Le titane, un métal aux propriétés remarquables
1Le titane présente des propriétés remarquables :
- d’une densité près de deux fois moins importante que celle des aciers (56 %), ses caractéristiques mécaniques sont comparables, voire supérieures à celles des aciers de construction,
- sa résistance à la corrosion est remarquable (eau de mer, milieux acides) et, de plus, il résiste à l’abrasion,
- le titane est biocompatible,
- ses propriétés élastiques sont elles aussi supérieures à celles de l’acier,
- il est amagnétique.
2Ses excellentes propriétés en matière de résistance spécifique à un large éventail de températures en font un matériau particulièrement intéressant dans les domaines de l’aéronautique, du spatial et de la défense.
3Sa résistance à la corrosion en fait un matériau largement utilisé notamment par les industries chimiques (industrie du chlore, de certains acides), par celles du pétrole et du gaz et les industries nécessitant des échangeurs de chaleur.
4De ce fait, il est un matériau de choix pour les échangeurs des centrales nucléaires (en particulier pour celles implantées en bordure de mer), pour les usines de dessalement d’eau de mer, pour les terminaux gaziers…
5On utilise le terme générique « titane », mais en fait nous devrions plutôt parler de titane allié ou d’alliages à base de titane, comme l’on parle d’acier (par rapport au fer) ou de superalliages à base de nickel ou de cobalt.
6Les titanes non alliés (ou très faiblement alliés, avec un maximum de 1 % d’éléments d’addition) font partie des « titanes commercialement purs » (Ti CP) et sont essentiellement utilisés pour des applications en chimie et dans le domaine de l’anticorrosion.
7Dès lors que des applications industrielles nécessitent d’améliorer la résistance mécanique ou la résistance aux hautes températures, de nouveaux alliages de titane sont développés variant de quelques pourcents d’éléments d’addition à près de 25 %. Au-delà, on entre dans la catégorie des composés intermétalliques, tels que les aluminures de titane qui trouvent des applications dans l’aéronautique pour les aubages des turbines ou dans certains turbocompresseurs automobiles.
Les quatre grandes familles de marchés qui déterminent la consommation mondiale de titane
8On distingue généralement quatre grandes familles de marchés consommateurs de titane :
- l’aéronautique civile, avec les applications structurales (c’est-à-dire des pièces et assemblages en titane entrant dans la constitution des fuselages, des ailes, des mats supports de réacteur, des trains d’atterrissage) et les applications moteur (principalement dans la partie compresseur) ;
- les applications militaires aéronautiques, mais aussi terrestres (allègement, blindage) et marines ;
- les applications industrielles qui regroupent plusieurs segments : la production d’énergie (centrales nucléaires et thermiques), les usines de dessalement d’eau de mer et les industries de process (chimie et plastiques, pétrole et gaz, échangeurs de chaleur industriels ou domestiques) ;
- les applications dans des biens de consommation relevant du médical (implants utilisés en traumatologie, en orthopédie), dans des articles de sport et de loisir, dans des articles de mode (en particulier, en lunetterie)…
9Hormis quelques applications dans les sports motorisés ou pour la construction de véhicules de très haut de gamme, le titane est peu utilisé en automobile, et ce pour des raisons de coût.
10Une estimation de la demande mondiale de titane et une évaluation par zone géographique ont été publiées dans le rapport public « Étude de veille sur le marché Titane 2012-2014 », rédigé par Pierre-François Louvigné. Le Tableau 1 ci-dessous met en évidence l’impact sur la consommation mondiale de deux projets de construction d’usines de dessalement au Moyen-Orient en 2011 et 2012.
11Les consommations moyennes des quatre années 2010 à 2013 (voir la Figure 2 ci-dessus) montrent que ce sont les applications aéronautiques civiles qui consomment très majoritairement du titane en Europe : cette tendance se renforce du fait de la croissance du marché aéronautique et de l’atonie des marchés industriels ou de l’énergie.
Le marché aéronautique
12Selon les projections les plus récentes diffusées par Boeing et Airbus, 34 000 avions moyen- et long-courriers vont être produits entre 2015 et 2034 pour satisfaire la demande, soit 1 700 avions par an !
