Notes
-
[1]
Nancy Jo Sales, « Tinder and the Dawn of the Dating Apocalypse » (Tinder et l’aube de l’apocalypse des rencontres, notre traduction), 6 juin 2015, en ligne.
-
[2]
« Romance gets swiped from the screen », notre traduction de Sales, op. cit.
-
[3]
« Wanna fuck ? », notre traduction de Sales, op. cit.
-
[4]
L’enquête, l’échantillon et la méthode seront succinctement présentés en première partie de cet article.
-
[5]
Les applications de rencontres de seconde génération se caractérisent, selon Emmanuel Kessous, par la facilité d’utilisation, la possibilité d’y avoir accès en permanence via son téléphone portable et la géolocalisation. Beaucoup de ces applications fonctionnent sur le système de « swipe », c’est-à-dire sur la fonctionnalité qui permet de faire glisser d’un côté ou de l’autre de l’écran les profils des utilisateurs pour manifester, ou non, son intérêt.
-
[6]
Extrait d’entretien avec William, étudiant en STAPS de 23 ans.
-
[7]
14 de nos enquêtés sont en études supérieures au moment de l’enquête (dont 8 en sciences sociales), 12 ont des professions dites « intellectuelles supérieures » (principalement dans la fonction publique, dans la recherche ou dans le secteur médical ou paramédical), six ont des professions « intermédiaires » (principalement dans l’enseignement ou dans le secteur associatif), quatre sont inactifs, un est chef d’une petite entreprise et un est employé.
-
[8]
« […] engaging directly with an app’s interface to examine its technological mechanisms and embedded cultural references to understand how it guides users and shapes their experiences », notre traduction de Light et al., 2016, p. 882.
-
[9]
Expression utilisée par Tinder désignant le fait que deux utilisateurs aient exprimé leur intérêt mutuel sur la plateforme.
-
[10]
C’est par exemple le cas de Once, application de rencontres française. Afin de se positionner comme une application de rencontres « de qualité », elle propose un seul profil par jour aux « célibataires soucieux de trouver l’amour ».
-
[11]
Le raisin est le fruit proposé par Fruitz pour la recherche d’un partenaire pour aller boire un verre.
-
[12]
Expression dérivée du mot « charognard », utilisée négativement pour qualifier un homme.
-
[13]
Ces deux expressions sont tirées de nos entretiens.
-
[14]
Rares sont les personnes enquêtées qui déclarent avoir déjà loué un lieu dédié à la rencontre sexuelle. Dans leurs représentations, la chambre d’hôtel renvoie plutôt aux scripts de l’adultère ou de la prostitution, deux figures régulièrement citées et tenues à distance.
1 En août 2015, le magazine américain Vanity Fair publie un article fustigeant les applications de rencontres [1], prenant pour témoins une poignée de jeunes utilisateurs désabusés. Accusant Tinder d’avoir chassé la romance hors des écrans [2], l’article annonce la fin d’une ère en matière de sexualité : autrefois enjeu romantique, voire amoureux, l’accès à la sexualité des jeunes adultes serait devenu « facile » et se passerait de toute forme de séduction. Sur les applications de rencontres, la recherche d’un partenaire ne serait devenue qu’une simple banalité n’ayant pour seul obstacle que la batterie de nos téléphones portables. Un simple « tu veux baiser ? » [3] suffirait à trouver un partenaire d’une nuit, comme si l’application se substituait à toute autre forme de mise en scène.
2 Rencontrés dans le cadre d’une enquête sur la sexualité dite « sans lendemain » [4], plusieurs jeunes utilisateurs d’applications de rencontres de seconde génération [5] (Kessous, 2022) avancent l’idée que puisque « tout le monde est là pour ça » [6], la rencontre sexuelle ne nécessite aucune négociation. Pour autant, si Tinder et consorts sont utilisés comme des outils qui facilitent l’accès à la sexualité récréative (Bergström, 2019), les rencontres d’un soir ne semblent pas systématiquement se passer d’une mise en scène préalable au rapport sexuel.
3 Cet article propose de questionner, en croisant sociologie des dispositifs techniques et sociologie de la sexualité, la manière dont les applications de rencontres se construisent comme des outils qui permettent, voire encouragent, la sexualité sans lendemain chez les jeunes hétérosexuels urbains diplômés et la façon dont ces utilisateurs s’en saisissent. Si plusieurs travaux se sont déjà penchés sur le lien entre plateformes numériques de rencontres et sexualité récréative, notamment dans le contexte anglophone (Duguay et al., 2017) et chez les hommes gays (Race, 2014 ; Rivière et al., 2015), notre article interroge, à partir de l’étude de cas de l’utilisation de Fruitz et Tinder par notre échantillon, le contexte français contemporain et hétérosexuel.
4 En mobilisant la sociologie des objets techniques, nous considérerons les applications de rencontres comme des dispositifs qui créent des scripts d’usage, c’est à dire des scénarios « définissant un espace, des rôles et des règles d’interaction entre les différents acteurs » (Akrich, 1990, p. 3). Nous montrerons que, dans le cas des applications Tinder et Fruitz, ce script participe à orienter les usagers vers des relations sexuelles récréatives. Mais considérant que les utilisateurs ne sont pas seulement agis par les plateformes et qu’ils agissent en retour, nous nous pencherons sur les rencontres d’un soir en montrant qu’elles reposent également sur des scripts sexuels (Gagnon et Simon, 2005), c’est-à-dire sur des scénarii qui rendent possible, organisent et donnent du sens à la sexualité humaine. Ce faisant, nous questionnerons les relations récréatives nouées sur ces applications et leurs significations pour les personnes rencontrées dans notre enquête.
Enquêter la sexualité sans lendemain sur les applications de rencontres : échantillon et méthode
5 Cette réflexion autour des applications de rencontres repose sur une thèse de doctorat en sociologie, en cours de réalisation, portant sur les relations sexuelles dites « sans lendemain » chez les jeunes hétérosexuels urbains. On entend par sexualité sans lendemain toute rencontre sexuelle entre des partenaires qui n’envisagent pas leur relation sur le long terme. Cette sexualité se caractérise par un renouvellement fréquent des partenaires sexuels (voire un multipartenariat), un engagement temporel relativement faible (avec une fin de la relation à plus ou moins long terme), une négociation autour des pratiques sexuelles contraintes par le temps dont disposent les partenaires et une mise à distance relative de la figure conjugale. L’expression « sexualité sans lendemain » recouvre donc une multitude de relations différentes, des partenaires sexuels réguliers aux relations entre des partenaires qui ne se connaissent pas et qui ne se verront qu’une seule fois. Si cette recherche ne porte pas directement sur les applications de rencontres, nombreuses sont les personnes enquêtées qui ont eu recours à elles dans l’optique de trouver des partenaires d’un soir. Dans leurs discours, le lien entre applications et rencontres d’un soir est souvent présenté comme une évidence, nous y reviendrons plus tard.
6 Cette enquête repose sur 38 entretiens semi-directifs biographiques rétrospectifs interrogeant les parcours sexuels et affectifs et les pratiques sexuelles sans lendemain, de la rencontre jusqu’à la séparation des partenaires. Menés entre janvier 2021 et juillet 2022, ces entretiens interrogent 22 femmes et 16 hommes, âgés de 21 à 38 ans, ayant eu des expériences hétérosexuelles qu’ils qualifient de « sans lendemain ».
