Réseaux 2022/1 N° 231

Couverture de RES_231

Article de revue

Une sociohistoire des critiques numériques

Pages 9 à 37

Notes

  • [1]
    L’article de référence évoque même une « public demonology », cf. (2013) [en ligne] disponible à l’adresse : https://www.economist.com/news/2013/11/18/the-coming-tech-lash (consulté le 09/12/2021).
  • [2]
    L’Oxford English Dictionary définit le terme comme « A strong and widespread negative reaction to the growing power and influence of large technology companies, particularly those based in Silicon Valley ».

1Techlash. Utilisé pour la première fois dans les pages de The Economist en 2013 [1], le terme a bénéficié depuis lors d’un certain succès sous l’effet des critiques grandissantes émises à l’égard des grandes entreprises de la Silicon Valley et plus généralement des technologies numériques [2]. La célébration des vertus démocratiques, des effets émancipateurs et des gains socio-économiques associés à internet dans les années 1990 et 2000 a cédé le pas à de nombreuses expressions de colère suscitées tour à tour par l’élection de Donald Trump, le Brexit, le scandale Cambridge Analytica, la fraude de Théranos, le management prédateur dénoncé par des employées de l’entreprise Uber, la mobilisation d’Amazon pour empêcher la syndicalisation au sein de ses entrepôts, les conditions de travail et l’incidence psychologique relative à la modération des contenus, les contrats passés par les « Big Tech » avec le Pentagone, l’utilisation des technologies dans la surveillance et la répression de mouvements contestataires dans les pays autoritaires, les biais relatifs aux classifications des moteurs de recherche et de la justice prédictive, le poids des réseaux sociaux dans les sociabilités adolescentes, ou encore la prise de conscience de l’impact environnemental et social d’une industrie qui s’est longtemps présentée comme immatérielle et progressiste. La pandémie de Covid-19, en accentuant la domination des grandes entreprises du numérique, aurait achevé le mouvement de bascule morale, séparant l’utopie internet des années 1990 de la dystopie numérique des années 2010.

2Ce constat fait toutefois oublier que l’industrie numérique recouvre plusieurs modèles, de la Silicon Valley au quartier technologique à Shengzen, sans constituer une trajectoire linéaire. Une forme d’impressionnisme historique tend à occulter la longue histoire des critiques sociales et des théories critiques des nouvelles technologies ; le techlash actuel peut être vu comme un moment particulier d’une histoire plus longue des critiques des techniques numériques. L’attention à ces critiques met en évidence les déplacements de frontières, parfois même des renversements de rôle dans le jeu d’acteurs et les jugements moraux, au cours d’un processus où le « numérique » n’a cessé de s’étoffer, tant du point de vue des objets que des organisations et des personnes qui les utilisent, les détournent ou les contestent : la commercialisation des superordinateurs par les « IBM men » des années 1950, l’ingénierie logicielle émergente dans le courant des années 1970, les protocoles de communication standardisés des années 1990, la théorie des graphes des années 2000, la politique d’ouverture des interfaces de programmation, ou la multiplication des SDKs dans les années 2010 ont progressivement élargi et densifié le monde du numérique. Au cours de cette histoire, les controverses, critiques et contestations révèlent les déplacements des acteurs et les modifications de leurs rapports de force. La succession des lanceurs d’alerte fournit quelques indicateurs de ces évolutions, à travers la figure de Julian Assange et le projet de Wikileaks à partir de 2006, celle d’Edward Snowden révélant l’existence du programme de surveillance PRISM en 2013, de Tristan Harris quittant Google en 2015 afin d’attirer l’attention du grand public sur les « dark patterns », de Christopher Wylie dénonçant l’utilisation des données faites par Cambridge Analytica en 2017, ou de Frances Haugen mettant à jour au travers des « Facebook files » la manière dont l’entreprise profite des discours haineux. Outre les controverses particulières associées à ces cas, leurs variations font apparaître un cheminement moral qui constitue la trame de l’histoire des critiques du numérique.

3Le propos de ce numéro s’inscrit dans cette perspective : proposer une analyse sociologique (sociologicisée) et historique (historicisée) des critiques. Sociologique tout d’abord, puisque les contributions de ce dossier visent à appréhender les critiques du numérique comme des objets à part entière. Il s’agit en cela, suivant la formule de L. Boltanski, d’opérer un glissement d’une sociologie critique – du numérique – à une sociologie de la critique – du numérique (Boltanski, 1990). Historique ensuite, puisque les cas d’études proposés visent à relativiser et contrebalancer les récits dominants, pour faire entrevoir la manière dont la critique joue un rôle dans le développement du numérique. Il ne s’agit dès lors pas d’envisager une histoire, mais des histoires de la critique du numérique.

4Cette approche invite à questionner le terme même de « numérique », qui recouvre une multitude d’objets et de sens. Parfois utilisé comme synonyme d’internet, il désigne une industrie, des machines, des logiciels, des infrastructures, des réseaux et l’ensemble des pratiques associées. Alors que ces dernières s’inscrivent dans des contextes localisés, le numérique est régulièrement envisagé comme un processus, souhaitable ou dommageable, parfois doué d’une volonté propre, et souvent appréhendé comme inévitable comme le dénotent les termes de « révolution », de « mutation », de « transition » ou d’« ère » numériques. Suivre le fil des critiques permet de dissocier et d’identifier les différentes couches associées au fil de cette histoire, et la suite de décisions et rapprochements qui font aujourd’hui apparaître le « numérique » comme un ensemble cohérent. Le retour sur les périodes et les formes critiques permet également de mieux repérer les rapports et lignes de force mettant aux prises des experts, des intellectuels, des régulateurs autant que des utilisateurs, répartis sur différents territoires et échelles de temps. Ces derniers se confrontent et négocient des orientations jamais décidées à l’avance. Relire l’histoire du « numérique » à travers les lunettes de la critique rappelle ainsi la multitude d’options qui coexistent en un moment donné avant que les modèles, les standards et les normes ne prennent la force de l’évidence, à la manière de l’informatique centralisée d’IBM, de la micro-informatique de l’ordinateur personnel, des protocoles décentralisés d’internet ou des modes de traitement automatisé des données.

5Mais si le numérique a pu devenir une norme, c’est tout particulièrement à la faveur d’un rapprochement entre l’informatique et le développement des réseaux, rapprochement qui espéré d’abord dans des mondes sociaux bien circonscrits, puis plus largement. Cet alliage a rendu possible – du moins est-ce là notre hypothèse – la diffusion du terme « numérique ». « L’internet des pionniers » nous semble pour cette raison représenter un seuil décisif dans l’histoire des critiques numériques. L’importance de ce passage se retrouve dans les deux parties de cette introduction. La première est consacrée à l’histoire des critiques numériques ; la seconde en propose une grille de lecture au travers de trois lignages philosophico-politiques puis de la distinction entre critiques interne et externe.

