Notes
-
[*]
Merci à Anne-Sylvie Pharabod pour sa relecture attentive et ses conseils.
-
[1]
ALLARD et VANDENBERGHE, 2003.
-
[2]
DE SINGLY, 2003.
-
[3]
A partir d’un corpus de 36 000 blogs collectés sur l’index de Blogpulse pendant 15 jours en juillet 2005, MISHNE et GLANCE (2006) ont montré que les commentaires correspondaient à 30 % des contenus publiés dans la blogosphère.
-
[4]
BEAUDOUIN et VELKOVSKA, 1999.
-
[5]
Dans ce travail, on entendra principalement par public du blog l’espace des commentateurs (auquel s’ajoute celui des personnes listées dans les blogrolls) et moins le public des lecteurs tel qu’il est mesuré par les indicateurs de nombre de visites.
-
[6]
Cet article s’appuie sur un ensemble de 27 entretiens avec des blogueurs (avril-juillet 2004) visant à retracer certains éléments biographiques, la naissance et la carrière du blog et les effets de la tenue du blog sur l’expérience et la situation sociale des interviewés. Nous nous sommes limités à des blogs personnels francophones, tenus par un seul et même individu, régulièrement alimenté et à caractère public. Nous avons ainsi écarté les blogs collectifs, les blogs de stars et les blogs d’entreprise. Par ailleurs, nous avons complété ces entretiens par la lecture et le suivi détaillé de nombreux autres blogs de différentes plateformes – principalement overblog et 20six – en portant cette fois une attention spécifique à la dynamique d’interaction entre le blogueur et ses commentateurs. Sur les 27 personnes interviewées dans notre enquête, les deux tiers sont des hommes et l’âge moyen est de 29 ans (avec une dispersion des âges entre 16 et 40 ans). Les deux tiers de l’échantillon résident en région parisienne. 89 % sont des actifs (contre 11 % d’étudiants), mais plus d’un tiers travaille en situation de relative précarité : 37 % des emplois sont liés à l’informatique et 11 % au journalisme. Enfin, la caractéristique la plus significative de notre échantillon est la place très importante des personnes célibataires (2/3) et l’absence d’enfant à charge (80 %). Cf. DELAUNAY-TETEREL, 2004.
-
[7]
DE ROSNAY, 2006.
-
[8]
Sur la base d’un échantillon de 3,6 millions de blogs, J. Henning a montré que 66 % d’entre eux n’avait pas été réactualisé depuis deux mois et qu’il fallait considérer la plupart de ces blogs comme « morts ». Cf. hhttp :// www. perseus. com/ blogsurvey/ iceberg. html
-
[9]
HERRING, SCHEIDT, KOUPER et WRIGHT, 2006.
-
[10]
La corrélation entre la popularité d’un blog (mesurée par le nombre de visites et de liens entrants) et le nombre de ses commentaires a été mise en évidence par MISHNE et GLANCE, 2006 et LENTO et al., 2006.
-
[11]
ASHLEY, 2001.
-
[12]
Ces témoignages se retrouvent dans l’ensemble des travaux conduits à partir d’interviews de blogueurs (NARDI et al., 2004 ; HERRING et al., 2004). Il faut cependant noter que, dans des cas très minoritaires, certains blogueurs font parfois part de leurs réticences devant les commentaires des autres, soit qu’ils considèrent leur blog à la manière d’une œuvre littéraire comme appelant une lecture sans retour, soit qu’ils tiennent leur blog pour un écrit intime (ou bien un bloc-notes) dont ils ne souhaitent pas partager la lecture. Les autres, en revanche, ne découvrent que chemin bloggant à quel point les commentaires imposent des obligations de régularité, de qualité et de suivi qu’ils n’imaginaient pas en écrivant leur premier post. Avec parfois un peu de coquetterie, ils peuvent alors regretter ou se plaindre de la pression inattendue qu’exerce sur eux leur public. Sur la lecture et le suivi des commentaires par les blogueurs, cf. VIÉGAS, 2005.
-
[13]
BEAUDOUIN et LICOPPE, 2002.
-
[14]
CARDON, HEURTIN et LEMIEUX, 1995.
-
[15]
HENNION, MAISONNEUVE et GOMART, 2000.
-
[16]
LESSIG, 2004.
-
[17]
GENSOLLEN, 2003.
-
[18]
BENVENISTE, 1966 ; SEARLE, 1982.
-
[19]
Cette recherche est menée dans le cadre du projet Autograph du RNRT : http ://overcrowded.anoptique.org/ProjetAutograph
-
[20]
LEJEUNE, 2000.
-
[21]
GIDDENS, 2004.
-
[22]
Sur cette transformation, cf. HAHN, 1986 ; BOURDIEU, 1987.
-
[23]
Sur cette transformation dans l’espace télévisuel, cf. MEHL, 1996.
-
[24]
CARDON, HEURTIN et LEMIEUX, 1995.
-
[25]
HONNETH, 2000.
-
[26]
SCHEIDT, 2006.
-
[27]
GIDDENS, 2004.
-
[28]
KAUFMANN, 2004.
-
[29]
BAUMAN, 2004. Voir aussi l’article d’Eva Illouz dans ce numéro.
-
[30]
BOLTANSKI, 2004.
-
[31]
Il faut, à notre sens, expliquer ainsi les résultats du travail de HERRING et al., 2004, constatant la faiblesse du nombre moyen de commentaires dans les blogs (0,3 commentaire par post) d’un très large échantillon. On ne peut conclure de ces données que les blogs ne sont pas « conversationnels ». Simplement, les blogs journaux intimes (très nombreux dans la blogosphère) « conversent » avec eux-mêmes sous le regard des autres en ne sélectionnant que quelques rares liens privilégiés pour entretenir un échange durable.
-
[32]
SIMMEL, 1984. La référence est empruntée à PALDACCI (2003, p. 7).
-
[33]
CARDON, 1995.
-
[34]
SINGLY, 2005, p. 14-15.
-
[35]
Ce n’est que par une généralisation abusive de ce mode particulier de communication à l’ensemble des échanges sur internet que certains discours critique associent le cyberespace à une virtualité déréalisante et désincorporée, cf. LE BRETON, 1999, p. 139-178.
-
[36]
Voir l’article « Le blogueur à l’épreuve de son blog » dans ce numéro.
-
[37]
THÉVENOT, 2006.
-
[38]
BEAUDOUIN et VELKOVSKA, 1999.
-
[39]
FABRE, 1997.
-
[40]
LICOPPE, 2002.
-
[41]
METTON, 2004.
-
[42]
Notons que la sociabilité professionnelle est relativement absente de ce type de communication sur les blogs. On la retrouvera, en revanche, dans le troisième type de communication de notre typologie. Dans le régime familier, la présence des collègues n’apparaît seulement que si ceux-ci sont aussi définis comme des amis proches. En revanche, il est probable que ce mode de communication est fréquent sur les blogs d’entreprises fermés au regard extérieur.
-
[43]
DUBET, 2002.
-
[44]
LIVINGSTONE, 2004.
-
[45]
BIDART, 1997.
-
[46]
Les préadolescents ouvrent leur blogs à leurs parents, parlent d’eux et les montrent beaucoup en photo sur leur site. Cependant à partir de 16 ans, on observe généralement une mise à distance de l’univers parental au profit des seuls amis (les parents n’ayant souvent même plus connaissance du pseudo de leurs adolescents). Voir l’article de Cédric Fluckiger dans ce numéro, « Instrumenter la sociabilité juvénile : l’appropriation des blogs dans un groupe de collégiens ».
-
[47]
PASQUIER, 2005.
-
[48]
Idem.
-
[49]
BIDART et LE GALL, 1997 ; CARDON et GRANJON, 2003.
-
[50]
GENSOLLEN, 2004.
-
[51]
Ce travail de catégorisation de soi explique pourquoi certains blogs relevant plutôt du premier type présentent des réseaux relationnels du troisième type. En effet, à travers certaines catégorisations de la personne intime, notamment celles portant sur des souffrances psychiques, se retrouvent parfois des collectifs qui vont créer entre eux un réseau d’échanges denses et prendre une forme communautaire. C’est le cas par exemple des anorexiques ou des suicidaires.
-
[52]
JENKINS, 1991.
-
[53]
FLORIDA, 2004 ; MENGER, 2002 ; BOLTANSKI et CHIAPELLO, 1999.
-
[54]
LEADBEATER et MILLER, 2004.
-
[55]
FOSSÉ-POLIAK, 2003.
-
[56]
GENSOLLEN, 2003, p. 32-33.
-
[57]
FLICHY, 2001.
-
[58]
GILLMOR, 2004.
-
[59]
Nous reprenons ici une tripartition proposée par le blogueur « citoyen » Versac : http ://vanb.typepad.com/versac/2005/12/sociologie_des_.html.
-
[60]
QUÉRÉ, 1990 ; CARDON, 1995.
-
[61]
MANIN (2004) a montré que l’exposition à des points de vue « divers » était insuffisante pour réunir les conditions idéales d’une délibération publique. Hiérarchiser divers points de vue pour retenir la moins mauvaise solution ne permet pas d’interroger les croyances préalables des acteurs, et favorise un conformisme de la moyenne. En revanche, la confrontation avec des points de vue « adverses », contestant dans ses fondements les croyances préalables des acteurs, favorise l’exercice démocratique d’une véritable délibération.
-
[62]
SUNSTEIN, 2002.
-
[63]
LEV-ON et MANIN, 2006.
-
[64]
HINDMAN, TSIOUTSIOULIKLIS et JOHNSON, 2003.
-
[65]
ADAMIC et GLANCE, 2005.
-
[66]
Etude réalisée par F. Ghitalla et G. Fouetillou, cf. hhttp :// www. observatoire-presidentielle. fr.
-
[67]
Cette division en sous-communautés de points de vue opposés se retrouve aussi dans les débats sur l’avortement, le contrôle des armes ou la peine de mort aux Etats-Unis, cf. HINDMAN et al., 2004.
-
[68]
hhttp :// www. utc. fr/ rtgi/ index. php ? rubrique= 1&sousrubrique= 0&study= constitution.
-
[69]
Rappelons que la préférence pour la discussion avec des personnes ayant la même opinion n’est pas, en soi, une propriété des débats politiques sur internet. Cette orientation du comportement s’observe aussi constamment dans la structuration des réseaux d’échanges dans la « vie réelle ». Cette explication est, par exemple, au cœur de l’ouvrage d’ELIASOPH (1998) sur l’apathie politique aux Etats-Unis.
-
[70]
Dans une enquête représentative par interviews auprès de participants à des forums de discussion politique, STROMER-GALLEY (2003) a montré que, contrairement aux présupposés de la perspective « homophile », les acteurs étaient à la recherche de débat controversé et prenaient plaisir à participer à des fils de discussion avec des personnes ne partageant pas leur vue. Sans doute peut-on même soutenir que l’internet favorise des rencontres argumentatives avec des opinions adverses plus fréquentes que celles que nous sommes amenés à faire dans la vie « réelle ».
1Les interprétations du développement des pratiques de blogging ont souvent porté attention à la dimension individualiste de cette forme inédite d’expression publique en la rattachant à diverses manifestations d’exacerbation de la sensibilité à soi et de quête de reconnaissance publique [*]. Cette dynamique « expressiviste » est incontestablement au cœur des engagements des blogueurs [1]. Il reste cependant qu’en focalisant l’attention sur les ressorts individuels – voire « narcissiques » – de ces pratiques d’expression de soi en public, on manque souvent un autre ressort du blogging, sa dimension essentiellement relationnelle – caractéristique pourtant centrale des formes contemporaines d’individualisme [2]. Si, en effet, le blog est incontestablement un outil de publication offrant aux personnes des formats originaux de mise en récit de leur identité personnelle, il est aussi et surtout – c’est en tout cas l’hypothèse que nous souhaitons étayer dans cet article – un outil de communication permettant des modalités variées et originales de mises en contact. L’organisation sous forme calendaire des « posts » constitue la première caractéristique de toutes les interfaces de blog. Mais, de façon tout aussi importante, une autre dimension essentielle de cette technologie est la possibilité de commenter les posts et de lister les liens vers les blogs préférés dans le blogroll. Aussi ne peut-on comprendre la logique de production des posts publiés sur un blog sans prêter une égale attention à l’espace d’interaction qu’ils suscitent à travers leurs commentaires [3]. L’interface du blog doit alors être regardée comme un répertoire de contacts permettant aux individus de tisser des liens avec d’autres autour d’énoncés à travers lesquels ils produisent de façon continue et interactive leur identité sociale.
2Le blog s’inscrit dans l’histoire des dispositifs de l’internet comme le point de rencontre de deux filières de services précédemment distincts, celle des outils d’autopublication, notamment de la page ou du site personnel, et celle des outils de communication collective, notamment les forums et les listes de discussion [4]. En agrégeant dans un même dispositif les fonctions de publication et de communication, le blog reconfigure, d’une part, les pratiques antérieures d’expression de soi de la page personnelle et propose, d’autre part, des modalités relationnelles différentes de la discussion sur les forums, les listes ou les chats. Ces nouvelles opportunités tiennent au lien étroit que le blog permet d’établir entre production identitaire et organisation du système relationnel. Les individus y expriment sous des formes variées certains traits de leur identité afin de mettre cette production au service de la sélection, de l’entretien et de l’enrichissement de leur répertoire de contacts. A cet égard, même s’il est inutile d’accuser une quelconque différence avec les pratiques ordinaires, le blogging constitue bien un instrument original de production de sociabilités, celles-ci pouvant se déployer, depuis le même outil, dans des formats topologiques variés. Tout se passe en effet comme si les contours de la personne, tels qu’ils apparaissent dans les productions multimédias des blogueurs, servaient d’instructions sémiotiques favorisant des modes de mises en relation différents. C’est pourquoi, dans l’esprit d’une sociologie pragmatique, il nous paraît nécessaire d’interroger les effets de ce travail de production de contenu – et, inséparablement, de soi – sur la construction du public du blog [5]. C’est en analysant la nature de la relation entre la forme de l’énonciation de soi et les modalités relationnelles de sa réception que l’on peut dégager une première caractérisation sociologique des différents types de blogs. En effet, les multiples typologies présentées dans la littérature pédagogique ou scientifique sont essentiellement construites sur un découpage thématique des propos blogués (intime, amateur, expert, journalistique, politique, etc.). Sans remettre en question ces caractérisations, il nous semble utile d’y intégrer beaucoup plus fortement la place du public du blog, et donc sa réception, afin de mieux interpréter la diversité de ses usages, la multiplicité des carrières de blogueurs et la plasticité des formes de l’espace public qu’il adresse. En procédant à cette déconstruction des formats relationnels de l’autoproduction, on espère ainsi mieux rendre compte de la spécificité interactive de cet outil de communication [6].
ESSAI DE PRAGMATIQUE DE LA COMMUNICATION À TRAVERS LES BLOGS
3Tenir les blogs pour une interface relationnelle invite à spécifier les formes de l’échange qui s’y déroule. Aussi voudrait-on proposer ici une pragmatique succincte des différents régimes de communication permettant de lier énonciation, énoncé et réception dans ce genre de dispositif. Car, pour les blogueurs, articuler ensemble productions de soi, de contenus et de son public n’a rien d’évident. Ils doivent faire montre de compétences pratiques, d’un savoir-faire technique et d’une intelligence relationnelle épousant les spécificités du dispositif énonciatif du blog. A rebours des discours valorisant la simplicité d’accès à l’univers « démocratique » de l’autoproduction de masse [7], sans doute n’insiste-t-on pas assez sur les difficultés rencontrées par les blogueurs pour pérenniser leur blog et ne pas se démobiliser. En effet s’il est des blogs qui « réussissent », la grande majorité d’entre eux « échouent » à produire un engagement réciproque et durable de l’auteur et de son public. Les données commerciales affichant le nombre de blogs par plateforme cachent le plus souvent un cimetière de blogs à peine nés, épuisés, irréguliers ou morts [8]. Aussi, la « réussite » d’un blog – mesurée par sa durée, la régularité des posts et le maintien de l’audience [9] – peut-elle se décrire comme une conséquence de la maîtrise par les acteurs des différentes grammaires de communication permettant à des formes d’énonciation spécifiques d’attacher un public aux contenus énoncés. On n’est pas blogueur sans obtenir la reconnaissance des autres blogueurs [10]. Celle-ci constitue un ressort essentiel de l’investissement du blogueur dans la production de contenu, de sorte que, comme pour tout acte de communication, il existe des pratiques de blogging plus « efficaces » que d’autres dont les acteurs, de façon plus ou moins tacite, maîtrisent inégalement les règles. Ce sont justement ces règles d’énonciation et de gestion de la relation avec le public que nous chercherons à élucider ici. Pour en décrire les principaux traits, il nous faut d’abord faire retour sur quelques propriétés des formes d’engagements dans l’internet relationnel.
