Réseaux 2014/5 n° 187

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Article de revue

Construire des manifestations de papier

L'action des buralistes face à la lutte contre le tabagisme

Pages 22 à 49

Notes

  • [1]
    Les débitants de tabac sont des commerçants indépendants et des préposés d’administration à la vente au détail du tabac, produit sous monopole étatique. Historiquement, ce statut participe à la construction d’un corporatisme sectoriel unique. Pour plus de détails, voir Caroline Frau (2012).
  • [2]
    Entretien avec Marc Silvan (les noms ont été modifiés), directeur général de la Confédération des buralistes, mai 2010.
  • [3]
    « Le buraliste et feu la vignette auto », Le Figaro, 2 septembre 2000.
  • [4]
    Entretien avec Baptiste Masse, salarié de la Confédération des buralistes de 1982 à 2000, avril 2009.
  • [5]
    « La France des buralistes se fait entendre », Le Losange, le magazine des débitants de tabac de France, n° 199, novembre 2000, pp. 22-24.
  • [6]
    Compte rendu du conseil d’administration du 3 septembre 2003, Le Losange, le magazine des débitants de tabac de France, n° 232, novembre 2003, pp. 86-89.
  • [7]
    « Les buralistes manifestent leur inquiétude à Strasbourg », Reuters, 30 juin 2003.
  • [8]
    Compte rendu du conseil d’administration du 3 septembre 2003, op. cit.
  • [9]
    Ce qu’Erik Neveu (2009) qualifie de « métajournalisme », p. 54.
  • [10]
    « Les buralistes ont été bafoués », Libération, 25 novembre 2003.
  • [11]
    Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, Un contrat d’avenir pour les buralistes, p. 2.
  • [12]
    La Confédération des buralistes, Guide pratique de la manifestation à l’attention des présidents et responsables départementaux, 21 novembre 2007, p. 5.
  • [13]
    Ibid., p. 12.
  • [14]
    Ibid., p. 15.
  • [15]
    Entretien avec David Curiel, salarié de la Confédération des buralistes, décembre 2007.
  • [16]
    Ibid.
  • [17]
    La Confédération des buralistes, Guide pratique de la manifestation, op. cit., p. 11.
  • [18]
    Sur cette question, voir les travaux de Pierre-Michel Menger (2009) et Catherine Paradeise (1998).
  • [19]
    Entretien avec David Curiel, op. cit.
  • [20]
    La Confédération des buralistes, Guide pratique de la manifestation, op. cit., p. 13.
  • [21]
    Ibid.
  • [22]
    Entretien avec David Curiel, op. cit.
  • [23]
    La Confédération des buralistes, Guide pratique de la manifestation, op. cit., p. 13.
  • [24]
    Selon le rapport financier de l’organisation, en 2007 son budget est de plus de 2,5 millions d’euros.
  • [25]
    Outre les permanents de l’organisation syndicale sont mobilisés les salariés de la revue professionnelle, du centre de formation et de la mutuelle des buralistes.
  • [26]
    Entretien avec Carmen Lopez, salariée de la revue syndicale, décembre 2008.
  • [27]
    Entretien avec Yves Dubois, président d’une chambre syndicale départementale, janvier 2008.
  • [28]
    Entretien avec Nicolas Candiloro, promoteur des ventes chez un industriel de tabac, novembre 2009.
  • [29]
    Entretien avec Yves Dubois, op. cit.
  • [30]
    Note du journal de terrain, 21 novembre 2007.
  • [31]
    Sur la question de la dissociation, se référer aux travaux d’Isabelle Sommier sur la CGT (1993).
  • [32]
    Entretien avec David Curiel, op. cit.
  • [33]
    Cette chambre syndicale est considérée comme périphérique du fait qu’un seul de ses responsables ait été promu au niveau de l’organisation nationale depuis 1983 et seulement pour un mandat de 3 ans.
  • [34]
    Entretien avec Baptiste Masse, op. cit.
  • [35]
    Factiva et Europresse, entrée « manifestation and tabac », 21 et 22 novembre 2007, base de données toute la presse, contrôlée manuellement. Dépouillement manuel du quotidien Aujourd’hui en France des mêmes dates.
  • [36]
    INA, entrée « manifestation, tabac », 21 et 22 novembre 2007, base de données chaînes des télévisions hertziennes, contrôlée manuellement.
  • [37]
    INA, entrée « manifestation, tabac », 21 et 22 novembre 2007, base de données chaînes nationales de Radio France et chaînes de radios généralistes nationales, contrôlée manuellement.
  • [38]
    « Les buralistes n’ont pas fait le plein contre l’interdiction de fumer », Les Échos, 22 novembre 2007.
  • [39]
    « Les buralistes manifestent à Paris », Aujourd’hui en France, 21 novembre 2007.
  • [40]
    Sur l’analyse de ce type d’intervention, voir Jérémie Nollet (2006, p. 167).

1Historiquement, les manifestations de petits commerçants renvoient à des mouvements de révoltes sporadiques et violentes (Hoffmann, 1956 ; Souillac, 2007 ; Tartakowsky, 2014). Ces commerçants utilisent cette pièce de répertoire d’action dans des conjonctures politiques défavorables et leurs défilés de rue débouchent plus souvent que la moyenne sur des confrontations avec les forces de l’ordre (Fillieule, 1997). En 2003 et en 2007, avec des slogans tels que « Buralistes en colère ! », le recours novateur au nombre par la Confédération des buralistes de France, seule organisation représentative de la profession avec un taux d’adhésion de plus de 90 % de ses membres [1], aurait pu marquer une forme de radicalisation de son action revendicatrice face à la recrudescence de la politique de lutte contre le tabagisme. Pourtant, les journalistes qualifient ces manifestations de « bon enfant » et les forces de police ne déplorent aucune dégradation. Loin d’une « tentation activiste » (Gresle, 1983, p. 295), selon laquelle les actions violentes éphémères sont des formes d’expression particulières aux petits patrons « et à eux seuls » (ibid., p. 296) pour établir des liens privilégiés avec l’État, ces défilés révèlent un usage pacifié de la rue par des commerçants. Or cet usage spécifique nécessite un travail d’organisation et des connaissances qui se sont construites historiquement, par un long apprentissage au sein d’institutions politiques ayant progressivement mis en place des services d’ordre pour imposer les bonnes formes de la manifestation et réalisé un travail politique pour légitimer cette mise en scène non violente de l’existence et de la force d’un groupe (Offerlé, 1990). Le caractère novateur de l’utilisation de ce mode d’action par la Confédération des buralistes ne lui permet pas d’être détentrice de tels savoirs et savoir-faire, ce qui pose la question de comprendre pourquoi et de quelle manière les représentants de cette organisation ont décidé d’inclure la manifestation dans leur répertoire de mobilisation et sont parvenus à l’utiliser dans sa forme la plus légitime, c’est-à-dire organisée et pacifiée.