Raconter les critiques du numérique

6Si un panorama systématique reste à faire, plusieurs travaux de sciences sociales permettent d’esquisser les grandes lignes de cette histoire des critiques du numérique. Sur la base de la littérature existante (Flichy, 2001 ; Mosco, 2004 ; Turner, 2013 ; Jarrige, 2016 ; Canu et al., 2018 ; Beuscart, 2019 ; Broca, 2021a), il est possible d’en dégager les principales thématiques, et plus généralement les idéologies et les contestations qui ont accompagné le développement de ce domaine au cours des trois dernières décennies.

De l’internet des pionniers aux critiques de l’internet grand public

7Durant les années 1980, alors que se développent conjointement les usages de l’informatique personnelle et les premiers réseaux en ligne, un discours cohérent associe l’informatique à un instrument de transformation sociale et politique. Les premières visions du numérique sont porteuses de critique sociale bien plus qu’objets de critique. Des jeux d’opposition emblématiques (autonomie/contrôle, aliénation/libération, etc.) se retrouvent ainsi au cœur des débats sur le domaine : alors que l’informatique centralisée appelait une dénonciation du contrôle, celui exercé par les grandes entreprises et l’armée (Ceruzzi, 2012), la micro-informatique individuelle serait à appréhender comme un espace de création, qui dans la continuité des utopies des années 1970, permet la formation de communautés électives, affranchie des pesanteurs du contrôle social, favorisant l’expressivité et l’innovation (Rheingold, 1993 ; Turner, 2013). Ce projet est notamment structuré et explicité par un réseau d’intellectuels de la Silicon Valley, réunis autour du magazine Wired (Flichy, 2001), transmutant le projet des utopies communautaires en une réforme sociale adossée à la technique. Les formes varient, selon les acteurs, d’une contre-société alternative, voire sécessionniste (Barlow, 2000), ou d’un projet de changement social progressif par la diffusion des techniques, avec l’avènement d’une société plus fluide (Castells, 1999), d’une information et d’une connaissance libérée, d’un marché plus concurrentiel et innovant (Kelly, 1999), d’entreprises plus efficaces et plus collaboratives sur la base d’une information partagée (Shapiro et Varian, 1998).

8Ces discours techno-optimistes se diffusent jusqu’à occuper le devant de la scène dans la seconde moitié des années 1990, accompagnant la démocratisation d’internet auprès du grand public. Ils attirent en retour une première vague de critiques, qui pointent tout à la fois le caractère irréaliste des utopies et les dangers des chemins vers les futurs qu’elles dessinent. Plusieurs motifs critiques durables se cristallisent durant cette période. Le premier est celui de l’absorption des individus par les machines et les réseaux, de l’oubli du monde « réel » pour s’échapper dans le monde « virtuel » ; dans la sphère académique, S. Turkle ou P. Breton documentent les formes d’attachement des utilisateurs à leurs outils et les risques liés aux formes de communication qui s’y développent, en particulier la vision purement informationnelle des échanges (Breton, 1990 ; Turkle, 2005 [1995]). Un second motif pointe la dimension chaotique de l’espace public en ligne, où tout un chacun peut intervenir librement sans modération de gatekeepers (Wolton, 2000), au risque de déstabiliser l’ordre social.

9En même temps que le numérique se démocratise, les inégalités produites par les conditions matérielles, sociales et cognitives d’accès aux réseaux sont également soulignées. Les opportunités offertes par les réseaux se payent d’une « fracture numérique » entre les connectés et les déconnectés (van Dijk, 2006 ; Rallet et Rochelandet, 2004 ; Hargittai et Hinnant, 2008), un monde de réseau plus fluide et affinitaire recelant un plus grand potentiel d’asymétries d’usages et d’information (Castells, 1998). Cette critique des inégalités créées par le marché en croise un autre qui porte sur la privatisation grandissante d’internet, qu’on trouve chez les défenseurs des communs numériques et d’un internet libre : l’idéal communautaire des premiers temps serait progressivement concurrencé par un ensemble de services commerciaux qui instrumentent et marchandisent les relations sociales en ligne, services alimentés par les promesses et les investissements de la « nouvelle économie ». Cette critique, très répandue (Schiller, 1999), est à l’origine d’initiatives visant à protéger le libre accès à certaines ressources informationnelles et les formes de relations coopératives originelles du Web, telle que la création de l’encyclopédie en ligne Wikipédia ; elles s’inscrivent dans la continuité d’une critique plus ancienne de la privatisation des logiciels et des outils inventés pour y résister (Stallman, 2002 ; Broca, 2018).

Le Web 2.0 et la participation

10Durant les années 2000 émergent de nouvelles promesses numériques auxquelles répondent presque terme à terme une reformulation des énoncés critiques. Après l’éclatement de la bulle internet, la démocratisation du haut débit et la diffusion des dispositifs participatifs (blogs, wiki, réseaux sociaux, etc.) nourrit l’imaginaire et la rhétorique du « Web 2.0 », celui d’un espace de contributions et de collaborations (O’Reilly, 2005), renouvelant la promesse d’une « richesse des réseaux » (Benkler, 2007), d’une libération de l’intelligence collective (Surowiecki, 2005), d’une participation généralisée à la vie sociale (Shirky, 2008), de l’enrichissement de la production culturelle par les usages (Jenkins, 2006) et d’un renouveau de la vie économique (Tapscott et Williams, 2006). En regard, de nombreux travaux empiriques de sciences sociales opposent une critique le plus souvent bienveillante de ces promesses, dont témoignent plusieurs dossiers de la revue Réseaux, en décrivant les formes ordinaires d’appropriation du web social, les enrichissements et aliénations qui accompagnent son usage, les réalités et les limites de la démocratisation de l’accès à l’espace public, et des nouvelles formes de hiérarchie qui se développent dans les réseaux sociaux. Dans le champ universitaire, la plupart des travaux sur le numérique témoignent ainsi d’une forme de proximité ou de sympathie pour leur objet, que leur reprocheront a posteriori des auteurs porteurs de critiques plus radicales des techniques (Jarrige, 2016, p. 294). En sociologie, en anthropologie ou en sciences politiques, étudier les cultures numériques demeure une spécialité de niche, qui attire souvent des chercheurs ayant un goût personnel pour l’informatique et/ou la conviction que les réseaux numériques peuvent être des vecteurs d’émancipation.

