarter de la valeur médiane d’un tiers pour les affiliés des régimes spéciaux.
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[30]
La condition de ressources déterminant la réversion du régime de base Rdb s’écrit Ps+Rdb ?Plafond, où Ps inclut la retraite totale du survivant (y compris les complémentaires) ainsi que les autres ressources propres du survivant (supposées nulles ici).
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[31]
La loi de 2003 a instauré la condition de ressources différentielle à la place des conditions de cumul antérieures. Depuis, le plafond (2080 fois le Smic horaire) est revalorisé comme le Smic.
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[32]
Pour construire les cas types, nous avons repris et actualisé pour l’année 2008 deux cas types construits à l’occasion du troisième rapport du Cor. La retraite totale (1500 euros pour le non-cadre, 2800 euros pour le cadre) correspond à la moyenne observée dans l’échantillon interrégimes 2001 de la Drees (Coëffic, 2002), les données ayant été actualisées à janvier 2008 au rythme de l’évolution moyenne des retraites masculines (inflation + effet « noria »). La part de la retraite complémentaire dans la retraite totale (33% pour le non-cadre, 58% pour le cadre) correspond également aux moyennes observées à partir de l’échantillon interrégimes. Ainsi, le non-cadre et le cadre perçoivent respectivement 1000 euros et 1180 euros de retraite de base ainsi que 500 euros et 1620 euros de retraite complémentaire.
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[33]
Dans la mesure où les régimes complémentaires n’appliquent pas de condition de ressources, le maintien du niveau de vie du survivant est d’autant mieux assuré que la part de la retraite complémentaire dans la retraite totale du défunt est élevée. Dans les cas types présentés où le mari a effectué une carrière complète continue, la part de la retraite complémentaire croît en principe en fonction du niveau de retraite totale, d’où les résultats obtenus sur le graphique 4. Cependant, si la part de la retraite complémentaire du défunt est anormalement faible (ou élevée) par rapport au cas type du salarié ayant effectué une carrière complète continue, alors le maintien du niveau de vie est moins bien (ou mieux) assuré que dans les cas types présentés dans cet article.
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[34]
Pour l’échelle « sans déménagement », la formule (III) deviendrait : R = 0,72. P d – 0,28. P s.
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[35]
Monperrus-Veroni et Sterdyniak (2008) proposent de laisser le taux de réversion à 60% en plafonnant la réversion de sorte que les ressources du survivant ne dépassent pas 2/3 des revenus du couple antérieur. Ce dispositif s’avère équivalent à celui que nous proposons dès que P s >0,2P d, c’est-à-dire dans la plupart des cas. La seule différence est que les veuves sans droits propres n’auraient, dans ce dispositif proposé, que 60% au lieu des 2/3 des revenus du défunt.
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[36]
Chaque régime dont relevait le défunt aurait besoin de connaître à la fois la valeur de P s et celle de la retraite totale tous régimes du défunt P d, afin de déterminer la réversion totale tous régimes R du défunt selon la formule (III). Le versement de R serait ensuite réparti entre les différents régimes au prorata des pensions de droit direct versées au défunt avant le décès. Actuellement, le régime général et les régimes alignés collectent la valeur de P s (déclaration de ressources du survivant, permettant de tester la condition de ressources) mais pas celle de P d. Tout au plus existe-t-il, afin d’appliquer la condition de ressources aux polypensionnés régime général + régimes alignés, un échange d’informations entre le régime général et les régimes alignés sur les pensions du défunt versées par ces régimes avant le décès.
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[37]
Pour les polypensionnés régime général + régime alignés, il s’agit de la somme des réversions versées par les régimes de base. Pour appliquer la condition de ressources, chaque régime de base a besoin de connaître P s et P db, ce qui est déjà le cas actuellement pour le régime général et les régimes alignés.
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[38]
Dans la législation actuelle, P s désigne en réalité l’ensemble des ressources propres du survivant, c’est-à-dire non seulement la retraite totale du survivant de droit propre (base et complémentaires), mais aussi ses autres revenus propres éventuels :revenus d’activité, pensions alimentaires, revenus du patrimoine propres (non issus du patrimoine commun du couple). Dans les cas types présentés ici, ces autres revenus propres sont supposés nuls.
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[39]
L’impact sur les dépenses globales du régime général est donc indéterminé.
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[40]
Cette limite dépendrait de la valeur de P db, contrairement au plafond de la condition de ressources actuelle, qui est fixe (1463 euros en 2008).
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[41]
Sur le graphique 5 (p. 98), on se situe un peu en deçà du maintien du niveau de vie, car les régimes complémentaires sont censés conserver leur taux de réversion à 60%. Pour obtenir le strict maintien du niveau de vie avec l’échelle standard, il faudrait un taux de réversion de deux tiers dans les régimes complémentaires.
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[42]
Ce résultat pourrait toutefois être remis en cause dans l’hypothèse où les ressources du couple ne sont pas constituées exclusivement de pensions de retraite. Si le survivant a des ressources propres autres que sa pension (revenus d’activité, revenus d’un patrimoine propre, etc.), ces résultats sont conservés, Ps désignant alors la somme des ressources propres du survivant. En revanche, la présence de revenus du patrimoine commun au couple, en partie hérités par le conjoint survivant, peut remettre en cause ces résultats.
1 Après le départ en retraite, l’incertitude sur l’évolution des revenus est réduite. En particulier, dans le système actuel, où les pensions sont revalorisées en fonction des prix, chaque retraité est en théorie assuré de conserver son niveau de vie au moment de la liquidation des droits jusqu’à la fin de ses jours. Toutefois, la sécurité financière peut être compromise par le choc que constitue le décès du conjoint. En effet, cet événement s’accompagne en général d’une baisse des ressources (Hurd, 1989; Hurd, Wise, 1989; Holden, Brand, 2003; Burkhauser et al., 2005; Weir, Willis, Sevak, 2002), plus ou moins compensée par les pensions de réversion, qui consistent à reverser au conjoint survivant une partie de la pension de retraite de son conjoint décédé.
2Face au vieillissement de la population et aux changements démographiques importants intervenus durant les quatre dernières décennies, des réformes des systèmes de retraite sont en cours dans de nombreux pays, et le dispositif de la pension de réversion fait l’objet d’interrogations (Favreault, Steuerle, 2007; Iams, Sandell, 1998; Favreault, Sammartino, Steuerle, 2002). Malgré l’importance des masses financières consacrées aux pensions de réversion (environ 14% des retraites versées par l’ensemble des régimes, soit environ 30 milliards d’euros en 2006), les travaux sont quasi inexistants en France sur la manière dont la réversion compense la perte de ressources.
3Mise en œuvre après la Deuxième Guerre mondiale, alors que prédominait le modèle de l’homme « gagne-pain », et que les femmes étaient quasiment dépourvues de pensions de droits propres, la pension de réversion était à l’origine destinée à éviter une entrée dans la pauvreté de veuves suite au décès de leur mari. Mais la participation croissante des femmes au marché du travail et l’ouverture du droit à réversion aux hommes invitent à s’interroger sur l’apport des pensions de réversion dans un contexte où le conjoint survivant a des droits propres conséquents. En outre, les régimes complémentaires, suivant l’exemple des régimes spéciaux du secteur public, ont développé une vision quasi patrimoniale de la réversion, où celle-ci est regardée comme un droit acquis en contrepartie des cotisations que le défunt a versées, si bien que la pension de réversion est alors versée quelles que soient les ressources du survivant.
4Si le système de pension de réversion est peu généreux et les ressources propres du conjoint survivant insuffisantes, le niveau de vie de ce dernier pourrait être plus faible que celui atteint pendant la période de retraite vécue en couple. Inversement, pour les conjoints survivants ayant des droits propres ou un patrimoine importants, le revenu par unité de consommation pourrait être plus élevé durant le veuvage que pendant la période de retraite, surtout si les taux de réversion sont élevés. Cela pourrait concerner les veufs dès aujourd’hui, et à l’avenir un nombre croissant de veuves, en raison de l’augmentation de l’activité féminine au fil des générations. La question se pose donc de savoir si le système français de réversion assure ou non aux générations actuelles et futures de retraités le maintien du niveau de vie suite au décès du conjoint, compte tenu des règles appliquées dans les différents régimes et des montants de retraite masculins et féminins chez les générations actuelles et futures de retraités.
5Le maintien du niveau de vie antérieur au décès n’a jamais été un but explicite des dispositifs de réversion (Cor, 2007; Cor, 2008), qui relèvent de logiques différentes :
- au régime général et dans les régimes alignés, un objectif de redistribution en faveur des veuves peu pourvues en droits propres, par le biais de règles de cumul avant 2003 ou d’une condition de ressources depuis la loi de 2003;
- dans les régimes complémentaires et les régimes spéciaux, un objectif patrimonial.
