Notes
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[1]
Soucieux de rendre compte des fondements pratiques des termes employés par les acteurs, nous faisons le choix de renoncer à ces termes connotés négativement et d’employer celui de « réinfosphère », par lequel ces sites s’autodéfinissent.
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[2]
Voir notamment, sur ces éléments, les numéros 170 (2011) et 176 (2012) de la revue Réseaux.
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[3]
D. Albertini, « Extrême droite : de la Finlande à la Grèce, la dérive européenne », Libération, 20 mai 2016.
-
[4]
Ibid.
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[5]
Cf. la revue Esprit (« À quoi servent les partis politiques ? », n° 397, 2013).
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[6]
Pour une discussion approfondie de l’archéologie du terme et de la multiplicité de ses définitions et usages, voir G. Mauger, « “Populisme”, itinéraire d’un mot voyageur », Le Monde diplomatique, juillet 2014.
-
[7]
Cf. chiffres STATPOP de l’Office Fédéral de la Statistique (OFS, 2016).
-
[8]
Pour une liste de ces thèses, voir R. Liogier (2012).
-
[9]
OFS (2016), Rapport SILC 2014 sur la situation économique et sociale de la population.
-
[10]
TVLibertés, « Uli Windisch : le modèle suisse, une référence à l’international ? », http://www.tvlibertes.com/zoom-uli-windisch-le-modele-suisse-une-reference-a-linternational/(consulté le 1er septembre 2016).
-
[11]
En juillet 2009, suite à une chronique publiée quelques mois plus tôt dans Le Nouvelliste, où il appelait notamment à ne plus voter pour les Verts et le PS, il avait reçu un avertissement dudit Comité. Source : M. Togni, « Uli Windisch épinglé par le rectorat de l’université », Le Courrier, 9 juillet 2009.
-
[12]
L. Nicolet, « Qui a dit que le patriotisme devait être de droite ? », Migros Magazine, 21 septembre 2009.
-
[13]
C. Zuercher, « Uli Windisch, sociologue de droite au cœur de la tempête médiatique », Tribune de Genève, 24 juin 2009.
-
[14]
F. Amedeo, « Présidentielle : ce qui a fait le buzz sur la Toile », Le Figaro, 22 avril 2012.
-
[15]
Autodéfini comme « site américain conservateur, chrétien et pro-israëlien », dont le slogan est « Votre bouffée d’air du matin pour mieux supporter les mensonges des médias ».
-
[16]
X. Lambiel, « Antipresse ou le discours numérique du cercle d’Oskar Freysinger », Le Temps, 20 décembre 2015.
-
[17]
Ces termes connaissent une telle popularité sur le web que la chaîne radiophonique Mouv’ leur a consacré un numéro en mars 2014, intitulé « Tous des journalopes dans les merdias ? ». Pour une généalogie, voir l’article de J. Deborde, « Comment “journalopes” et “merdias” se sont répandus sur les réseaux », Libération, 5 janvier 2017.
-
[18]
E. Gross, C. Lussato, « Plongée dans la fachosphère », Le Nouvel Obs, 27 juillet 2011.
-
[19]
Voir notamment J.-Y. Le Gallou, « Réinfosphère contre médias de propagande : la grande bataille ! », Boulevard Voltaire, http://www.bvoltaire.fr/reinfosphere-contre-medias-de-propagande-grande-bataille/, 25 septembre 2015 (consulté le 1er septembre 2016).
-
[20]
A. Sari, « Réinformation et désinformation : l’extrême droite des médias en ligne », Acrimed, http://www.acrimed.org/Reinformation-et-desinformation-l-extreme-droite-des-medias-en-ligne, 10 mars 2015 (consulté le 1er septembre 2016).
-
[21]
Source : http://lesobservateurs.ch/2016/05/21/la-guerre-aux-sites-de-la-reinformation-larme-de-la-fachosphere-plus-personne-ny-croit-sauf-le-journal-socialo-communiste-le-monde/ (consulté le 1er septembre 2016).
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[22]
X. Lambiel, « L’UDC se désolidarise d’un dessinateur antisémite », Le Temps, 27 mai 2016.
-
[23]
U. Windisch, « Le journal Le Temps participe au lynchage d’un jeune artiste de qualité, mais “sulfureux” idéologiquement », 29 mai 2016, http://lesobservateurs.ch/2016/06/21/medias-le-journal-le-temps-participe-au-lynchage-dun-jeune-artiste-de-qualite-mais-sulfureux-ideologiquement/ (consulté le 1er septembre 2016).
-
[24]
P. Barraud, « Rien sans peine », Commentaires.com, 14 mai 2012, http://www.commentaires.com/suisse/rien-sans-peine (consulté le 1er septembre 2016).
-
[25]
Source : https://www.youtube.com/watch?v=e9XJ28bKxJc (consulté le 1er septembre 2016). Cette vidéo mériterait en soi une analyse, tant son contenu synthétise les reproches adressés aux médias mainstream par le courant de la réinformation.
-
[26]
Les Observateurs, « Urgent. Appel aux dons », 1er septembre 2016), http://lesobservateurs.ch/2016/09/01/urgent-appel-aux-dons/ (consulté le 1er septembre 2016).
-
[27]
Comme le montre la vidéo du « 19:30 » de la RTS du 1er février 2012.
-
[28]
Si Fdesouche est également proche des Observateurs du point de vue des thèmes et des partages de textes, il nous intéresse moins ici dans la mesure où il ne produit quasiment aucun contenu original, mais fonctionne comme une revue de presse actualisée en temps réel (cf. Kergomard, 2012).
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[29]
Ainsi le premier article publié par UW sur son site est-il intitulé « Les grands éditeurs suisses : des multimillionnaires de gauche ? », 29 janvier 2012.
-
[30]
Les initiatives populaires fédérales « Pour le renvoi des criminels étrangers » et « Contre l’immigration de masse » ont de fait été acceptées en votation populaire, respectivement en novembre 2010 et février 2014.
-
[31]
S. Montabert, « La vieille antienne de la Suisse gouvernée à droite », 18 août 2016, http://lesobservateurs.ch/2016/08/18/vieille-antienne-de-suisse-gouvernee-a-droite/ (consulté le 1er septembre 2016).
-
[32]
D’après les titres des ouvrages éponymes de R. Camus (2011) et B. Ye’or (2006).
-
[33]
C. Zünd, « La droite pamphlétaire étend sa toile en Suisse », Le Temps, 20 décembre 2015.
-
[34]
Source : http://lesobservateurs.ch/2016/01/02/uli-windisch-longue-interview-biographique-et-sur-lesobservateurs-ch-par-pierre-cassen-du-site-riposte-laique/ (consulté le 1er septembre 2016).
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[35]
TVLibertés, op. cit.
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[36]
Ceci attire l’attention sur le fait que la visibilité médiatisée fait intervenir des tiers symboliques et matériels (Voirol, 2005b), qui sont eux-mêmes l’objet de considérations juridico-politiques. L’administrateur suisse du site Riposte laïque a ainsi été condamné en avril 2016 par le Tribunal correctionnel de Paris pour provocation à la haine, suite à la publication d’une violente diatribe contre les musulmans.
-
[37]
M. Grandjean, « Média plagiaire : “Les Observateurs” et la systématique du copier/ coller », 13 décembre 2013), http://www.martingrandjean.ch/les-observateurs-systematique-copier-coller/ (consulté le 1er septembre 2016).
-
[38]
L’accusation de Grandjean a eu de fait pour effet de voir disparaître une large partie des archives des Observateurs. De plus, la rubrique « Flux » où étaient recensés automatiquement les articles provenant d’autres sites, a été remplacée par la rubrique « Brèves ».
-
[39]
Les Observateurs, « La guerre des médias n’aura pas lieu », 16 décembre 2013, http://lesobservateurs.ch/2013/12/16/la-guerre-du-week-end-naura-pas-lieu/ (consulté le 1er septembre 2016).
-
[40]
Les données fournies par SimilarWeb confirment largement nos observations quant au fonctionnement autoréférentiel de la réinfosphère francophone. Elles doivent toutefois être considérées avec précaution, compte tenu de la méthodologie grossière de l’outil.
-
[41]
À titre de comparaison, à la même période dreuz.info totalise plus de 30 700 fans, E&R 152 000, Fdesouche 258 500 et Riposte laïque France 24 700.
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[42]
Pour le cas suisse, voir notamment Y. Roulet, « Comment l’UDC a étendu sa toile », Le Temps, 21 octobre 2015.
« Le débat public n’a pas et n’aura jamais pour médium le discours de bonne volonté, en vue d’atteindre une communication sans distorsion : il se donne dans des activités plus ou moins normées, parfois même ritualisées, de dénonciation et de justification, de revendication et de disqualification, de polémique et d’argumentation. »
2Depuis une vingtaine d’années, l’essor des mouvements politiques radicaux, de droite comme de gauche, semble provoquer la perplexité des chercheurs, dont les cadres d’analyse traditionnels paraissent de moins en moins aptes à appréhender et décrire la dynamique en cours. Si les recherches sur les « extrêmes » politiques se sont multipliées, elles sont peu nombreuses à avoir abordé leurs stratégies de communication hybrides, au sein desquelles la technologie numérique prend une place grandissante. Bien que la démocratisation d’Internet, puis l’émergence du web 2.0, dit participatif ou social, au milieu des années 2000, aient incontestablement renouvelé les ressorts de la communication et de la mobilisation politique (Granjon, 2001 ; Monnoyer-Smith, 2011), le rôle des dispositifs numériques apparaît sous-étudié en la matière, en particulier lorsqu’il s’agit de l’extrême droite. En dépit de travaux pionniers comme ceux de Mazzoleni et al. (2003), Matuszak (2003) ou Atton (2006), qui appelaient à observer le web comme outil de visibilisation des mouvements radicaux et populistes, les études qui croisent les deux objets sont encore rares (Cahuzac et François, 2013 ; Mercier, 2015). Ce « retard » est d’autant plus surprenant que le discours journalistique sur le sujet se fait de plus en plus alarmiste, et tend à s’inscrire dans le registre d’une guerre de l’information que l’extrême droite serait en passe de remporter sur Internet (Albertini et Doucet, 2016).