11Dans ce contexte, le contenu des critiques les plus visibles s’inscrit plutôt dans le prolongement de celles formulées dans la décennie précédente ; dans l’ensemble ces critiques occupent une place plutôt secondaire dans le débat public au cours de la période. Le développement des réseaux sociaux renouvelle la critique en termes d’absorption dans le virtuel et les écrans : les commentateurs s’inquiètent du temps passé par les adolescents sur MySpace ou Habbo Hotel et des rencontres inappropriées que peuvent favoriser ces sites. En regard les sciences sociales empiriques soulignent la continuité entre les vies sociales en ligne et hors ligne (Boyd, 2015). L’égalitarisme formel affiché par les outils du Web 2.0 alimente le regain de cette nouvelle vague de critiques en termes de dégradation de l’espace public et de dévoiement de la culture. De nombreux auteurs pointent les défaillances, tricheries, manques de contrôle des systèmes collaboratifs de production et d’évaluation comme Wikipédia ou TripAdvisor ; en complément, les critiques dénoncent le nivellement culturel que représente la production du savoir par la foule et le culte des productions amateurs (Keen, 2007), ainsi que l’inauthenticité des relations sociales et des productions médiatisées par les réseaux sociaux. Pour le dire autrement, la critique de droite de la participation généralisée s’inquiète de la dégradation de l’ordre social, tandis que la critique de gauche pointe la perte de sens des relations sociales en ligne et son instrumentation par les compteurs de liens et de likes. La démocratisation réelle des outils et des pratiques numériques, mesurée par les enquêtes, met en retrait le motif critique des inégalités numériques au cours de la période ; l’accent se porte sur la fracture numérique de second niveau, celle de la maturité des usages. Enfin, la critique en termes de marchandisation conteste l’organisation de la participation des usagers par des firmes privées, revendique la maîtrise et la portabilité des contenus pour leurs créateurs, et s’efforce de construire des outils juridiques et techniques alternatifs et non propriétaires (ainsi les licences Creative Commons promues par Lawrence Lessig). Le fait que les infrastructures d’internet, a fortiori celles de l’internet mobile émergent, soient de plus en plus marchandes signe l’adieu définitif aux promesses initiales d’internet de construire une infrastructure ouverte et modifiable par tous (Zittrain, 2009). Mais l’écho de ces critiques de la marchandisation est limité par le fait que, sur cette période, les entreprises du numérique apparaissent principalement comme des auxiliaires et accélérateurs du mouvement de démocratisation (Gillespie, 2010).

12La décennie voit également se cristalliser une nouvelle critique du numérique centrée sur les menaces pour la vie privée. Alors que la question des traces numériques était auparavant un sujet réservé aux spécialistes, la large participation des internautes aux réseaux sociaux se traduit par la mise en ligne d’un grand nombre de données personnelles, susceptibles d’être utilisées à des fins autres que l’entretien de la sociabilité par différentes parties prenantes qui y ont potentiellement accès (publicitaires, voisins, employeurs, police, etc.). Plusieurs affaires de sanctions infligées par un employeur, des autorités policières ou une foule vengeresse suite à la mise en ligne d’informations personnelles alimentent, dans le monde académique comme dans le débat public, les réflexions sur les menaces que fait peser le numérique sur la vie privée et la réputation (Solove, 2007). Cette critique nourrit des initiatives visant à protéger les individus contre ces menaces, à travers des outils numériques (ad blockers, anti-trackers) ou des formations à la vigilance.

La grande désillusion

13La décennie suivante a pu être présentée comme celle d’un « tournant critique » des discours sur le numérique. Ce type de présentation signale un recentrement thématique au sein de l’espace public : alors que les énoncés critiques apparaissaient au cours des décennies précédentes sous la forme de notes de bas de page dans un grand récit de modernisation et de changement social, ils occupent progressivement le centre des débats dans la plupart des pays occidentaux, mettant sérieusement en balance les bénéfices supposés de la numérisation. Plusieurs facteurs alimentent ce retournement. Les entreprises phares qui ont porté la démocratisation de la participation affichent progressivement des taux de croissance et de profits jamais atteints, et la complexité de leurs structures économiques et des différentes couches d’innovation et d’infrastructure qu’elles doivent désormais administrer met à mal leur vocation de changement social (« don’t be evil », « connect the world »). Hier, acteurs du changement, aujourd’hui, symboles de la puissance économique et d’un pouvoir centralisé et non démocratique, réunies sous des acronymes aux accents oligopolistiques (GAFA, GAFAM, NATU, BATX, etc.). Les innovations numériques transforment une part croissante des activités sociales et économiques : au-delà des industries culturelles et informationnelles, elles affectent progressivement les secteurs du tourisme, des transports, du commerce, transformant les conditions de vie d’un nombre croissant d’individus et d’entreprises. S’il a d’abord été forgé avec une connotation positive, le terme « uberisation » en vient rapidement à cristalliser la critique des destructions socio-économiques causées par les innovations de la Silicon Valley. L’histoire du développement du numérique continue d’être jalonnée par des affaires emblématiques, mais, désormais, celles-ci prennent une dimension considérable par leur étendue internationale et l’ampleur des parties prenantes concernées.

14Les motifs critiques construits au cours des décennies précédentes se prolongent et s’enrichissent donc de nouvelles déclinaisons. La critique en sécessionnisme est alimentée par l’intensification des usages « addictifs » des médias sociaux ; elle s’enrichit de la description, dans la scène académique puis médiatique, des théories et des techniques mises en œuvre par les concepteurs de ces techniques pour maximiser l’adhérence (stickiness) des utilisateurs à leurs services (Nadler et McGuigan, 2018). Ces descriptions sont portées tant par des journalistes et académiques que par des « repentis » de la Silicon Valley, comme Tristan Harris, qui proposent d’équiper la critique de contre-outils pour restaurer la liberté de choix des usagers. La critique du numérique déstabilisateur de l’ordre social se trouve elle aussi revivifiée par les controverses concernant l’influence des réseaux sociaux sur les élections de la deuxième moitié de la décennie en Occident, et plus généralement sur leur rôle dans la radicalisation et la polarisation des opinions publiques ; elle donne lieu à des nombreuses actions des pouvoirs publics : auditions, enquêtes, régulation des contenus en ligne (Badouard, 2020 ; Gillespie, 2018). Enfin, la critique de la marchandisation se prolonge en une critique des excès du pouvoir oligopolistique des géants du numérique, freinant l’innovation numérique et restreignant les futurs possibles par le pouvoir de marché (Smyrnaios, 2017 ; Wu, 2018). Ici encore, la critique s’étoffe progressivement, influençant aux États-Unis la réflexion sur la politique économique du numérique à travers des prises de position et des nominations aux instances de régulation, à l’image de la juriste Lina Khan devenue présidente de la FTC (Federal Trade Commission) en juin 2021.

