Notes
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[1]
L’histoire des termes décrivant le mouvement nécessiterait un travail approfondi (socio-économie des industries culturelles ; industries culturelles et informationnelles ; économie politique de la communication).
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[2]
Dès 1990, Réseaux a publié plusieurs textes de Williams (n° 42, 44-45, 80) [NdE].
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[3]
Ce qui du point de vue de l’histoire de la pensée économique apparaît surprenant pour un courant qui se nomme « économie politique de la communication » puisqu’un des principaux points de rupture entre l’économie politique classique et l’économie néoclassique est la théorie de la valeur, qui passe de la valeur travail (valeur d’usage/valeur d’échange) à l’utilitarisme justement réglé par le recours au marginalisme (Denis, 1968).
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[4]
Étant donné la focalisation de l’EPC sur les questions économiques, on peut se demander pourquoi ces travaux sont quasi systématiquement ignorés par les chercheurs en sciences économiques y compris par les courants hétérodoxes (institutionnalisme, économie des conventions, économie de la régulation…). La raison principale semble être interne à l’EPC, elle s’expliquerait par un choix d’ancrage au sein de l’Information-Communication (la 71e section du CNU est créée en 1975) qui a de fait éloigné ces réseaux de la discipline « sciences économiques » (5e section du CNU). Structurellement, on doit ajouter la montée en formalisation mathématique du courant majoritaire des sciences économiques, la domination croissante des approches néoclassiques et l’écroulement des travaux basés sur les paradigmes marxistes dans les années 1980, aussi bien dans le monde de la recherche que vis-à-vis des commandes publiques. À cet égard, il est intéressant de noter que les études soutenues par le Département des Études du Ministère de la Culture sur les industries culturelles incluent fréquemment dans les années 1980 (par exemple Rouet, 1989), à côté des tenants d’une économie publique orthodoxe (Greffe, puis Benhamou, Farchy, Sagot-Duvauroux…) et des théoriciens marxistes (Leroy, Busson, Herscovisci…), des équipes liées à l’EPC. C’est moins le cas aujourd’hui où les chercheurs émanant des sciences économiques apparaissent largement dominants.
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[5]
On peut consulter à cet égard le texte de Stéphane Costantini dans ce dossier.
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[6]
On retrouve le même genre d’analyse chez Bouquillion (2012a) lorsqu’il décrit les tentatives anglaises de penser la dimension culturelle de l’économie qu’il associe à une perspective idéaliste (expliquer l’économie à partir de la superstructure culturelle).
« Certes, la culture ne peut aller au-delà du possible. Mais l’organisation sociale reste à la traîne de ce qui, du point de vue de la culture, est possible et désirable. »
1Dans la littérature, économie politique de la communication (EPC) et cultural studies (CS) sont deux courants théoriques qui apparaissent comme antithétiques (Garnham, 2015 [1995] ; Grossberg, 2015 [1995] ; Mattelart et Neveu, 1996 ; Fenton, 2007 ; Hesmondhalgh, 2007a). De nombreuses contributions ont comparé les deux visions, soulignant avant tout leurs antagonismes. Une opposition qui avait notamment pour vertus d’expliciter les propos de ces deux élaborations théoriques dans le champ de la communication (objectivisme vs connaissance située, production vs consommation, déterminisme vs agency, antagonisme de classe vs politique de l’identité ou même économie vs culture). Mais dans ces exposés qui se concentrent sur les divergences, la description de l’autre « camp » est souvent simplifiée et ne tient en général pas compte de la complexité de l’approche adverse, des débats internes qui ont jalonné son développement, ni des processus historiques de sa construction. Des travaux récents soulignent ainsi les limites d’une telle controverse (Peck, 2006 ; Hesmondhalgh, 2008). Si les divergences conceptuelles restent significatives, ni l’EPC ni les CS n’existent vraiment en tant que théorie unifiée. Au contraire, les deux domaines ont été le lieu de multiples débats, face à la transformation des pratiques et l’avènement de nouveaux paradigmes, amenant autant de repositionnements, de contradictions et de tentatives de réunification.
2Cette contribution entend prendre part au débat en se focalisant sur un élément de taille, la place des outils théoriques élaborés par Karl Marx, et plus largement du marxisme dans la constitution des deux courants théoriques, ainsi que les lectures divergentes qu’ils en tirent. A priori, de par sa perspective holistique, son intérêt pour le mode de production capitaliste et ses conséquences sociétales, on aurait tendance à rapprocher l’EPC des mécanismes marxistes d’analyse de la production. Mais ce serait oublier que l’EPC s’est aussi construite, dans les années 1970, comme une alternative à la pensée marxiste dominante de l’époque. À l’opposé, on pourrait penser que les CS, puisqu’elles s’intéressent aux pratiques culturelles des acteurs et leur accordent traditionnellement une capacité d’agir autonome, sont loin du marxisme. Mais ce serait oublier que la formalisation des principaux concepts des CS émane d’un cadre conceptuel basé sur le rapport conflictuel aux dominants, sur les notions d’idéologie et de conscience de classe.
3Dans cette contribution, nous proposons de dérouler chronologiquement le rapport à Marx, et plus spécifiquement au matérialisme historique, de ces deux courants de pensée, à travers une attention particulière portée au courant français des Industries culturelles et à l’école de Birmingham. Nous faisons l’hypothèse des points de dialogue entre les deux postures. D’une part, les deux domaines revendiquent la dimension constitutive des discussions avec le marxisme, celles-ci donnant d’ailleurs lieu à des prises de position parfois contradictoires en leur sein. Cette place centrale du marxisme révèle des ponts, notamment dans la circulation des travaux fondateurs, à l’instar de ceux de Raymond Williams. D’autre part, les travaux sur les médias et les industries culturelles montrent une attention commune à la fois aux rapports sociaux de classe et aux dimensions matérielles des pratiques médiatiques, ici abordées à des échelles différentes, l’une macro, l’autre micro. Enfin, les deux domaines sont protéiformes et leurs contours n’ont eu de cesse de se redessiner en fonction de l’histoire et des contextes étudiés. Il s’agit donc ici de saisir les positions prises par l’EPC et les CS comme autant d’expressions et de tentatives de résolution des contradictions internes et externes aux deux mouvements.
