Notes
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[1]
Il s’agit d’un nom d’emprunt, et nous avons légèrement modifié leur devise.
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[2]
Le Département des Études (DEPS) du ministère de la Culture a financé cette recherche. Nous remercions Denis Vilar pour l’extraction et la mise en forme des données, et les professionnels de Viv@films qui ont accepté de se prêter aux entretiens.
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[3]
Gao et al. (2006) montrent que les notations postées par les consommateurs sont corrélées aux notations déjà en ligne, surtout lorsque celles-ci sont consensuelles, et qu’elles sont aussi influencées par les notes attribuées par les critiques professionnels.
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[4]
Comme l’ont souligné certains auteurs, sous couvert de donner le pouvoir à tout un chacun, le pouvoir de s’exprimer comme celui de produire des contenus créatifs, les algorithmes de l’industrie du Web participatif permettent de construire à moindres frais des modèles commerciaux rentables. La valeur commerciale des métadonnées est totalement occultée par un discours sur la qualité culturelle des contributions et la valeur sociale positive du fait de contribuer (Beer, 2009 ; Van Djik et Nieborg, 2009).
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[5]
Source Panel de mesure d’audience, janvier 2012.
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[6]
Bureaux situés dans le quartier de la capitale où la plupart des distributeurs de cinéma ont leurs sièges sociaux.
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[7]
Acteurs économiques opérant uniquement dans la sphère Internet.
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[8]
« Chaque action donne des points, ça fait un peu d’incentive, c’est une compétition gentillette », explique un responsable.
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[9]
Nous avons interviewé dix professionnels du site. Afin de respecter l’anonymat, leurs fonctions exactes ne seront pas précisées.
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[10]
Le fait que les sites décident en interne des notes de la presse semble être peu connu et en tout cas n’est jamais mentionné dans les nombreux articles de marketing qui comparent les notes des critiques professionnels et amateurs.
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[11]
IMDb : Internet Movie Database.
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[12]
L’accès à ces émissions est précédé de publicités vidéo très longues.
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[13]
Chacun pouvait se constituer une page avec ses « amis » sur le site et ses goûts représentés par des vignettes et organisés par catégorie (films, série, réalisateurs, acteurs…).
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[14]
La gamification fait référence aux nouvelles métriques de soi qui se sont développées. « Ces pratiques ont en commun d’être des notations personnelles introduisant une forme de réflexivité ou de retour sur soi volontaire » (Pharabod et al., 2012). L’idée du site est d’étendre ce principe de gamification à l’expérience cinématographique.
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[15]
The dark knight rises et Avengers ont cumulé respectivement 8 et 11 millions de clics sur les bandes-annonces au cours des deux ans qui ont précédé leur sortie en salle. Les grosses productions américaines consacrent des budgets très importants aux bandes-annonces et en proposent des versions successives qui sont testées.
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[16]
Comme le souligne Cochoy, c’est une extension du système de pari spéculatif de la finance : la valeur de l’entreprise dépend non plus de ses fondamentaux, mais de la valeur que d’autres sont susceptibles de lui attribuer en fonction de la valeur que d’autres sont susceptibles de lui attribuer, etc. (Cochoy, 2012, p. 83).
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[17]
Les chiffres sur le buzz sont valorisés sur deux supports professionnels : un site internet dédié aux professionnels du cinéma, et un magazine professionnel de référence du cinéma. Encore une fois, il est intéressant de voir quelles sont les données mises en avant sur ces deux supports. Sur le site pour les professionnels, les statistiques portent uniquement sur le nombre de clics sur les bandes-annonces, les fiches films et les fiches acteurs. Il y a bien des onglets prévus pour connaître le nombre de consultations des critiques spectateurs ou le nombre de citations dans les blogs, mais ils ne sont pas renseignés. Dans le magazine de référence, la logique prédictive est poussée à son extrême avec la publication mensuelle des résultats d’un questionnaire rempli par les exploitants de salles à qui l’on demande de noter de 1 à 10 la popularité attendue et le potentiel de buzz des films qui vont sortir le mois suivant. Ce sondage mensuel est complété par la publication hebdomadaire du top 10 des « films les plus attendus », classement fondé sur le nombre de clics des internautes sur les films qui ne sont pas encore sortis en salle.