3Le cas de la Suisse – où le parti agrarien Union Démocratique du Centre (UDC) est de plus en plus fort depuis le début des années 2000 – est singulièrement ignoré par la recherche, alors même que l’émergence de la droite radicale y est précoce et son développement remarquablement continu (Skenderovic, 2009). Parmi les sites d’information alternatifs qui s’y sont développés dans le sillage de ce qui s’observe dans les pays voisins, l’un nous paraît particulièrement intéressant, en ce qu’il cristallise les thématiques les plus en vogue dans ce qui est couramment qualifié de « réacosphère » ou de « fachosphère » [1]. Les Observateurs (www.lesobservateurs.ch), lancé en février 2012 par Uli Windisch (que nous abrégeons UW par la suite, comme il le fait lui-même), un professeur honoraire de sociologie connu pour son positionnement politique de droite, fondateur du master Communication, médias et journalisme à l’Université de Genève (UniGE), en collaboration avec les journalistes Philippe Barraud et Olivier Grivat, propose « une vision de l’actualité suisse libérée de la pensée unique » (ainsi que l’indique sa description officielle sur Google), opposée au « politiquement correct » qui caractériserait les médias de Suisse romande. Ce site présente des spécificités qui permettent de questionner à la fois les registres discursifs des acteurs de la « réinformation » et la dynamique générale de la circulation des idées sur ce type d’espaces numériques délivrant une information alternative à celle des grands médias. Partant, il ouvre une perspective de recherche originale sur la question du pluralisme de l’information médiatique, et à travers elle sur la conflictualité de l’espace public démocratique. Enfin, un tel objet d’étude force à interroger la posture des sociologues qui prétendent en décrire le cadre énonciatif et argumentatif, sur lesquels pèse en permanence le soupçon de la « bien-pensance gauchisante » (pour employer d’emblée une formule chère à UW).
4En considérant le triple intérêt de cet objet, soit la nature de l’information qu’il délivre au prisme de son obédience idéologique, le support de production et de diffusion de cette information, et enfin le profil de son public, nous entendons suivre l’invitation de Monnoyer-Smith (2011) à repenser l’idée d’un déclin de la participation politique citoyenne à la lumière des engagements qui s’observent sur le web. Au travers d’une analyse sensible à la manière dont les récits élaborés configurent et positionnent des figures de l’énonciateur et du destinataire, nous traitons la démarche des Observateurs dans les termes de la lutte pour la reconnaissance, à partir de la dimension politico-morale de sa revendication (Honneth, 2000 ; Voirol, 2015), laquelle prend appui sur un sentiment de mépris manifesté par les grands médias d’information envers les idées de la droite radicale, et se manifeste par un effort acharné de « réinformation » du public grâce à la facilité de publication générée par le web. Nous souhaitons montrer cependant que la reconnaissance recherchée par ce type de support est à distinguer des formes inclusives de lutte pour la reconnaissance, tant elle se fait par la stigmatisation et l’exclusion de groupes cibles, produisant elle-même un surcroît de mépris envers les acteurs qu’elle prend en grippe. Pour ce faire, nous retraçons la généalogie des Observateurs et étudions plus précisément la période 2015-2016, particulièrement riche en activité éditoriale. Composé de plus de 2 000 articles et brèves, le corpus analysé a été élaboré en fonction de l’importance que le site attribue aux principales thématiques abordées, au premier rang desquelles les mensonges des médias, le souverainisme et la crainte de « l’islamisation de l’Europe », cette dernière se traduisant par une islamophobie de plus en plus explicitement déclarée. Enfin, à l’aide de la version gratuite du fournisseur de statistiques d’audience SimilarWeb (consulté le 20 août 2016), nous présentons quelques informations sur le lectorat du site, étayées par nos observations. Ancrée dans une démarche qualitative, sans prétention d’exhaustivité, notre analyse exemplifie et corrobore des recherches plus systématiques préalablement réalisées autour des relations entre citoyenneté, pluralisme de l’information et pratiques de consommation de l’actualité politique en ligne [2].
5Nous commençons par dresser un rapide panorama de la « droitisation » européenne et des défis qu’elle pose aux sciences sociales, en soulignant les particularités de la Suisse, puis exposons quelques caractéristiques de la production d’information en ligne, avant de décrire plus spécifiquement les thématiques éditoriales et les ressorts argumentatifs des Observateurs, afin de cerner ses connexions avec la réinfosphère francophone. En montrant comment ce site se rapproche de plus en plus nettement de la mouvance de l’extrême droite, par le choix des sujets qu’il traite et la façon de les traiter, nous proposons une modeste contribution à l’analyse croisée des mouvements politiques populistes et des formats de communication ouverts par le web, que la sociologie commence depuis peu à développer.
Extrémismes et antipartisme : de la nécessité de re-catégoriser l’échiquier politique
6En 2002, P. Perrineau alertait sur une progressive « montée des droites extrêmes » en Europe. Une dizaine d’années plus tard, la tendance s’est nettement confirmée (Marin, 2014). Les scores réalisés lors des dernières élections nationales hors présidentielle montrent sans conteste la progression d’« une droite radicale, populiste, xénophobe et antieuropéenne » [3]. D’épiphénomène dans les années 1980, la « vague bleue » (Perrineau, 2002) couvre désormais une part considérable de notre panorama politique. Quel en est le moteur ? L’explication classique consistant à souligner les « effets du marasme économique ou de l’ampleur de la crise migratoire » [4] apparaît insuffisante, d’autant plus que les mouvements d’extrême droite s’épanouissent aussi bien dans des pays qui ne sont pas – ou très légèrement – touchés par la crise, que dans ceux où les migrations sont contrôlées : « L’exemple de la prospérité norvégienne, suisse et néerlandaise infirme l’existence d’un lien automatique entre récession et succès électoral de l’extrême droite », souligne J.-Y. Camus (in Pech, 2014, p. 67), qui associe ce succès à une triple crise simultanée : « une crise de la représentativité, c’est-à-dire du fonctionnement des institutions ; une crise de la redistribution, c’est-à-dire une remise en question du caractère équitable de l’impôt ; et une crise de l’identité ».
L’Europe en proie à une crise « sentimentale » ?
7Sujette à la montée et à la consolidation des droites extrêmes, l’Europe a également assisté au cours des trente dernières années à une baisse de confiance significative – voire un rejet – à l’égard des partis et institutions politiques. L’antipartisme, qui s’est installé à différents degrés dans de nombreux pays européens (Montero et al., 2004), s’il n’entraîne de loin pas la disparition des partis politiques, les a néanmoins conduits à s’engager dans des processus de mutation idéologique et discursive qui complexifient la compréhension de leurs positionnements respectifs [5]. Ces confusions interpellent de façon notable les chercheurs en sciences sociales et politiques en France, préoccupés surtout par l’avenir de la gauche (Corcuff, 2012 ; Fassin, 2014), mais aussi plus globalement par les conséquences des changements en cours sur le maintien de l’équilibre sur l’échiquier politique traditionnel. Boltanski et Esquerre s’inquiètent ainsi d’une « situation politique exceptionnelle » où l’extrême droite, libérale économiquement, emprunte à la gauche un discours critique envers le néolibéralisme au nom de la défense du peuple, et où la gauche opère un « mouvement symétrique et inverse », conduisant à « l’émergence de convergences dont l’ambiguïté fait la force » (Boltanski et Esquerre, 2014, pp. 11 sq.). J.-Y. Camus confirme cette convergence, en estimant qu’elle « ouvre un champ à des OVNI politiques transidéologiques (Cinque Stelle de Beppe Grillo) et aux droites radicales postmodernes qui combinent nationalisme, contestation du mondialisme bien plus que de la mondialisation, apologie de la démocratie directe et antimulticulturalisme » (Camus, 2015, p. 100). Ces nouveaux groupes politiques alternatifs, nés des déplacements idéologiques des partis traditionnels, tendent de surcroît à se mobiliser de manière inédite, à l’instar du mouvement Cinque Stelle en Italie, dont l’intégralité de l’action électorale a été menée sur Internet et non à travers des formats de campagne classiques.
8Ces mutations obligent à repenser les catégories usuellement mobilisées pour décrire la réalité politique et sa configuration, à commencer par le schéma traditionnel d’appréhension de la droite et de l’extrême droite, devenu obsolète (Camus, 2015). Les mouvements radicaux qui essaiment en Europe sont-ils des « OVNI transidéologiques » (ibid.), des objets littéralement non identifiables ? Il nous semble plutôt qu’il s’agit de les circonscrire, puis de les nommer à partir des traits communs qu’ils présentent.