Le postmarxisme des cultural studies
Le matérialisme culturel
4Pour saisir le rôle constitutif du débat avec le marxisme au sein des CS, il faut revenir au moment fondateur du Contemporary Center for Cultural Studies (CCCS), pendant lequel CS et marxisme ont pu se confondre (Sparks, 2015 [1996]). Le projet élaboré au sein du CCCS sous l’impulsion du fondateur en 1964, Richard Hoggart, de Stuart Hall, directeur à partir de 1968, mais aussi de figures historiques telles que Raymond Williams ou E.P. Thompson, est à la fois théorique et politique. Un projet théorique d’abord, qui, à travers une conception anthropologique de la culture, se donne pour objectif de rendre compte des dimensions culturelles du changement social à un moment de transformation et d’industrialisation de la société britannique. Un projet politique ensuite, qui cherche à réhabiliter les capacités de résistance et les possibilités d’agir des groupes subordonnés. Ce projet est avant tout le produit d’un regard décentré de la part de chercheurs en marge du monde académique de l’époque. Raymond Williams, par ses origines sociales modestes, traduit dans ses écrits un décalage face à une conception élitiste de la culture. Stuart Hall, d’origine jamaïcaine, consacre quant à lui toute une partie de son œuvre à rendre compte des rapports sociaux de race dans la culture. Mais le meilleur exemple de ce décentrement est sans doute l’ouvrage La culture du pauvre (1970 [1957]) dans lequel Richard Hoggart propose un récit informé par ses souvenirs d’enfance de l’expérience culturelle et quotidienne des classes populaires. Il œuvre à réhabiliter une classe ouvrière selon lui caricaturée par les écrits scientifiques en insistant notamment sur les capacités de distanciation de ces dernières à l’égard de la culture de consommation et des médias de masse. Il donne ainsi à voir des classes populaires sensibles aux changements, mais dont les attitudes, faites de défiance et d’ironie à l’égard des hiérarchies, sont le terreau de contradictions vis-à-vis du capitalisme.
5Malgré son intérêt pour la classe ouvrière, Richard Hoggart nourrit une certaine hostilité à l’égard de la tradition marxiste. Il revendique bien davantage l’héritage culturaliste de Leavis, comme le traduit sa vision presque romantique de la classe ouvrière. La discussion avec le marxisme est plus largement embrassée par deux autres figures, Raymond Williams et E.P. Thompson, qui prennent quant à eux ouvertement leur distance avec le marxisme historique « orthodoxe ». « Pour nombre d’entre nous, l’interprétation marxiste de la culture semble imposer une méthodologie contraignante ; ainsi, si l’on cherche à étudier par exemple la littérature d’un pays particulier, il faut commencer par retracer son histoire économique, puis évaluer sa littérature sous cet éclairage » (Williams, 2013 [1958], p. 71). C’est en réponse « à la détermination en dernière instance » de l’économique que Raymond Williams développe l’idée d’un matérialisme culturel (Williams, 2009 [1973]). Il s’agit d’envisager la superstructure et l’infrastructure comme un éventail de pratiques opérant dans un univers de contraintes matérielles. La culture, selon cette conception, n’est plus le simple reflet des rapports matériels de production. Elle est assimilée à un « processus social », un mode de vie, une pratique, et s’impose comme le lieu de transformation historique du langage et de la signification (Williams, 1977). Chez Williams, la culture ne nourrit par conséquent plus un rapport de causalité avec l’économique, mais bien un rapport productif. Elle bénéficie d’un certain degré d’autonomie et participe à la constitution du champ social par ses interactions avec les processus socio-économiques.
6Mais le matérialisme culturel de Raymond Williams se veut également une réponse au structuralisme, notamment celui de Louis Althusser, dont les idées infusent alors les sciences sociales. Raymond Williams reproche à Althusser de ne penser l’interpellation que dans un sens : il critique un projet théorique, qui, en envisageant les pratiques et leur déplacement au service d’une totalité en mouvement, aurait négligé la question du pouvoir d’agir et de la contre-interpellation (Lecercle, 2015). Une telle approche rencontre les travaux de l’historien E.P. Thompson. Refusant à son tour le rôle déterminant de l’économique dans la formation des classes sociales, ce dernier développe une histoire « par le bas » dans laquelle les classes ne seraient plus uniquement le reflet des rapports de production, mais bien le fruit d’un processus dynamique constitué de l’expérience, entendue au sens de valeurs, de représentations, d’affects (Thompson, 1988 [1963] ; Keucheyan, 2010, p. 304). Dans ces travaux comme dans ceux de Williams, l’accent est mis sur l’agency inhérent au vécu et aux pratiques quotidiennes. Une telle attention dessine un modèle théorique de société dans lequel les appartenances collectives rencontrent le pouvoir d’agir individuel. C’est du côté du concept gramscien d’hégémonie que Williams trouve le moyen de rendre compte de la manière dont se construit le lien entre pratiques collectives (de groupe, de classe) et pratiques individuelles : les pratiques vécues prennent sens dans l’hégémonie, c’est-à-dire dans l’organisation sociale des significations et des valeurs (Williams, 2009 [1973]).
Articulation et hégémonie
7Cette conception de la culture est en partie reprise par Stuart Hall qui poursuit la critique du marxisme « orthodoxe », tout en le prenant au sérieux. Au cœur de cette critique se tient le renversement de la proposition selon laquelle un sujet intentionnel façonnerait l’idéologie, par la production d’idées, de représentations, de discours, qui renverraient une image fausse de la réalité. Hall propose à l’inverse de penser le sujet comme le produit de l’idéologie et l’expérience comme le résultat des opérations des différentes structures de la formation sociale. Il rompt en cela avec l’antistructuralisme de Williams et Thompson pour renouer avec certains aspects de la pensée d’Althusser. Pour ce dernier, l’idéologie s’apparente à une sorte de voile située entre les discours et l’expérience : elle est une « transposition imaginaire », indissociable de la matérialité du vécu. Elle est par ailleurs une force déterminante, dans le sens où elle constitue les individus en sujets par le biais de l’interpellation. La lecture que fait Stuart Hall de l’ouvrage Pour Marx d’Althusser (1996 [1965]) renouvelle ainsi la manière de saisir les modalités opératoires de l’idéologie au sein des CS. L’idéologie est appréhendée dans son existence matérielle, au travers des pratiques, des rituels. Elle est aussi comprise comme opérant au travers des institutions, des « appareils idéologiques d’État », parmi lesquels se trouvent les médias (Hall, 2012 [1985]). L’idéologie n’est par ailleurs pas nécessairement le reflet d’une position dans les rapports de production. Selon le principe d’articulation, il n’y a en effet pas de correspondance nécessaire entre une pratique politique, légale ou idéologique et l’« économique » (ibid., 135). Toute rencontre entre des forces sociales et des formes idéologiques, entre des groupes et des intérêts, revêt alors une dimension conjoncturelle. C’est dans ces rencontres que se forgent des « unités de rupture » à même de constituer par la suite des forces de changement.
