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Article de revue

Les musiques amplifiées en france

Phénomènes de surfaces et dynamiques invisibles

Pages 297 à 324

Notes

  • [1]
    TOUCHÉ, 1996.
  • [2]
    CUTLER, 1985 ; TAGG, 1979.
  • [3]
    Les anglo-saxons parlent à ce propos de popular music, différenciant le terme de folk music et d’art music.
  • [4]
    Chiffres-clés, 2005 ; actualité du disque, 2005 ; rapport CNV, 2005.
  • [5]
    Notamment, application progressive de l’ordonnance de 1945 sur le spectacle vivant, loi de 1969 sur les organisateurs de spectacles, loi Lang de 1985 sur les droits voisins aux droits d’auteurs.
  • [6]
    DUBOIS, 1999.
  • [7]
    TEILLET, 2002.
  • [8]
    BUREAU, 2003.
  • [9]
    DORIN et GUIBERT, 2006.
  • [10]
    KESSLER, 1984.
  • [11]
    GEMA, 1997.
  • [12]
    GOURDON, 1994.
  • [13]
    MENGER, 2005.
  • [14]
    GUIBERT et MIGEOT, 1999.
  • [15]
    MILLET, 2002.
  • [16]
    C’est le modèle du couple « producteur/saltimbanque » (PETERSON, 1991).
  • [17]
    Il déclare qu’un disque qui n’est pas diffusé sur un réseau radio doit plutôt être considéré comme une « démo » (ou « maquette ») que comme un véritable produit fini dans « Table Ronde : vers le disque... », FFMJC, La Lettre, n° 13, mai 1998, p. 32-45.
  • [18]
    MAYOL, 1997.
  • [19]
    Il suffit alors d’un papier à en tête et d’une boite au lettres pour monter un label, selon la célèbre expression de John Peel, animateur à la BBC, Londres.
  • [20]
    On pourrait la qualifier d’a-institutionnelle, a-professionnelle et d’a-capitalistique en suivant Chris Atton. Cf. ATTON, 2006.
  • [21]
    ION, 1996.
  • [22]
    Eric Tandy, musicien du groupe punk Olinveinstein à compter de 1977, a été vendeur dans le magasin Mélodies Massacre fondé par Lionel Hermanni à Rouen. La lecture de quelques-uns de ses souvenirs publiés dans un fanzine permet de mieux appréhender l’atmosphère des disquaires indépendants des scènes locales de l’époque. « Mélodies Massacre, le lieu s’appelait ainsi, vendait des disques qu’on ne trouvait alors qu’à Paris où dans des pays trop lointains. D’une façon encore plus rapide qu’on peut l’imaginer, Mélodies était devenu ma vraie maison [...]. Lycéen d’abord aide-commis les mercredis et samedis après-midi, [Lionel] me proposa, un beau jour de 1975, de devenir le vendeur attitré de l’endroit [...], je tentais de remplir les cabas, au départ souvent réticent, avec le vrai parfum du jour [...]. Les 45 tours artisanaux arrivés on ne sait comment [...] nous rendaient, moi et mon premier carré de fidèles, quotidiennement excités [...]. Je reste reconnaissant à tous ces groupuscules [...] et aux artisans labels qui sortaient ces bouts de plastique [...]. J’en oubliais presque les évènements très graves qui secouaient alors le monde de l’autre rock », TANDY E., « Après la ruée vers l’or », Hit Record, n° 2,2003, non paginé.
  • [23]
    CHATAIGNE, 1997.
  • [24]
    GUIBERT, 2006.
  • [25]
    On n’abordera pas plus avant dans ce texte la question complexe des frontières entre amateurs et professionnels traitée par ailleurs. Voir notamment RIPON, 1996 ; GUIBERT et MIGEOT, 1999.
  • [26]
    Insee, Recensement 1999.
  • [27]
    GUIBERT, 2006, chapitre 5.
  • [28]
    Comme le confirme les entretiens réalisés auprès de membres de plusieurs de ces groupes folkloriques (Beauvoir-sur-Mer, Sables d’Olonne), les budgets associatifs sont excédentaires en fin d’année et l’argent est dépensé dans le cadre de rendez-vous festifs pour les adhérents (repas collectifs se déroulant au restaurant le plus souvent).
  • [29]
    Par exemple, pour une ethnographie de la Lorraine voir HEIN, 2006.
  • [30]
    MARTIN et SUAUD, 1991.
  • [31]
    Bénéficiant d’une forte subvention de la commune de la Roche-sur-Yon, le seul lieu culturel de spectacle permanent spécifiquement dédié aux musiques amplifiées est le Fuzz’Yon, implanté dans une ville qui représente un « contrepouvoir » socialiste depuis 1977 au sein d’un département fortement ancré à droite et dirigé par Philippe de Villiers (à l’origine du MPF, Mouvement pour la France). Si les musiques amplifiées sont peu reconnues par la politique départementale, les présupposés idéologiques du conseil général sont relativisés par une dimension pragmatique : le fort afflux de touristes en été nécessite de favoriser une politique événementielle qui contient une dimension musicale (festivals notamment). Pour des détails, voir Guibert, 2006, chapitre 5.
  • [32]
    Cette structure détentrice du label SMAC (Scènes de Musiques Actuelles) suite à une convention avec la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) est un Lieu de vie musicale proposant la diffusion de concert, des studios de répétition, des cours d’instruments de musique et un centre d’information sur les musiques actuelles.
  • [33]
    Direction départementale de la jeunesse et des sports.
  • [34]
    Ouest France, Vendée Matin, Le Journal du Pays Yonnais, Hebdo Vendée.
  • [35]
    Je me repérais à partir des 31 cantons répertoriés dans les documents INSEE.
  • [36]
    Parti politique dont le leader est Philippe de Villiers, qui dirige le conseil général de la Vendée (cf. infra, note 31).
  • [37]
    La spécificité des combats politiques à Montaigu ne sera pas abordée dans cet article. Pour des détails, on peut se référer aux matériaux publiés dans mon livre, chapitres 5 et 6 (Guibert, 2006).
  • [38]
    D’ANGELO, 1997.
  • [39]
    Ainurecord.free.fr
  • [40]
    Aujourd’hui, on retrouve cet ancien fanzine sous la forme d’un webzine, wwww. myspace. com/ lesreveries
  • [41]
    Kadezair.net
  • [42]
    wwww. artsonic. org
  • [43]
    Informations tirées d’un entretien avec David – le batteur de Bikini Men – (oct. 2001), d’une interview dans le fanzine Upsetter (2002) et d’un entretien avec le responsable du disquaire Le Kiosque (mai 2001).
  • [44]
    GUIBERT, 2006.
  • [45]
    Fanzine Upsetter, n° 2,2002, La Rochelle.
  • [46]
    Un split est un disque partagé par deux groupes. Cette pratique largement pratiquée par les petits labels.
  • [47]
    LAVILLE, 1997.
  • [48]
    On peut citer à cet égard l’exemple de Rennes.
Merci à toutes les salles où ç’a été de la balle, les MJC, théâtres et salles polyvalentes en tout genres, les chapiteaux, marabouts et barnums, les podiums, les praticables et les impraticables, les fermes, les salles à manger, les chambres, les espaces, centres, forums, ateliers et autres maisons des arts, de la musique, des loisirs ou du gastronome landais, les péniches, jardins, cabarets, usines, clubs, auditoriums et cafés concerts, les p’tites scènes, les grandes scènes, les minuscules, les confortables, les autres et les gens qui vont avec !
(Note de pochette du premier album de Jeanne Cherhal, 2002)

1Les pratiques musicales en France se sont radicalement transformées au cours de ces quarante dernières années, qu’il s’agisse des logiques organisationnelles, des styles pratiqués ou des technologies convoquées. Ce texte voudrait le mettre en évidence à partir de la notion de scène locale, qui explicite comment, au sein d’un territoire, des passionnés vivent et produisent la musique en intégrant, au gré de leurs parcours, des communautés affinitaires. On parlera de « musiques amplifiées » [1] pour qualifier de manière opératoire un ensemble de pratiques musicales généralement exercées à plusieurs, de la répétition au concert en passant par l’enregistrement, pour lesquelles les procédés de transformation, de fixation et de reproduction du son sont décisives et constitutives d’une nouvelle manière de faire de la musique, ni orale, ni écrite, ni populaire, ni savante, mais dépassant dialectiquement ces types anciens [2],  [3].