Un espace public plastique
4En premier lieu, à la différence des échanges interpersonnels, les liens sociaux qui se forment sur les blogs se caractérisent par leur caractère public. Ils ne se soumettent pas aux règles de privacy de la correspondance privée qui commandent les échanges par email ou sur l’Instant Messaging (IM), mais s’affichent explicitement sur des sites web librement consultables par des inconnus. Ce caractère public constitue une propriété structurante qui interdit de les considérer comme des équivalents d’échanges personnels. En effet, dans les approches de la sociabilité développée par les sciences sociales, la définition du lien social incorpore une forte dimension interpersonnelle, associant deux individus par un ensemble de variables de proximité à la fois territoriale, situationnelle et intersubjective. Outre le modèle de référence de la rencontre en face-à-face, véritable mètre étalon de l’appréciation de l’intensité du lien, la relation sociale s’organise autour d’un échange dyadique dans lequel chacun s’adresse à l’autre en première (moi, je) et seconde personne (toi, tu). Or les liens sociaux sur internet ont une expression multi-adressée : ils se présentent comme un échange communicationnel triangulé associant toujours un tiers, le public comme troisième personne (lui, il, eux, ils), à la relation entre deux individus. En convoquant le public comme témoin, les liens interpersonnels des blogs incorporent des caractéristiques spécifiques qui viennent se superposer, et de ce fait transformer, la « pure » socialité de la rencontre exclusive, territorialisée et privée entre deux individus. Même lorsqu’elle paraît insoupçonnable, tacite ou « oubliée » des participants, cette présence d’un tiers lecteur doit être considérée comme une caractéristique essentielle des blogs, que les acteurs rendent plus ou moins présente dans leur énonciation.
5Cependant, et il s’agit là de la deuxième propriété des relations sociales sur les blogs, la notion de public du blog est extrêmement plastique et ne correspond que très partiellement à l’idée d’espace public à laquelle la sociologie des médias nous a habitués. Dire d’un blog qu’il est public revêt de facto une extrême diversité de situations : du blog solitaire qui n’a jamais été commenté et sans doute jamais lu que par son auteur au blog de personnalité faisant l’objet d’un travail éditorial professionnel, attirant de nombreux commentateurs et dont les propos sont régulièrement repris par d’autres blogs ou par les médias traditionnels, la notion d’espace public prend des sens très différent, même si, juridiquement, ils sont tout deux soumis au même droit de la publication. Avant d’être un ensemble abstrait et sérialisé de lecteurs, le public du blog est d’abord une audience mobilisée par les blogueurs eux-mêmes et, à la différence des médias traditionnels, le travail réalisé pour le faire exister est d’ordre relationnel. Les producteurs de blogs constituent en effet le premier public des autres blogs [11]. S’il fallait trouver un sens à la notion – par ailleurs peu consistante – de « blogosphère », sans doute faudrait-il la définir par cette logique circulaire qui fait de la réception des autres blogs un ressort indispensable à la production du sien. Cette expérience revient régulièrement dans les récits des acteurs. Par exemple, après l’échec d’un premier blog qui s’était étiolé de lui-même, Sophie, consultante en informatique en inter-contrat (28 ans, célibataire et sans enfant, banlieue parisienne) a compris en créant son deuxième blog qu’elle était devenue plus assidue parce qu’elle avait appris à
lire les gens, à voir justement un petit peu le principe de la communauté : aller lire ailleurs, ne pas rester dans ton petit coin […]. Ca c’est un truc qu’il faut savoir, quand tu veux être connue, il faut aller commenter chez les autres. Au début j’avais personne qui venait et puis il y a un copain il me dit “bah tu lis les autres blogs ?” Je dis “bah non”, alors il me dit “si tu ne lis pas… tu ne seras jamais lue”.
7Cette double identité d’auteur/lecteur caractérise profondément le statut de l’énonciation dans l’univers du blog. Elle se signale d’abord par le fait que l’absence de commentaires entraîne un découragement et un arrêt précoce de la pratique.
Le premier blog que j’ai fait sur Blogger, explique un blogueur parmi tant d’autres, il n’y avait aucun commentaire et quand il n’y a pas de commentaires, on arrête. Les commentaires font en sorte que vous avez l’impression que quelqu’un vous lit et on a envie de raconter quelque chose de plus intéressant. (Thibaud, 26 ans, célibataire sans enfant, support technique téléphone, Paris) [12].
9Elle se mesure ensuite par les multiples tactiques mises en œuvre par les blogueurs pour attirer vers leur site les commentaires des autres en allant commenter leurs blogs.
10L’audience des sites web personnels est une production interactive qui oblige l’émetteur à entretenir des liens multiples et personnalisés avec ses visiteurs [13]. Ce n’est que lorsque cette mobilisation initiale d’un réseau de commentateurs a été mené a bien que l’audience du blog prend de l’importance et attire un public de lecteur non-blogueur. On comprend dès lors que le public des blogs, sa composition, les qualités dont on le dote, dépende étroitement des formes de communication mises en œuvre par les participants. Les blogueurs peuvent chercher à réunir des personnes en spécifiant de façon très fine les propriétés de leurs interlocuteurs : amis proches ou famille, spécialistes des sujets qu’ils abordent, personnes partageant leurs opinions ou rencontres sentimentales. Même si un blog peut toujours être lu par des lecteurs de passage, l’émetteur exerce cependant un contrôle assez fin sur la composition de son public – notamment en ratifiant ou en disqualifiant les propos de certains de ses commentateurs. Cette façon de fabriquer au cas par cas son audience affecte la manière dont l’énonciateur se représente son lecteur idéal. Il ne compose pas nécessairement une énonciation en direction d’une abstraction anonyme et désincarnée, mais travaille et définit souvent le périmètre de son public en s’adressant à une liste de correspondants personnalisés ou à une catégorie de personnes. On ne saurait donc, sans écraser ses spécificités communicationnelles, soumettre l’ensemble des blogs aux règles de lecture et d’interprétation de l’espace public traditionnel, définit par l’impersonnalité et l’abstraction universalisante du public civique. Il importe, au contraire, de montrer comment, en fonction de certaines spécificités relationnelles, l’espace public des blogs prend des couleurs, des formes et obéit à des règles différentes, de sorte qu’une partie seulement des pratiques de blogging peut être rapportée à la grammaire de la publicité propre à l’espace public entendu dans son sens politique traditionnel [14].
L’attachement des personnes à leurs œuvres
11En troisième lieu, le lien entre deux individus sur un blog transite par un énoncé intermédiaire, produit par l’un, commenté par l’autre, si bien que les personnes s’attachent les unes aux autres à travers leurs productions éditoriales. En prenant des formes extrêmement différentes selon le support (texte, image, son) et le contenu (récit intime, critique de film, édito d’actualité, photographie de soirée ou de star, etc.), les énoncés blogués impriment leur forme sur le système relationnel que le blog rend public. Une caractéristique essentielle de la dimension « expressive » de la blogosphère est d’attacher de manière originale les personnes à leur production. En effet, dans le monde de l’autoproduction amateur, la séparation de la personne et de son œuvre constitue toujours une étape cruciale et difficile à négocier. Il faudra que la peinture, le roman, la musique, l’essai critique parvienne à exister indépendamment de leur auteur pour circuler et rencontrer un public. Cette séparation constitue même souvent une épreuve décisive pour isoler ce qui relève des productions « professionnelles » des passions « amateurs », l’amateurisme se caractérisant alors par la manière dont l’œuvre fait corps et s’attache par des liens multiples à l’identité de son producteur [15]. Ce dernier mêle si fortement des traits identitaires à l’objet de sa passion que celui-ci ne cesse de témoigner de singularités de sa personne dont il ne parvient pas à faire œuvre. Parfois l’accès à une publicité élargie lui sera refusée au prétexte que son roman à compte d’auteurs dissimule mal un témoignage vécu, sa peinture reste pleine d’idiosyncrasies ou son essai sans recul masque des intérêts personnels. Aussi, les amateurs doivent-ils opérer un très difficile travail de repli sur eux-mêmes pour donner à leur œuvre l’autonomie nécessaire à sa circulation dans un espace de calcul et de jugement obéissant à des critères d’évaluation publics spécialisés (esthétique, journalistique ou politique). Ce détachement de l’œuvre et de la personne apparaît d’autant plus nécessaire lorsqu’il existe une séparation tranchée – i.e. « matérielle » – entre l’espace de production et de circulation des œuvres. Or la caractéristique des modes d’autoproduction dans l’univers numérique est de rendre positives les attaches qui constituaient un obstacle dans la circulation des œuvres matérielles. Parce qu’elles sont de natures fondamentalement interactives, les productions des blogueurs restent liées à l’expression de l’identité personnelle de leur auteur tout en leur permettant d’établir des liens directs et personnalisés avec leur public. La constitution de l’œuvre et la rencontre du public paraissent alors inséparable, puisque les possibilités interactives du blog facilitent une cofabrication continue des énoncés mis en circulation. Le développement d’une culture du remix (sampling, collage, livres en écriture interactive, etc.) témoigne de l’intérêt porté aujourd’hui dans le monde numérique aux mouvements de l’œuvre, plutôt qu’à sa fixation dans une position de contemplation séparant le créateur de son public [16]. Aussi le développement d’un amateurisme de masse, ce rapprochement entre monde amateur et professionnel si souvent décrit à propos de l’émergence des dynamiques d’autoproduction sur internet, peut-il se comprendre comme une manière très particulière de préserver les attaches entre les personnes et leurs œuvres en créant un espace de circulation dans lequel, au lieu de les masquer, les acteurs ont intérêt à les exhiber et à les mettre au centre de la scène.
12La forme de ces attachements dépend de la manière dont la personne est incorporée dans les contenus publiés. Il est dès lors essentiel de saisir la gamme de relations entre l’énonciateur et l’énoncé qu’il publie pour différencier les formes de coordination par les contenus qui s’opère sur les sites relationnels. Certains énoncés peuvent être fortement détachés de la personne de l’énonciateur, comme par exemple la publication d’une information d’ordre général ou une contribution sur un article encyclopédique de Wikipédia, alors que d’autres semblent être si fortement attachés à la personne de l’énonciateur que les propos publiés apparaissent comme une mise à nu de l’identité du blogueur. Ces variations sont au principe des différentes manières de considérer l’existence de formes communautaires sur internet dans la mesure où certains sites proposent de lier entre eux des personnes uniquement par la production de contenu communs sans établir entre eux de relation adressée – ce modèle est qualifié de blackboard par Michel Gensollen [17] – alors que d’autres sont explicitement dédiés à la production d’une rencontre personnalisée (comme dans les sites de social networking du type MySpace ou Friendster). Le lien entre les personnes varie donc fortement selon la place prise par les contenus dans la coordination des échanges, mais plus encore selon la manière dont le contenu réfère à son énonciateur. A cet égard, les blogs présentent souvent une forme hybride très difficile à caractériser, tant les liens sociaux qu’ils suscitent semblent parfois de nature strictement interpersonnelle et d’autres fois publique, anonyme et générale. Aussi, de façon extrêmement simplifiée, peut-il être utile de recourir à la distinction entre énonciation et énoncé proposée par la pragmatique linguistique [18] afin d’identifier différentes manières de rapporter les propos publiés à la personne qui les énonce. En décomposant les façons de faire écart entre le dire et le dit, il est possible de distinguer les différentes formes d’expressivité qui s’affichent dans les blogs et d’ouvrir à l’analyse la gamme très variée des pratiques d’autoproduction. De façon simplement analytique, on propose de distinguer quatre configurations spécifiant la relation entre la personne et le contenu publié que nous avons cherché à illustrer graphiquement (cf. figure 1).
13Dans la première configuration, l’énoncé porte en grande partie sur la personne de l’énonciateur de sorte que, comme tout discours d’intériorité, il cherche à révéler aux autres des traits de son identité profonde. Dans la seconde, les énoncés produits sont étroitement articulés à la vie et aux pratiques quotidiennes (sorties, consommation culturelle, loisirs) de l’énonciateur, de sorte qu’ils viennent constamment conforter les références identitaires dont il s’habille dans ses relations sociales ordinaires. Dans la troisième configuration, les énoncés produits s’attachent à un aspect des compétences et des centres d’intérêt de l’énonciateur, de sorte qu’ils caractérisent l’individu sous une facette (et souvent une seule) de son identité sociale. Enfin, dans la dernière configuration, l’énoncé produit est détaché de la personne de l’énonciateur, afin d’afficher les marques de distanciation indispensables à la profération d’une opinion, d’un jugement ou d’une critique dans un espace public.
Quatre configurations de la relation entre énonciateur et énoncé
Quatre configurations de la relation entre énonciateur et énoncé
Quatre configurations relationnelles attachant les personnes
Quatre configurations relationnelles attachant les personnes
14Cette rapide décomposition des formes d’énonciation permet de distinguer plusieurs manières idéal-typiques de lier entre eux les blogueurs selon la nature de leurs attaches aux contenus publiés (cf. figure 2). Dans la première configuration, c’est à travers la révélation des intériorités que s’opèrent l’identification et la reconnaissance des blogueurs les uns envers les autres. Dans la deuxième, les liens se constituent par la mise en partage des traces de leurs activités communes et des emblèmes culturels auxquels ils s’identifient. Dans la troisième configuration, les personnes se lient entre elles en partageant une passion commune leur permettant d’exhiber certaines de leurs compétences. Enfin dans la quatrième, les acteurs échangent entre eux en faisant converger leurs informations, leurs jugements et leurs critiques vers des objets du débat public.
15L’un des intérêts de cette décomposition sommaire est de caractériser, de façon significativement différente, plusieurs formats d’espace public souvent confondus lorsqu’est évoqué l’idée d’une blogosphère comme espace continu, étal et homogène. Les régimes de communication idéal-typiques proposés par cette typologie pointent vers quatre formats d’espaces publics spécifiques qui ont été travaillés différemment dans la littérature de sciences sociales et de philosophie politique. Dans la première configuration, l’échange des intériorités renvoie directement au modèle de la communauté de lecteurs qui, avec la naissance du roman épistolaire, a été établie, après Rousseau, comme une nouvelle forme de communication entre les imaginations. Dans la deuxième, c’est la question de la visibilité publique et des interactions ordinaires qui se trouve explicitement mobilisée comme une mise en scène de l’identité construite dans les relations avec les proches. Dans le troisième régime de communication, l’espace public prend une forme communautaire et spécialisée et obéit à des critères d’ordre et d’échanges relatifs à l’espace social et culturel particulier que forment, dans des contextes variées, les communautés de pairs. Seul le quatrième mode de communication peut-être référé à la forme habermassienne de l’espace public de dialogue et de controverse entre individus autonomes et responsables.
Modélisation et mise à l’épreuve
16Des propriétés qui viennent d’être dégagées, il est possible de bâtir une modélisation succincte de quatre manières très différentes de former des liens sur les blogs (cf. tableau 1). Afin de mettre à l’épreuve cette construction abstraite, nous proposons dans la suite de cet article d’en illustrer les principales caractéristiques à partir du matériel recueilli lors de notre enquête. Il reste que, comme toute construction idéal-typique, ces quatre configurations ne prétendent pas résumer l’ensemble des pratiques de blogging ni, surtout, enfermer les différents blogs dans l’une ou l’autre de ces catégories. La plupart des blogs présente en effet des caractéristiques composites et peuvent être identifiée dans plusieurs des configurations proposées.
Quatre modèles de production du public des blogs
Quatre modèles de production du public des blogs
17D’inspiration pragmatique, cette modélisation ne cherche donc qu’à éclairer la relation entre modes de production de contenu – et, inséparablement, de soi – par les blogueurs et les figures relationnelles qui s’attachent à ces contenus. Si l’on prend l’interaction entre post et commentaires comme principale unité d’analyse, il est naturel de considérer qu’un blog puisse accueillir des formes d’énonciations différentes. Il nous semble cependant que cette articulation entre la forme de l’énonciation et celle du public rassemblé constitue une caractéristique suffisamment importante pour être aussi rapporté à d’autres propriétés du blog (sa coloration thématique, ses liens avec les autres sites du wwww,les supports multimédias mobilisés, le rythme de vie du blog, la taille et la forme de son public) même s’il ne saurait être question ici de relation causale. Nous rassemblons dans le tableau 1 les hypothèses de recherche que nous avons cherché à vérifier dans l’analyse des quatre configurations de relations entre post et commentaire. Celles-ci voudraient ouvrir un programme de recherche qui n’a pas encore été soumis à une validation statistique de grande ampleur. Aussi faut-il considérer cette construction comme de simples propositions de recherche susceptibles d’être contredites ou révisées dans des travaux ultérieurs [19].