8La relation de Hall aux travaux de Louis Althusser ne doit cependant pas être surestimée et reste teintée de méfiance, notamment face à leur orientation anhistorique (Hall, 2013 [1980], p. 155). En outre, une rencontre décisive avec le concept d’hégémonie déjà présent chez Williams et les relectures du concept par Laclau et Mouffe amène Hall à repenser la conflictualité sociale (Hall, 2008b [1982], p. 162). Dans une perspective gramscienne, l’hégémonie renvoie à la lutte des groupes sociaux sur les terrains économique, idéologique, mais aussi culturel, pour l’accès à des positions de pouvoir. Cette lutte consiste en la recherche du consentement et du « sens commun » sur un terrain symbolique complémentaire de la violence d’État. À l’encontre d’Althusser, Stuart Hall se saisit du concept d’hégémonie pour mettre en lumière la dimension conflictuelle de l’idéologie et son inscription dans les processus historiques (Hall, 2012 [1985], p. 165). Avec le concept s’impose en effet une acception mouvante des rapports de pouvoir : il y a certes toujours de la domination, mais celle-ci est sans cesse contestée par les groupes sociaux qui cherchent à faire entendre leurs voix. Elle est donc une domination « sans garantie », formant autant d’« équilibres instables » au sein desquels les groupes cherchent, par des systèmes d’alliances et des mésalliances, à maintenir leur position de pouvoir. L’articulation revêt en outre une dimension discursive : la rencontre des forces sociales et des idéologies relève d’une unité construite politiquement à des fins de lutte pour l’hégémonie. Une telle approche, qui imprègne durablement le projet des CS, contrevient à l’idée qu’il existerait un sujet de classe en soi, pour insister sur la multiplicité des revendications articulées pour former un « bloc de pouvoir », c’est-à-dire une constellation de forces au caractère conjoncturel (Hall, 2008a [1981], p. 125).
Marx et le mode de production capitaliste au cœur de l’économie politique de la communication
La construction de l’économie politique de la communication comme dynamique de recherche
9Du côté des auteurs qui se reconnaissent sous le vocable économie politique de la communication, on retrouve notamment les outils analytiques du système économique posés par le second Marx, celui de La Critique de l’économie politique (1859) et du tome 1 du Capital (1867). Il en va ainsi des concepts de « mode de production » (en particulier capitaliste), « rapports de production », « forces productives », « infrastructure/superstructure », « idéologie » et de la théorie de la valeur travail. D’après Hesmondhalgh, s’il n’est pas nécessaire d’être marxiste pour travailler dans le domaine de l’économie politique, cela aide [it helps] car les deux perspectives vont souvent dans le même sens (Hesmondhalgh, 2007a, p. 34). Pour autant, l’EPC ne constitue pas une théorie unifiée qui aurait essaimé dans diverses zones géographiques. « Malgré les apports de quelques auteurs importants (Schiller, Guback, Smythe, sous certains aspects Williams, Garnham, Mattelart, Hamelink, Murdock), on ne trouvera pas de texte marquant pouvant être considéré comme fondateur » (Miège, 2004, p. 47). Il s’agit plutôt de plusieurs traditions de recherche construites indépendamment, mais qui ont trouvé entre elles des points communs, notamment en termes de postures critiques. Les échanges entre auteurs et entre groupes d’auteurs ont donné lieu à des collaborations, sans pour autant effacer les différences. Plutôt qu’un paradigme poppérien qui postule sa scientificité dans une unicité réfutable, on est face à une conception des sciences sociales qui « compensent le caractère toujours recommencé de leurs interprétations et la forme “interminable” de leurs intelligibilités “en écheveau” par leur teneur en phénoménalité historique et culturelle » (Passeron, 1990, p. 89). L’EPC porte en outre une attention particulière à la dimension historique des terrains étudiés, rencontrant à ce titre le « matérialisme culturel » de Raymond Williams (1977). Ainsi, pour Miège, qui voit en l’ouvrage de Mosco (1996) une étape décisive dans l’ancrage de l’expression « économie politique de la communication », c’est par la convergence des résultats de recherches réalisées dans divers cadres nationaux plutôt que par une approche théorique commune que se construit cette tradition de pensée (Miège, 2000, p. 35).
10Afin d’évoquer le rôle des travaux marxistes dans le cadre de l’EPC, il est possible de relater brièvement quelques étapes fondatrices de ce courant de pensée. Mais, cette histoire ne pouvant être considérée comme linéaire et devant être située (Mattelart, 2014, p. 21), nous avons choisi de nous intéresser à la perspective française et au point de vue développé par les chercheurs du domaine eux-mêmes. En général, on considère en France que la tradition de recherche émerge aux États-Unis avec les travaux de Schiller ou Smythe (Mattelart et Mattelart, 2004 ; Miège, 2000). Au-delà d’une simple analyse technique des rapports marchands, les auteurs cherchent à montrer, dès la fin des années 1960 et à partir du cas américain (Schiller, 1969), que quelques grandes firmes dominent le marché de la culture et de l’audiovisuel, qu’elles agissent dans des domaines de production stratégiques qui vont au-delà de la communication, mais aussi qu’il existe des collusions avec le pouvoir politique et l’État. Pour Mosco (2000, p. 95), ces approches s’inspirent « à la fois des pratiques institutionnelles et des théories marxistes. [Elles] […] ont été nourries avant tout par un sentiment d’injustice et par l’idée que l’industrie de la communication faisait partie intégrante d’un système économique plus vaste, antidémocratique et fondé sur l’exploitation des individus. » Dès le milieu des années 1970, les travaux de Mattelart, qui publie en français, en anglais et en espagnol, permettent non seulement de diffuser des contributions provenant de diverses aires géographiques, mais surtout de souligner « l’idéologie des communications internationales » et l’existence de rapports inégalitaires entre l’Occident et le reste du monde (Mattelart, 1976 ; Mattelart, 2014).