Le populisme et son ennemi commun : proposition de grille de lecture
9En l’occurrence, les nouveaux mouvements radicaux de droite se caractérisent à tout le moins par un ennemi commun, la « pensée unique », et par la dénonciation de la « dictature intellectuelle » des « soixante-huitards » (Boltanski et Esquerre, 2014, p. 21). Ils partagent la même « obsession de l’identité » et par extension une définition du « vrai peuple », et focalisent leur propos sur la dénonciation d’un Autre menaçant, à la fois intérieur et étranger, produit de dynamiques endogènes (la corruption, le népotisme, les politiques publiques) et exogènes (la globalisation et le néolibéralisme). La question onomastique demeure largement ouverte. En effet, Boltanski et Esquerre décrivent de manière précise les nouvelles configurations politiques européennes, à travers le cas de la France, mais ne nomment pas pour autant les mouvements inédits dont ils observent l’essor. Pour résoudre cette difficulté et décrire notre objet d’étude, nous proposons de mobiliser le terme « populisme ». Bien que nous partagions à son sujet les réserves des auteurs du numéro de la revue Critique qui lui est consacré (n° 776-777, 2012), lesquels ne manquent pas de relever que « personne ne semble très bien savoir où commence [ni] où s’arrête le populisme », le caractère mobile et la souplesse de cette notion nous semblent constituer un atout précieux pour décrire un phénomène en cours sans le figer dans une catégorie trop rigide [6].
10Dès l’introduction de son article sur l’essor des droites extrêmes en Europe, Perrineau (2002) demandait à ce que la « vague bleue » ne soit pas confondue avec l’avènement d’un « populisme protestataire ». Il anticipait là une réalité politique qu’Olivier Roy définit précisément quelques années plus tard. Insistant tout d’abord sur le fait que « les mouvements populistes aujourd’hui sont loin d’être tous issus de l’extrême droite » puisque « tout un pan de la gauche » y est passé, Roy considère que le populisme de droite « se définit d’abord en posant une altérité absolue (en l’occurrence le musulman) qui, en retour, définit un “nous” : la défense du (bon) peuple face à une population irréductiblement autre ; mais le bon peuple est trahi par ses propres élites qui pactisent avec l’ennemi. » (Roy, 2012, p. 98). Si, au sein d’une multitude de tentatives de définitions, nous avons choisi celle-ci, c’est parce qu’elle présente le double avantage de dresser l’inventaire, concis, mais exhaustif, des principales caractéristiques communes à ces nouveaux mouvements, et de faciliter a fortiori l’analyse du site Les Observateurs, qui, comme nous le verrons, les présente toutes, en particulier l’antiélitisme et l’islamophobie. De plus, elle autorise à penser des liens de parentèle inédits, des solidarités entre des entités issues de mouvances politiques a priori opposées. C’est notamment le cas des familiarités entre Riposte laïque, un site français fondé par deux militants de l’extrême gauche républicaine, et notre cas d’étude, créé par un universitaire de droite. Cette orbite transnationale et « transidéologique » est au centre de notre analyse, qui met l’accent sur son activité en Suisse.
Le cas suisse : une exception européenne ?
11La Suisse présente de fait un certain nombre de spécificités. Contrairement à ses voisins de l’UE (Italie, France, Autriche et Allemagne), le pays n’est que très légèrement touché par la crise économique, son taux de chômage demeure stable, tout comme l’immigration, contrôlée par des quotas et majoritairement européenne [7]. D’où l’étonnement suscité auprès des chercheurs par la forte progression de la droite radicale, qui s’est vérifiée lors des élections fédérales de 2015, et qui tient essentiellement « à une base électorale solide et à l’inquiétude très répandue vis-à-vis de l’immigration » (Lutz, 2016), le triptyque migration/asile/réfugiés étant devenu la préoccupation principale de l’électorat suisse depuis la fin des années 1990. Pourtant, les chiffres de l’OFS montrent que ces peurs sont en net décalage avec la réalité statistique. Parmi les multiples facteurs susceptibles d’éclairer ce décalage, les discours catastrophistes de l’UDC au sujet de l’immigration et de la naturalisation, mêlant manipulation de chiffres et raisonnement causal projectif (Burger et al., 2006), tout comme la circulation en ligne de « thèses » erronées sur l’islamisation [8], jouent évidemment un rôle non négligeable. Il convient précisément de ne pas sous-estimer la part de responsabilité des nouveaux relais médiatiques numériques, pour la publicité qu’ils offrent à ces « théories du fantasme ». La Suisse se distingue également de ses voisins sur la question de l’antipartisme. Bien que l’on y remarque un identique rejet des institutions supranationales (en particulier l’UE et l’ONU), les Suisses restent majoritairement très attachés à leurs partis et se disent confiants dans leurs institutions – politiques, judiciaires et de police [9] – par rapport aux pays limitrophes, et notamment à la France (cf. Baromètre de la confiance politique, Cevipof) et à l’Italie (Montero et al., 2004). De même, la participation aux élections est stable (Lutz, 2016). Ce petit pays met donc à mal l’équation : crises économique, démographique, représentative et institutionnelle égalent populisme.
12La fierté du « modèle suisse », articulé sur la démocratie directe, est constamment mise en avant par les leaders populistes helvétiques et occupe sans surprise une place importante dans le propos d’UW. Dans une interview sur la web TV TVLibertés, en juin 2016, le sociologue appelle en effet à protéger ce modèle, qui forme un « véritable état d’esprit » auquel le pays devrait sa stabilité [10]. Il n’est pas anodin que Le modèle suisse soit aussi le titre d’un ouvrage publié par UW alors qu’il était encore professeur à l’UniGE, en 2007. De fait, son discours change sensiblement avec sa trajectoire, réinvestissant ses thématiques de prédilection – la communication médiatique et les migrations – d’un nouveau sens à mesure que son site prend de l’ampleur. Destiné en premier lieu à « pluraliser davantage les médias en Suisse romande » et décochant ses premières flèches en direction des élites politiques (en particulier les socialistes, la bête noire d’UW) et des éditeurs de presse, Les Observateurs devient peu à peu le véhicule de propos populistes et xénophobes. En d’autres termes, fondé au départ sur une critique anti-hégémonique comparable à celle du mouvement altermondialiste, dénonçant la « fonction propagandiste » des médias et appelant à la création d’un « contre-pouvoir critique », son discours bascule vers la critique perspectiviste, appelant à briser l’asymétrie entre producteurs et consommateurs de l’information, « moins focalisée sur la question de la vérité que sur celle de l’affirmation expressive des subjectivités » (Cardon et Granjon, 2003, p. 68), en se concentrant majoritairement sur la thématique de l’islamisation de l’Europe. Ainsi Les Observateurs adopte progressivement une posture caractéristique du discours « néo-réactionnaire » (Durand et Sindaco, 2016), consistant à s’ériger en représentant minoritaire d’une majorité « indigène » opprimée, pour mettre à l’agenda politico-médiatique des questions d’actualité prétendument étouffées par la doxa de la « bien-pensance ».
13Si les relations entre UW et le monde académique ont toujours été controversées, comme en témoignent notamment ses démêlés avec le Comité d’éthique et de déontologie de l’UniGE [11], et comme il le déclare lui-même, non sans fierté, dans les interviews qu’il accorde régulièrement aux sites français de la même obédience que Les Observateurs, la création de son site l’éloigne fortement de son milieu professionnel d’origine. Ouvertement de droite, proche de l’UDC [12], lui-même refuse tout étiquetage partisan et martèle de longue date son credo de la lutte contre le « politiquement correct » [13]. Ni parti ni média traditionnel, Les Observateurs se révèle un objet d’étude précieux, car il illustre les porosités idéologiques actuellement en marche en Europe, qui génèrent à leur tour des formes de prise de parole et de mobilisation inédites sur le web.
La parole libérée : de nouveaux supports pour de vieilles rhétoriques
14Aux espaces limités et aux formats contraints déployés et contrôlés par les professionnels de l’information pour accueillir la parole des publics, succède avec Internet un espace d’expressivité sans précédent, à l’intérieur duquel la « coupure entre profanes et professionnels » s’estompe à mesure que les gate-keepers de l’information voient leur pouvoir de sélection et de hiérarchisation décliner (Cardon, 2010). Si cette ouverture d’un espace public numérique favorise la parole « profane » des citoyens par la multiplication des dispositifs et des formats visant à intégrer une pluralité d’acteurs dans le débat public au sein de forums hybrides (Callon et al., 2001), elle signe également la circulation facilitée des idées et des opinions les plus diverses. C’est toute l’économie de l’énonciation publique qui se trouve chahutée par la libération des subjectivités qu’autorise et encourage Internet (Cardon, 2010, p. 40 sq.). D’une part, le « réseau des réseaux » devient concomitamment un nouveau support de publication et une source majeure d’information. D’autre part, l’information y est l’objet de processus de production, de diffusion et de réception des plus variés et des plus flous. Les mises en garde des journalistes envers les rumeurs qui circulent sur la toile s’intensifient en conséquence et reflètent leurs préoccupations à l’égard de la perte de prestige de leur parole dans les méandres du web.