TYPE 1. EGO ET LE MONDE : LE PARTAGE DES INTÉRIORITÉS
18La première figure de récit de soi rencontrée dans les blogs met en scène une énonciation intime dans laquelle, sous une forme la plus souvent anonyme, l’énonciateur livre des contenus portant sur ses états internes et sa vie privée. Témoigner d’un trouble intérieur, établir le journal de sa grossesse, dévoiler des éléments de sa sexualité, confesser des détresses suicidaires, se photographier dans son environnement le plus familier, « fictionnaliser » son quotidien en l’accompagnant de pensées, de rêveries, de récits imaginaires ou de poèmes…
19C’est toujours en direction de traits de ce que l’on entend habituellement par intériorité que se dirige le récit du blogueur, si bien qu’il est impossible de dissocier les contenus énoncés de la personne de l’énonciateur. Ils lui sont si intimement attachés que la manière dont est exprimée la personnalité du blogueur a souvent plus d’importance que ce qu’il énonce. Ce premier modèle de relation entre le blogueur et son public emprunte sa forme au journal intime qui a évolué depuis le XIXe siècle du récit consigné, pour soi seul, sur un cahier, vers la rédaction sur ordinateur, puis à la diffusion sur internet [20], sans qu’aucun des usages précédents ne disparaisse pour autant. Le caractère public de la diffusion de contenus intimes produit cependant des changements significatifs, non seulement sur les énoncés eux-mêmes, mais aussi sur l’identité de l’auteur, ses relations avec ses proches, sa gestion des publics et les formes de reconnaissance attendue. En cela, le blog intimiste se distingue nettement du journal intime sur cahier et se rapproche de l’ensemble des dispositifs d’écoute dont il constitue une sorte de généralisation, au-delà des formes habituelles de la psychothérapie. On peut en effet faire l’hypothèse que le développement très rapide de cette forme d’écriture personnelle accompagne la diffusion et la désectorisation des formes d’écoute dans les sociétés occidentales avancées [21]. La production de récits sur soi, instaurant par le double effet de la narration et de la publicité un processus de distanciation et d’objectivation de soi, est au cœur de très nombreux dispositifs de partage d’expériences qui se sont progressivement émancipés des exercices individuels d’interrogation de soi (prière, journal intime [22] ) et des dispositifs thérapeutiques ou de salut (confessionnal, cabinet médical, psychanalyse) pour se généraliser, notamment via les médias [23], à l’ensemble de la société. Accompagnant les nouvelles formes d’individualisation, ce « registre du partage » se caractérise par le développement de capacités à exprimer et échanger des états internes et des expériences vécues avec un public d’écoutants [24]. La diffusion de la psychologie à fourni un langage et un ensemble de ressources interprétatives à ce processus et le développement de l’autofiction, un genre et des modèles de mise en récit de soi. Être reconnu dans la singularité de son existence comme individu autonome passe en effet par la scénarisation d’un monde personnel permettant aux individus de produire des définitions de soi autoréférées échappant ainsi à la détermination par la position familiale, les rôles sociaux ou le statut professionnel. Les formes de communication qui s’établissent entre le blogueur et ses commentateurs revêtent alors des caractéristiques propres à ce mode de production de la singularité d’un sujet authentiquement différent des autres. En attirant à soi des lecteurs susceptibles de comprendre et de partager leur propre intimité avec l’énonciateur, c’est bien un processus de reconnaissance qui s’accomplit alors par le truchement de relations interpersonnelles, anonymes, électives et distantes, processus qui se distingue singulièrement des autres dispositifs de reconnaissance, professionnelle ou statutaire, disponibles dans nos sociétés [25].
Le soi comme projet et comme récit
20Majoritairement féminine [26], l’écriture personnelle digitale correspond d’abord à un mode de vie particulier qui semble convenir particulièrement aux jeunes adultes, urbains, diplômés, familiers de l’informatique, mêlant célibat et vie sociale active. Elle occupe les moments de désœuvrement d’une vie en solo et s’insère dans tous les moments de la journée, le réveil, le midi, la nuit, mais aussi les plages interstitielles du temps de travail. Si l’écriture électronique s’inscrit souvent en continuité avec des pratiques d’écritures personnelles antérieures ou parallèles (journal intime, fiction, poésie, etc.), la naissance du blog est, plus encore, associée à la traversée de moments biographiques particuliers. Ce sont d’abord des ruptures qui déclenchent la mise en écriture : le divorce, la mort d’un enfant, un déménagement, le récit par une mère du coma de sa fille ou le départ d’un être cher. Le blog apparaît dans ces moments d’interrogation personnelle où se redéfinit la trajectoire de vie des individus. Mais plus généralement, il accompagne les courbures biographiques qu’ils impriment intentionnellement à leur propre vie, comme les nouveaux apprentissages ou la découverte d’activités inédites : s’inscrire sur un site de rencontres, devenir mère et ouvrir son cabinet vétérinaire, concourir pour devenir pilote de ligne amateur (« Mes vols… Ma vie »), partir sur un coup de tête travailler en Chine, etc. L’écriture du blog se glisse alors dans tous les moments de décalage de la vie routinière dont elle cherche à restituer l’intensité et la nouveauté. Mais elle sert aussi à consigner le récit réflexif d’entreprises d’autocontrôle, comme en témoigne la floraison de blogs accompagnant un processus raisonné et planifié de réforme de sa vie personnelle : l’arrêt du tabac, la mise au régime, la conquête d’un amour, la réfection de l’appartement, la recherche d’un nouvel emploi, le passage par la chirurgie esthétique, la lutte contre l’anorexie ou l’apprentissage d’une langue étrangère. Sur le modèle du journal d’édification personnelle, dont le Journal de Bridget Jones, très populaire chez les blogueuses, est l’incarnation contemporaine, le blog enregistre le travail entrepris par l’énonciateur pour agir sur lui-même : liste de résolutions, tableau comptable de personnes rencontrées ou de kilos perdus ou bulletin de notation de la réalisation des objectifs. L’écriture du blog apparaît alors à la fois comme un instrument d’objectivation et d’idéalisation favorisant ce processus « d’intensification du rapport à soi » caractéristique de la modernité réflexive [27]. Elle se spécialise en autant de projets autolimités de réalisation d’une figure de soi, permettant – dans certaines limites liées aux trajectoires sociales des individus [28] – d’user du blog comme d’un vestiaire permettant d’endosser et de tester des identités multiples. Certains multiplient d’ailleurs les blogs, arrêtant l’un pour en commencer un autre au grès des bifurcations dans leurs trajectoires personnelles, et notamment de toutes ces décisions intimes à travers desquelles ils cherchent à donner un nouveau pli à leur vie. « Nouvelle vie, nouveau blog, nouveau moi » souligne Friandise en donnant l’adresse de son nouveau site ouvert juste après avoir raté son BTS.
Ceci est désormais mon 3e blog, écrit Yayie. J’ai terminé les deux premiers pour passer à autre chose, changer de cap ! Pour me connaitre moi-même mieux, pour me faire découvrir aux autres...
22Aussi, parmi les nombreux thèmes personnels abordés dans ces blogs, la question de la recherche, de la conquête et de la préservation des relations sentimentales et sexuelles tient-elles une place considérable. Elle témoigne des transformations du commerce amoureux vers une plus grande flexibilité relationnelle et la multiplication des agencements sentimentaux qui conduit les personnes à développer des stratégies réflexives de plus en plus appuyées pour gérer leur vie intime [29]. Plus généralement, ces récits à temporalité limitée, organisé autour de la réalisation d’un plan d’action sur soi, caractérisent la généralisation de la forme projet dans le domaine de la vie intime [30].
23Le premier mouvement de l’écriture personnelle, de façon très autocentrée, est toujours dirigé vers soi : J’écris pas un blog pour faire plaisir aux autres souligne Etre_un_jour. Les titres ou notes de présentation données par les blogueurs sont souvent très explicites à ce sujet : Du tout, du rien et surtout du moi annonce Ptitelili, C mon blog et si ça vous plais pas c pareil plastronne Freeman, Bienvenu dans ma tête, affiche Alanyah. Les blogueurs, qui consacrent beaucoup de billets à ces retours réflexifs sur leur propre pratique d’écriture, disent tous écrire pour eux, ne pas se soucier du public, de l’orthographe, de véridicité et du quant-à-soi. En ouvrant leur blog, ils souhaitent n’être fidèles qu’à leur propre voix et s’émanciper de toutes les contraintes qui pourraient peser sur la manière dont ils figurent leur identité. C’est l’énonciation de soi qui se met ici au centre de la scène et imprime sa marque sur les énoncés qui lui sont entièrement solidaires. Elle se charge de nombreuses marques de singularités : sur-emploi de la première personne, marques émotionnelles multiples, mélange d’oralisation et d’effets littéraires, multiplication des verbes exprimant des sensations, jugements à l’emporte pièce, auto-ironie, exagérations de toute sorte, etc. Les contenus sont si fortement attachés à la personne du blogueur qu’ils ne prennent sens que par les traces de subjectivité déposées par l’énonciateur. En mettant en suspend la présence d’un tiers public de lecteurs, les blogueurs intimistes libèrent à la fois l’énonciation qui se charge de multiples traces de subjectivité et, de façon conséquente, l’énoncé, qui peut prendre des libertés avec les conventions langagières ordinaires. L’authenticité constitue alors la seule valeur revendiquée comme justification à l’acte d’écriture. Elle n’a pas besoin pour s’éprouver de mesurer son audience, de se confronter à d’autres points de vue ou de sortir de sa sphère d’intérêt.
Un réseau d’échange étoilé
24A la différence du journal intime, cette quête d’authenticité ne trouve pas toujours dans la propre certitude de l’énonciateur les ressources suffisantes pour s’éprouver. En s’exposant au public, l’écriture du blog permet de faire reconnaître cette figuration de soi par les autres. Reste cependant que, non adressé, le discours d’intériorité vise le monde comme un halo. Le mouvement de l’énonciation parle aux autres et à personne en particulier. C’est pourquoi, les blogs intimistes sont ceux qui résistent le mieux à l’absence, ou quasi-absence, de commentaires [31]. Certains, pourtant très nourris et très régulièrement tenus, ne reçoivent ni visites ni commentaires – absence de réciprocité qui assurerait la disparition du blog dans les autres configurations de notre typologie. Aussi l’insertion d’un public dans le mouvement de l’écriture intime obéit-elle à des contraintes spécifiques qui voit l’énonciateur préférer la qualité relationnelle au succès d’audience et chercher à établir des relations privilégiées avec quelques lecteurs choisis. Le nombre de commentateurs est souvent très faible, les échanges réguliers et réciproques. L’analyse de la structure relationnelle des blogs de ce type fait apparaître une forme étoilée. En effet la communication entre l’énonciateur et ses correspondants se développe sur un mode dialogique et relativement peu partagé, de sorte que les correspondants du blogueur ne trouvent pas de raison particulière de dialoguer entre eux, puisque c’est l’intimité du blogueur initiateur qui est à l’origine de l’établissement de la communication.
Je suis pas là pour rencontrer, créer une communauté, créer mon groupe, être le centre d'intérêt… je m’en fous. Il y a des blogueurs qui sont là pour ça […]. Ce qui m’intéresse, c’est être bien dans ma peau. Je recherche une espèce d’auto-thérapie (Etre_un_jour).
26Dans ce régime de communication, les blogueurs ne se commentent pas les uns les autres pour le plaisir de l’échange et de la communication virtuelle. Ils réagissent à des propos qui font écho à leur propre intériorité (leur vie intime, leurs états d’âmes, leur imaginaire). Ce refus de la communication banale et superficielle accompagne alors une réelle et profonde densité émotionnelle des commentaires. Non seulement les commentateurs multiplient les signes de tendresse et d’amitié, mais ils joignent leurs propres récits intérieurs à celui du blogueur dans une visée de partage de l’intimité, toujours pleine de ressenti, de sensibilité et d’affection. Parfois longs, toujours fidèles, ces commentaires fraternels s’apparentent à de véritables posts, et il n’est pas rare que, chacun sur son blog, deux blogueurs se répondent l’un l’autre. Comme le souligne Simmel, le caractère « intime » de la relation dérive de l’existence de « contenus individuels exclusifs » [32] que partagent ici énonciateur et répondant.
Une sociabilité extraterritoriale
27L’identité nominale de l’énonciateur est souvent anonymisée ou pseudonymisée lorsque le contenu du blog revêt un caractère personnel et intime et davantage encore lorsqu’il fait référence à la vie de personnes de l’entourage proche : chaque nom ou prénom est soigneusement évincé au profit de pseudonyme, les lieux sont masqués et parfois les faits modifiés dans le but de protéger les personnes. L’anonymat ouvre alors à des jeux de masquage et de dévoilement, puisqu’il permet à l’énonciateur de construire son public en excluant précisément l’univers des proches. Le contournement de la familiarité des proches pour toucher l’intériorité des lointains est un principe de communication déjà fréquemment utilisé dans l’espace médiatique, par exemple dans les émissions de confession radiophonique [33]. Mais la plasticité de l’internet rend beaucoup plus nombreuses et variées les configurations potentielles de cette communication entre intériorités qui n’ont pas à révéler leurs identités civiles pour entretenir des échanges dont l’intensité et la force émotionnelle se retrouvent rarement dans les échanges interpersonnels amicaux. C’est le cas par exemple de Beuzl qui raconte au jour le jour sa rupture avec son amie Lisa – rupture annoncée dont il a eu connaissance en lisant son journal intime sur cahier. Rapidement très connu et commenté, son blog va recevoir de multiples signes d’affection, des confidences et des conseils en tout genre pour aider Beuzl à reconquérir Lisa.
28De fait, ce régime de communication institue une sociabilité extraterritoriale que les blogueurs s’attachent à détacher de leurs relations sociales ordinaires. La conquête de soi, ce projet de réalisation personnelle et de recherche d’autonomie, demande à la fois de s’émanciper de la dépendance relationnelle des proches et de conquérir la reconnaissance des autres, mais d’autres incapables de soumettre l’individu à une prescription identitaire stable et durable. Comme le souligne François de Singly [34], « l’individualisme émancipateur » se mesure à cette capacité de se lier dans des conditions où la déliaison est toujours possible (et peu coûteuse) afin d’éviter l’assignation identitaire. Or le dispositif de l’énonciation anonyme sur les blogs offre des ressources particulièrement adaptées pour parler au monde en écartant les proches.
Personne, personne dans les gens que je connais ne sais que je blogue. C’est comme si c’était mon journal intime […]. C’est une démarche personnelle et tout le monde n’est pas forcément obligé d’y adhérer quoi. Et puis peut-être que aussi, inconsciemment, dans les différents cercles de ma vie, je n’ai pas envie qu’ils sachent concrètement, réellement, qui je suis réellement. […] J’ai des amis, différents amis, j’ai des amis dans le monde de la salsa, j’ai des amis dans le monde du sport, parce que je fais beaucoup de sport, j’ai des amis autrement, mais il y a une espèce de cloisonnement, c’est intentionnellement que je le fais. Mes amis ils ne savent pas que je blogue. Ça c’est mon espace privé, c’est complètement privé. Ça n’appartient qu’à moi (Etre_un_jour).
30Dans le régime de l’intimité, les blogueurs ne veulent surtout pas être lus par leurs proches et cloisonnent explicitement leurs sociabilités « réelle » et « virtuelle », comme le souligne JF_alone_in_the_dark : Je dis toute la vérité, j’écris ce que je ressens. Si tu me connais, ne m’en parles jamais ! Je ne veux pas savoir que tu me lis. Si cela peut te servir à mieux me connaître, tant mieux... Mais je ne veux pas le savoir.
31La révélation du blog à la curiosité des proches constitue d’ailleurs une prise de risque continue. Lorsque son existence est brusquement dévoilée, il n’est pas rare que la survie du blog soit compromise. Ainsi, alors qu’il était régulièrement nourri et commenté, le journal intimiste d’AliceInWonderland s’interrompt brutalement le 15 mai 2006 par ce billet :
Bien, voilà arrivée la fin de ce blog. Ma sœur a trouvé sa trace, lu les articles récents, vu que je parlais d’elle, que je citais son prénom à des inconnus dans des textes intimes. Au choc de savoir que ma sœur a pu lire mon blog s’ajoute le sien de l’avoir lu... Je peux imaginer son sentiment d’être jetée en pâture au jugement de personnes qui n’ont que mon « son de cloche ».
33Parmi beaucoup d’autres choses, AliceInWonderland racontait de façon sensible et parfois cruelle la dispute entre les deux sœurs pour conquérir l’amour maternel. Ces quelques situations illustrent bien le paradoxe de l’intimité publique. Elle n’est totalement sincère, c’est-à-dire qu’elle est fidèle à la voie de son énonciateur, que lorsqu’elle s’affranchit du jugement et de la possible contradiction des proches, ce que Moi_tout_simplement résume simplement : Pas trop le temps, ni le moral d’écrire des articles en ce moment, je voudrais parler de choses qui ne sont pas publiques, et trop d’intimes connaissent ce blog. Les inconnus sont les bienvenus au contraire.
34Vouloir raconter publiquement des choses qui ne sont « pas publiques », voilà bien comment formuler le fait que les blogueurs intimistes conçoivent le public de manière très particulière, comme un halo désincarné, un espace déréalisé qui serait comme un prolongement de leur propre subjectivité [35].
35L’éviction des proches est aussi indispensable à la forme rhétorique donnée au post et notamment à cet usage récurrent des ressources de la fiction dans l’écriture du ressenti. L’énonciation intime propose un régime de véridicité qui n’est pas celui, factuel et contradictoire, de la description réaliste. Fidèle à leurs propres sentiments intérieurs, les blogueurs n’hésitent pas à romancer, poétiser ou surcharger leur récit de variations et de décalages fictionnels. Ils usent de nombreux procédés littéraires (nouvelles, poèmes, collages, pastiches), multiplient les références, les citations et les allusions à des personnages romanesques. Ils peuvent prendre de grandes libertés avec le réel en le transfigurant pour lui donner la forme qu’il convoite. Ce jeu fictionnel apparaît comme un gage d’authenticité de la parole propre de l’énonciateur, puisque l’épreuve de véridicité porte essentiellement sur l’énonciation en libérant les énoncés du souci du réalisme. Or, c’est justement comme un renforcement simultané des contraintes pesant sur l’énonciation et sur l’énoncé, renforcement rendu sensible au blogueur par la certitude qu’il a d’être lu par ses proches, que l’on doit comprendre le glissement du régime de l’intimité vers celui de la familiarité, qui constitue le deuxième format de communication entre blogueur et commentateurs de notre typologie. Que se passe-t-il en effet lorsque les propos du blogueur ne visent plus le halo anonyme des internautes, mais s’adressent, de façon parfois très explicite à ses proches dans le but de nourrir et de prolonger les interactions de la vie quotidienne ?