7 Notre échantillon présente des spécificités à la fois en termes d’âge (seuls deux de nos enquêtés continuent à avoir des relations récréatives après leurs 30 ans) et de classe. Majoritairement issus de l’enseignement supérieur ou de professions intellectuelles supérieures [7], nos enquêtés entretiennent un rapport intellectualisé à la sexualité (c’est d’ailleurs leur intérêt pour une approche sociologique – parfois même politique – qui motive leur participation à notre enquête) et disposent de ressources qui leur permettent de séparer la sexualité de sa dimension conjugale et affective (Bajos et Bozon, 2012).
8 Parmi les applications de rencontres utilisées par ces enquêtés, deux plateformes reviennent de manière récurrente : Tinder, application phare dans le domaine de la rencontre hétérosexuelle (Duguay, 2016) et Fruitz, application française qui se distingue en permettant de préciser le type de relations recherchées. Dans cet article, nous nous concentrerons donc sur ces deux applications, à partir des entretiens qui relatent les expériences de nos enquêtés, mais aussi de notre propre expérience objectivée par la walkthrough method qui permet, par l’observation, de « s’engager directement dans l’interface d’une application pour examiner ses mécanismes technologiques et ses références culturelles intégrées afin de comprendre comment elle guide les utilisateurs et façonne leurs expériences » [8] (Light et al., 2016). En effet, d’abord dans l’optique de trouver des enquêtés hétérosexuels puis d’observer directement ce que les plateformes font à la recherche de partenaires, nous avons nous-mêmes créé un profil sur ces applications.
Encourager la sexualité sans lendemain par les scripts d’usage
9 Alors que l’hétérosexualité ordinaire ne connaît que peu de lieux dont la seule spécialité consiste en la mise en relation de partenaires (Deschamps et Gaissad, 2008), les plateformes numériques de rencontres font figure d’exceptions (Bergström, 2019). Œuvrant à la mise en relation de leurs utilisateurs qui recherchent des partenaires amoureux et/ou sexuels, ces plateformes se construisent en outils pour les rencontres hétérosexuelles, participant à les « désencastrer […] d’autres pratiques sociales » (Bergström, 2014, p. 44).
10 D’abord décriés pour « leur manière de transformer la rencontre en service commercial » (Bergström, 2019, p. 28), les sites et les applications de rencontres voient leur usage banalisé, tout particulièrement chez les jeunes adultes. En 2006, ce sont 47 % des 18-30 ans qui déclarent avoir utilisé une application de rencontres (Bajos et Bozon, 2006).
11 Les plateformes numériques de rencontres se caractérisent donc par leur large diffusion, mais aussi par leur spécialisation des rencontres. Ces sites et applications ciblent différents publics (rencontres par affinités politiques ou religieuses, passions ou loisirs, etc.) et s’attachent à une spécialisation des pratiques et des relations. C’est justement la spécialisation dans les relations sexuelles sans lendemain qui nous intéressera dans cet article. En observant les interfaces et les fonctionnalités proposées, nous monterons en quoi Tinder et Fruitz se prêtent au script de la rencontre d’un soir.
12 Lancée en 2012, Tinder est une application de rencontres gratuite (dont certaines fonctionnalités sont payantes) qui s’impose comme une référence en ce qui concerne les rencontres en ligne. Téléchargée plus de 340 millions de fois à travers le monde, elle revendique 26 millions de « matchs » [9] par jour et 30 milliards depuis sa création. Plateforme phare dans le paysage des applications de rencontres, son fonctionnement inspire ses concurrentes qui lui empruntent ses codes, son interface et son vocabulaire. Tinder ne se présente pas explicitement comme une application spécialisée dans les rencontres sexuelles. Sur les plateformes de téléchargement, elle propose de « trouver l’amour, d’étendre votre cercle d’amis, de rencontrer des habitants d’une région que vous visitez, ou simplement de vivre l’instant présent », restant très évasive sur la possibilité d’être mis en relation avec des partenaires sexuels.
13 Fruitz est quant à elle bien plus explicite sur la possibilité de trouver des partenaires d’un soir. Créée en 2017, cette application gratuite française se distingue en proposant à ses utilisateurs de désigner par un fruit le type de relations qu’ils recherchent sur la plateforme : la cerise « pour trouver sa moitié », le raisin « pour un verre de vin sans se prendre la grappe », la pastèque « pour des câlins récurrents sans pépins » et la pêche « pour une envie de pêcher avec toi » (signifiant la recherche de partenaires d’un soir). Mais si Fruitz se distingue de Tinder sur cet aspect, elle lui reste tout de même très similaire et lui emprunte son fonctionnement et son interface. Les « matchs » deviennent des « smoothies » pour filer la métaphore fruitière.
Des plateformes ludiques au service de la jeunesse sexuelle
14 Tinder et Fruitz se construisent comme des plateformes ludiques, principalement investies par les jeunes adultes. Sur son site internet, Tinder souligne d’ailleurs que plus de 50 % de ses membres sont âgés de 18 à 25 ans.
15 C’est donc à un public de jeunes adultes que ces deux plateformes s’adressent et leur promotion participe à les désigner comme cible : utilisation de profils de jeunes adultes sur les réseaux sociaux ou sur les plateformes de téléchargement, partenariats avec de jeunes influenceurs, présence régulière sur les réseaux sociaux, recours à un vocabulaire anglophone sans jamais en proposer une traduction (comme si leurs utilisateurs en avaient parfaitement intégré la signification : « match », « like », « swipe », « date », etc.).
16 Contrairement à certains sites qui ciblent des adultes plus âgés et qui jouent la carte des « rencontres sérieuses » (c’est par exemple le cas d’EliteRencontre), Tinder et Fruitz ne se positionnent pas sur le créneau des rencontres dites de « qualité ». On observe donc une opposition entre profils plus matures à la recherche de relations « sérieuses » et profils de jeunes adultes en quête de relations récréatives. En ce sens, Tinder et Fruitz se construisent comme des outils d’accès à la jeunesse sexuelle (Toulemon, 2008) en permettant notamment un accès massif et ludique à des partenaires. Pour les jeunes adultes, qui bénéficient du droit à s’amuser, à découvrir et à expérimenter (Galland, 2011), la recherche de partenaires sur ces plateformes de rencontres prête peu à conséquences (Bergström, 2019) et peut donc être vécue comme une activité amusante.
17 L’aspect amusant de ces applications repose sur une interface ludique et colorée qui renforce l’idée que la recherche de partenaires est un jeu idéal pour accéder à une sexualité récréative.
18 Lorsque l’on ouvre Tinder, on se retrouve directement sur la photo accompagnée du prénom, de l’âge et de la biographie (si elle existe) des potentiels partenaires. La place centrale de la photo de profil nous renseigne sur l’importance de l’apparence physique dans la recherche de partenaires (Kessous, 2022). En cliquant sur la photo, on accède à plus de détails sur le profil. L’application propose par exemple d’associer les profils à des badges qui en disent plus sur les passions de ses utilisateurs (« nature », « cuisine », « prendre un verre », etc.) ou encore sur leur signe astrologique, leur présence sur d’autres réseaux sociaux ou leur chanson préférée.
19 Tinder réduit les possibilités de ses utilisateurs à cinq actions (symbolisées par des pictogrammes particulièrement colorés) : retrouver un profil passé (fonctionnalité payante), signifier son désintérêt, notifier directement son intérêt à un utilisateur par un superlike (fonctionnalité limitée), signifier son intérêt par un like et augmenter momentanément la visibilité de son profil (fonctionnalité payante). Mais le choix de partenaires peut également se limiter à un seul mouvement : swiper (glisser) la photo vers la gauche (pour passer un profil) ou vers la droite (pour le « like »). Le choix d’un profil peut donc se faire d’un simple coup de pouce et s’accompagne d’animations sonores.