15Deux motifs critiques se cristallisent plus particulièrement au cours de la période ; ils portent sur la surveillance (le contrôle) et l’exploitation. La notion de surveillance s’impose progressivement, dans la sphère académique puis dans le débat public, pour désigner la démarche « systématique et orientée » (Lyon, 2014) d’accumulation des données sur les utilisateurs par les entreprises du numérique. Dans la continuité des critiques sur la violation de vie privée, chercheurs, journalistes et activistes mettent en évidence l’ampleur de la collecte et de la mise en circulation des données sur les personnes (Angwin, 2014 ; Christl et Spiekermann, 2016 ; Crain, 2018). Cette circulation massive des données personnelles peut être considérée comme dangereuse pour plusieurs raisons, toutes abritées sous la large ombrelle du concept de « surveillance » : parce qu’elles constituent une atteinte à l’intégrité des personnes (Couldry et Mejias, 2019), parce que leur existence représente une aubaine pour des acteurs malveillants ou des États totalitaires (Cabañas, Cuevas et Cuevas, 2018 ; Nadler et al., 2018), parce qu’elles permettent de discriminer les populations (Angwin et Parris, 2016) ou parce qu’elles donneraient aux entreprises le pouvoir de guider les comportements individuels (Zuboff, 2019). Outre les équipements techniques visant à limiter la collecte de données (plug-in, vpns, etc.), cette critique donne lieu à d’importantes entreprises réglementaires : série d’auditions de la direction des data brokers devant les assemblées aux États-Unis, RGPD et e-Privacy en Europe.

16La dénonciation des pratiques de surveillance renouvelle également l’analyse du rôle du numérique dans la construction ou le renforcement des inégalités : les pratiques de tri des individus sur la base de leurs traces numériques conduisent les acteurs privés comme publics à leur offrir des opportunités différentes (Eubanks, 2018), à les distinguer entre consommateurs « targets » et « waste » (Turow, 2012), à les enfermer dans des « bulles de filtre » (Pariser, 2011). Plus généralement, en enregistrant des données sur l’état du monde actuel pour suggérer des décisions, les algorithmes et systèmes d’intelligence artificielle deviennent des acteurs potentiels de la reproduction des inégalités sociales, raciales et de genre, et appellent en retour un examen critique des données et des processus d’apprentissage (O’Neil, 2016). Les algorithmes se voient alors recadrés comme des instruments d’« oppression » reproduisant et amplifiant certains préjugés raciaux (Benjamin, 2019 ; Noble, 2018), voire comme les instruments d’un « capitalisme racial » (McMillan Cottom, 2020). Certains auteurs dénoncent un nouveau « colonialisme numérique » (Kwet, 2019) et un « colonialisme des données » (Couldry et Mejias, 2019).

17L’autre motif critique qui se solidifie à cette période est celui du numérique-exploitation. Si quelques auteurs avaient précocement noté la valeur apportée aux entreprises par les contributions des utilisateurs (Terranova, 2000), le regard général porté sur la démocratisation de la participation change au cours de la décennie. Les contributions en ligne sont vues à la fois comme des formes d’expression et comme des formes de travail (digital labor) en tant qu’elles contribuent à la valeur de l’entreprise qui les organise (Cardon et Casilli, 2015 ; Scholz, 2013). Plus encore, le succès des sites de l’économie collaborative et de l’économie à la demande conduisent à questionner la manière dont les outils numériques permettent d’extraire de la valeur des biens et services fournis par les utilisateurs ; les critiques pointent les abus des discours sur l’autonomie des usagers-travailleurs, les formes étroites de contrôles numériques développées par les sites, les faiblesses des rémunérations et l’absence de négociation collective (Tubaro et al., 2020 ; Wood et al., 2019). Ces critiques prennent de l’importance au fur et à mesure que se développent les emplois et les formes de travail précaires (gig economy, micro-travail, travail gratuit), médiatisés par des plateformes numériques. Elles se nourrissent aussi bien d’un retour à une forme d’orthodoxie marxiste (Fuchs, 2014), que des apports du féminisme (Jarrett, 2017) et du courant post-opéraïste (Vercellone, 2007). Elles se reflètent dans des mobilisations de travailleurs – parfois encadrées par les syndicats – tout comme dans les tentatives des pouvoirs publics pour qualifier juridiquement et encadrer ces nouvelles relations de travail. Corrélativement à cette critique de l’exploitation subie par les usagers des plateformes, la culture d’entreprise des grandes firmes de la Silicon Valley se voit dénoncée comme toxique, discriminatoire et sexiste, notamment par des journalistes (Chang, 2019) et d’ex-salariées (Fowler, 2020).

18Une variante de cette critique de l’exploitation s’attache à la capacité des technologies numériques à créer de la valeur sans générer des emplois en proportion équivalente. Une même catégorie de travailleurs serait bénéficiaire d’une révolution numérique, universaliste dans son discours et ses usages, mais aristocratique dans les profits tirés et escomptés (Brynjolfsson et McAfee, 2016). Cette thématique renforce la panique morale entourant le développement de certaines techniques, qui cristallisent craintes et soupçons, dans la lignée d’œuvres de science-fiction à succès. La notion d’« intelligence artificielle », entrant pourtant dans son quatrième âge, se retrouve ainsi au cœur du débat public, la thématique classique du remplacement de l’humain par la machine recouvrant une inquiétude matérielle : celle de la « destruction » et de la dégradation des emplois (Casilli, 2019).