11À la suite de ce premier mouvement, une seconde dynamique se développe en Europe, et plus particulièrement en France via l’ouvrage fondateur Capitalisme et Industries culturelles (1978) issu d’une recherche CNRS intitulée La Marchandise culturelle (1975) dont les terrains investissent plusieurs branches de la production culturelle et de l’audiovisuel (Huet, Ion, Lefebvre, Miège et Peron, 1984 [1978]). Au départ, ces auteurs empruntent la notion d’« industrie culturelle » à Adorno et Horkheimer, alors en circulation dans le champ esthétique grâce aux traductions réalisées par Marc Jimenez. Mais en la pluralisant, ils soulignent qu’il existe des spécificités de branche. L’ouvrage Capitalisme et Industries culturelles est à ce titre souvent cité par les tenants de l’EPC, notamment via la postface que Miège rédige pour la seconde édition de Capitalisme et Industries culturelles en 1984. Ce texte s’inscrit dans le sillage des travaux de Schiller tout en les critiquant : il s’agit, comme le précise Miège, de souligner la spécificité de la production industrielle dans la culture (notamment la part d’incertitude qui caractérise les biens culturels) sans pour autant négliger la similarité des mécanismes au sein du mode de production capitaliste. Parmi les auteurs de ces ouvrages, si Bernard Miège dirige par la suite de nombreuses thèses en Information-Communication, les autres, alors en début de carrière, se spécialisent dans diverses disciplines (A. Huet et J. Ion sont sociologues par exemple). L’école française se lie par la suite avec des chercheurs canadiens francophones (Lacroix, 1986 ; Lacroix, Lefebvre, Miège, Moeglin et Tremblay, 1997) et rencontre le travail de chercheurs anglais, en premier lieu Nicolas Garnham, qui se focalise sur le rapport entre industries culturelles et politiques publiques, via la publication d’articles au sein de Media, Culture & Society. L’EPC se distingue ainsi par une dimension internationale, qui s’intensifie avec les études commanditées par l’UNESCO dans les années 1980 (Mattelart et Mattelart, 2004). En outre, en reprenant la généalogie des textes et l’évolution des citations réciproques, on peut déceler le rôle moteur du travail d’Armand Mattelart entre les États-Unis, l’Amérique du Sud et la France (Mattelart, 2004, 2014) ou encore des traductions en 1989 des textes de Miège (dont la postface de la seconde édition de Capitalisme et Industries culturelles) sous la direction de Garnham lui-même (Miège, 1989), qui marquent durablement la manière dont Miège est perçu dans le monde anglophone (Straw, 1990). On devrait aussi souligner le rôle décisif de David Hesmondhalgh (2007a), auteur anglais contemporain qui discute les thèses des auteurs de nombreux pays travaillant dans la dynamique de l’EPC et opère un travail de synthèse précis.
12Nul doute que la solidité de l’EPC comme posture et comme tradition vient pourtant en premier lieu de la multiplication des relations interpersonnelles entre chercheurs ainsi que des discussions croisées, plutôt que par une connaissance approfondie des écrits (notamment parce que les diverses aires linguistiques créent des frontières invisibles partiellement résorbées seulement par les traductions). Ces éléments font que l’histoire du mouvement est sans cesse réécrite en y ajoutant des chercheurs dans un premier temps ignorés [1]. À titre d’exemple, on peut pointer le fait que Schiller n’est pas cité dans la première édition de l’ouvrage français Capitalisme et Industries culturelles alors qu’il est discuté dans la seconde. Plus explicite encore peut-être est le cas de Raymond Williams [2], dont nous avons évoqué le rôle fondateur au sein des CS. Cet auteur anglais d’abord revendiqué comme précurseur par les chercheurs en EPC de son pays (comme Garnham), mais ignoré par les chercheurs français (Sayre et Löwy, 1993) voit plus tard son œuvre réhabilitée en France par Miège (2000) ou encore Mattelart (2014).
Le matérialisme historique comme repère fondateur
13Les auteurs regroupés aujourd’hui sous l’appellation EPC définissent d’abord leur posture contre la science économique formaliste néoclassique. En gardant l’appellation d’économie politique, ils ont voulu insister sur les conséquences politiques des configurations économiques de production de la culture. Toutefois, ces auteurs se désolidarisent également d’un matérialisme dialectique marxiste dogmatique. Les enquêtes sur le fonctionnement des filières doivent ainsi démontrer de quelles manières fonctionnent les diverses industries culturelles (ou médiatiques) avant d’en spécifier les effets. L’émancipation de ces deux conceptions (économie libérale et marxisme orthodoxe) s’explique historiquement.
14Jusqu’au milieu des années 1980, époque où le marxisme était puissant et où les discussions autour de l’art et de la culture étaient saturées d’idéologie, un des enjeux de l’EPC était de montrer comment fonctionnaient concrètement les industries culturelles. Comme le rappelle Miège en 1984, les « analyses marxisantes […] se situent pour la plupart d’entre elles d’emblée au niveau des superstructures, des rapports entre mode de production et idéologie dominante ou entre restructuration du capitalisme et formation des appareils idéologiques et se contentent le plus souvent de recourir à un principe théorique (le fameux “en dernière instance”) pour caractériser la détermination économique » (Miège, 1984, p. 169). Cela se traduit par une relativisation du mécanisme simple de détermination de la culture (en tant que superstructure idéologique) par l’infrastructure économique. L’idée est donc ici, pour les auteurs de Capitalisme et Industries culturelles, de sortir du dogme et de porter une attention particulière aux « modalités concrètes » de cette détermination, par exemple en s’intéressant aux divers modes de rémunération dans le secteur culturel (salariat ou droit d’auteur) en fonction des types d’activités ou encore à l’organisation de la filière selon les types de modèles (« éditorial » ou « de flot »). C’est d’ailleurs dans cette perspective d’analyse des « modalités concrètes » du fonctionnement des industries culturelles que l’EPC critique Adorno. On lui reproche dialectiquement de trop amalgamer les différents secteurs des industries culturelles (d’où l’adoption du pluriel) et de trop singulariser la culture par rapport à l’ensemble de la production économique. Enfin, on critique le fait qu’il sépare trop radicalement la création du processus de production au sein du mode de production capitaliste (par exemple Miège 1984, p. 20 ; ou 2000, p. 14).
15À partir du milieu des années 1980, avec l’importance prise par les logiques libérales aussi bien dans la recherche que dans les politiques publiques (qui commencent d’ailleurs à s’intéresser aux industries culturelles), l’EPC focalise davantage sa critique sur les préceptes d’économie néoclassique de la culture et porte une attention particulière aux logiques d’accumulation du capital. En conservant les outils d’analyse proposés par Marx dans le cadre de ses écrits sur le mode de production capitaliste, il s’agit d’intégrer les enjeux idéologiques à l’œuvre dans la consommation en s’appuyant sur des enquêtes effectuées au sein des filières de production. Cette dénonciation de l’économie orthodoxe reste le combat théorique le plus évident lorsqu’on lit chronologiquement les travaux du courant français des industries culturelles. Si l’économie de la culture néoclassique est aujourd’hui toujours la cible de critiques, notamment dans ses postulats microéconomiques de rationalité des consommateurs, son absence d’analyse des rapports inégalitaires ou de la dimension idéologique des productions, on constate pourtant que son vocabulaire macroéconomique a progressivement infusé au sein de l’EPC avec les concepts d’oligopole à frange (Miège, 2000) ou à l’inverse de monopsone (Moeglin, 2007), de concurrence, d’économie d’échelle, de rendements croissants ou de coût marginal [3]. Fréquemment utilisé jusque dans les années 1980, le vocabulaire marxiste semble quant à lui s’effacer peu à peu. Tout se passe comme si, consciente des problèmes de domination posés par la configuration oligopolistique au sein des secteurs de la culture et de la communication, l’EPC choisissait une posture pragmatique, cherchant les moyens de résister, par ses analyses, à la domination économique et idéologique des multinationales et des politiques économiques gouvernementales qui les favorisent (Bouquillion, 2012, p. 40). Si l’on regarde les écrits sur le long terme, on voit en outre se développer des emprunts à la sociologie critique, notamment celle de Bourdieu. Il en va ainsi du rapport « structurant/structuré » des règles de fonctionnement liées aux produits culturels et de ce qu’en font les acteurs (Miège, 1989, p. 18) ou sur « la mise en ordre symbolique » de biens valorisés au nom de leur dimension créative (Bouquillion et al., 2013). Quoique parcellaires, de tels emprunts servent ici à critiquer une liberté supposée des acteurs et à mettre en évidence la construction sociale des représentations des produits, car le travail de Bourdieu sur l’organisation des filières de production, leurs similitudes et leurs différences, est jugé incomplet (Miège, 1989 ; Hesmondhalgh, 2007b) [4].