20 L’application repose également sur un code esthétique ludique, parfois similaire à celui des jeux mobiles. En plus de son code couleur bariolé, Tinder propose des animations lors de certaines interactions : si deux utilisateurs expriment mutuellement leur intérêt, l’écran s’illumine d’un « It’s a match » vert fluo, comme pour féliciter les usagers de leur succès. Autre exemple, pour découvrir un admirateur secret (un utilisateur dont on n’a pas encore « liké » le profil, mais qui nous a déjà « liké »), une page dorée apparaît. Sur l’écran étincelant, l’usager devra faire un choix entre quatre cartes animées aussi mystérieuses que pailletées : « une personne vous admire en secret. Devinez sous quelle carte elle se trouve ? ». Ces quelques exemples nous montrent que Tinder se présente comme une application amusante et divertissante. Reposant sur des interactions simples qui relèvent du jeu, l’utilisation de la plateforme se veut avant tout récréative.
21 Cette identité visuelle amusante, fraîche et colorée se retrouve également chez Fruitz, qui propose, comme son nom l’indique, un univers lié aux fruits. L’application, dont le logo est un pictogramme de pêche (qui, pour rappel, est destinée sur l’application à la recherche de « coups d’un soir »), se présente exactement de la même manière que Tinder.
22 Tinder et Fruitz se construisent comme des outils qui rendent simple et ludique la recherche de partenaires. Puisque l’utilisation de ces applications est désormais répandue chez les jeunes adultes et que la recherche de partenaires est vécue sur le mode de l’amusement, ces plateformes ouvrent l’accès à des relations dites « légères », « sans prise de tête » qui ne nécessitent pas un engagement relationnel sur le long terme. C’est d’autant plus flagrant chez Fruitz puisque l’application propose explicitement deux types de relations qui incluent des rapports sexuels récréatifs : les relations sexuelles récurrentes entre amis ou connaissances (grâce à la pastèque) et les relations sexuelles d’un soir (grâce à la pêche).
23 Dans notre échantillon d’enquêtés, les utilisateurs soulignent l’aspect facile et divertissant de la recherche de partenaires sur ces applications. La mise en couple exclusif et durable n’étant pas une priorité dans leur parcours sexuel, la recherche de partenaires ne doit pas être vécue comme une contrainte. Puisque ces applications permettent d’avoir accès à des partenaires sexuels sans avoir à s’investir dans une relation sur le long terme, ces jeunes adultes ont la possibilité d’entretenir des relations sexuelles tout en gardant l’opportunité d’aisément entrer et sortir de ces relations. Même si la recherche de partenaires sexuels d’un soir n’est pas toujours explicitement mise en avant, on retrouve dans beaucoup de parcours la volonté de rencontrer des partenaires sans nécessairement s’engager, à l’instar de Camille qui s’inscrit sur Tinder après une rupture amoureuse et qui se dit : « tu vas peut-être rencontrer des gens et puis tu verras bien. Au pire des cas, c’est marrant » (extrait d’entretien avec Camille, étudiante en sciences humaines et sociales de 24 ans).
24 En somme, par leur interface et leur fonctionnement qui associent le jeu et la mise en relation, Fruitz et Tinder créent un script d’usage propice à la sexualité récréative. Ne cherchant pas de relations stables, nos enquêtés peuvent donc se saisir de ces outils pour la recherche de partenaires d’un soir.
Une massification de l’offre potentielle de partenaires
25 Tinder et Fruitz ont aussi pour point commun de proposer un accès massif à des profils d’utilisateurs, élément nécessaire à la sexualité sans lendemain qui se caractérise notamment par un renouvellement fréquent des partenaires sexuels. Cet accès à des partenaires est d’autant plus important pour notre échantillon qui profite de la concentration urbaine pour multiplier les rencontres.
26 Tinder et Fruitz mettent à disposition de leurs utilisateurs une quantité importante de profils à « swiper », constamment renouvelés. Même dans le cas de Fruitz qui propose d’indiquer la raison de la présence sur l’application, ces profils sont présentés sans tri préalable sur les motivations des usagers. Contrairement à certaines de leurs concurrentes qui choisissent de restreindre le nombre de profils pour proposer des rencontres dites « de qualité » [10] (supposant au passage que la massification des rencontres ne peut entraîner que des relations de piètre qualité), Tinder et Fruitz mettent en avant une offre de partenaires massive et illimitée.
27 En outre, la prise de décision peut se faire d’un seul mouvement, d’un seul coup d’œil, sans que la consultation du profil complet ne soit nécessaire. En cas de match, les plateformes laissent le choix à leurs utilisateurs d’entrer directement en contact avec l’autre profil à travers des messages privés ou de continuer leur recherche. Ainsi, le match ne marque pas automatiquement la fin de la recherche de partenaires et les deux applications permettent donc de discuter avec plusieurs utilisateurs en même temps. Autrement dit, matcher un partenaire n’engage à rien et, surtout, ne restreint pas l’utilisation des plateformes.
28 Cette mise à disposition de multiples partenaires conduit à penser ces applications comme des lieux de consommation. Ce parallèle se retrouve dans les discours médiatiques, mais aussi chez certains utilisateurs d’applications de rencontres qui comparent la recherche de partenaires au choix d’un produit parmi une large sélection de biens standardisés (Bergström, 2013). Pour Lou, ingénieure chargée d’affaire de 25 ans, utilisatrice de Fruitz et Tinder, c’est même là que se trouve l’intérêt des applications.
« C’est du consommable. Tu consommes. Clairement c’est ce que je suis en train de faire en ce moment, je consomme. […] Pour moi [Tinder] c’est pour des plans cul, pour être satisfaite rapidement. Créer quand même quelque chose, discuter. Parce que parfois, on peut se plaire mutuellement, mais si y’a pas eu de connexion, pas de conversation ça sert à rien. […] J’utilise Tinder comme elle est censée être utilisée. Je consomme. Et on me consomme aussi. »
30 Bien qu’elle prenne la peine de préciser que la discussion reste importante, Lou souligne bien l’utilité première de ces applications : satisfaire une demande d’accès à la sexualité, si possible relativement rapidement, en mettant en relation des partenaires qui consomment la sexualité et qui sont consommés en retour. La rapidité et l’efficacité sont centrales à la construction de ces applications de seconde génération. C’est pourquoi l’inscription doit pouvoir se faire en quelques minutes, la navigation entre les profils en quelques mouvements et la rencontre, facilitée par la géolocalisation (Kessous, 2022), en quelques échanges.
31 Or, puisque les relations « de qualité » ne peuvent pas être pensées comme des objets de consommation, ces applications sont perçues comme des lieux de rencontres sans lendemain. Dans notre échantillon, il apparaît que cette logique de consommation ne peut correspondre qu’à des histoires furtives, sans volonté de stabilité. Les « belles histoires » ne peuvent être réduites au vocabulaire de la consommation et se doivent d’être uniques. Dans les représentations des personnes enquêtés, c’est le temps long et la singularité qui font d’une rencontre une relation dite « sérieuse ».