2L’analyse fine du processus de mise en œuvre de ces défilés et du travail propre à leur réalisation permet de saisir la spécificité du recours au nombre par cette organisation de petits patrons. Elle révèle que ce mode d’action s’inscrit dans le prolongement de la stratégie de communication du groupe professionnel et est avant tout conçu comme un outil de bonne présentation de soi à destination d’un large public. Il en va ainsi des rassemblements des agriculteurs étudiés par Patrick Champagne (1984, 1990), ces « manifestations de papier » ayant pour objectif d’« agir sur les journalistes afin d’occuper l’espace médiatique dans le but de déclencher les prises de position des différents agents qui cherchent à peser sur l’“opinion publique” et par là sur le pouvoir » (Champagne, 1990, p. 339). Si différents travaux sociologiques ont explicité le caractère symbolique des stratégies de la rue et les luttes de significations qu’elles produisent, rares sont les études qui appréhendent le travail concret d’organisation de ces manifestations de papier. L’analyse des défilés d’un acteur collectif n’ayant pas un usage routinier de cette pièce de répertoire éclaire ce qui, sur d’autres terrains, est plus difficilement visible. Pour reprendre une formule de Danny Trom, on peut dire qu’« il est plus aisé de percer les ressorts d’un tour de magie en observant son exécution par un prestidigitateur amateur, dont les gestes sont empreints de maladresses, d’hésitations, de lourdeurs, qu’en observant un prestidigitateur professionnel dont le savoir-faire, routinisé, incorporé, est devenu en quelque sorte une seconde nature » (Trom, 1999, p. 48). L’apprentissage de l’occupation symbolique de l’espace public par un groupe qui y est peu coutumier offre l’opportunité de dévoiler le travail politique et médiatique de construction et de signification de sa présence collective et pacifique sur la voie publique à partir de trois questions principales. La première est de savoir pourquoi, dans une dynamique de mobilisation (Dobry, 1986), les dirigeants de la Confédération des buralistes perçoivent le recours au nombre comme une ressource activable et font le choix d’utiliser la manifestation comme forme d’expression et de revendication. La deuxième est de comprendre le paradoxe que constitue l’organisation d’une manifestation par un groupe n’ayant ni expérience, ni connaissances, ni savoir-faire pratiques de ce mode d’action. Enfin, la dernière interrogation porte sur les effets que peut avoir ce coup stratégique sur la perception de la situation revendicatrice par les médias et les acteurs politiques.

Occuper médiatiquement l’espace public : des campagnes publicitaires au défilé de rue

3Depuis les années 1970, des acteurs médicaux ont imposé une définition des produits du tabac comme dangereux pour la santé publique que l’État a l’impératif de préserver (Berlivet, 2000). Un des instruments de l’action publique de lutte contre le tabagisme a été d’invisibiliser ces marchandises, sous l’effet de la restriction puis de la prohibition de leur publicité directe et indirecte (Frau, 2014). Néanmoins, les acteurs de la filière tabacole se sont accommodés de cette situation en renouvelant leurs outils de captation des consommateurs (Beucler et Favreau, 2003 ; Cochoy, 2004), notamment par la construction d’une image valorisante, non plus du tabac, mais de ses vendeurs. Au début des années 1990, suite à la promulgation de la loi Evin qui interdit la publicité en faveur du tabac, les industriels, en accord avec la Confédération des buralistes, consacrent une partie de leur budget publicitaire au financement de campagnes de communication en faveur des débitants de tabac. En 1999, sous le double effet de la intensification de la lutte contre le tabagisme et du renouvellement de l’équipe dirigeante du syndicat (Frau, 2011), l’organisation représentative des débitants s’autonomise de leur tutelle et internalise sa stratégie de communication. Elle se dote d’un « pôle communication et lobbying » dont la mission est de construire des actions pour sensibiliser l’opinion publique et les médias et ainsi faire pression sur les pouvoirs publics dans les négociations d’éventuelles contreparties à la politique de santé publique. Des modes d’action inédits pour la profession sont alors utilisés, s’inspirant très largement des techniques commerciales utilisées par les fournisseurs.

4En octobre 2000, le soir du salon annuel de la profession, qui est un des événements commerciaux majeurs du secteur, un rassemblement des buralistes est prévu au Bourget, à Paris. Son objectif est triple : mettre en scène le groupe, le rendre visible et faire preuve de sa bonne représentation par ses élus. En interne, ce meeting est un moyen pour l’organisation syndicale de tester ses capacités à rassembler ses membres dans un rapport de force pressenti :

5

Il fallait à un moment ou à un autre s’apprêter à mobiliser les buralistes pour que, par rapport à ces échéances qui s’annonçaient, ils puissent négocier au mieux leur situation, la défense de la profession et leur statut. Nous étions convaincus que cette mobilisation ce n’était pas quelque chose qui pouvait se décréter comme ça. Il fallait la préparer. Pour cela il fallait peut-être déjà, excusez-moi le terme, les habituer à se réunir dans le cadre de manifestations exceptionnelles. Et on savait que de toute façon, quel que soit le contexte, il fallait avoir une première fois réuni les buralistes et leur avoir montré qu’on pouvait, qu’ils pouvaient constituer en soi une force syndicale et en même temps un foyer de sensibilisation de l’opinion publique à travers une démonstration de force [2].

6Pour s’assurer de l’efficacité de cette démonstration, le syndicat a recours aux services de l’agence d’événementiel qui a déjà en charge le salon professionnel des buralistes. En collaboration avec les permanents du pôle communication et lobbying, elle gère l’organisation pratique du rassemblement (location de salle, décoration, déroulement de la soirée, service d’accueil et de sécurité), elle s’assure de sa couverture médiatique et politique (organisation de conférences de presse, création de dossiers de presse et de stocks d’images, envoi de courriers et de rapports, prise de rendez-vous), et elle coordonne le travail de recrutement des participants via des supports de communication et des incitations interpersonnelles déployées par les présidents des chambres syndicales départementales. Si initialement cet événement est organisé sans raison précise, la décision du ministre de l’Économie de supprimer la vignette automobile pour les véhicules particuliers (vendue par les débitants avec une rémunération de 1,5 %) constitue une opportunité pour lui donner un objectif clairement identifiable : protester contre la perte de cette charge d’emploi. Selon les chiffres de l’organisation professionnelle, le meeting du 14 octobre 2000 rassemble 14 000 buralistes. Ses retombées médiatiques sont considérées comme satisfaisantes par les élus, même si elles sont relativement limitées : Le Figaro dédie un article au sujet le 2 octobre, La Tribune en rédige deux le 5 octobre puis le 16 octobre, Le Parisien consacre un papier au thème le 16 octobre, et Libération deux brèves. Si la plupart des sujets font preuve de neutralité dans le traitement de l’information, la rédactrice du Figaro est particulièrement critique. Son article ne fait pas état du meeting et délégitime la protestation des débitants de tabac. Son accroche donne le ton de son propos :

7

Il y a des Français qui ne sont jamais contents. Des grincheux professionnels qui vous rendent brumeux les petits matins clairs et sinistres les apéritifs entre amis [3].

8Elle expose une analyse selon laquelle les buralistes n’étaient pas contents de vendre la vignette automobile en raison du temps de travail et du faible revenu procuré puis raille le fait qu’ils ne sont pas satisfaits de son abandon. Seul le journal d’actualité économique Les Échos fait preuve d’une réelle bienveillance à l’égard du groupe professionnel en lui consacrant sept articles, qui reprennent les données fournies par la Confédération des buralistes. Aucune radio ne reprend cette information, mais les journaux télévisés du soir du 14 octobre de France 2 et TF1 traitent du meeting. De manière générale, le groupe professionnel échappe à la stigmatisation poujadiste (Collovald, 1991), principal sujet d’inquiétude des communicants de l’organisation :

9

On avait une image de vieux poujadistes, débitants de tabac, Rex, le chien-loup, c’est Coluche quoi, c’est ça [4].

10D’un point de vue politique, cette mobilisation participe à l’ouverture de négociations avec le ministère de l’Économie et à l’obtention d’un « plan d’accompagnement » de 304 millions de francs [5].