2Pour mieux cerner le rôle des scènes locales dans la production musicale au sein du contexte hexagonal, on articulera notre propos en deux parties. Dans la première on cherchera à mettre à jour le paradoxe qui s’est développé au sein du territoire français. En effet, si la production musicale a gagné progressivement en reconnaissance et en visibilité – singulièrement à compter de la décennie 1980 et du rôle de l’Etat culturel – le domaine pris en compte semble n’être constitué que par une partie seulement de celui qui pourrait être potentiellement concerné. Dans la seconde partie, on détaillera le fonctionnement de dynamiques musicales qu’on peut qualifier « d’invisibles » à partir des résultats d’une enquête de terrain effectuée dans le département de la Vendée à l’aube du XXIe siècle.

The Dark Side of the Moon

3Au sein des industries de la culture, la musique comme secteur de production économique semble aujourd’hui pleinement visible et institutionnalisée. Des données chiffrées issues des entreprises du secteur et qui traitent aussi bien des volumes d’activité que des emplois concernés sont édités chaque année et repris dans les études et rapports du ministère de la Culture ou de l’Insee [4].

4Né durant le premier quart du XXe siècle, le secteur professionnel privé de la musique gagnait progressivement en visibilité et en reconnaissance à compter des années 1950, à mesure qu’une formalisation juridique spécifique prenait corps [5], mais aussi que l’impact économique des industries du loisir se faisait plus important. Avec l’arrivée de Jacques Lang au ministère de la Culture au début des années 1980, l’Etat commençait à travailler de concert avec ce secteur institué, d’abord dans une logique d’économie mixte. On pense à quelques grands travaux tels que le programme Zénith (destiné à la construction de jauges supérieure à 10 000 places accueillant les événements financés par les producteurs privés) ou bien à l’institution d’une taxe parafiscale sur les spectacles ( via le Fonds de Soutien Chanson, Variétés, Jazz), ou encore aux aides à destination des producteurs phonographiques, notamment la mise en place du FCM (Fonds pour la création musicale).

5Dans un second temps, par son positionnement et ses discours, le ministère Lang cherchait à intégrer des pratiques tels que le rock ou la chanson dans le champ des actions publiques de la culture, ces musiques faisant une apparition dans des « lieux labellisés », auparavant réservés à une culture plus « légitime », comme les CAC (Centres d’Action Culturelle) ou, plus tard, les Scènes nationales. Mais ce processus de légitimation officielle, même s’il avait un effet, n’a sans doute pas constitué le changement le plus important dans le champ de la musique. Devant le constat du foisonnement des initiatives musicales amplifiées au niveau local, les politiques publiques allait utiliser d’autres modes d’intervention.

Structuration d’un secteur

6Suite à la hausse des budgets centraux liés à la culture, ainsi qu’à l’investissement des collectivités locales dans ce domaine suite aux mouvements de décentralisation, l’action culturelle publique allait chercher à toucher les pratiques musicales amplifiées dans leur ensemble. Ainsi, à compter de la fin des années 1980, des chantiers concernant l’aide aux projets, puis à la professionnalisation, seront ouverts [6].

7Des lieux de tous types, qu’il s’agisse de corps de ferme, de friches industrielles, d’anciens théâtres ou de cafés, perdurant jusqu’alors en majeure partie grâce à des initiatives associatives pourront alors être concernés. Le ministère de la Culture, suivi des collectivités territoriales, proposera des subventions à l’investissement, puis au fonctionnement via plusieurs programmes d’aides (Agence des lieux musicaux dès la fin des années 1980, puis programme « cafés-musiques », avant la labellisation SMAC – « Scène de musiques actuelles » au milieu des années 1990). Les politiques publiques s’impliqueront également dans la répétition et dans l’aide aux festivals [7]. Un début de professionnalisation de ces initiatives sera impulsé de plusieurs manières. D’abord par la mise à disposition de certains emplois publics détachés provenant des mairies, mais aussi du ministère de l’Education nationale. Ensuite, par la création d’emplois aidés [8]. L’ouverture de nombreux postes d’objecteurs de conscience, devant effectuer leur service près de deux ans au sein des structures, jouera également un rôle non négligeable dans la pérennisation des projets.

8Les structures liées concrètement aux pratiques musicales amplifiées qui bénéficieront d’un soutien public au cours des années 1980 et 1990 proviennent de deux mondes auparavant étrangers aux politiques culturelles. Il s’agit d’une part, de MJC ou d’autres acteurs investis dans les fédérations d’éducation populaire ; d’autre part, des associations de bénévoles qui militent et agissent à cette époque en faveur d’esthétiques « rock » au sens large (hard-rock, punk, revival garage, new-wave, industriel… mais aussi reggae ou blues).

9Ainsi, à côté des figures traditionnelles d’entreprises culturelles incarnées par les modèles idéal-typiques de « l’entrepreneur privé » et du « théâtre public » [9], apparaît à compter de la fin des années 1980 un nouveau type d’acteur à l’économie hybride, en parti autofinancé et en parti subventionné, mais où persiste aussi une part d’économie non monétaire basée sur la réciprocité et le don/contre don (ne serait-ce que par l’importance du bénévolat). Ce qui change ici c’est que ce secteur – fondé à partir de structures provenant de l’éducation populaire ou de l’underground – sera dorénavant considéré comme professionnel et que son action, repérée, entrera dans le cadre des prérogatives du ministère de la Culture.

10Outre une volonté politique de démocratie culturelle, un objectif sous-jacent de l’Etat est alors d’opérer une régulation au sein d’un secteur, celui des « musiques amplifiées », dont le fonctionnement aux frontières des cadres légaux est une des caractéristiques historiques. Ainsi, au cours de la première moitié des années 1980, de nombreuses affaires impliquant les organisateurs de spectacle avaient été portées devant les tribunaux [10]. Elles pouvaient concerner un déficit de déclarations à la Sacem des répertoires interprétés, l’absence de contrats de travail pour les musiciens ou, pour le moins, des cotisations défectueuses à certaines caisses (sécurité sociale, retraite…). Au respect des textes sur la propriété intellectuelle ou la réglementation du travail, s’ajouteront d’ailleurs au cours des années 1990 d’autres conditions complexifiant l’exercice de la musique et sources de litiges potentiels, telles que les normes de sécurité d’accueil du public ou encore la gestion de l’intensité sonore [11].

11Pour les tutelles publiques, encadrer les pratiques liées aux musiques amplifiées doit, dès les années 1980, amener une meilleure lecture du fonctionnement du secteur en termes de production et, notamment, valoriser son impact économique en termes de chiffre d’affaire et d’emplois potentiels [12].

Document 1.

Le secteur des musiques amplifiées. Topographie socio-économique

Document 1.
Document 1. Le secteur des musiques amplifiées. Topographie socio-économique

Le secteur des musiques amplifiées. Topographie socio-économique

Une « nébuleuse intermédiaire »

12Les mutations précédemment décrites ont pourtant engendré des effets non prévus, liés à l’organisation même du champ musical. Cooptant au cours des années 1990 certains acteurs (principalement liés à la diffusion), et donnant naissance à des structures à « l’économie hybride », l’aide publique liée à culture laissait de côté nombre d’acteurs non professionnels et/ou peu institutionnels.

13C’est au cœur de cette nébuleuse « intermédiaire » que circulent les musiciens des scènes locales, où existe une grande indétermination des statuts d’emplois, les situations étant fréquemment précaires et réversibles [13]. Certains sont dans un cursus de formation initiale ou possèdent un travail dans un autre champ d’activité et pratiquent la musique en amateur, d’autres cherchent à devenir professionnel, d’autres encore gagnent leur vie grâce à la scène, rémunérés sous la forme d’emploi intermittente [14].