19Les dernières années ont également été marquées par la reviviscence d’une contestation environnementale du numérique, mettant l’accent sur l’empreinte écologique des infrastructures numériques et les dégâts socio-environnementaux de l’informatisation, dans un contexte de croissance ininterrompue des usages et de renouvellement rapide des équipements (Flipo, 2020). Cette critique est en fait assez ancienne, notamment en France, où elle a été portée par des collectifs comme Pièces et Main-d’œuvre, des maisons d’édition indépendantes comme L’Échappée et La Lenteur, ainsi que par des universitaires proches du mouvement de la décroissance comme Alain Gras (2007). Elle est toutefois longtemps demeurée marginale, occultée par l’image dominante du numérique en tant que technologie immatérielle, affranchie de la territorialité. Il a ainsi fallu attendre la fin des années 2010 pour que ces préoccupations résonnent plus fortement dans l’espace public, du fait notamment de l’attention médiatique suscitée par des rapports d’ONG (The Shift Project, 2018) et certains travaux d’enquête journalistique (Pitron, 2018 ; 2021). Cette mise à l’agenda a conduit les grandes entreprises technologiques à communiquer plus fortement sur leurs « engagements » environnementaux. Elle a aussi accompagné l’émergence de quelques acteurs industriels revendiquant un positionnement « écologique », comme le fabricant de smartphones Fairphone, et a suscité certains projets de réglementation.

20Au terme de ce trop rapide panorama, il apparaît que la critique du numérique constitue une histoire en soi, à la fois homogène dans ses supports et plurielle par ses thématiques. Si la force du traitement médiatique semble remettre à zéro les compteurs de cette histoire, il paraît également possible d’en tirer les différents fils de manière à identifier les motifs, sur la base de leur cohérence thématique. Plus particulièrement, si le panorama des critiques numériques esquissé à grand trait témoigne de certaines continuités, elles peuvent également être réinscrites dans l’histoire des contestations ayant accompagné le déploiement du capitalisme depuis le début du XIXe siècle. Au travers de cette double perspective, l’enjeu est de dégager des principes organisateurs des critiques du numérique

Organiser les critiques du numérique

Critiques libérale, sociale et écologique

21Selon L. Boltanski et È. Chiapello, « les sources d’indignation […] sont restées à peu près les mêmes au cours des deux derniers siècles » (Boltanski et Chiapello, 2011, p. 86). Si l’on suit ce principe, les motifs des critiques numériques – les types d’injustice qui les motivent et les thématiques récurrentes qui sont les leurs – ne seraient guère différents de ceux qui existaient bien avant le déploiement de l’informatique et des réseaux. Il y a plusieurs façons d’essayer de catégoriser ces motifs persistants de la critique (Boltanski et Chiapello, 2011 ; Fraser, 2005). En nous inspirant de l’histoire de la pensée politique, nous faisons ici le choix de les regrouper autour de trois grands pôles : la critique libérale, la critique sociale et la critique écologique.

22La critique libérale repose sur les grandes valeurs qui sont au cœur du libéralisme politique : liberté d’expression et d’opinion, séparation des pouvoirs, circulation de la connaissance, droit à la vie privée, libre concurrence entre acteurs économiques. S’il est en général admis qu’il existe une affinité entre ces valeurs et l’essor du capitalisme, on oublie souvent qu’elles ont aussi fourni quantité d’arguments pour contester l’état des rapports sociaux à différents moments de l’histoire. Ainsi, depuis la dénonciation par Adam Smith des ententes entre industriels jusqu’à l’élaboration par John Rawls d’une théorie de la justice bornant les inégalités économiques et sociales légitimes, certains des plus grands auteurs libéraux ont aussi été des critiques du capitalisme de leur temps. Il existe donc une puissante tradition critique libérale, qui dénonce les entorses aux libertés individuelles et les entraves aux capacités humaines d’autonomie et d’auto-organisation. Cette tradition a été réactivée par de nombreuses critiques numériques, que ce soit pour défendre la liberté d’expression en ligne, dénoncer le recul du droit à la vie privée, ou encore lutter contre les positions oligopolistiques des GAFAM.

23La critique sociale prend quant à elle la suite des différentes déclinaisons de la pensée socialiste et du marxisme. Son ressort principal est la contestation des inégalités. Elle vise à dévoiler les structures de domination et d’exploitation, et tend à privilégier les questions du travail et de la distribution de la valeur. À ces motifs de lutte récurrents depuis le XIXe siècle, il faut désormais ajouter les contestations liées aux questions de « race » et de genre, qui s’expriment également en termes de justice sociale et d’égalité. La critique sociale ne se limite donc pas à l’antagonisme entre capital et travail, elle inclut ces autres conflictualités dont la visibilité s’est accrue ces dernières décennies. Les critiques numériques s’inscrivent dans cette histoire. Elles reprennent les motifs historiques de la critique sociale lorsqu’elles dénoncent les formes d’exploitation liées au travail de plateforme ou la concentration extrême de la richesse dont certains dirigeants d’entreprises technologiques (Jeff Bezos, Elon Musk, etc.) sont devenus les symboles. Elles font aussi une place de plus en plus importante aux questions de la « race » et du genre, en soulignant par exemple les discriminations reproduites et parfois amplifiées par les algorithmes.

24La critique écologique constitue un troisième motif, que l’on peut rattacher au développement de l’écologie politique. Bien qu’il ait beaucoup gagné en importance dans l’espace public, il constitue un motif relativement ancien. Comme l’ont montré plusieurs travaux historiques, il existe dès le XIXe siècle de nombreuses critiques dénonçant les nuisances liées à l’industrialisation, la destruction des paysages naturels et la laideur des villes modernes (Fressoz, 2012 ; Jarrige, 2016). La critique écologique s’oppose ainsi à l’impératif productiviste et au projet moderne sous-jacent de se rendre, selon la formule de Descartes, « comme maîtres et possesseurs de la nature ». Elle porte une exigence d’autolimitation des sociétés et s’oppose au développement incontrôlé des sciences et des techniques, une préoccupation que l’on retrouve chez des penseurs de la technique et de sa critique, tels que William Morris, Lewis Mumford, Jacques Ellul, Ivan Illich ou André Gorz. Lorsqu’elles mettent en avant les impacts environnementaux d’internet ou l’aliénation produite par notre dépendance à l’informatique, les critiques numériques s’inscrivent dans la filiation de ces discours technocritiques.

25Les trois grands motifs que nous venons de décrire ne constituent pas des blocs, étanches et statiques. L’histoire des critiques numériques depuis trente ans comporte des effets de déplacements de leurs poids respectifs, des modifications dans leur articulation et un grand nombre d’entrecroisements thématiques. Un coup d’œil rapide et schématique pourrait faire croire que la critique libérale a dominé les années 1990 et une large partie des années 2000 ; que la critique sociale a fait irruption au milieu des années 2000, pour se développer en parallèle de la croissance des grandes plateformes ; et que la critique écologique est devenue audible plus récemment, à la faveur de l’intégration de l’écologie à l’agenda politique. Ces différents motifs existent pourtant à chacune de ces périodes, bien qu’avec des intensités différentes ; ils ne se sont pas simplement succédé les uns aux autres.