11En 2003, alors que le gouvernement décide d’augmenter les prix du tabac et qu’aucune des actions traditionnelles du syndicat ne parvient à remettre en cause cette mesure, les élus de la profession décident à nouveau de rassembler leurs membres. Si le meeting de 2000 était un test pour mesurer les capacités de mobilisation de l’organisation professionnelle, les manifestations de rue de 2003 permettent d’éprouver la discipline des corps manifestants dans l’espace public. Forts de cette première expérience dans un cadre fermé et sous contrôle, des défilés sont organisés, bien que ces actions demeurent en partie imprévisibles, échappant au contrôle individuel et collectif des participants (Favre, 1990). Le risque est d’autant plus grand que les buralistes n’ont pas un recours usuel à ce mode d’action et que l’image des manifestations de commerçants est fortement empreinte par les mobilisations violentes. Pour tester le comportement des manifestants, un premier défilé a lieu à Strasbourg. Manifester en province limite en effet la médiatisation et permet de s’éloigner des lieux de décision avec lesquels les représentants de la profession ne parviennent pas à trouver un compromis, pour préférer un pouvoir plus abstrait, avec lequel ils n’ont pas de contact direct : le Parlement européen. De plus, afin de contrôler le comportement des participants, le groupe manifestant est sélectionné : seuls les élus des chambres syndicales départementales sont sollicités. Après cette mobilisation, le directeur général du syndicat déclare :

12

Maintenant, par rapport à n’importe quel nouvel appel à manifester, on sait que l’on est crédible [6].

13Sa couverture médiatique est faible, mais relativement positive. L’agence de presse Reuters décrit « une ambiance bon enfant et musicale » [7]. Le gouvernement reste cependant sourd aux demandes du groupe qui lance un « plan d’action » pour que « la presse parle des revendications ». Son « point d’orgue » est une « manifestation à Paris » [8]. En septembre et octobre 2003, des micromanifestations locales se succèdent pour attirer l’attention de la presse avant la manifestation parisienne du 24 novembre. À cette date, 12 000 personnes sont présentes selon la police, 20 000 selon la Confédération des buralistes. L’attention médiatique, notamment de la presse télévisée, est sensiblement plus forte qu’en 2000, même si certains journalistes, comme celui de Libération, ne sont pas dupes de l’orchestration de cet événement [9] :

14

Du travail de pros. Impeccablement regroupés par fédérations départementales, agencés selon des couleurs bien distinctes et soigneusement encadrés par les gros bras de deux sociétés de sécurité privées [10].

15Les résultats politiques sont perçus comme particulièrement importants : en décembre, un accord est signé entre le gouvernement et la profession sous forme de « contrat d’avenir » de trois ans prévoyant l’augmentation de la rémunération des débitants sur la vente des produits du tabac et la compensation des pertes de revenus par des aides publiques [11]. Ce contrat cristallise les représentations de l’efficacité du défilé de rue, considéré par les élus de la profession comme réalisable, acceptable et opérant.

16À partir de 2000, les dirigeants de la Confédération des débitants de tabac ont expérimenté la mobilisation de rue, ont estimé ses risques, ont appréhendé le comportement collectif des buralistes et ont jugé de l’opérationnalité du recours au nombre. Pour eux, ce premier rassemblement est un entraînement. Réunir dans un lieu clos protège en partie les acteurs, tout comme la manifestation à Strasbourg en 2003 dont la visibilité médiatique est volontairement faible. Accompagnées d’une succession de manifestations dépendantes et de micromobilisations, ces répétitions de l’exercice permettent au groupe de prendre conscience des possibilités de ce répertoire d’action avant le défilé parisien. Par ailleurs, les organisateurs optimisent le retour sur investissement du recours au nombre qui représente un coût financier et organisationnel considérable. Dans la dynamique de mobilisation, cette pièce s’articule à d’autres modes d’action, en fonction de leurs avantages comparatifs et des échanges qu’ils suscitent (Contamin, 2005). Elle est alors utilisée avec parcimonie, n’étant activée que lorsque tous les autres coups considérés comme jouables ont été inopérants.

17En privilégiant l’effet de démonstration et l’occupation de l’espace public, la manifestation s’impose progressivement dans la stratégie de communication de la Confédération des buralistes comme une nouvelle manière de faire du syndicalisme dont l’objectif est de mettre en scène le groupe pour agir sur les médias et sur les pouvoirs publics.

Les faiseurs de manifestation : l’immixtion des professionnels de l’événementiel dans l’activité syndicale

18Une des problématiques que ne soulève pas Patrick Champagne dans ses travaux sur les manifestations de papier est de savoir comment, en pratique, ces défilés s’organisent. Ce questionnement est d’autant plus important pour un groupe professionnel comme celui des buralistes dont la socialisation au syndicalisme n’inclut pas des savoir-faire mobilisables pour manifester, comme élaborer des slogans, constituer un service d’ordre ou encore créer des banderoles. Si les travaux sur les « sans » ont mis en évidence la manière dont des militants politiques occupent le rôle de passeurs pour aider des bénéficiaires démunis à se mobiliser (Siméant, 1998 ; Mathieu, 2001), l’analyse d’acteurs dotés en capital économique montre que ce travail peut aussi être réalisé par des prestataires de services commerciaux. Dans le sillage du marché de la communication, les agences d’événementiel se sont fortement développées, proposant aux entreprises d’organiser des séminaires, des soirées ou encore des voyages, définis comme des outils de communication et d’animation commerciale dont l’objectif est de faire passer un message en interne à l’entreprise ou en externe par le relais des médias. Les ressources financières de l’organisation professionnelle des buralistes lui permettent de recourir à ces soutiens extérieurs monnayant leurs savoir-faire dans l’organisation d’événements. L’analyse de la deuxième manifestation parisienne à l’appel de la Confédération des buralistes, qui a eu lieu en novembre 2007 contre le décret d’interdiction de fumer dans les lieux publics applicable deux mois après, met en évidence le rôle des professionnels de l’événementiel et de la communication dans l’organisation d’une manifestation de papier. Ils ont pour mission de créer un cortège qui réponde aux canons de l’action manifestante, tout en produisant une image à forte charge émotionnelle, illustrant symboliquement les revendications et qui a pour but d’être reprise par les journalistes.

19Le premier impératif des permanents du syndicat et des professionnels de l’événementiel est la gestion de la violence, puisque les représentants des buralistes craignent d’être qualifiés de poujadistes si des incidents se produisent. Le souci de donner une bonne présentation du groupe s’accompagne d’un encadrement strict du cortège par une quinzaine de professionnels de la sécurité privée. Dans le guide pratique de la manifestation qui doit être fourni aux manifestants par leur président de chambre syndicale départementale, la variable « ordre » est dédramatisée et la dimension sécuritaire de la présence de ce personnel minimisée. Repérables par le port de vêtements sombres et d’une oreillette, ces agents sont présentés comme des membres de la logistique, portant des badges de la même couleur que les organisateurs :

20

Une équipe d’encadrement est prévue pour prendre en charge tous les aspects logistiques de la manifestation (distribution d’éléments d’animation, gestion des camionnettes sono…). Disposant d’un badge de couleur bleue, ils ont aussi pour rôle d’assurer, à vos côtés, une progression de la manifestation à bon rythme et sans incident [12].