6Le maintien du niveau de vie apparaît néanmoins comme un objectif possible du système de réversion. En effet, si les veuves subissaient une perte de revenus trop importante, il apparaîtrait souhaitable de relever les pensions de réversion, dans un souci d’égalité de niveau de vie entre hommes et femmes au moment de la retraite. Inversement, si le niveau de vie après le décès s’avérait supérieur au niveau de vie antérieur, il apparaîtrait opportun de limiter les montants des réversions, dans le contexte actuel de besoin de financement du système de retraite. Deux autres raisons pourraient militer en faveur de cet objectif. La première consiste à considérer que le système de retraite garantit un taux de remplacement du revenu d’activité, y compris après le décès du conjoint. La deuxième est que des choix d’activité dissymétriques ont pu être faits au sein du couple, et qu’on ne souhaite pas que le conjoint qui a réduit son activité pour élever les enfants soit pénalisé s’il survit au conjoint qui s’est plus investi dans sa vie professionnelle. Cela renvoie à l’idée que la réversion est un dispositif qui soutient et promeut les couples mariés, parce que l’on estime que le couple et le mariage génèrent des externalités positives : le couple protège de la pauvreté et le mariage « protège » la femme en cas de séparation (prestations compensatoires), de sorte que l’État a moins de prestations à verser aux personnes isolées sans ressources lorsque la plupart des personnes choisissent de vivre en couple et de se marier.
7Le maintien du niveau de vie n’est pas le seul objectif possible de la réversion, et l’on peut lui préférer, par exemple, un objectif de redistribution en faveur des veuves les plus modestes. Plus précisément, si le couple dispose avant le décès d’un des conjoints d’un niveau de vie élevé (retraites de cadres, patrimoine important, etc.), deux visions peuvent s’affronter :
- soit on privilégie l’objectif de maintien du niveau de vie, le but étant que le conjoint survivant conserve grâce aux dispositifs de réversion un niveau de vie aussi élevé après le décès;
- soit on privilégie un objectif de redistribution, en considérant que les régimes obligatoires de retraite n’ont pas vocation à garantir le niveau de vie antérieur au décès, et que le maintien du niveau de vie du conjoint passe par des dispositifs de prévoyance volontaire (épargne retraite avec sortie en rente réversible, assurance vie ou décès, etc.).
8Cet article retient comme hypothèse de travail que l’objectif assigné à la réversion est le maintien du niveau de vie du conjoint survivant, sans préjuger de l’objectif qu’il convient de privilégier. Il examine sous quelles conditions un système de réversion assure le maintien du niveau de vie du survivant suite au décès de son conjoint. Notre analyse se restreint aux couples mariés de retraités sans enfants à charge, dont l’un des membres décède. Nous n’abordons pas deux questions importantes qui mériteraient à elles seules une étude approfondie : celle du veuvage précoce, lorsque le décès intervient en cours de vie active et/ou que des enfants sont encore à la charge du conjoint survivant; et celle du divorce, qui va prendre de l’ampleur avec l’arrivée à l’âge de la retraite de générations de baby-boomers concernées par l’augmentation du taux de divorce. Cette situation va sans doute nécessiter un aménagement des règles de la réversion ou la recherche d’alternatives à la réversion comme le partage des droits propres.
9Deux questions sont successivement abordées dans cet article. La première est celle de la mesure du niveau de vie. Celui-ci est en principe défini comme le revenu par unité de consommation du ménage. Mais l’échelle d’équivalence standard utilisée pour déterminer le nombre d’unités de consommation n’est pas nécessairement pertinente pour la question du veuvage. La deuxième est celle des règles des dispositifs de réversion. Compte tenu des règles en vigueur en France, dans quels cas le conjoint survivant voit-il son revenu par unité de consommation baisser ou au contraire augmenter ? Existe-t-il un taux de réversion optimal pour atteindre l’objectif de maintien du niveau de vie ? Quel rôle joue la condition de ressources introduite dans le régime général ainsi que dans les régimes alignés ? Peut-on définir un dispositif de réversion qui maintiendrait le niveau de vie dans tous les cas ?
Quel niveau de revenu faut-il assurer au conjoint survivant pour maintenir son niveau de vie ?
10On se place ici dans le cas standard d’un couple de retraités dont l’un des membres décède. On suppose qu’ils ne cohabitent avec aucune autre personne (par exemple un enfant), ni avant le décès, ni après.
11Suite au décès, le revenu du conjoint survivant est en principe inférieur au revenu du couple avant décès. D’une part, le total des pensions de retraite perçues par le ménage diminue, puisque la pension de réversion versée au survivant représente moins de 100% de la pension du défunt : dans le système de retraite français, la pension de réversion représente au plus 60% de la pension de droits directs du défunt. D’autre part, le patrimoine du défunt est en général partagé entre le conjoint survivant et les enfants, selon des règles qui dépendent du contrat de mariage et des choix opérés par les héritiers, si bien que les revenus du patrimoine du ménage sont moins élevés après le décès.
12Cependant, le décès entraîne également une diminution des besoins de consommation du ménage. Certaines dépenses s’éteignent immédiatement après le décès : c’est le cas des dépenses d’alimentation, d’habillement ou de santé du défunt. Cette baisse de la consommation dans l’année qui suit le décès a été observée dans une étude récente à partir de données de panel américaines [2] (Hurd, Rohwedder, 2008). D’autres dépenses ne semblent pas affectées par le décès, du moins dans un premier temps : c’est le cas des dépenses d’habitation et d’automobile. Comme il s’agit souvent de charges revenant à dates régulières et contraintes par les engagements pris par le ménage (assurance, copropriété, abonnements, etc.), le survivant peut avoir l’impression que ses besoins ne diminuent pas après le décès. Néanmoins, au bout d’un certain temps [3], le survivant adapte son mode de vie à sa nouvelle situation, ce qui lui permet de réduire ses dépenses en optimisant sa consommation [4].
13Au total, il y a une baisse des besoins de consommation suite au décès. Si l’on veut assurer le maintien du niveau de vie, il ne semble donc pas nécessaire que les pensions de réversion versées au survivant atteignent 100% des pensions antérieures du défunt, bien qu’il s’agisse a priori d’une revendication fréquente [5]. Le conjoint survivant peut maintenir son niveau de vie antérieur au décès malgré une diminution sensible de ses revenus. La question est alors de savoir quelle perte de revenus peut être jugée acceptable : à combien doivent s’élever les revenus du conjoint survivant pour qu’il conserve le niveau de vie antérieur au décès ?
14Afin de comparer les niveaux de vie de ménages de taille différente, les statisticiens ont introduit la notion d’échelle d’équivalence. Une échelle d’équivalence évalue le rapport entre les besoins d’un couple et ceux d’une personne seule, ainsi que le coût de l’enfant.
15L’échelle d’équivalence standard considère que les besoins d’un couple représentent 1,5 fois ceux d’une personne seule. Ainsi, le conjoint survivant est censé conserver son niveau de vie si ses revenus représentent deux tiers des revenus du couple antérieur. Nous nous référons à cette échelle standard dans la deuxième partie de cet article, ainsi que dans Bonnet et Hourriez, « Quelle variation de niveau de vie suite au décès du conjoint ?» (2009, p.106 de ce numéro), article consacré aux résultats empiriques. En effet, cette échelle constitue une convention internationale, largement utilisée dans les travaux français et européens.
16Néanmoins, il convient de s’interroger sur les limites et la pertinence de l’échelle standard. Nous rappelons d’abord qu’il s’agit avant tout d’une convention consacrée par l’usage. Certes, le paramètre de 1,5 est justifié par des estimations économétriques, mais ces estimations sont affectées par une marge d’incertitude liée à des problèmes conceptuels. Nous nous demandons ensuite si cette échelle, adaptée à l’étude des niveaux de vie dans l’ensemble de la population, demeure adaptée au cas particulier du veuvage des personnes âgées.
Justification de l’échelle d’équivalence standard
17Les instituts statistiques officiels (Insee et Eurostat) ont adopté au cours des années 1990 une échelle d’équivalence standard, dite « échelle OCDE modifiée ». Elle attribue à chaque ménage un nombre d’unités de consommation en fonction de sa taille : le premier adulte du ménage compte pour 1 unité de consommation (u.c.), les autres adultes ou les adolescents de 14 ans ou plus comptent pour 0,5 u.c., et les enfants de moins de 14 ans pour 0,3 u.c. Selon l’échelle d’équivalence standard, un couple a besoin de dépenser 1,5 fois plus qu’une personne seule pour atteindre un niveau de vie équivalent. Autrement dit, un(e) veuf(ve) est censé conserver le niveau de vie antérieur au décès de son conjoint s’il(elle) perçoit 67% (soit 2/3) des revenus du couple.
18Auparavant, des années 1940 aux années 1990, les statisticiens utilisaient en général l’échelle dite d’Oxford – encore appelée « échelle OCDE » – qui avait été construite à partir de l’évaluation des besoins alimentaires. Cette échelle attribuait davantage d’unités de consommation au deuxième adulte et aux enfants : 0,7 u.c. (au lieu de 0,5) aux personnes de 14 ans et plus, et 0,5 u.c. (au lieu de 0,3) aux enfants de moins de 14 ans. Selon l’échelle d’Oxford, les besoins d’un couple représentaient 1,7 fois ceux d’une personne seule. Un(e) veuf(ve) était ainsi censé conserver le même niveau de vie avec seulement 59% (soit 1/1,7) des revenus du couple [6].