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[18]
Ce chiffre calculé sur les données de films est sensiblement différent des données fournies par le service des études du site, mais ces dernières incluent aussi les données sur les séries.
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[19]
On part ici des catégories de genres telles qu’elles sont constituées par le site qui peut attribuer d’un à trois genres à un film (par exemple, Les aventures de Tintin est codé comme Aventure, Animation, Action).
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[20]
Le site propose pour chaque film des extraits de critiques de la presse ainsi que la note associée construite à partir de la tonalité de la critique. Ils suivent une trentaine de titres et le nombre de Critiques Presse est un indicateur de l’intérêt que la critique professionnelle accorde au film.
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[21]
Le troisième volet de cette recherche, dont il ne sera pas fait état ici, a consisté en une analyse des usages du site par des jeunes de 15 à 20 ans dans deux régions de France. Elle s’est fondée sur un questionnaire passé auprès de 300 jeunes, de 27 entretiens individuels et de 10 entretiens collectifs.
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[22]
D’après le « community manager », le profil des membres du Club est « 28, 29 ans, y en a beaucoup qui travaillent, des étudiants aussi, un peu plus d’hommes que de femmes, même si c’est à peu près équivalent, autant dans la capitale qu’en province ».
-
[23]
Bastard et al. (2012) ont par exemple montré que pour la promotion des artistes dans le domaine de la musique, l’engagement des amateurs ne faisait que renforcer les effets des médias traditionnels et qu’il y avait peu de déplacements.
1Spectateur, participez ! » Par cette formule, présente sur la première page de son site, Viv@films [1] s’inscrit dans un mouvement déjà bien documenté par les recherches sur le Web 2.0 : l’appel à la participation des audiences. Le site, qui donne accès aux programmes des salles de cinéma et qui constitue une grande base de données sur les films, permet différents types de contributions : on peut compléter la base de données, noter les films ou en faire une critique argumentée. On s’intéressera particulièrement ici à ce dernier type d’acte participatif [2].
2L’univers de la critique amateur est fascinant. Tout d’abord parce qu’il concerne d’énormes masses d’individus (entre 25 000 et 30 000 critiques par mois sur le site étudié), mais surtout parce que, dans son ensemble, la production est de qualité, avec de nombreux textes sophistiqués, qui témoignent d’une bonne connaissance du cinéma, écrits dans un vocabulaire riche et sans fautes d’orthographe. Impossible, du coup, de ne pas se poser beaucoup de questions. Qui sont ces individus qui ont pris le temps de produire ces textes soignés et pourquoi l’ont-ils fait ? Qui lit ces avis ? Ont-ils un effet sur les choix filmiques ? Diverses recherches ont tenté de répondre à certaines de ces questions, en se fondant souvent sur le cas d’Amazon où le système des critiques amateurs existe depuis longtemps.