Extension des arènes de la lutte pour la visibilité
15En matière de production de l’information journalistique, le passage du papier à l’écran réactive en les durcissant les interrogations sur les enjeux d’indépendance économique et éditoriale des titres de presse, et plus profondément sur leur survie (Neveu, 2009). Internet a imposé la logique de la publication constante (Boczkowski, 2010), un faisceau de croyances au sujet de l’obsolescence de l’information et des attentes du public numérique ayant institué la réactivité en « un critère de reconnaissance et un mode de travail qui changent profondément les métiers des médias » (Boullier, 2012, p. 42). En matière de communication politique, les mouvements les moins visibles médiatiquement se saisissent de la facilité nouvelle à publiciser leurs propos et à fédérer sympathisants et militants. Depuis une quinzaine d’années s’observe un véritable foisonnement de sites, blogs et autres espaces d’information politique créés suivant le modèle du journalisme « participatif » ou « citoyen », au gré duquel se constituent « de nouveaux acteurs qui produisent, hors des médias de masse, des discours et dispositifs de légitimation dont l’émergence est étroitement liée au développement de l’Internet » (Trédan, 2007, p. 119). C’est bien une nouvelle arène de lutte pour la reconnaissance (Honneth, 2000), caractérisée par une accélération des luttes pour la visibilité (Voirol, 2005a), qui s’y donne à voir. En œuvrant à mettre en lumière des phénomènes à leurs yeux insuffisamment ou incorrectement traités par les médias de masse, les sites d’information qui essaiment sur le web se veulent en effet de nouveaux médiateurs de l’information publique, qui proposent une façon alternative de sélectionner, hiérarchiser et mettre en forme l’actualité, partiellement débarrassée des conventions et des contraintes de l’industrie des médias.
16Le site Les Observateurs ne déroge pas à la règle : s’il a pris la forme d’un « journal » en ligne, c’est parce que le marché romand est jugé trop limité et qu’aucun mécène n’a souhaité financer une édition papier. Il profite par ailleurs de l’absence d’une loi sur les médias en Suisse, qui lui permet de revendiquer un traitement journalistique de l’actualité sans avoir à s’en justifier auprès d’une instance de régulation. En effet, si la notion de site de presse en ligne fait l’objet d’une définition juridique en France depuis la promulgation de la loi « Hadopi 1 » de 2009, il n’en existe pas d’équivalent en Suisse (Barrelet et Werly, 2011). Ces nouveaux espaces d’expression politique partagent toutefois avec les sites de presse l’impératif de la réactivité, qui consiste à « coller » à l’actualité, lequel se double d’un appel à l’interactivité et parfois l’intercréativité, visant respectivement à inclure la parole des internautes (notamment sous forme de commentaires, ou à l’intérieur d’un forum) et à permettre à ces derniers de contribuer directement à l’environnement qu’ils consultent (Matuszak, 2003). Ce qui s’observe aujourd’hui en matière de communication politique en ligne valide de fait la thèse de Matuszak au sujet des difficultés d’existence des mouvements radicaux dans l’espace public, selon laquelle « moins le mouvement est présent sur la scène publique, plus il développera des moyens de communication performants et tendra vers l’intercréativité » (ibid.). Les rares études de cas en la matière montrent en effet qu’Internet constitue le « principal outil de pression, de promotion et de mobilisation politiques » de ce type de mouvement (Cahuzac et François, 2013, p. 276), par la mise à contribution des militants dans le partage de connaissances et la coordination de l’action.
17Média « démocratique » (en termes de participation) et « d’opinion » (en termes de pluralité des formats et des registres d’expression) par excellence, Internet est devenu le lieu où se télescopent nombre de points de vue qui ne trouvent pas leur place au sein des médias mainstream. Dans cette optique, l’un des phénomènes les plus marquants concerne l’essor des sites populistes qui ont pour vocation de « réinformer » des citoyens considérés comme désinformés par une industrie médiatique systématiquement accusée de masquer les problèmes réels auxquels sont confrontées les sociétés contemporaines. De manière remarquable, UW écrit dans le quotidien Le Temps (dans une tribune intitulée « La presse suisse trop monolithique »), le 27 août 2010, un an et demi avant le lancement des Observateurs, que « l’espace public a changé », en mentionnant « le mode de l’interactivité » instauré par Internet et la « redistribution […] du pouvoir de donner du sens aux réalités » que celui-ci entraîne. Arguant sans cesse de leur exclusion d’un espace médiatique dont ils dénoncent les dérives monopolistiques et mensongères, les nouveaux médias de « réinformation » établissent un rapport de causalité entre désinformation et marginalisation : leur relégation dans les coulisses de la scène médiatique serait la preuve de leur authenticité et, par extension, remettrait en cause celle des grands médias. Particulièrement parlant de ce point de vue, le nom du site étudié vise à souligner l’impartialité du regard alternatif qu’il prétend poser sur l’actualité.
Contourner les médias d’information pour s’adresser au « bon peuple »
18Depuis le milieu des années 2000 se sont succédé les appels d’intellectuels d’extrême droite à contourner les médias « traditionnels » par Internet. L’exemple le plus frappant au sein de la francophonie est sans conteste celui des Douze thèses pour un gramscisme technologique, publiées fin 2008 par J.-Y. Le Gallou sur le site de la Fondation Polémia qu’il a créée cinq ans plus tôt. Le théoricien de la notion de « préférence nationale », ancien membre du Front National et organisateur depuis 2010 de la cérémonie « Les Bobards d’or », distinguant chaque année « les pires mensonges proférés par les médias au nom du politiquement correct », y décrit Internet comme « un moyen de s’affranchir de la tyrannie médiatique et de construire sa réflexion et/ou son action de manière indépendante ». De nombreux sites francophones, se réclamant plus ou moins explicitement de cette étiquette, voient le jour dans le sillage de Polémia.com. Dès 2005 apparaissent le blog de François Desouche (Fdesouche) – « le premier blog politique en France » d’après son nombre de visiteurs quotidiens, selon Le Figaro [14] – et le site Novopress – « l’agence de presse des identitaires » selon Cahuzac et François (2013, p. 288), qui se présente comme une « arme de réinformation massive ». En 2007 sont lancés, à quelques mois d’intervalle, dreuz.info [15], Égalité et Réconciliation (E&R) et Riposte laïque. Ils sont suivis en 2012 par Boulevard Voltaire, codirigé par l’élu d’extrême droite R. Ménard, puis en 2016 par EuroLibertés, initié par les éditeurs de TVLibertés, auquel collaborent au moins deux chroniqueurs des Observateurs, membres de l’UDC.
19En Suisse, les espaces correspondants sont plus petits, et prennent plus souvent la forme d’un blog. Parmi les plus visibles, Commentaires.com, animé depuis 2000 par le journaliste P. Barraud sous la forme d’un « e-magazine contre le néo-conformisme », fait figure de précurseur. Les suivants, plus récents et plus acerbes, portent pour la plupart des titres explicites. Le blog de Suzy Desouche, qui se décrit en « bonne Suissesse, sociologue de formation et attachée à [ses] racines », soucieuse de « l’immigration massive » que subirait le pays, apparaît en 2008 et est clairement inspiré de son homologue français (FdeSouche). Boulevard de l’islamisme, le blog de la journaliste M. Vallette, est lancé suite à la publication d’un ouvrage éponyme, en 2012. En avril 2015, un élu UDC lance le journal La Pravda.ch, et en décembre de la même année apparaît la newsletter Antipresse, initiée par S. Despot, éditeur et auteur d’une biographie enthousiaste de l’élu UDC, O. Freysinger [16].
20La majorité de ces espaces se caractérise par une focalisation sur un petit nombre de thèmes clés, tels que la crainte de l’islamisation et la défense d’une laïcité instrumentalisée (Baubérot, 2014), et par leurs connexions étroites en termes de relais d’articles aussi bien que de collaboration directe. La critique des médias sur laquelle se fondent ces sites, explicitement inscrite dans le recours fréquent aux mots-valises injurieux « merdias » et « journalopes » [17], leur vaut d’être réunis sous l’étiquette de fachosphère [18] – un terme qu’ils rejettent unanimement au profit de celui de réinfosphère, présentée comme la seule alternative crédible aux médias « gauchisants et bien-pensants », accusés de détruire toute possibilité de pensée critique [19]. En tout état de cause, la « réinformation » est aujourd’hui très majoritairement associée à l’extrême droite et à la circulation des théories du complot [20], et le trouble que suscite son succès se mesure assez nettement à la prolifération des articles de presse qui lui sont consacrés. De manière intéressante, les sites incriminés relaient la plupart du temps les critiques qui leur sont adressées, et prennent position envers l’accusation de leur appartenance à l’extrême droite du spectre politique, en renvoyant leurs détracteurs à l’extrême gauche. Ainsi, lorsque Le Monde emploie le terme de fachosphère dans un article consacré à Riposte laïque, en mai 2016, il se voit qualifié de « journal socialo-communiste » par Les Observateurs [21].