19D’autres formules ont également été utilisées, plus simples (par exemple, l’OCDE utilise aussi la formule m = ? N, où N est la taille du ménage [7] ) ou plus complexes (par exemple, la formule m=[N adultes + 0,7N enfants ]0,6 a été proposée par A. Deaton aux États-Unis dans les années 1990 pour redéfinir le seuil de pauvreté officiel). Selon ces échelles d’équivalence alternatives, les besoins d’une personne seule représentent 71% ou 66% des besoins d’un couple, valeurs proches de l’échelle standard.
Différentes échelles d’équivalence
Différentes échelles d’équivalence
20Étant donné qu’il est difficile de mesurer les besoins des ménages en fonction de leur taille et que, plus fondamentalement, le concept de besoins est délicat à définir sur le plan théorique, il existe une certaine incertitude sur la valeur pertinente de l’échelle d’équivalence.
21Les valeurs fixées par convention reposent néanmoins sur des modèles de consommation et des estimations empiriques. En France comme à l’étranger, de nombreuses études économétriques ont cherché à estimer des échelles d’équivalence. Deux méthodes principales existent. La première consiste à comparer la consommation des ménages de taille différente. Par exemple, selon un critère couramment utilisé – critère dit de Rothbarth – un adulte vivant seul aurait le même niveau de vie qu’un adulte vivant en couple s’il dépense autant pour s’habiller [8]. Le montant des dépenses vestimentaires par adulte est alors considéré comme un indicateur de niveau de vie. La seconde méthode consiste à exploiter des questions d’opinion sur la situation financière ou sur le niveau de revenu jugé nécessaire pour vivre [9]. Les résultats de ces estimations peuvent varier sensiblement selon la méthode utilisée et selon les pays, de sorte que la convention retenue apparaît comme une valeur médiane des différentes estimations proposées dans la littérature [10]. Pour la France, les deux méthodes donnent des résultats proches de l’échelle standard, ce qui renforce la pertinence de cette dernière (Hourriez, Olier, 1998).
22L’échelle d’équivalence évalue l’importance des économies d’échelle que les membres d’un couple réalisent en partageant des dépenses communes. Parmi les biens consommés par les ménages, on peut en effet opposer biens individuels et biens collectifs [11]. Un bien individuel n’est utilisé que par une seule personne du ménage : vêtements, médicaments, places de cinéma, etc. Au contraire, un bien collectif est utilisé par tous les membres du ménage : salle de bain, télévision, et plus généralement une grande partie des dépenses d’habitation. Il peut donc être partagé et conduire à des économies d’échelles. Le ratio entre les besoins d’un couple et ceux d’une personne seule est ainsi compris, en théorie, entre cas où tous les biens seraient collectifs et cas où tous les biens seraient individuels. Plus les biens collectifs représentent une part importante de la consommation des ménages, plus les économies d’échelle sont importantes, et plus ce ratio diminue. Ainsi, l’abandon de l’échelle d’Oxford (couple=1,7u.c.) au profit de l’échelle standard actuelle (couple=1,5u.c.) peut se justifier par l’importance croissante des dépenses d’habitation dans la consommation des ménages européens, tandis que la part des dépenses alimentaires décline [12].
23Au total, la valeur retenue conventionnellement pour l’échelle standard s’appuie sur des considérations théoriques et empiriques. Cependant, cette valeur a été fixée globalement pour l’ensemble de la population. Elle pourrait donc ne pas être adaptée au cas particulier du veuvage des personnes âgées [13], pour plusieurs raisons. La première est que les personnes âgées ont des structures de consommation différentes des ménages plus jeunes. La deuxième est que les personnes veuves tendent à conserver le logement qu’elles occupaient avant le décès, de sorte que les dépenses d’habitation ne diminuent pas suite au décès du conjoint. Les deux parties qui suivent fournissent un éclairage sur ces deux aspects. Bien sûr, cela n’épuise pas les critiques que l’on pourrait adresser à l’échelle standard. On pourrait objecter, par exemple, qu’elle n’opère pas de distinction entre les besoins spécifiques des femmes et des hommes alors que le survivant est le plus souvent la femme [14], et surtout qu’elle ne prend pas en compte les besoins spécifiques engendrés par la dépendance [15].
L’échelle standard demeure adaptée aux personnes âgées
24Comme nous l’avons souligné, la valeur de l’échelle d’équivalence dépend de la part des biens collectifs dans la consommation des ménages. Or, la structure de la consommation des personnes âgées diffère de celle du reste de la population : les dépenses des personnes âgées sont moins tournées vers l’extérieur (moins de dépenses de transports, de loisirs, de vacances, d’habillement, etc.) et plus centrées sur la vie domestique et la santé (électricité et chauffage, soins médicaux, services domestiques, etc.). Nous avons alors calculé une échelle d’équivalence adaptée à la structure de la consommation des personnes âgées.
25Nous avons utilisé pour cela le modèle de Prais-Houthakker, qui permet de modéliser comment l’échelle d’équivalence varie en fonction de la structure de la consommation. Le modèle suppose qu’il existe une échelle d’équivalence spécifique mk [N] pour chaque bien de consommation, reflétant l’augmentation des dépenses du bien considéré k en fonction de la taille du ménage N, à niveau de vie fixé. En effet, la plupart des consommations sont intermédiaires entre le bien individuel et le bien collectif. L’automobile, par exemple, est tantôt un bien privatif, tantôt un équipement servant à toute la famille. Selon leur usage, les différentes consommations peuvent s’ordonner sur un axe allant du bien collectif pur mk [N]=1 au bien individuel pur mk [N]=N. Le modèle permet de calculer l’échelle d’équivalence globale m[N], qui exprime comment la consommation totale du ménage varie en fonction de sa taille à niveau de vie fixé, comme une combinaison linéaire des échelles spécifiques pondérées par la structure de la consommation ( cf. formule (I)).
26Une estimation du modèle de Prais-Houthakker a été proposée par
Hourriez et Olier (1998) à partir des données des enquêtes « Budget de
famille » 1984,1989 et 1994. Dans cette étude, les échelles ont été
spécifiées sous la forme mk [N]=N?k et m[N]=N?. Le paramètre ? de
l’échelle globale s’obtient alors en calculant la moyenne des paramètres
?k, pondérée par la moyenne des parts budgétaires ?k de chaque bien de
consommation:
Le tableau 1 (p.78) indique les valeurs estimées pour les échelles spécifiques à partir des trois enquêtes « Budget de famille » 1984,1989 et 1994. Les valeurs sont assez stables d’une enquête à l’autre et confirment des résultats intuitifs. La valeur du paramètre ?k de chaque fonction de consommation k se situe entre 0 (bien collectif pur) et 1 (bien individuel pur). Parmi les huit grandes fonctions de consommation, l’habillement est par hypothèse un bien parfaitement individuel, puisque le modèle est estimé en utilisant le critère de Rothbarth. Les paramètres ?k associés aux autres fonctions s’échelonnent entre 0,4 et 0,9. La fonction qui permet le plus d’économies d’échelle (valeur de ?k la plus faible) est le logement (loyers et charges). À niveau de vie égal, un couple dépense 20,41 =1,33 fois plus pour l’occupation et le chauffage de son logement qu’une personne seule. Avec un coefficient de 0,6 environ, la fonction « transports-télécommunications », constituée pour l’essentiel de l’automobile, figure également parmi les dépenses engendrant le plus d’économies d’échelle. Il en est de même pour l’équipement du logement (meubles, électroménager, articles ménagers, services domestiques). À l’opposé, la consommation de loisirs semble quasiment individuelle (coefficient de 0,9), comme celle de biens et services divers (restaurants, coiffeurs, services financiers, bijouterie, etc.). L’alimentation est également une consommation plutôt individuelle, mais elle autorise davantage d’économies d’échelle par l’achat de produits alimentaires en plus grande quantité par les familles nombreuses (coefficient de 0,7).
Estimation d’un modèle de Prais-Houthakker
Estimation d’un modèle de Prais-Houthakker
Précisions méthodologiques
Pour estimer le paramètre ?k du logement, on a pris en compte, dans la consommation de logement, à la fois les loyers réels et fictifs, en imputant des loyers fictifs aux ménages propriétaires occupants. En effet, il s’agit ici d’estimer comment les besoins en matière de logement (surface et autres caractéristiques du logement occupé) varient en fonction de la taille du ménage. Si l’on n’avait pris en compte que les loyers réels dans cette estimation, les résultats auraient été biaisés par les corrélations existant entre la taille du ménage et le fait d’être propriétaire. Par exemple, supposons que les ménages de grande taille soient plus souvent propriétaires – ils versent ainsi peu de loyers réels – les dépenses de loyers réels diminueraient en fonction de la taille du ménage; la valeur de ?k estimée à partir des loyers réels serait alors négative.