Des terrains de discussion
Le sens des pratiques
16L’économie politique a parfois vu dans l’approche des médias par les CS, et notamment l’attention portée aux textes médiatiques, mais aussi aux pratiques de réception, une absence de problématisation des formes de compétition et d’interdépendance à la production (Mattelart et Neveu, 2003). Les orientations prises pour l’étude des médias des CS sont néanmoins à l’image de l’appropriation singulière des outils tirés du marxisme et des multiples discussions auxquelles cette dernière a donné lieu. Ils rendent surtout compte du passage d’une approche inspirée par le marxisme structuraliste à une étude des processus hégémoniques. Aussi, si les CS se sont tant intéressées aux discours et représentations médiatiques, c’est que ces derniers sont, dans un contexte d’expansion des moyens de communication, l’un des domaines privilégiés des luttes pour l’hégémonie. Les discours médiatiques constituent, selon les termes de Stuart Hall, des sites de conflictualité autour de la définition des termes du débat public et des événements (Hall, 2008a [1982]). Ils sont autant de « pratiques signifiantes » qui participent à forger les imaginaires sociaux et surtout inscrivent les tensions du monde social. Ils peuvent alors être compris dans une dynamique contradictoire. Ils fixent des idéologies par le biais de répertoires, des lexiques, des styles, qui forment un tout cohérent. La vision du monde ainsi formée n’est toutefois pas unitaire. Elle se situe au confluent d’une multitude de discours : elle est le produit de l’agrégation de voix dissidentes et peut entrer en conflit avec d’autres visions du monde. La fonction idéologique des médias ne consiste donc pas en l’imposition de certaines idées, mais bien en la production du consensus à partir de multiples voix et la fabrique du consentement dans la lutte pour l’hégémonie. Son analyse conduit à interroger la manière par laquelle un discours se donne à entendre comme le discours dominant et gagne le consentement populaire, reléguant du côté de l’indicible et de l’impensable d’autres significations possibles aux événements.
17Cette attention portée à la conflictualité sociale s’inscrit dans la continuité des premiers travaux de l’école de Birmingham sur les pratiques culturelles des groupes sociaux. On en trouve les traces dès le Subcultures Group du CCCS qui propose de situer les idéologies et les résistances aux idéologies dans les pratiques ordinaires de consommation, faisant de la relation des gens aux industries culturelles et des dimensions culturelles de l’expérience le cœur de son propos. Les subcultures, alors en plein développement, sont conçues comme l’expression d’une position de classe sociale, mais aussi comme un nouveau terrain de lutte (Hall et Jefferson, 2003 [1975]). Phil Cohen voit par exemple dans ces cultures juvéniles une réponse symbolique aux contradictions vécues d’une classe ouvrière soumise à l’injonction à la consommation et à l’effritement de ses communautés (Cohen, 2008 [1972]). Par le détournement de symboles de la culture commerciale et de codes des classes supérieures, les cultures juvéniles recréeraient une cohésion sociale mise à mal par les mutations du marché du travail, de l’habitat et de l’éducation durant la période d’après-guerre. Elles incarnent de véritables rituels de résistance à l’individualisme et au consumérisme. Mais elles se donnent aussi à voir comme le lieu de « bricolages » productifs. Dick Hebdige, dans ses travaux sur les subcultures punks et mods, s’éloigne ainsi d’une théorie de la détermination sociale pour voir dans les détournements des marchandises un processus de resignification (Hebdige, 2008 [1979], p. 90). Les cultures punks et mods subvertiraient le sens premier des produits des industries culturelles et interrompraient le processus de normalisation du sens en mettant au jour l’arbitraire du signe. Apparaît au sein des CS l’idée de « guerre sémiotique », autrement dit d’une lutte pour le contrôle de la signification, à laquelle participeraient activement les classes subordonnées par le biais des subcultures.
18Il faut voir dans les travaux sur la réception des médias une même volonté de saisir la conflictualité à une échelle microsociologique. Au fondement de ces derniers se tient un rejet de la « fausse conscience » qui accorderait la conscience et le pouvoir aux forces commerciales et condamnerait les classes populaires à vivre dans l’ignorance de leur propre soumission et manipulation. « Les gens ordinaires ne sont pas des idiots culturels », répond Stuart Hall, engageant sur ce terrain un dialogue avec l’école de Francfort à laquelle il reproche de ne voir dans les industries culturelles que les « agents de la tromperie de masse » (Hall, 2008a [1981], p. 120). Pour prendre le contre-pied de ces « théories spéculatives », les CS déploient un arsenal empirique qui vise à saisir la réception comme une activité de production de sens. Le modèle de codage/décodage développé par Hall s’attache à montrer les dissonances entre la « structure de sens » à la production et à la réception (Hall, 1994 [1973]). S’il reprend l’idée de « structure », il insiste surtout sur l’indétermination relative du décodage, étant considéré qu’il n’y a pas nécessairement de concordance entre les différents pôles du processus communicationnel. Au contraire, les pratiques de réception peuvent contrevenir au sens dominant du message médiatique et déployer des lectures sur un mode négocié ou oppositionnel. Depuis son élaboration dans les années 1970, le modèle de codage/décodage a été soumis à de nombreuses relectures. On peut à ce titre citer David Morley, l’un des initiateurs du « tournant ethnographique », qui, dans son étude de la réception du programme télévisé Nationwide, met en lumière l’importance des facteurs socioculturels organisant la réception (Morley, 2008 [1980]). Interrogeant des groupes diversement situés sur la structure sociale (syndicalistes, étudiants noirs, institutrices), il montre combien la relation au texte est tributaire des positions des spectateurs dans les rapports sociaux de classe, race, genre. Les discours idéologiques se confrontent aux interprétations et usages de publics, dont l’accès à certains codes et certaines valeurs est en partie déterminé socialement (Morley et Jin, 2011, p. 132).
