1Au lendemain de la COP 21 et de la signature par de nombreux États de l’Accord de Paris, les sciences de l’environnement sont aujourd’hui à un tournant. Après des années passées à convaincre les uns et les autres de la solidité des analyses et des prédictions sur le changement climatique, cet effort est aujourd’hui achevé : il n’y a plus véritablement de climato-sceptiques, quand 80 % de la population mondiale s’inquiète du changement climatique.
2Mais face à la réalité du changement climatique de nouveaux défis se posent à nous : comment nos sociétés peuvent-elles y répondre ? Comment nous y adapter ? Autant de questions auxquelles il est urgent de répondre.
3L’environnement terrestre ne peut plus en effet s’étudier comme celui d’une planète lointaine sur laquelle l’action humaine n’aurait pas d’incidence. Nous savons au contraire que les activités humaines jouent un rôle majeur dans les grands mécanismes qu’étudient les sciences de l’environnement. Face au changement climatique et à l’origine anthropique de l’augmentation de la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, la coopération interdisciplinaire avec les sciences humaines et sociales (SHS) est une nécessité scientifique. Celle-ci prend désormais en compte l’inscription de l’humain au sein d’un monde naturel et technique : le monde social est inscrit dans un environnement et en dépend. Réciproquement, l’humain fait explicitement partie de la chaîne causale de la nature. Le changement global est lié à cette co-dépendance à toutes les échelles spatiales, du global au local.
4Les sciences humaines et sociales ont pour nouvel objectif de comprendre comment les sociétés intègrent les connaissances sur les changements climatiques, les risques qui y sont associés et la relation connaissance/décision/action. Elles étudient les contradictions performatives ou les dissonances cognitives qui s’expriment autour de la question du changement climatique. En effet, les recherches sur le climat accumulent les résultats sur le rôle des facteurs anthropiques dans le changement climatique et sur ses effets adverses, que les socio-écosystèmes du monde auront à affronter. Mais ces travaux ne suffisent pas à enclencher des réponses significatives des sociétés. L’énigme du contraste entre la reconnaissance de la nécessité d’agir, le consensus scientifique enfin acquis, la connaissance de la situation et des solutions et l’incapacité générale d’agir demeure. Les indicateurs tels que le niveau des émissions de GES par pays ou par personne en témoignent.
5Ces recherches peuvent proposer des pistes pour analyser ces dissonances cognitives : analyse socio-politique des stratégies de soutenabilité conflictuelles à l’échelle des pays, des firmes ou des groupes sociaux, analyse économique des modalités de passage à des comportements socio-économiques à intensité carbone faible ou nulle, évaluation environnementale des solutions ou des transitions proposées, analyse géographique (à différentes échelles) de modalités d’organisation territoriale alternatives…
6Il est important de prendre en compte ces mécanismes pour fonder une action publique efficace en faveur de comportements climatiquement et moralement soutenables. Cela suppose de développer des disciplines nouvelles et des approches inédites.
7Le changement climatique est bien à envisager du point de vue humain. Il faut renforcer les recherches sur les inégalités environnementales et sur la notion de justice spatiale ou de justice écologique. Les changements globaux multiplient l’exposition des populations humaines aux situations de crise. L’interdépendance entre les risques définit de nouvelles vulnérabilités pour les humains et le vivant.
8C’est la raison pour laquelle la Stratégie nationale de la recherche, aussi bien que les nouveaux moyens dont nous dotons la recherche française au travers des Plans d’investissement d’avenir, s’efforcent de bâtir de nouvelles configurations de recherche dans lesquelles collaboreront des spécialistes des nombreuses disciplines impliquées dans le climat.
9Aujourd’hui, les sciences de l’environnement ont également pour ambition d’être le point de conciliation entre le besoin d’avancées dans les connaissances sur le fonctionnement de notre environnement, les impératifs de nos entreprises indispensables fournisseurs d’aliments, d’énergie, de matériaux, de produits de haute technologie, de confort, de santé et de bien-être, et, enfin, les obligations de notre puissance publique en termes de protection de notre environnement, de nos biens et des personnes. La recherche dans le domaine de l’environnement est au carrefour de ces domaines d’activité, elle a un rôle crucial à jouer dans la compréhension réciproque de ces nécessités.
10Il s’agit de regarder la planète sous un angle de vue différent, celui du « système Terre » et de son évolution sous l’impact des activités humaines et d’étudier ce système complexe avec une démarche interdisciplinaire, dans le détail de ses processus pour tenter de le comprendre, de le modéliser et de le « prévoir ». Les sciences de l’environnement s’appuient autant sur les sciences technologiques que sur les sciences humaines et sociales. Elles sont au cœur de l’accompagnement des transitions énergétique et écologique vers la sobriété et de la prise en compte de la santé (One Health) permettant une double performance économique et écologique au travers de nouveaux comportements et de nouvelles technologies.
11Les sciences de l’environnement se sont développées à partir de l’analyse des actions et des impacts de l’humain sur son environnement : son rôle dans la production des biens, dans l’économie ou la sobriété de ses prélèvements, dans la protection de la nature, les conséquences de ses actions en matière d’aménagement du milieu, son contrôle de l’exposition aux risques liés aux changements globaux… On voit bien que la place des SHS est fondamentale à toutes les étapes de la recherche, les interactions homme-environnement étant au cœur du défi.
12Cette démarche est au cœur de grands programmes de recherche européens ou internationaux comme Future Earth, lequel permet de répondre aux grandes questions scientifiques liées à l’environnement sous l’angle des solutions. C’est au travers des résultats de ces recherches que pourront se forger ou se réformer les modes de vie, de consommation, de réglementation et de gouvernance, et ce, de l’échelle locale, niveau où se prennent les décisions de tous les jours, jusqu’à l’échelle nationale, voire à celle de la planète.
13Les sciences de l’environnement sont aussi porteuses de développements technologiques qui se traduisent par de nouvelles trajectoires d’innovation. Elles portent en elles la potentialité de développements technologiques très novateurs nécessaires pour économiser nos ressources, substituer une énergie à une autre, ou concevoir des modes de production plus économes et une gestion plus sobre des ressources naturelles. Ces développements impliquent une collaboration forte avec les chercheurs et les ingénieurs qui innovent, avec les industriels qui mettent en place les produits de demain et avec les économistes qui en évaluent l’intérêt. La vision globale nous oblige à vérifier, à toutes les étapes de l’analyse de leurs cycles de vie, qu’une nouvelle source de matière ou d’énergie ou qu’un mode de production est compatible avec le respect des milieux dans lesquels et grâce auxquels nous vivons.
14Les bénéfices sociaux, sociétaux et économiques attendus sont inestimables, car on parle ici non seulement de protection de l’environnement, mais aussi de santé publique, de distribution équitable des ressources assurant la pérennité des structures sociales démocratiques, de prévention des risques et de nouvelles technologies économiquement valorisables.
15Je remercie donc les Annales des Mines et la coordinatrice de ce numéro, Claire Tutenuit, de s’être saisis de cette question et d’avoir, à ce tournant de l’histoire de l’environnement, su montrer que nous sommes également à un tournant pour la recherche et la pensée humaine.