Conflits d’intérêt autour des critères de l’émergence des nouveaux artistes

14Du point de vue des circuits traditionnels de la musique (« entrepreneurs privés »), le problème de cette « nébuleuse intermédiaire » n’en est pas un, au moins dans les discours. Depuis la période des années 1920, et le secteur privé du spectacle appelé « music-hall », des artistes débutants sont cooptés par audition ou par concours, radio crochets et autres tremplins. C’est encore selon ce procédé que des émissions de télé réalité telles que Star Academy fonctionnent. Un modèle historique célèbre est celui mis au point dans la seconde partie des années 1950 à partir d’un partenariat entre la salle parisienne l’Olympia, et la radio périphérique Europe n° 1. Pour Lucien Morisse directeur de la radio qui en témoigne en 1958, « Des Talents inconnus sont nos “numéros 1 de demain”. Nous en présentons 5 chaque semaine lors de Musicorama, devants des directeurs de cabaret, de tournées, de maisons de disque et impressarii. Ils sont sélectionnés grâce à un appareil spécial, l’applaudimètre. Le vainqueur de l’épreuve (…) sera lancé » [15]. Ainsi, traditionnellement, au sein des industries de la musique enregistrée, on évoque peu la manière dont les artistes émergent ou pratiquent la musique hors industrie puisqu’ils sont censés être recrutés sans réelle expérience. Selon les normes en vigueur, le musicien est porteur d’un charisme, d’un talent, ou d’un don que le directeur artistique a pour mission de révéler [16]. Corollaire en termes économiques, le secteur industriel formalise son champ d’action par un organigramme qui part de l’artiste pour aller jusqu’à l’auditeur – consommateur final. Le secteur professionnel englobe alors l’ensemble des intermédiaires (disque, scènes, médias, sociétés civiles liées à la propriété intellectuelle, syndicats…).

15Ce qui reste ici invisible, c’est l’autre face de l’organigramme, celle qui part de l’auditeur, du mélomane qui découvre, aime et, éventuellement, joue lui-même de la musique, jusqu’à la mise en place de projets musicaux par ces mélomanes. Révélés par la scène, certains d’ailleurs gagnent leur vie sans être « repérés » ou même pris en compte par les structures professionnelles – au moins jusqu’à la vente de plusieurs dizaines de milliers d’album. Mais, pour l’industrie de la musique il s’agit là de pratique de loisir, amateurs, aux logiques étrangères à la production économique, aussi bien qu’à la culture. Une sorte de consommation élargie en somme. On peut citer à cet égard Hervé Rony, représentant du SNEP (Syndicat National de l’Edition Phonographique) qui considère qu’un disque qui ne passe pas sur un réseau radio peut être considéré comme « une démo » [17].

Un point aveugle de la production musicale

16Cette absence de considération n’a pas permis au secteur privé professionnel de percevoir la manière dont se transformaient les modes de pratique, et notamment la multiplication des effectifs impliqués dans les musiques amplifiées. Ainsi, à partir du croisement de différentes sources, on a pu évaluer à 25 000 le nombre de groupes œuvrant en France au milieu des années 1980, alors que la pratique des musiques amplifiées était quasi inexistante 25 ans plus tôt [18]. Les nouvelles possibilités technologiques avaient permis à ces groupes de gagner en autonomie. Dès ce moment, ils pouvaient fixer leur travail sur bande, produire eux-mêmes leur propre enregistrement, ou obtenir les conditions d’un rendu sonore scénique fiable à partir d’un faible budget. On réalise alors comment ce type d’activité allait bientôt dépasser le cadre d’une « activité de loisir ». Après la possibilité d’enregistrer, c’est un ensemble d’éditeurs phonographiques disséminés dans l’ensemble du territoire qui vit le jour [19]. Ceci avant que des réseaux de distribution mis aux points par ces petits éditeurs artisanaux ne se structurent au cours des années 1980, profitant d’un ensemble de disquaires attentifs à ces productions à petits budgets. La promotion réalisée autour de ces enregistrements allait l’être par le biais de médias alternatifs et locaux. Grâce à la généralisation de la photocopieuse d’abord, une presse underground foisonnante naquit autour de magazines autoédités (fanzines) réalisés par des passionnés [20]. Beaucoup de ces fanzines centrèrent leur propos sur un courant musical. Grâce à la libéralisation de la bande FM à partir de 1981 ensuite, une multitude de radios libres allait voir le jour en France. Les groupes locaux eurent pour la première fois accès aux ondes, tout comme de nombreux styles musicaux jusqu’alors ignorés des médias en place.

17Pour appréhender le fonctionnement de ces collectifs producteurs de musique d’un nouveau genre, qui se spécialisent dans de nombreux courants musicaux, il semble nécessaire de se pencher sur l’évolution organisationnelle des associations du type loi 1901 en général. Comme plusieurs enquêtes l’ont montré, l’investissement associatif ne décroît pas mais se transforme. On est passé d’un modèle constitué d’institutions centralisées au fonctionnement pyramidal et défendant de grandes causes et des pratiques normées, à un autre modèle constitué de petites entités qui s’investissent dans des problématiques précises, souvent ancrées sur un territoire donné. Ces nouvelles initiatives, pragmatiques dans la défense d’un bien commun, s’inscrivent dans de nombreux interstices sociaux. Alors que les grandes fédérations d’éducation populaire (politiques ou religieuses) étaient caractéristiques de l’« ancien » modèle, à travers les fanfares et autres orphéons par exemple, les associations œuvrant dans les musiques amplifiées se sont plutôt construites selon le « nouveau » modèle. Ceux qui les intègrent peuvent côtoyer, fréquenter ou se servir de structures ou d’espaces appartenant au premier modèle, sans obligatoirement adhérer aux valeurs ou aux postures idéologiques qui fondaient la dynamique associative, spécialement à la suite du Front Populaire [21].

18Une illustration de ce phénomène peut être donnée par la lecture des endroits où les groupes se produisent en concert. Pour la plupart, ils jouent aussi bien dans des lieux relevant de l’éducation populaire ou de l’animation socioculturelle (MJC, maison de quartier…) que dans des lieux relevant de l’économie privée lucrative non spécialisé dans le domaine de la culture (cafés-concerts par exemple), des lieux en marge (squats par exemple) ou encore des lieux institués (les acteurs à l’économie hybride nés dans les années 1990 sous l’impulsion des politiques publiques de la Culture tels les SMAC). L’idée est, donc, pour ces pratiquants, d’utiliser l’ensemble des espaces possibles pour aller à la rencontre du public.

La notion de scène locale

19Si la technologie est un catalyseur de l’émulation ayant permis ces initiatives nouvelles, indépendantes des détenteurs de capitaux les plus importants, elle n’explique pas la manière dont plusieurs acteurs disséminés ont pu se réunir pour travailler ensemble. La construction d’alternatives à une économie de la musique centralisée et unidirectionnelle (telle qu’elle existait auparavant) doit beaucoup à l’ancrage territorial de scènes locales.

20Quand on regarde par exemple la manière dont s’est structuré le mouvement « rock alternatif » en France au cours des années 1980, on s’aperçoit que dans des villes aussi diverses que Rouen, Angers, Clermont-Ferrand ou Strasbourg, une dynamique a pu prendre, selon une chronologie qui peut varier mais qui intègre un certain nombre d’acteurs communs. Ainsi, dans la genèse de nombreuses scènes locales que nous avons recensées, on trouve souvent un disquaire indépendant passionné par un style musical, ou, pour le moins, lisant l’histoire et l’actualité de la musique au travers d’un prisme singulier et incarné. Ce « leader d’opinion », qui fonde la plupart du temps son aura sur une différence d’âge de quelques années avec nombre de ses clients [22], transmet son goût pour un style ou une posture à une communauté de jeunes. On peut trouver d’autres personnalités permettant le développement de ces scènes locales dans des lieux de sociabilité comme des cafés ou des lieux de concerts. Quoi qu’il en soit, nombreux sont les jeunes qui, se reconnaissant au sein d’une communauté qui partage un attrait pour un style de musique, commencent à pratiquer un instrument. Ces musiciens répètent et des projets de groupe se concrétisent. D’autres passionnés reprennent ou fondent des associations impliquées dans la musique. Par exemple, ils créent des labels phonographiques, élaborent des fanzines ou mettent au point des émissions de radios. D’autres encore se lancent dans l’organisation de concerts, notamment dans les cafés. Le soutien de lieux culturels à l’économie hybride, comme les SMAC, les studios de répétition ou les « centres information musiques actuelles », peut aussi favoriser cette dynamique.

