Notes
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[1]
L’avis du CESE (rapporteur : Pierrette Crosemarie) comporte à la fois un rapport et des recommandations. http://www.lecese.fr/travaux-publies/inegalites-environnementales-et-sociales-identifier-les-urgences-creer-des-dynamiques
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[2]
PNSE : plan national santé-environnement.
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[3]
ARS : Autorité régionale de santé.
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[4]
INVS : Institut national de veille sanitaire.
1Les inégalités sociales semblent assez bien documentées en France. Le rapport du CESE rappelle l’augmentation des inégalités de revenus et des patrimoines sous les effets de la montée du chômage, de la précarité de l’emploi et d’un écart grandissant entre les revenus salariaux. Le logement, facteur essentiel d’insertion sociale et professionnelle, est un miroir des inégalités sociales. Le rapport fournit également des éléments récents sur la construction sociale des inégalités de santé, qui ont pour déterminants les moyens financiers, les conditions de vie et des activités professionnelles plus ou moins impactantes. Enfin, ce document rappelle l’accroissement des inégalités scolaires, avec une scolarisation qui progresse, mais qui reproduit les inégalités sociales.
2Les inégalités environnementales font, quant à elles, encore l’objet de recherches et de travaux tant au niveau académique qu’au niveau des administrations et des instituts spécialisés. Des inégalités, qui auraient été décrites il y a encore une trentaine d’années comme des inégalités sociales, présentent aujourd’hui une forte connotation environnementale en particulier en termes d’habitat, d’urbanisme, de transports.
3L’avis rendu par le CESE part de la distinction établie par l’économiste Éloi Laurent entre quatre types d’inégalité environnementale : les inégalités dans l’exposition aux pollutions et dans l’accès aux aménités, les inégalités distributives des politiques environnementales, les inégalités face aux impacts environnementaux et les inégalités dans la participation aux politiques publiques. L’objectif est de mieux appréhender le croisement entre les conditions sociales des habitants et la qualité environnementale au sens large (risques, pollutions, hygiène publique, mais aussi espace vital, paysages, conditions de vie…). La réflexion, qui s’est bâtie sur un socle territorial essentiellement urbain, s’élargit aux territoires ruraux.
Identifier les inégalités en matière d’expositions environnementales afin de les réduire
4La statistique mobilisée pour rendre compte des inégalités environnementales repose sur des critères d’évaluation techno-centrés : seuils d’exposition physico-chimique, probabilité d’occurrence de risques, niveaux acoustiques, distances métriques… Cette approche peut conduire à minorer les particularismes sociaux, c’est pourquoi le CESE propose d’agir sur les déterminants socioéconomiques et environnementaux, en commençant par la santé.
Avoir une conception globale de santé
5L’influence de la qualité de l’environnement (physique, chimique, biologique) sur la santé s’impose de plus en plus : l’air que nous respirons, la qualité de l’eau, le bruit influent de façon plus ou moins directe sur notre état de santé.
6Le CESE propose de redonner la première place à la prévention, dans une approche globale de la santé définie par l’OMS comme un état de complet bien-être physique, mental et social ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.
7Cette approche est d’autant plus importante que la France est marquée par des inégalités sociales et territoriales en matière de santé. Les facteurs explicatifs de la surmortalité qui frappe les catégories les moins favorisées interviennent pour l’essentiel en amont de la prise en charge proprement médicale des différentes pathologies. Ces catégories cumulent les facteurs de risque : exposition plus fréquente aux risques environnementaux toxiques en milieu professionnel, polluants présents dans l’habitat, pollution urbaine, prévalence plus élevée des facteurs de risques comportementaux liés aux modes de vie, moindre accès à un dépistage précoce des pathologies, diagnostic tardif de pathologies graves.
8L’augmentation des cas de maladies non transmissibles (cancers, maladies cardio-vasculaires, diabète, obésité, asthme, maladies chroniques physiques et/ou psychologiques) résulterait, pour l’essentiel, des conditions de vie. Le CESE considère donc que la connaissance et le traitement des inégalités environnementales de santé doivent constituer une priorité.