3Les motivations des contributeurs, par exemple, ont été étudiées par plusieurs travaux qui débouchent sur des résultats convergents. Les raisons de se lancer dans l’exercice relèvent d’un faisceau de considérations, personnelles (plaisir d’écrire), culturelles (défendre un auteur), sociales (valoriser cette activité critique autour de soi), parfois même professionnelles (devenir journaliste) (Pinch et Kesler, 2010 ; Dellarocas, Gao et Narayan, 2010 ; Hennig-Thureau et al., 2004 ; Dupuy-Salle, 2012). La grande sensibilité des auteurs à leur place dans les classements instaurés par les sites est aussi soulignée : l’entrée dans les tops et les clubs constitue des buts à l’action. Toutefois, ces travaux s’intéressent généralement aux plus gros contributeurs, laissant dans l’ombre la masse, pourtant beaucoup plus importante, des contributeurs occasionnels. Les effets du buzz et de l’évaluation critique sur les performances commerciales des produits ont occupé de nombreux chercheurs en gestion et marketing (pour une synthèse : Debenedetti, 2006). Certains résultats semblent acquis, comme le fait que le volume – et dans une moindre mesure la valence – des évaluations est positivement corrélé aux résultats des ventes (Chevalier et Mayzlin, 2006 ; Duan et al. 2008 ; Dellarocas, Zhang et Awad, 2007 ; Larceneux, 2007). Une limite toutefois encore : ces travaux s’appuient généralement sur les notes et non sur les avis rédigés dont le potentiel de guidage des choix reste largement méconnu. D’autres chercheurs se sont intéressé aux effets relatifs des différents modes de signalisation des produits enviables, en comparant critique professionnelle, notation amateur, activités de promotion, notoriété des auteurs ou acteurs, etc. Globalement, les éléments liés aux budgets de promotion – volume de publicité, affiche, bande-annonce – semblent avoir un effet bien plus important sur les ventes que la critique, qu’elle soit amateur ou professionnelle (Belvaux et Marteaux, 2007 ; Beuscart et Mellet, 2012). Enfin, certains travaux interrogent les dynamiques sociales de la notation : Moe et Trusov (2011) font ainsi l’hypothèse que les notes attribuées aux produits ne reflètent pas seulement l’expérience du consommateur avec ce produit, mais aussi l’influence des autres notes? [3].
4Nous adoptons ici une autre approche, centrée sur le monde même de la critique amateur. Ce monde qui se livre de façon compacte avec des dizaines de milliers de textes et des centaines de milliers de notes est régi par un certain nombre de règles.
5Des règles émises par ceux qui gèrent le site tout d’abord. Madeleine Akrich le souligne à juste titre, trop peu de travaux s’interrogent sur les protocoles techniques qui sont utilisés en back-office et les interfaces qui sont proposées aux utilisateurs (Akrich, 2012, p. 5 et sq). « Pour comprendre la participation, il faut comprendre les “infrastructures performatives” dans lesquelles s’inscrit cette participation », rappelle David Beer (2009). Dans le cas de Viv@films, qui est une entreprise commerciale, les caractéristiques techniques des systèmes sont indissociables des logiques économiques de l’entreprise. Or les recherches sur le Web 2.0 sont particulièrement muettes sur cette dimension, sans doute parce qu’une grande partie des travaux ont porté sur des sites à but non lucratif. Nous ferons au contraire du modèle économique du site le point de départ de notre analyse, en partant du principe que ce modèle peut nous apprendre beaucoup.
6Dans une première partie nous chercherons à comprendre quelles sont les données jugées importantes par les professionnels. Comment les hiérarchies commerciales se traduisent-elles concrètement dans l’agencement du site ? Les professionnels élaborent des dispositifs sociotechniques qui cadrent les contributions, ils font un certain nombre de choix pour configurer les relations avec et entre les participants, ils donnent à voir avec plus ou moins de saillance les éléments, ils récompensent certaines initiatives et en découragent d’autres. Bref, il s’agit d’un monde organisé. En dépliant ses principes d’organisation, on se donne la possibilité d’étudier le décalage potentiel entre les nécessités commerciales qui régissent le back-office et le discours d’appel à la participation qui est valorisé auprès des internautes? [4].
7Après avoir étudié ce point de vue des professionnels sur la valence différenciée des contributions, nous effectuerons une plongée dans le monde même des critiques. Comment se structure la participation critique ? Sur quels films se focalise l’attention ? Peut-on repérer un modèle type de critique ? Quels éléments du film sont saillants pour le regard critique ?