21Le guide fait état des consignes de sécurité prohibant l’utilisation d’objets perçus comme dangereux : « fumigènes », « feux d’artifices » et « tout produit à caractère inflammable ». Il est également interdit de « faire des feux ou brûler des objets » [13]. Les organisateurs responsabilisent les élus départementaux en leur rappelant qu’à l’arrivée du cortège « les forces de l’ordre seront nombreuses » et que chacun doit « veille[r] à éviter tout incident. Votre attention ne doit pas se relâcher [14]. » Par ailleurs, leur faible expérience de la mobilisation de rue les rend particulièrement réceptifs aux conseils des agents de la préfecture de police de Paris lors de la négociation du parcours. Ainsi, sa longueur répond à un critère de durée, réputé fatiguer les marcheurs et éviter les comportements violents en fin de manifestation :

22

Un parcours, il faut que ce soit pensé en termes de durée, pour deux raisons : d’une part que les gens n’aient pas le sentiment d’être venus pour une demi-heure, sans non plus avoir l’impression d’avoir marché pendant trois heures. Et puis, il est important que les gens marchent quand même un minimum d’une heure et demie, deux heures, ça fatigue un peu et évidemment à l’arrivée, quand on a un point de concentration important de monde, quand ils sont un peu fatigués, ça évite parfois les débordements. Un peu moins de “jus” entre guillemets et donc ça, ça aide [15].

23Un autre impératif est de transformer sensoriellement l’espace public, de subvertir l’espace sonore et visuel ordinaire de la rue afin d’attirer l’attention. La thématique de la convivialité et du lien social dont les buralistes seraient pourvoyeurs, et qui fait partie de la stratégie de présentation du groupe depuis les années 1990, est mise en scène :

24

La première volonté était de faire passer le message qu’on peut manifester, on peut être vindicatif, on peut faire passer des messages de revendication, pour autant on n’a pas besoin de faire du grabuge, loin de là. Les commerces de proximité sont des endroits où il y a de la convivialité, c’est l’esprit de convivialité qu’on voulait faire ressentir, où concrètement il se passe du lien social, donc on a voulu l’exprimer par une coloration, ça s’exprime dans les régions, par les fêtes locales et cætera, on voulait faire ce parallèle-là [16].

25Le guide de la manifestation indique comme « objets utiles » les « cornes de brume, trompettes, bâtons tap-tap. Drapeaux, habits de couleurs et symboles régionaux » [17]. Les manifestants sont incités à se munir de signes ostensibles d’appartenance locale et à se faire accompagner par des groupes de musique folklorique. Au-delà de l’aspect convivial, l’ordonnancement du défilé par région et par département a pour but d’imposer l’image d’un groupe réel représentant l’intégralité des buralistes de France, comme « un modèle réduit et indiscutable de toute la catégorie » (Champagne, 1990, p. 218). Une attention particulière est également portée aux slogans qui doivent condenser le message du groupe. Ils nécessitent un travail sur la rythmique, la phonétique, la prosodie, la structuration des vers, les temps de pause ou les espaces non accentués. Afin de rendre ces messages entraînants et mélodieux, les préparateurs de la manifestation font appel à un personnel ayant une aptitude à l’expression orale et dont l’intervention en entreprise sous forme de prestations de service constitue un marché de l’emploi rémunérateur, à savoir des comédiens [18]. Les membres d’une troupe de théâtre mettent en « mots » la présentation de soi du groupe :

26

Quand on les a rencontrés, ils se sont tout de suite approprié les slogans, ils nous ont dit “ah celui-là ça marchera pas, ça va pas”. On leur a dit : “ce qu’on vous propose c’est d’y réfléchir, et la manif est dans trois jours, donc on en reparle”. Et ils ont été créatifs, ce que nous, on n’est pas. C’est le propre des comédiens et ça nous a vraiment aidés de ce point de vue là parce qu’ils ont trouvé un rythme particulier que peut-être nous, on n’aurait pas trouvé, une manière de tourner les slogans [19].

27Ils utilisent des formules connues et reconnaissables, les demandes de la profession sont réécrites sous forme impérative « Aidez, aidez la proximité », par une élision du verbe « Nos clients au bistrot, pas sur les trottoirs », une adresse personnalisée « Sarko, pense à la France qui se lève tôt », ou encore par un mécanisme de triplication visant à donner un effet emphatique au mot prononcé « Non, non, non à la prohibition. Oui, oui, oui à la négociation ». Cependant, il ne suffit pas d’élaborer des slogans, il faut ensuite les scander et rythmer leur proclamation au cours du défilé. Pour réussir cette activité, trois chauffeurs de salle sont recrutés pour animer le cortège, positionnés à proximité des camions de sonorisation et munis de mégaphones.

28Les effets sonores et visuels permettent de répondre à la liturgie manifestante et de produire un défilé à l’image de ce que font les groupes dont ce mode d’action est routinier, sans pour autant attirer l’attention médiatique. La maîtrise des catégories de perception et des contraintes du champ journalistique des salariés de l’organisation syndicale et de ceux de l’agence d’événementiel les amène à proposer un événement au cours de la manifestation. Une opération est mise en scène pour « marquer les esprits (par le biais des médias) » [20], synthétisant le cadrage de la situation de la profession :

29

Pour symboliser le passage au 1er janvier 2008, tel que nous l’impose le décret, une action “1er janvier = silence” est organisée au milieu du parcours : l’idée que l’on veut faire passer : “on nous empêche de fumer, on nous empêche de parler”. […] À un endroit précis et bien indiqué, les manifestants vont donc mettre, pendant un temps, des bâillons sur leur bouche avant de passer sous une arche symbolisant le 1er janvier et toute l’avenue de Suffren sera parcourue dans le silence complet [21].

30Cette scénographie joue sur le contraste. Alors que la thématique du cortège est la convivialité à travers les couleurs et les identités régionales, qu’il est demandé aux manifestants de faire du bruit et de chanter, cette opération doit représenter l’inamicalité, la froideur et l’aspect aseptisé par la couleur blanche de l’arche et des bâillons et par le silence des contestataires. Dans cette perspective, la topographie des lieux participe à la dramaturgie. Jusque-là les manifestants traversaient des rues commerçantes, animées et relativement étroites, dans lesquelles l’encaissement favorisait l’effet sonore. À l’inverse, l’avenue de Suffren est large et elle est choisie en raison de la perception que les organisateurs ont de son ambiance :

31

L’avenue de Suffren s’y prêtait parfaitement […]. Elle se referme un peu quand on rentre, il y a des arbres qui donnent un sentiment de tunnel et puis c’est une avenue qui est assez calme et suffisamment longue pour permettre à un moment d’avoir quasiment tout le cortège dans le silence [22].

32L’objectif est de faire adhérer l’ensemble des manifestants à ce dispositif :

33

NOUS DEVONS RÉUSSIR CETTE ACTION. Veillez donc à bien informer vos buralistes de cette action qui devrait être largement reprise dans les médias [sic] [23].

34Pour faciliter la couverture médiatique, une attention particulière est portée à la production d’images. Une estrade d’un mètre de haut, indiquée par trois permanents syndicaux aux photographes et aux cameramen, est placée à 100 mètres du lieu de départ de l’action. Son installation vise à faire réaliser des clichés et des vidéos représentant la masse des manifestants avec une profondeur de champ, donnant davantage d’ampleur au groupe que des images produites à hauteur d’homme. Enfin, le défilé s’achève par un meeting à l’esplanade des Invalides. Un chapiteau de dix mètres de large et cinq mètres de profondeur est installé pour accueillir les représentants de la Confédération des buralistes et une délégation de députés de la majorité parlementaire qui soutiennent la profession. Une estrade d’un mètre cinquante facilite ici encore la prise d’images de l’arrivée des manifestants et des interventions des leaders syndicaux et politiques.