TYPE 2. LA CONVERSATION CONTINUE : UN ENTRE-SOI DEVANT LES AUTRES
36Plus que tout autre dispositif de publication, les blogs rendent flou et indécis le périmètre de l’intime en réunissant selon des dosages variés un public d’inconnus et de proches. Si le format de communication que l’on vient de décrire domine de nombreux blogs, il se mélange parfois à un ensemble d’expressions qui déplace la personne intime vers les identités personnelles qu’endosse l’énonciateur dans ses interactions les plus quotidiennes. Aussi, faut-il distinguer, comme le suggère Matthieu Paldacci [36], les blogs intimistes des blogs familiers qui se focalisent, non sur l’intériorité du blogueur, mais sur la description de son environnement et de ses activités quotidiennes. L’ensemble du système d’énonciation se transforme dès que le blogueur ne s’adresse plus à un public-halo, mais au réseau relationnel des proches. En effet, à la différence du régime de communication entre intériorités, les énoncés sont alors produits sous la contrainte d’un public de connaissances. Et les personnes sont constamment amenées à arbitrer entre le personnel et le public, le dicible et l’indicible, l’intime et le quotidien. Comme le remarque Kabotine, la lecture potentielle des proches installe une retenue sur les propos publiés : Déjà mon mari lit mon Joueb et puis ça me censure. Et je me dis que s’il y a d’autres amis qui lisaient mon Joueb, ça me censurerait encore plus et puis je pense que j’en viendrais à changer de style… .
37De sorte que la question de l’exposition de l’intimité en public se pose moins au regard de la masse anonyme d’internautes inconnus, que de celui des proches avec lesquels les personnes entretiennent des liens réguliers et familiers. Ce déplacement de la frontière de l’intime connaît certes de très fortes variations, notamment selon l’âge et le sexe des personnes, les jeunes adolescentes se prêtant beaucoup plus facilement à une exposition intime devant les proches. Il reste que le développement de la blogosphère ne peut être interprété de façon univoque comme un processus narcissique et irréfléchi d’exhibition de soi sans tenir compte du fait que l’arbitrage entre ce que l’on montre et ce que l’on cache est d’abord une question pratique que ne cesse de se poser les blogueurs et qu’ils examinent au regard du contexte de communication qu’ils ont construit dans leur blog.
38Ce que l’on montre alors de soi, c’est d’abord ce que l’on est dans les interactions ordinaires et ce que l’on dit, ce que l’on échange dans les relations sociales habituelles : des infos, des potins, des blagues, des souvenirs de moments passés ensemble, des coups de cœur, des moqueries et des projets d’activités. L’énonciation ne prend plus de pose introspective et littéraire, elle mime le naturel familier des conversations quotidiennes. L’identité mise en scène par l’énonciateur se présente alors moins comme un examen intérieur, une interrogation inquiète, joueuse ou rêveuse de ses possibles identitaires, mais comme une série d’humeurs, d’état des lieux, de caractères, reproduisant le plus fidèlement possible les attitudes endossées avec les proches dans les interactions ordinaires. Souvent d’ailleurs, est-ce moins derrière un pseudo qu’à travers le surnom que lui ont donné ses familiers, que le blogueur s’identifie dans la signature de son blog. Les énoncés, de leur côté, consignent le déroulement des activités les plus banales : liste de courses, dernière soirée passée chez les amis, difficultés rencontrées avec un collègue, sortie dans un bar, décoration d’une pièce de l’appartement, critères du choix d’un nouvel achat, bref tous les domaines de la vie quotidienne peuvent y être ramassés. Les photos personnelles se multiplient aussi sur ces blogs familiers. On montre l’appartement, le bureau, le quartier, la ville, les animaux domestiques ou les repas mangés en rappelant incessamment les liens de la personne avec les objets de son entour, comme si ceux-ci participaient au maintien et à la consistance de la personne [37]. Mais on photographie aussi à répétition les proches et les amis dans tous les contextes et situations possibles. Comme l’avaient déjà montré Valérie Beaudouin et Julia Velkovska [38] dans leur analyse des chats, la communication sur les blogs produit alors une relocalisation des faits et des personnes, une dissolution de la frontière entre réel et virtuel, à l’exact opposé de l’image désincarnée et déréalisée parfois prêtée au cyberespace.
Une nouvelle technologie dans le système des échanges interpersonnels
39Le blog s’inscrit alors dans la gamme des outils de communication interpersonnelle comme un dispositif particulier d’échange avec les proches. Tout en proposant des fonctionnalités nouvelles, il réarticule des propriétés de l’échange épistolaire, de la messagerie électronique, du chat et de l’Instant messaging. Lorsque le blogueur est éloigné de ses proches, de sa famille notamment, le blog permet, à la manière d’une correspondance épistolaire, peu fréquente mais régulière, de donner de ses nouvelles et d’échanger avec les absents. Voyages touristique dont ont veut faire partager l’expérience, exil professionnel à l’étranger, études au long cours dans une université distante, expédition aventureuse en terre étrangère, préservation du lien entre famille nucléaire et famille élargie, le blog constitue alors un moyen de faire vivre à distance son expérience et peut alors être comparé à une sorte de correspondance collective et interactive. C’est par exemple le cas du blog d’un jeune français parti parcourir l’Afrique en mobylette. Tous les quinze jours, lorsqu’il trouve une connexion internet, il narre le récit de ses aventures et reçoit les commentaires affectueux des amis et de la famille, restés en France. Le blog apparaît comme une ressource pour entretenir une mémoire du lien conjugal, familial ou amical en archivant, de façon asynchrone, les expériences partagées et les signes d’affections entre proches.
40La communication entre proches se caractérise par un couplage particulier entre forme écrite et orale [39]. Si le blog produit bien une trace scripturaire, les dimensions orales (formes lexicales, interjections, ponctuations, temporalités, etc.) et visuelles (photos, vidéos et graphisme de tous ordre) y sont aussi très fréquentes. Mais surtout, posts et commentaires prennent généralement un tour nettement conversationnel. Comme pour tous les autres modes de communication à distance, le blog ne remplace pas le face à face, ni ne se substitue aux communications par chat et IM, mais il ajoute de nouvelles ressources à l’organisation des communications entre proches. Avec des usages certes différents selon l’âge des personnes et la composition du public, les communications familières sur les blogs participent du régime de « conversation continue et ininterrompue » [40] qui s’est mis en place avec le développement des nouveaux outils de communication. Très court, le commentaire est alors une simple marque de présence, très prisée, signifiant que le lecteur est bien passé sur le blog. Dans le cas de la communication conjugale, il peut s’agir d’un moyen de communiquer entre conjoints durant la journée de travail. Mais c’est surtout pour les adolescents que le blog est apparu comme un système d’échange extrêmement rapproché avec les amis, qui se couple à la vie au lycée, aux conversations téléphoniques et à l’IM. Le nombre de commentaires par post est parfois très élevé, le rythme en est rapide et ils sont très brefs. Reprenant des éléments de l’orthographe et du langage développé dans l’écriture des SMS et des chats, les commentaires se charge de smiley, de points d’exclamation, d’interrogation et de suspension. La multiplicité des échanges qui se déroule dans les commentaires sous certains posts nourrit l’« entre soi » adolescent, « ce régime de liens quasi continus et parfois ritualisés, [dans lequel] le fait de rester en contact prime tout autant que le contenu des échanges » [41].
41A la différence du modèle intimiste de communication sur les blogs qui s’adressait aux autres comme à un halo, le lecteur inconnu est souvent ignoré, évincé voire prohibé dans ce régime familier de relation entre post et commentaire. En effet, beaucoup ne souhaitent pas créer de liens avec des anonymes, mais plutôt entretenir et renforcer des liens préexistants. C’est notamment le cas des adolescents, comme Mélissa (16 ans, lycéenne, Skyblog) qui ne souhaite donner l’adresse de son blog qu’à sa sœur et ses meilleures copines, vraiment celles avec qui je m’entends le mieux et c’est tout… et le protège contre des commentaires étrangers malveillants :
Y’a une fille la dernière fois, elle a trouvé mon adresse je sais pas comment et elle a rentré un commentaire, elle s’appelait Amandine. Alors c’était pour me critiquer et elle a dit que j’étais une gamine sans me connaître en plus que j’étais une gamine, que je me la pétais, que je faisais 12 ans avec mes dauphins, que j’étais moche que j’étais grosse et puis beurk ! […] Et alors qu’est ce que tu as fait ? T’as pas laissé d’autres commentaires ? […] Heu non par contre ma sœur elle s’est permise d’en laisser un. Elle m’a défendu, en fait. Elle a fait : “oui mais non elle n’est pas beurk, mêle toi de ce qui te regarde, t’as pas à dire des trucs comme ça alors que tu connais pas”. Bah j’la connais absolument pas donc j’m’en fiche ça se trouve je la verrais jamais donc je laisse courir… .
43Cependant le blog n’est pas destiné qu’au réseau d’interconnaissance préalable – auquel cas, il pourrait aisément être fermé dans un simple entre-soi. Il permet aussi de rencontrer des inconnus, mais les règles de cette rencontre ne diffèrent guère des pratiques de sociabilité dans le monde réel. Mélissa toujours, conçoit l’adresse de son blog comme un gage de confiance qu’elle confie avec parcimonie aux personnes dont elle fait connaissance dans la vie réelle : Quand je commence à bien connaître la personne j’vais lui donner mon adresse, j’vais lui dire : « bah vas jeter un œil tu laisses des commentaires si tu veux ».
44L’extension vers un public élargi passe donc toujours par une interconnaissance préalable dans le monde réel.
La sociabilité conjugale et familiale
45Aussi une des clés de compréhension des contenus produits sur ces blogs est-elle étroitement associée à la nature et à la composition du réseau de sociabilité mobilisé, et notamment à la part respective de la sociabilité familiale et amicale [42]. Certes dans de nombreux cas, les deux types de relations sociales sont réunis, notamment par les plus jeunes des blogueurs adolescents. Mais dans la majorité des cas, ces univers restent relativement séparés. Sur les Skyblogs, la famille intéresse beaucoup moins les adolescents que leurs amis et elles s’en trouvent généralement exclue. A l’inverse, de nombreux blogs se caractérisent par leur vocation essentiellement familiale, les amis proches n’étant conviés que s’ils sont intégrés au réseau de la famille étendue.
46La sociabilité conjugale sur les blogs, même si elle se limite à un réseau de deux personnes et ne déploie pas les mêmes potentiels que la sociabilité amicale, n’est pas rare. L’un des conjoints (ou les deux) se parlent alors par blog interposé. Aussi est-ce une sorte de conversation conjugale, mêlant étroitement activités domestiques et désir de réenchantement de la relation, qui s’exprime dans les posts. Sur son blog, Kabotine enregistre avec un détail extrême (liste de courses, vêtements repassés, température du biberon du bébé, etc.) ses activités de la journée, mais elle sait aussi faire passer des messages à son lecteur préféré, son époux :
Sur mon blog parfois, j’envoie des messages, j’ai vu tel truc, j’aimerais bien une petite thalasso (rires). Voilà une idée de cadeaux que tu pourrais me faire. Et des fois je mets des gros messages. Je sais qu’il les lit. Il lit régulièrement.
48D’autres blogs prennent la famille conjugale elle-même comme lieu de l’énonciation afin de communiquer avec la famille élargie :
Bienvenue dans notre vie en famille ! Il y a Francesco le papa, Stéphanie la maman, Maceo le fiston qui a eu 6 ans le 2 octobre dernier, et Ysalis la petite étoile, née le 10 mars 2006. N’oublions pas non plus les quelques poissons rouges de la mare du jardin, les tortues, les grenouilles, sauterelles, araignées, moustiques, fourmis, escargots et autres bestioles peuplant la maison et ses alentours !
50La sociabilité conjugale s’encastre aussi parfois dans une société amicale élargie. Le blog devient alors un outil d’information et de communication avec le réseau des proches. C’est par exemple, par le truchement de son blog que Christopher (38 ans, célibataire sans enfant, webmaster, Paris) annonce sa rupture amoureuse aux siens :
Ce qui est assez ironique, c’est que, quand mon copain et moi, on a rompu, ça, je l’ai écrit sur le weblog, mais j’avais pas encore eu le courage d’envoyer un mail personnel à tout le monde, il y en a certains que j’ai eu au téléphone avant, mais il y en a qui l’ont appris par le site.
« Lâchez vos coms ! », la sociabilité digitale des adolescents
52Mais, de façon très spectaculaire, ce format de communication a surtout trouvé ses usages en rencontrant les pratiques de sociabilité des adolescents. L’univers des jeunes se caractérise en effet par une autonomisation de plus en plus forte avec le monde des adultes et par un processus d’homogénéisation des goûts et des pratiques culturelles autour des médias, des jeux vidéos et des pratiques informatiques. Ce double mouvement fonde les bases d’une culture « juvénile » nourrie par la culture populaire de masse, en opposition à celle de l’école et des institutions, et plus ou moins adossée à la culture familiale et sociale d’origine. Dans cette culture commune, marquée par la prépondérance de la sociabilité, les valeurs d’authenticité, d’expression de soi et de communication interpersonnelle, la transmission horizontale des valeurs culturelles est plus forte et plus active que la transmission verticale telle que l’opérait le « programme institutionnel » à travers l’école et les parents [43]. Aussi, de nouveaux territoires individuels s’autonomisent-ils au sein du foyer : les chambres des enfants, et surtout celle des adolescents, se transforment en un univers technologique autonome. A l’individualisation et à l’autonomisation des pratiques culturelles s’ajoutent une émancipation et une individualisation des pratiques médiatiques des jeunes : téléphones portables, ordinateur et connexion internet personnels, télévision, console de jeux vidéos, magazines forment désormais « cet espace unique où les adolescents peuvent exprimer leur identité, exercer un contrôle personnel, diriger à distance leur relation à la famille et aux amis » [44]. C’est dans ce contexte autorisant un couplage fort entre pratiques culturelles et processus d’autonomisation, que les Skyblogs sont venus renforcer l’équipement de l’entre-soi adolescent. Le réseau social « gigogne » des adolescents [45] se caractérise par le volume, la faible spécialisation, l’intensité et la variété des liens mêlant amis très proches et simples connaissances, amis d’enfance et connaissances lycéennes, liens forts et liens faibles. Or le blog offre des ressources particulièrement adaptées à la gestion de ces variations d’intensité au sein d’un réseau amical large.
53En premier lieu, à la différence du régime de communication des intériorités, le public destinataire du blog est clairement adressé par l’énonciateur. Parfois même, il est nommément appelé dans la note de présentation du blog :
*Voila encore un blog qui ne sert à rien voila ma vie de Bp** plein de bisoux a la Bp Crew, chaque membre se reconnaitra, a chaque ami proche ou loin (loin : amandine, chandra, marion, nico alias chouchou et mes 2 chous).
55La constitution du public répond alors à une logique de bande coalisée en amont de la réalisation du blog. En avançant en âge, les jeunes blogueurs écartent progressivement leur famille de leurs blogs pour le réserver à la seule conversation avec les copines et copains [46]. Le blog s’insère, à côté de l’IM et du téléphone portable, parmi les technologies conversationnelles permettant de maintenir un contact continu avec eux. Alors que le téléphone portable est utilisé pour la coordination et l’IM pour des échanges interpersonnels quasi-synchrones en présence intermittente, le blog vient davantage enregistrer les moments forts de la vie collective des adolescents. On y affiche ses goûts, ses emblèmes culturels et le ressenti des auteurs. De sorte que les usages entrelacés du portable, de l’IM et des blogs permettent aux adolescents de confier à ces derniers la mémoire vivante du collectif. En s’inscrivant dans la gamme des technologies de la conversation juvénile, la possession du blog apparaît aussi comme une quasi-obligation pour ne pas être exclu du groupe de pairs. Et cette pression sociale s’exerce encore sur la vie du blog qu’il faut constamment nourrir et commenter. Le public réclame des mises à jour, des nouveautés pour que la conversation dans les commentaires soit dense et régulière. La quête des commentaires constitue alors un défi central pour les jeunes blogueurs, qui demandent inlassablement aux autres sur leur post : Lachez vos coms !. La réputation des personnes et de leurs blogs se mesurent en effet par l’importance du nombre de commentaires reçus et, pour certains skyblogueurs, celle-ci fait l’objet d’une véritable compétition.