32 Justine, étudiante en master MEEF premier degré de 25 ans, se tourne vers les applications de rencontres pour retourner à la sexualité après une rupture amoureuse. Après avoir rencontré quelques partenaires d’un soir sans trouver grande satisfaction sexuelle, elle finit par matcher le profil de celui qui deviendra son conjoint. Si, a priori, son parcours montre bien que des histoires sérieuses peuvent naître sur les applications de rencontres (il n’est d’ailleurs pas question dans cet article de soutenir le contraire), le discours de Justine montre que la jeune femme ne s’attendait pas à pouvoir trouver l’amour sur la plateforme :
« C’est le seul homme [rencontré sur Tinder] qui m’a donné rendez-vous dans un bar. […] Quand on s’est quittés après la soirée, moi je suis rentrée chez moi, lui il est rentré chez lui. Mais on avait cette envie viscérale de se revoir. Vraiment. Et du coup on s’est revus dès le lendemain, on a rebu un verre dans un bar. Et quand on s’est quittés le soir on avait encore cette envie viscérale de se voir. Mais je crois qu’on s’était un peu dit “allons-y doucement, on est encore un peu fébriles tous les deux, donc on va prendre notre temps”. Et je pense qu’on a attendu un jour [rires] et on s’est revus le vendredi. On est allés au cinéma, on est allés voir un film. Petit rapprochement, mais vraiment toujours pas de bisous. Juste une petite main froide qui touche une autre main froide. […] On s’est revus le lendemain et là je lui ai fait un bisou tout de suite en arrivant parce que c’était vraiment hyper gênant. Et du coup c’est au bout de la quatrième fois qu’on s’est vus chez lui. […] Et voilà, on a passé la nuit ensemble. […] Au fur et à mesure on a construit une vraie relation. Voilà, c’est le seul homme qui ne m’a pas invitée chez lui ! [Rires] »
34 Dans le parcours de Justine, la rencontre de son conjoint est mise en récit comme une exception, comme une mise en relation qui déroge à la règle selon laquelle sur Tinder, « tout le monde est là pour ça » (expression que l’on retrouve de manière récurrente dans les entretiens, dont celui de Justine). Ce qui fait de cette rencontre Tinder une rencontre différente, c’est justement le temps long, car « pour construire quelque chose de stable, ce n’est pas forcément dans la chambre à coucher qu’on se rencontre » (extrait d’entretien avec Justine, étudiante en master MEEF premier degré de 25 ans).
35 Ainsi, a priori, ni Tinder ni Fruitz n’ambitionnent d’être des plateformes uniquement destinées à la mise en relation de partenaires sexuels. Tinder ne définit ni ne limite explicitement les types de relations qui peuvent être nouées grâce à elle et si Fruitz propose effectivement l’accès à des « coups d’un soir », elle ne s’y restreint pas. Pourtant, lorsque l’on s’intéresse au fonctionnement des deux dispositifs, il apparaît que, par leur fonctionnement et leur interface, ces plateformes laissent une place centrale aux relations récréatives. D’abord, parce qu’elles s’adressent un public de jeunes adultes pour qui la sexualité d’un soir vient soutenir une jeunesse sexuelle qui autorise les relations récréatives. Ensuite, parce qu’elles proposent de penser la rencontre de partenaires comme un jeu sans conséquence et sans contraintes. Enfin, parce qu’elles mettent à la disposition de leurs utilisateurs un choix important de profils dont l’apparence physique et la proximité géographique seront des critères essentiels à l’appariement des potentiels partenaires. Dans notre échantillon, les jeunes adultes hétérosexuels investissent donc ces plateformes comme des lieux dédiés à la rencontre sans lendemain. Ces applications portent donc en elles un script d’usage qui construit une histoire de référence (Levinson, 2001) dans laquelle chacun sait agir en conséquence, mettant en scène les relations sexuelles sans lendemain, caractérisées par des rencontres rapides, sous-entendant l’arrivée d’un rapport sexuel dans un temps relativement court (Bergström, 2014). Autrement dit, la présence sur une application de rencontres signifierait, presque automatiquement, une disponibilité sexuelle à investir dans des relations sexuelles sans lendemain.
S’approprier les scripts d’usage par la mobilisation des scripts sexuels
36 Les applications de rencontres, en tant que dispositifs techniques, définissent donc des scripts d’usage qui encadrent les actions des acteurs. Mais les scripts d’usage ne sont pas les seuls éléments à intervenir dans les rencontres sans lendemain. Les utilisateurs de ces applications ne sont pas seulement agis par les scripts d’usage, mais ils et elles agissent en retour pour rendre possibles les rapports d’un soir tout en les rendant cohérents par rapport à leurs propres représentations. C’est notamment par la mobilisation de scripts sexuels (Gagnon et Simon, 2005), c’est-à-dire de scénarii qui organisent et donnent du sens à la sexualité humaine, que sont permises ces relations.
Se démarquer des « plans culs »
37 Si les applications de rencontre sont construites et comprises comme des lieux de rencontres récréatives, cela ne signifie pas pour autant que leurs utilisateurs se plient à cet usage sans y accoler leurs propres représentations. Ainsi, si Tinder et Fruitz peuvent être utilisées pour la recherche de « coups d’un soir » ou de « plans culs », ces types de sexualités revêtent des significations et il revient aux acteurs de retravailler ces scripts d’usage pour harmoniser leurs pratiques et leurs représentations.
38 Dans les discours des personnes enquêtées, les relations sexuelles d’un soir lors desquelles les échanges et la séduction sont absents sont peu valorisées et valorisantes. Pour le dire autrement, la sexualité, lorsqu’elle se résume à des « plans culs » avec des inconnus, parfois décrits comme peu attentifs ou respectueux, présente peu d’intérêts. Parce que la sexualité n’est pas seulement un rapport à l’autre, mais aussi un rapport à soi-même engageant la représentation de soi (Bozon, 2001), la sexualité sans lendemain ne doit pas signifier coucher n’importe comment avec n’importe qui, sans quoi on devient soi-même n’importe qui. Les relations sexuelles nouées sur ces applications qui conduisent à des rencontres sans échanges, sans séduction et sans réciprocité sont perçues comme des relations peu intéressantes émotionnellement, intellectuellement et même physiquement. En ce sens, elles ne sont pas valorisées et sont parfois construites en figure repoussoir qui permet de distinguer la « mauvaise » sexualité sans lendemain (celle qui donne accès à une sexualité sans réciprocité et sans échange) et la « bonne » sexualité sans lendemain (celle qui permet d’avoir accès à une sexualité épanouissante et intéressante). Cette distinction s’inscrit dans un contexte plus large qui oppose bonne et mauvaise sexualités (Rubin, 2010). Pour Gayle Rubin, la sexualité sans lendemain se positionne, en opposition au couple stable, sur les limites extérieures de la hiérarchie sexuelle qui distingue la bonne sexualité « hétérosexuelle, conjugale, monogame, procréatrice et non commerciale » (Rubin, 2010, p. 159) de la mauvaise. Si les rencontres sans lendemain ne sont ni conjugales, ni monogames, ni procréatrices, se démarquer des plans culs en jouant le script de la rencontre romantique permet tout de même de tenir à distance l’idée que l’on pratique une mauvaise sexualité.
39 Mais les utilisateurs de ces applications qui ne trouvent pas d’intérêt à ces plans culs ne s’en détournent pas pour autant. Plutôt que de chercher des partenaires par d’autres biais, certaines usagers de ces plateformes se saisissent des scripts d’usage et les manipulent. Comme beaucoup de femmes rencontrées dans le cadre de notre enquête, Charlotte, étudiante belge de 24 ans en master de psychologie, utilisatrice de Fruitz, est régulièrement contactée sur les applications par des hommes qui souhaitent trouver une partenaire d’un soir. Bien qu’elle soit elle-même à la recherche de relations récréatives, la jeune femme, sollicitée par des utilisateurs qu’elle estime trop directs et irrespectueux, envisage de modifier son utilisation de l’application :
40 – J’ai téléchargé Fruitz. […] J’avais mis la pastèque, parce que je cherche un sexfriend. Je ne cherche pas de relation sérieuse. Et du coup, il y’a énormément de gars qui viennent. Très cash. Là je vais repasser au raisin [11] parce que ça devient lourd. Le fait que tu mettes la pastèque, parfois j’ai l’impression que ça leur permet de te manquer de respect. Le fait que tu veuilles juste avoir des relations [sexuelles] sans beaucoup plus, j’ai l’impression que dans la tête de beaucoup de gars ça veut dire « ah bah la fille elle veut juste coucher, du coup je ne vais pas la respecter ». Et du coup y’a beaucoup de gars qui ne sont pas très respectueux dans les messages en général. C’est pour ça que je vais mettre raisin alors que j’ai envie d’être pastèque, juste pour pas me faire embêter par des gars.