8Enfin, nous nous interrogerons sur les formes d’engagement dans l’exercice critique en comparant les pratiques des novices et celles des habitués. Peut-on faire carrière dans un monde amateur ? Et surtout comment y fait-on carrière ? C’est la question que pose l’existence d’une élite amateur, labellisée par les professionnels du site.
Bonnes et mauvaises contributions : la canalisation des contributions par les professionnels du site
9Viv@films est une entreprise commerciale qui a trouvé son modèle économique : 40e site Internet le plus visité en 2012? [5] dans le pays que nous étudions, elle a réalisé 25 millions de chiffre d’affaires en 2011 et compte 250 salariés dont une petite centaine dans les bureaux du siège central? [6]. L’entreprise a pignon sur rue dans le monde du cinéma, y compris dans d’autres pays, où elle est le premier site de référence dans son domaine, en dépit d’une forte concurrence due au nombre important de « pure players »? [7] consacrés au septième art.
10Le site vit de la vente d’espaces publicitaires sur son site et d’une activité de conseil auprès des distributeurs de films. C’est donc un modèle économique très différent de celui d’Amazon qui vit surtout de la vente de produits, mais c’est un modèle classique du numérique participatif : 1) les contributions des spectateurs augmentent la valeur du site, à coût quasiment nul pour l’entreprise (le travail de publication de contenu, de notation, de rédaction de critiques est fait gratuitement par les spectateurs et repose sur leur seule motivation) ; 2) le site enrichi attire des audiences de plus grande taille, qui augmentent la valeur des espaces publicitaires et qui permettent de vendre des données prédictives plus fiables, car reposant sur des échantillons plus importants.
11Les internautes sont vendus aux annonceurs selon le principe des marchés à double face. Il s’agit d’attirer des visiteurs en grand nombre, et surtout des visiteurs qui intéressent les annonceurs privilégiés : distributeurs de films, opérateurs de téléphone, voyagistes, grandes marques de high-tech. Selon le panel utilisé par le service des études du site, le visiteur moyen a 42 ans, avec une surreprésentation de personnes provenant de la capitale et de sa banlieue et de catégories socio-professionnelles élevées. Les internautes inscrits constituent une population beaucoup plus petite, mais dont on verra la centralité dans la gestion de l’image de la marque.
12Le site est aussi bien une base de données que l’on peut consulter en visiteur pour choisir un film ou un horaire de séance, qu’un collectif auquel s’associer pour partager avec d’autres une passion pour le cinéma. Pour entrer dans ce collectif, il faut créer un compte personnel sous un pseudonyme. Les internautes inscrits peuvent participer de plusieurs manières : en complétant les fiches films ou les fiches acteurs – ce qui dans une version antérieure du site leur octroyait des points affichés sur leur profil? [8] ; en écrivant des commentaires sous les bandes-annonces ; en participant aux forums ; en attribuant une note de 0,5 à 5 à un film et enfin en écrivant un avis sur un film. Ce dernier type de document est qualifié de « Critique Spectateur » par le site.
13Les professionnels du site sont chargés d’optimiser la relation client et d’encadrer ces actes contributifs. La manière dont ils tentent de concilier leurs liens aux internautes avec les relations commerciales qui les lient à leurs clients annonceurs est au cœur des choix qu’ils opèrent. Il y a trois services qui sont directement confrontés à cette question : l’éditorial, le marketing et le « community management »? [9]. Chacun, à sa façon, programme ses relations avec les internautes, et parmi eux, les producteurs de critiques.