56En second lieu, la gestion du public s’exerce aussi par l’affichage des goûts et des pratiques culturelles de l’énonciateur. L’affirmation de ses préférences culturelles joue en effet un rôle décisif à la fois comme instrument de conquête d’une réputation auprès des liens faibles et de singularisation auprès des liens forts. Cette affirmation identitaire passe par un processus de stylisation des goûts « qui tend à radicaliser les appartenances culturelles en public » [47]. A travers l’énorme production de collages de photos de stars, de paroles de chanson, d’images de films ou de clips vidéo, les blogueurs produisent un travail de stylisation afin d’articuler une image d’eux-mêmes mettant en cohérence, selon des codes complexes, goût musicaux, pratiques sportives, tenue vestimentaire et rapport aux différents sous-genres cinématographique ou littéraire. Ce travail de stylisation collective à partir des productions de la culture de masse est indispensable aux logiques d’affiliation qui se constituent dans la formation des sociabilités au collège et au lycée. Cependant, les productions de contenus culturels sur les blogs permettent aussi un travail d’individuation de la relation que chacun entretien avec le style collectif que s’est donné le réseau d’amis. Car la nature essentiellement plastique de l’écriture digitale facilite l’appropriation personnelle des emblèmes de la culture de masse : commentaires personnels associés aux paroles de chansons, rhabillages et collage personnel des photos de stars, billet de ressenti à propos de chanteurs, de films, etc.
57En troisième lieu, cette production identitaire passe aussi par l’affirmation de son genre et de son physique sur la scène que constitue le groupe d’amis proches, mais aussi et surtout de la nébuleuse de connaissances formées par ceux du collège ou du lycée. L’apparence physique des filles et des garçons est une donnée très importante que l’on souhaite voir confirmer par les autres. Les jeunes skyblogueurs ne cessent de se photographier et de photographier leurs proches en toutes circonstances. La photo apparaît généralement dès le premier post : alors pour commencer voici ma tête… comme sa vous allez pas être surpris pour la suite du blog mdr… La photo des amis associés à une déclaration d’affection est aussi un exercice obligé. Et, incessamment, cette exposition photographique de la vie du blogueur s’accompagne de demande d’admiration. On pose, on rit, on grimace, seul ou en groupe, en attentant le commentaire obligé des amis proches, mais aussi des visiteurs de passage : tes belle, ta u raison de la metre cte foto el es bien miss jtdr. Les pratiques culturelles et les modes de sociabilité ne sont pas homogènes entre filles et garçons au moment de l’adolescence. Alors que l’organisation sociale des contacts et des passions s’appuie chez les filles sur un petit groupe de liens électifs, autour de la famille et des amis très proches, elle se fonde chez les garçons autour d’un groupe plus large de personnes partageant les mêmes centres d’intérêts, sur un territoire très large et un engagement passionné [48]. Aussi, la culture masculine du « faire ensemble » et celle, féminine, du « parler avec » engendrent-elles des distinctions nettes dans le contenu affiché sur le blog. Le « faire ensemble » des garçons se manifeste à travers les photographies et récits des activités collectives, qui priment sur la gestion des liens. Le ton de la plaisanterie, de la vanne et de la moquerie, apparaît aussi comme le seul mode énonciatif légitime de la confidence masculine. Le « parler avec » des filles se retrouve de la même manière sur leur blog avec une prépondérance de la présentation des amis, des cousins et cousines, des frères et sœurs. On les décrit avec leurs qualités, rarement leurs défauts, on présente leurs goûts, leurs préférences en matière culturelle, leur statut sentimental, leur position dans son réseau de relations et on leur fait de la publicité.
58La sociabilité scolaire de grands groupes conduit à afficher une identité conforme, le contrôle social des pairs (de l’école, mais aussi des autres inconnus du web) se substituant au contrôle parental, alors que les sociabilités de petits groupes électifs requièrent l’expression de sa singularité. Or le blog emboîte les deux types de public, celui des très proches et la nébuleuse scolaire. Parfois, pour défaire cette tension entre conformisme et authenticité, les skyblogueurs sont amenés à scinder leurs identités digitales, comme Camille, une jeune blogueuse de 16 ans. Son premier blog est connu de toutes et tous. Elle y publie toutes les activités communes avec ses pairs, ses goûts musicaux, ses pratiques sportives et ses choix vestimentaires, pour contenir la sociabilité scolaire. Le second, plus secret, est simplement connu de ses meilleurs amis, pour contenir une sociabilité plus intime. Elle y relate ses difficultés existentielles, sa rupture avec son petit ami, ses mésententes avec ses parents. Les pratiques de communication constituent une scène de plus en plus décisive dans la vie sociale adolescente où se jouent la recherche d’un juste accord entre conformisme et authenticité, l’affirmation de sa singularité envers le groupe de liens forts sans laisser apparaître de faille envers le groupe de liens faibles.
L’emboîtement clan/nébuleuse
59Dans ce régime de communication entre familiers, la forme du réseau relationnel dégagé à partir du blogroll ou des commentaires présente, une forme clanique avec un petit réseau de correspondants entretenant entre eux des relations très denses. La plupart du temps, les blogs référencés se citent eux-mêmes entre eux, reproduisant sur la toile la structure relationnelle compacte formée par le groupe des meilleurs amis dans la vie de tous les jours. De sorte qu’il existe une très forte densité et réciprocité des liens au sein des réseaux relationnels des blogs de ce type. Cette logique de clan fait cependant apparaître des différenciations internes. D’abord, il n’est pas rare d’observer la coexistence de plusieurs clans dans la structure relationnelle du blog : différentes classes au sein d’un lycée ou une segmentation école/pratiques sportives/amis d’enfance ou de quartier. Ensuite, à côté du clan, les blogueurs font parfois cohabiter un réseau relationnel de pairs autour d’une passion ou d’un centre d’intérêt partagé avec des personnes avec lesquelles ils n’entretiennent pas nécessairement de liens interpersonnels. Enfin, le ou les clans restent toujours entourés par une nébuleuse d’autres contacts possibles qui donne au blog une ouverture relationnelle qui n’existe pas sur l’IM. Ce modèle clan/nébuleuse reproduit une dimension centrale de la sociabilité juvénile où, autour du groupe soudé des copains ou de la meilleure amie, se déploie une nébuleuse de relations plus lointaine, avec lequel le clan interagit irrégulièrement en s’attachant selon les contextes à différents segments de cet entour relationnel [49]. La mise en place de cette structure clan/nébuleuse, qui épouse parfaitement les propriétés technologiques du blog, est sans doute une des clés d’interprétation du succès du blog chez les adolescents, puisqu’elle facilite ce jeu d’ostentation et de réputation auprès du groupe des pairs, tout en permettant de se singulariser auprès des proches.
TYPE III. LE RECRUTEMENT DES PAIRS : AMATEURISME, RÉPUTATION, PROFESSIONNALISME
60Au regard des deux précédentes, la troisième configuration de notre typologie procède de deux déplacements au sein du système d’énonciation qui assure la communication entre le blogueur et son public. En premier lieu, l’énonciateur n’interroge plus son intériorité, comme dans le premier type, mais il fait montre de capacités et de compétences spécifiques pour afficher une facette (et souvent une seule) de son identité. En second lieu, il se sert de cette identité pour recruter et échanger avec des personnes présentant une facette similaire avec lesquelles il n’entretenait pas nécessairement de lien d’interconnaissance préalable, à la différence du deuxième type. Ces deux déplacements modifient sensiblement le format de communication mis en place sur les blogs, pour donner jour à ce que l’on entend habituellement par la formation interactive de communautés « médiatées » sur internet. Dans ce mode de communication, l’identité du blogueur apparaît d’abord comme une revendication exprimée à travers les contenus publiés que vient valider ou invalider la reconnaissance du public. Identité et contenu se coproduisent mutuellement dans un processus dynamique placé sous le regard des pairs. A la différence des deux précédents modèles, l’identité civile du blogueur n’est pas masquée. Si elle est parfois « pseudonymisée » derrière une sorte de nom d’artiste, l’identité nominale est généralement affichée, ainsi que les moyens communicationnels permettant de joindre l’auteur. C’est en tant que « dessinateur », « brodeuse », « fan de Johnny Depp », « collectionneur de voiture ancienne » ou « écrivain », que le blogueur cherche à produire, pour lui-même et pour les autres, une définition stable des qualités dont il aura su faire la démonstration. Ensuite, une connaissance interpersonnelle entre les blogueurs n’apparaît pas comme une condition essentielle à la qualité de leur échange : c’est plutôt une « intimité instrumentale » qui les réunit dans un lien à intensité variable que médiatise l’objet de la passion qu’ils ont en commun [50]. Le blogueur cherche à rencontrer d’une part un collectif qui partage les mêmes goûts et pratiques, une sorte de communauté de pairs, et d’autre part un public plus large de curieux qui permettra la diffusion des œuvres présentées. Pour certains blogueurs, cette diffusion vise clairement à entrer en contact avec le milieu professionnel afférent à l’activité. Mais la reconnaissance professionnelle n’est sans doute que la pointe émergée d’un massif beaucoup plus important de blogs de simples fans, amateurs, curieux, passionnés qui souhaitent se voir encouragés dans leurs pratiques par des partenaires compétents. L’aspiration à la professionnalisation, pas plus qu’une lecture « légitimiste » faisant de chaque blogueur un exclu du champ de la culture consacré, ne peut de très loin être considérée comme une clef de lecture unique des attentes qui s’expriment sur ces blogs.
61L’un des premiers traits identifiable de ce régime d’énonciation est son caractère spécialisé. Il ne s’agit plus cette fois, comme dans le premier modèle, de jongler, selon l’humeur du moment, entre des identités multiples et volatiles mais de rendre compte de facettes choisies de sa personnalité. Le passage d’un format de communication de type intimiste (I) à cette configuration communautaire (III) réclame une réduction très forte de la personnalité de l’énonciateur à un seul de ses traits. Alors que dans la première configuration, elle était souvent à la recherche d’elle-même, inquiète et interrogative, l’identité de l’énonciateur se fixe ici sur une catégorie précise et stable par laquelle il se laisse facilement identifier, sans avoir à prendre appui sur d’autres aspects de sa personne [51]. Il reste cependant que ce travail de concentration, de focalisation et de spécialisation de l’identité personnelle n’a rien d’évident et constitue même parfois la principale épreuve à traverser par les blogueurs pour parvenir à faire communauté autour de leurs œuvres. Dans certains cas, un blog sur le cinéma s’embarrasse aussi de considérations sur la littérature ou la bande dessinée, un blog dédié aux collections de voitures s’exaspère de difficultés professionnelles sans rapport ou un blog de littérature de fiction se perd en considérations sur le monde de la télévision. Dans beaucoup d’autres, le statut du blog est profondément mixte et l’expression d’une compétence spécialisée sur un domaine est étroitement mêlée à un journal intime abordant divers sujets. En mélangeant les posts du premier et du troisième type, les chances d’accrocher une communauté conséquente de spécialistes du domaine dans lequel on souhaite être reconnu se trouvent alors singulièrement diminuées. C’est justement tout l’enjeu de la mise en place de ces communautés d’intérêt que de parvenir à isoler suffisamment le rapport des personnes à leurs œuvres des autres traits de leur identité, pour parvenir à créer un espace communautaire qui ne se laisse pas contaminer par l’extrême variabilité interindividuelle de ses participants.
Collectionneurs, fans, critiques et amateurs
62La liste des centres d’intérêt et des passions qui servent de support à la formation de communautés de blogueurs couvre des domaines différents. Elle s’ouvre surtout à un spectre de variations importantes, d’une part, selon le degré d’investissement personnel de l’amateur dans la production d’œuvres spécifiques (distinguant, par exemple, le fan du dessinateur) et, d’autre part, dans la possibilité ou non de numériser les productions amateurs (distinguant, par exemple, praticien de théâtre amateur et littérateur ou photographe). On peut d’abord isoler la passion des collectionneurs (d’objets non numériques) qui trouvent sur les blogs un moyen performant d’identifier et de rencontrer les adeptes dispersées d’une manie rare : collectionneur de voitures anciennes, passionnés d’objets de l’histoire de la seconde guerre mondiale, de Kinder surprise, de fèves de galette des rois, de vieux tracteurs du Tregor ou de bouteille Heineken. Ces blogs monothématiques spécialisées visent clairement à rencontrer d’autres adeptes, afin d’échanger les objets collectionnés. Lorsqu’ils parviennent à réunir un public important, ils se transforment en site web et font l’objet d’une édition collective, parfois géré par une association ou un club. En second lieu, les fans d’acteurs, de sportifs ou de chanteurs génèrent eux aussi une part importante de ce segment de la blogosphère en réunissant photos, articles, paroles de chansons ou extraits de films. Expert de David Trézeguet, passionné de DragonBall, inconditionnel de Léonardo di Caprio, ces sites exprimant l’adoration fétiche des stars du moment sont très nombreux sur les Skyblogs et se caractérisent par le souci de réunir l’ensemble des traces laissées par leur idole, l’investissement dans la carrière du fan se caractérisant alors par la capacité à trouver des documents rares [52]. Peu commentés, ils s’apparentent plus souvent au travail de stylisation de soi de la sociabilité juvénile – la coordination avec les commentateurs s’exprimant alors principalement par l’échange d’exclamations élogieuses devant les photos de stars. Dans le prolongement des blogs de fans, mais en endossant une posture littéraire et distanciée, on compte enfin de nombreux blogs dans lesquels est affichée une compétence critique dans un domaine culturel particulier. Véritable carnet de notes traçant les goûts et les dégoûts, le blog revendique alors une subjectivité du point de vue : Mes coups de cœur d’hier et d’aujourd’hui. 25 ans de passion musicale et cinéphilique partagés. Parfois individuel et quasi personnel, une sorte de carnet d’enregistrement de ses consommations culturelles établit sous forme de liste, d’autres fois beaucoup plus élaboré, et souvent collectif, ce type de blog constitue un important vivier de la participation des consommateurs à l’évaluation partagée des produits culturels. Par bien des aspects, ces sites d’évaluation critique des productions culturelles constituent une préfiguration du quatrième type d’énonciation sur les blogs que nous détaillerons dans la partie suivante, puisque l’énonciateur s’affiche alors d’abord comme un individu doté de compétence au jugement et à l’analyse, évaluant et discutant des objets publics.
63Mais les blogueurs sont aussi des producteurs de contenus amateurs qu’ils valorisent en s’affranchissant des canaux de distribution traditionnels. Certes, certaines pratiques amateurs sont difficiles à numériser et le blog sert alors principalement d’outil de recrutement et de promotion, comme pour le théâtre amateur, la réalisation de court métrage ou la mise en lien de musiciens d’orchestres de cuivres. Il est en effet plus facile de faire directement démonstration sur un blog de ses capacités dans le domaine de l’écriture, du dessin et de la photographie en profitant du format numérique de ces productions. Le développement de formats vidéo et musicaux permettant la mise en ligne, la syndication et le téléchargement (notamment via le podcasting) ouvre aujourd’hui considérablement cet espace de production amateur. Parmi les différents genres culturels, l’« egofiction » joue un rôle central, puisqu’elle permet aux blogueurs de faire facilement le lien entre la forme journal intime et l’expression d’une compétence esthétique. Elle s’exprime à travers les blogs littéraires et, de façon plus originale, dans certains blogs photographiques ou de bandes dessinées dans lesquels c’est la vie même de l’énonciateur qui est mise en scène à travers des formats esthétiques. Laurel, par exemple, raconte sa vie sous forme de dessin sur son blog. Débuté comme un simple blog de passionnée, principalement textuel, peu lu et commenté, le blog de Laurel s’est progressivement transformé pour devenir le lieu d’expression dessinée de sa vie personnelle (sa rupture sentimentale, notamment). Aujourd’hui, chacun de ses posts dessinés est commenté par plus de cent personnes. Laurel a rencontré un nouveau compagnon, lui-même dessinateur. Elle anime une large communauté de « dessineux » et vend ses propres productions sur son blog.
Les carrières des pro-ams
64De récents travaux se sont attachés à décrire les effets de la croissance générale du capital culturel sur la morphologie sociale, les formes d’organisations du travail ou les transformations du capitalisme [53]. Celle-ci est aussi à l’origine du déplacement des relations entre pratiques amateurs et professionnelles. En effet, les logiques de professionnalisation qui se sont exercées dans de nombreuses sphères de la vie sociale (éducation, science, médecine, entreprise, sport, culture) avec la construction de la société industrielle ont contribué à la mise en place d’organisations hiérarchiques et formelles et à codifier métiers, compétences et critères d’évaluation des bonnes et des mauvaises pratiques. Ce processus de rationalisation a accentué le partage entre professionnels et amateurs et discrédité l’amateurisme comme un exercice privée et dilettante d’activités sans utilité sociale. Même si la dynamique de professionnalisation ne s’est pas interrompue – et ne cesse sans doute de se renforcer –, il faut constater l’émergence d’un « nouveau régime de l’amateurisme » qui passe par des formes originales de coordination entre productions amateurs et professionnelles : un retraitement continu des contenus amateurs par les industries culturelles, des circuits de diffusion plus ouverts et horizontaux, des formes de reconnaissance plurielles appuyées sur le jugement du public plus que sur celui des critiques. Sous l’effet de l’accroissement du capital culturel et de l’augmentation du temps de loisirs, une population familière des nouvelles technologies, jeune, célibataire, urbaine s’est ainsi rendue de plus en plus visible. Ces praticiens du théâtre, du chant, de la photographie ou de l’écriture ont un niveau de vie relativement élevé et une sociabilité étendue et diversifiée. Ils disposent d’un capital culturel important et, même s’ils connaissent parfois des situations de désajustement entre leur niveau de diplôme et de qualification et leur situation professionnelle, ils semblent relativement bien intégrés au marché du travail. S’ils investissent dans leur vie professionnelle des manières d’être et de faire qui relèvent de la créativité artistique (autonomie, incertitude, inventivité, passion), ils engagent symétriquement dans leurs activités bénévoles des manières de faire qui ne sont pas très différentes du travail professionnel. Ils consacrent une part importante de leur temps libre à leurs passions et leurs réservent un budget conséquent. Ils y investissent un même sens de l’obligation, une même anxiété, une même exigence de résultat que dans l’univers professionnel. Ils refusent l’étiquette jugée péjorative de l’amateurisme et souhaitent que leur engagement bénévole soit évalué selon des standards professionnels. Portés par des dispositions sociales spécifiques, notamment un niveau élevé de diplôme et une forte intégration professionnelle, les « pro-ams » [54] articulent le modèle vocationnel du loisir bénévole et l’investissement créatif dans le travail salarié.
