Notes
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[1]
Le Crédoc est le Centre pour l’étude et l’observation des conditions de vie.
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[2]
On entend par senior dans cet article, les personnes de 50 ans ou plus en âge de travailler (soit jusqu’à 60, voire 65 ans aujourd’hui).
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[3]
L’étude qualitative a été menée, sur la base d’entretiens individuels de 1 heure 30, auprès de 34 directeurs des ressources humaines (14 en entreprises de plus de 1000 salariés, 10 en entreprises de 500 à 1000 salariés et 10 en entreprises de moins de 500 salariés) et auprès de 46 seniors (15 actifs, 7 préretraités, 11 chômeurs et 13 intérimaires). Les secteurs de l’industrie, du BTP, des transports, du commerce, des services et des technologies de l’information et de la communication étaient représentés.
1 Après des années d’une crise économique qui a en particulier touché la population des actifs de plus de 50 ans induisant des situations critiques de chômage de longue durée dans cette catégorie, l’embellie économique apparue en 1997 s’accompagne d’effets bénéfiques sur le monde du travail. Elle a en effet généré une confiance retrouvée du consommateur dont le panier moyen de dépenses s’est largement développé, phénomène qui, cumulé à la belle santé du commerce mondial, a nettement favorisé l’emploi. En quatre ans, le taux de chômage est ainsi passé de près de 12% à moins de 9%. Même si ce dernier semble légèrement augmenter à nouveau ces derniers mois, et si le contexte international est plus tendu, les Français restent plutôt confiants, ce qui laisse augurer une certaine stabilité de l’emploi.
2Dans ce contexte, la place des seniors [2] dans l’économie a repris une importance qu’elle avait en partie perdue durant les années de crise. On l’a vu par exemple à la fin 1999, lorsqu’EDF a rappelé ses jeunes retraités pour réparer au plus vite les dégâts de la tempête qui privait des centaines de milliers de foyers d’électricité. On en parle également grâce aux fleurons de la nouvelle économie, les start-up, qui ont su résister aux aléas en recrutant des personnes expérimentées dans les domaines de la gestion des ressources humaines ou du management de l’entreprise.
3Par ailleurs, les générations du baby-boom commençant à parvenir à l’âge de la retraite, cette question se fait aujourd’hui particulièrement cruciale : de plus en plus de retraités, de moins en moins d’actifs. Le système de la retraite par répartition n’est-il pas en voie de faire faillite dans les décennies à venir ? Et la durée du travail ne risque-t-elle pas de s’allonger et de conduire les plus de soixante ans à rester de plus en plus longtemps actifs ?
4Cette double problématique conduit à s’interroger sur des solutions pour intégrer, ou réintégrer, les seniors dans le monde du travail. Une étude réalisée par le Crédoc à la demande du Syndicat des entreprises de travail temporaire (Sett) a permis de mettre en exergue les grandes difficultés que rencontrent actuellement les plus de 55 ans pour demeurer et s’épanouir dans l’univers professionnel [3]. La question subséquente est celle du rôle de l’intérim dans un tel contexte : ce mode de gestion du travail et du personnel peut-il avoir un aspect positif, tant pour les entreprises que pour les seniors ?
? État des lieux
? Demain, un afflux de seniors
5Le baby-boom n’est pas un simple mot qui revient à la mode. Du fait de la « surfécondité » consécutive à l’après-guerre puis d’une baisse de la natalité à partir des années soixante-dix, on estime que la part des 50 ans et plus dans la population, qui est restée très stable pendant près de quarante ans – environ 28 à 30% de la population totale – va rapidement s’accroître, pour atteindre les 40 % en 2020, voire les 45 % en 2050. Pour la problématique qui nous concerne plus directement, en 2006, les effectifs de la classe d’âge comprise entre 50 et 60 ans auront augmenté de 25 % par rapport à ceux enregistrés en 2000, passant de 6,7 à 8,4 millions d’individus.
6Cette recrudescence des jeunes seniors n’est évidemment pas sans conséquence. De plus en plus nombreux, et dotés d’un pouvoir économique fort, les plus de 50 ans, et en particulier les plus jeunes d’entre eux, vont de plus en plus peser sur l’économie et la consommation : cela est déjà visible sur les tendances enregistrées d’une exigence croissante de qualité, de biens durables et de personnalisation des objets de consommation.