35Les capacités financières de la Confédération des buralistes l’autorisent à s’entourer de salariés et de professionnels du secteur de l’événementiel et de la sécurité pour mobiliser le nombre et produire une manifestation de papier, au même titre que des organisations possédant des ressources militantes. Le choix de cette pièce de répertoire d’action, tout comme sa réalisation concrète, se nourrissent des ressources financières existantes et transférables [24]. Cet usage spécifique indique la volonté de modifier la position et l’image du groupe professionnel pour être considéré comme un acteur « qui compte » dans l’action publique de lutte contre le tabagisme.

Des organisateurs aux manifestants : une éloquence circonscrite

36Le défilé de rue d’un groupe professionnel à l’appel de son syndicat n’est néanmoins pas totalement assimilable à une action commerciale créée par une société d’événementiel. Une partie de l’activité manifestante échappe aux organisateurs professionnels et son déroulement tient très largement au comportement des militants syndicaux et des manifestants eux-mêmes, qui ont des marges de manœuvre dans leur manière d’investir ce mode d’action.

37Un aspect fondamental de la manifestation est de « faire nombre ». Afin de convaincre du bien-fondé du défilé et dans une perspective de recrutement, les professionnels de l’événementiel et les permanents syndicaux mettent en forme les revendications et les diffusent sur différents supports : courriers, affiches, articles dans la revue syndicale. Surtout, ils s’appuient sur le travail militant des représentants locaux pour inciter les buralistes à participer :

38

Quand on organise des manifestations, il y a toute la liste des présidents de chambres syndicales [départementales], ils sont répartis entre différentes personnes [18 salariés des structures de la profession [25]] et charge aux personnes de téléphoner à chaque président avec une liste de questions préalablement établies. Est-ce que vous avez mobilisé ? Comment ? Est-ce que vous avez envoyé des courriers ? Combien vous avez réservé de bus pour monter sur Paris ? Si c’est le cas, combien de personnes vont venir ? Et cætera. Ils font ce qu’on appelle du phoning, régulièrement, deux fois par semaine, pour savoir exactement, chaque président où il en est du rassemblement de ses buralistes adhérents [26].

39Lors de chaque appel, le salarié fait le point sur l’action, il prévoit avec l’élu local le dispositif de sensibilisation à venir, il rappelle les arguments, fait l’inventaire des questions logistiques et l’incite à renouveler ses efforts. Pour autant, la capacité des militants à effectuer cette tâche est variable en fonction de leur rapport à l’organisation syndicale, de leur adhésion au mode d’action, de leurs compétences argumentatives, des incitations positives et négatives qu’ils peuvent déployer. Ils ont donc une latitude d’action pour se conformer à ces injonctions et pour ajuster le cadrage de la situation aux configurations et aux acteurs avec lesquels ils interagissent. Dans l’ensemble des départements, leur travail mobilise entre 6 700 (selon la préfecture de police) et 14 000 personnes (selon la Confédération des buralistes), censées représenter les 28 000 buralistes de France. Pour un département du Sud de la France où exercent 254 débitants dont 236 sont adhérents à la Confédération des buralistes, le président départemental parvient à enrôler 110 personnes. Les débitants qui se déplacent à la manifestation travaillent pour la majorité en couple ou avec des salariés, ce qui leur permet de ne pas fermer leur commerce le jour du défilé. Par ailleurs, le coût de leur mobilisation est minimisé par la prise en charge des frais de transport et du repas du midi, ainsi que par l’achat des accessoires tels que les vêtements distinctifs, pancartes et banderoles sur le budget de la chambre syndicale. Les 110 participants ne correspondent cependant pas à près de la moitié des buralistes du département dans la mesure où des conjoints, salariés, amis, parents et enfants de débitants de tabac les accompagnent. Des représentants des fournisseurs des débits (grossistes et cigarettiers) sont également présents. Le président départemental n’hésite pas à leur rappeler les liens d’interdépendance du marché pour les mobiliser :

40

J’ai dit : “Vous travaillez dans une boîte, si la boîte elle coule parce que nous, on travaille plus, c’est dommage.” C’est tout un tout. Si eux, ils ne travaillent pas, c’est pourquoi ? Parce que nous, on ne travaille pas [27].

41De leur côté, les salariés des fournisseurs perçoivent leur participation à la manifestation comme un moyen d’entretenir leurs relations commerciales avec les buralistes :

42

Ce que j’ai fait, c’est que je me suis rapproché du président de chambre, je lui ai demandé si je pouvais monter avec eux sur Paris. Il m’a dit oui et il m’a même payé ma place de train. J’y suis allé, je lui ai demandé “qu’est-ce que vous faites”, je lui ai dit “si vous voulez, je monte avec vous”. Il m’a dit “banco”. Ça, c’est de la communication personnelle ! [28]

43Cette présence est considérée comme faisant partie intégrante de leur travail relationnel visant à réencastrer les liens marchands dans d’autres registres, notamment l’échange amical. Ainsi, lorsque des agents commerciaux ne participent pas à la manifestation, le rappel à l’ordre est immédiat :

44

En fin d’année, vous discutez avec les directeurs commerciaux et il me dit : “Ça va, alors comment ça se passe ?”, j’ai dit : “Moi ça se passe bien, ça irait très bien, mais j’ai des représentants qui montent [à Paris pour la manifestation], mais de chez vous il n’y a personne.” “Ah bon. Si je comprends bien ça vous ferait plaisir que je fasse monter mes représentants”, j’ai dit : “Oui ça me ferait bien plaisir.” Ça devait être le vendredi. Le lundi, la fille était là à 9 h 30. Elle me dit : “Dites, quel train vous prenez pour monter le 21 ? Je crois que je vais monter avec vous parce que Patrick m’a dit qu’on pourra monter.” Je lui donne le numéro de train, elle appelle son chef et il lui a acheté trois places, donc pour elle et les deux des départements d’à côté. Je le lui ai dit : “Merci, j’ai reçu vos vœux” [29].

45Une fois les manifestants sur place, l’enjeu est qu’ils se comportent conformément aux attentes des organisateurs en termes de forclusion de la violence et d’expressivité. Le risque de « mésusages » de la manifestation est d’autant plus important que les membres de ce groupe social sont peu habitués à ce mode d’action. L’absence d’actes de violence apparaît comme une réussite pour les organisateurs. Aucun incident n’a été visible et n’est signalé dans la presse et il a même été possible d’entendre un policier féliciter un groupe de manifestants : « Nickel, nickel, faudrait que ce soit comme ça toutes les semaines ![30] » L’hypothèse peut être faite que la dissociation complète entre manifestants et agents de sécurité a contribué à assurer la non-violence des échanges entre service de l’ordre et force de l’ordre et à garantir une bienveillance mutuelle de ces professionnels de la sécurité [31].