13Les cadences actuelles de production des deux avionneurs, qui atteignent des niveaux record (avec 1 397 livraisons en 2015) ne sont pas encore à ce niveau. Les carnets de commandes continuent à croître (ainsi, en 2015, le total des commandes nettes (1 804 aéronefs) était supérieur aux livraisons). Cela conduit inévitablement à des hausses de cadence pour les prochaines années, qui ont déjà été annoncées par les avionneurs.
14Et le titane, dans tout cela ?
15La nécessité de réduire les consommations de carburant tant pour des raisons de coût d’exploitation que pour répondre à la nécessité de réduire les émissions polluantes conduit à diminuer la masse des avions. Ainsi, des ruptures technologiques sont apparues sur les long-courriers de dernière génération, avec l’utilisation massive de composites pour les structures. En parallèle, la part de titane augmente en raison de son excellente compatibilité avec les composites carbones (dilatation, électromagnétisme, corrosion) et, bien sûr, de sa résistance spécifique. Le titane atteint 15 % du poids des structures dans les A350 et les B787. L’utilisation de titane s’est aussi développée dans les trains d’atterrissage, des alliages de titane spécifiques permettant de réduire le poids de ces ensembles.
16La recherche d’une optimisation du poids des avions en relation avec les remotorisations engagées sur les appareils A320 et B737 (puis, aujourd’hui, sur les B777 et A330) s’accompagne aussi d’une hausse de la consommation de titane dans la construction de ces avions.
17Mais les évolutions technologiques dans le domaine des moteurs ne sont pas aussi favorables à l’essor du titane. Ainsi, certains modules des compresseurs abandonnent le titane et l’on assiste à l’apparition des composés intermétalliques à base de titane dans la partie turbine. La hausse de la consommation de titane sur ce marché est liée essentiellement aux augmentations des cadences constatées dans la production, et non à l’augmentation de la proportion de titane dans les matériaux consommés.
18Les applications structure sont ainsi le principal contributeur à la hausse de la consommation de titane en aéronautique au travers de l’augmentation du poids de titane consommé par avion et surtout des hausses des cadences de production des aéronefs.
La production de titane métal
La matière première
19Le titane (Ti) est un élément chimique abondant. Il se classe au neuvième rang de tous les éléments chimiques présents dans la croûte terrestre et au quatrième rang des métaux (après le fer, l’aluminium et le magnésium).
20Cependant, la production de titane métal reste limitée du fait de la complexité de sa mise en œuvre et des coûts de production élevés qui en résultent.
21Dans la nature, on trouve du titane sous forme oxydée principalement dans deux espèces minérales les plus exploitées, l’ilménite et le rutile.
22L’essentiel de cette matière première est utilisée sous la forme de dioxyde de titane (TiO) pour servir de pigment 2 et d’agent de blanchiment dans de nombreuses industries : peinture, papier, plastique, cosmétique, industries alimentaires…
23Moins de 7 % des ressources en titane (ilménite et rutile) sont utilisées pour la fabrication de titane métal.
La fabrication du titane métal
24Bien que découvert à la fin du XVIIIe siècle, le titane n’a pu être produit industriellement qu’au milieu du XXe siècle grâce à la mise au point du procédé Kroll. Il reste aujourd’hui encore le principal procédé de production d’extraction du titane à partir d’oxyde. C’est une succession de réactions chimiques qui permet d’aboutir à la formation de titane sous la forme d’un solide poreux faisant penser à des éponges, d’où le nom d’éponges de titane.
25Ce procédé particulièrement complexe nécessite des installations lourdes, un pilotage précis et une gestion rigoureuse des aspects sécuritaires et environnementaux de la production.
26En ajoutant certains éléments aux éponges de titane obtenues, une électrode consommable est constituée. Une première fusion est réalisée dans un four de refusion à arc sous vide, qui est souvent suivie d’une seconde refusion dans le même type d’équipement.