? Des seniors peu présents dans l’entreprise
7Qu’en est-il de leur rapport avec le monde professionnel ? C’est là qu’on enregistre une véritable « désaffection » pour cette population. Tout d’abord, la cessation d’activité intervient de plus en plus tôt : en 1970, l’âge moyen auquel on quittait le monde du travail était de 62,5 ans; en 1997, il n’était plus que de 58,8 ans.
8Cette tendance peut permettre d’expliquer en partie le fait qu’il y a moins de seniors chômeurs que de jeunes : les départs en préretraite viennent en effet lisser ces chiffres (taux de chômage de 5,7% chez les 50-59 ans avec la répartition suivante : 7,4% entre 50 et 55 ans et 2,8% seulement au-delà).
Répartition de la population des 50-60 ans selon le sexe, l’âge et la catégorie d’activité
Répartition de la population des 50-60 ans selon le sexe, l’âge et la catégorie d’activité
9Le principe des préretraites, introduit au début des années de crise, qui a profité à plus de 70000 seniors en 1999, est encore largement utilisé, alors même que l’on s’interroge sur l’allongement de la durée du travail. Passées de 37,5 à 40, les années de cotisations nécessaires à la constitution d’une retraite à taux plein devront peut-être, selon certaines études, être encore étendues à 42, voire 45. Des départs à la retraite de plus en plus précoces, des pressions accrues sur les régimes de retraite, des seniors en meilleure forme physique… autant d’éléments contradictoires que la France ne s’est pas encore véritablement occupée de traiter. Et les autres pays ?
10C’est dans les pays scandinaves que la situation diffère le plus de la nôtre : 63 % des 55-64 ans y sont encore au travail, et la Suède vient de mettre en place une modulation de l’âge de laretraite entre 61 et 70 ans assortie de pénalités ou de bonifications selon les cas.
11Plus globalement, l’âge légal de la retraite n’a pas le même sens partout. Ainsi, au Royaume-Uni, il n’existe pas d’âge légal à proprement parler, mais un âge minimum ouvrant droit à la pension nationale. Il est actuellement de 65 ans pour les hommes et de 60ans pour les femmes, mais pour ces dernières, il sera porté graduellement à 65ans entre 2010 et 2020. En Allemagne, une réforme de 1992 a relevé l’âge de la retraite de 60ans pour les femmes et 63 ans pour les hommes à 65ans pour les deux sexes (graduellement jusqu’en 2012), et a pénalisé davantage les pensions versées en cas de retraite anticipée.
L’âge moyen de cessation d’activité chez les hommes en 1970 et 1995
L’âge moyen de cessation d’activité chez les hommes en 1970 et 1995
L’âge moyen de cessation d’activité chez les femmes en 1970 et 1995
L’âge moyen de cessation d’activité chez les femmes en 1970 et 1995
12Aux États-Unis, depuis 1986, il n’y a plus d’âge légal de la retraite.
13Jusqu’en 1999, l’âge minimal pour avoir droit à une retraite à taux plein était 65 ans. Depuis 2000, cet âge augmente progressivement, de deux mois par an, pour atteindre 66 ans en 2005. Il augmentera à nouveau à partir de 2016 pour atteindre 67 ans en 2021. Hormis ces arrangements avec un âge-couperet de la retraite plus (en France) ou moins (pays scandinaves, États-Unis, etc.) strict, d’autres solutions existent, susceptibles d’introduire un supplément de souplesse dans la gestion du travail, tant du point de vue des entreprises que de celui des salariés.
14En ce sens, l’intérim reste aujourd’hui une solution très peu exploitée chez nous : globalement, les plus de 50 ans représentent à l’heure actuelle moins de 5% de l’ensemble des personnels intérimaires. Certains pays, moins « prudents » que le nôtre, ont déjà cherché à recourir à ce vivier de nouveaux emplois : les Pays-Bas, par exemple, également confrontés à un vieillissement de leur population, et dans la crainte d’une brusque tension sur le marché du travail, ont vu se développer des agences destinées à proposer des missions aux seniors de plus de 65 ans sortis de l’univers professionnel.