26Les critiques, d’inspiration libérale, sociale ou écologique tendent de plus en plus à s’entremêler dans la manière dont sont cadrés et construits les problèmes publics relatifs au numérique. Ainsi, l’augmentation exponentielle de la collecte des données personnelles peut aujourd’hui être contestée en vertu de différents cadrages politiques et argumentatifs : pour des raisons libérales (protéger le droit à la vie privée), pour des raisons sociales (résister au renforcement de la surveillance et du contrôle sur les travailleurs), pour des raisons écologiques (minimiser l’impact environnemental et le coût énergétique du numérique). Ce genre de constat incline à penser que des convergences sont possibles – peut-être aujourd’hui plus que jamais – entre des positionnements critiques issus de traditions militantes et intellectuelles distinctes. Il ne faut cependant pas minimiser certaines incompatibilités persistantes entre ces différents types de critiques. Pour n’en prendre qu’un exemple, la volonté écologique de limiter l’empreinte globale du numérique en priorisant « certains usages par rapport à d’autres, sur la base de leur pertinence, de leur caractère essentiel, au service de l’intérêt général » (The Shift Project, 2019) vient heurter de front le principe de neutralité du Net, qui constitue historiquement une pierre de touche de la défense libérale d’un internet ouvert.

Critiques interne et externe

27Au-delà de la philosophie politique, le champ des sciences sociales fournit d’autres principes utiles pour organiser la réflexion sur les formes de la critique, à commencer par les notions de critique interne et de critique externe (Walzer, 1990). Ce couple de notions peut se comprendre en deux sens légèrement différents. En un sens sociologique, il distingue un discours porté par des acteurs inscrits dans le champ sur lequel porte leur critique à un discours déployé par des acteurs extérieurs à ce même champ. Ainsi, une critique de l’informatique développée par des informaticiens se présente comme interne, alors que celle portée par des chercheurs en sciences sociales se donne comme externe. Dans cette acception basique, la distinction interne/externe recoupe assez largement la différence entre les critiques situées, portées par les acteurs sociaux concernés, et les critiques savantes, issues du monde universitaire et souvent élaborées sans que les injustices dénoncées ne fassent l’objet d’une expérience personnelle.

28Le couple critique interne/critique externe peut aussi se comprendre en un sens légèrement plus abstrait. Il oppose alors les discours développés en référence à des valeurs et des positions normatives partagées aux discours revendiquant des appuis normatifs extérieurs à ceux en vigueur dans le champ considéré. Dans le premier cas, ce qui est pointé est la disjonction entre les faits et les valeurs, le décalage entre une situation sociale concrète et les principes de justice qui sont censés la régir. Dans le deuxième cas, ce sont les positions normatives perçues comme légitimes au sein du champ considéré qui font l’objet d’une contestation, si bien que quand bien même il y aurait adéquation entre les faits et les valeurs revendiquées, la situation demeurerait perçue comme injuste. Pour le dire dans les termes de L. Boltanski et È. Chiapello, la critique interne « prend au sérieux la cité en référence à laquelle l’épreuve est construite » (Boltanski et Chiapello, 2011, p. 80), tandis que la critique externe « s’exerce au nom d’autres principes, relevant d’une autre cité, que ceux sur lesquels l’épreuve, dans sa définition couramment admise, prétend fonder ses jugements » (Boltanski et Chiapello, 2011, p. 81).

29Souvent, la définition sociologique et la définition axiologique de la distinction entre critiques interne et externe se recoupent. Les acteurs sociaux inscrits dans un espace social déterminé en partagent la plupart du temps les valeurs constitutives, tandis que les acteurs sociaux extérieurs ont plus de facilité à remettre en question ces positions normatives. Il est ainsi plus courant pour un philosophe que pour un ingénieur d’interroger l’exigence d’efficacité, la recherche d’innovation technique ou la pratique de quantification du monde. Il existe néanmoins des exceptions, autrement dit des situations où un acteur social porteur d’une critique interne (au sens sociologique) en vient à développer une critique externe (au sens axiologique). C’est le cas, par exemple, lorsqu’un ingénieur conteste le bien-fondé du progrès technique, une valeur qui structure pourtant le monde professionnel auquel il appartient.

30L’histoire des critiques numériques fait apparaître, nous semble-t-il, une conversion de nombreux acteurs de la critique à une critique externe, du point de vue axiologique. Historiquement, les critiques numériques ont majoritairement été portées par des acteurs issus du monde de l’informatique et des réseaux. Les entraves à la circulation de l’information engendrées par l’extension des droits de propriété intellectuelle étaient dénoncées par les développeurs de logiciels libres, les ONG les plus en vue sur les questions de liberté d’expression et de vie privée en ligne (comme l’Electronic Frontier Foundation) étaient liées à la Silicon Valley, etc. Corrélativement, les discours portés par ces acteurs étaient internes du point de vue axiologique, au sens où les bienfaits de l’informatisation et les promesses d’émancipation liées à l’essor des réseaux n’étaient jamais fondamentalement remis en cause. L’enjeu était de faire en sorte que l’utopie d’internet tienne ses promesses, pas de remettre en cause le bien-fondé de celles-ci (Morozov, 2013).

31Cette situation a, nous semble-t-il, progressivement changé. La multiplication des travaux sur l’exploitation du travail des internautes (digital labour), le renforcement des inégalités imputables au numérique (de classe, de genre et de race) ou encore le coût écologique croissant de l’informatique ont porté sur le devant de la scène des discours de plus en plus circonspects envers l’utopie d’internet. Comme l’écrivait déjà Dominique Cardon en 2015, « les discours intellectuels relatifs à internet sont ainsi passés d’une critique interne à une critique externe » (Cardon, 2015, p. 44). Certains universitaires ont même fait une sorte de mea culpa. Yochai Benkler, auteur en 2006 de The Wealth of Networks (un ouvrage qui demeure sans doute l’une des théories les plus abouties des enjeux économiques et politiques d’internet), a ainsi confié que « le genre d’optimisme qui caractérisait les écrits de Barlow, ainsi qu’au moins une partie des miens, est beaucoup plus difficile à soutenir aujourd’hui […] » (Benkler, 2019). Le chercheur et militant Félix Tréguer a quant à lui évoqué une « utopie déchue » et défend désormais la nécessité d’« un refus plus radical opposé à l’informatisation du monde » (Tréguer, 2019, p. 307). Même des chercheurs étroitement liés à l’industrie, comme la salariée de Microsoft Research Kate Crawford, peuvent aujourd’hui tenir des positions a priori diamétralement opposées à la vision du monde promue par leur employeur, en écrivant par exemple que « l’IA n’est ni artificielle, ni intelligente » (Crawford, 2021, p. 8).