27Une fois les paramètres ?k du modèle de Prais-Houthakker estimés, il devient possible de calculer l’échelle d’équivalence adaptée à une structure de consommation donnée, en appliquant la formule (I). Le tableau 3 (p.84) compare la structure de la consommation (parts budgétaires moyennes ?k ) pour les personnes âgées et pour l’ensemble de la population [16]. L’échelle globale adaptée à la structure de consommation des personnes âgées est estimée à N0,69, contre N0,70 pour l’ensemble de la population [17]. L’écart est négligeable. Ainsi, l’échelle d’équivalence standard convient aussi bien aux personnes âgées qu’au reste de la population. En effet, les couples âgés réalisent un peu plus d’économies d’échelle sur le logement que les couples plus jeunes, car les dépenses d’habitation représentent une part plus importante de leur budget (elles conservent souvent un logement surdimensionné après le départ de leurs enfants [18] ). Cependant, en dehors de l’habitation, les couples âgés réalisent un peu moins d’économies d’échelle que les couples plus jeunes, à cause du poids plus réduit des dépenses de transport et du poids plus important des dépenses de santé.
Structure de la consommation des personnes âgées comparée à celle de la population totale (en %)
Structure de la consommation des personnes âgées comparée à celle de la population totale (en %)
L’échelle standard peut être remise en cause dans le cas du veuvage en l’absence de déménagement
28L’échelle d’équivalence standard intègre le fait qu’un couple a besoin d’un logement plus grand qu’une personne seule [19]. Dans l’ensemble de la population, les personnes seules habitent des logements plus petits que les couples et ont effectivement des dépenses d’habitation plus réduites. Mais cela ne se vérifie pas nécessairement pour les personnes veuves.
29Pour que les dépenses varient conformément à l’échelle standard suite au veuvage, il faut que le survivant déménage après le décès pour occuper un logement plus petit. Le même raisonnement s’appliquerait à une personne qui se retrouve seule après un divorce ou une séparation. Cependant, les personnes âgées sont peu mobiles et les déménagements peu fréquents : 13% des personnes veuves changent de logement au plus tard dans les quatre ans suivant le décès du conjoint (Bonnet, Gobillon, Laferrère, 2007).
30D’où l’intérêt de calculer une échelle d’équivalence adaptée à une personne veuve qui conserve son logement après le décès. Pour effectuer ce calcul, nous reprenons le modèle de Prais-Houthakker, et nous recalculons le paramètre ? au moyen de l’expression (I), en neutralisant ( ?k mis à zéro) l’échelle spécifique du logement ainsi que l’échelle spécifique de l’équipement du logement [20]. Avec la structure de la consommation des plus de 65 ans, l’échelle globale adaptée à l’absence de déménagement est ainsi estimée à N0,57. Elle est donc sensiblement plus plate que l’échelle globale estimée précédemment à N0,69. Ainsi, par rapport à une personne veuve qui déménage après le décès, les besoins d’une personne veuve qui conserve son logement antérieur apparaissent 20,12 = 1,08 fois plus élevés [21].
31En somme, une personne veuve qui déménage suite au décès aurait besoin, conformément à l’échelle standard, de 2/3 = 67% des revenus antérieurs du couple pour maintenir son niveau de vie. En revanche, une personne veuve qui conserve le logement antérieur au décès aurait besoin, pour maintenir son niveau de vie, de revenus sensiblement plus élevés. Selon l’estimation qui précède, ces besoins seraient de 8% plus élevés qu’avec l’échelle standard. Ils représenteraient donc 1,08 x 2/3 = 72% des revenus antérieurs du couple.
32Dans la partie qui suit, nous effectuons malgré tout nos calculs avec l’échelle standard étant donné son caractère simple et conventionnel, tout en gardant à l’esprit que les résultats se transposent à toute échelle alternative par une simple règle de trois. Ainsi, le maintien du niveau de vie avec l’échelle standard correspond à une légère détérioration du niveau de vie (estimée ici à -8 %) si l’on utilise l’échelle « sans déménagement », c’est-à-dire si l’on considère qu’il est normal qu’une personne veuve conserve son logement antérieur.
Analyse sur cas types de la variation du niveau de vie suite au décès du conjoint
33Afin d’identifier les principaux paramètres intervenant dans la variation du niveau de vie suite au décès du conjoint, nous nous plaçons dans le cas simple d’un couple marié de retraités qui vivent à deux avant le décès et dont les seules ressources sont leurs pensions de droits directs. Nous examinons les conséquences du décès sur le niveau de vie du survivant, en supposant que celui-ci vit seul après le décès.
34Notre approche laisse donc de côté deux questions importantes. D’une part celle du divorce, qui peut conduire à un partage des pensions de réversion entre plusieurs ex-conjoints, et qui rend caduque la notion de maintien de niveau de vie dès lors que le défunt ne vivait plus en couple au moment du décès. Cette question concerne toutefois assez peu les générations nées avant 1945 et donc les personnes veuves actuelles.
35D’autre part celle du patrimoine, dont on sait qu’il représente pour les retraités une source de revenus importante en moyenne mais très hétérogène. L’impact du patrimoine sur le maintien du niveau de vie est indéterminé. En effet, étant donné la législation en vigueur sur les successions, la fraction du patrimoine du couple dont le conjoint survivant dispose dépend d’une multitude de facteurs : régime matrimonial et dispositions complémentaires (donation au dernier survivant, etc.); existence de biens propres appartenant au défunt ou au survivant; nombre d’enfants du couple et enfants nés d’une précédente union; existence d’un testament; assurances-vie et décès; enfin, choix opérés par les héritiers lors de la succession. Le revenu du patrimoine par unité de consommation peut donc augmenter (si le conjoint survivant dispose, en pleine propriété ou en usufruit, d’au moins deux tiers du patrimoine du couple) ou diminuer [22].
36Outre les revenus du patrimoine, nous ignorons les autres revenus qu’un ménage de retraités est susceptible de percevoir, notamment les prestations sociales comme le minimum vieillesse ou les allocations logement. Nous ignorons symétriquement la fiscalité. Les variations de niveau de vie que nous mettons en évidence devraient donc être amorties par les transferts fiscaux et sociaux, surtout pour les retraités les plus modestes. Ceci est souligné par Bonnet et Hourriez (2009), dans leur analyse empirique des conséquences économiques du décès du conjoint.
37Tous les régimes de retraite français mettent en œuvre un dispositif de réversion, mais ils présentent de profondes disparités dans leurs règles respectives. De façon schématique, on peut distinguer deux systèmes de réversion : pour les assurés du régime général et des régimes alignés, la pension de réversion du régime de base est attribuée sous une condition de ressources différentielle [23] qui a remplacé en 2003 les anciennes règles de cumul. Le plafond de ressources s’élève à 1463 euros par mois en 2008 si la personne veuve vit seule [24]. Les ressources propres du survivant prises en compte dans la condition de ressources sont constituées pour l’essentiel de ses retraites de droit direct : elles n’incluent ni les ressources provenant de la succession du conjoint, ni les revenus du patrimoine commun du couple, ni les réversions des régimes complémentaires. Le taux de réversion est actuellement de 54% et il a été annoncé qu’il serait bientôt porté à 60%, sous conditions [25]. Ces règles restrictives dans les régimes de base sont tempérées par les régimes complémentaires, qui n’appliquent pas de conditions de ressources ni de conditions de cumul, et où les taux de réversion sont déjà de 60%.
38Dans les régimes du secteur public (Fonction publique et régimes spéciaux), la réversion est ouverte sans conditions de ressources ou de cumul, mais le taux de réversion n’est que de 50%.
39Nous analysons successivement le maintien du niveau de vie dans un système de réversion sans condition de ressources, puis avec conditions de ressources.
Analyse d’un système de réversion sans condition de ressources
40Notons respectivement PD et PS, la pension de droit direct du défunt et du survivant, N 1 et N 2 les niveaux de vie du ménage avant et après veuvage, x le ratio ( PD / PS ), taux le taux de réversion, et u.c. (pour unité de consommation) la part de revenu nécessaire pour maintenir le niveau de vie quand un deuxième adulte est présent dans le ménage ( u.c. = 0,5 pour l’échelle standard, ou u.c. = 0,39 pour l’échelle sans déménagement).
41Les niveaux de vie du ménage avant et après veuvage ont pour
expression:
La variation de niveau de vie, soit ( N2 / N1 ), est égale à:
D’après (II), pour un taux de réversion donné, la variation du niveau de vie suite au décès est une fonction croissante d’un seul paramètre, à savoir le ratio x entre les retraites PS du survivant et PD du défunt. Parmi les couples de retraités actuels, mariés, et de plus de 65 ans, le ratio entre retraites féminines et masculines est de 1/3 environ [26]. Ce ratio devrait se rapprocher lentement de 1 pour les générations futures [27], sans que l’on puisse espérer rejoindre la parité à l’horizon des projections actuelles (Bonnet, Buffeteau, Godefroy, 2007).