15D’autres, comme la France, n’ont pas – encore ? – accompli leur révolution culturelle, et continuent à la fois de voir l’intérim avec suspicion et de ne pas envisager une vie professionnelle après la retraite. Si la place de l’intérim dans le paysage économique français a profondément évolué ces dernières années (à la fin des années quatre-vingt, en équivalent temps plein, bien moins d’1 % des actifs était intérimaires; en 2000, le taux se situe à plus de 2 %, à comparer aux 3,7 % en CDD et aux 10 % de chômeurs de l’époque), la part des seniors intérimaires reste complètement marginale (5 % des intérimaires ont plus de 50 ans; et les intérimaires de plus de 50 ans représentent moins de 0,3% des actifs de leur classe d’âge) dans un secteur d’activité encore largement axé sur les jeunes (l’âge moyen des intérimaires était en 2001 de 29 ans). Par ailleurs, alors que l’intérim est d’abord centré sur les métiers industriels (51 % des intérimaires travaillent dans ce domaine, 31% dans le tertiaire et 17% dans le bâtiment), les seniors intérimaires sont essentiellement recrutés pour des emplois de services (secrétariat…).
16Moins décrié que jadis, l’intérim reste bien compris, en France, comme un moyen de pénétrer le monde professionnel. Mais s’il était également une voie de « sortie en douceur » ?
17L’étude réalisée à la demande du Sett évoquée plus haut, a porté sur la perception hautement dévalorisée des capacités des seniors dans l’univers professionnel, et sur les atouts éventuels que pourrait constituer l’intérim.
? Un constat : les seniors sont mal vus dans l’entreprise
? A priori, les seniors présentent bien des atouts
18Lorsqu’on aborde ce sujet avec l’ensemble des DRH (directeurs de ressources humaines), ceux-ci, dans un premier temps, reconnaissent bien volontiers l’existence d’atouts à recruter et à travailler avec des plus de 50 ans.
19Il s’agit d’une population détentrice d’une réelle expérience, d’un vrai savoir-faire. L’expérience renvoie à une autonomie accrue, qui permet au senior de répondre à une gamme de situations extrêmement variées, alors qu’un néophyte ne pourra répondre qu’aux situations les plus courantes. De plus, le senior est la « mémoire » de l’entreprise.
« On a du personnel qui sollicite des départs en préretraite qu’on refuse pour pouvoir maintenir des compétences dans l’entreprise, ce sont en général ces gens-là qui possèdent le savoir-faire ».
21Les seniors transmettent le savoir-faireet l’insufflent à toute une équipe. Toutefois, ce rôle de tuteurreste aujourd’hui largement informel, de l’aveu même des DRH.
22Ils disposent également d’une maturité psychologique qui peut les conduire à un rôle stabilisateur au sein d’une équipe, induisant une ambiance générale de sérieux qui peut déboucher sur un accroissement de la motivation au travail.
« Ils ont une bonne organisation du travail, leurs méthodes de travail sont bien adaptées, ils sont reposants, ils ont du recul ».
24Du fait de leur position dans le cycle de vie, les seniors ont une réelle disponibilité: les enfants sont autonomes, les contraintes liées à la vie familiale s’estompent. Et pourtant, cette particularité, souvent mise en avant par les seniors eux-mêmes, semble peut prise en compte par les DRH. Ce sont aussi des personnes plus stables que les jeunes, plus fidèles à l’entreprise, autre élément ignoré des professionnels du recrutement. Dans le même sens, les seniors ont souvent moins d’exigence en terme de carrière car ils n’ont plus grand-chose à prouver professionnellement.
25Qu’est-ce qui justifie alors le malaise dont témoigne l’ensemble des salariésinterrogés ? Souvent amers, désabusés, ils se sentent pour la plupart au mieux, « mis au placard », au pire rejetés du monde du travail. C’est qu’au-delà d’une analyse relativement objective, les responsables du personnel en viennent à tenir un tout autre discours, nettement plus en phase avec la situation constatée. L’ostracisme existe bien, de leur propre aveu : le quinquagénaire n’est pas le bienvenu dans l’entreprise, dans une société plutôt axée sur le « jeunisme ». Exhiber ses seniors, c’est risquer d’apparaître moins dynamique que la concurrence, c’est aussi souffrir d’un handicap dans un contexte de compétitivité accrue… Et les contre-arguments défilent alors, implacables pour ce qui est de l’éventuel recrutement de seniors.
? Ils rencontrent des freins puissants
26Le salarié proche de la retraite est perçu comme disposant de moins de temps qu’un candidat plus jeune pour exprimer son potentiel au sein de l’entreprise ; le « retour sur investissement » serait ainsi trop court pour être rentable.