Quand réinformation rime avec prise de position
21Il apparaît que la notion de réinformation est surtout un mot au fort potentiel normatif pour désigner un discours d’opinion auquel les grands médias n’accordent pas de publicité. Le traitement médiatique d’un fait divers de nature politique, en mai 2016, et la réponse qu’il suscite de la part des Observateurs, offre un premier éclairage de la nature de ce discours. Le 27 mai 2016, Le Temps, considéré comme le journal de référence de Suisse romande, publie un article annonçant qu’une école d’art a suspendu l’un de ses étudiants, membre du mouvement nationaliste Résistance Helvétique et proche de l’UDC, connu sous le nom d’Artiste Mal Pensant, après avoir été informée de la nature antisémite de plusieurs de ses dessins. L’article mentionne Les Observateurs parmi les « sites pamphlétaires de droite » qui ont contribué à la diffusion de ses œuvres [22]. Deux jours plus tard, UW vilipende le quotidien genevois, qu’il qualifie de « journal rempli de gauchistes aigris et frustrés, plus bien-pensants tu meures, et depuis longtemps plus journal de référence », et prend la défense du jeune homme, dont le seul grief serait d’avoir publié « quelques rares dessins jugés antisémites par certains ». Le sociologue saisit l’occasion pour définir, sur un ton particulièrement agressif, ce qu’est la réinformation, en l’opposant frontalement au travail des journalistes professionnels :
Cet exemple montre d’emblée le positionnement du site, qui s’érige en défenseur de la liberté d’expression, ainsi que l’importance qu’il revendique dans le paysage médiatique suisse romand en termes de lectorat. En fustigeant la « bien-pensance » des médias romands et en vantant sa contribution au pluralisme de l’information, il met en lumière le fait que le récit médiatique contribue de facto à « dévaluer certaines activités ou certains actes, ou encore certains acteurs individuels ou collectifs […], à l’aune [des] opérations de jugement et d’appréciation déployées dans la discursivité publique » (Voirol, 2015, p. 58). C’est bien au prisme de la normativité de l’espace public tel qu’il apparaît au travers du récit médiatique que doit se lire l’opération de « réinformation » à laquelle se livrent les sites web d’obédience populiste.« Nous avons averti : ceux qui tentent de nous dénigrer ou maintenant de nous associer aux pires idéologies […] récolteront des qualificatifs de plus en plus insultants, avec exemples concrets de journalistes ou d’articles à l’appui, selon un processus de diabolisation galopant comme certains tentent de le faire de manière mensongère et diffamatoire avec notre site. […] Nous faisons de la Réinformation (parler de ce que les autres médias taisent, minimisent ou manipulent) et des centaines de milliers de lecteurs l’ont compris, face à la bien-pensance gauchisante, en plus, prétentieuse et arrogante, d’une presse en chute libre constante, et parfois carrément vomie [23]. »
La circulation circulaire de la réinformation
22Invité à présenter sa démarche au « 19:30 » de la RTS (l’équivalent du 20 heures français), le 1er février 2012, UW pointe du doigt « le fossé qu’il y a parfois entre l’élite médiatico-politique et la base de la population », en particulier en Suisse romande où l’orientation médiatique est jugée « beaucoup plus homogène et uniforme » qu’en Suisse alémanique. Il déplore en particulier la façon « culpabilisatrice » avec laquelle y seraient traités des sujets comme l’immigration, et expose son souhait de diversifier le discours médiatique romand. Cette brève interview révèle le soupçon qui pèse d’entrée de jeu sur lui, celui d’être financé par C. Blocher, le leader historique de l’UDC. Réticent à dévoiler les noms des actionnaires de son site, UW reconnaît seulement avoir reçu 450 000 francs suisses de l’homme d’affaires T. Tettamanti, via la holding MedienVielfalt (dont le nom signifie littéralement « diversité des médias »), créée fin 2011, dont Tettamanti est l’actionnaire principal et dans le conseil d’administration de laquelle siège UW. Le fait est que le sociologue ne cache pas sa proximité de vue avec les positions de l’UDC, qu’il défend à la moindre occasion, et que la ligne éditoriale de son site est rarement très éloignée des thématiques sur lesquelles se concentre l’argumentaire de ce parti, à commencer par celle de l’immigration. La relation entretenue par UW avec les médias d’information romands est au demeurant des plus paradoxales, ainsi que ne manquent pas de le relever ses détracteurs. Alors même qu’il fustige plus souvent qu’à son tour leur unilatéralité, le sociologue a pourtant été invité à s’y exprimer à de nombreuses reprises. Son opinion est donc loin d’être invisible. À moins qu’il ne faille comprendre que c’est sa véritable opinion, non recevable par les standards normatifs de l’information publique, qu’il ne pouvait y exprimer, ce que pallierait précisément son site. Car au fil des mois, ce qui se voulait un journal de la « droite décomplexée » prend indéniablement des allures de tribune pamphlétaire, similaire aux sites nationalistes et islamophobes français. Ainsi P. Barraud, qui quitte la rédaction des Observateurs dès la fin du mois de février 2012, suivi deux mois plus tard par l’autre journaliste professionnel, O. Grivat, reproche au site d’« incarne[r] une droite hargneuse et agressive, pleine de suffisance, réactionnaire dans le plus mauvais sens du terme » [24].
Une identité visuelle rouge et blanche… pour un positionnement opaque
23Intéressons-nous désormais au contenu du site. L’identité visuelle des Observateurs est articulée sur les couleurs du drapeau suisse. Cette bichromie caractérise aussi bien le logo du site, placé en haut à gauche de la page d’accueil, dont l’affiliation numérique « .ch » est inscrite en blanc sur fond rouge, que les sept rubriques dans lesquelles sont classés les articles. Sur la page d’accueil, les contenus les plus récents ou les plus importants sont mis en évidence dans un carrousel, soit une bannière animée qui fait défiler de manière rapide les textes sélectionnés. Juste au-dessus, une barre-sommaire énumère les rubriques. Sur sa droite, un onglet « Nous soutenir » attire le regard de l’internaute en se déplaçant régulièrement sur les côtés. Il contient un texte très court, rappelant la vocation des Observateurs à « lutte[r] contre la pensée unique et le conformisme idéologique » et annonçant qu’« après quatre ans de gratuité et afin d’éviter le passage au payant, votre soutien devient indispensable ». L’internaute est invité à verser la somme de son choix, par virement bancaire ou Paypal, à la société WindischMediaProd SA, inscrite au registre du commerce du canton de Genève. Cet appel au don se durcit brutalement à la fin de l’été 2016, avec la mise en ligne d’une vidéo promotionnelle de 42 secondes [25], suivie quelques jours plus tard par la publication d’un article au ton moralisateur reprochant aux visiteurs leur manque d’investissement. Signé « La rédaction », l’article s’en prend au « comportement paradoxal » des lecteurs qui seraient prêts à payer jusqu’à cinq francs suisses un journal imprimé, mais refuseraient de soutenir le « travail de réinformation » mené ici par une équipe de « contributeurs entièrement bénévoles ». Il souligne également la dimension chronophage que constitue le travail de modération des nombreux commentaires publiés sous les articles, lesquels « manifestent des sentiments violents et une révolte profonde ». Enfin, il déclare posément que les autorités helvétiques « devraient davantage prendre connaissance de ce profond et virulent grondement populaire » auquel le site offre une voix, grondement jugé « souvent impubliable, sous risque de poursuite, mais combien significatif » [26].
24Au bas de la page d’accueil, à côté des mentions légales, figure le volet « Qui sommes-nous ». Alors qu’au moment du lancement du site cette rubrique contenait, à côté de la biographie d’UW, les portraits des journalistes Barraud et Grivat [27], le sociologue y apparaît aujourd’hui seul, en qualité de rédacteur en chef. Le vague descriptif de sept lignes qui lui est consacré se contente d’évoquer son titre de professeur et d’énumérer les titres de ses principales publications. Outre le fait qu’il « incarne » le site, UW y détient le quasi-monopole de l’information « experte ». Il possède en effet une rubrique entière à son nom (Éclairages UW), dans laquelle sont publiés une à quatre fois par mois des enregistrements audio d’une dizaine de minutes où il s’exprime sur des faits d’actualités. Ce phénomène monopolistique se retrouve sur plusieurs autres sites de la réinfosphère francophone, en particulier E&R, entièrement organisé autour de la figure de son leader A. Soral, et Riposte laïque, où les cofondateurs et compagnons de vie P. Cassen et C. Tasin sont omniprésents.
25C’est surtout dans le contenu de ces sites, et dans les liens établis entre eux, que transparaît le plus clairement leur proximité idéologique et que se donne à voir la dimension transnationale de la réinfosphère francophone. On observe une relation particulièrement étroite entre Riposte laïque et Les Observateurs, qui se lit à la similarité de leurs thèmes éditoriaux, mais également au travers du partage massif d’articles auquel ils se livrent mutuellement [28], ainsi qu’aux collaborations concrètes qui les lient. Il convient de préciser que cette complicité ne s’étend pas à E&R, le discours de Soral ne trouvant qu’un écho limité auprès de ceux qui voient dans l’islam la source de tous les maux de l’Europe. Complot sioniste pour l’un, invasion islamiste pour les autres, la réinfosphère ne constitue certes pas un milieu homogène. Le second discours nous semble d’autant plus intéressant à étudier qu’il sous-tend la constitution d’un réseau d’acteurs et de dispositifs de propagation des idées relativement cohérente, tout en rapprochant ses auteurs des partis politiques radicaux eurosceptiques et xénophobes, avec qui ils partagent une vision essentialiste de l’islam où « religion et culture sont les deux faces d’une même pièce » (Roy, 2012, p. 106).