21On peut parler de « dynamique amplifiante » [23] lorsque plusieurs initiatives liées aux musiques amplifiées se recoupent, créant un cercle vertueux. C’est ensuite par les réseaux existant entre les villes autour d’un style musical que les groupes visitent alors d’autres lieux, d’autres villes, d’autres agglomérations. Même si on peut en décrire le processus, on doit ajouter que la cristallisation d’une scène locale est toujours singulière. Pour chaque territoire il faut tenir compte en effet d’une épaisseur historique, d’un contexte géographique, d’une couleur politique, des milieux sociaux concernés, de la proportion de jeunes dans la population totale et de son effectif impliqué dans la musique [24].

22Quoi qu’il en soit, on peut saisir ici comment ces transformations dans la pratique de la musique ont sérieusement pu remettre en cause la réalité des « pratiques amateurs ». Or ces mutations n’ont pas été prises en compte par le secteur professionnel privé de la musique qui percevait là une potentielle remise en cause de son savoir faire dans la cooptation de nouveaux artistes. Au contraire, alors que l’Etat intégrait via certains lieux de diffusion, de répétition et/ou d’information les musiques actuelles dans le champ de la culture, leur donnant les moyens d’une première existence institutionnelle, la frontière pouvant exister entre sphère professionnelle et sphère amateur/de loisir était renforcée, notamment par des actions législatives.

L’ambivalence des « entrepreneurs privés »

23Pourtant, bien que contestant la légitimité des scènes locales, le secteur le plus institué de la musique, et notamment le pôle traditionnel des « entrepreneurs privés », a su tirer profit de ce nouveau contexte pour externaliser une partie des coûts liés à la recherche et au développement d’artiste, dès les années 1990. Dans le domaine des musiques amplifiées, ce sont les acteurs des scènes locales eux-mêmes qui supportent dans la majorité des cas les dépenses de leurs activités musicales. Lors de nos enquêtes, on a même rencontré des groupes ayant signé des contrats de licence avec des majors du disque qui pouvaient déclarer avoir enregistré leur album « hors économie », sous entendu en dehors du monde professionnel tel qu’il est défini par les acteurs privés lucratif de l’industrie de la musique. Une tactique nécessaire pour les acteurs des scènes locales au moment où la structure budgétaire d’une sortie de disque se modifie de l’amont (production) à l’aval (promotion).

24La montée des pratiques liées aux musiques amplifiées par l’intermédiaire des scènes locales a généré une importante « nébuleuse intermédiaire ». Ses problématiques se situent en dehors du secteur professionnel de la musique, mais n’entrent pas non plus en adéquation avec la conception traditionnelle des « pratiques amateurs ». L’Etat (avec l’appui des syndicats d’employeurs) tente de régulariser ces activités en augmentant les contrôles législatifs et en cherchant à préciser les contours d’un statut amateur [25]. Les acteurs de l’industrie de la musique sont eux-mêmes ambivalents car, tout en dénonçant une concurrence déloyale et l’absence de viabilité d’un secteur informel, ils profitent d’une externalisation de leurs coûts en recherche et développement qui sont portés par ces scènes locales.

Dynamiques invisibles des scènes locales. Quelques exemples à travers le département de la Vendée

25

En ce moment on a un format pop-rock. Mais ça a changé, il y a deux ans on était plutôt « groove » […] Il faut que tu comprennes que les titres qu’on diffuse, c’est pensé au niveau national. […] Si des groupes qui ont notre format jouent en concert dans le département, on n’aura aucune raison supplémentaire de les passer en radio. […] Les styles qui sont joués ici, en Vendée ? c’est des trucs qu’on ne sait pas (Ludovic L., directeur Europe 2 La Roche-sur-Yon, Itw 15 avril 2001)

26Abordées d’un point vu quantitatif, et selon les logiques dominantes d’une économie des industries culturelles sur le plan national, le département Vendéen n’est pas différent du reste du territoire Français. Importateur et non producteur de musique, il représente un marché de la consommation musicale qui dépend de variables sociodémographiques dont la plus importante est sans doute la taille de la population.

Une offre centralisée de spectacles professionnels

27Autant dire que, avec un effectif qui représente 0,92 % de la population française [26], le « poids » de la Vendée musicale est quasiment négligeable. Perçue comme un espace qui peut générer une demande, le territoire vendéen est quadrillé par des lieux de vente de disques au détail et les antennes des réseaux radio commerciaux nationaux [27]. Les tournées des artistes de variété d’envergure nationale ou internationale sont soutenues par un promoteur local en situation quasi-monopolistique sur l’aire départementale (Harvest productions). Il organise les concerts dans les deux plus grandes salles du département, c’est-à-dire au Parc des Expositions de la Roche-sur-Yon (Les Oudairies) ou, dans une moindre mesure, aux Atlantes des Sables-d’Olonne. La billetterie est disponible dans les hypermarchés, via les deux principaux réseaux de vente de tickets (Ticketnet et Billettel). A côté des acteurs de cette sphère privée, il faut mentionner quelques diffuseurs subventionnés par le ministère de la Culture qui sont situés à la Roche-sur-Yon. Il s’agit de La Scène nationale le Manège (qui programme parfois de la chanson) à laquelle il faut ajouter le Fuzz’Yon, lieu labellisé Smac (Scène de Musiques Actuelles) à compter de l’année 1998. La logique est donc majoritairement celle de la diffusion d’artistes professionnels en tournée. Selon cette perspective, il ne semble pas exister de production locale apparente. Si l’artiste est vendéen, il semble qu’il doive d’abord « monter à Paris », puis être « découvert », signé, produit et promu avant de pouvoir atteindre son territoire d’origine via les canaux de « consommation de masse ».

Un réseau délimité de pratiques amateurs

28Par ailleurs, on trouve en Vendée comme ailleurs un ensemble de pratiques qui sont définies et repérées comme étant des pratiques musicales amateurs, qu’elles soient gérées par des fédérations d’éducation populaire, qu’elles aient un agrément du ministère de la Jeunesse et des Sports ou bien des subventions allouées par ce ministère, ou encore qu’elles dépendent de services de collectivités locales liées à des actions socioculturelles ou de jeunesse. Ainsi dans les plus grandes villes, il existe des réseaux de MJC, FJT, maisons de quartiers et/ou maisons de jeunes, souvent liées à la FOL (Fédérations des Œuvres Laïques). Par exemple à la Roche-sur-Yon, préfecture de la Vendée qui compte 50 000 habitants, L’ACIAQ (Association de Coordination Yonnaise des Maisons de Quartier) a souvent accueilli des groupes en répétition, propose des ateliers d’apprentissage d’instruments liés aux « musiques actuelles » et organise quelques concerts à l’année dans plusieurs de ses maisons de quartier (Pyramides, Pont Morineau, Bourg-sous-La-Roche, Jean Yole…).

29En zone rurale, les fédérations d’éducation populaire les plus présentes sont davantage liées à la tradition catholique et sont plus conservatrices. Familles Rurales est majoritaire. Proposant de couvrir le « temps libre », cette fédération possède des animations pour tous les âges de la vie, de la prime enfance au troisième âge. Les adolescents et post-adolescents sont encadrés au sein de « foyers de jeunes », dont certains organisent des concerts. D’autres associations d’éducation populaire sont également présentes. Ainsi, les Jeunesses Musicales de France organisent un tremplin annuel faisant se rencontrer les projets musicaux préparés au sein des lycées du département.

30Dans les actions de diffusion musicale qu’ils mènent, les organismes d’éducation populaire se posent comme extérieurs à la sphère artistique et culturelle (modèle du « théâtre public »). Ils sont également étrangers aux logiques médiatiques et aux industries culturelles qui y sont liées (modèle de « l’entrepreneur privé »). Les activités musicales amateurs sont traditionnellement fondées sur les orphéons (fanfares, harmonies et chorales), auxquelles se sont adossées de nombreuses écoles de musique à compter des années 1970. Lorsque j’ai réalisé mon enquête de terrain en 2001, un répertoire récent de L’ADDMD (Association Départementale ? de Développement de la Musique et de la Danse) recensait les activités liées à la musique. On y trouvait donc les orphéons (laïques ou confessionnels), les écoles de musique mais aussi les ensembles de musique traditionnelles qui allient musique et danse et dont les membres, résolument amateurs, sont costumés lors des galas qu’ils animent parfois en fin de semaine [28]. Pas de trace pourtant des musiques amplifiées dans ce guide, où cinq groupes assimilés « rock » seulement sont répertoriés.