L’avis du CESE insiste sur une nécessaire territorialisation de l’action publique en matière de lutte contre les inégalités environnementales
9Pour apprécier la santé environnementale, plusieurs régions ont croisé les éléments quantitatifs des données statistiques de l’INSEE et des données physico-chimiques sur les milieux de vie et les territoires avec des approches qualitatives permettant d’intégrer les appréciations formulées par les populations sur leur bien-être.
10L’avis partage l’intérêt du concept d’exposome qui construit une vision globale et intégrée des expositions des populations aux agents chimiques, physiques et infectieux, depuis la période prénatale jusqu’au décès. Ce concept, qui figure dans le PNSE ( [2]), doit nous conduire à agir sur les causes environnementales et sociales avérées ou potentielles des maladies non transmissibles, plutôt que sur leurs effets.
11D’où l’importance de la poursuite et même du développement des programmes de recherche.
12Ainsi, l’avis du CESE développe une série de propositions visant à agir sur le champ de l’environnement modifiable tel que le définit l’OMS : les pollutions (de l’air, de l’eau, du sol) par des agents chimiques ou biologiques, l’environnement bâti, le bruit, les risques professionnels, les changements climatiques liés à l’activité humaine et à la dégradation des écosystèmes…
13L’avis rendu propose de se concentrer sur les situations d’inégalités injustes qui se caractérisent par des cumuls de risques susceptibles d’affecter à plus ou moins long terme les conditions de vie des populations à leur insu, par des risques disproportionnés sur le plan sanitaire au regard de la capacité de s’y soustraire ou d’y remédier, par des ségrégations spatiales discriminantes en matière d’accès à des services ou à des aménités, par des niveaux de réponse ou des capacités adaptatives inégaux aux effets sanitaires liés à la vulnérabilité de certaines populations.
L’approche de la lutte contre les inégalités environnementales ne doit pas se limiter aux seuls territoires urbains
14Le monde rural représente 79 % de la superficie de la métropole, si l’on retient les critères du référentiel de l’INSEE établi par bassin de vie. Ce référentiel regroupe donc l’espace à dominante rurale et l’ensemble des communes périurbaines et des pôles urbains de moins de 30 000 habitants. Or, bien que cet espace regroupe 36 % de la population française, il est souvent marginalisé dans les politiques publiques.
15Les atouts des territoires ruraux résident en particulier dans un accès plus direct aux aménités environnementales. Mais la complémentarité entre le monde rural et le monde urbain dans l’aménagement du territoire est à la fois une évidence et une nécessité. L’avis souligne la nécessité pour dynamiser les territoires ruraux de favoriser l’accessibilité des services au public et leur qualité en mutualisant des moyens ; il met également l’accent sur les politiques de lutte contre la désertification médicale et, par voie de conséquence, sur l’amélioration de l’accès aux soins.
16En outre, l’amélioration de l’accès au numérique constitue une autre des priorités de la lutte contre les inégalités en milieu rural.
Améliorer l’accès aux aménités environnementales en milieu urbain
17Dans un monde qui continue de s’urbaniser, la priorité doit être de préserver ce qu’il subsiste de milieu naturel dans les villes et d’y réintroduire la nature. Les documents d’urbanisme doivent donc être rendus compatibles avec les schémas régionaux de cohérence écologique.
18Cette reconquête suppose une volonté de maîtrise foncière de la part des collectivités locales dans un souci de solidarité territoriale et de mixité sociale. En l’absence de dispositions particulières, les requalifications environnementales dans les centres-villes, la végétalisation des espaces urbains et la réalisation d’éco-quartiers entraînent des phénomènes d’éviction. Ainsi, l’intervention des maires pourrait s’appuyer plus encore qu’aujourd’hui sur le droit de préemption pour requalifier des friches urbaines.
19Sans attendre les résultats de ces politiques de moyen terme, l’avis du CESE propose des mesures facilement mobilisables pour concourir à l’amélioration de la qualité de la vie urbaine :
- augmenter les surfaces de toits végétalisés dont on connaît le rôle bénéfique qu’ils jouent au profit des microclimats des centres-villes en atténuant les variations thermiques et en renforçant la diversité floristique et faunistique,
- impulser la création de jardins familiaux, ces anciens jardins ouvriers qui favorisent la vie associative, créent du lien social et permettent d’améliorer et de diversifier l’alimentation,
- développer les jardins thérapeutiques dans les établissements hospitaliers et médicosociaux, car ils améliorent la qualité de vie et la santé des patients.