42La formule (II) permet de décrire ce qui se passerait en l’absence de réversion (taux=0). Avec l’échelle standard, le maintien du niveau de vie serait assuré dès lors que le survivant aurait une retraite double de celle du défunt ( cf. graphique 1).
Absence totale de réversion
Absence totale de réversion
43Ce cas est rare pour une veuve, mais très courant pour les veufs aujourd’hui. Même en l’absence de réversion, les veufs seraient nombreux à voir leur niveau de vie s’accroître suite au décès de leur conjointe. En effet, un veuf dont l’épouse n’avait pas ou peu acquis de droits directs conserve sa retraite de droit direct mais n’a plus de conjoint à charge. L’extension progressive du droit à réversion aux veufs, voulue dans un cadre européen afin de respecter le principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes, apparaît ainsi superflue pour les générations actuelles de veufs. Elle deviendra cependant utile pour les veufs des générations futures, qui seront de moins en moins nombreux à disposer d’une retraite supérieure au double de celle de leur épouse. Les veuves, en revanche, subiraient en l’absence de réversion une perte considérable de niveau de vie : -62% dans la situation médiane actuelle, un peu moins à l’avenir. Il est intéressant de noter que, pour un couple où l’homme et la femme ont le même niveau de retraite ( x =1), le décès du conjoint s’accompagnerait d’une perte de niveau de vie de 25% en l’absence de réversion. Ainsi, même si la société évolue à terme vers la parité hommes-femmes en matière de pensions de droits directs, les dispositifs de réversion demeureront utiles pour maintenir le niveau de vie suite au décès, pour les veufs comme pour les veuves (Crenner, 2008).
44La formule (II) s’applique au système de réversion de la Fonction publique et de la plupart des régimes spéciaux, puisqu’il s’agit d’une pension de réversion unique versée au taux de 50% sans condition de ressources. Le maintien du niveau de vie est alors assuré dès que la pension de droit direct du survivant est égale à la moitié de la pension de droit direct du décédé. Au-delà, c’est-à-dire si la pension du survivant est supérieure à la moitié de celle du décédé, la réversion conduit à aller au-delà du simple maintien du niveau de vie. Par exemple, si les deux conjoints percevaient la même pension de droit direct, le niveau de vie du survivant augmente de 12,5% suite au décès du conjoint ( cf. graphique 2). Et si le survivant a des droits directs élevés par rapport à ceux du défunt, il voit son niveau de vie augmenter nettement lors du décès (+ 25% si la pension du survivant est double de celle du défunt). Ce dernier cas est fréquent lorsque le survivant est le mari, mais pendant longtemps il a été limité par le fait que la réversion était réservée aux femmes [28] ou attribuée de façon plus restrictive aux hommes. A contrario, si le survivant ne dispose pas de droits propres, la baisse du niveau de vie est de 25%, du moins en l’absence de minimum vieillesse ou d’allocation logement.
45Un taux de réversion plus élevé, par exemple 60%, conduirait à limiter davantage les baisses de niveau de vie suite au décès du conjoint. Ainsi, le survivant sans droits propres connaîtrait une diminution de niveau de vie de 10% et, dès que les droits propres du survivant seraient supérieurs à 20% de ceux du défunt, le niveau de vie augmenterait suite au décès du conjoint ( cf. graphique 2). Le gain deviendrait important lorsque les deux conjoints ont la même retraite (+20%) et a fortiori lorsque le survivant a une retraite supérieure au défunt.
Réversion sans condition de ressources
Réversion sans condition de ressources
46À partir de la formule (II), il est possible de déterminer le taux de
réversion qui permettrait de maintenir le niveau de vie dans un système
sans condition de ressources. Il est égal à:
Pour une femme n’ayant pas acquis de droits propres, le maintien de son niveau de vie au décès du conjoint serait assuré par un taux de réversion de deux tiers avec l’échelle standard (ou 72% avec l’échelle « sans déménagement »). Pour le cas polaire d’un survivant qui percevrait une pension deux fois supérieure à celle du décédé, le taux devrait être nul. Pour les couples de retraités actuels (médiane de P s /P d =1/3), le taux de réversion qui permettrait de maintenir le niveau de vie pour la situation médiane serait ainsi voisin de 55% dans un système sans condition de ressources [29]. Avec l’augmentation de l’activité féminine, ce taux diminuera au fil des générations.
47Bien qu’il ait le mérite de la simplicité, un dispositif de réversion sans condition de ressources ne permet pas d’assurer le maintien de niveau de vie à chaque veuve ou veuf. Avec un taux de réversion optimisé pour la situation moyenne, il existe toujours des situations individuelles où le décès s’accompagne d’une perte de niveau de vie – cas des veuves n’ayant jamais travaillé – ou au contraire d’un gain – cas de nombreux veufs – cette perte ou ce gain dépassant souvent 20% en valeur absolue. L’introduction d’une condition de ressources permet de limiter les éventuels gains de niveau de vie à la suite du décès du conjoint lorsque la pension de droit direct du survivant est relativement élevée.
Analyse d’un système de réversion avec une condition de ressources différentielle
48Considérons, pour commencer, un régime théorique unique où la pension de réversion est versée sous une condition de ressources analogue à celle du régime général : lorsque la somme de la pension de droit direct du survivant P s et de la pension de réversion théorique taux. P d est supérieure au plafond de ressources, la pension de réversion servie devient différentielle, jusqu’à s’éteindre lorsque la pension de droit direct du survivant P s dépasse le plafond.
49La variation de niveau de vie n’est alors plus une simple fonction du ratio des pensions P s /P d. Elle dépend à la fois des niveaux de P s et de P d. Trois situations peuvent se présenter, correspondant aux trois portions des courbes présentées sur le graphique 3 :
- tant que la pension de droit direct du survivant ajoutée à la pension
de réversion reste en deçà du plafond, la condition de ressources
ne joue pas, si bien qu’on retrouve la courbe du graphique 2 (p.90)
correspondant au dispositif sans condition de ressources; - lorsque la pension de droit direct du survivant ajoutée à la pension de réversion excède le plafond de ressources, la pension de réversion devient différentielle, si bien que la variation de niveau de vie est une fonction décroissante de la pension de droit direct du survivant;
- lorsque la pension de droit direct du survivant excède le plafond de la condition de ressources, la pension de réversion n’est plus versée, si bien que l’on retrouve la courbe du graphique 1 (p. 89) correspondant à l’absence de réversion.
Réversion sous condition de ressources différentielle
Réversion sous condition de ressources différentielle
50Dans la réalité, le dispositif de réversion actuellement en vigueur pour les salariés du secteur privé est plus complexe, en raison de deux éléments :
- l’existence d’une pension de réversion minimum : celle du régime général ne peut être inférieure à un montant égal à 261 euros mensuels au 1er janvier 2008;
- l’existence des régimes complémentaires, qui n’appliquent pas de condition de ressources.
51La pension de réversion d’un défunt qui était salarié du privé comporte ainsi deux éléments : une pension de réversion versée par le régime général, calculée au taux de 54% et sous condition de ressources [30]; une pension de réversion versée par les régimes complémentaires au taux de 60%.
52L’analyse de ce système de réversion nécessite la construction de cas types (voir ci-après) ou bien l’utilisation d’outils de microsimulation (Crenner, 2008). Dans la suite de cet article, nous nous référons à des cas types correspondant à des veuves dont le mari défunt a effectué une carrière complète continue de salarié (homme de 60 ans ou plus, monopensionné du régime général). La législation appliquée en matière de réversion est celle en vigueur depuis la réforme de 2003, avec les barèmes de 2008 [31]. Deux cas types sont présentés : la veuve de non-cadre, et la veuve de cadre. Le cas type du cadre correspond au profil moyen des salariés du secteur privé ayant cotisé à l’Agirc pendant une partie au moins de leur carrière. Le non-cadre correspond au profil moyen des salariés du secteur privé n’ayant jamais cotisé à l’Agirc [32]. La retraite totale du défunt non-cadre s’élève à 1400 euros, celle du cadre à 2800 euros.
Réversion sous condition de ressources différentielle
Réversion sous condition de ressources différentielle
53La courbe représentant la variation de niveau de vie suite au décès en fonction de la retraite de droit direct de la veuve ( cf. graphique 4) comporte à nouveau trois portions selon que la réversion du régime de base est versée entière, réduite par l’application différentielle de la condition de ressources, ou non versée. Avec l’échelle standard, le maintien du niveau de vie est assuré à plus ou moins 10% près quasiment tout le long de la courbe, les veuves étant légèrement perdantes lorsqu’elles n’ont pas de retraite propre (sauf si cela est compensé par le minimum vieillesse) ou bien lorsque le montant de leur retraite est égal au plafond, tandis qu’elles sont légèrement gagnantes avec des retraites proches de la moitié du plafond ou bien avec des retraites élevées. Avec l’échelle « sans déménagement », on aurait une perte de niveau de vie allant de 0 à 20% tout au long de la courbe. Les résultats diffèrent peu selon que le mari était cadre ou non. Par rapport aux veuves de non-cadres, les veuves de cadres sont davantage pénalisées par la condition de ressources du régime de base, mais cela est compensé par la part plus importante des retraites complémentaires dans la retraite du défunt.