65Les blogs d’amateurs se présentent souvent comme des représentants exemplaires de ces dynamiques. Même si cette caractérisation d’une population si diversifiée reste beaucoup trop générale pour donner des clés d’interprétation de leur engagement, et si elle n’est applicable qu’au segment « dominant » des blogueurs « communautaires », elle invite à identifier quelques lignes de transformations des relations entre productions bénévoles et professionnelles. En premier lieu, c’est le régime de l’autodidaxie qui perd de son étanchéité, du fait de la capacité accrue dont disposent les blogueurs pour trouver des informations et des espaces de formation collective. Tant au niveaux des outils techniques que des savoir-faire, il est difficile de renvoyer les amateurs vers cette sorte de méconnaissance aveugle dans laquelle les ont souvent rangée les approches légitimistes des pratiques culturelles. En second lieu, cette population d’amateurs spécialisés est au cœur de l’immense travail bénévole de rassemblement et de production coopérative de contenus auquel s’intéresse de plus en plus le monde économique. Enfin, productions amateur et professionnelle font l’objet d’une hybridation croissante que consacre le développement d’une culture du remix dans laquelle les opérations de détournement, de couplage et de transformation recomposent de nouveaux objets culturels qui bénéficient parfois d’une plus grande notoriété que les originaux.
Reconnaissance, réputation, professionnalisation
66Les interprétations de l’amateurisme et de l’autodidaxie se sont souvent polarisées sur l’idée que les pratiques amateurs avait des visées « professionnelles » et qu’elles étaient le fait d’exclus de la culture légitime. De nombreux profils de blogueurs spécialisés rendent effectivement visible une population d’amateurs à la recherche de consécration qui usent des blogs comme d’une solution de contournement. Beaucoup travaillent dans des professions à dimensions intellectuelles dans lesquelles l’écriture, l’image, la culture ou la recherche sont importantes. Certains, sans doute, souffrent d’un décalage entre leur diplôme et leur statut professionnel précaire (pigistes, salariés en contrat à durée déterminée, en contrat emploi-solidarité, chercheurs indépendants, vacataires, etc.). Quelques uns ont essuyés des refus réitérés de la part d’éditeurs professionnels et multiplient les participations à des concours, des radio-crochets ou des cours du soir. Aussi le blog peut-il apparaître comme un espace d’autopromotion permettant de publier son CV et d’éditer à son propre compte les œuvres qu’on ne parvient pas à faire entrer dans le circuit professionnel, comme Chaperonrouge, auteur sans éditeur et comédienne sans vrai rôle, ou Stephanson, fils d’artisan, qui a choisi d’arrêter toute activité professionnelle pour promouvoir ses exercices d’écriture, mais développe aussi une activité alimentaire de « somatothérapie ». La faiblesse des coûts d’entrée à la publication dans la blogosphère a incontestablement contribué à accueillir très largement cette population d’« écrivain d’intention » [55] qui ne trouvant de débouché à leur passion se sont convertis à la publication numérique.
67Il reste qu’il serait sans doute très injuste de regarder ces publications comme un marché éditorial de seconde zone, accueillant de façon bienveillante les exclus des champs esthétiques consacrés. Les attentes de reconnaissance des blogueurs sont multiples, et les instances de consécration sont éclatées, sans être nécessairement hiérarchisées. Aussi convient-il de réinscrire ces aspirations dans les particularités de l’espace de publication qu’offre internet. Autant qu’un espace assurant la promotion de publications achevées, le blog est surtout un outil relationnel qui permet plus facilement de rencontrer des pairs que des professionnels. Être simplement reconnu par la communauté de personnes que l’on est parvenu à réunir autour de soi par ses activités dans la blogosphère constitue un objectif en soi. Outre le sentiment de gratification personnelle, l’insertion dans une communauté de pairs permet aux blogueurs d’incorporer les avis, recommandations, conseils des autres dans leurs propres productions. L’espace de publication qu’offre internet modifie les déterminants du système « réputationnel », en faisant de l’échange « constructif » avec les pairs une priorité sur les verdicts des professionnels. Réputation et reconnaissance sont directement associées au mouvement de la création lui-même. Il insère le regard des autres, pairs et public, dans l’accomplissement même des pratiques amateurs, bien en amont de l’éventuelle consécration professionnelle. Ce phénomène s’observe par exemple dans les multiples initiatives d’œuvres « ouvertes » auxquelles se prêtent certains créateurs : un scénariste fait partager au jour le jour la rédaction d’un scénario en demandant conseils et aides aux lecteurs, un dessinateur publie des crayonnés en demandant à ses commentateurs de l’aider à poursuivre ses dessins, etc.
Des réseaux de pairs : un processus électif de sélection
68En spécialisant l’identité qu’ils mettent en scène, les blogueurs procèdent à un travail électif de sélection des pairs. La production de contenu sur le blog paraît alors destinée à opérer un tri au sein du public de lecteurs qui passe sur le blog, afin de sélectionner et d’engager le dialogue avec ceux d’entre eux qui présentent un profil et une identité comparables. A la manière d’un site de petites annonces, mais avec des ressources beaucoup plus importantes, les blogueurs peuvent définir des profils particuliers à partir de critères très spécifiques. C’est d’abord le cas avec les blogs de collectionneurs qui ne s’intéressent véritablement qu’à ceux, souvent rares et éloignés, qui partagent leur lubie. C’est ensuite le cas des praticiens d’un loisir spécialisé réclamant un recrutement complexe, comme les spécialistes de broderie qui organisent des échanges extrêmement spécialisés dans certaines communautés de blogs, notamment pour effectuer des travaux en commun. Sur les blogs communautaires, les posts appellent des commentaires de semblables. En choisissant des modes conversationnels basés sur le recrutement, l’échange de conseils et la formation on observe une structuration homophile des communautés de blogs. Par ajustement progressif, en répondant ou en ne répondant pas aux commentaires, en allant commenter le blog de son commentateur, en inscrivant dans la durée et la régularité les échanges avec tel ou tel, c’est un véritable processus de sélection à base « critérielle » qui s’exerce. Dans cette configuration, le réseau relationnel des blogs prend une forme nettement clustérisée, puisque les liens formés par le blogueur ont progressivement tendance à se lier entre eux par le partage d’une sorte d’intérêt mutuel. Cependant, la densité de ces clusters apparaît beaucoup moins forte que dans les clans d’interconnaissance du second modèle et on observe des fragmentations et des divisions nombreuses au sein des liens tissés entre les membres du collectif.
69Aussi, avant de conclure à une logique d’enfermement et de séparation communautaire, faut-il être attentif à la diversité des types de facette sur lesquelles tiennent ou ne tiennent pas ces communautés, et notamment la manière dont elles sont plus ou moins incorporées à la socialisation des individus. Partager un goût culturel, une pratique musicale, des talents pour le dessin ou un art d’écrire constitue un ensemble de traits identitaires très différents qui s’ancrent plus ou moins profondément sur des dispositions et des compétences incorporées par les personnes. Ces différenciations affectent notamment le caractère plus ou moins « virtuels » ou « réels » des échanges entre participants. Certes, beaucoup d’échanges entre blogueurs restent simplement virtuels, ne portent que sur le centre d’intérêt qui les a réuni et s’organisent ainsi sur le modèle d’une sociabilité « instrumentale » [56]. Mais dans de nombreuses communautés observées, notamment celles qui au-delà des goûts engagent les pratiques des participants, on constate aussi que ceux-ci se mettent à échanger sur des sujets beaucoup plus larges. Dans ce contexte, la rencontre réelle peut devenir un objectif important pour les personnes. Meluzine, par exemple, critique rock, qui tient un blog très littéraire et personnel trouve même le blog beaucoup plus adapté que les forums ou les chats pour faire des rencontres intéressantes. Elle a autrefois beaucoup pratiqué les rencontres virtuelles sur les chats, mais trouvait le système vicieux (l’instantané aussi laisse beaucoup plus de place à la connerie !). En revanche le blog est vraiment le seul média qui [ne l]’a pas déçu :
En rencontres, pour l’instant j’ai fait que des jolies rencontres. Pourquoi ? Parce qu’à force de lire les gens, quand bien même ils mentiraient dans ce qu’ils écrivent, la façon dont ils écrivent, de toute façon tu sais à qui tu vas potentiellement avoir à faire. Tu peux parfois avoir plusieurs hypothèses possibles de la personne, mais tu te plantes jamais. C’est jamais loin de ce que tu peux imaginer. Et s’il y a des surprises pour ma part, pour l’instant, elles ont été que bonnes.
71La découverte du profil des correspondants sur un blog permet un ajustement beaucoup plus efficace et précis des attentes que sur les sites de rencontres. De sorte que si la rencontre réelle n’est pas essentielle au développement d’une « intimité instrumentale » dans ces communautés de compétences, il semble cependant que, avec des variations fortes selon les contextes et les domaines d’intérêt, elle apparaisse comme une visée secondaire des attentes des acteurs.
TYPE 4. L’ÉNONCIATION « CITOYENNE » : DISTANCIATION, DISCUSSION ET CRITIQUE
72Le quatrième format d’énonciation de notre typologie ne serait qu’un dérivé du troisième modèle si la catégorisation de l’identité des énonciateurs qu’il propose, celle de « citoyen », n’avait de si grandes conséquences sur l’ensemble du système énonciatif qui s’ordonne autour d’elle. En se faisant identifier comme des « citoyens », les énonciateurs proposent en effet une définition d’eux-mêmes et des autres qui rompt avec le modèle électif et affinitaire de la forme communautaire. Une énonciation publique se désignant comme « citoyenne » promet l’ouverture inconditionnée de l’espace de parole, la pluralité des points de vue et le refus d’une hiérarchisation s’appuyant sur les qualités des énonciateurs. Aussi, de façon au moins potentielle, la clôture du public du blog autour d’une affiliation communautaire est-elle interdite. Ce principe d’ouverture, inscrit dans les origines même de l’internet, a inspiré aux promoteurs du réseau des réseaux [57] la revendication d’un élargissement de l’espace de la parole publique à tous et la contestation du monopole des professionnels de la politique et des journalistes dans l’accès et la formation du débat public. Cette visée de démocratisation de la prise de parole sur internet s’est même vue radicalisée avec l’apparition des principes de l’open publishing, garantissant le droit à tous de publier informations et opinions sans être modéré, et de l’auto-organisation, faisant confiance à la discussion entre internautes pour opérer ex post un tri entre informations justes et fausses. Même si elles font en pratique l’objet d’aménagements multiples, ces valeurs restent au cœur de la prise de parole « citoyenne » sur les blogs. Publication parallèle de journalistes en marge de leur écriture salariée, apport d’expertise par un spécialiste dans le débat public, habitants qui assurent une contre-information locale, citoyen ordinaire commentant l’actualité, militants altermondialistes qui entreprennent de mobiliser autour d’un enjeu international, le développement de la « blogosphère citoyenne » a acquis une grande visibilité à la suite d’événements d’actualité récente (guerre en Irak, attentat de Londres, tsunami en Asie, etc.) et, notamment dans le contexte nord-américain, attiré l’attention de nombreux commentateurs [58].
73Sans doute faut-il cependant se méfier de l’engouement actuel pour l’internet politique. Après l’avoir souvent ignoré, beaucoup, sans plus de mesure, lui prête aujourd’hui des vertus qui risquent fort d’être illusoires. Dans un mouvement de balancier caractéristique des périodes de transition technologique, l’internet citoyen se voit brusquement doté de pouvoirs exorbitants susceptibles d’apporter remède à la « crise de la représentation politique » (abstention, anémie du débat public, faiblesse des engagements partisans, illisibilité de la décision publique). Aux yeux de certains, l’émergence de la blogosphère citoyenne viendrait réactiver les idéaux de démocratie directe en les opposant à la grammaire représentative et délégataire de nos démocraties. Le propre du débat sur le rôle des nouvelles technologies dans l’espace public est de présenter des oppositions, des concurrences et des effets de substitution quand ce sont plutôt les interdépendances, les entrelacements et les complémentarités qu’il faudrait mettre en avant. S’il est peu probable que l’internet citoyen vienne supplanter les formes traditionnelles du débat démocratique structuré par les rituels électoraux, les logiques d’opinion ou l’organisation professionnelle d’une couverture médiatique du débat public, il importe en revanche de tenir compte des effets que peuvent susciter l’interdépendance de plus en plus sensible de la blogosphère citoyenne avec la formation du débat public dans les médias « classiques ».
La responsabilisation de l’énonciation
74L’insertion des médias électroniques dans la formation de l’espace public se caractérise d’abord par un élargissement significatif – même s’il est limité – du cercle de la prise de parole. Contestant le monopole des professionnels de la politique et des journalistes, les blogs ont permis à des personnes, jusqu’alors non qualifiées pour participer aux débats organisés par les médias centraux, de produire informations et commentaires sur des sujets publics. Une analyse rapide des profils professionnels de ceux qui, parmi les nouveaux entrants dans la discussion publique animent un blog qui a acquis une forte notoriété, montre cependant qu’ils occupent souvent des positions en bordure des métiers traditionnels de la parole publique. Ils sont journalistes, conseillers en communication, éditeurs, consultants, artistes ou universitaires. D’une certaine manière, c’est surtout l’ouverture de l’espace public généraliste aux professionnels de l’informatique qui constituent aujourd’hui, dans le contexte français, la rupture la plus significative. Il convient en effet de distinguer au sein de la « blogosphère citoyenne », trois profils d’énonciateurs [59]. Les pionniers en la matière rassemblent des personnes sans statut particulier au regard de la prise de parole publique. Ils ne sont ni des producteurs « professionnels » d’informations ni des élus politiques et ont multiplié sur leurs blogs les commentaires d’actualité, en traitant souvent de nombreux autres sujets, personnels ou professionnels. Si certains d’entre eux constituent aujourd’hui l’élite de la blogosphère française et se sont spécialisés dans le commentaire d’actualité, la très grande majorité produit des blogs dans lesquelles se mêlent vie personnelle et opinions sur les événements de la vie publique. Depuis 2005, cette population historique a été progressivement rejointe par les blogs d’experts, de journalistes spécialisés, de chercheurs, d’essayistes, d’universitaires ou de juristes. Les blogs d’hommes politiques locaux ou nationaux constituent la troisième catégorie d’énonciateurs qui sont apparus en 2005 à la suite des blogs pionniers de Dominique Strauss-Kahn, Alain Lipietz ou Alain Juppé. Avec l’arrivée de ces deux nouveaux types d’acteurs, l’espace d’interlocution au sein de la « blogosphère citoyenne » s’est considérablement complexifié et enrichi en multipliant les interactions entre populations de journalistes, d’hommes politiques, d’experts et de citoyens-blogueurs. Avec des degrés très différents selon leur notoriété, les blogs de « citoyens ordinaires » ont pris leur place dans cet espace. En effet, lorsque l’on quitte l’élite de la blogosphère, les profils sociaux des blogueurs citoyens paraissent plus riches et divers. Y apparaissent des acteurs disposant de moins de ressources sociales et professionnelles pour faire entendre leur voix dans la discussion publique. Journalistes free lance, amateurs passionnés de science, développeurs de logiciels libres s’investissant dans les débats politico-juridiques sur la propriété intellectuelle, challengers de la politique, militants altermondialiste se passionnant pour les débats de l’OMC, etc. Même s’il existe une très forte sélectivité sociale des nouveaux entrants (ils sont notamment très largement masculins), il n’est pas rare que les blogueurs citoyens parviennent à créer un espace de débat autour de leurs productions éditoriales. C’est par exemple le cas des producteurs ordinaire d’expertise qui, avec ou sans titre statutaire, s’investissent dans la couverture de questions spécialisées. Luc, par exemple, tient un blog d’actualité générale avec quatre de ses amis. Mais passionné d’écologie et des thèses de James Lovelock, il a aussi créé un second blog réputé sur les phénomènes climatiques : « Gaïa, bulletin de santé ». Afin d’augmenter leur visibilité en croisant leurs liens de référencement, les commentateurs de questions écologiques ont créé le réseau des blogs des Freemen, réunissant ceux qui partagent l’idée que le changement climatique est un problème majeur, pas uniquement écologique, mais aussi politique et économique. Ce processus d’agrégation de groupes d’individus défendant des positions convergentes permet de créer des agrégats thématiques plus visibles et identifiables par tout ceux, journalistes notamment, qui sont à la recherche d’informations spécialisées et d’expertise.