Existe-t-il des pratiques musicales amplifiées en Vendée ?

31Autant le dire d’emblée, conformément à nos hypothèses, cette rareté des activités musicales amplifiées au niveau local, toute comme l’exposé de cette dichotomie « trop parfaite » entre les sphères amateurs et professionnelles ne reflétait pas, en réalité, les usages de la musique sur le territoire vendéen. Outre les éléments socio-historiques nationaux explicités dans la première partie de cet article, plusieurs symptômes pouvaient d’ailleurs permettre de le présupposer. En tant que musicien, j’avais depuis longtemps entendu dire que la Vendée, comme la Bretagne, proposait de nombreuses opportunités de concerts, notamment par la richesse de son tissu associatif. Par ailleurs, en mars 2001, alors que mon enquête en était encore à ses débuts, je découvrais que les JMF départementales cherchaient à réorienter leurs actions vers une sensibilisation au répertoire classique, notamment parce que l’omniprésence des musiques amplifiées dans les projets musicaux proposés et montés par les jeunes du département contrariait les volontés des dirigeants ( Ouest France, 13 juin 2001). Puis au mois de mai, en enquêtant sur les foyers de jeunes Familles rurales (plus d’une trentaine sur le département), je m’apercevais que plusieurs d’entre eux organisaient des concerts de musiques amplifiées alors que le responsable départemental des foyers de jeunes l’ignorait. Ce type d’activité n’était pas prévu, ni pensé, et encore moins validé au niveau central de la fédération Familles rurales. Elle provenait de la base et restait donc invisible.

Document 2.

Annonce d’un concert punk-rock dans un foyer de jeunes « Familles rurales »

Document 2.
Document 2. Annonce d’un concert punk-rock dans un foyer de jeunes « Familles rurales » Hebdo-Vendée, 17 mai 2001

Annonce d’un concert punk-rock dans un foyer de jeunes « Familles rurales »

32Les symptômes d’une activité importante me furent confirmés après six mois d’ethnographie ayant abouti à un recensement des groupes de musiques amplifiées sur le territoire vendéen. Au début de l’été 2001, j’y avais comptabilisé 244 groupes de musiques amplifiées, collectifs qui représentaient 997 musiciens. Dans le même temps, j’avais pu recenser 69 associations et 82 cafés ayant organisé ou coorganisé au moins un concert de musiques amplifiées en Vendée lors des 12 derniers mois précédent ma recherche. S’en était suivi une enquête par questionnaire auprès de ces populations d’acteurs dont quelques chiffres seront ici mentionnés.

33C’est donc une activité foisonnante qui existe en Vendée, comme sur l’ensemble du territoire national [29]. Pour certains analystes, l’absence de prise en compte des musiques amplifiées sur le département devrait être reliée à son orientation politique, qui, en matière culturelle, est axé sur une idéologie de la tradition célébrant un esprit vendéen historiquement construit [30]. Si cela est parfois le cas [31], il semble que, dans le champ musical, l’inexistence de la prise en compte des activités se retrouve ailleurs en France et dépendent de variables organisationnelles préalablement exposées, quelle que soit l’orientation politique des territoires. Le fonctionnement des pratiques culturelles de la « nébuleuse intermédiaire », et en particulier, les logiques organisationnelles interstitielles et rhyzomatiques sont largement ignorées. On a vu par exemple que le guide de l’ADDMD de 1998 ne comptabilisait que cinq groupes de musiques amplifiées sur le département. Or, un passage en revue des acteurs liés à la musique cités par ce même guide montre que, dans leur ensemble, les acteurs repérés possèdent une adresse à la mairie ou à la maison des associations de leur commune de résidence, ce qui n’est le cas d’aucun groupe de musiques amplifiées que nous avons repéré.

Quelques caractéristiques des musiciens vendéens

34Bien qu’une part non négligeable des projets musicaux amplifiés ait une existence officielle – plus d’un tiers est constitué en association – les « activistes » de ces musiques sont disséminés sur le territoire ; ils répètent majoritairement (à 53,8 %) dans des lieux privatifs (caves, granges, chambres…), enregistrent leur disque à la maison, en « home studio » (c’est le cas de 51,5 % de ceux qui ont enregistré) et les diffusent via des listes de distribution (photocopiées, jointes à des fanzines ou sur Internet), des commerces de proximité ou encore lors de leurs concerts. Ils jouent dans des cafés-concerts (près de 37 % de l’ensemble des concerts réalisés sur le département, 79,5 % des groupes se produisant dans ce type de lieux) mais aussi dans de nombreux autres espaces, notamment des festivals associatifs (qui représentent 13,3 % de l’ensemble des concerts, 45,8 % des groupes étant concernés). Ils leur arrivent de fréquenter les sphères privées lucratives ou publiques subventionnées mentionnés plus haut (celles des lieux labellisés ou des promoteurs privés pour des premières parties, ou bien encore celle des fédérations d’éducation populaire et des structures socioculturelles) sans appartenir complètement à ces mondes. Ainsi, les concerts effectués dans des lieux d’éducation populaire représentent 5,6 % de l’ensemble des concerts effectués par les groupes vendéens, mais 30 % des groupes ont déjà joué dans ce type de lieux. Comme l’esquissait Pierre Belleville de matière provocatrice en 1985 lors d’un bilan du fonctionnement de l’éducation populaire sous la direction de B. Casérès : « En matière de musique, les pratiques des jeunes dessinent sous nos yeux une forme d’éducation populaire, informelle, inorganisée, autosuffisante. Des groupes se montent, qui durent quelques temps, se séparent, etc. Des compétences techniques musicales naissent [...]. Il se dessine ainsi un paysage social que l’on qualifie facilement de marginal, mais qui, en réalité, est loin d’être marginal. » Faisant feu de tout bois, les groupes se montrent ainsi où l’opportunité de jouer leur est donnée, circulant au sein de réseaux qui remettent en cause les marquages institués.

35Les questions posées aux musiciens concernant leur rapport à la légalité met en évidence le décalage entre pratiques et normes de régulations. Alors que 12,6 % des groupes signent toujours des contrats lors des concerts, ils sont 49,4 % à ne jamais en signer, preuve que les concerts se déroulent en majorité en dehors de la légalité. Pourtant, l’enquête prouve que dans la grande majorité des cas, les acteurs des musiques amplifiées n’ont pas pour but de contourner la loi. Lorsqu’une manifestation peut être réalisée selon les règles en vigueur, ces dernières seront respectées. Dans le cas contraire (budget trop restreint par exemple), c’est la réalisation du concert qui sera privilégiée, le fait de jouer étant le critère premier. Etant donné la montée des contraintes juridiques à respecter toutefois, c’est souvent en milieu rural – en marge des bassins de populations les plus concentrés – que les concerts s’avèrent être les plus nombreux.

36Si ces quelques chiffres permettent d’appréhender les comportements des groupes de musiques amplifiées comme une population « entre deux » renouvelant le rapport aux pratiques culturelles, ils ne mettent pas obligatoirement en évidence, par un effet de structure, l’hétérogénéité des profils de groupes en regard de la professionnalisation. Si la plupart des musiciens impliqués dans la musique ne tire pas ses revenus de cette activité (par choix ou par contrainte), le développement du statut intermittent permet à certains d’en vivre tout en restant à bonne distance des industries culturelles (5,7 % des musiciens sont intermittents, ce qui représente un peu plus de 50 musiciens au sein de la population recensée). Ces disparités se retrouvent au sein des projets. Si le nombre de concerts réalisés par les 244 groupes enquêtés est de 12,4 en moyenne dans l’année écoulée, ce nombre s’étale de 0 à 90 concerts. D’autre part, 100 % des groupes ayant réalisé au moins un concert ont joué en Vendée, alors que 6 % seulement des groupes qui jouent se sont produits en dehors des frontières françaises, ces dates à l’étranger représentant seulement 3,5 % du volume total des concerts des groupes vendéens.