41 – Sur l’appli, il y a aussi la petite pêche, qui dit plan cul, coup d’un soir ou un truc comme ça non ?
42 – Ouais, mais c’est un peu too much. Moi j’ai besoin que pendant l’acte il y ait une discussion. Parce que ça m’est arrivé qu’une fois on baise et puis bye quoi. Moi, je n’aime pas ça.
43 Pour se protéger de potentiels partenaires irrespectueux et pour avoir accès à des relations sexuelles qui ne se résument pas seulement à « juste coucher » comme c’est le cas avec la catégorie pêche, Charlotte manipule les outils proposés par l’application et détourne la signification donnée par les catégories de la plateforme. Cette manipulation des catégories participe à développer un contre-savoir, construit par la pratique, partagé par d’autres utilisateurs. C’est notamment le cas William, étudiant de 23 ans en master STAPS, qui lui aussi opte pour le raisin dans sa recherche de partenaires d’un soir, mais pour des raisons différentes :
44 – J’ai une petite expérience sur Fruitz qui me fait comprendre que quand tu mets la pastèque pour sexfriends et la pêche pour plan cul, tu n’as pas de matchs. […] Parce que je pense qu’on a cette idée de « ah c’est encore un mec qui veut du cul » quoi.
45 – Donc il vaut mieux mettre quoi d’après toi ?
46 – Je vais parler vraiment de manière économique, mais c’est l’offre et la demande. C’est-à-dire que des mecs qui veulent juste s’amuser et qui veulent que du cul, il y en a plein […] Et donc, pour le fruit, je mets le raisin. Comme ça, ça veut un peu tout et rien dire. […] Et je pense que pas mal de gens ont la même stratégie que moi. Si je peux parler de stratégie.
47 Sur les applications, William peine à « matcher ». Il en vient à la conclusion que c’est le fruit choisi qui le dessert : la pêche, pourtant désignée comme le fruit qui indique la recherche d’un rapport sexuel d’un soir, semble envoyer un message négatif et contre-productif. La pêche, ce serait le fruit de ceux qui veulent « du cul », c’est-à-dire une interaction sexuelle qui ne consiste qu’à un rapport charnel, sans interaction émotionnelle et sans volonté de réciprocité. Or ce modèle de sexualité ne semble pas être valorisé par les utilisatrices de l’application, potentielles partenaires qu’il convient de séduire. Face à ce constat, William met en place une « stratégie » qu’il affirme être partagée par les utilisatrices qu’il a rencontrées. Pour augmenter ses chances, le jeune homme opte alors plutôt pour le raisin qui lui permet de se distinguer des autres hommes et d’augmenter sa valeur sur le marché de la rencontre en ligne.
48 Ce que montrent également ces entretiens, c’est qu’hommes et femmes n’entretiennent pas le même rapport aux significations sociales de la catégorie « plans cul » et ne se confrontent pas aux mêmes enjeux. Pour les femmes de notre échantillon, le risque des plans cul est de se voir catégoriser comme une « salope » par leurs partenaires ou par leur entourage. Mais contrairement à ce qu’avait pu montrer Isabelle Clair dans ses travaux sur l’amour et la sexualité des adolescents (Clair, 2012), il n’est pas tant question pour nos enquêtées de tenir à distance la figure de la salope pour défendre une réputation de femme respectable. En effet, puisqu’elles disposent de ressources féministes mainstream (voire universitaires pour celles qui ont un cursus en sciences sociales) et qu’elles profitent d’un contexte socio-historique propice à penser la sexualité et les inégalités de genre, les femmes de notre échantillon voient plus dans cette catégorie le résultat d’une domination masculine que la conséquence d’une sexualité déviante. Il semblerait donc que la stratégie d’évitement de la figure de la salope ait plutôt pour but de tenir à distance les partenaires indésirés, c’est-à-dire ceux qui continuent d’utiliser cette figure comme outil de catégorisation.
49 Du côté des hommes, c’est plutôt l’image peu valorisée du « charo » [12] ou du « chien de la casse » [13] qui est mise en avant. Par contraste avec la figure du Don Juan, qui désigne positivement les hommes qui enchaînent les conquêtes sexuelles et qui en tirent une forme de prestige, celle du charo désigne plutôt des prédateurs, qui accordent peu de considération à leurs partenaires. Or, dans notre population de jeunes hétérosexuels urbains et diplômés qui valorisent une sexualité égalitaire et réciproque, le charo se construit en contre-modèle à la fois du point de vue moral (distinguant les bons et les mauvais partenaires en fonction du respect qu’ils accordent à leurs partenaires), mais aussi stratégique (puisque moins valorisé sur le marché de la rencontre).
50 Ces catégories reposent donc sur des enjeux genrés bien spécifiques. Là où il s’agit pour les femmes d’entretenir une certaine forme de respectabilité en mettant à distance une sexualité qui vient renforcer un stigmate déjà présent, il est plutôt question pour les hommes de performer une masculinité progressiste et égalitaire (Lamont, 2015) dans laquelle la multiplication de partenaires sexuelles n’a que peu de valeur si elle ne s’accompagne pas d’une sexualité réciproque et respectueuse.
51 À l’inverse de ce que montrait Mélanie Gourarier dans son enquête sur le rapport à la séduction d’hommes masculinistes (Gourarier, 2017), nos enquêtés ne présentent pas leurs partenaires comme des « proies ». L’idéal d’égalité semble remplacer la complémentarité des sexes dans leur vision de la sexualité. Cela s’explique à la fois par leur position de jeunes urbains diplômés et par la diffusion de savoirs féministes qui explorent désormais de plus en plus la sexualité des hommes. Mais, pour les plus stratèges de nos enquêtés, l’incarnation de cette masculinité permet également d’accéder à plus de partenaires d’un soir. Ainsi, la séduction n’est pas tant un moyen de « s’apprécier entre hommes », mais plutôt de se distinguer pour se faire apprécier des femmes.
52 Ainsi, si le dispositif technique propose un script, ses usagers développent un savoir profane à l’usage. Les catégories proposées par l’application Fruitz sont donc redéfinies par les utilisateurs qui leur donnent une toute nouvelle signification. Ce n’est plus la pêche, pourtant construite à cet usage, qui sert à trouver des relations sexuelles sans lendemain, mais plutôt le raisin qui permet de montrer une certaine distance face à la mise en couple tout en se laissant des marges de manœuvre et en mettant à distance l’image peu flatteuse de la « salope » ou du « pervers » (extraits d’entretien avec William, étudiant en master STAPS de 23 ans) qui chercherait une relation basée uniquement sur du « cul ». Dans la même logique, on évitera de dire explicitement que l’on recherche des partenaires d’un soir, mais on utilisera une expression, comprise de toutes et tous, pour le signifier de manière détournée. Sur Tinder, on dira par exemple que l’on ne cherche « rien de sérieux ». La signification donnée aux différentes catégories par les utilisateurs dévie de celle donnée par l’application elle-même. Le développement d’un contre-savoir et de stratégies montre une forme d’appropriation des scripts d’usages proposés par la plateforme. Ce sont donc les usagers qui construisent leurs propres significations, plus adaptées à leur expérience, tout en continuant à profiter des outils que sont les plateformes.