27Le senior se voit également accusé de manque de dynamisme, surtout pour les postes les moins qualifiés. Il se voit taxé d’une certaine démotivation, alors même que le poste lui-même ne dispose que de peu d’éléments motivants. Cette accusation s’estompe à mesure que l’on progresse dans la hiérarchie des emplois.
28Un point crucial dans le discours des DRH concerne les rémunérations des seniors : globalement, ceux-ci sont vus comme une population trop coûteuse.
« On va être de plus en plus concurrencés à bas coûts par les pays du Sud-Est asiatique. Alors, si j’emploie des personnes âgées, je perds en compétitivité en raison des salaires ».
30De plus, si embaucher un senior ne serait pas impossible à des coûts moindres – certains seniors interrogés sont tout à fait ouverts à cette éventualité –, cela risquerait alors d’entraîner un déséquilibre salarial dans l’entreprise – les seniors en poste étant forcément mieux payés – ce qui pourrait nuire in fine aux relations sociales. Il y a là un véritable travail à accomplir concernant les grilles de rémunération…
31La culture et les habitudes acquises à l’externe sont également perçues comme des freins à l’adhésion aux valeurs nouvelles de l’entreprise qui recrute : ce manque « d’adaptabilité » ressemble à un procès d’intention que rien dans les faits ne semble venir étayer.
« Je n’ai pas eu connaissance de conflit particulier, mais il est clair que les plus de 50 ans étant assez réticents au changement…».
33Cette idée repose en particulier sur les difficultés que certains quinquagénaires ont eues pour se mettre à l’outil informatique.
34Mais on peut penser que ce frein, dans les années à venir, va disparaître naturellement.
35Plus généralement, le manque « d’adaptabilité » semble être particulièrement reproché aux seniors peu qualifiés : plus le contenu du travail est normé et répétitif, compte tenu d’une rationalisation toujours en progrès des processus de production, plus la valeur de l’expérience du salarié est niée.
36Enfin, l’image même du senior semble contre-productive pour l’entreprise, dans ce contexte de « jeunisme » auquel nous faisions allusion plus haut. Dans un nombre non négligeable de cas, les seniors sont vus comme générant un handicap d’image.
« On pourrait être regardé de l’extérieur comme une société de vieux, et également de l’intérieur par les jeunes qui sont là, et qui auraient l’impression qu’ils ne peuvent pas développer leur carrière, car ils sont barrés par des gens plus âgés qu’eux ».
? Des freins structurels
38À ces a priori fleurant bon le stéréotype s’ajoutent des causes structurelles qui renforcent la perception négative du senior.
39En matière de recrutement, l’un des soucis d’une grande majorité de DRH est de contrer le vieillissement naturelde l’entreprise, justement en embauchant du « sang neuf ». Recruter un senior est donc vécu comme allant à l’encontre même de cette tactique.
40Par ailleurs, la maturité psychologique du senior qui pourrait le conduire à un rôle de stabilisateur, ou son expérience qui pourrait faire de lui un tuteur, sont rarement pris en compte par des processus d’évaluation du personnelqui tendent à favoriser les aspects quantitatifs les plus facilement mesurables.
« Les compétences techniques, on les valide; les compétences comportementales, c’est plus difficile…»
42C’est indéniable, les seniors sont moins diplômésque leurs cadets. Il est finalement plus facile de recruter quelqu’un selon un niveau de diplôme précis, qu’une personne faiblement diplômée mais dotée d’une bonne expérience. Ce problème touche d’ailleurs toutes les catégories de salariés, de l’ouvrier non qualifié au cadre, et laisse à penser qu’une validation des savoir-faire, et des expériences professionnelles pourrait être une bonne réponse à ce problème.
« Il y a un manque de traçabilité de l’expérience professionnelle des seniors ».
44Enfin, le principe des préretraites favorise la dévalorisation des quinquagénaires. En choisissant de faire partir à la retraite anticipée des populations de 55 à 57 ans, on légitime implicitement l’idée d’une certaine improductivité qui serait liée à cette classe d’âge. De cela, les DRH ont une pleine conscience;
45mais ceux-ci ne sont pas prêts à abandonner le recours à ces pratiques.
« Quand on annonçait des plans de licenciement, on avait l’impression que c’était pour se débarrasser des gens les plus âgés et les moins compétents ».
47Ces mesures entraînent un effet pervers : celui d’une réelle démotivation des salariéseux-mêmes qui en viennent à espérer profiter d’un tel plan pour échapper au « placard » ou au licenciement sec.