54Au vu de l’analyse sur cas types, les paramètres du système de réversion du secteur privé semblent bien calibrés pour assurer à peu près le maintien du niveau de vie quels que soient les niveaux de retraite de la veuve et du défunt. Comparé à un système de réversion sans condition de ressources, un système de réversion avec une condition de ressources différentielle dans le régime de base semble mieux atteindre l’objectif de maintien du niveau de vie quelle que soit la situation de l’assuré. Il n’y parvient toutefois pas parfaitement. D’une part, on reste en deçà ou bien on va au-delà du maintien du niveau de vie dans certaines situations. En particulier, les veuves sans droits propres restent en deçà de ce seuil, tandis que les veufs vont souvent nettement au-delà. D’autre part, les résultats des cas types présentés ne sont plus valables si le mari défunt avait une retraite complémentaire anormalement faible ou anormalement élevée par rapport à sa retraite de base, suite à une carrière heurtée ou atypique [33]. Les imperfections du dispositif actuel de réversion nous amènent à réfléchir sur des améliorations qui permettraient de mieux remplir l’objectif de maintien du niveau de vie dans chaque situation.
Une condition de ressources dégressive permettrait d’atteindre l’objectif de maintien du niveau de vie
55Si l’on veut assurer rigoureusement le maintien du niveau de vie avec
l’échelle d’équivalence standard [34], la solution théorique consiste à verser
au survivant une pension de réversion égale à:
Cette formule correspondrait à un dispositif de réversion avec condition de ressources dégressive :
- le taux de réversion serait fixé à 2/3 (il serait donc relevé);
- seuls les survivants dépourvus de retraite propre (P s = 0) percevraient une réversion complète (égale aux 2/3 de la retraite du défunt);
- pour les autres (P s >0), la réversion serait réduite par une condition de ressources dégressive avec un taux de dégressivité de 1/3 (pour chaque euro supplémentaire de retraite propre du survivant, on réduirait de 33 centimes la pension de réversion versée);
- la pension de réversion s’éteindrait lorsque P s atteindrait le double de P d, c’est-à-dire lorsque la retraite propre du survivant serait suffisamment élevée pour que le survivant puisse conserver son niveau de vie antérieur au décès sans réversion.
56Avec ce dispositif, le maintien du niveau de vie serait parfaitement assuré dans tous les cas, excepté lorsque P s > 2P d. Dans ce dernier cas, rare parmi les veuves mais fréquent parmi les veufs actuels, le survivant ne percevrait pas de réversion mais il aurait un niveau de vie supérieur au niveau de vie antérieur au décès grâce à sa seule retraite propre. Ce dispositif serait proche de celui évoqué récemment par Monperrus-Veroni et Sterdyniak (2008) [35].
57La mise en œuvre d’un tel dispositif de réversion serait facile dans le cadre d’un régime unique, mais délicate dans le cadre du système français, car elle nécessiterait beaucoup d’échanges d’information entre régimes [36]. À défaut, un autre dispositif plus proche du système actuel des salariés du secteur privé pourrait être envisagé. Ce système consisterait à appliquer un taux de réversion de 2/3 et à appliquer une condition de ressources dégressive au taux de 1/3, mais uniquement dans le(s) régime(s) de base, tandis que les régimes complémentaires pourraient conserver leurs règles actuelles (60% sans condition de ressources). Autrement dit, la pension de réversion versée par le(s) régime(s) de base du défunt [37] correspondrait à la formule : R = 2/3. P db – 1/3. P s où P s est la retraite totale du survivant (base +complémentaire) [38] et P db la pension de base du défunt.
58Rien ne changerait par rapport au système actuel du secteur privé, excepté la forme que prendrait la condition de ressources comme fonction de P s. Le graphique 5 (p.98) compare le montant de la réversion de base versée avec une condition de ressources dégressive au système actuel avec une condition de ressources différentielle au-delà du plafond de ressources. Selon les situations individuelles, le dispositif dégressif apparaît tantôt plus généreux, tantôt moins généreux [39].
59Avec le dispositif dégressif ainsi décrit, la réversion de base s’éteindrait dès que la retraite propre du survivant atteindrait le double de la pension de base P db du défunt. Pour une veuve, cette limite serait de l’ordre de 1900 euros à 2400 euros par mois pour un conjoint décédé ayant effectué une carrière complète continue [40], soit une limite élevée par rapport aux retraites féminines. Pour les veufs en revanche, cette limite serait basse et presque toujours dépassée, de sorte que les veufs cumuleraient – comme aujourd’hui – leur retraite de droit direct plus la réversion complémentaire issue de leur épouse, ce qui leur permettrait souvent de dépasser le niveau de vie antérieur au décès.
60Tant que cette limite ne serait pas atteinte (P s < 2. P db ), le maintien du niveau de vie avec l’échelle standard serait quasiment assuré [41], quelle que soit la retraite du survivant et du défunt [42] ( cf. graphique 6, p.99). C’est là l’avantage d’une condition de ressources dégressive par rapport à la condition de ressources actuelle, avec laquelle il y a tantôt perte tantôt gain de niveau de vie ( cf. graphique 4, p. 94).
Réversion versée par le régime général en fonction de la retraite totale du survivant Ps
Réversion versée par le régime général en fonction de la retraite totale du survivant Ps
Réversion sous condition de ressources dégressive
Réversion sous condition de ressources dégressive
Conclusion
61De façon très schématique, il existe en France deux systèmes de pensions de réversion, l’un applicable lorsque le défunt est un assuré du secteur public, l’autre lorsqu’il appartient au secteur privé. Dans le premier cas, une pension de réversion unique est versée au taux de 50% sans condition de ressources. Dans le second cas, la pension de réversion du régime de base est complétée par celle du ou des régimes complémentaires; les taux de réversion sont plus élevés (54% dans le régime de base, 60% en général dans les régimes complémentaires), mais une condition de ressources différentielle s’applique à la réversion de base.
62Nos calculs sur cas types effectués à partir de l’échelle d’équivalence standard montrent que, pour les générations de retraités actuellement concernées par le veuvage, les deux systèmes permettent à la majorité des veuves de maintenir à peu près le niveau de vie antérieur au décès de leur conjoint – plus précisément, elles risquent de subir une légère baisse de niveau de vie – tandis que la plupart des veufs disposent d’un niveau de vie supérieur à celui antérieur au décès de leur conjointe. Les paramètres du système français de réversion semblent ainsi à peu près bien calibrés pour assurer en moyenne le maintien du niveau de vie, dans le public comme dans le privé. Pour les générations futures, à législation inchangée, on pourrait aller au-delà du maintien du niveau de vie pour les veuves, surtout dans le système public, tandis que les gains de niveau de vie s’amoindriraient pour les veufs.
63Selon les situations individuelles, il peut y avoir perte ou gain de niveau de vie suite au décès du conjoint. Le paramètre le plus déterminant est le ratio entre la retraite propre du survivant et celle du défunt. La perte de niveau de vie est maximale pour les veuves n’ayant pas ou peu de droits propres, tandis que le gain de niveau de vie est maximal pour les veufs dont l’épouse avait peu de droits propres. Grâce à l’introduction d’une condition de ressources dans le régime de base, compensée par des taux de réversion plus généreux, le système en deux étages du secteur privé limite l’importance des pertes ou des gains individuels. En aménageant cette condition de ressources (condition de ressources dégressive et non plus différentielle au-delà d’un plafond) et en relevant le taux de réversion à deux tiers, il serait même possible d’assurer exactement le maintien du niveau de vie des veuves quel que soit le montant de la retraite du survivant et du conjoint. La plupart des veufs actuels, en revanche, voient inévitablement leur niveau de vie s’accroître après le décès dès lors que les régimes complémentaires leur versent des réversions sans condition de ressources.
64Notre analyse rappelle que, pour les générations actuellement concernées par le veuvage, dans lesquelles les retraites de droits directs des femmes représentent moins de la moitié de celles des hommes, les pensions de réversion paraissent indispensables pour les veuves mais superflues pour les veufs : même en l’absence totale de réversion, la majorité des veufs verraient leur niveau de vie augmenter suite au décès. Le versement de pensions de réversion aux veufs ne se justifie aujourd’hui que par l’application du principe d’égalité des droits entre hommes et femmes. Il semblerait judicieux que des conditions de ressources ou des plafonnements limitent le gain de niveau de vie lorsque la retraite du survivant excède celle du défunt.