14Le service éditorial, avec 25 salariés – dont aucun n’a la carte de presse –, a la charge de l’ensemble des contenus, textes ou vidéos, postés sur le site, y compris le choix des extraits des critiques de presse – en décidant d’une note à la place des journalistes quand il n’existe pas de barème propre au support presse qui soit transposable directement !? [10] Trois domaines sont couverts : le cinéma, les séries TV et les jeux vidéo – comme le fait IMDb? [11]. D’une activité basique de production d’informations d’ordre factuel, voire même très factuelles comme les horaires, qui était la vocation première de l’entreprise, les contenus se sont progressivement complexifiés avec des dossiers, des rubriques régulières (« secrets de tournage ») et surtout des émissions tournées en vidéo qui offrent souvent un point de vue décalé sur le monde du cinéma. Cette production de contenus attachés à des films précis est un produit d’appel très important pour l’audience, et donc pour l’équilibre économique du site (« on se rend compte en voyant les statistiques que la base de données reste quand même au centre des consultations des internautes et qu’il ne faut pas qu’on perde ça de vue », explique un responsable de l’éditorial? [12]).
15Si l’éditorial a pour objectif d’attirer des visiteurs en nombre, le service marketing cherche, lui, à canaliser les flux dans les bonnes directions. Il supprime ou développe des fonctionnalités, modifie le design du site, pense la stratégie globale d’entreprise. De fait, en l’espace de quelques mois d’enquête seulement, nous avons pu assister à de nombreux changements : suppression de l’affichage des points gagnés par les internautes, puis suppression pure et simple de leurs profils culturels? [13], relégation de l’onglet communauté dans les profondeurs du site, création de la rubrique « critique positive ou négative jugée la plus utile », suppression de la mention d’appartenance au Club sur les fiches des auteurs… En réalité, le site opère des transformations en permanence, dont certaines sont difficiles à interpréter. C’est sans doute là une limite forte des recherches fondées sur une analyse à un moment T du design d’un site. Ce qui s’y donne à voir n’est pas forcément ce qui sera saillant quelques mois plus tard. Mais c’est aussi une dimension intéressante : ces mouvements des sites disent quelque chose sur les éléments contributifs qui sont valorisés et sur la manière dont les professionnels anticipent et cherchent à canaliser la navigation des internautes.
16En effet, les professionnels du marketing ont un point de vue affirmé sur la valeur différentielle des contributions venues des internautes. Certaines sont importantes, d’autres moins. Les avis critiques des spectateurs sont par exemple peu valorisés, alors que les notes sont encouragées par divers procédés (comme speed, un jeu de notation en accéléré) :
Et donc est-ce qu’on provoque la critique ? Oui, on la provoque, mais nous en fait ce qui est important, c’est la note… nous, on se concentre sur la note parce que c’est la note qui est importante en soi parce que cela permet de faire plein de choses derrière, alors donc la note elle est vraiment proéminente, la critique c’est effectivement… en termes de design, de pages, elle est accessible de façon un peu plus difficile… Mais alors voilà ceux qui veulent s’exprimer ils vont pouvoir s’exprimer il n’y a pas de souci, mais par rapport à la note cela reste moins poussé… donc à l’heure actuelle on pousse plus la note que la critique parce que la note est moins intimidante et si on avait inversé la chose on aurait moins de notes, on a déjà fait par le passé des tests là-dessus, on le sait, on aurait moins de notes et du coup même si on peut grappiller 10 ou 20 % de critiques en plus on aurait une déperdition plus importante en termes de notes, parce que la note est moins intimidante que la critique, les gens ont plus de mal à s’exprimer. Aujourd’hui il y a 500 000 à 600 000 notes par mois et de mémoire comme cela, je crois qu’il y a 25 000 critiques écrites. Les critiques des spectateurs, c’est moins regardé dans le détail, quand on va ouvrir les critiques des spectateurs, on va se retrouver avec 400 critiques dont on ne sait pas trop comment elles sont hiérarchisées…
18En interne, la note est l’objet de deux développements principaux. D’un côté, elle sert à établir des classements des films, classements qui sont bien mis en valeur sur le site (les films préférés des spectateurs, les 250 meilleurs films de tous les temps). De l’autre, elle permet de personnaliser le portefeuille de goûts filmiques d’un internaute : à terme, l’ambition est de monter un modèle de recommandation sur le modèle d’Amazon et de développer les activités de partage. En 2011 a ainsi été créée une application sur iPhone qui permet de partager entre internautes les notes attribuées aux films.