75Sur un tout autre terrain, la critique des politiques municipales, l’activité des blogueurs a aussi connu un fort développement avec la mobilisation d’habitants, souvent proches ou membres de partis politiques. Phénix consacre son blog à la défense d’une ville d’exception [Le Vésinet] contre les dérives d’une municipalité coupée de ses assises populaires. Journaliste radio, c’est après le choc du premier tour de la présidentielle 2002, que Christophe Grébert décide simultanément d’adhérer au parti socialiste et d’ouvrir un blog, Monputeaux.com, la page d’un Putéolien qui a décidé de l’ouvrir. Il le fait
avec l’idée que, moi, simple militant, je peux faire quelque chose concrètement, dans ma ville. Je me suis demandé « Qu’est-ce que je peux faire, voilà, en tant que militant, en tant militant PS, simple militant citoyen dans une ville, qu’est-ce que je peux faire pour faire avancer les choses pour créer du débat ? ».
77Sur son site, Christophe Grébert relate dans le détail la vie de Puteaux, les décisions de la Mairie, les conseils municipaux, les problèmes de voirie, les projets de construction et de réhabilitation et la vie des écoles. Il se fait le relais des syndicats, des associations, des partis et des habitants de la commune pour annoncer des événements. Bref, le blog joue le rôle d’un véritable journal d’information locale. Mais cette restitution factuelle de la vie à Puteaux est toujours enserrée de commentaires, d’appréciations et de critiques à travers lesquelles, le blogueur porte un jugement sur sa ville et la politique que mène la municipalité de Joëlle Ceccaldi-Raynaud contre laquelle il milite.
78Dans cette configuration, l’identité civile de l’énonciateur est affichée a priori. Cette responsabilisation de l’énonciation est au principe de la mise en place d’un espace de jugement public, même s’il faut souligner que, sur internet, à la différence des médias traditionnels, une tolérance beaucoup plus grande est faite à l’expression publique d’opinion derrière un pseudonyme, ce qui atténue le principe de responsabilité habituellement associé à la prise de parole publique. Cette atténuation peut s’expliquer par le poids de la « culture informatique » dans la mise en place des premiers espaces de débat sur internet et par les appropriations « libertaires » de certains de ces espaces, comme dans les versions « radicales » de l’open publishing, où le principe de la liberté « absolue » de la parole l’emporte sur celui d’une responsabilisation des propos. Cependant, même atténuée, la responsabilisation de l’énonciation est indispensable à l’expression d’un jugement public dans ce quatrième mode d’énonciation. Pour être recevable comme tel, un jugement public doit être assumé par un « je » citoyen qui a su construire une distance entre la personne, et l’objet de son énonciation. Glissée entre l’énonciation et l’objet de l'énonciation, la modalisation argumentative (« je trouve que… », « je pense que… ») est propre à la profération d’une opinion dans un espace public. Elle institue un détachement entre le monde des objets soumis à l’évaluation et le cercle des évaluateurs, condition indispensable à la coordination des opinions dans un débat public de nature critique [60]. Ici, il ne s’agit plus de parler de son intériorité, d’échanger avec les proches ou de faire valoir ses qualités, mais de donner son avis sur des questions du débat public, qui ont de ce fait un statut impersonnel.
79Ces énonciations « citoyennes » témoignent d’une individualisation des prises de position dans le débat politique. Même si beaucoup d’entre eux sont affiliés à des partis politiques ou proches d’eux, le blog – sauf lorsqu’il participe directement de l’activité politique des personnes – est toujours revendiqué comme un espace de jugement personnel. Les blogueurs promettent de donner leurs avis indépendamment des consignes partisanes, en faisant valoir leur droit de citoyen à produire librement des évaluations. La prise de distance avec les porte-parole partisans ou les leaders d’opinion constitue presque une obligation. Un blog écologiste réclame un ton décalé, parfois ironique ou caustique. A relativiser et à ne surtout pas prendre au pied de la lettre ! Les journalistes professionnels signalent qu’ils ne font pas ici du journalisme mais du commentaire subjectif : ce blog est d’abord mon journal intime politique, réceptacle égoïste d’une vision forcément subjective du monde. Bien que journaliste, Christophe Grébert souligne que son blog
ne cherche pas l’objectivité. Je ne cherche pas l’équilibre. Je ne cherche pas à modérer mes propos, à donner la parole à l’un et à l’autre pour équilibrer un discours. J’assume et je revendique le droit à la subjectivité, à la critique, aux propos un peu provocateurs aussi. […] Je dis ce que je pense et en revanche, je suis ouvert aux discours et aux opinions des autres.
81En instaurant une distance entre énonciation et énoncé, les blogueurs ouvrent ainsi la possibilité d’une coordination avec d’autres évaluations, éventuellement différentes des leurs, pour créer un espace de jugement polyphonique.
La blogosphère politique : balkanisation ou espace de polarités ?
82L’énonciation « citoyenne » est-elle capable de produire une délibération collective permettant la confrontation de points de vue non seulement divers mais aussi « adverses » [61] ? Beaucoup d’observateurs se sont inquiétés des risques de « balkanisation » de la discussion politique sur internet. A l’instar de la troisième configuration de notre typologie, l’internet favoriserait une sélection homophile des sites et des commentateurs avec lesquelles se lient les blogueurs, multipliant ainsi la formation de cercles étanches et sectaires d’opinions uniformes [62]. La délibération publique sur internet serait alors entravée par une exposition préférentielle aux médias de sa propre tendance politique [63]. Même si les comportements d’homophilie sont incontestables dans la structuration des liens entre blogs citoyens, les analyses du tissu relationnel de la blogosphère politique montrent cependant une configuration sensiblement différente du processus d’agrégation/répulsion qui s’exerce dans les communautés de blogs affinitaires. En premier lieu, au regard des trois autres configurations, le nombre de liens qui peut être extrait des blogs citoyens est bien plus important. En règle générale, les blogrolls sont plus nourris, les commentaires par post sensiblement plus nombreux et les liens vers des sites du wwww(ceux des médias et des partis notamment) très variés et denses. Du fait de l’interdépendance étroite qu’ils entretiennent avec les espaces journalistique et politique, il est même indispensable pour ces blogs d’acquérir réputation et notoriété en cherchant à obtenir le meilleur classement possible sur les sites d’indexation. Aussi les blogueurs mènent-ils une très intense campagne promotionnelle pour se lier aux autres et, réciproquement, être liés par les autres afin d’améliorer leur ranking [64]. Les pratiques de « rétroliens » (trackback), qui permettent de reprendre la publication d’un post d’un autre blog sur le sien, absentes des deux premières configurations de notre typologie et peu nombreuses dans la troisième sont, en revanche, très fréquentes pour le segment des blogs politiques qui concourent dans le sommet de la hiérarchie des blogs (la « A-list »). Apparaît ainsi une très forte hiérarchisation entre les blogs « citoyens » qui se distribue selon la traditionnelle loi de puissance de l’internet : un petit nombre de blogs reçoivent un très grand nombre de commentaires – et sont aussi très fortement liés entre eux par un réseau unique de commentaires réciproques – alors qu’un grand nombre de blogs reçoivent un faible nombre de commentaires – et ne sont liés entre eux que dans des petites localités, parcellaires et dispersées, de la blogosphère citoyenne.
83En second lieu, les analyses des réseaux de blogs se sont attachées à mesurer le degré de connectivité interne des blogs exprimant une même tendance politique. Première du genre, l’étude de Lada Adamic et Nathalie Glance [65] sur la blogosphère américaine pendant l’élection présidentielle de 2004 montre une très forte polarisation interne des groupes de blogs républicains et libéraux. Même si ces affiliations intra-communautaires sont très importantes (notamment pour le clan républicain), les auteures montrent aussi que 15 % des liens de ces blogs sont dirigés vers des blogs de l’autre camp. Ces résultats se trouvent confirmés dans les visualisations de la blogosphère française réalisées par l’équipe du RGTI de l’Université de Compiègne [66]. Sa cartographie montre une forte connexité interne des liens entre blogs partageant la même tendance politique. Cependant, les différents clusters de blogs de même couleur politique sont reliés entre eux par un tissu de liens sortant. Les polarisations partisanes prennent forme sur le fond d’un espace d’intercitation réciproque constituant l’écosystème global des blogs citoyens – espace lui-même fortement hiérarchisé par la réputation différente des blogs.
84Cette interdépendance entre zones fortement polarisées se retrouve aussi à propos de débats d’opinion dans lesquels l’affiliation partisane pèse moins sur l’expression individuelle du blogueur. Dans une étude sur les sites du « oui » et du « non » pendant la campagne référendaire autour du projet de constitution européenne du printemps 2005, les chercheurs du RGTI ont montré la structuration de deux « communautés compétitives » [67] de sites ayant un fort niveau de liens internes (surtout pour les partisans du non).
85Mais, ici encore, dans les deux camps, un nombre significatif de liens se dirigent vers des sites de l’autre camp (surtout du « oui » vers le « non », comme dans un souci de répondre, tardivement et moins massivement, à la réussite de la mobilisation des internautes du « non ») [68]. A la différence de la contamination homophile des liens dans les communautés de pairs, la blogosphère politique se caractérise donc par le fait que si les blogs d’une même tendance ont une tendance forte à se lier les uns aux autres pour former une polarité [69], les relations avec les blogs d’une couleur politique, ou d’une tendance d’opinion, différente ne disparaissent jamais. En l’absence d’enquête empirique sur ce point, on peut faire l’hypothèse que cette structure multipolaire sur fond d’interdépendance réciproque serait plus forte encore si était observé le réseau des liens entre posts et commentaires, plutôt que la composition des blogrolls et des liens sur les sites.
86Cette structuration particulière des énonciations « citoyennes » sur les blogs montre que, à la différence de la fermeture de l’organisation communautaire, elles ont besoin de se déployer dans un espace polyphonique assurant une pluralité de points de vue, une compétition polémique et une structuration interne des arguments. En portant des jugements personnels sur les objets impersonnels et partagés du débat public, les énonciateurs reconnaissent aussi les interdépendances entre les participants au même espace d’évaluation qu’eux. Cette organisation compétitive des jugements est au fondement de la mise en place d’un débat public et, dès qu’ils sont interrogés sur leurs pratiques, les participants se déclarent toujours en quête de débat avec les points de vue adverse [70]. A la différence des pratiques observées dans la troisième configuration, où les blogueurs mettent de côté les commentaires qui ne les intéressent pas ou qui ne semblent pas répondre à leur centre d’intérêt, les blogueurs citoyens se donnent souvent pour mission de répondre à leurs détracteurs et de discuter leurs arguments. En effet, la question du débat et de l’inscription de l’expression publique dans un espace polémique est indispensable au travail de distanciation auquel doit se livrer l’énonciateur.
87Les contenus des objets abordés dans les blogs n’appartiennent pas à l’énonciateur. Il s’agit de questions publiques, impersonnelles, faisant souvent l’objet d’une mise en forme préalable. Les blogueurs projettent leurs propres avis et commentaires sur des événements publics qu’ils commentent. Ils organisent ainsi des débats et des micro-sondages. Ils ne cessent de lancer des thèmes de discussion en demandant explicitement à leurs lecteurs de donner leurs avis et de les aider à se former le leur. Aussi voit-on se former de longs fils de discussion sur ces blogs (notamment au regard des autres configurations identifiées dans notre typologie qui sont presque exclusivement de type post/commentaire). Ici le blogueur répond à ses commentateurs qui leur répondent à leur tour. Parfois, le blogueur consacre des posts à la reprise d’un thème issu d’un commentaire et use alors du blog comme d’un système dialogique étendu. Cette dynamique conversationnelle est directement associée à la forme polyphonique de l’énonciation citoyenne qui laisse place à la diversité et à la contestation des vues de l’énonciateur « citoyen ».
CONCLUSION
88La typologie qui nous a accompagnés dans ce parcours de la blogosphère française propose une formalisation succincte de quatre modes d’énonciation ayant des effets différents sur la construction du public des commentateurs du blog. Elle ne fait cependant que reprendre, en essayant de les clarifier dans le contexte de la communication sur internet, des formes discursives stables et reconnues : le partage d’intimité entre anonymes, la conversation familière entre proches, la coordination communautaire et l’échange public des opinions. Aussi, la particularité de la blogosphère tient-elle surtout dans le fait qu’un même dispositif d’énonciation articule étroitement, et surtout publiquement, des formes d’expression si différentes que nous avions pris l’habitude de les distribuer sur des médias, dans des formats et comme des genres clairement isolés les uns des autres. Clarifier ces distinctions nous a semblé essentiel pour comprendre l’hétérogénéité des pratiques de blogging et les différences, irréductibles, de conception de l’espace public qu’elles adressent. Il existe, en effet, entre les différentes configurations d’énonciation des propriétés peu conciliables les unes avec les autres. Ainsi, la lecture des proches inhibe le déploiement des blogs intimistes ; la licence fictionnelle de l’énonciation intérieure est inquiétante dans l’échange familier et fautive dans les blogs citoyens ; la clôture communautaire entre pairs est impropre à la construction d’un espace ouvert de discussion publique ; l’identification professionnelle ou marchande corrompt les énonciations citoyennes ; la vindicte personnelle, ou l’expression du ressentiment, affaiblit la coordination spécialisée entre pairs ; les familiarités sont proscrites dans l’espace des opinions, etc.
89Chaque forme d’énonciation prédétermine un contexte de communication et des règles de comportement qui, pas à pas, avec la succession des posts et la constitution progressive d’un public de commentateurs réguliers, confère au blog dans son ensemble une identité particulière. Cette spécificité relative des formes d’énonciation explique d’ailleurs pourquoi il n’est pas rare que les blogueurs ouvrent plusieurs blogs de nature différente afin de ne pas mettre en tension des énonciations peu compatibles. Il n’en reste pas moins, qu’une fois ces différenciations acquises, l’intérêt de cet essai de formalisation de type-idéaux de communication sur les blogs réside plutôt dans les intervalles, les entre-deux et les hybridations que les blogueurs, sous certaines contraintes, parviennent à provoquer entre les types identifiés.
90Sans doute est-ce d’ailleurs à travers ces mélanges d’un nouveau type entre formes d’énonciation placées sous le regard du public qu’il faut chercher les « effets » les plus significatifs du développement des pratiques de blogging sur l’espace public.
Bibliographie
RÉFÉRENCES
- ADAMIC L., GLANCE N. (2005), “The Political Blogsphere and the 2004 US Election : Divided They Blog”, 2nd Annual Workshop on the Weblogging Ecosystem : Aggregation, Analysis and Dynamics, WWW2005.
- ALLARD L., VANDENBERGHE F. (2003), « Express Yourself ! Les pages perso entre légitimation techno-politique de l’individualisme expressif et authenticité reflexive peer-to-peer”, Réseaux, n° 117.
- ASHLEY C. (2001), “Weblogging : another kind of website”, Berkeley Computing and Communication, vol. 11, n° 4.
- BAUMAN Z. (2004), L’amour liquide. De la fragilité des liens entre les hommes, Rodez, Le Rouergue/Chambon.
- BEAUDOUIN V., LICOPPE C. (2002), « La construction électronique du lien social : les sites personnels. L’exemple de la musique », Réseaux, vol. 20, n° 116.
- BEAUDOUIN V., VELKOVSKA J. (1999), « Constitution d’un espace de communication sur Internet (forums, pages personnelles, courrier électronique…) », Réseaux, n° 97.
- BENVENISTE É. (1966), « De la subjectivité dans la langue », Problèmes de linguistique générale, 1, Paris, Gallimard.
- BIDART C. (1997), L’amitié. Un lien social, Paris, La Découverte.
- BIDART C., LE GALL D. (1996), « Les jeunes et leurs petits mondes. Relations, cercles sociaux, nébuleuses », Cahiers de la MRSH, 5.
- BOLTANSKI L., CHIAPELLO E. (1999), Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard.
- BOLTANSKI L. (2004), La condition fœtale. Une sociologie de l’engendrement et de l’avortement, Paris, Gallimard.
- BOURDIEU P. (1987), « La dissolution du religieux », Choses dites, Paris, Minuit.
- CARDON D. (1995), « “Chère Menie…” Émotions et engagements de l’auditeur de Menie Grégoire », Réseaux, n° 70.
- CARDON D. (1995), « Comment se faire entendre ? Les prises de parole des auditeurs de RTL », Politix, n° 31.
- CARDON D., GRANJON F. (2003), « Éléments pour une approche des pratiques culturelles par les réseaux de sociabilité », DONNAT O., TOLILA P., dir., Les public(s) de la culture, Paris, Presses de Sciences Po.
- CARDON D., HEURTIN J.-P., LEMIEUX C. (1995), « Parler en public », Politix, n° 31. DE ROSNAY J. (2006), La révolte du pronetariat. Des mass média aux médias des masses, Paris, Transversales/Fayard.
- DELAUNAY-TÉTEREL H. (2004), Les usages du blog : une production et une diffusion de contenu personnel destiné à la rencontre de l’autre et de sa culture, Mémoire de DESS IESS, Rapport FT R&D, Université de Lille.
- DUBET F. (2002), Le déclin de l’institution, Paris, Seuil.
- ELIASOPH N. (1998), Avoiding Politics : How Americans Produce Apathy in Everyday Life, Cambridge, Cambridge University Press.
- FABRE D. (dir.) (1997), Par Écrit. Ethnologie des écritures quotidiennes, Paris, Edition de la MSH.