27Les procédés de transformation permettant d’obtenir des pièces conduisent à la génération de chutes de matière aux différentes étapes du processus. Les morceaux de métal ou les copeaux d’usinage, après un tri adéquat, constituent une source de matière première. Des moyens de fusion spécifiques ont été mis au point pour permettre la production de lingots à partir de ces déchets.
L’un des premiers lingots de titane produit au Kazakhstan, société UKTMP
L’un des premiers lingots de titane produit au Kazakhstan, société UKTMP
La fabrication de pièces en titane
28Les lingots sont ensuite transformés à chaud par forgeage (laminage) pour obtenir des demi-produits : barres, brames, tôles, fils.
29Les pièces de forme sont obtenues par matriçage à partir de barres. Les pièces subissent des traitements thermiques avant d’être usinées aux formes et aux dimensions finales souhaitées.
30Ces procédés sont identiques à ceux mis en œuvre pour la production de pièces issues d’autres matériaux métalliques.
31La fabrication des pièces issues de tôles, barres ou pièces matricées conduit à la génération d’un poids de chutes important. Un ratio de 10 à 1 entre le poids de lingot mis en œuvre et le poids de la pièce finie est courant, malgré toutes les optimisations technologiques qui ont pu être apportées à chacune des étapes.
Les freins et les opportunités
32Le titane, un matériau cher à la base + des pertes importantes de matières liées aux procédés de fabrication, l’équation conduit inévitablement à la production de pièces coûteuses.
33De fait, la production des pièces en titane se limite aux applications qui permettent de retirer un avantage compétitif grâce aux caractéristiques remarquables des alliages contenant du titane.
34Aujourd’hui, les nouveaux procédés de fabrication additive (impression 3D) peuvent permettre d’apporter des solutions alternatives compétitives, au travers essentiellement de la limitation des pertes de matière. La production des poudres de titane nécessaires à une fabrication additive reste toutefois coûteuse.
35Les limites en termes de dimensions et de contrôlabilité n’en font toutefois pas un procédé en mesure d’éliminer la voie conventionnelle par enlèvement de matière.
L’intérêt de l’Europe est de pouvoir disposer de sources de production européennes de titane destiné au marché aéronautique
Un enjeu fort en termes d’approvisionnement et d’indépendance
36Jusqu’au début des années 1990, une multitude d’acteurs étaient présents à chacune des étapes de production, y compris en Europe. Mais l’évolution des exigences aéronautiques, les crises économiques et les stratégies industrielles ont conduit à une phase de concentration des élaborateurs occidentaux dans les années 1990 au sein de trois sociétés : Allegheny Technologies Inc. (ATI), Titanium Metals Corp. (Timet) et RTI International Metals (RTI).
37L’activité du titane en Europe a ainsi été de fait contrôlée par ces acteurs américains et les développements en matière de production du titane ont lieu essentiellement aux États-Unis.
38La société russe de production de titane VSMPO a profité de l’ouverture des marchés occidentaux pour prendre le leadership des marchés aéronautiques. VSMPO est une société qui intègre l’ensemble de la filière titane, depuis la production d’éponges jusqu’à celle de pièces finies.
39Ensemble, ces quatre acteurs représentent 90 % des parts de marché dans l’aéronautique (source : ITA 2014, exposé AeroLytics).
40Depuis quelques années, les acteurs américains sont entrés en phase d’intégration verticale soit à travers l’achat d’élaborateurs par des transformateurs (Timet et RTI ont rejoint respectivement les groupes PCC en 2013 et ALCOA en 2015), soit, à l’inverse, par l’achat de transformateurs/matriceurs (comme ATI, qui a acquis le matriceur Ladish en 2011).
L’entreprise UKAD implantée sur le territoire de la commune de Saint-Georges-de-Mons (Puy-de-Dôme)
L’entreprise UKAD implantée sur le territoire de la commune de Saint-Georges-de-Mons (Puy-de-Dôme)
41VSMPO poursuit son développement en misant sur l’attractivité d’une zone économique spéciale pour attirer à elle les consommateurs ou des acteurs industriels complémentaires.