32Ce passage d’une critique interne à une critique externe (au sens axiologique) a aussi touché des acteurs de la critique située, quand bien même ces derniers semblaient a priori peu enclins à remettre en question les bienfaits de l’innovation technique. On peut en voir un exemple dans les discours radicaux désormais portés par les anciennes salariées de Google Meredith Whittaker et Timnit Gebru. On en lit également un indice dans l’évolution d’organisations militantes comme La Quadrature du Net, désormais sensibles aux questions écologiques et défendant des positions beaucoup moins technophiles que par le passé, par exemple sur un sujet comme la 5 G (Broca, 2021b). Il ne faudrait toutefois pas croire que tous les discours critiques sont devenus externes. Comme le montre l’actualité récente, les contestations qui demeurent les plus visibles médiatiquement sont souvent internes, du point de vue sociologique comme du point de vue axiologique. Ainsi, les révélations de l’ex-employée de Facebook Frances Haugen ont eu un retentissement mondial, tant parce qu’elles provenaient de quelqu’un « de l’intérieur » que parce qu’elles n’ébranlaient pas fondamentalement les valeurs des entreprises de la Silicon Valley (et de leurs utilisateurs). F. Haugen s’est en effet déclarée opposée à un démantèlement de Facebook et a souligné que le réseau social pouvait toujours, selon elle, « faire ressortir le meilleur de nous-mêmes » (citée par Loeb, 2021).

33Cet exemple souligne que la critique interne n’a pas disparu, loin de là. Il suggère également que les acteurs occupant des positions au sein de l’industrie (Tristan Harris, Timnit Gebru, Christopher Wylie, Frances Haugen, etc.) ou de l’appareil d’État (Edward Snowden) disposent souvent d’un avantage par rapport aux représentants traditionnels de la critique, que sont par exemple les journalistes ou les universitaires : ils ont accès à des informations confidentielles, que les organisations dont ils sont issus protègent jalousement. Cela est particulièrement vrai dans le champ de l’intelligence artificielle, devenue en quelques années un domaine presque intégralement contrôlé par les grandes entreprises technologiques et où de nombreuses recherches sont menées sous le sceau du secret commercial (Whittaker, 2021). La possibilité pour des acteurs externes d’accéder aux informations nécessaires pour construire une critique pertinente se pose dès lors avec acuité, comme en a témoigné récemment la révocation par Facebook de l’accès à ses données pour des chercheurs de la New York University enquêtant sur le rôle des réseaux sociaux dans les émeutes du 6 janvier 2021. La situation actuelle apparaît donc quelque peu paradoxale : alors que des critiques plus radicales se développent au sein de métiers étroitement associés au triomphe de l’informatique et des réseaux, certains acteurs emblématiques de la critique externe, comme les universitaires, semblent de plus en plus dépendants de l’industrie pour accéder aux données indispensables à la construction d’un discours critique informé.

Critiques numériques et numérisation de la critique

34Loin de s’exprimer uniquement dans le langage ordinaire, les critiques numériques s’incarnent souvent dans des réalisations et des dispositifs techniques. C’est ce qu’on peut appeler, à la suite de Dominique Boullier, la « numérisation de la critique » (Boullier, 2018). Cette spécificité est à l’évidence liée à la prépondérance historique de certains acteurs, notamment les informaticiens issus des mondes hacker. Ces derniers ont ainsi opérationnalisé le discours critique, en l’incorporant dans des réalisations techniques diverses : logiciels libres, outils de cryptographie et d’anonymisation, bloqueurs de publicité, réseaux décentralisés, etc.

35Si cette numérisation s’est tout d’abord déployée dans le cadre de la critique libérale, essentiellement pour défendre la liberté d’expression et la vie privée, elle a aussi pu outiller la critique sociale. On en voudra pour exemple l’outil Turkopticon, créé par les micro-travailleurs (turkers) d’Amazon Mechanical Turk (AMT) avec l’aide de la chercheuse Lilly Irani et du syndicaliste Six Silberman. Ce module complémentaire pour navigateurs internet a ainsi permis aux turkers de publier évaluations et commentaires à propos des micro-tâches proposées sur la plate-forme. Il s’est ainsi présenté comme une réponse technologique à l’asymétrie d’information et de pouvoir qui caractérise le fonctionnement de la plateforme (Irani et Silberman, 2016). De manière tout aussi parlante, le mouvement du coopérativisme de plateformes (Scholz et Schneider, 2017) et sa déclinaison originale en France (Vercher-Chaptal et al., 2021) ont également cherché à donner une réponse (en partie) technologique à la domination des grandes plateformes capitalistes d’intermédiation comme Uber et Airbnb. Même la critique écologique s’est en partie numérisée, si l’on en croit par exemple la manière dont de nombreux fablabs et hackerspaces ont revendiqué une nouvelle culture du « faire », fondée sur l’open hardware et la réparabilité des objets, afin de faire face aux défis environnementaux (Berrebi-Hoffmann et al., 2018).

36La numérisation de la critique a donc essaimé à partir des mondes hacker où ces pratiques sont nées. Cela est souvent allé de pair avec une prise de distance envers les formes plus traditionnelles d’argumentation, de militantisme et d’activité politique. En inventant de nouveaux répertoires d’actions, les acteurs de la numérisation de la critique ont parfois disqualifié les anciens. L’idée selon laquelle « une protection solide de la vie privée doit être technique » (Stallman, 2013) a ainsi pu avoir pour corrélat qu’il est inutile de dépenser du temps et de l’énergie militante pour essayer d’améliorer les protections juridiques. Autrement dit, la numérisation de la critique s’est parfois posée comme une stratégie alternative à l’action démocratique et aux tentatives pour obtenir des avancées légales ou réglementaires, en vertu de l’idée selon laquelle il est plus efficace d’« argumenter par la technologie » que d’« argumenter par la parole » (Kelty, 2008).