19En mettant l’accent sur les interprétations et les degrés de sensibilité des publics, les travaux des CS ne dénient nullement la force des textes médiatiques et des programmes. Morley évoque à ce titre un modèle texte-lecteur dans lequel des « clôtures textuelles » persistent et imposent les répertoires à partir desquels les spectateurs construisent leurs identités (Morley 1992). Stuart Hall reconnaît quant à lui le pouvoir des industries culturelles à « façonner » les imaginaires sociaux à coup de « répétition et de sélection » (Hall, 2008a [1981], p. 121), en même temps qu’il insiste sur le fait que des imaginaires ne s’imposent jamais complètement aux esprits. Cherchant le juste équilibre entre détermination et activité de réception, les CS se situent au point de tension entre deux positions opposées. Elles refusent d’une part d’entrer dans le jeu d’un structuralisme radical qui accorderait un pouvoir structurant au texte, à l’instar des travaux en réception inspirés de la théorie psychanalytique développés par la revue d’études cinématographiques Screen. Sur ce point, la rencontre avec Gramsci a eu cela d’essentiel qu’elle a permis de sortir d’une conception de l’idéologie comme opération coercitive sur l’inconscient pour penser la production de sens commun inconsciemment acceptée (Sparks, 2015 [1996]). Les CS refusent d’autre part d’accorder une liberté totale à la réception, qui ferait fi du pouvoir des producteurs de contenu. Plusieurs approches ont sur ce terrain suscité de nombreuses polémiques au sein même du domaine. C’est le cas de « la démocratie sémiotique » de John Fiske (Fiske, 2008 [1989]). Ce dernier, face à ce qu’il identifie comme une polysémie de plus en plus marquée des contenus audiovisuels, fait des publics le site premier de production de sens. C’est également le cas de la notion de « convergence culturelle » développée par Henry Jenkins (2013 [2006]). S’intéressant aux pratiques de fans, Jenkins voit dans l’avènement du web 2.0 le ressort d’une culture participative et de communautés de savoirs, à même de défier la capacité de contrôle des producteurs sur leur propre terrain. Au sein des CS, ces deux approches sont loin de faire l’unanimité, accusées par certains d’œuvrer en faveur d’une « célébration des publics » (Morley, 1992) et d’une « idéalisation fiskéenne » de l’activité des fans au détriment des rapports de pouvoir entre producteurs et récepteurs (Hills, 2013).
Des chantiers transversaux
20Au sein de l’EPC, l’abandon du déterminisme simple de la culture par l’économie, héritage du matérialisme culturel de Williams, donne lieu à des travaux portant sur la spécificité économique des forces productives et des rapports de production en place dans la culture. Il s’agit par exemple d’explorer les conditions de travail des artistes (droits d’auteurs vs salariat découlant d’une grande incertitude dans la commercialisation des marchandises culturelles) ou encore les liens entre l’élaboration du produit (du « contenu ») et son industrialisation. Un des postulats qu’on retrouve depuis bientôt quarante ans dans les écrits associés à l’EPC, c’est le maintien affirmé d’une configuration de la production autour de quelques « firmes monopolistes » et de « nombreuses petites unités de production » (Miège, 1984), entre « l’oligopole et la fourmilière », ou « le vivier » [5]. Sont ainsi dénoncées des analyses « technicistes » qui, avec l’arrivée de nouveaux appareils ou de nouveaux usages, postulent une liberté accrue et un renouvellement du champ des possibles du point de vue des pratiques. Au contraire, les écrits de l’EPC n’ont cessé de répéter que le diagnostic établi dans les études antérieures reste valable (Miège, 1989, p. 122 ; Bouquillion, Miège et Moeglin, 2013, p. 15), à savoir celui d’une domination économique de quelques instances (privées et/ou « publiques/étatiques »), dont les conséquences sociétales sont notamment la construction par les acteurs d’une perception faussée (idéologiquement marquée) de la situation.
21On peut évoquer à titre d’illustration trois sujets traités par l’EPC qui ont été et sont encore l’objet d’une littérature prolifique : la société de l’information, le web 2.0 et l’économie créative. Prenant le contre-pied d’une partie des écrits qui ont influencé le champ des médias et de la communication, les auteurs associés à l’EPC déconstruisent l’avènement supposé d’une « société postindustrielle », telle qu’elle a pu être exposée par Daniel Bell, en particulier dans son ouvrage Vers la société postindustrielle (1973) ou par certains écrits d’Alain Touraine à la suite de La société postindustrielle (1969). Ils remettent en cause l’idée d’une disparition des conditions matérielles qui ont marqué le capitalisme, au profit d’une montée de l’immatériel, notamment via la circulation de la connaissance en situation mondialisée. Ils soulignent la perpétuation de marchés dominés par quelques firmes, l’inégalité de l’accès à la connaissance et l’hétérogénéité de cette connaissance (Mattelart, 1976). Les auteurs affiliés à l’EPC voient au cours des années 1990 le développement des thèses associées à « la société de l’information » comme une résurgence de ces positions. On peut se reporter à cet égard au dossier paru en 2000 dans Réseaux où figurent notamment des textes de Mattelart, Garnham et Mosco. Les thèses de Manuel Castells développées dans son ouvrage La société en réseaux (1998), préfacé par Alain Touraine, servent de supports à une bonne partie des critiques allant de la « supposée » société postindustrielle aux potentiels des mouvements sociaux, ces derniers étant revus à la baisse lorsqu’ils sont associés à des logiques identitaires comme dans la démonstration de Castells. Au contraire, les auteurs associés à l’EPC rappellent que l’information possède une dimension idéologique liée aux structures qui les façonnent et les diffusent, d’autant plus dans une société mondialisée où domine une logique libérale (Lacroix, Miège et Tremblay, 1994).