Mobiliser les scripts sexuels et jouer la séduction
53 Si les « plans culs » sont si peu considérés par nos enquêtés et qu’il convient pour elles et eux de s’en distinguer, c’est parce la sexualité, même lorsqu’elle est sans lendemain, repose sur un idéal de spontanéité et de singularité. Dans les discours recueillis dans le cadre de notre recherche, nombreux sont les enquêtés qui décrivent un enchaînement « naturel » ou « spontané » d’interactions (enchaînement d’interactions que l’on retrouve pourtant de manière récurrente), comme si chaque relation était unique. Cet idéal de spontanéité permet de donner aux rencontres d’un soir une signification particulière dans le parcours sexuel et de mettre à distance l’image d’une sexualité trop rigide et planifiée se résumant à « du cul » n’importe comment et avec n’importe qui.
54 Cet idéal de spontanéité conduit à une absence de discussion autour de la sexualité avant (sur les applications) et pendant la rencontre. Cette absence de discussion concerne à la fois la nature de la relation (les partenaires ne se disent pas explicitement que la relation sera sans lendemain, ce sont donc les scripts d’usages décrits précédemment qui permettent une compréhension de la relation comme étant éphémère) et les pratiques sexuelles auxquelles les partenaires auront recours. Puisqu’elle n’est pas discutée et négociée, la réalisation d’une relation sexuelle sans lendemain repose donc sur l’existence de scripts sexuels partagés par les partenaires, leur permettant de savoir comment agir et réagir. À partir d’entretiens semi-directifs, nous avons pu mettre en évidence un script récurrent de la rencontre sans lendemain qui repose très largement sur des codes classiques de la rencontre hétérosexuelle.
55 Avant même la première rencontre en face à face, certains utilisateurs de Tinder ou Fruitz choisissent de sortir des applications pour discuter avec les profils matchés de leurs potentiels partenaires. Ainsi, avant d’organiser un premier rencard, nombre de nos enquêtés préfèrent communiquer via d’autres applications jugées moins impersonnelles comme Messenger, système de messagerie instantanée créé par le groupe Facebook, ou Instagram qui offre la possibilité, en plus de communiquer par messages privés, de partager des photos ou des vidéos sur son profil. Communiquer par d’autres canaux permet de découvrir les partenaires et leur environnement. En outre, s’extraire des applications de rencontres permet également de s’extraire des significations du script d’usage proposé. En discutant sur des plateformes qui ne sont pas pensées pour permettre la sexualité, l’interaction s’en voit momentanément et partiellement désexualisée.
56 Lorsque vient le temps de la première rencontre en dehors de l’application, deux solutions s’offrent aux partenaires : se rendre directement sur le lieu du rapport sexuel ou se rencontrer dans un lieu dit « neutre ». Tout comme les outils de rencontres, les lieux portent en eux des significations et font pleinement partie du script de la rencontre. Se rendre directement sur le lieu du rapport sexuel, chez l’un ou l’autre des partenaires par exemple ou, beaucoup plus rarement, dans un hôtel [14], participe à exacerber et rendre évidente la nature sexuelle de l’interaction. L’histoire de référence associée, c’est donc celle du « plan cul ». Mais pour celles et ceux qui souhaitent s’écarter de ce type de sexualité, la rencontre se fait le plus souvent dans un lieu public dans lequel il ne peut pas y avoir de rapport sexuel. En se rencontrant dans ce genre de lieux (un bar par exemple), l’interaction rentre dans un script semblable à celui du rencard ou de la rencontre amoureuse. Même si les deux partenaires envisagent d’avoir un rapport sexuel sans lendemain, l’interaction qui précède le rapport ne doit pas laisser une place trop centrale à la sexualité.
57 Les temps et les lieux désexualisés jouent également un rôle dans l’évitement des violences sexuelles. Pour certains de nos enquêtés, et tout particulièrement pour les femmes, retarder l’entrer dans la sexualité offre l’opportunité de jauger un partenaire et de pouvoir sortir plus facilement de la relation quand celle-ci n’est pas encore trop explicitement sexualisée. En rencontrant des partenaires dans des lieux non sexualisés, nos enquêtés créent des espaces et des temporalités qui leur permettent d’évaluer la dangerosité d’un potentiel partenaire. Déroger à cette règle, pour ces femmes qui ont intériorisé leur vulnérabilité sexuelle (Lieber, 2008), c’est faire preuve de naïveté et prendre le risque qu’il leur arrive « n’importe quoi » (extrait d’entretien avec Alison, étudiante en master de psychologie de 24 ans). Ainsi, la mobilisation des scripts de la rencontre fonctionne comme une stratégie pour certaines enquêtées. Si on protège sa respectabilité en retardant l’échange sexuel, on se protège aussi des relations non consenties en se laissant des portes de sortie.
58 En outre, la séduction est un élément à ce point important que certains utilisateurs y voient même une motivation à leur utilisation des applications de rencontres. Puisqu’elles permettent l’accès à des partenaires sexuels sans imposer d’engagement sur le long terme, les applications offrent l’opportunité de se plier à l’exercice de séduction, parfois de manière répétée sur un temps restreint. Au-delà de la satisfaction sexuelle, les personnes interrogées soulignent régulièrement un fort intérêt pour les moments d’échange et de séduction. La sexualité sans lendemain se construit comme un outil qui permet d’être séduit par des partenaires, mais aussi de se rassurer sur sa capacité à séduire, à plaire et à faire plaisir. Ainsi, loin d’en dispenser leurs usagers, les applications de rencontres comme Fruitz ou Tinder deviennent au contraire des outils d’accès à la séduction. C’est aussi ce moment d’échange et de séduction qui permet d’aligner les pratiques aux représentations des partenaires, en extrayant la relation du script du « plan cul ». En apprenant à connaître son ou sa partenaire d’un soir et en désexualisant momentanément l’échange autour d’un verre dans un lieu public, on s’éloignera du script dans lequel on couche avec un parfait inconnu. La séduction, bien que mise en scène, joue un rôle majeur parce qu’elle permet de vivre la relation comme un moment où rien n’est imposé, où « rien n’est joué d’avance » (Gourarier, 2021).
59 Si l’un des partenaires dévie du script de la rencontre en dévoilant le caractère sexuel de la relation de manière trop explicite (en refusant le jeu de la séduction, en parlant trop frontalement de sexualité, en cherchant à précipiter le rapport sexuel ou en étant trop insistant), elle ou il se voit sanctionné par la fin précipitée de la rencontre… ou par une critique acerbe en entretien. Justine, dont nous avons déjà évoqué le parcours en amont, se confie sur les partenaires sexuels rencontrés sur Tinder. Elle insiste sur une relation qu’elle estime précipitée et déstabilisante, car trop explicitement orientée vers la sexualité.
« J’ai rencontré un autre homme sur Tinder que j’ai vu directement chez lui. Enfin chez son père. […] J’étais en train de me morfondre dans mon canapé et il m’a écrit. Du coup on s’est dit “bah si tu veux on peut se voir, il n’y a pas de problème, viens chez moi, mon père n’est pas là”. Donc je m’étais motivée, j’étais allée prendre une douche, je m’étais nettoyée. […] On a couché ensemble sur le canapé du salon. Nan, mais c’est n’importe quoi en fait de faire ça ! D’abord on est chez ton père, donc pour commencer c’est gênant parce que c’est le salon de ton papa ! C’est le canapé de ton papa ! Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’on fait ça ? En plus, quand je suis arrivée, il y avait déjà le préservatif sur la table. J’étais là “ah ouais ok, le mec a tout prévu, il n’a pas le temps d’aller chercher des trucs !”. Alors qu’il n’y avait pas de tension [sexuelle]. […] On a couché ensemble sur ce vieux canapé et c’était horrible. »
61 Alors peu habituée aux rencontres d’un soir, la jeune femme se voit déstabilisée par son partenaire qui évoque la nature sexuelle de leur relation de manière bien trop explicite à son goût. Dans leur rencontre, peu de séduction ou de moments désexualisés, ce qui empêche la « tension » de monter. La présence d’un préservatif, posé en évidence, fonctionne comme un rappel à l’ordre : la rencontre est éminemment sexuelle. Le script d’usage de Tinder prend le pas sur le script sexuel de la rencontre.