37Cette stratégie de numérisation de la critique a pourtant montré certaines limites. Elle a parfois souffert d’un biais aristocratique, réservant certains types d’action ou de protection à une minorité techniquement compétente. Comme le souligne le militant et ancien président de French Data Network Benjamin Bayart, « j’ai envie de considérer que ce que j’appelle les techniques de hacker n’existent pas : une technique que ma belle-mère ou ma grand-mère ne peut pas utiliser dans son canapé, j’estime qu’elle n’existe pas » (Bayart, 2021). La numérisation de la critique a finalement eu les avantages et les limites propres à de nombreuses critiques internes. En utilisant le numérique pour critiquer le numérique, elle a pu se donner les moyens de répondre efficacement à l’instrumentation technologique des formes de domination, en matière de surveillance par exemple. Elle s’est toutefois condamnée à produire une critique correctrice, incapable – ou non désireuse – de questionner la numérisation croissante des différents aspects de la vie sociale et d’y proposer des échappatoires.

Présentation du numéro

38Les différentes contributions de ce dossier rendent compte de cette pluralité des motifs critiques et de l’historicité de leurs formes. Dans le premier article, Christophe Lécuyer rappelle l’ancienneté de la critique écologique des industries numériques au sein de la Silicon Valley. Il montre comment la critique environnementale du numérique naît à la fin des années 1970 à travers les tentatives de syndicalisation au sein de l’industrie des semi-conducteurs. Des militants syndicaux et des activistes du mouvement ouvrier s’attaquent aux dangers chimiques que rencontrent les employés, principalement des femmes, dans les usines de production de puces électroniques. L’évolution des objets de critique (l’entrepôt des produits toxiques, la pollution des nappes phréatiques, la prévention des accidents industriels, etc.) met en lumière l’évolution du jeu d’acteurs et de leurs stratégies, une dialectique ayant conduit les entreprises à délocaliser la production afin de limiter les contestations locales, faisant ainsi en apparence de l’industrie informatique une industrie de l’immatériel et pacifiée.

39Au cours des dernières années, le développement des grandes entreprises du numérique a conduit à la résurgence de tentatives de syndicalisation et d’organisation des travailleurs. Comme le montrent Isabelle Berrebi-Hoffmann et Quentin Chapus, les salariés des GAFAM et les contractuels et indépendants de la Tech californienne développent des formes variées de protestation, virtuelles ou physiques sur le lieu de travail. Bien qu’elles concernent une minorité d’employés, ces actions collectives (pétitions ou grèves) ont une efficacité qui leur permet d’attirer l’attention des médias et des directions d’entreprise. Prenant appui sur l’analyse empirique d’un corpus de 275 actions collectives menées depuis 2015, cet article vise de manière exploratoire à rendre compte de mobilisations qui se développent au cœur de la Silicon Valley, mais qui s’inscrivent dans l’histoire syndicale et antisyndicale des États-Unis. La convergence entre cols blancs et cols bleus y apparaît comme l’horizon d’attente et la condition de réussite de mouvements qui peinent à se structurer. Ces difficultés se comprennent notamment en raison des motivations et modes d’organisation spécifiques au sein des entreprises du numérique.

40Clément Mabi et Irénée Régnauld rendent compte d’un cas de figure inverse : celui d’un collectif, « Onestla.tech », de développeurs, designers, chefs de projets et « agilistes » mobilisé contre la réforme des retraites en 2019. Ces « travailleurs du milieu », n’appartenant ni aux classes populaires ni à la catégorie des élites et hauts dirigeants du secteur, tentent ainsi de faire valoir des valeurs et une vision politique transversale, qui suppose également une prise de distance à l’égard du récit de la « startup Nation ». Cette vision critique commune au sein d’un collectif n’empêche pas les tensions et divisions, tant idéologiques que stratégiques, entre ses membres. En restent l’hypothèse et l’horizon d’une généralisation des « mobilisations par projets ».

41L’article de Samuel Lamoureux rappelle la centralité du thème du sabotage dans les discours et approches critiques des technologies, des textes classiques de penseurs critiques jusqu’à la dénonciation du travail du clic. Les pratiques de résistance consistant à endommager, perturber et subvertir les opérations d’une machine ou d’une organisation trouvent de nouvelles formes institutionnelles à chaque période du capitalisme. Trois types de sabotage sont ainsi envisagés pour rendre compte des critiques du capitalisme numérique : le sabotage classique, le sabotage subtil et la résistance aux technosciences. Si le premier sabotage tend à disparaître des lieux de travail, le deuxième type consiste en la réappropriation des outils numériques pour des fins alternatives ; tandis que la résistance aux technosciences passe par le contournement et l’évitement algorithmiques.

42Enfin, Sébastien Broca propose une analyse du capitalisme numérique à partir des notions de « système-monde » et d’« échange écologiquement inégal ». Cette tentative métacritique repose sur l’articulation de deux aspects : une description des relations économiques et matérielles entre espaces centraux et espaces périphériques ; une théorie de l’exploitation réalisée par les premiers au détriment des seconds. Une telle approche revient à placer le capitalisme numérique dans une histoire et une géographie globales. Au lieu de le singulariser, ce dernier est repositionné dans une histoire et une géographie économiques étendues, soulignant l’interdépendance entre la côte ouest des États-Unis et le reste du monde. Du point de vue empirique, elle engage à quantifier les flux de ressources biophysiques qui nourrissent depuis les marges l’innovation technologique et les réussites entrepreneuriales réalisées dans les centres. Dans cette perspective, ces grands centres de l’innovation apparaissent comme dépendants des périphéries fournissant les ressources matérielles nécessaires au développement du capitalisme numérique.

43On trouvera en varia un article sur une plateforme de crowdsourcing d’idées où on peut créer, contribuer et évaluer des contenus. Damien Renard reprend ici le modèle conventionnaliste des « économies de la grandeur », il montre l’importance de la cité par projets chez les participants les plus actifs, et l’existence d’un compromis avec les tenants de la cité marchande.

44De leur côté, Louis Rénier et al. étudient l’émergence de nouvelles chaînes YouTube chez les agriculteurs. Ces vidéastes qui se nomment agri-youtubeurs cherchent à rendre accessibles leurs activités quotidiennes, en montrant à un large public, leurs outils, leurs terres, leurs cultures évoluant tout au long de l’année. Ils souhaitent constituer des collectifs en dépit de la distance.

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Mots-clés éditeurs : Silicon Valley, numérique, critique, réseaux, critique libérale, techlash, critique sociale

Mise en ligne 18/02/2022

https://doi.org/10.3917/res.231.0009

Notes

  • [1]
    L’article de référence évoque même une « public demonology », cf. (2013) [en ligne] disponible à l’adresse : https://www.economist.com/news/2013/11/18/the-coming-tech-lash (consulté le 09/12/2021).
  • [2]
    L’Oxford English Dictionary définit le terme comme « A strong and widespread negative reaction to the growing power and influence of large technology companies, particularly those based in Silicon Valley ».
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