37Pour mieux comprendre où les musiciens se croisent et comment les groupes se comportent, il nous faut maintenant nous pencher sur une analyse davantage territorialisée.

Démarche ethnographique et scènes locales

38Lorsque je cherchais à repérer les acteurs vendéens impliqués dans les musiques amplifiées et à recenser leur population, les données disponibles au « centre info » du Fuzz’Yon [32] (associations, groupes, festivals) et à la DDJS [33] (foyers de jeunes, maisons de quartier) ainsi que la lecture de la presse locale [34] m’avaient permis de constituer les bases exploratoires d’un travail ethnographique. Je m’étais ensuite déplacé au sein du territoire départemental [35] afin d’établir des contacts privilégiés avec des correspondants dans chacun des cantons. Ces relais, outre un rôle d’informateur, devaient m’aider à gérer les distributions des questionnaires sur le territoire. Je découvrais alors successivement le foisonnement d’activités existant autour de plusieurs agglomérations vendéennes, scènes locales qui constituent autant de « cas d’école ». Pour trouver des relais au sein des cantons ou des agglomérations, je me rendais dans les lieux de polarisation, espaces les plus susceptibles de pouvoir me renseigner. De rencontre en rencontre, je pouvais ainsi reconstituer la toile des scènes locales. Les cafés des centres villes les plus repérés et les foyers ou maisons de jeunes s’avèrent les nœuds de rencontre les plus prolifiques. Je m’étais rapidement aperçu en effet que les animateurs de ces derniers lieux avaient une meilleure connaissance de la production musicale locale que les salariés des services culturels.

39Lors de mon premier déplacement aux Herbiers par exemple, je commençais par rencontrer le directeur du service culturel, qui avait notamment la responsabilité d’un important lieu de diffusion subventionné par les collectivités locales, l’Espace Herbauges. Sur le ton de la déception, celui-ci faisait le constat d’une absence de musiciens et de groupes repérés dans les environs de la commune, excepté une association qui avait organisé quelques concerts aux Herbauges. « Il n’y a pas d’artistes dans le coin » me disait-il. Or, quelques jours plus tard, en discutant avec des musiciens croisés à la Roche-sur-Yon, j’apprenais avec surprise qu’au sein de la maison des jeunes des Herbiers, des groupes répétaient. Me rendant dans le quartier de la ville qui accueillait le service jeunesse (l’Etanduère), je rencontrais alors Benoît, un animateur, qui me donnait une liste d’une vingtaine de groupes, usagés de trois locaux de répétition de cette maison des jeunes. Quelques semaines plus tard, je recevais d’ailleurs un appel téléphonique de l’animateur de l’Etanduère qui m’annonçait la naissance d’une collaboration entre service jeunesse et service culturel des Herbiers, collaboration dont allaient résulter trois tremplins annuels en cours de programmation à l’Espace Herbauges… Un exemple qui souligne une nouvelle fois la puissance des spécialisations institutionnelles et la difficulté d’appréhension des pratiques musicales amplifiées.

40Quoi qu’il en soit, repérer les groupes constitués permettait ensuite d’en savoir plus sur la scène locale. Cafés-concerts, associations, styles musicaux joués, festivals organisés, autant d’informations qui pouvaient découler des conversations avec les groupes. Dans le cas des Herbiers cité ci-dessus par exemple, Benoit, l’animateur du service jeunesse pouvait m’orienter vers les cafés-concerts les plus dynamiques (Gambrinus, Tie-Break…). Cet animateur jouait un rôle important sur la scène locale notamment parce son statut de membre du bureau de l’association les Feux de l’Eté à Saint-Prouhant, qui organisait un concert annuel accueillant 5 000 spectateurs. Ce qui manquait peut-être à la scène locale des Herbiers (commune de 14 000 habitants) par rapport au modèle idéal-typique de la scène locale exposé plus haut, c’était une activité discographique et des médias alternatifs. Sans label indépendant ni point de vente de disques autre que le maigre rayon d’un hypermarché périphérique, sans fanzine ni radio locale autre que les réseaux commerciaux nationaux, la « dynamique amplifiante » de l’agglomération restait faible, même si le groupe Mère Thereska, souvent programmé par les cafés et les associations locales créait une dynamique autour de la culture ska.

Un cercle vertueux ? Deux exemples de scènes locales étudiées en 2001

41A quelque dizaine de kilomètres de là, d’autres scènes locales paraissaient plus structurées, on en mentionnera deux, particulièrement caractéristiques des « nébuleuses intermédiaires » en œuvre dans le cadre des pratiques musicales amplifiées. Au nord du département, Montaigu, commune de 5 000 habitants, comptait 26 groupes et un collectif de 6 associations. Au sud, Fontenay-le-Comte, ville de 14 000 habitants, comptait 15 groupes, 3 associations et un office culturel, association en délégation de service public, à l’origine d’un festival annuel d’envergure nationale qui attirait plus de 10 000 personnes. Les scènes locales de chacune de ces deux agglomérations possédaient des dynamiques de constitution très différentes.

42A Fontenay, c’est le Rock Festival, porté par David, un fan de rock directeur de l’Office culturel (une association en délégation de service public), qui, dès 1987, cristallisait et engendrait tout un ensemble d’initiatives. Chaque année, la venue pendant trois jours de plusieurs milliers de festivaliers dans les rues de la petite ville marquait durablement les esprits. Aux deux soirées dans les deux salles municipales, s’ajoutaient de nombreuses manifestations en « off » dans plusieurs cafés-concerts de la ville. Les associations locales intéressées par la musique s’investissaient dans cet évènement. Ainsi, l’association Kazimir’Action, comprenant des musiciens et des plasticiens s’occupaient de décorer le lieu du festival. Deux autres associations, la Rockerie et Kadezair organisaient les concerts dans les cafés (Blues Bar, Bar des Halles) avec des groupes de la scène locale, en plus d’une activité de programmation à l’année dans les cafés, au FJT de la ville ou à la maison des jeunes des Moulins Liots.

43A Montaigu, la « dynamique amplifiante » était moins canalisée autour d’un évènement mais provenait plutôt de la concentration des actions et des porteurs de projets réunis au sein du « collectif » associatif qui louait une petite friche industrielle nommée Lego Bull. Organisant suite à la fondation de l’association Artsonic des concerts depuis 1990 dans les cafés-concerts des environs, le foyer des jeunes, l’ancienne gare ou le local de répétition, les acteurs montacutains tissaient de nombreux réseaux, ce qui leur avait permis d’organiser sans subvention directe le festival des Lunanthropes en 2000, évènement qui attirait 8000 personnes dans le parc de la ville. Le but était alors pour les acteurs impliqués d’obtenir un lieu de diffusion permanent, qui ne vit pas le jour à cause d’un conflit politique avec la mairie MPF [36]. Par ailleurs, face à l’hostilité des autorités politiques, le festival ne fut pas être réédité l’année de mon enquête car il ne reçut pas l’aval de la commission de sécurité, la mairie multipliant les exigences du point de vue des normes à respecter. Pour autant, de nombreux évènements sont toujours organisés dans les environs de Montaigu (cafés-concerts, foyer des jeunes, locaux de répétition…).

44L’importance des dynamiques locales en œuvre à Montaigu et à Fontenay pouvait être expliquée, lors de mon enquête, par un croisement d’initiatives qui permettait une vie musicale à l’année [37]. Au sein de ces deux territoires, les disquaires jouaient un rôle moteur, notamment parce qu’on pouvait y trouver les références des groupes locaux ainsi que celles des groupes programmés en ville. Au sein du territoire français, le sort des disquaires indépendants est, on le sait, depuis longtemps scellé, et leur existence hors des villes de plus de 20 000 habitants n’est plus à l’ordre du jour [38]. Au sein des scènes locales des petites villes pourtant, ils existent sous d’autres formes, celles de « listes de distribution ».

45A Fontenay, l’ancien disquaire, Laurent, avait mis la clef sous la porte en 1995 mais avait créé une liste de distribution de disque nommée Le Kiosque, physiquement présente sur les marchés hebdomadaires de Fontenay. Agé d’une quarantaine d’année en 2001 lors de mon enquête, il possédait une bonne connaissance de la culture rock underground, et sensibilisait depuis plus de quinze ans des dizaines d’adolescents aux musiques indépendantes. Membre de l’association la Rockerie, il participait activement au festival qui lui permettait de développer des contacts avec des labels et des groupes de scènes locales internationales.