62 L’extrait d’entretien précédent pose également la question du consentement. Même si Justine n’aborde pas frontalement la question, on s’aperçoit dans son récit qu’elle entretient un rapport sexuel avec un partenaire qui ne lui plaît pas. Or, dans notre échantillon, cette situation est loin d’être rare. En effet, les marges de manœuvre que permet le script classique de la rencontre ne sont pas systématiquement mobilisées. Bastien, ingénieur d’études en géographie de 26 ans, nous raconte ainsi :
« J’ai matché une meuf sur Tinder. C’était clairement “je veux faire des câlins”. Sauf que physiquement elle ne me plaisait pas. Et même mentalement. […] Au final, on s’est vus chez elle et ça s’est extrêmement mal passé. […] Je sais même pas si j’ai joui. Elle, elle a dû passer un moment pas du tout agréable non plus. Je me suis senti extrêmement mal. Je me sentais pas à l’aise du tout en fait. […] Parce qu’au final j’ai fait un truc alors qu’au fond je n’en avais pas envie, mais je ne me suis pas écouté. »
64 Bastien me raconte s’intéresser de plus en plus à la sexualité depuis le mouvement #MeToo. Il suit plusieurs comptes Instagram d’éducation à la sexualité et discute régulièrement de sexualité avec ses amies féministes. Il dispose donc a priori de ressources qui lui permettent de penser le consentement. Pour autant, et bien qu’il rencontre ses partenaires lors de rencards dans des lieux désexualisés, le jeune homme consentira à plusieurs relations sexuelles « sans en avoir vraiment envie » (Carbajal et al., 2019). Et s’il ne parle pas directement de violences sexuelles, la question du consentement semble néanmoins centrale, sans que les partenaires ne soient mises en cause.
65 Le discours de Bastien illustre bien la puissance des scripts d’usage qui laissent peu de place au consentement : « Le fait de venir chez quelqu’un en sachant que… En fait quasiment là tu dois avoir un rapport sexuel avec la personne. […] En fait je suis coincé. C’est moins coûteux de te barrer après que de te barrer pendant. » Le script est vécu comme un engrenage, un enchaînement d’actions dont il est difficile de sortir et dans lequel la sexualité est pensée sous le registre du devoir. Accepter la rencontre suppose un rapport sexuel, puisqu’en passant par des applications de rencontres, nos enquêtés savent « très bien à quoi [s’]attendre » (extrait d’entretien avec Camille, étudiante en sciences humaines et sociales de 24 ans). Donc, si le recours aux scripts classiques de la rencontre permet de ralentir l’accès à la sexualité, offrant ainsi plus d’opportunités pour refuser des relations sexuelles, cela ne signifie pas que la sexualité sans lendemain échappe aux violences sexuelles, mais plutôt que celles-ci prennent une forme plus difficilement intelligible.
66 Ainsi, si les plateformes numériques de rencontres participent à une accélération et à un élargissement des possibilités de rencontres, il n’en demeure pas moins que les codes de la rencontre sexuelle numérique reposent, au moins en partie, sur des codes qui lui préexistent, et notamment sur des moments de séduction. Pour accéder à une sexualité sans lendemain, sans forcément tomber dans des relations qualifiées de « plans culs » pas toujours valorisées et valorisables, les utilisateurs d’applications de rencontres comme Fruitz ou Tinder créent des moments d’échange partiellement désexualisés. Pour que ces relations récréatives soient valorisées dans les parcours sexuels des personnes interrogées, il faut une certaine mise en scène qui participe à ralentir la relation. Même si elle ne doit durer qu’une seule nuit, la relation ne doit pas être précipitée. Ce temps d’échange précédant le rapport sexuel permet de laisser place à des moments de séduction, élément incontournable dans la construction de la relation. Il est intéressant de noter que cette mobilisation des scripts est propre à notre population hétérosexuelle. En effet, les travaux sur l’utilisation de l’application gay Grindr montrent que l’usage des plateformes numériques participe à la mise en place d’un script sexuel dans lequel c’est le sexe anonyme (autrement dit entre inconnus), axé sur la recherche immédiate du plaisir sexuel, dans des lieux extérieurs publics ou commerciaux (ce qui est relativement rare dans notre échantillon) qui est recherché et valorisé comme scénario excitant (Rivière et al., 2015). On voit donc que les temporalités et les espaces prennent une signification différente. Là où c’est la satisfaction sexuelle qui présentée comme centrale dans le scénario lié aux rencontres Grindr, c’est la mise en scène de la rencontre qui vient donner sa valeur aux relations hétérosexuelles d’un soir.
Conclusion
67 Par leur très large diffusion et leur spécialisation, les applications de rencontres se sont progressivement imposées comme des lieux incontournables de la rencontre hétérosexuelle. Bien qu’elles ne se destinent pas explicitement et exclusivement à la sexualité sans lendemain, Tinder et Fruitz proposent un script d’usage qui, en ciblant principalement les jeunes adultes, en rendant la rencontre ludique et en proposant une offre massive de profils, permet, voire encourage la rencontre de partenaires d’un soir. Ce script d’usage conduit à la construction de ces deux applications comme des lieux propices à la rencontre de « plans culs », relations lors desquelles on se rencontre, on couche ensemble et on se quitte. Les applications de rencontres permettent donc effectivement l’existence et la réalisation de relations sexuelles en dehors du couple et dans lesquelles l’issue de la relation est prédéterminée, au moins en partie.
68 Néanmoins, les utilisateurs de Tinder et Fruitz ne voient pas toutes et tous dans les « plans culs » une sexualité valorisée, valorisable et, surtout, valorisante. Ces relations semblent difficilement articulables avec les représentations selon lesquelles la sexualité, même lorsqu’elle se veut récréative, doit suivre un certain scénario qui participe à valoriser la relation. Pour détourner et s’approprier les scripts d’usage, les utilisateurs d’applications de rencontres mobilisent des scripts sexuels, qui laissent une place centrale aux interactions partiellement désexualisées, permettant de rendre momentanément silencieuses les expressions trop explicites de la sexualité. La rencontre des scripts d’usage et des scripts sexuels produit un script propre aux rencontres sans lendemain dans lesquelles ces rencontres se passent de négociation puisque la nature de la relation est prédéfinie par l’application. Mais on y rejoue tout de même des scripts plus classiques de la rencontre pour coller à l’idée d’une spontanéité et d’une singularité sexuelle qui donneraient plus de valeur à des relations que l’on refuse de voir seulement comme des « plans cul ». Ces temps partiellement désexualisés permettent également de créer des opportunités de sortie d’une relation d’un soir et de contournement de possibles violences sexuelles.
69 L’analyse de ces rencontres sans lendemain nous permet de nuancer l’idée d’une rupture nette entre la sexualité et l’amour, ou au moins entre la sexualité et les codes de la rencontre amoureuse. Alors que les plateformes numériques de rencontres encouragent une sexualité détachée de tout engagement conjugal et amoureux, on aperçoit une confrontation entre les scripts d’usages et les scripts sexuels. Mais ces différents scripts se rencontrent et se travaillent plus qu’ils ne s’opposent, rendant ainsi possibles les rencontres sans lendemain.