22C’est à travers la même perspective d’analyse critique des conditions de production que la question des réseaux, et donc de l’avènement d’internet comme moyen de communication, a pu être abordée. En étudiant le web 2.0, Bouquillion et Matthews (2010) mettent en évidence « l’idéologie du participatif » qui reconfigure les médias et les intérêts qui la sous-tendent. Ils montrent ainsi combien la contribution des internautes sert en réalité des firmes qui profitent du travail gratuit de « l’usager producteur de contenu ». Pour ce faire, ils déconstruisent notamment les analyses d’Henry Jenkins proposées dans son ouvrage La Culture de la convergence (paru originellement en anglais en 2006), rencontrant sur ce terrain nombre de débats et de critiques également à l’œuvre au sein des CS. Loin d’être le début d’une nouvelle ère d’expression démocratique, canalisée par quelques grandes firmes multinationales (Bouquillion, 2012b), les pratiques numériques des consommateurs apparaissent de fait comme aliénantes. On retrouve en outre une partie de ces débats dans les travaux de l’EPC sur les notions d’industries créatives et d’économie créative. Se développe sur ce terrain une même perspective de déconstruction des nouvelles élaborations théoriques utilisées par le monde industriel et les politiques publiques. On peut citer à cet égard l’ouvrage dirigé par Philippe Bouquillion en 2012, qui intègre notamment des contributions de Yolande Combès, Pierre Moeglin, Gaëtan Tremblay ou Bernard Miège. La notion de « créatif » est ainsi utilisée depuis une dizaine d’années comme point de départ à une politique de dynamisation des territoires locaux qui marierait économie et culture au sein d’espaces créatifs (clusters ou quartiers créatifs), l’idée étant de relancer le cercle vertueux de la croissance à un niveau local ou régional. En suivant les travaux de Garnham (2005), Bouquillion montre comment « les auteurs et promoteurs des industries ou de l’économie créative » dont « le père spirituel est Richard Florida » (Bouquillion, 2012a, p. 27), comptent parmi leurs ancêtres « les théories de la société postindustrielle qui ont elles influencé les discours sur la société de l’information » (ibid.). Ceci avant tout parce que Florida, notamment via son concept de « classe créative », met en avant les ressources immatérielles et la connaissance comme éléments centraux de la nouvelle économie.
23Les débats qui entourent l’autonomie des publics et les dispositifs participatifs du web semblent faire converger CS et EPC, chacun en effet défendant la nécessité de penser le pouvoir des firmes productrices. Ils ont en outre donné lieu, dans les deux domaines, à une lecture parfois réductrice des approches critiquées, notamment en évacuant la place accordée aux idéologies en leur sein. Or la « convergence culturelle » chez Jenkins n’est par exemple jamais un processus à sens unique : les industries culturelles cherchent à tirer profit de cette nouvelle forme de consommation active et encouragent largement la « convergence commerciale » (Jenkins, 2013 [2006], p. 38). Loin d’ignorer totalement les modes de production, ces travaux dessinent au contraire les prémisses d’une réflexion plus large sur les modalités du pouvoir et les formes de résistance dans les pratiques de production et de réception ainsi qu’entre ces deux pôles du processus communicationnel. Aussi faut-il sans doute voir dans ces débats et les critiques formulées par les CS et l’EPC l’occasion de réaffirmer une attention première aux rapports de pouvoir et aux formes idéologiques du capitalisme. Ces critiques marquent en outre les prémisses d’un rapprochement sur le terrain du travail créatif et des dimensions matérielles de l’expérience du web.
Conclusion : des traditions en mouvement
24Interrogé sur la polémique CS vs EPC qui l’opposait à Grossberg dans les pages du journal Critical Studies in Mass Communication (1995), Garnham avoue qu’à l’époque son adversaire fut plus convaincant que lui, mais pour des raisons idéologiques (Garnham et Fuchs, 2014, p. 115). Il explique précisément qu’à l’époque les CS profitaient conjoncturellement d’une opinion favorable, liée au développement du postmodernisme et du poststructuralisme au sein des CS anglaises et américaines. L’examen du moment épistémologique de la polémique permet néanmoins d’apporter une lecture contraire à celle de Garnham. Loin d’être en position favorable, les CS sont dans les années 1990 confrontées à un renouvellement parfois conflictuel de leurs thématiques et de leurs paradigmes, avec l’apparition de nouveaux mouvements sociaux et des luttes pour la reconnaissance (Fraser, 2005 ; Keucheyan, 2010). Ce contexte participe à mettre au premier plan les dimensions politiques de l’identité et marque l’avènement du « tournant linguistique » au travers de l’appropriation des travaux des philosophes poststructuralistes, de Michel Foucault à Jacques Derrida en passant par Gilles Deleuze. Cette appropriation ne se fait pas sans susciter des débats, notamment auprès des tenants historiques de Birmingham, comme en témoigne la lecture critique que fait Stuart Hall du travail de Foucault dans certains de ses écrits (Hall, 2008c, p. 132).
25Face à la multiplicité de ces débats, le domaine n’a pas échappé à des tentatives d’unification. On peut par exemple voir dans l’ouvrage Stuart Hall. Critical Dialogues with Stuart Hall (Morley et Chen, 1996) une réponse à une série de débats internes autour des conceptions postmodernistes des médias – notamment des travaux de Lyotard et Baudrillard – et d’attaques externes – notamment les accusations de « relativisme épistémique » et de « subjectivisme » au cœur de l’« affaire Sokal ». L’ouvrage met à l’honneur le projet théorique de Stuart Hall, et de façon plus générale le projet postmarxiste des tenants de Birmingham, au travers du concept d’articulation (Slack, 1996). C’est d’ailleurs par le biais de ce concept que Lawrence Grossberg répond aux attaques de Garnham. Le concept d’articulation serait pour lui une manière d’insister sur les déterminations multiples du social (Grossberg, 1995). Il devient même dans son discours l’outil d’une prise de position au sein des sciences humaines et sociales, en ce qu’il serait la marque d’un « conjoncturalisme » et du « contextualisme radical » (Grossberg, 2006). L’articulation ainsi mise en avant permet d’affirmer la singularité de la démarche : il s’agit de saisir le sens des pratiques non plus dans les pratiques elles-mêmes, mais dans les univers de signification du champ social dans lequel elles opèrent.
26Cette conjoncture épistémologique peut expliquer que l’économie politique n’ait pas été audible à ce moment précis. Garnham maintient en outre que Grossberg et d’autres n’ont pas compris ce qu’il explicitait, à savoir que les processus matériels sont organisés de telle manière qu’on peut les analyser et les décrire en tant que capitalisme (Garnham et Fuchs, 2014) [6]. De ce point de vue, d’après Garnham, les dimensions culturelles de la vie quotidienne, aussi signifiantes soient-elles, sont peu importantes pour les individus par rapport aux contraintes matérielles, ou à la montée des inégalités. « Je pense qu’au sein des cutlural studies, […] les effets de ce qui est étroitement nommé “pratiques culturelles” sur la vie en général et sur son développement étaient exagérés […]. Les débats importants ne sont pas culturels, ils ne concernent pas les médias sociaux et ce genre de choses ; ce n’est que la mousse en surface » (ibid., p. 115, notre traduction). Aujourd’hui, d’après Garnham, les rapports de force théoriques ont changé avec la crise économique. Ainsi, concernant la propagation du numérique, alors qu’on pensait qu’internet allait favoriser la démocratie et la liberté, de nombreux travaux socio-historiques d’économie de la communication expliquent communément que la configuration de la production partage de nombreux points communs avec les autres marchés culturels (Flichy, 2009), avec quelques grandes entreprises qui dominent les filières (Apple, Facebook, Google, Amazon…). Ces éléments recoupent les travaux de la plupart des auteurs en EPC (via « la dialectique du tube et du catalogue » par exemple). Les travaux en EPC apportent de fait de nombreux éclairages sur la circulation du capital dans les industries de matériels, de contenu et de réseaux (Bouquillion, 2012b).