Faire (re)connaître les dangers de l’islam : quand l’information part en croisade
26Alors que les premiers articles publiés sur Les Observateurs concentraient leurs feux sur la Suisse, dénonçant la mainmise de la gauche sur les médias et les « mensonges » de ces derniers [29], et soutenant les initiatives de l’UDC sur le contrôle de l’immigration, les thèmes éditoriaux se sont rapidement déplacés, et la rhétorique de l’islamisation de l’Europe y a pris une place prépondérante à mesure que le cercle des contributeurs s’élargissait et que les connexions avec la France voisine se densifiaient. Au fil des mois, le « problème de l’islam », adossé à la défense des valeurs et de l’identité suisses, est indéniablement devenu la principale thématique du site, au vu du nombre d’articles qui évoquent le sujet. Au cours du printemps et de l’été 2016, on recense chaque jour entre vingt et trente occurrences du terme islam et de ses dérivés (islamisme et islamique), dans des articles consacrés à des thématiques en lien avec celui-ci : terrorisme (attentats de Paris et Nice, actions de Daesh en Syrie, etc.), immigration en provenance de pays du Proche et Moyen-Orient, et faits d’actualité controversés (port de la burqa, burkini, etc.). UW lui-même, qui jusqu’à récemment n’abordait le sujet de l’islam que de manière très périphérique, se fait le porte-voix d’un propos culturaliste réactionnaire, décrivant par exemple le burkini, dans un « Éclairage » audio daté du 1er septembre 2016, comme un « puissant révélateur d’une stratégie idéologico-religieuse insidieuse, totalitaire », en martelant que le multiculturalisme « entraîne le communautarisme ».
27Le cadre argumentatif des Observateurs s’inscrit bien dans le scénario triadique du discours populiste, qui consiste à « 1) prouver que la société se trouve dans une situation sociale jugée désastreuse, et que le citoyen en est la première victime ; 2) déterminer la source du mal et son responsable – l’adversaire ; 3) annoncer enfin quelle solution peut être trouvée, et qui peut en être le porteur » (Charaudeau, 2011, p. 105). Transposé au cas de la Suisse, ce scénario prend la forme suivante dans le propos des Observateurs : 1) L’immigration est trop massive, elle conduit au multiculturalisme, qui est synonyme de troubles sociaux ; 2) les médias, à la botte des élites politiques de gauche, se murent dans un silence coupable face à cette réalité ; 3) la solution consiste en une limitation drastique de l’immigration musulmane, associée à l’expulsion des étrangers à la moindre infraction, conformément aux propositions de l’UDC traduites en initiatives populaires ratifiées par le peuple [30]. Sans surprise, cette rhétorique populiste est particulièrement marquée dans les textes des élus UDC, à l’image de S. Montabert (conseiller communal dans le canton de Vaud), qui mentionne en août 2016 la naturalisation de masse parmi les « moyens mis en œuvre » par la gauche dans « la guerre sans merci qu[’elle] livre contre le peuple pour l’affaiblir, le diviser et démolir son influence politique au sein des institutions » [31]. Notons que si les membres de l’UDC mettent en avant leur statut d’élus, de nombreux autres contributeurs du site revendiquent des titres solennels (avocat, enseignant, médecin, philosophe, politologue, pour n’en citer que quelques-uns) censés accréditer leur propos.
28La ligne éditoriale se durcit notablement en 2015, suite aux attentats de Paris, avec l’apparition des thèses complotistes d’extrême droite du Grand Remplacement et d’Eurabia [32]. Le « contrat de lecture » des Observateurs – soit la façon dont ses modalités d’énonciation assignent une « place » et un « parcours » au destinataire vis-à-vis de l’énonciateur (Veron, 1985) – s’est clairement infléchi. S’adressant dans un premier temps aux déçus de la bien-pensance et du manque de pluralisme médiatique, il interpelle désormais davantage les milieux hostiles à l’islam sous toutes ses formes, opérant (volontairement ou non) un très net rapprochement d’avec l’électorat d’extrême droite. Sur le plan politique, force est de constater que ce site opère une forme de cristallisation des pensées réactionnaires et populistes de Suisse romande, que la présence d’une demi-douzaine de membres de l’UDC parmi ses rédacteurs rend d’autant plus tangible. Sur le plan de la communication sociale, en se faisant porteur des exigences de reconnaissance des idées de la droite radicale, il contribue directement au dénigrement et à la stigmatisation d’individus et de groupes sociaux constitués en repoussoirs – au premier rang desquels les musulmans, dépeints en ennemis irréductibles – au moyen d’opérations discursives de mépris et de réification (Voirol, 2015). Une telle modalité de « lutte pour la reconnaissance » est opposée en tout point à une demande de reconnaissance inclusive et démocratique, accordant un droit égal de participation à tous les acteurs d’un espace de débat pluraliste, dans le cadre d’une conflictualité agonistique, mais non antagoniste (Mouffe, 1994), où l’adversaire n’est pas un ennemi. Tout en continuant à se présenter comme un observateur des « manipulations » des médias mainstream, Les Observateurs semble en effet orienté aujourd’hui vers la perspective du choc civilisationnel (Huntington, 1996), et la majorité des textes qu’il héberge a une teneur nettement plus prescriptive que descriptive. Les réactions des professionnels des médias se crispent en conséquence. En décembre 2015, le site est mentionné dans un article du Temps qui évoque une « constellation de lieux d’expression de la droite dure » en Suisse romande, qui « ont en commun leurs liens avec l’UDC et la conviction de révéler une information passée sous silence par le “système” politico-médiatique » [33]. La journaliste qui le signe note qu’UW revendique « entre 30 000 et 50 000 visiteurs par jour » sur son site. Vrais ou faux, ces chiffres interrogent à tout le moins la provenance du lectorat, compte tenu des liens établis par Les Observateurs avec la France voisine.
Une fraternité francophone
29Les Observateurs relaie très fréquemment les textes de Riposte laïque et prend systématiquement la défense de ses fondateurs lorsque ceux-ci ont maille à partir avec la justice. On dénombre par ailleurs, parmi les très nombreux contributeurs de Riposte laïque, une dizaine de rédacteurs des Observateurs, dont au moins deux élus UDC et UW lui-même, qui y a publié plus de 30 articles depuis février 2015. Cette congruence n’est aucunement dissimulée, au contraire, puisqu’en janvier 2016 Les Observateurs publie une « longue interview biographique » d’UW réalisée par P. Cassen [34], et qu’en juin 2016 UW est interviewé par TVLibertés, où il évoque la « crise migratoire » et la « montée du parti patriote UDC » en considérant l’immigration des réfugiés musulmans comme « des vagues d’invasion » [35]. Notons enfin qu’à la proximité idéologique avec Riposte laïque s’est ajoutée récemment – non sans une certaine ironie – une proximité géographique, puisque le site français, dont les textes sont régulièrement l’objet de plaintes (pour diffamation et incitation à la haine raciale, notamment), s’est expatrié en 2012 et est désormais géré par l’association Riposte Laïque Suisse [36]. Ce partage massif d’articles, provenant de sites aux thématiques éditoriales proches (parmi lesquels, en sus de Riposte laïque, Boulevard Voltaire, dreuz.info, Fdesouche, Novopress, Polémia, etc.), provoque un effet de collectivisation de la production des écrits populistes de droite et génère une dynamique de circulation circulaire de l’information (Bourdieu, 1996) qui augmente l’audience des thèses diffusées par les acteurs de la réinformation. Le web social est également mis à contribution dans cette optique. À l’instar des sites précités, Les Observateurs possède une page Facebook et un compte Twitter où sont partagés les liens des principaux articles publiés sur le site, afin de favoriser leur propagation et d’augmenter ce faisant leur nombre de lecteurs, dans une logique de viralité.
30Si l’on se penche de près sur le contenu du site Les Observateurs, on constate également que celui-ci relaie bien davantage d’articles que n’en rédigent ses contributeurs. Cette particularité lui confère un rôle d’infomédiaire, selon une démarche consistant à « extraire et classer des contenus d’actualité particulièrement nombreux et dispersés afin de proposer aux internautes une information à la fois exhaustive et personnalisable » (Rebillard et Smyrnaios, 2010, p. 165), plus que de producteur de contenus d’information originaux, et questionne directement son statut de « journal en ligne ». L’activité d’infomédiation menée par Les Observateurs a été mise en lumière de façon polémique un an et demi après le lancement du site. Le vendredi 13 décembre 2013, M. Grandjean, doctorant en histoire à l’université de Lausanne et membre du parti socialiste, accuse sur son blog le site d’UW de « copier, plusieurs fois par jour, des articles tirés de sites Internet de médias francophones », en affirmant dénombrer plus de 1 000 textes « pompés sur d’autres sites » datés du jour de la publication de son billet [37]. Le texte fait grand bruit, plusieurs universitaires et journalistes romands saisissant l’occasion pour dire – principalement sur Twitter – tout le mal qu’ils pensent de ce site et de son fondateur. Après avoir observé l’agitation à laquelle il a donné lieu au cours du week-end, le site d’UW répond dans un long article signé « La rédaction ». Se distinguant par son sarcasme et son style érudit (très différent notamment de celui d’UW, généralement proche du discours oral et plus spécifiquement du « coup de gueule »), ce texte contient plusieurs éléments dignes d’intérêt. Plaidant une erreur de programmation en raison de laquelle le site aurait « repris certains articles de flux RSS […] en entier plutôt qu’en extraits », et affirmant que tous les articles concernés, « ainsi, à titre préventif, que tous ceux susceptibles de l’être », ont été supprimés du site [38], l’article s’en prend ensuite aux journalistes, en attirant l’attention sur le phénomène de redondance que génère sur le web la conjonction d’une (sur)abondance d’information et d’une pression croissante à la « fraîcheur » de l’information, auquel n’échappent pas les professionnels des médias (Boczkowski, 2010) :
« S’il peut paraître touchant de se voir reprocher la reprise de brèves par un quarteron de journalistes qui en vivent quotidiennement, il est encore plus émouvant de se voir dicter ce qui devrait être fait ou non pour bien faire par des personnes qui, ayant toujours pris soin de rappeler en préambule le dégoût que vous leur inspiriez, appellent à la plainte, à la guerre et n’attendent de vous, en somme, qu’une seule chose, votre disparition [39]. »
32Bottant en touche le reproche du manque de déontologie en invoquant le soupçon qui pèserait en permanence sur l’expression médiatique des opinions de droite – « Comprenez bien, nous sommes de droite et, par conséquent, moralement fautifs quoi qu’il advienne. » –, le texte se clôt sur une mention du nombre quotidien de lecteurs : « Vous êtes près de 40 000 à nous suivre chaque jour. Merci ! » Mais qui sont ces lecteurs ? À défaut de nous permettre d’en brosser un portrait détaillé, SimilarWeb nous fournit quelques informations intéressantes sur leur comportement et leur provenance [40].