? L’intérim et les seniors
? Aujourd’hui très peu utilisé
48Principal point positif actuellement, alors que jusque dans les années quatre-vingt l’intérim était largement décrié par les salariés et les syndicats, et parfois utilisé par certaines entreprises de manière à contourner le droit du travail, aujourd’hui, les entreprises de travail temporaire ont un capital d’image positif tant auprès des salariés que des DRH. En ayant su établir un partenariat étroit avec les entreprises, elles sont perçues comme apportant une réelle valeur ajoutée en terme d’optimisation de la gestion des ressources humaines, et comme connaissant particulièrement bien le milieu professionnel.
49Les seniors intérimairesont souvent opté pour cette solution par contrainte plutôt que par véritable choix. Alors qu’il peut s’agir d’un vrai choix pour un jeune qui débute une carrière, l’intérim devient, pour des personnes de 50 ans et plus en recherche d’emploi, un facteur multiplicateur dans la panoplie des opportunités pour trouver un emploi.
« J’ai été licencié il y a 13 ans. L’intérim est arrivé tout bêtement, j’ai été à l’agence en bas et j’ai donné mon CV…».
« Pour les plus de 50 ans, l’avantage c’est la sélection des places.
On n’envoie pas une tonne de CV et de lettres pour chaque poste, ça évite aussi d’aller à plein d’entretiens d’embauche pour rien, qui fatiguent physiquement et moralement ».
51Même dans un contexte où il serait difficile de trouver du travail, il existe des freins à l’embauche de seniors en intérim. D’abord, certains salariés, soucieux de compléter leurs annuités pour la retraite, souhaitent retrouver des postes fixes, ne pas avoir de « creux » qui prolongeraient d’autant leur parcours professionnel, et restent sur une image peut-être « datée » et négative de l’intérim.
52Il y a sans doute là un manque d’information qu’il conviendrait de combler.
53D’autre part, le personnel même de certaines agences d’intérim ne semble pas formé à prendre en charge des seniors, et risque d’invalider spontanément les candidatures de salariés quinquagénaires. Habituées à traiter essentiellement avec des jeunes – et par conséquent à répondre à des demandes d’entreprises qui cherchent des jeunes –, nombre d’agences manifestent trop souvent un réflexe de rejet à l’encontre des salariés seniors.
? Un élément de solution pour demain
54Globalement, aujourd’hui le senior est un peu le « banni » de l’entreprise. De nombreux réflexes argumentés par des notions de « concurrence », de « rentabilité », de nécessaire « souplesse », par la mise en avant de contraintes économiques, et justifiés également par des politiques globales dévastatrices en terme d’image (comme les plans de préretraite), conduisent à cette situation d’autant plus paradoxale que les seniors seront dans les années à venir de plus en plus nombreux et qu’on leur demandera sans doute de rester plus longtemps en activité professionnelle pour avoir droit à un taux de retraite maximal.
55De fait, même si dans certains cas le senior est considéré comme un salarié comme les autres (professions qualifiées dans des domaines où la demande excède l’offre comme les chaudronniers, certains ouvriers hautement qualifiés, des cadres consultants…), la règle générale reste bien à la dévalorisation de cette tranche d’âge. Cela est d’autant plus sensible pour les personnes non ou très peu qualifiées, pour les emplois requérant une force physique (BTP, industrie), dans les fonctions commerciales ou encore dans les fonctions créatives.
56Il existe donc actuellement une grande fragilité des seniors devant l’emploi. La précarisation n’est pas en marche, elle est déjà bien avérée dans leur cas, puisque cela devient presque une règle majoritaire, après 50 ans, soit d’attendre, un peu « placardisé », l’âge effectif de la retraite en espérant que l’on ne sera pas « déboulonné » avant, soit d’être mis en préretraite (et d’espérer que les politiques ne modifieront pas ce régime dans les années à venir), soit enfin de se retrouver sans emploi et sans couverture.
57Si les conditions économiques continuent à s’améliorer et à tendre vers une économie du plein-emploi, le déséquilibre croissant de la pyramide des âges va donc nécessiter une véritable « révolution culturelle » en la matière. Or, au travers de notre étude, nous avons pu constater que les conditions de cette révolution ne sont pas pour l’instant réalisées, la plupart des recruteurs restant sur un schéma privilégiant à outrance les plus jeunes.