27De leur côté, les CS aussi ont évolué et la prise en compte des inégalités et des conditions matérielles (conditions de travail par exemple) ont été de plusieurs manières intégrées (McRobbie, 2002), notamment au sein de la mouvance qu’on nomme Cultural Economy (Ray et Sayer, 1999 ; Du Gay et Pryke, 2002). Elles montrent que les échanges marchands ne sont pas aussi mécanistes que l’économie classique et néoclassique le postule (offre, demande, prix, quantité). Les travaux de Polanyi qui cherchent à démontrer que, pour comprendre l’économie, il faut la réencastrer dans un environnement politique et culturel, ont été pris au sérieux, redécouverts et rediscutés (Guibert, 2006, 2014 ; Hillenkamp et Laville, 2013). Il s’agit en outre d’interroger la notion même d’économie comme un concept daté historiquement et réifié chez les libéraux comme chez les auteurs critiques (Butler, 2010). Il apparaît alors que, malgré son opposition aux postulats néolibéraux, l’EPC, en conservant une perspective classique de l’« économie » et en l’associant au mode de production capitaliste, n’aurait peut-être pas déployé toute la pertinence du concept. L’EPC a donc besoin des travaux des CS pour complexifier l’économie dans sa dimension culturelle. De la même manière, les CS ont besoin des recherches menées par l’EPC à partir de son prisme d’analyse centré sur les filières de production de la culture et des médias (et au-delà, de données envisagées dans une perspective globale, au niveau mondial). Or on pourrait presque dire que ces récents débats rejoignent les intuitions de Williams, qui, avec le matérialisme culturel, soulignait les inégalités économiques et sociales et simultanément, et parfois contradictoirement, la force communautaire de la culture.
28L’héritage différencié du marxisme au sein des CS et de l’EPC génère par ailleurs des conséquences en ce qui concerne la position du chercheur au sein des recherches entreprises par les deux courants. Dès les années 1960, la relecture du marxisme au sein des CS se marie avec la prise en compte des représentations et de la subjectivité, notamment du point de vue de la conscience de classe en milieu ouvrier. Avec Hoggart, Hall et Williams, les CS font leur l’idée que toute production scientifique est affectée par la position sociale du chercheur. C’est là sans doute l’un des gages de renouvellement permanent du domaine, mais aussi de sa contestation de l’intérieur. On a assisté dès l’école de Birmingham à de nombreuses discussions sur les angles morts des travaux sur les pratiques de la classe populaire, et notamment ses dimensions genrées (McRobbie et Garber, 2008 [1975] ; Skeggs, 2015 [1997]). À travers de tels débats, les CS n’ont eu de cesse d’opérer des décentrements, faisant se succéder un paradigme à un autre, avec chaque fois l’ambition d’embrasser la complexité des processus culturels contemporains. Une telle démarche a en outre contribué à identifier de nouveaux terrains de conflictualité et à faire émerger de nouvelles forces de transformation (Cervulle et Quemener, 2015, p. 116). À l’inverse, l’EPC voit dans l’implication de l’enquêteur par rapport à son terrain d’étude une possible remise en cause de l’objectivité des résultats de la recherche. Dans la tradition de l’économie politique classique et du marxisme scientifique, elle est davantage en quête d’une universalité, ou pour le moins d’une certaine généralisation des mécanismes de production analysés. Par exemple, Bouquillion dénonce « une position renouvelée de certains pans du monde académique, proches de la consultance et désireux de contribuer, aux côtés des institutions publiques et des acteurs socio-économiques, aux changements en cours » (Bouquillion, 2012a, p. 44). Le chercheur, afin de garantir son indépendance par rapport aux contraintes économiques, en particulier marchandes, doit ainsi conserver un statut extérieur aux productions culturelles et médiatiques, quitte à ce que sa position soit taxée « d’élitiste ou de réactionnaire » (ibid.), quitte aussi à ce que la position d’extériorité ne néglige la complexité des subjectivités.
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Notes
-
[1]
L’histoire des termes décrivant le mouvement nécessiterait un travail approfondi (socio-économie des industries culturelles ; industries culturelles et informationnelles ; économie politique de la communication).
-
[2]
Dès 1990, Réseaux a publié plusieurs textes de Williams (n° 42, 44-45, 80) [NdE].
-
[3]
Ce qui du point de vue de l’histoire de la pensée économique apparaît surprenant pour un courant qui se nomme « économie politique de la communication » puisqu’un des principaux points de rupture entre l’économie politique classique et l’économie néoclassique est la théorie de la valeur, qui passe de la valeur travail (valeur d’usage/valeur d’échange) à l’utilitarisme justement réglé par le recours au marginalisme (Denis, 1968).
-
[4]
Étant donné la focalisation de l’EPC sur les questions économiques, on peut se demander pourquoi ces travaux sont quasi systématiquement ignorés par les chercheurs en sciences économiques y compris par les courants hétérodoxes (institutionnalisme, économie des conventions, économie de la régulation…). La raison principale semble être interne à l’EPC, elle s’expliquerait par un choix d’ancrage au sein de l’Information-Communication (la 71e section du CNU est créée en 1975) qui a de fait éloigné ces réseaux de la discipline « sciences économiques » (5e section du CNU). Structurellement, on doit ajouter la montée en formalisation mathématique du courant majoritaire des sciences économiques, la domination croissante des approches néoclassiques et l’écroulement des travaux basés sur les paradigmes marxistes dans les années 1980, aussi bien dans le monde de la recherche que vis-à-vis des commandes publiques. À cet égard, il est intéressant de noter que les études soutenues par le Département des Études du Ministère de la Culture sur les industries culturelles incluent fréquemment dans les années 1980 (par exemple Rouet, 1989), à côté des tenants d’une économie publique orthodoxe (Greffe, puis Benhamou, Farchy, Sagot-Duvauroux…) et des théoriciens marxistes (Leroy, Busson, Herscovisci…), des équipes liées à l’EPC. C’est moins le cas aujourd’hui où les chercheurs émanant des sciences économiques apparaissent largement dominants.
-
[5]
On peut consulter à cet égard le texte de Stéphane Costantini dans ce dossier.
-
[6]
On retrouve le même genre d’analyse chez Bouquillion (2012a) lorsqu’il décrit les tentatives anglaises de penser la dimension culturelle de l’économie qu’il associe à une perspective idéaliste (expliquer l’économie à partir de la superstructure culturelle).