Le jardin partage « Village Saint Seurin » à Bordeaux, octobre 2013
Le jardin partage « Village Saint Seurin » à Bordeaux, octobre 2013
« Les jardins familiaux, ces anciens jardins ouvriers favorisent la vie associative, créent du lien social et permettent d’améliorer et de diversifier l’alimentation. »En Outre-mer, lutter contre les inégalités dans l’exposition aux risques et aux polluants et dans l’accès aux aménités
20L’avis du CESE comporte quelques focus, comme l’adaptation au risque climatique ou l’amplification des actions prévues par les plans chlordécone.
21En ce qui concerne l’adaptation au changement climatique, il convient d’attirer l’attention sur les conséquences de l’élévation du niveau de la mer pour les territoires d’Outremer. Sur la période 1993-2001, une élévation de ce niveau a d’ores et déjà pu être constatée : de 0 à 3 mm pour la Martinique, la Guadeloupe et la Polynésie, de 2 à 3 mm pour Saint-Pierre et Miquelon, de 3 à 5 mm pour la Nouvelle-Calédonie et Mayotte, et plus de 9 mm à La Réunion. Plusieurs rapports soulignent les impacts de cette élévation sur les côtes où se concentre une part importante de la population, avec des risques de submersion des zones basses et de dégâts portés aux infrastructures.
22L’avis recommande donc de bien intégrer cet impact particulier du changement climatique dans les études de réalisation d’ouvrages publics en zone côtière.
23Il souligne l’intérêt des programmes d’adaptation élaborés dans le cadre des coopérations régionales par grande zone géographique : Pacifique, Océan indien et Atlantique, et il appelle au renforcement de ces coopérations qui permettent le partage de connaissances et d’expériences.
24Le second focus développé dans l’avis est relatif à la poursuite et à l’amplification des actions des plans chlordécone aux Antilles.
25Le chlordécone est une molécule chimique utilisée sous différentes appellations commerciales de 1972 à 1993 aux Antilles pour lutter contre le charançon du bananier. Ce pesticide était reconnu potentiellement cancérigène par l’OMS depuis 1979, et interdit aux États-Unis depuis 1976. Le retard de la France à reconnaître la dangerosité de cette molécule est à l’origine de graves dommages sanitaires, écologiques et économiques.
Extrait (page 3) de l’étude Kannari : santé, nutrition et exposition au chlordécone aux Antilles
Extrait (page 3) de l’étude Kannari : santé, nutrition et exposition au chlordécone aux Antilles
« Le chlordécone est une molécule chimique utilisée sous différentes appellations commerciales de 1972 à 1993 aux Antilles pour lutter contre le charançon du bananier. Le retard de la France à reconnaître la dangerosité de cette molécule est à l’origine de graves dommages sanitaires, écologiques et économiques. »26L’avis préconise donc de poursuivre l’étude du mode de migration de cette molécule dans les différentes composantes du milieu naturel et de son impact dans la contamination des écosystèmes, de poursuivre les recherches sur les méthodes de décontamination des sols et de développer des techniques de remédiation des sols contaminés.
27D’où la nécessité de campagnes d’information en direction des populations les plus concernées et de prendre des mesures de relance de l’activité économique, en particulier pour les professionnels de la mer.
28Sur le plan de la santé, l’avis note l’intérêt de l’étude dénommée Kannari portant sur la santé, la nutrition et l’exposition de la population antillaise, qui a été engagée à l’initiative de l’ARS ( [3]) et de l’INVS ( [4]). Il demande que cette étude soit réalisée dans la durée. En outre, il est souhaitable que le recensement des anciens travailleurs agricoles soit réalisé en vue d’une veille épidémiologique. De plus, le renseignement du registre de suivi des cas de cancer de la prostate doit être mis en œuvre, un recensement devant également être élargi aux pathologies féminines liées au pesticide.
29L’avis fait observer également que « pour prévenir de nouvelles inégalités, il [convient] d’anticiper les conséquences économiques et sociales des politiques environnementales et de prendre en compte les inégalités redistributives [inhérentes aux] politiques environnementales ».
30Il importe à cette fin d’identifier clairement les financements des différentes politiques environnementales et de mieux appréhender les dépenses faites à titre préventif de celles faites en réparation des dommages causés.