42Quelques acteurs se partagent les 10 % restants (dont UKAD entré en production en 2012), une entité dédiée au forgeage de lingots de titane. UKAD est une joint venture entre UKTMP (producteur World Class d’éponges de titane au Kazakhstan et élaborateur de lingots) et Aubert & Duval, société du groupe Eramet dédiée à l’élaboration d’aciers et de superalliages, ainsi qu’au forgeage et au matriçage de pièces destinées aux marchés les plus exigeants.
43Jusqu’au début des années 2000, le marché du titane est resté relativement stable en ce qui concerne son débouché aéronautique. Dans la seconde partie de la décennie, l’annonce des lancements des programmes A380, B787 et A350 a montré la faiblesse de l’offre par rapport à la demande, et cela a conduit à une hausse sensible du prix des lingots de qualité aéronautique et de l’ensemble des matières premières (éponges et chutes de titane), avant que celui-ci ne revienne aux niveaux précédents suite aux retards enregistrés dans la réalisation des programmes précités et de la mise en place de capacités supplémentaires de production de titane.
44Il n’en reste pas moins que l’industrie aéronautique européenne dépend à hauteur de 90 % des États-Unis et de la Russie pour ses besoins en titane. Ainsi, les tensions nées de la crise ukrainienne ont révélé la fragilité d’une telle situation.
Un enjeu fort en termes économique et environnemental
45Les matières premières consommées par les élaborateurs américains pour la fabrication de lingots ont évolué pour atteindre 63 % de chutes et 37 % d’éponges en 2014 (source : USGS). Cette augmentation du recyclage traduit une volonté d’optimisation économique de l’ensemble de la chaîne.
46L’aéronautique concentrant les moyens de production dans des usines ou des ateliers dédiés, il est ainsi plus facile de capter et de valoriser les chutes de ce métal noble.
47La Chine a mis en place des capacités considérables de production d’éponges de titane pour répondre à ses besoins dans le cadre de son développement industriel. Ces éponges ne sont pas d’un niveau de qualité suffisant pour satisfaire les besoins aéronautiques. En parallèle, le Japon a développé ses capacités de production d’éponges de qualité aéronautique pour devenir ainsi le premier exportateur mondial de ce produit vers les États-Unis.
EcoTitanium, l’usine dédiée à la production de lingots de titane de qualité aéronautique à partir de chutes recyclées, à Saint-Georges-de-Mons (Puy-de-Dôme)
EcoTitanium, l’usine dédiée à la production de lingots de titane de qualité aéronautique à partir de chutes recyclées, à Saint-Georges-de-Mons (Puy-de-Dôme)
48Au plan environnemental, des études d’impact montrent que la filière recyclage du titane émet quatre fois moins de gaz à effet de serre que la filière primaire correspondante.
Un exemple de réponse de l’Europe à sa dépendance : la construction d’une entité dédiée à l’élaboration de lingots en alliages de titane à partir de chutes recyclées
49L’Europe est devenue au fil du temps le premier exportateur de chutes de titane vers les États-Unis (source : USGS), avec 9 500 tonnes en 2014.
50La comparaison des capacités installées sur la filière titane (source : Aerolytics), amendées en considérant qu’UKTMP fait partie de la zone Europe compte tenu de son partenariat avec Aubert & Duval dans le cadre d’UKAD, montre un net déficit des capacités de production de titane en Europe.
51Dans ce contexte, UKAD, l’État Français (au travers de l’ADEME) et le Crédit Agricole Centre France se sont associés pour créer EcoTitanium, une usine dédiée à l’élaboration de lingots de titane de qualité aéronautique à partir de chutes recyclées. La première pierre de cette unité de production a été posée en présence du Premier ministre, le 27 avril 2015, à Saint-Georges-de-Mons (en Auvergne-Rhône-Alpes), à côté de l’usine UKAD et à proximité du site historique Aubert & Duval des Ancizes (Puy-de-Dôme). EcoTitanium a pour ambition d’engager la qualification de ses premiers lingots en 2017, elle deviendra ainsi un atout de premier ordre pour l’industrie aéronautique européenne.