46A Montaigu, Steph, le responsable de l’association Craoued était également à l’origine d’une liste de distribution associative nommée Craoued distro, puis Aïnu. Il organisait également des concerts et avait mis sur pied un label associatif qu’avaient utilisé plusieurs groupes montacutain pour sortir leur album en CD ou vinyle (Craft, 80 Planet of Trash, Dioz, Lout Society Kurse…). D’une autre génération que le disquaire underground de Fontenay (25 ans lors de mon enquête), il préférait vendre ses disques lors des concerts locaux et proposait aussi ses références sur Internet [39]. Comme au sein des scènes locales des années 80, on pouvait constater à Montaigu le succès de certains albums de petits labels du monde entier, très peu mentionnés au niveau des médias nationaux mais qui étaient de véritables « hits » dans la petite commune où ils pouvaient se vendre jusqu’à 50 exemplaires, puisqu’ils étaient recommandés par Steph.

47Les médias alternatifs étaient également importants dans la cohésion de ces deux scènes. A Montaigu, outre la feuille d’info du Collectif, Icroacoa, on trouvait le fanzine Kérosène, publication à la renommée nationale éditée à 3 000 exemplaires, véritable tribune pour les groupes et initiatives locales. A Fontenay, on trouvait également deux fanzines, Les Rêveries[40] et Kaliméro, ce dernier fanzine étant édité par l’association Kadezair. Nourri au départ par les interviews de groupes anglo-saxons accueillis dans le cadre du festival, Kaliméro avait d’ailleurs édité en décembre 1998 une compilation des groupes de Fontenay, « Les Gloires locales » en format cassette audio. Contrairement à Montaigu, les radios libres avaient également joué un rôle important à Fontenay, même si cette période s’était terminée au cours des années 90 suite à leurs rachats par des réseaux (NRJ et Europe 2). Si les radios ouvertes aux dynamiques locales n’existent plus, elles sont remplacées par les sites Internet. Fonctionnant sans subventions aucune, celui de Kadezair est aujourd’hui l’un des plus consultés de Vendée pour la musique. Il recense 379 groupes vendéens et propose des extraits sonores de ces formations [41]. De même le collectif associatif de Montaigu propose un site au sein duquel chacune des associations possède un espace et renvoi à de nombreux liens de collectifs amis [42].

48On comprend que de tels éléments aient permis à de nombreux groupes de se développer. Pour l’illustrer, on mentionnera l’exemple de deux formations [43] parmi la quarantaine de groupes que nous avons recensé dans les deux cantons lors de notre enquête [44]. Autour de 1997 à Fontenay, bien avant qu’Internet ne soit vulgarisé, le groupe de punk rock The Swindlers a pu enregistrer des disques sur des labels français, américains, allemands et italiens, et en vendre plusieurs milliers, les musiciens étant notamment interviewés dans Maximum Rock’n’roll, un fanzine américain de dimension internationale lu par les milieux du rock indépendant. Les membres du groupe, âgés de 18 ans à l’époque de la formation du projet, ont découvert le punk rock en assistant au premières éditions du Rock Festival fontenaysien, mais aussi en écoutant l’émission de radio réalisée par Baloo de l’association La Rockerie sur la radio libre RFC. Ils ont acheté leurs premiers vinyles de punk chez le disquaire local, le Kiosque, et sur les conseils de Laurent, le vendeur, impliqué par ailleurs dans La Rockerie. Alors que le groupe existait depuis peu, c’est son passage sur scène lors du Rock Festival et son soutien par les associations locales qui a permis aux Swindlers d’être relayé par les fanzines et les radios associatives présents lors de l’événement annuel fontenaysien (les scènes locales de Bordeaux et de Périgueux notamment). Ceci avant qu’un label ne s’intéresse au groupe, que les listes de distributions et les disquaires indépendants ne fassent la promotion des disques du trio et que les villes impliquées dans le punk ne les fassent jouer. Le groupe est maintenant dissous, mais la carrière qu’il réalisa lors de sa brève existence (3 ans) montre l’importance des réseaux pouvant être déployés par les scènes locales. Ayant choisi de pratiquer la musique en amateur, les musiciens du groupe s’illustrent aujourd’hui au sein de divers projets. On peut citer Bikini Men, le groupe de l’ancien leader des Swindlers, impliqué dans la scène surf punk internationale (plusieurs disques sont à l’actif de Bikini Men, dont une compilation surf-punk italienne et une autre mexicaine). Pour celui qui se fait appeler Kaptain Swindler, s’exprimant à propos des concerts : « On ne cherche même plus, on y va quand on nous appelle et qu’on est disponible étant donné qu’on travaille à côté. » [45]

49A Montaigu, on peut évoquer, parmi d’autres, le trajet du groupe Craft, qui s’illustre dans un style « metal for punk ». Craft est monté par quatre musiciens de Montaigu à la fin des années 90. Ils ont découvert le metal par le biais des concerts organisés par les associations locales, en particulier Artsonic, dès le début des années 90. Impliqués dans l’organisation des concerts et la venue de groupes internationaux (Europe de l’Est et Amérique du Sud principalement) au sein des cafés-concerts et du foyer des jeunes de Montaigu, les membres de Craft participent à la mise en place du local de répétition autogéré sur la commune, mettant au point, avec d’autres, l’isolation acoustique et la décoration de ce lieu. C’est le patron du café-concert le Tribal, par ailleurs organisateur de nombreuses soirées, qui gère les clefs du local au sein duquel une quinzaine de groupes répètent. Après quelques concerts, Craft est soutenu dès 2000 par le label-distro (cad « liste de distribution ») Craoued qui a aujourd’hui produit trois albums CD et un split vinyle [46] pour le groupe. Etant donné les réseaux dont dispose Stéphane de Craoued, Craft a déjà réalisé plusieurs tournées européennes, profitant entre autres de la notoriété du fanzine Kerosène. Si, au moment de notre enquête, les musiciens de Craft avaient choisi de rester amateurs, d’autres groupes de la commune (tel 80 Planet of Trash dont le premier disque avait également été produit par Craoued) avaient obtenu le statut d’intermittents grâce à leurs tournées.

Conclusion

50Face à l’image d’archaïsme et de désert musical communément porté sur la province, et plus spécifiquement sur nombre de départements à dominante rurale, les exemples fournis par l’ethnographie des scènes locales de deux communes vendéennes, Fontenay-le-Comte et Montaigu, montrent à quel point les dynamiques musicales amplifiées invisibles peuvent être importantes. Les effets de notoriété portés par les collectifs permettent par ailleurs aux membres impliqués et à leurs enregistrements de circuler au sein de réseaux esthétiques mondialisés. Si, face à la saturation de l’information, autoproduire un disque ne permet pas de pouvoir se faire connaître, la dynamique croisés d’acteurs spécialisés implantés sur le même territoire peut pallier de manière conséquente un manque d’investissement monétaire. A partir d’une activité économique encastrée dans le politique [47], les scènes locales évoquées génèrent un important lien social et peuvent même être force de proposition (le collectif montacutain a d’ailleurs constitué une liste ayant obtenu 12 % lors des dernières élections municipales en 2000).

51Toutefois, parce qu’ils sont partie prenante de ce qu’on pourrait appeler une « nébuleuse intermédiaire », les phénomènes décrits ci-dessus ne sont pas considérés en tant que tels. Ni réellement cantonnés à la sphère amateur, ni acteurs repérés du monde professionnel de la musique, ni réellement représentatif du domaine de l’art et de la culture, ni constitutif d’un pôle économique réellement puissant, loin du secteur public subventionné comme du secteur privé lucratif, la plupart des scènes locales – à moins qu’elles soient utilisées comme un vecteur de communication par les collectivités [48] restent largement ignorées. Les tentatives de soutien politique d’un « monde du milieu » à l’économie hybride au tournant des années 1990 ne s’est pas avéré concluant, sans doute parce qu’il n’intégrait pas la dimension territoriale des scènes locales. Par ailleurs, l’augmentation des contraintes juridiques liées aux spectacles accentue encore les difficultés de pérennisation de dynamiques locales. Ces dernières disparaîtront-elles ? Cela reste difficile à croire, les acteurs possédant des registres d’action souvent insoupçonnés.