Bibliographie
Références
- AKRICH M. (1990), De la sociologie des techniques à une sociologie des usages : l’impossible intégration du magnétoscope dans les réseaux câblés de première génération, Techniques & Culture, n° 16, p. 83-110.
- BAJOS N., BOZON M. (2006), Enquête sur la sexualité en France : pratiques, genre et santé, Paris, la Découverte.
- BAJOS N., BOZON M. (2012), Sexualité et appartenance sociale à l’âge adulte, Raison présente, n° 183, p. 23-44.
- BERGSTRÖM M. (2013), La loi du supermarché ? Sites de rencontres et représentations de l’amour, Ethnologie française, vol. 43, p. 433-442.
- BERGSTRÖM M. (2014), Au bonheur des rencontres : sexualité, classe et rapports de genre dans la production et l’usage des sites de rencontre en France, thèse de doctorat, Institut d’Études Politiques, Paris.
- BERGSTRÖM M. (2019), Les nouvelles lois de l’amour : sexualité, couple et rencontres au temps du numérique, Paris, La Découverte.
- BOZON M. (2001), Orientations intimes et constructions de soi. Pluralité et divergences dans les expressions de la sexualité, Sociétés contemporaines, vol. 41-42, n° 1-2, p. 11-40.
- CARBAJAL M., COLOMBO A., TADORIAN M. (2019), Consentir à des expériences sexuelles sans en avoir envie, Journal des anthropologues, n° 156-157, p. 197-218.
- CLAIR I. (2012), Le pédé, la pute et l’ordre hétérosexuel, Agora débats/jeunesses, n° 60, p. 67-78.
- DESCHAMPS C., GAISSAD L., (2008), Pas de quartier pour le sexe ? Le développement durable des rencontres sans lendemain, ÉchoGéo, n° 5 [en ligne] Disponible à l’adresse : https://doi.org/10.4000/echogeo.4833, (consulté le 14 décembre 2022).
- DUGUAY S. (2016), Dressing up Tinderella : interrogating authenticity claims on the mobile dating app Tinder, Information, Communication & Society, n° 20, p. 351-367.
- DUGUAY S., BURGESS J., LIGHT B., (2017), « Mobile dating and hookup app culture », in MESSARIS P., HUMPHREYS L. (Eds.) Digital media : Transformations in human communication, New York, Peter Lang, p. 213-221.
- GAGNON J., SIMON W. (2005 [1973]), Sexual Conduct. The Social Sources of Human Sexuality, New Brunswick, Aldine Transactions.
- GALLAND O. (2011), Sociologie de la jeunesse, 5e éd., Paris, Armand Colin.
- GOURARIER M. (2017), Alpha mâle. Séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes, Paris, Seuil.
- GOURARIER M. (2021), « Séduction », in RENNES J. (dir.), Encyclopédie critique du genre, Paris, La Découverte, p. 705-714.
- KESSOUS E. (2022), « Chapitre 4. L’appariement par l’image. Comment les applications mobiles géolocalisées déplacent le cadre des rencontres en ligne », in SIMIONI M. (dir.), Comment ça matche. Une sociologie de l’appariement, Paris, Presse de Sciences Po, coll. « Académique », p. 139-167.
- LAMONT E. (2015), The Limited Construction of an Egalitarian Masculinity : College-Educated Men’s Dating and Relationship Narratives, Men and Masculinities, vol. 18, n° 3, p. 271-292.
- LEVINSON S. (2001), Les « histoires de référence » : cadres socio-temporels et représentations des premières relations sexuelles, thèse de doctorat, EHESS.
- LIEBER M. (2008), Genre, violences et espaces publics. La vulnérabilité des femmes en question, Paris, Presses de Sciences Po, coll. « Académique ».
- LIGHT B., BURGESS J., DUGUAY S. (2016), The walkthrough method : An approach to the study of apps, New Media & Society, n° 20, p. 881-900.
- RACE K. (2014), « Looking to play ? Les technologies de drague en ligne dans la vie gay », in QUEMENER N., VÖRÖS F. (dir.) Politique de l’image, n° 9, p. 50-61.
- RIVIÈRE C.A., LICOPPE C., MOREL J. (2015), La drague gay sur l’application mobile Grindr. Déterritorialisation des lieux de rencontres et privatisation des pratiques sexuelles, Réseaux, n° 189, p.153-186.
- RUBIN G. (2010), Surveiller et jouir. Anthropologie politique du sexe, Paris, Epel.
- TOULEMON L. (2008), « Entre le premier rapport sexuel et la première union : des jeunesses encore différentes pour les femmes et pour les hommes », in BAJOS N., BOZON M. (dir.), Enquête sur la sexualité en France. Pratiques, genre et santé, Paris, La Découverte, p. 163-195.
Mots-clés éditeurs : rencontres sexuelles, scripts sexuels, scripts d’usage, sexualité sans lendemain, applications de rencontres
Mise en ligne 27/02/2023
https://doi.org/10.3917/res.237.0093Notes
-
[1]
Nancy Jo Sales, « Tinder and the Dawn of the Dating Apocalypse » (Tinder et l’aube de l’apocalypse des rencontres, notre traduction), 6 juin 2015, en ligne.
-
[2]
« Romance gets swiped from the screen », notre traduction de Sales, op. cit.
-
[3]
« Wanna fuck ? », notre traduction de Sales, op. cit.
-
[4]
L’enquête, l’échantillon et la méthode seront succinctement présentés en première partie de cet article.
-
[5]
Les applications de rencontres de seconde génération se caractérisent, selon Emmanuel Kessous, par la facilité d’utilisation, la possibilité d’y avoir accès en permanence via son téléphone portable et la géolocalisation. Beaucoup de ces applications fonctionnent sur le système de « swipe », c’est-à-dire sur la fonctionnalité qui permet de faire glisser d’un côté ou de l’autre de l’écran les profils des utilisateurs pour manifester, ou non, son intérêt.
-
[6]
Extrait d’entretien avec William, étudiant en STAPS de 23 ans.
-
[7]
14 de nos enquêtés sont en études supérieures au moment de l’enquête (dont 8 en sciences sociales), 12 ont des professions dites « intellectuelles supérieures » (principalement dans la fonction publique, dans la recherche ou dans le secteur médical ou paramédical), six ont des professions « intermédiaires » (principalement dans l’enseignement ou dans le secteur associatif), quatre sont inactifs, un est chef d’une petite entreprise et un est employé.
-
[8]
« […] engaging directly with an app’s interface to examine its technological mechanisms and embedded cultural references to understand how it guides users and shapes their experiences », notre traduction de Light et al., 2016, p. 882.
-
[9]
Expression utilisée par Tinder désignant le fait que deux utilisateurs aient exprimé leur intérêt mutuel sur la plateforme.
-
[10]
C’est par exemple le cas de Once, application de rencontres française. Afin de se positionner comme une application de rencontres « de qualité », elle propose un seul profil par jour aux « célibataires soucieux de trouver l’amour ».
-
[11]
Le raisin est le fruit proposé par Fruitz pour la recherche d’un partenaire pour aller boire un verre.
-
[12]
Expression dérivée du mot « charognard », utilisée négativement pour qualifier un homme.
-
[13]
Ces deux expressions sont tirées de nos entretiens.
-
[14]
Rares sont les personnes enquêtées qui déclarent avoir déjà loué un lieu dédié à la rencontre sexuelle. Dans leurs représentations, la chambre d’hôtel renvoie plutôt aux scripts de l’adultère ou de la prostitution, deux figures régulièrement citées et tenues à distance.