Lecteurs, visiteurs, sympathisants ? Le zapping populiste
33Premier élément intéressant, la durée moyenne de visite est de deux minutes, soit un temps de consultation très rapide, plus proche du survol que de la lecture approfondie. S’il faut environ cinq minutes pour parcourir l’intégralité d’un texte (en considérant une lecture moyenne de 300 mots par minute), les contenus de la rubrique « Brèves » sont néanmoins plus courts. Sans compter que le carrousel de la page d’accueil fournit un recensement automatique des principales thématiques du jour, et fait défiler dix titres en seulement 40 secondes (calcul effectué chronomètre en main). Par ailleurs, plus de la moitié des visiteurs accèdent au site via les médias sociaux. La page Facebook des Observateurs connaît au demeurant une progression fulgurante du nombre d’abonnés (« fans ») – au point que l’on peut s’interroger sur un éventuel achat de « faux fans » : d’un peu plus de 5 600 au mois de mars 2016, quand nous avons commencé à nous y intéresser, elle est passée à 16 000 à la fin du mois d’août, 45 000 vers mi-septembre, puis 86 000 en décembre [41].
34En matière de provenance géographique, la grande majorité du lectorat se connecte depuis la France (60 % contre 17 % en Suisse). Des connexions se font aussi depuis la Belgique et le Canada, mais elles sont nettement inférieures. En regardant de plus près les sites qui acheminent les internautes vers Les Observateurs, on remarque que l’accès se fait, au-delà du web social, essentiellement via Riposte laïque et d’autres espaces de la réinfosphère française tels que le blog Fdesouche ou le site de l’association Résistance Républicaine, fondée par C. Tasin. Le site du Figaro, quotidien d’information classé à droite sur l’échiquier médiatique, et le site jeuxvideo.com (dont les forums, sans rapport avec l’intitulé du site, sont parmi les plus actifs de France), font également partie des principaux lieux de provenance. Dans le même ordre d’idées, les sites sur lesquels se rendent ensuite les visiteurs des Observateurs appartiennent pour la plupart à la réinfosphère francophone, illustrant le phénomène de circulation circulaire des idées au sein de cet espace. Enfin, si en scrutant les nombreux commentaires publiés sous les articles du site, qui renseignent sur la réception des idées que ceux-ci véhiculent, on ne peut que constater qu’ils sont généralement bien écrits et argumentés. Ils semblent indiquer à première vue un niveau de formation relativement élevé du lectorat, ce qui inviterait à reconsidérer la représentation idéale typique du militant d’extrême droite issu de milieux populaires et généralement peu éduqué [42]. Il faut cependant tenir compte du fait que ces commentaires font l’objet d’un travail de sélection (modération), et que, comme l’ont montré de nombreux travaux, la participation sur le web est toujours le fait d’une minorité d’internautes, non représentative de l’ensemble du lectorat, en particulier sur les sites d’information (Trédan, 2007 ; Dagiral et Parasie, 2010). Très majoritairement (si ce n’est intégralement) en faveur du propos tenu dans les articles, les commentaires publiés sur Les Observateurs rendent perceptibles les conditions de félicité de son intentionnalité communicationnelle (Scannell, 1994), c’est-à-dire que les significations et les valeurs articulées dans les productions rencontrent un écho très favorable auprès des récepteurs.
Principaux sites de provenance et de destination du lectorat, d’après SimilarWeb
Principaux sites de provenance et de destination du lectorat, d’après SimilarWeb
35Ce faisant, Les Observateurs apparaît moins comme une « arène de débat démocratique » que comme un canal de propagande qualifiée de « réinformation ». Malgré ses appels à une plus grande diversité du traitement médiatique des faits d’actualité, ce type de site participe moins à un élargissement de l’horizon du débat public qu’à sa réduction (si ce n’est sa clôture) sur des thématiques spécifiques, traitées qui plus est selon une rhétorique guerrière. La posture d’observateur revendiquée par le site bascule clairement vers celle de dénonciateur, à mesure que la suractualisation et la surdramatisation du « problème de l’islam » à laquelle il se livre inscrivent son positionnement énonciatif dans le registre de l’« interpellation dénonciatrice » (Charaudeau, 2006), obscurcissant irrémédiablement la pertinence morale de sa demande de reconnaissance au regard des normes régissant la participation à un espace public pluraliste. C’est la raison pour laquelle la distinction entre une demande de reconnaissance exclusive, s’opérant en opposition aux « Autres », et inclusive, avec les autres, de manière relationnelle et publique, s’avère indispensable.
Conclusion
36Un site comme Les Observateurs permet d’examiner empiriquement des mutations à la fois idéologiques et techniques de la communication politique, dont Internet est devenu le médium privilégié. Sur le versant socio-politique de la recherche, la compréhension du fonctionnement de ce type de support implique d’une part de réinterroger les catégories et concepts usuels de l’étude du fait politique, qui ne permettent plus de décrire finement les phénomènes en cours, et, d’autre part, de conduire l’analyse de la parole politique sur le web en termes de réseaux, pour saisir la façon dont celle-ci se diffuse et se transforme de lien en lien. Sur le versant normatif, il apparaît également nécessaire de réinterroger nos postures de sociologues, face à un objet aussi clivant que celui dont nous avons souhaité rendre compte. Les extrêmes politiques doivent être traités avec circonspection pour ne pas être arbitrairement réifiés, ce qui suppose de les observer en détail pour rendre compte de leurs déplacements. De surcroît, le rôle joué par certains professionnels des sciences sociales au sein de ces mouvances met à l’épreuve la neutralité axiologique de ceux qui souhaitent les décrire. Il s’agit en effet de se demander, d’un côté, comment étudier ces espaces de production de discours sans tomber dans la « bien-pensance gauchisante » dénoncée par ceux qui les animent, et, de l’autre, comment poser sur de tels sujets d’actualité controversés un regard sociologique qui rende compte de leur quête de reconnaissance. Cette question n’est pas anodine, à l’heure où la capacité d’analyse des sciences sociales est questionnée de toute part, forçant ses praticiens à s’en justifier (Lahire, 2016). Il nous paraît à tout le moins indispensable d’articuler plus finement les études sur la communication (et la mobilisation) politique en ligne à une réflexion renouvelée sur les évolutions du travail d’élaboration et de diffusion de l’information qui tienne compte des exigences de reconnaissance formulées par les acteurs, afin d’atteindre « une conception de la communication sociale attentive aux expériences sociales dominées, aux processus d’imposition et d’exclusion, aux mécanismes de pouvoir dans l’espace public » (Voirol, 2015, p. 61)… sans légitimer pour autant toutes les exigences de tous les acteurs.
37Notre analyse soulève à ce propos, nous semble-t-il, un certain nombre d’éléments de réflexion dont nous n’avons pu traiter ici qu’une petite partie. Elle invite notamment à se pencher sur les transformations de l’information publique, à la lumière des études récentes qui révèlent que les journalistes web sont nettement moins enclins que leurs collègues de l’imprimé à revendiquer un rôle de « chiens de garde » à l’égard du marché ou de l’État tout en se montrant plus soucieux d’« inclure le public dans la détermination de la valeur de l’information » (Dagiral et Parasie, 2010, pp. 29-30). Corrélativement, elle suggère de prendre au sérieux les revendications à un plus grand pluralisme médiatique, qui émanent aussi bien de la droite que de la gauche du spectre politique. À la concentration des groupes de presse et à la pression commerciale croissante exercée par les annonceurs, qui conduisent à la quasi-disparition du journalisme d’opinion, s’ajoutent en effet sur Internet une surabondance d’information et une culture du zapping qui engendrent des mécanismes d’imitation et, partant, une diminution dans la diversité de l’information (Boczkowski, 2010), que traduit notamment la mutation d’une large part des espaces d’information en infomédiaires plutôt qu’en producteurs de contenus originaux. À ce titre, il nous paraît important d’entendre les appels à davantage de diversité dans le traitement de l’actualité, pour éviter notamment que le phénomène de la réinformation populiste ne vienne noyer toute possibilité d’information objective et vérifiée. Si Internet a le mérite de donner une voix aux opinions écartées par les standards de l’information publique, il ouvre aussi la voie aux rumeurs et théories du complot les plus variées, que ce vocable de la réinformation légitime dramatiquement. Or le domaine du médiatique étant une vaste entreprise de médiation entre des événements décrits et un public figuré, il s’agit de se montrer attentif aux modalités d’appréciation et de validation des pratiques sociales dont ses cadrages sont porteurs (Voirol, 2005b).