58C’est ici que l’intérim peut jouer à plein un rôle de « facilitateur » tant pour les entreprises que pour les salariés. On peut en effet penser que les pistes réglementaires, collectives, d’imposition par le haut de nouveaux canons de recrutement, n’auraient guère de succès, induisant inévitablement de nombreux effets pervers difficiles à prévoir. Les réponses appropriées semblent donc à chercher ailleurs. Car l’enjeu est réel, et les atouts de l’intérim, dont la raison d’être est la souplesse, sont nombreux.
59Un recours plus fréquent à l’intérim des seniors présente en effet dans les années à venir de nombreux avantages pour les entreprises.
- Dans une perspective de pénurie de compétences, et en tenant compte du fait que les préjugés restent très forts à l’encontre des seniors (démotivés, dépassés…), le recours à des seniors en « mission » de courte durée est une solution imparable : la motivation est garantie par l’entreprise de travail temporaire, le niveau de compétences également, et l’implication d’un tel recours ne met pas en péril l’image du recruteur au sein de son entreprise.
- De même, le problème soulevé à maintes reprises d’une pyramide des âges trop lourdement grevée par son sommet pourrait être facilement contourné : si le recrutement longue durée continue de porter sur des « jeunes », l’entreprise peut se permettre de recruter des compétences, pour des missions plus ou moins ponctuelles (ou renouvelées régulièrement), sans augmenter la moyenne d’âge.
- Troisième élément attractif pour les entreprises : le coût salarial.
On sait qu’au-delà des problèmes d’image, le coût des seniors est souvent avancé pour justifier leur rejet. Le recours à des seniors intérimaires sur courte ou moyenne période, payés « correctement » (c’est-à-dire avec des prétentions correspondant à leur parcours professionnel), représenterait une charge bien moindre qu’un CDI. - Par ailleurs, l’intérim – et en cela l’intérim des seniors – pourrait également être un moyen pour les entreprises de gérer le passage aux 35 heures. Toutefois, l’effet de cette mesure de réduction du temps de travail reste aujourd’hui très incertain, certaines entreprises ayant au contraire diminué leur recours aux intérimaires après une réorganisation des conditions de travail.
- Même s’ils n’ont pas vécu dans l’entreprise, les seniors sont un peu la « mémoire » de leur métier. Dans un contexte de fort turn-over, l’apport des seniors peut être multiple : une expérience technique, mais aussi de rapports humains, une « histoire » de plus en plus souvent absente des entreprises, une « assise » profitable à l’entreprise. Une fois encore, l’intérim peut être un moyen de bénéficier de ces apports qualitatifs que des générations plus jeunes (et plus tardivement entrées en profession) n’ont pas encore pu développer. On pense, par exemple, à l’idée d’un tutorat exercé par les seniors sur de jeunes recrues. Si ce peut être un moyen de « motiver » les seniors de longue date dans l’entreprise, ce pourrait être aussi une mission conférée à des seniors venus transmettre leur savoir.
61Mais ces atouts doivent aussi pouvoir se décliner du côté des salariés. Et les critères positifs ne semblent pas manquer non plus.
- En prenant acte des difficultés à trouver un travail passée la cinquantaine, l’intérim est un moyen de reconversion professionnelle. De plus en plus, on ne se contente plus de « faire la même chose » toute sa vie. Et les reconversions et réorientations au cours d’un parcours professionnel sont de plus en plus fréquentes. Changer après 50 ans reste aujourd’hui du domaine du fortement improbable. Le passage à l’intérim peut alors garantir au salarié qui le souhaite une nouvelle vie, si tant est que celui-ci a su exploiter les possibilités de formation permanente. Il y a d’ailleurs un impératif dans le développement éventuel du recours au travail temporaire : c’est la mission de formation que les entreprises intérimaires doivent nécessairement apporter à leurs salariés. À cette condition essentielle, l’agence d’intérim peut devenir une vraie opportunité pour le senior en mal de mobilité.
- De même, l’intérêt de l’intérim consiste en la variété des missions; pour qui aime à s’investir dans son métier et ne supporte pas le « train-train » auquel nombre d’entreprises les obligent, cette diversité (cadre différent, nouvelles rencontres, nouvelle approche du métier, nouveaux enjeux…) est un fort facteur de motivation.
- On parle beaucoup de temps choisi; la possibilité de travailler en intérim peut, dans le meilleur des cas, permettre au senior qui le désire, de continuer à travailler mais moins longtemps, ou par périodes, induisant une réduction du temps de travail sur l’année.