46L’observation ethnographique démontre ensuite que le port de signes pour distinguer les manifestants de l’homme de la rue et pour les différencier de ce qu’ils sont habituellement fait l’objet d’une préparation différente selon l’investissement des membres des chambres syndicales départementales, dotés de manière variable de savoir-faire et de capital économique pour appareiller symboliquement leur cortège. Lorsque ces supports d’expression existent, ils sont principalement réalisés par des entreprises d’imprimerie et ne sont pas toujours régis par un rapport de correspondance analogique apportant du sens vis-à-vis de l’identité présumée des manifestants. Ainsi le port de gilets de haute visibilité par les manifestations de la fédération d’Île-de-France n’a pas de signification particulière et dénote seulement la volonté d’être vu. En revanche, pour les rares groupes de manifestants ayant créé à la main leurs costumes, ils sont particulièrement significatifs : le tissu rouge des chasubles des manifestants de l’Ain rappelle la couleur de l’enseigne des bureaux de tabac, tout comme les pancartes en polystyrène de ceux du Loir-et-Cher, en forme de carotte, enseigne signalétique des débits. L’organisation confédérale a tenté de contrôler la rédaction des banderoles en veillant à ce « qu’il n’y ait pas de messages trop durs » [32] et rares sont les membres des chambres syndicales qui transgressent ces consignes. Lorsqu’ils le font, ils ont des positions périphériques dans le syndicat [33], comme ceux de la chambre départementale de l’Indre, qui déploient un calicot imprimé dénotant par la violence de son message : « Vaseline Bachelot, la carotte va faire mal ». Cette banderole interpelle personnellement la ministre de la Santé Roselyne Bachelot, qui est tenue responsable de l’interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif. Par cette apostrophe individualisée, les manifestants mobilisent un registre de violence sexuelle dans lequel la ministre est ramenée à un statut d’infériorité féminine alors qu’ils revendiquent une position dominante et virile en détournant la carotte en symbole phallique.

47Très peu de manifestants se distinguent de leur cortège départemental et font preuve d’une créativité personnelle. On note seulement la présence de trois personnes, visiblement un couple et sa fille, originaires du Finistère, vêtus comme des marins pêcheurs avec le visage grimé de noir pour représenter une barbe, des chapeaux typiques et des cirés jaunes, ainsi qu’un homme déguisé avec des vêtements de camouflage. Globalement, s’il est possible d’observer la bonne volonté des manifestants à se conformer aux attentes des organisateurs, leur gestuelle démontre une faible aptitude individuelle à la mise en scène publique. Un ancien salarié de la Confédération des buralistes relate les difficultés à susciter des comportements d’effervescence lors du premier rassemblement des buralistes en 2000 :

48

C’était clean, c’était gentil. Je devais les chauffer moi ! Je disais : “Attendez les gars mettez vraiment de l’ardeur. Même les Tibétains ils sont plus hard !” Je vous dis, à chaque fois que j’avais un gars en caméra portée, j’étais obligé de les chauffer un peu, je leur disais : “Mettez un peu du bazar !” [34]

49En 2007, le constat est identique. En dépit des dispositifs mis en place par les préparateurs, les comportements des manifestants sont d’une expressivité limitée du fait de leur faible socialisation à ce mode d’action. Ainsi, les slogans sollicités par les scandeurs sont repris par la tête du cortège et les manifestants qui se trouvent à proximité, mais ils ne se propagent guère, n’étant proférés que trois à quatre fois. Par ailleurs, ils ne font jamais l’objet d’une reprise spontanée ou d’émissions sporadiques. Cette attitude se distingue très largement de la multiplication de l’énonciation, avec une accélération continue de la vitesse jusqu’à la confusion des sons des cortèges décrits par Jaume Ayats (1992). Cependant, contrairement à ce que cet auteur, à la suite de Serge Collet (1982), analyse, dans le cas étudié l’absence de profération des slogans ne peut être attribuée à un manque de compétences linguistiques et rythmiques puisque les comédiens les ayant élaborés ont utilisé des mots, des structures de phrase et des mélodies simples à reproduire. C’est bien la moindre socialisation des acteurs aux pratiques manifestantes qui joue ici. Comme l’ensemble des activités militantes, manifester fait l’objet d’un apprentissage des manières de se comporter, de s’exprimer et d’user de son corps. Au-delà de ce qu’on leur demande explicitement de faire, ces contestataires sont peu inventifs et leur engagement corporel est limité. Bien que les chauffeurs de salle exagèrent leur gestuelle afin de susciter des comportements d’imitation, les manifestants ne se prêtent guère à l’exercice. Taper dans les mains, sauter sur place, courir, lever les bras, déambuler, faire la chaîne, se tenir bras dessus bras dessous sont des attitudes totalement absentes de ce cortège. Dans ce contexte, le port des bâillons et le silence demandés pour l’opération symbolique « 1er janvier = silence », ne sont respectés que par la tête du cortège, où les organisateurs sont nombreux, ces comportements s’évanouissant à mesure que le défilé progresse et que l’encadrement se raréfie.

50La manifestation demeure largement dépendante du travail de mobilisation des élus locaux et de l’attitude des manifestants. Celle-ci signale leur absence de savoir-faire et d’habitude du recours à la rue et les gestes qu’ils accomplissent, loin d’exprimer une adhésion à cette action, révèlent seulement, pour reprendre les mots de Nicolas Mariot, « l’exercice d’une sorte de discipline de situation où certains actes socialement “montés” sont requis et réalisés comme des automatismes, sans forcément réfléchir, comme on ne réfléchit pas forcément lorsqu’on applaudit à la fin d’un spectacle » (2006, p. 300). Malgré la mobilisation d’un capital économique et de savoirs professionnels conséquents, le déroulement d’un défilé de rue ne peut faire l’objet d’un contrôle aussi important qu’un événement commercial traditionnel.

Une réception médiatique et politique distanciée

51La réussite d’une manifestation de papier tient aux commentaires journalistiques qu’elle suscite et à leurs effets politiques. L’encadrement du cortège s’accompagne d’une activité de relations avec la presse par des communiqués, par la mise à disposition d’un stock d’images, d’un dossier de presse sur la manifestation et sur la situation de la profession. Bien que les ficelles du travail orienté vers les médias soient en partie visibles, les journalistes couvrent l’événement manifestant du 21 novembre 2007. Pour autant, ils ne se laissent pas imposer le cadre d’interprétation construit par les communicants de l’organisation.

52Le défilé fait l’objet de dépêches d’actualité des trois agences de presse mondiales généralistes. L’Agence France Presse (AFP) et l’Associated Press (AP) y consacrent trois dépêches, Reuters une [35]. L’information est relayée aux journaux télévisés du soir des principales chaînes hertziennes : TF1, France 2, France 3, Canal+ et M6[36]. Les radios nationales exploitent un peu moins le sujet : dans son édition de 19 heures, France Info y consacre 45 secondes, France Inter 25 secondes au cours de l’émission « le téléphone sonne », RMC et Europe 1 évoquent le sujet en moins de 15 secondes [37]. La presse écrite nationale est encore moins sensible à cet événement. Le 21 novembre 2007, Libération publie une brève de 250 mots et Aujourd’hui en France annonce la manifestation. Le lendemain, ce dernier en fournit un compte rendu dans ses pages sur l’actualité économique, alors que le journal Les Échos y consacre un feuillet.