Références
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Mots-clés éditeurs : infomédiation, Suisse, pluralisme, droite radicale, islam, Internet, populisme, réinfosphère
Date de mise en ligne : 19/06/2017
https://doi.org/10.3917/res.202.0241Notes
-
[1]
Soucieux de rendre compte des fondements pratiques des termes employés par les acteurs, nous faisons le choix de renoncer à ces termes connotés négativement et d’employer celui de « réinfosphère », par lequel ces sites s’autodéfinissent.
-
[2]
Voir notamment, sur ces éléments, les numéros 170 (2011) et 176 (2012) de la revue Réseaux.
-
[3]
D. Albertini, « Extrême droite : de la Finlande à la Grèce, la dérive européenne », Libération, 20 mai 2016.
-
[4]
Ibid.
-
[5]
Cf. la revue Esprit (« À quoi servent les partis politiques ? », n° 397, 2013).
-
[6]
Pour une discussion approfondie de l’archéologie du terme et de la multiplicité de ses définitions et usages, voir G. Mauger, « “Populisme”, itinéraire d’un mot voyageur », Le Monde diplomatique, juillet 2014.
-
[7]
Cf. chiffres STATPOP de l’Office Fédéral de la Statistique (OFS, 2016).
-
[8]
Pour une liste de ces thèses, voir R. Liogier (2012).
-
[9]
OFS (2016), Rapport SILC 2014 sur la situation économique et sociale de la population.
-
[10]
TVLibertés, « Uli Windisch : le modèle suisse, une référence à l’international ? », http://www.tvlibertes.com/zoom-uli-windisch-le-modele-suisse-une-reference-a-linternational/(consulté le 1er septembre 2016).
-
[11]
En juillet 2009, suite à une chronique publiée quelques mois plus tôt dans Le Nouvelliste, où il appelait notamment à ne plus voter pour les Verts et le PS, il avait reçu un avertissement dudit Comité. Source : M. Togni, « Uli Windisch épinglé par le rectorat de l’université », Le Courrier, 9 juillet 2009.
-
[12]
L. Nicolet, « Qui a dit que le patriotisme devait être de droite ? », Migros Magazine, 21 septembre 2009.
-
[13]
C. Zuercher, « Uli Windisch, sociologue de droite au cœur de la tempête médiatique », Tribune de Genève, 24 juin 2009.
-
[14]
F. Amedeo, « Présidentielle : ce qui a fait le buzz sur la Toile », Le Figaro, 22 avril 2012.
-
[15]
Autodéfini comme « site américain conservateur, chrétien et pro-israëlien », dont le slogan est « Votre bouffée d’air du matin pour mieux supporter les mensonges des médias ».
-
[16]
X. Lambiel, « Antipresse ou le discours numérique du cercle d’Oskar Freysinger », Le Temps, 20 décembre 2015.
-
[17]
Ces termes connaissent une telle popularité sur le web que la chaîne radiophonique Mouv’ leur a consacré un numéro en mars 2014, intitulé « Tous des journalopes dans les merdias ? ». Pour une généalogie, voir l’article de J. Deborde, « Comment “journalopes” et “merdias” se sont répandus sur les réseaux », Libération, 5 janvier 2017.
-
[18]
E. Gross, C. Lussato, « Plongée dans la fachosphère », Le Nouvel Obs, 27 juillet 2011.
-
[19]
Voir notamment J.-Y. Le Gallou, « Réinfosphère contre médias de propagande : la grande bataille ! », Boulevard Voltaire, http://www.bvoltaire.fr/reinfosphere-contre-medias-de-propagande-grande-bataille/, 25 septembre 2015 (consulté le 1er septembre 2016).
-
[20]
A. Sari, « Réinformation et désinformation : l’extrême droite des médias en ligne », Acrimed, http://www.acrimed.org/Reinformation-et-desinformation-l-extreme-droite-des-medias-en-ligne, 10 mars 2015 (consulté le 1er septembre 2016).
-
[21]
Source : http://lesobservateurs.ch/2016/05/21/la-guerre-aux-sites-de-la-reinformation-larme-de-la-fachosphere-plus-personne-ny-croit-sauf-le-journal-socialo-communiste-le-monde/ (consulté le 1er septembre 2016).
-
[22]
X. Lambiel, « L’UDC se désolidarise d’un dessinateur antisémite », Le Temps, 27 mai 2016.
-
[23]
U. Windisch, « Le journal Le Temps participe au lynchage d’un jeune artiste de qualité, mais “sulfureux” idéologiquement », 29 mai 2016, http://lesobservateurs.ch/2016/06/21/medias-le-journal-le-temps-participe-au-lynchage-dun-jeune-artiste-de-qualite-mais-sulfureux-ideologiquement/ (consulté le 1er septembre 2016).
-
[24]
P. Barraud, « Rien sans peine », Commentaires.com, 14 mai 2012, http://www.commentaires.com/suisse/rien-sans-peine (consulté le 1er septembre 2016).
-
[25]
Source : https://www.youtube.com/watch?v=e9XJ28bKxJc (consulté le 1er septembre 2016). Cette vidéo mériterait en soi une analyse, tant son contenu synthétise les reproches adressés aux médias mainstream par le courant de la réinformation.
-
[26]
Les Observateurs, « Urgent. Appel aux dons », 1er septembre 2016), http://lesobservateurs.ch/2016/09/01/urgent-appel-aux-dons/ (consulté le 1er septembre 2016).
-
[27]
Comme le montre la vidéo du « 19:30 » de la RTS du 1er février 2012.
-
[28]
Si Fdesouche est également proche des Observateurs du point de vue des thèmes et des partages de textes, il nous intéresse moins ici dans la mesure où il ne produit quasiment aucun contenu original, mais fonctionne comme une revue de presse actualisée en temps réel (cf. Kergomard, 2012).
-
[29]
Ainsi le premier article publié par UW sur son site est-il intitulé « Les grands éditeurs suisses : des multimillionnaires de gauche ? », 29 janvier 2012.
-
[30]
Les initiatives populaires fédérales « Pour le renvoi des criminels étrangers » et « Contre l’immigration de masse » ont de fait été acceptées en votation populaire, respectivement en novembre 2010 et février 2014.
-
[31]
S. Montabert, « La vieille antienne de la Suisse gouvernée à droite », 18 août 2016, http://lesobservateurs.ch/2016/08/18/vieille-antienne-de-suisse-gouvernee-a-droite/ (consulté le 1er septembre 2016).
-
[32]
D’après les titres des ouvrages éponymes de R. Camus (2011) et B. Ye’or (2006).
-
[33]
C. Zünd, « La droite pamphlétaire étend sa toile en Suisse », Le Temps, 20 décembre 2015.
-
[34]
Source : http://lesobservateurs.ch/2016/01/02/uli-windisch-longue-interview-biographique-et-sur-lesobservateurs-ch-par-pierre-cassen-du-site-riposte-laique/ (consulté le 1er septembre 2016).
-
[35]
TVLibertés, op. cit.
-
[36]
Ceci attire l’attention sur le fait que la visibilité médiatisée fait intervenir des tiers symboliques et matériels (Voirol, 2005b), qui sont eux-mêmes l’objet de considérations juridico-politiques. L’administrateur suisse du site Riposte laïque a ainsi été condamné en avril 2016 par le Tribunal correctionnel de Paris pour provocation à la haine, suite à la publication d’une violente diatribe contre les musulmans.
-
[37]
M. Grandjean, « Média plagiaire : “Les Observateurs” et la systématique du copier/ coller », 13 décembre 2013), http://www.martingrandjean.ch/les-observateurs-systematique-copier-coller/ (consulté le 1er septembre 2016).
-
[38]
L’accusation de Grandjean a eu de fait pour effet de voir disparaître une large partie des archives des Observateurs. De plus, la rubrique « Flux » où étaient recensés automatiquement les articles provenant d’autres sites, a été remplacée par la rubrique « Brèves ».
-
[39]
Les Observateurs, « La guerre des médias n’aura pas lieu », 16 décembre 2013, http://lesobservateurs.ch/2013/12/16/la-guerre-du-week-end-naura-pas-lieu/ (consulté le 1er septembre 2016).
-
[40]
Les données fournies par SimilarWeb confirment largement nos observations quant au fonctionnement autoréférentiel de la réinfosphère francophone. Elles doivent toutefois être considérées avec précaution, compte tenu de la méthodologie grossière de l’outil.
-
[41]
À titre de comparaison, à la même période dreuz.info totalise plus de 30 700 fans, E&R 152 000, Fdesouche 258 500 et Riposte laïque France 24 700.
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[42]
Pour le cas suisse, voir notamment Y. Roulet, « Comment l’UDC a étendu sa toile », Le Temps, 21 octobre 2015.