65Pour les générations futures, dans lesquelles les montants des retraites des femmes et des hommes devraient se rapprocher, les pensions de réversion deviendraient utiles aux veufs comme aux veuves. La réversion serait alors moins destinée à compenser la faiblesse des retraites féminines dans un modèle traditionnel où l’homme est le principal pourvoyeur de ressources, qu’à compenser la perte de niveau de vie induite par la fin des économies d’échelle permises par la vie en couple. Tous ces résultats se réfèrent à l’échelle d’équivalence standard, qui considère que le maintien du niveau de vie est assuré si le survivant dispose de deux tiers des revenus du couple antérieur. Cependant, si la personne veuve ne déménage pas pour habiter un logement plus petit après le décès – ce qui est généralement le cas – l’échelle d’équivalence pertinente est un peu plus plate que l’échelle standard : le maintien du niveau de vie correspond alors à des revenus de l’ordre de 72% de ceux du couple. Et l’on se situe alors, pour la plupart des veuves des générations actuelles, en deçà du maintien du niveau de vie. La question se pose alors de savoir quel est le comportement que l’on juge normal et souhaitable pour une personne âgée veuve : conserver son logement antérieur; ou bien déménager pour un logement plus petit, qui pourrait aussi être mieux adapté. Cette question relève de considérations normatives et politiques. Dans le premier cas, le système de réversion français apparaît insuffisamment généreux pour les veuves. Dans le second cas, l’amélioration de la situation des veuves pourrait passer par la politique du logement plutôt que par une générosité accrue du système de réversion.
66Notre analyse omet deux aspects importants. D’une part, nous avons laissé de côté l’effet du patrimoine, qui est extrêmement variable selon le niveau de richesse des ménages et selon les choix successoraux. D’autre part, il est possible que le veuvage engendre une hausse de la demande de services domestiques marchands, en particulier pour les personnes handicapées ou dépendantes qui se retrouvent seules. Ces deux aspects sont laissés à de futures recherches.
67Enfin, l’analyse par cas types, si elle permet d’identifier les mécanismes et les effets de la législation, ne peut être représentative de l’ensemble des situations. Elle doit être complétée par une analyse empirique permettant de saisir la diversité des situations dans la population, en tenant compte de la fiscalité, des prestations sociales (minimum vieillesse et allocations logement), et si possible des revenus du patrimoine. C’est ce qui est proposé par Bonnet et Hourriez « Quelle variation de niveau de vie suite au décès du conjoint ?» (2009, p.106 de ce numéro).
Bibliographie
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Notes
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[1]
Cet article est issu de réflexions menées au sein du secrétariat général du Conseil d’orientation des retraites (Cor) dans le cadre de la préparation du 6e rapport du Cor consacré aux droits familiaux et conjugaux (Cor, 2008). Les principaux éléments de cet article ont été repris dans ce rapport. L’ensemble des vues exprimées dans cet article n’engage cependant que les auteurs et en aucune façon le Conseil d’orientation des retraites.
-
[2]
Les données brutes de l’enquête CAMS (Consumption and Activities Mail Survey) mettent en évidence une chute des dépenses de 25% dans l’année qui suit le décès. Cependant, les dépenses baissent aussi légèrement dans le groupe témoin (couples de retraités où aucun décès n’est intervenu) à cause des biais liés à la source, de sorte que les auteurs estiment la chute moyenne de consommation dans l’année qui suit le veuvage à 16%. Ces observations ne constituent pas une mesure de l’échelle d’équivalence. En effet, l’évolution des dépenses ne reflète l’évolution des besoins que pour des ménages d’épargnants qui ne sont pas contraints budgétairement. Pour des ménages contraints budgétairement, l’évolution des dépenses reflète surtout l’évolution des revenus.
-
[3]
Les personnes âgées peuvent éprouver plus de difficultés que les personnes plus jeunes à adapter leur mode de vie à un changement de composition du ménage, car leur comportement de consommation est davantage marqué par le désir de conserver leurs habitudes.
-
[4]
Par exemple, en matière de transports, l’automobile est moins rentable pour une personne seule que pour un couple, tandis que les transports en commun deviennent plus attractifs; le survivant peut donc avoir intérêt à revendre l’automobile du couple ou à choisir une voiture moins onéreuse.
-
[5]
Par exemple, dans l’enquête « ERFI » réalisée par l’Insee et l’Ined auprès d’un échantillon de ménages, où une question sur le taux de réversion souhaitable a été introduite, une majorité d’enquêtés s’est prononcée en faveur d’un taux de réversion à 100%, dans le cas d’une veuve n’ayant jamais travaillé (Bonnet, Destré, 2008).
-
[6]
Le barème du minimum vieillesse (montant 1,8 fois plus élevé pour le couple que pour la personne seule) est demeuré proche de l’échelle d’Oxford jusqu’en 2008. Cependant, la revalorisation du minimum vieillesse versé aux personnes seules prévue dans la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) 2009 devrait rapprocher le barème de l’échelle standard, sous réserve des décrets d’application de cette loi. Voir à ce sujet l’article de Augris N. et Bac C., p. 14 de ce numéro.
-
[7]
Voir Atkinson et al. (OCDE, 1995), ou le rapport « Croissance et inégalités » (OCDE, 2008).
-
[8]
Si l’on observe dans les enquêtes qu’une personne vivant seule avec un budget de 1000 euros par mois dépense autant pour ses vêtements qu’une personne vivant dans un couple sans enfant dont le budget est de 1500 euros, alors l’échelle d’équivalence est estimée à 1,5.
-
[9]
Si, au vu des déclarations des ménages, une personne vivant seule avec un budget de 1000 euros par mois se déclare aussi à l’aise financièrement qu’une autre personne vivant dans un couple sans enfant dont le budget est de 1500 euros, alors l’échelle d’équivalence est estimée à 1,5.
-
[10]
Voir Atkinson et al. (OCDE, 1995).
-
[11]
Le terme de bien collectif est employé par analogie avec l’économie publique. Mais ici, il s’agit de biens collectifs à l’intérieur du ménage.
-
[12]
Les paramètres de l’échelle d’Oxford avaient été calculés dans les années 1940 à partir des besoins nutritionnels, en supposant que ceux de la femme représentaient 70% de ceux de l’homme. À cette époque, l’alimentation représentait plus de la moitié des budgets ouvriers.
-
[13]
On pourrait vouloir estimer des échelles d’équivalence sur des sous-populations. Les tentatives faites dans la littérature mettent cependant en évidence l’instabilité des résultats.
-
[14]
Les femmes consomment plus de soins médicaux (hors maternité) que les hommes.
-
[15]
Les situations de dépendance ne concernent qu’une minorité de personnes âgées, et sont extrêmement variables. Si la personne veuve souffre de handicap ou de dépendance et qu’elle était assistée par son conjoint défunt, elle devra recourir à des services marchands, et elle risque ainsi d’avoir des besoins plus importants après le décès qu’avant. Inversement, si c’était le défunt qui était dépendant, son décès entraîne une baisse importante des dépenses du ménage.
-
[16]
La structure de consommation présentée dans le tableau 3 (p.84) ne prend pas en compte les loyers fictifs. En effet, le niveau de vie – ou revenu par unité de consommation – étudié dans cet article prend en compte une définition du revenu qui n’intègre pas les loyers fictifs (il s’agit, pour l’essentiel, des retraites par unité de consommation). Puisque le revenu ne prend pas en compte les loyers fictifs, il est logique que l’échelle d’équivalence soit également basée sur une structure de consommation hors loyers fictifs. En toute rigueur, si l’on intégrait les loyers fictifs dans le revenu, il faudrait déterminer une échelle d’équivalence adaptée à une structure de consommation y compris loyers fictifs (le poids du logement serait plus important, donc le paramètre ? serait un peu plus faible). Cependant, l’écart entre les deux échelles avec ou sans loyers fictifs est négligeable : ? = 0,65 avec loyers fictifs contre ? = 0,69 sans loyers fictifs).
-
[17]
Avec une spécification en N?, les besoins d’un couple sont évalués à 2?, ce qui donne ici un paramètre plus proche de 1,6 que du 1,5 de l’échelle standard. Hourriez et Olier (1998) ont testé d’autres spécifications et ont montré qu’une spécification linéraire (sous forme d’unités de consommation) convenait mieux aux données qu’une spécification concave en N? et donnait bien une valeur proche de 0,5 pour l’adulte et 0,3 pour l’enfant. La spécification en N? est utilisée ici parce qu’elle rend les calculs plus simples avec un modèle de Prais-Houthakker : après passage en log, le modèle devient linéaire, d’où la formule (I).
-
[18]
Les dépenses de loyers sont relativement faibles, puisque les personnes âgées sont plus souvent propriétaires, mais le poste « énergie pour le logement » est particulièrement lourd.
-
[19]
D’après le modèle de Prais-Houthakker cité précédemment, l’échelle spécifique au logement estime que les besoins de logement d’un couple représentent 1,33 fois (20,41 ) ceux d’une personne seule.
-
[20]
En mettant à zéro la valeur de ?k pour les dépenses d’habitation, nous simulons ce que serait l’échelle d’équivalence globale si le logement devenait un bien public pur, c’est-à-dire si les besoins de logement d’un ménage étaient indépendants du nombre de personnes habitant dans le logement. Cela reflète l’attitude des personnes qui désirent conserver le même logement après le décès de leur conjoint, puisque leurs besoins en matière de dépenses d’habitation leur apparaissent identiques avant et après le décès.