53Traitée médiatiquement, cette action manifestante n’apparaît toutefois pas comme une information centrale, ce qui s’explique en partie par l’actualité politique et sociale dense de cette journée. Le 21 novembre 2007, le journal de 20 heures de TF1 développe 16 sujets d’actualité sur les 23 minutes que dure l’émission, soit une moyenne d’une minute et vingt-six secondes par sujet. L’édition s’ouvre sur l’actualité du neuvième jour de grève contre la réforme des régimes spéciaux de retraite dans les transports en commun, couverte par trois sujets. Le deuxième thème abordé est la mise en examen de l’ancien président de la République Jacques Chirac dans le cadre de l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, à laquelle est consacrée une minute et cinquante secondes. Le cinquième sujet fait l’objet d’un temps d’antenne limité, quinze secondes, sur le déplacement du président de la République Nicolas Sarkozy aux obsèques de deux sapeurs-pompiers. Le journaliste réserve le même temps de diffusion à la manifestation de leaders socialistes et d’avocats contre la réforme de la carte judiciaire. Cinq secondes suffisent pour annoncer la manifestation des étudiants du lendemain. Le défilé des buralistes est diffusé en 9e place, d’une durée d’une minute et trente-trois secondes, soit 6,7 % du temps d’antenne de l’émission. Il se situe ainsi au-dessus du temps moyen des sujets. Les thématiques du logement, le procès d’Yvan Colonna meurtrier présumé du préfet Claude Érignac, une affaire de mœurs, un braquage, la situation sociale au Liban et le match de football diffusé sur la même chaîne sont traités ensuite. Si la manifestation des buralistes arrive tardivement dans le déroulement de ce journal télévisé, elle bénéficie néanmoins d’un temps d’antenne conséquent.

54Dans le journal de France 3, elle est annoncée dès les titres de l’édition, après la mise en examen de Jacques Chirac, les négociations sur les retraites, le sabotage de lignes TGV et avant les sorties cinéma. Cette édition, d’une durée de 19 minutes découpée en douze sujets, consacre la septième place aux buralistes avec deux minutes trente d’antenne, pour une moyenne générale d’une minute trente-cinq secondes par reportage. L’actualité des débitants de tabac occupe ainsi 13 % du temps d’antenne de la chaîne. Les autres chaînes leur offrent une place moins importante. Les six minutes trente du journal de M6 destinent trente secondes au sujet, en quatrième position sur huit items, soit vingt secondes de moins que la moyenne des sujets et 7 % du temps d’antenne. De son côté France 2 ne leur accorde que 1,4 % de la durée de son journal télévisé, soit trente secondes contre deux minutes vingt par sujet en moyenne. La mobilisation des buralistes est cantonnée en 10e position sur 15 thèmes traités. Enfin, dans les 20 minutes du journal de Canal+, ce sont à peine quinze secondes qui sont employées au traitement de cette information, pour une moyenne d’une minute trente-deux par sujet. Avec seulement 1,25 % du temps d’antenne, elle est placée en 10e position sur 13 thèmes abordés.

Tableau 1

La couverture télévisée des buralistes le 21 novembre 2007

Tableau 1
TF1 France 2 France 3 Canal + M6Temps d’antenne 1 min 33 s 30 s 2 min 30 s 5 s 30 s% du temps d’antenne 6,70 % 1,40 % 13 % 1,25 % 7 %Position dans le journal 9/16 10/15 7/12 10/13 4/8

La couverture télévisée des buralistes le 21 novembre 2007

55Une attention plus fine au contenu des reportages de TF1 et de France 3 relativise l’importance accordée par ces chaînes à la manifestation en tant que telle. France 3 se dégage nettement de ses concurrents avec un temps d’antenne consacré au sujet de deux à dix fois supérieur. Cependant, seules dix-huit secondes concernent la manifestation, le reste du temps étant réservé à un reportage sur la vente des fonds de commerce des débits de tabac. De même, TF1 n’accorde que trente secondes au défilé pour diffuser un reportage sur la situation économique d’un bar-tabac. Les rédactions de TF1 et France 3, anticipant l’événement, avaient préparé un reportage pour illustrer les conditions de travail des buralistes. Leur cadrage de la situation adopte alors une perspective interprétative du contexte économique de ces professionnels. Le temps d’antenne consacré au défilé de rue n’excède donc pas trente secondes, toutes chaînes d’information confondues.

Tableau 2

La couverture télévisée de la manifestation des buralistes le 21 novembre 2007

Tableau 2
TF1 France 2 France 3 Canal + M6 Temps d’antenne 30 s 30 s 18 s 15 s 30 s

La couverture télévisée de la manifestation des buralistes le 21 novembre 2007

56À la radio, sur France Info, c’est la parole profane dans le cortège qui est privilégiée pour saisir les raisons « réelles » de cette mobilisation :

57

“Ce décret, c’est la mort à petit feu de nos établissements, c’est la fin de la convivialité”, s’inquiète Pierre qui vient de Loire-Atlantique et qui redoute de perdre 30 % de clients.

58De manière générale, le cadrage économique domine. Alors qu’en 2003 le quotidien Les Échos adoptait une perspective bienveillante envers les buralistes, en 2007, le journaliste qui couvre la manifestation est particulièrement dépréciatif :

59

Alors que les difficultés de circulation accablent la capitale depuis plus d’une semaine, le contexte ne se prêtait guère à la manifestation nationale organisée par les buralistes hier pour obtenir des “aménagements” à l’interdiction de fumer.

60Le traitement de l’événement souligne des intérêts économiques illégitimes au regard de la situation de ces entrepreneurs, largement alimenté par les informations des associations de lutte contre le tabagisme qui n’ont de cesse de rappeler les avantages financiers acquis par les buralistes dans le cadre de la politique publique de restriction de la consommation de tabac :

61

Si les ventes de cigarettes ont chuté depuis 2002 suite à des augmentations importantes de tarifs, en valeur le marché n’a pas baissé. Et les revenus des buralistes ont globalement augmenté.

62Par ailleurs, la mobilisation des buralistes est perçue comme peu influente sur l’action politique : « La mobilisation des débitants de tabac n’émeut guère le gouvernement[38]. » Le journaliste d’Aujourd’hui en France préfère titrer sur ce qui apparaît comme une conséquence de la manifestation et qui devrait mettre un terme aux revendications : « On pourra fumer en terrasse[39]. » L’article porte sur la prise de parole de la ministre de la Santé qui déclarait quelques heures avant le début de la manifestation que des aménagements seraient faits pour autoriser la consommation de tabac en terrasse. Cette intervention permet à son ministère d’entrer dans le jeu de production de l’information et aux journalistes d’opposer un nouveau cadrage à l’événement manifestant [40]. Quelle que soit l’information principale choisie, tous les médias nationaux se détournent des thématiques de la convivialité et du lien social construites par les communicants de l’organisation professionnelle et l’action « 1er janvier = silence » n’est reprise par aucun d’entre eux, ni dans son propos, ni par ses images. Sur France Info, l’envoyé spécial insiste même sur la continuité phonique dans le cortège : « Ils ont tapé dans leurs mains, soufflé dans leurs sifflets durant toute [mot très appuyé] la manifestation. » Les journalistes, lucides sur la stratégie médiatique de l’organisation semblent décider délibérément de ne pas la reprendre à leur compte.