- FLICHY P. (2001), L’imaginaire d’Internet, Paris, La découverte.
- FLORIDA R. (2004), The Rise of the Creative Class. And how It’s transforming Work, Leisure, Community and Everyday Life, New York, Basic Books Group.
- FOSSÉ-POLIAK C. (2003), « Le monopole du pouvoir de consécration en question ? “Tous écrivains avec France Loisirs” », Réseaux, n° 117.
- GENSOLLEN M. (2003), « Biens informationnels et communautés médiatées », Revue d’économie politique, n° 113, Dalloz.
- GENSOLLEN M. (2004), « Economie non rivale et communautés d’informations », Réseaux, n° 124, vol. 22.
- GIDDENS A. (2004), La transformation de l’intimité. Sexualité, amour et érotisme dans les sociétés modernes, Paris, Le Rouegue/Chambon.
- GILLMOR D. (2004), We the Media. Grassroots journalism by the people, for the people, Cambridge, O’Reilly.
- HAHN A. (juin 1986), « Contribution à la sociologie de la confession et autres formes institutionnalisées d’aveu. Autothématisation et processus d’aveu », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 62-63.
- HENNION A., MAISONNEUVE S., GOMART E. (2000), Figures de l’amateur. Formes, objets, pratiques de l’amour de la musique aujourd’hui, Paris, La Documentation française.
- HERRING S., SCHEIDT L., BONUS S., WRIGHT E. (2004), “Bridging the Gap : A genre Analysis of Weblogs”, Proceedings 37th Annual HICSS Conference, Hawaii.
- HERRING S., SCHEIDT L., KOUPER I., WRIGHT E. (2006), “A Longitudinal Content Analysis of Weblogs : 2003-2004”, Tremaye (Mark), ed., Blogging, Citizenship and the Future of Media, London, Routledge.
- HINDMAN M., TSIOUTSIOULIKLIS K., JOHNSON J. (2003), ““Googlearchy”: How a Few Heavily-Linked Sites Dominate Politics on the Web”, Annual meeting of the midwest political science association, Chicago, avril.
- HONNETH A. (2000), La lutte pour la reconnaissance, Paris, Cerf, [1ère éd. : 1992].
- JENKINS H. (1991), Textual Poacher : Televisions Fans and Participatory Culture, New York, Routledge.
- KAUFMANN J.-C. (2004), L’invention de soi. Une théorie de l’identité, Paris, Armand Colin.
- LEADBEATER C., MILLER P. (2004), The Pro-Am Revolution. How enthusiasts are changing our economy and society, Demos. [[http :// www. demos.co.uk /publications/proameconomy]. LE BRETON D. (1999), L’adieu au corps, Paris, Métailié.
- LEJEUNE P. (2000), « Cher écran… », Journal personnel, ordinateur, Internet, Seuil, Paris.
- LENTO T., WELSER H., GU L., SMITH M. (2006), “The Ties that Blog : Examining the Relationship Between Social Ties and Continued Participation in the Wallop Weblogging System”, 3rd annual workshop on the Weblogging Ecosystem : aggregation, Analysis and Dynamics, Edimburgh, WWW06 2006.
- LESSIG L. (2004), Free Culture, New York, Penguin Press. LEV-ON A., MANIN B. (2006), « Internet : la main invisible de la délibération », Esprit.
- LICOPPE C. (2002), « Sociabilité et technologies de communication. Deux modalités d’entretien des liens interpersonnels dans le contexte du déploiement des dispositifs de communication mobiles », Réseaux, vol. 20, n° 112-113.
- LIVINGSTONE S. (2004), « Du rapport entre audiences et publics », Réseaux, vol. 22, n° 126.
- MANIN B. (2004), « Délibération et discussion », Revue suisse de science politique, vol. 10, n° 4.
- MEHL D. (1996), La télévision de l’intimité, Paris, Seuil.
- MENGER P.-M. (2002), Portrait de l’artiste en travailleur. Métamorphoses du capitalisme, Paris, Seuil.
- METTON C. (2004), « Les usages de l’Internet par les collégiens. Explorer les mondes sociaux depuis le domicile », Réseaux, vol. 22, n° 123.
- MISHNE G., GLANCE N. (2006), “Leave a Reply : An analysis of Weblog Comments”, 3rd annual workshop on the Weblogging Ecosystem : aggregation, Analysis and Dynamics, Edimburgh, WWW06 2006.
- NARDI B., SCHIANO D., GUMBRECHT M. (2004), “Blogging as Social Activity or ‘Would You Let 900 Million People Read Your Diary ?’”, Proceedings of Computer-Supported Cooperative Work, Chicago, Illinois.
- PALDACCI M. (2003), « Les quatre mondes du journal intime. Analyse statistique d’un corpus de journaux intimes écrits et publiés sur Internet », Terrains & Travaux, n° 5.
- PASQUIER D. (2005), Cultures lycéennes. La tyrannie de la majorité, Paris, Autrement. QUÉRÉ L. (1990), « L’opinion : L’économie du vraisemblable. Introduction à une approche praxéologique de l’opinion publique », Réseaux, n° 43.
- SCHEIDT L. (2006), “Adolescent diary weblogs and the unseen audience”,
- BUCKINGHAM D., WILLETT R., eds, Digital Generations : Children, Young People and New Media, London, Lawrence Erlbaum.
- SEARLE J. (1982), Sens et expression. Etudes de théorie des actes de langage, Paris, Minuit (1re éd. américaine : 1979).
- SIMMEL G. (1984), « Digressions sur l’étranger », GRAFMEYER Y., JOSEPH I., dir., L’école de Chicago. Naissance de l’écologie urbaine, Paris, Aubier.
- SINGLY F. de (2005), L’individualisme est un humanisme, Paris, Éditions de l’Aube.
- SINGLY F. de (2003), Les uns avec les autres. Quand l’individualisme crée du lien, Paris, Armand Colin.
- STROMER-GALLEY J. (2003), “Diversity of Political Conversation on the Internet : Users’ Perspectives”, Journal of Computer Mediated Communication, vol. 8, n° 3.
- SUNSTEIN C. (2002), Republic.com, Princeton, Princeton University Press. THÉVENOT L. (2006), L’action au pluriel. Sociologie des régimes d’engagement, Paris, La Découverte. VIÉGAS F. (2005), “Bloggers’ Expectations of Privacy and Accountability. An Initial Survey”, Journal of Computer-Mediated Communication, vol. 10, n° 3.
Notes
-
[*]
Merci à Anne-Sylvie Pharabod pour sa relecture attentive et ses conseils.
-
[1]
ALLARD et VANDENBERGHE, 2003.
-
[2]
DE SINGLY, 2003.
-
[3]
A partir d’un corpus de 36 000 blogs collectés sur l’index de Blogpulse pendant 15 jours en juillet 2005, MISHNE et GLANCE (2006) ont montré que les commentaires correspondaient à 30 % des contenus publiés dans la blogosphère.
-
[4]
BEAUDOUIN et VELKOVSKA, 1999.
-
[5]
Dans ce travail, on entendra principalement par public du blog l’espace des commentateurs (auquel s’ajoute celui des personnes listées dans les blogrolls) et moins le public des lecteurs tel qu’il est mesuré par les indicateurs de nombre de visites.
-
[6]
Cet article s’appuie sur un ensemble de 27 entretiens avec des blogueurs (avril-juillet 2004) visant à retracer certains éléments biographiques, la naissance et la carrière du blog et les effets de la tenue du blog sur l’expérience et la situation sociale des interviewés. Nous nous sommes limités à des blogs personnels francophones, tenus par un seul et même individu, régulièrement alimenté et à caractère public. Nous avons ainsi écarté les blogs collectifs, les blogs de stars et les blogs d’entreprise. Par ailleurs, nous avons complété ces entretiens par la lecture et le suivi détaillé de nombreux autres blogs de différentes plateformes – principalement overblog et 20six – en portant cette fois une attention spécifique à la dynamique d’interaction entre le blogueur et ses commentateurs. Sur les 27 personnes interviewées dans notre enquête, les deux tiers sont des hommes et l’âge moyen est de 29 ans (avec une dispersion des âges entre 16 et 40 ans). Les deux tiers de l’échantillon résident en région parisienne. 89 % sont des actifs (contre 11 % d’étudiants), mais plus d’un tiers travaille en situation de relative précarité : 37 % des emplois sont liés à l’informatique et 11 % au journalisme. Enfin, la caractéristique la plus significative de notre échantillon est la place très importante des personnes célibataires (2/3) et l’absence d’enfant à charge (80 %). Cf. DELAUNAY-TETEREL, 2004.
-
[7]
DE ROSNAY, 2006.
-
[8]
Sur la base d’un échantillon de 3,6 millions de blogs, J. Henning a montré que 66 % d’entre eux n’avait pas été réactualisé depuis deux mois et qu’il fallait considérer la plupart de ces blogs comme « morts ». Cf. hhttp :// www. perseus. com/ blogsurvey/ iceberg. html
-
[9]
HERRING, SCHEIDT, KOUPER et WRIGHT, 2006.
-
[10]
La corrélation entre la popularité d’un blog (mesurée par le nombre de visites et de liens entrants) et le nombre de ses commentaires a été mise en évidence par MISHNE et GLANCE, 2006 et LENTO et al., 2006.
-
[11]
ASHLEY, 2001.
-
[12]
Ces témoignages se retrouvent dans l’ensemble des travaux conduits à partir d’interviews de blogueurs (NARDI et al., 2004 ; HERRING et al., 2004). Il faut cependant noter que, dans des cas très minoritaires, certains blogueurs font parfois part de leurs réticences devant les commentaires des autres, soit qu’ils considèrent leur blog à la manière d’une œuvre littéraire comme appelant une lecture sans retour, soit qu’ils tiennent leur blog pour un écrit intime (ou bien un bloc-notes) dont ils ne souhaitent pas partager la lecture. Les autres, en revanche, ne découvrent que chemin bloggant à quel point les commentaires imposent des obligations de régularité, de qualité et de suivi qu’ils n’imaginaient pas en écrivant leur premier post. Avec parfois un peu de coquetterie, ils peuvent alors regretter ou se plaindre de la pression inattendue qu’exerce sur eux leur public. Sur la lecture et le suivi des commentaires par les blogueurs, cf. VIÉGAS, 2005.
-
[13]
BEAUDOUIN et LICOPPE, 2002.
-
[14]
CARDON, HEURTIN et LEMIEUX, 1995.
-
[15]
HENNION, MAISONNEUVE et GOMART, 2000.
-
[16]
LESSIG, 2004.
-
[17]
GENSOLLEN, 2003.
-
[18]
BENVENISTE, 1966 ; SEARLE, 1982.
-
[19]
Cette recherche est menée dans le cadre du projet Autograph du RNRT : http ://overcrowded.anoptique.org/ProjetAutograph
-
[20]
LEJEUNE, 2000.
-
[21]
GIDDENS, 2004.
-
[22]
Sur cette transformation, cf. HAHN, 1986 ; BOURDIEU, 1987.
-
[23]
Sur cette transformation dans l’espace télévisuel, cf. MEHL, 1996.
-
[24]
CARDON, HEURTIN et LEMIEUX, 1995.
-
[25]
HONNETH, 2000.
-
[26]
SCHEIDT, 2006.
-
[27]
GIDDENS, 2004.
-
[28]
KAUFMANN, 2004.
-
[29]
BAUMAN, 2004. Voir aussi l’article d’Eva Illouz dans ce numéro.
-
[30]
BOLTANSKI, 2004.
-
[31]
Il faut, à notre sens, expliquer ainsi les résultats du travail de HERRING et al., 2004, constatant la faiblesse du nombre moyen de commentaires dans les blogs (0,3 commentaire par post) d’un très large échantillon. On ne peut conclure de ces données que les blogs ne sont pas « conversationnels ». Simplement, les blogs journaux intimes (très nombreux dans la blogosphère) « conversent » avec eux-mêmes sous le regard des autres en ne sélectionnant que quelques rares liens privilégiés pour entretenir un échange durable.
-
[32]
SIMMEL, 1984. La référence est empruntée à PALDACCI (2003, p. 7).
-
[33]
CARDON, 1995.
-
[34]
SINGLY, 2005, p. 14-15.
-
[35]
Ce n’est que par une généralisation abusive de ce mode particulier de communication à l’ensemble des échanges sur internet que certains discours critique associent le cyberespace à une virtualité déréalisante et désincorporée, cf. LE BRETON, 1999, p. 139-178.
-
[36]
Voir l’article « Le blogueur à l’épreuve de son blog » dans ce numéro.
-
[37]
THÉVENOT, 2006.
-
[38]
BEAUDOUIN et VELKOVSKA, 1999.
-
[39]
FABRE, 1997.
-
[40]
LICOPPE, 2002.
-
[41]
METTON, 2004.
-
[42]
Notons que la sociabilité professionnelle est relativement absente de ce type de communication sur les blogs. On la retrouvera, en revanche, dans le troisième type de communication de notre typologie. Dans le régime familier, la présence des collègues n’apparaît seulement que si ceux-ci sont aussi définis comme des amis proches. En revanche, il est probable que ce mode de communication est fréquent sur les blogs d’entreprises fermés au regard extérieur.
-
[43]
DUBET, 2002.
-
[44]
LIVINGSTONE, 2004.
-
[45]
BIDART, 1997.
-
[46]
Les préadolescents ouvrent leur blogs à leurs parents, parlent d’eux et les montrent beaucoup en photo sur leur site. Cependant à partir de 16 ans, on observe généralement une mise à distance de l’univers parental au profit des seuls amis (les parents n’ayant souvent même plus connaissance du pseudo de leurs adolescents). Voir l’article de Cédric Fluckiger dans ce numéro, « Instrumenter la sociabilité juvénile : l’appropriation des blogs dans un groupe de collégiens ».
-
[47]
PASQUIER, 2005.
-
[48]
Idem.
-
[49]
BIDART et LE GALL, 1997 ; CARDON et GRANJON, 2003.
-
[50]
GENSOLLEN, 2004.
-
[51]
Ce travail de catégorisation de soi explique pourquoi certains blogs relevant plutôt du premier type présentent des réseaux relationnels du troisième type. En effet, à travers certaines catégorisations de la personne intime, notamment celles portant sur des souffrances psychiques, se retrouvent parfois des collectifs qui vont créer entre eux un réseau d’échanges denses et prendre une forme communautaire. C’est le cas par exemple des anorexiques ou des suicidaires.
-
[52]
JENKINS, 1991.
-
[53]
FLORIDA, 2004 ; MENGER, 2002 ; BOLTANSKI et CHIAPELLO, 1999.
-
[54]
LEADBEATER et MILLER, 2004.
-
[55]
FOSSÉ-POLIAK, 2003.
-
[56]
GENSOLLEN, 2003, p. 32-33.
-
[57]
FLICHY, 2001.
-
[58]
GILLMOR, 2004.
-
[59]
Nous reprenons ici une tripartition proposée par le blogueur « citoyen » Versac : http ://vanb.typepad.com/versac/2005/12/sociologie_des_.html.
-
[60]
QUÉRÉ, 1990 ; CARDON, 1995.
-
[61]
MANIN (2004) a montré que l’exposition à des points de vue « divers » était insuffisante pour réunir les conditions idéales d’une délibération publique. Hiérarchiser divers points de vue pour retenir la moins mauvaise solution ne permet pas d’interroger les croyances préalables des acteurs, et favorise un conformisme de la moyenne. En revanche, la confrontation avec des points de vue « adverses », contestant dans ses fondements les croyances préalables des acteurs, favorise l’exercice démocratique d’une véritable délibération.
-
[62]
SUNSTEIN, 2002.
-
[63]
LEV-ON et MANIN, 2006.
-
[64]
HINDMAN, TSIOUTSIOULIKLIS et JOHNSON, 2003.
-
[65]
ADAMIC et GLANCE, 2005.
-
[66]
Etude réalisée par F. Ghitalla et G. Fouetillou, cf. hhttp :// www. observatoire-presidentielle. fr.
-
[67]
Cette division en sous-communautés de points de vue opposés se retrouve aussi dans les débats sur l’avortement, le contrôle des armes ou la peine de mort aux Etats-Unis, cf. HINDMAN et al., 2004.
-
[68]
hhttp :// www. utc. fr/ rtgi/ index. php ? rubrique= 1&sousrubrique= 0&study= constitution.
-
[69]
Rappelons que la préférence pour la discussion avec des personnes ayant la même opinion n’est pas, en soi, une propriété des débats politiques sur internet. Cette orientation du comportement s’observe aussi constamment dans la structuration des réseaux d’échanges dans la « vie réelle ». Cette explication est, par exemple, au cœur de l’ouvrage d’ELIASOPH (1998) sur l’apathie politique aux Etats-Unis.
-
[70]
Dans une enquête représentative par interviews auprès de participants à des forums de discussion politique, STROMER-GALLEY (2003) a montré que, contrairement aux présupposés de la perspective « homophile », les acteurs étaient à la recherche de débat controversé et prenaient plaisir à participer à des fils de discussion avec des personnes ne partageant pas leur vue. Sans doute peut-on même soutenir que l’internet favorise des rencontres argumentatives avec des opinions adverses plus fréquentes que celles que nous sommes amenés à faire dans la vie « réelle ».