-
[21]
Ce calcul est réalisé sans prendre en compte les loyers fictifs dans la structure de la consommation. Si on les prenait en compte, on obtiendrait ? = 0,49 pour l’échelle sans déménagement, contre ? = 0,65 pour l’échelle avec déménagement, soit un supplément de consommation lié à l’absence de déménagement estimé à 20,16 = 1,12. Le fait d’inclure les loyers imputés alourdit le poids de l’habitation dans la structure de la consommation, de sorte que le surcoût lié à l’absence de mobilité vers un logement plus petit apparaît plus important. Les besoins du survivant en l’absence de déménagement représenteraient alors 2/3 x 1,12 = 75% des revenus du couple. Cependant, si l’on utilise cette échelle, il convient de prendre en compte les loyers fictifs dans le revenu; la baisse des revenus après le décès est alors moins prononcée, puisque le survivant propriétaire ou usufruitier conserve 100% du loyer fictif antérieur.
-
[22]
Dans une succession standard (régime matrimonial légal, pas de biens propres à l’un des époux, ni donation entre époux, ni testament, ni assurance vie, ni enfants nés d’une précédente union), le conjoint survivant récupère sa part, correspondant à la moitié du patrimoine du couple, et hérite du défunt une fraction correspondant, au choix, à un quart de la succession en pleine propriété ou à la totalité de la succession en usufruit. Il peut donc posséder soit 5/8 du patrimoine du couple en pleine propriété, soit posséder la moitié du patrimoine du couple en pleine propriété et l’autre moitié en usufruit.
-
[23]
(Ressources propres du survivant + pension de réversion du régime de base) < plafond.
-
[24]
Le plafond pour une personne seule représente 2080 fois le Smic horaire.
-
[25]
Dans le cadre du rendez-vous 2008 sur les retraites, le document d’orientation du 28 avril 2008 précisait que le taux de réversion pour le régime général et les régimes alignés, qui était de 54% depuis le 1er janvier 1995, serait augmenté en trois étapes : 56% au 1er janvier 2009,58% au 1er janvier 2010 et 60% au 1er janvier 2011. Dans la LFSS 2009 (loi de financement de la Sécurité sociale), il est instauré une majoration de la pension de réversion, qui devrait porter le taux de réversion de 54% à 60%. Sous réserve des décrets d’application, cette majoration serait soumise à une condition d’âge (plus de 65 ans) et une condition de ressources plus restrictive (somme des retraites du survivant de droit direct ou de droit dérivé inférieure à environ 800 euros par mois).
-
[26]
D’après les enquêtes « Revenus fiscaux » 1999-2001 (Insee). Le ratio entre retraite moyenne féminine et retraite moyenne masculine est voisin de ½ dans l’ensemble de la population des retraités, mais les femmes mariées ont des retraites inférieures aux femmes célibataires ou divorcées. On observe le contraire pour les hommes.
-
[27]
Entre la génération 1915-1919 et la génération 1930-1934, le ratio est passé de 0,28 à 0,38.
-
[28]
À l’origine, les pensions de réversion étaient réservées aux veuves : en droit dans la Fonction publique où, jusqu’en 1973, les veufs ne pouvaient y prétendre qu’en cas d’invalidité. Ensuite, de 1973 à 2004, ils ne pouvaient en bénéficier qu’à partir de 60 ans, sauf invalidité; ou en fait dans le régime général, puisque la pension de réversion n’était par le passé cumulable ni avec une activité professionnelle ni avec une retraite personnelle, ce qui excluait de facto les hommes (Cor, 2008).
-
[29]
Le taux de réversion de 50% en vigueur dans les régimes spéciaux semblerait ainsi légèrement insuffisant pour les générations de veuves actuelles. Cependant, le ratio Ps/Pd pourrait s’écarter de la valeur médiane d’un tiers pour les affiliés des régimes spéciaux.
-
[30]
La condition de ressources déterminant la réversion du régime de base Rdb s’écrit Ps+Rdb ?Plafond, où Ps inclut la retraite totale du survivant (y compris les complémentaires) ainsi que les autres ressources propres du survivant (supposées nulles ici).
-
[31]
La loi de 2003 a instauré la condition de ressources différentielle à la place des conditions de cumul antérieures. Depuis, le plafond (2080 fois le Smic horaire) est revalorisé comme le Smic.
-
[32]
Pour construire les cas types, nous avons repris et actualisé pour l’année 2008 deux cas types construits à l’occasion du troisième rapport du Cor. La retraite totale (1500 euros pour le non-cadre, 2800 euros pour le cadre) correspond à la moyenne observée dans l’échantillon interrégimes 2001 de la Drees (Coëffic, 2002), les données ayant été actualisées à janvier 2008 au rythme de l’évolution moyenne des retraites masculines (inflation + effet « noria »). La part de la retraite complémentaire dans la retraite totale (33% pour le non-cadre, 58% pour le cadre) correspond également aux moyennes observées à partir de l’échantillon interrégimes. Ainsi, le non-cadre et le cadre perçoivent respectivement 1000 euros et 1180 euros de retraite de base ainsi que 500 euros et 1620 euros de retraite complémentaire.
-
[33]
Dans la mesure où les régimes complémentaires n’appliquent pas de condition de ressources, le maintien du niveau de vie du survivant est d’autant mieux assuré que la part de la retraite complémentaire dans la retraite totale du défunt est élevée. Dans les cas types présentés où le mari a effectué une carrière complète continue, la part de la retraite complémentaire croît en principe en fonction du niveau de retraite totale, d’où les résultats obtenus sur le graphique 4. Cependant, si la part de la retraite complémentaire du défunt est anormalement faible (ou élevée) par rapport au cas type du salarié ayant effectué une carrière complète continue, alors le maintien du niveau de vie est moins bien (ou mieux) assuré que dans les cas types présentés dans cet article.
-
[34]
Pour l’échelle « sans déménagement », la formule (III) deviendrait : R = 0,72. P d – 0,28. P s.
-
[35]
Monperrus-Veroni et Sterdyniak (2008) proposent de laisser le taux de réversion à 60% en plafonnant la réversion de sorte que les ressources du survivant ne dépassent pas 2/3 des revenus du couple antérieur. Ce dispositif s’avère équivalent à celui que nous proposons dès que P s >0,2P d, c’est-à-dire dans la plupart des cas. La seule différence est que les veuves sans droits propres n’auraient, dans ce dispositif proposé, que 60% au lieu des 2/3 des revenus du défunt.
-
[36]
Chaque régime dont relevait le défunt aurait besoin de connaître à la fois la valeur de P s et celle de la retraite totale tous régimes du défunt P d, afin de déterminer la réversion totale tous régimes R du défunt selon la formule (III). Le versement de R serait ensuite réparti entre les différents régimes au prorata des pensions de droit direct versées au défunt avant le décès. Actuellement, le régime général et les régimes alignés collectent la valeur de P s (déclaration de ressources du survivant, permettant de tester la condition de ressources) mais pas celle de P d. Tout au plus existe-t-il, afin d’appliquer la condition de ressources aux polypensionnés régime général + régimes alignés, un échange d’informations entre le régime général et les régimes alignés sur les pensions du défunt versées par ces régimes avant le décès.
-
[37]
Pour les polypensionnés régime général + régime alignés, il s’agit de la somme des réversions versées par les régimes de base. Pour appliquer la condition de ressources, chaque régime de base a besoin de connaître P s et P db, ce qui est déjà le cas actuellement pour le régime général et les régimes alignés.
-
[38]
Dans la législation actuelle, P s désigne en réalité l’ensemble des ressources propres du survivant, c’est-à-dire non seulement la retraite totale du survivant de droit propre (base et complémentaires), mais aussi ses autres revenus propres éventuels :revenus d’activité, pensions alimentaires, revenus du patrimoine propres (non issus du patrimoine commun du couple). Dans les cas types présentés ici, ces autres revenus propres sont supposés nuls.
-
[39]
L’impact sur les dépenses globales du régime général est donc indéterminé.
-
[40]
Cette limite dépendrait de la valeur de P db, contrairement au plafond de la condition de ressources actuelle, qui est fixe (1463 euros en 2008).
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[41]
Sur le graphique 5 (p. 98), on se situe un peu en deçà du maintien du niveau de vie, car les régimes complémentaires sont censés conserver leur taux de réversion à 60%. Pour obtenir le strict maintien du niveau de vie avec l’échelle standard, il faudrait un taux de réversion de deux tiers dans les régimes complémentaires.
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[42]
Ce résultat pourrait toutefois être remis en cause dans l’hypothèse où les ressources du couple ne sont pas constituées exclusivement de pensions de retraite. Si le survivant a des ressources propres autres que sa pension (revenus d’activité, revenus d’un patrimoine propre, etc.), ces résultats sont conservés, Ps désignant alors la somme des ressources propres du survivant. En revanche, la présence de revenus du patrimoine commun au couple, en partie hérités par le conjoint survivant, peut remettre en cause ces résultats.