63Enfin, il ne faut pas oublier que cette problématique s’inscrit dans une réflexion plus large sur le travail et, par voie de conséquence, la retraite. Le système actuel – âge minimal de 60 ans, quarante annuités de cotisations… –, d’un avis presque unanime, ne pourra tenir encore longtemps. Tout le matériau analysé dans cette étude laisse à penser que c’est vers un système plus souple, et reposant en particulier sur des choix individuels, qu’il faudrait se diriger.
64Le« couperet » de l’âge légal de la retraite est mis en cause, tant par les entreprises que par les quinquagénaires. À chaque cas particulier, une réponse particulière, ce qui va bien dans le sens plus général de la personnalisation attendue par les consommateurs et les citoyens dans leur vie quotidienne.
65Une idée particulièrement attractive pourrait être celle d’un moment de la vie où l’on a acquis le droit de prendre sa retraite (après un certain nombre d’annuités par exemple, mais pas à un certain âge) et où le salarié peut alors décider de continuer à travailler, à temps partiel ou complet, sur des missionsou dans un emploi stable, moyennant une revalorisation de sa pension future. Cela pourrait fonctionner un peu comme l’actuel statut d’intermittents : en période d’inactivité, on toucherait sa retraite, à laquelle se substitueraient, occasionnellement ou régulièrement, les émoluments liés à une mission de travail bien précise. Les entreprises de travail temporaire pourraient jouer le rôle d’agences de placement pour tout salarié retraité qui désirerait continuer à avoir une occupation professionnelle.
66Bien sûr, l’ensemble de ces points mis en exergue ne doit pas conduire à dresser un tableau idyllique de l’apport possible des entreprises de travail temporaire aux seniors. Mais il convient de ne pas raisonner de manière trop manichéenne : non, le travail intérimaire n’est pas forcément source de précarisation, en particulier pour les plus de 50 ans. La société, l’économie ont beaucoup changé au cours de ces vingt dernières années, et l’on a pu se rendre compte que l’entreprise qui fonctionne bien, mais aussi le salarié heureux, sont ceux qui bénéficient de souplesse dans leur façon d’aborder leur travail. Souplesse n’équivaut pas « flexibilité » avec tous les aspects d’image négative que ce terme contient. Souplesse renvoie plutôt à un partage équitable du prix à payer pour celle-ci.
67Recourir à l’intérim de seniors ne doit pas être pour l’entreprise un moyen trop facile de se débarrasser d’une nécessaire politique de gestion du personnel. On pourrait au contraire envisager, à terme, des mesures destinées à faciliter, à l’issue de missions d’intérim, une intégration de « seniors consultants », pris en charge par l’entreprise, mais n’intervenant que ponctuellement. Une charte des devoirs des entreprises vis-à-vis de cette population devrait être édifiée, de manière à lui éviter la précarisation : en aucun cas, l’intérim ne doit aboutir à une baisse substantielle des revenus des seniors.
68De même, lors de retournements de conjoncture et de reprises du chômage, les intérimaires les plus âgés risqueraient d’être les plus touchés. Là encore, des mesures protectrices doivent être élaborées de manière à limiter ces effets conjoncturels.
69On le sait, nous sommes au début d’une réorganisation très large des rapports de travail, qu’on le veuille ou non. Les quelques questions posées dans cet article, les pistes de propositions qui y figurent ne sont qu’une petite partie d’un ensemble très vaste d’évolutions, de mesures à prendre, de choix politiques à mettre en œuvre.
? Bibliographie
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Notes
-
[1]
Le Crédoc est le Centre pour l’étude et l’observation des conditions de vie.
-
[2]
On entend par senior dans cet article, les personnes de 50 ans ou plus en âge de travailler (soit jusqu’à 60, voire 65 ans aujourd’hui).
-
[3]
L’étude qualitative a été menée, sur la base d’entretiens individuels de 1 heure 30, auprès de 34 directeurs des ressources humaines (14 en entreprises de plus de 1000 salariés, 10 en entreprises de 500 à 1000 salariés et 10 en entreprises de moins de 500 salariés) et auprès de 46 seniors (15 actifs, 7 préretraités, 11 chômeurs et 13 intérimaires). Les secteurs de l’industrie, du BTP, des transports, du commerce, des services et des technologies de l’information et de la communication étaient représentés.