63L’opposition des buralistes à l’interdiction de fumer, si elle est considérée par les journalistes comme suffisamment importante pour être traitée, est constamment rabattue sur des considérations économiques et la stratégie du groupe pour imposer une définition de la situation autour de la préservation du lien social et de la convivialité n’est pas relayée. Comme le souligne Patrick Champagne, il ne suffit pas d’être « vu » pour être « bien vu » et en tirer tous les bénéfices (1990, p. 238). L’ardeur des organisateurs de la manifestation à convaincre les médias et à grandir la cause de la profession est d’une faible efficacité. De plus, contrairement aux manifestations précédentes, celle de 2007 n’a pas produit les effets escomptés dans le champ politique. En dépit des déclarations de la ministre de la Santé, le décret n’a subi aucune modification et les pouvoirs publics, qui avaient prolongé dès décembre 2006 le « contrat d’avenir » des buralistes jusqu’en 2009, sont restés sourds aux nouvelles demandes de négociation de l’organisation professionnelle. Si l’organisation de manifestations est rendue possible par la possession de ressources financières permettant d’employer des prestataires de service réputés compétents dans la production d’événements, qui mettent en scène la mobilisation, synthétisent le problème en cause et tentent d’imposer leur cadrage de la situation aux médias, l’observation du défilé de 2007 dévoile la faible incorporation de cette pratique contestataire par les buralistes et sa moindre efficacité sur les journalistes et les pouvoirs publics.

Conclusion

64La communication fait partie de l’économie générale de la politique et son marché ne cesse de s’élargir. Si au début des années 1990, les conseillers en communication, les publicitaires, les instituts de sondage étaient identifiés comme des acteurs transformant les modalités de l’activité politique (Champagne, 1990 ; Poimeur, 1991), les agences d’événementiels qui organisent les opérations de communication et les rassemblements des organisations politiques sont également parties prenantes de ce processus. Par leurs prestations, ces professionnels interviennent dans le jeu politique et permettent à des acteurs disposant d’un capital économique de le convertir pour diversifier leurs modalités d’intervention publique et médiatique. L’analyse du transfert des savoirs des professionnels de l’événementiel dans l’univers de la contestation syndicale permet de saisir tâche par tâche quelles sont les compétences nécessaires à la préparation d’une manifestation de papier, de la construction d’un cadre médiatique aux activités de sollicitation de la présence des journalistes, en passant par la mobilisation du plus grand nombre. Plutôt que de voir dans le recours à ce répertoire d’action une forme de radicalisation d’un syndicat de petits commerçants, cet article démontre que ce sont avant tout des pratiques commerciales à visée médiatique qui sont reproduites. Il rappelle également que la manifestation est une forme d’expression politique de plus en plus routinière pour de nombreux groupes sociaux (Fillieule et Tartakowsky, 2008), y compris pour ceux qui n’ont pas, ou peu, de capital militant.

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  • SOMMIER I. (1993), « La CGT : du service d’ordre au service d’accueil », Genèses, vol. 12, pp. 69-88.
  • SOUILLAC R. (2007), Le mouvement Poujade. De la défense professionnelle au populisme nationaliste (1953-1962), Paris, Presses de Sciences Po.
  • TARTAKOWSKY D. (2014), Les droites et la rue, Paris, La Découverte.
  • TROM D. (1999), « De la réfutation de l’effet NIMBY considérée comme une pratique militante. Notes pour une approche pragmatique de l’activité revendicative », Revue Française de Science Politique, vol. 49, n° 1, pp. 31-50.

Notes

  • [1]
    Les débitants de tabac sont des commerçants indépendants et des préposés d’administration à la vente au détail du tabac, produit sous monopole étatique. Historiquement, ce statut participe à la construction d’un corporatisme sectoriel unique. Pour plus de détails, voir Caroline Frau (2012).
  • [2]
    Entretien avec Marc Silvan (les noms ont été modifiés), directeur général de la Confédération des buralistes, mai 2010.
  • [3]
    « Le buraliste et feu la vignette auto », Le Figaro, 2 septembre 2000.
  • [4]
    Entretien avec Baptiste Masse, salarié de la Confédération des buralistes de 1982 à 2000, avril 2009.
  • [5]
    « La France des buralistes se fait entendre », Le Losange, le magazine des débitants de tabac de France, n° 199, novembre 2000, pp. 22-24.
  • [6]
    Compte rendu du conseil d’administration du 3 septembre 2003, Le Losange, le magazine des débitants de tabac de France, n° 232, novembre 2003, pp. 86-89.
  • [7]
    « Les buralistes manifestent leur inquiétude à Strasbourg », Reuters, 30 juin 2003.
  • [8]
    Compte rendu du conseil d’administration du 3 septembre 2003, op. cit.
  • [9]
    Ce qu’Erik Neveu (2009) qualifie de « métajournalisme », p. 54.
  • [10]
    « Les buralistes ont été bafoués », Libération, 25 novembre 2003.
  • [11]
    Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, Un contrat d’avenir pour les buralistes, p. 2.
  • [12]
    La Confédération des buralistes, Guide pratique de la manifestation à l’attention des présidents et responsables départementaux, 21 novembre 2007, p. 5.
  • [13]
    Ibid., p. 12.
  • [14]
    Ibid., p. 15.
  • [15]
    Entretien avec David Curiel, salarié de la Confédération des buralistes, décembre 2007.
  • [16]
    Ibid.
  • [17]
    La Confédération des buralistes, Guide pratique de la manifestation, op. cit., p. 11.
  • [18]
    Sur cette question, voir les travaux de Pierre-Michel Menger (2009) et Catherine Paradeise (1998).
  • [19]
    Entretien avec David Curiel, op. cit.
  • [20]
    La Confédération des buralistes, Guide pratique de la manifestation, op. cit., p. 13.
  • [21]
    Ibid.
  • [22]
    Entretien avec David Curiel, op. cit.
  • [23]
    La Confédération des buralistes, Guide pratique de la manifestation, op. cit., p. 13.
  • [24]
    Selon le rapport financier de l’organisation, en 2007 son budget est de plus de 2,5 millions d’euros.
  • [25]
    Outre les permanents de l’organisation syndicale sont mobilisés les salariés de la revue professionnelle, du centre de formation et de la mutuelle des buralistes.
  • [26]
    Entretien avec Carmen Lopez, salariée de la revue syndicale, décembre 2008.
  • [27]
    Entretien avec Yves Dubois, président d’une chambre syndicale départementale, janvier 2008.
  • [28]
    Entretien avec Nicolas Candiloro, promoteur des ventes chez un industriel de tabac, novembre 2009.
  • [29]
    Entretien avec Yves Dubois, op. cit.
  • [30]
    Note du journal de terrain, 21 novembre 2007.
  • [31]
    Sur la question de la dissociation, se référer aux travaux d’Isabelle Sommier sur la CGT (1993).
  • [32]
    Entretien avec David Curiel, op. cit.
  • [33]
    Cette chambre syndicale est considérée comme périphérique du fait qu’un seul de ses responsables ait été promu au niveau de l’organisation nationale depuis 1983 et seulement pour un mandat de 3 ans.
  • [34]
    Entretien avec Baptiste Masse, op. cit.
  • [35]
    Factiva et Europresse, entrée « manifestation and tabac », 21 et 22 novembre 2007, base de données toute la presse, contrôlée manuellement. Dépouillement manuel du quotidien Aujourd’hui en France des mêmes dates.
  • [36]
    INA, entrée « manifestation, tabac », 21 et 22 novembre 2007, base de données chaînes des télévisions hertziennes, contrôlée manuellement.
  • [37]
    INA, entrée « manifestation, tabac », 21 et 22 novembre 2007, base de données chaînes nationales de Radio France et chaînes de radios généralistes nationales, contrôlée manuellement.
  • [38]
    « Les buralistes n’ont pas fait le plein contre l’interdiction de fumer », Les Échos, 22 novembre 2007.
  • [39]
    « Les buralistes manifestent à Paris », Aujourd’hui en France, 21 novembre 2007.
  • [40]
    Sur l’analyse de ce type d’intervention, voir Jérémie Nollet (2006, p. 167).
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