31L’avis du CESE rappelle la nécessité de réaliser des études d’impact économique et social des mesures environnementales, que ces études se traduisent par des normes, des instruments de marché, des mesures fiscales ou la mise en place de solutions alternatives.
32En ce qui concerne plus particulièrement la fiscalité, l’avis prend l’exemple des conséquences de l’introduction d’un élément de fiscalité environnementale dans la loi de finances de l’année 2014, consistant en un élargissement progressif de l’assiette carbone de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et de celle de la TIC sur le gaz naturel, en attribuant à la tonne de CO2 un prix allant croissant : fixé à 7 euros la tonne en 2014, puis à 14,5 euros/tonne en 2015 et à 22 euros/tonne en 2016. Anticiper les conséquences industrielles et sociales de ce dispositif est d’autant plus important qu’une montée en puissance de celui-ci est mise en perspective dans la loi de Transition énergétique.
33L’avis souligne les impacts de ces dispositions fiscales en termes de compétitivité et d’emplois dans les différents secteurs (automobile, chimie, métallurgie, transports) et la nécessité d’anticiper les transitions industrielles et professionnelles en négociant dans chacune des branches concernées.
34Il rappelle que « cette évolution de la fiscalité environnementale doit s’inscrire dans une approche globale des dispositifs fiscaux et, plus largement, des prélèvements obligatoires ».
35La nouvelle assiette « carbone » aura pour les ménages des conséquences directes sur leurs coûts de déplacement et de logement.
36L’avis du CESE alerte donc sur tous les types de risque d’aggravation de la précarité énergétique.
37La précarité énergétique a d’importantes conséquences en termes de santé et d’exclusion sociale : dépenses sanitaires liées à des maladies chroniques, maintien plus difficile des personnes âgées à domicile, détérioration du bâti…
38Selon les travaux de l’Observatoire de la précarité énergétique (publiés en septembre 2014), la population concernée par la précarité énergétique dans le logement s’élève à 5,1 millions de ménages, ce qui représente 11,5 millions de personnes. Les travaux de l’INSEE précisent les taux de vulnérabilité en fonction des régions, des écarts de revenus et de la qualité des parcs de logements.
39L’avis rappelle donc la nécessité d’une approche globale de la lutte contre la précarité énergétique liée au logement. Il met l’accent sur une dimension de vulnérabilité énergétique qui est mieux appréhendée aujourd’hui, à savoir celle qui est liée à la mobilité quotidienne. Selon les travaux récents de l’INSEE, plus de 10 % des ménages consacrent près de 5 % de leurs revenus à l’achat du carburant nécessaire à leurs déplacements contraints. Le risque de vulnérabilité est faible dans les pôles urbains, mais élevé dans les zones éloignées des centres des villes, en particulier dans les quartiers périurbains situés en dehors du périmètre des transports en commun.
40Ce risque appelle donc l’adoption de mesures ciblées.
- dans les dynamiques permettant de lutter contre les inégalités : l’avis du CESE met l’accent sur la participation des populations et sur la démocratie. Les questions écologiques et les questions sociales sont liées : nos sociétés seront plus soutenables, demain, si elles sont plus justes. Les principes d’accès à l’information et de participation du public aux processus décisionnels et d’accès à la justice en matière d’environnement sont déjà entrés dans le droit français. Ils doivent permettre de donner corps au « droit à la ville » et au vivre ensemble, c’est-à-dire reconnaître aux citoyens la faculté et la capacité de participer à la construction de leur environnement et à s’y impliquer.
- dans les moyens permettant d’agir : l’avis du CESE rappelle les principes de responsabilité et de réparation environnementales en s’assurant que la règle pollueur-payeur est bien appliquée, en poursuivant le développement de l’expertise afin de consolider le principe de réparation du préjudice écologique et en préservant le principe de précaution, qui doit présider à toute action en vue d’un développement humain durable.
Notes
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[1]
L’avis du CESE (rapporteur : Pierrette Crosemarie) comporte à la fois un rapport et des recommandations. http://www.lecese.fr/travaux-publies/inegalites-environnementales-et-sociales-identifier-les-urgences-creer-des-dynamiques
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[2]
PNSE : plan national santé-environnement.
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ARS : Autorité régionale de santé.
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[4]
INVS : Institut national de veille sanitaire.