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  • MILLET F. (2002), « On connait la chanson », MBC, L’Année du disque 2001, Paris, MBC, p. 3.
  • PETERSON R. (1991), « Mais pourquoi en 1955 ? Comment expliquer la naissance du rock », Hennion A., Mignon P. (dir.), Rock, de l’histoire au mythe, Paris, Anthropos, coll. « Vibrations », p. 9-40.
  • RIPON R. (1996), Le poids économique des activités artistiques amateurs, Paris, DEP, Ministère de la Culture.
  • SNEP (2006), l’Actualité du disque 2005, SNEP.
  • TAGG P. (1979), 50 seconds of Television Music. Towards the analysis of Affect in popular Music, New York, Mass Media Music Scholar Press.
  • TEILLET P. (2002), « Eléments pour une histoire des politiques publiques en faveur des « musiques amplifiées » », Poirrier P (dir.), Les Collectivités locales et la culture. Les formes de l’institutionnalisation, XIXe - XXe siècles, Paris, La Documentation Française/Comité d’Histoire du Ministère de la Culture – Fondation Maison des Sciences de l’Homme, p. 361-393
  • TOUCHÉ Marc (1996), « Les lieux de répétition des musiques amplifiées », Les Annales de la recherche urbaine, n° 70, p. 58-67.

Date de mise en ligne : 31/05/2007.

Notes

  • [1]
    TOUCHÉ, 1996.
  • [2]
    CUTLER, 1985 ; TAGG, 1979.
  • [3]
    Les anglo-saxons parlent à ce propos de popular music, différenciant le terme de folk music et d’art music.
  • [4]
    Chiffres-clés, 2005 ; actualité du disque, 2005 ; rapport CNV, 2005.
  • [5]
    Notamment, application progressive de l’ordonnance de 1945 sur le spectacle vivant, loi de 1969 sur les organisateurs de spectacles, loi Lang de 1985 sur les droits voisins aux droits d’auteurs.
  • [6]
    DUBOIS, 1999.
  • [7]
    TEILLET, 2002.
  • [8]
    BUREAU, 2003.
  • [9]
    DORIN et GUIBERT, 2006.
  • [10]
    KESSLER, 1984.
  • [11]
    GEMA, 1997.
  • [12]
    GOURDON, 1994.
  • [13]
    MENGER, 2005.
  • [14]
    GUIBERT et MIGEOT, 1999.
  • [15]
    MILLET, 2002.
  • [16]
    C’est le modèle du couple « producteur/saltimbanque » (PETERSON, 1991).
  • [17]
    Il déclare qu’un disque qui n’est pas diffusé sur un réseau radio doit plutôt être considéré comme une « démo » (ou « maquette ») que comme un véritable produit fini dans « Table Ronde : vers le disque... », FFMJC, La Lettre, n° 13, mai 1998, p. 32-45.
  • [18]
    MAYOL, 1997.
  • [19]
    Il suffit alors d’un papier à en tête et d’une boite au lettres pour monter un label, selon la célèbre expression de John Peel, animateur à la BBC, Londres.
  • [20]
    On pourrait la qualifier d’a-institutionnelle, a-professionnelle et d’a-capitalistique en suivant Chris Atton. Cf. ATTON, 2006.
  • [21]
    ION, 1996.
  • [22]
    Eric Tandy, musicien du groupe punk Olinveinstein à compter de 1977, a été vendeur dans le magasin Mélodies Massacre fondé par Lionel Hermanni à Rouen. La lecture de quelques-uns de ses souvenirs publiés dans un fanzine permet de mieux appréhender l’atmosphère des disquaires indépendants des scènes locales de l’époque. « Mélodies Massacre, le lieu s’appelait ainsi, vendait des disques qu’on ne trouvait alors qu’à Paris où dans des pays trop lointains. D’une façon encore plus rapide qu’on peut l’imaginer, Mélodies était devenu ma vraie maison [...]. Lycéen d’abord aide-commis les mercredis et samedis après-midi, [Lionel] me proposa, un beau jour de 1975, de devenir le vendeur attitré de l’endroit [...], je tentais de remplir les cabas, au départ souvent réticent, avec le vrai parfum du jour [...]. Les 45 tours artisanaux arrivés on ne sait comment [...] nous rendaient, moi et mon premier carré de fidèles, quotidiennement excités [...]. Je reste reconnaissant à tous ces groupuscules [...] et aux artisans labels qui sortaient ces bouts de plastique [...]. J’en oubliais presque les évènements très graves qui secouaient alors le monde de l’autre rock », TANDY E., « Après la ruée vers l’or », Hit Record, n° 2,2003, non paginé.
  • [23]
    CHATAIGNE, 1997.
  • [24]
    GUIBERT, 2006.
  • [25]
    On n’abordera pas plus avant dans ce texte la question complexe des frontières entre amateurs et professionnels traitée par ailleurs. Voir notamment RIPON, 1996 ; GUIBERT et MIGEOT, 1999.
  • [26]
    Insee, Recensement 1999.
  • [27]
    GUIBERT, 2006, chapitre 5.
  • [28]
    Comme le confirme les entretiens réalisés auprès de membres de plusieurs de ces groupes folkloriques (Beauvoir-sur-Mer, Sables d’Olonne), les budgets associatifs sont excédentaires en fin d’année et l’argent est dépensé dans le cadre de rendez-vous festifs pour les adhérents (repas collectifs se déroulant au restaurant le plus souvent).
  • [29]
    Par exemple, pour une ethnographie de la Lorraine voir HEIN, 2006.
  • [30]
    MARTIN et SUAUD, 1991.
  • [31]
    Bénéficiant d’une forte subvention de la commune de la Roche-sur-Yon, le seul lieu culturel de spectacle permanent spécifiquement dédié aux musiques amplifiées est le Fuzz’Yon, implanté dans une ville qui représente un « contrepouvoir » socialiste depuis 1977 au sein d’un département fortement ancré à droite et dirigé par Philippe de Villiers (à l’origine du MPF, Mouvement pour la France). Si les musiques amplifiées sont peu reconnues par la politique départementale, les présupposés idéologiques du conseil général sont relativisés par une dimension pragmatique : le fort afflux de touristes en été nécessite de favoriser une politique événementielle qui contient une dimension musicale (festivals notamment). Pour des détails, voir Guibert, 2006, chapitre 5.
  • [32]
    Cette structure détentrice du label SMAC (Scènes de Musiques Actuelles) suite à une convention avec la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) est un Lieu de vie musicale proposant la diffusion de concert, des studios de répétition, des cours d’instruments de musique et un centre d’information sur les musiques actuelles.
  • [33]
    Direction départementale de la jeunesse et des sports.
  • [34]
    Ouest France, Vendée Matin, Le Journal du Pays Yonnais, Hebdo Vendée.
  • [35]
    Je me repérais à partir des 31 cantons répertoriés dans les documents INSEE.
  • [36]
    Parti politique dont le leader est Philippe de Villiers, qui dirige le conseil général de la Vendée (cf. infra, note 31).
  • [37]
    La spécificité des combats politiques à Montaigu ne sera pas abordée dans cet article. Pour des détails, on peut se référer aux matériaux publiés dans mon livre, chapitres 5 et 6 (Guibert, 2006).
  • [38]
    D’ANGELO, 1997.
  • [39]
    Ainurecord.free.fr
  • [40]
    Aujourd’hui, on retrouve cet ancien fanzine sous la forme d’un webzine, wwww. myspace. com/ lesreveries
  • [41]
    Kadezair.net
  • [42]
    wwww. artsonic. org
  • [43]
    Informations tirées d’un entretien avec David – le batteur de Bikini Men – (oct. 2001), d’une interview dans le fanzine Upsetter (2002) et d’un entretien avec le responsable du disquaire Le Kiosque (mai 2001).
  • [44]
    GUIBERT, 2006.
  • [45]
    Fanzine Upsetter, n° 2,2002, La Rochelle.
  • [46]
    Un split est un disque partagé par deux groupes. Cette pratique largement pratiquée par les petits labels.
  • [47]
    LAVILLE, 1997.
  • [48]
    On peut citer à cet égard l’exemple de Rennes.
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