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Article de revue

Antoine COURMONT, Quand la donnée arrive en ville. Open data et gouvernance urbaine, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2021, 192 p.

Pages 291 à 293

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1 L’ouvrage est tiré d’une thèse menée en CIFRE au sein des services de l’agglomération de Lyon en charge de l’open data. L’observation ethnographique, enrichie d’entretiens et d’analyse documentaire, permet de saisir un moment fondateur de la nouvelle relation des villes avec leurs données. En effet, elle débute en 2011 avec les toutes premières expériences d’open data dans les villes françaises et se poursuivit jusqu’en 2016 alors qu’émerge la question de la « smart city ». Mais par-delà ces éléments de contexte, l’analyse porte sur la production et la circulation des données qui supportent la gestion quotidienne d’une métropole. L’ensemble de l’ouvrage est illustré par des analyses fines d’usage des données qui permettent au lecteur de pénétrer dans la boîte noire sans être dépassés par la technicité de la matière.

2 Les données dont il est question ici sont issues des services techniques des collectivités locales. L’objet se détache des données socio-économiques qui ont principalement été étudiées par la sociologie des statistiques. L’auteur décrit la chaîne de production et d’usage de ces données dans les systèmes de gestion. Le taux de remplissage des axes de circulation est ainsi par exemple connu par l’insertion de boucles dans la voirie qui s’activent lors du passage de chaque voiture. Ces données agrégées sont collectées pour permettre de régler les feux tricolores et fluidifier ainsi la circulation. Ces données pourraient aussi intéresser le centre de gestion en charge de bus qui peuvent se trouver bloqués dans une rue. Mais, de fait, les connexions ne sont bien souvent pas établies. Autre exemple, la confrontation des cartes des parkings à vélos issues de la ville et de l’agglomération révèle des différences, car l’une est liée à une fonction juridique d’autorisation d’usage de la voirie, et l’autre à une finalité d’entretien de ces parkings. Ces données techniques sont donc d’abord associées à des « métiers », des fonctions différentes dans la division du travail. Elles y sont « attachées ».

3 Parmi les projets développés au sein des services de l’agglomération lyonnaise, certains ambitionnent une mise en relation d’ampleur de ces données. Le système d’information géographique de l’agglomération offre un premier exemple. Les systèmes d’informations géographiques ont été les premières tentatives, dans tous les territoires d’organiser l’information de sources diverses par le média de la carte. Il est développé dans le cas lyonnais depuis les années 1980. Ce système articule des couches d’informations (maîtrisées par les métiers) reliées entre elles par le même référentiel géographique : toute information est rapportée à une localisation. Cet alignement des données permet des opérations : par exemple, une équipe qui perce une tranchée pour une installation de gaz saura à quel endroit se trouve la canalisation d’eau pour ne pas la dégrader. Il place aussi les services de l’agglomération dans une position de surplomb vis-à-vis des différents services techniques. Ce système d’information géographique a ainsi été un des instruments de légitimation de la première instance intercommunale : la Communauté urbaine de Lyon. Le deuxième exemple est le projet Optimod développé après 2013. Ce projet a pour finalité de mettre en évidence, par la diffusion d’informations multimodales, la plus grande rapidité des transports en commun sur la voiture et, par là, de favoriser en transfert vertueux de la seconde vers les premiers. La collecte des données se complique ici du fait qu’une part essentielle des données pertinentes sont détenues par des organisations indépendantes ou privées comme le syndicat des transports lyonnais ou la compagnie TCL, en charge des bus et du métro.

4 Si ces grands projets échangent des données entre différents acteurs de la production urbaine, l’open data élargit le cercle des utilisateurs. L’ambition de l’open data est également de permettre le développement d’offres qui aillent au-delà de l’optimisation de la gestion urbaine et permettent un développement économique. L’auteur décortique le travail de transmutation de la donnée telle qu’elle existe dans les systèmes métier en une donnée appropriable par un entrepreneur. Comment trier les données qui puissent avoir un intérêt hors de la gestion des services urbains, et ne pas permettre des utilisations malveillantes ? Comment la « brutifier » en l’isolant d’autres informations liées à son système, comment la transcrire dans des formats réutilisables ? Le vif débat sur les licences, qui fait l’objet d’un chapitre, révèle les réticences de fonctionnaires et d’élus qui craignent que ce soutien à l’économie ne se fasse au détriment de l’intérêt général. Ces analyses viennent s’inscrire dans un courant de recherche aujourd’hui largement développé sur le travail des données.

5 Enfin se pose la question de la confrontation entre les données produites pour l’amélioration de la gestion et celles mises à disposition pour de nouvelles offres économiques. Le projet Optimod offre encore un excellent sujet. D’un côté, une offre privée alternative comme Citymapper, reposant sur les données publiques, peut apparaître comme allant dans le même sens de promotion des transports en commun, et indirectement le stimuler. Mais, d’un autre côté, le navigateur GPS Waze, qui a développé son offre à partir du crowdsourcing sans utiliser les données de l’open data peut aller parfois à l’encontre de la politique publique. Par exemple, l’application, complètement indépendante, persiste-t-elle à envoyer les automobilistes dans le tunnel sous Fourvière, plutôt que vers la rocade de contournement par l’Est. Cela contribue à renforcer la circulation et la pollution dans le centre-ville. Cette confrontation nous emmène vers des questions de gouvernance. Antoine Courmont se montre au final assez optimiste sur la capacité des organisations publiques à rester, malgré tout, maîtres du jeu.

6 Tout l’ouvrage est construit autour du fil rouge de « l’attachement ». Ces données techniques sont tout d’abord « attachées » à leurs fonctions pratiques premières. Leur format, leurs modalités de stockage, leur propriété sont directement associés à cet usage originel. Toute politique des données suppose donc d’abord de les « détacher » de ce contexte initial. Ces ambitions de « détachement » animent tant la volonté d’intégrer différentes composantes de l’offre publique ou de permettre le développement de nouveaux services, du travail nécessaire à ce détachement. Mais ce « détachement » ne va pas sans résistances, des rugosités qui conduisent à des « réattachements ». En suivant finement ces différents mouvements, Antoine Courmont nous offre l’analyse la plus approfondie à ce jour de ce nouvel investissement des données dans les collectivités locales. Par l’attention à ces données banales de gestion des transports, il vient aussi renouveler la sociologie de la quantification qui s’est d’abord portée sur des statistiques socio-économiques. Ici, les données ont une existence, le plus souvent souterraine, inséparable de fonctions ancillaires de gestion. Ce n’est que par moments, et non sans un travail d’accompagnement, qu’elles peuvent participer au mouvement d’institutionnalisation de la Métropole et de délimitation des frontières de son intervention.

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