Alors, après, il y a ce qu’on appelle le buzz et nous, ce qu’on regarde aujourd’hui, c’est le nombre de partages de fichiers, le nombre de partages d’une bande-annonce… Alors, voilà, c’est tout cet aspect gamification? [14] qu’on est en train de faire et qui du coup rend pour nous le fait d’avoir noté un film une data cruciale. Alors, voilà, c’est pour cela que l’on pousse maintenant la note de façon absolue parce qu’on sait que c’est l’avenir.
20L’autre donnée commercialement importante, mais cette fois-ci à destination des professionnels du cinéma, relève des clics sur les bandes-annonces ou les affiches des films, deux éléments visuels présents sur le site en amont des sorties en salle, parfois très en amont dans le cas des blockbusters américains. La curiosité que suscitent les bandes-annonces avant la sortie du film est une donnée essentielle pour les distributeurs? [15].
21C’est là une caractéristique centrale de l’industrie du cinéma : elle repose sur des données prédictives du succès et cherche à mesurer le plus précisément possible les indices de l’intérêt des spectateurs pour les films à venir. Viv@films fonctionne donc presque comme une entreprise de mesure de l’audience, sauf qu’il s’agit là d’une audience à venir, à travers le buzz que le film suscite avant sa sortie en salle. Ce n’est pas sans rappeler les paris dans les concours de beauté évoqués par Keynes où il s’agit de choisir non pas les individus que l’on trouve les plus beaux, mais ceux qui seront désignés comme les plus beaux par l’ensemble des joueurs? [16]. Le buzz est un classement circulaire qui fonctionne comme une prophétie autoréalisatrice? [17].
22Dépendance à la publicité, centralité du nombre de clics et de notes, voilà donc la base du modèle économique. On l’aura compris, la critique amateur ne fait pas partie des données considérées comme utiles par ces deux services. Ils n’envisagent pas de l’intégrer dans leur programme de partage d’expériences cinéma, ne semblent pas croire à son pouvoir prescriptif, ne les lisent pas. C’est donc pour l’entreprise une activité de « façade », pour parler comme les interactionnistes : elle a son utilité pour consolider l’image de marque d’une communauté de cinéphiles engagés et permet d’afficher une croyance en l’intérêt, voire même en la supériorité, de l’approche critique profane par rapport à la critique professionnelle (« un spectateur lambda il a cette fraîcheur que le critique n’a plus. »)
23L’agencement visuel du site traduit parfaitement cet ordre de priorités. Les critiques d’amateurs sont reléguées dans les profondeurs : il faut trois clics successifs pour y accéder, et l’internaute doit passer par la page du film lui-même. En revanche, les traces des notes données par les internautes inscrits sont quant à elles bien visibles, dès la page d’accueil, sous la forme des classements dont elles sont la base comme « les meilleurs films » et sur la page du film, via une présentation synthétique des notes.
Normes et pratiques de l’exercice critique
24En dépit du peu d’attention que le site accorde aux « Critiques Spectateurs » – ce sont les notes qui comptent –, l’activité de rédaction de critiques amateurs est très intense et étroitement corrélée à l’activité de notation. Dans notre échantillon, il y a un rapport à peu près constant entre le nombre de notes et le nombre de critiques par film : une fois sur quatre la note est complétée par une critique rédigée? [18].
25Nous allons maintenant nous intéresser aux critiques elles-mêmes pour dresser plusieurs constats. Le premier est que le choix des films critiqués témoigne de goûts cinéphiliques qui ne recoupent pas exactement les genres traditionnellement dominants. La teneur des textes laisse comprendre que la critique d’un film peut être l’occasion de régler des comptes avec la presse ou avec le jugement des jurys festivaliers, parfois même de militer pour une meilleure reconnaissance du cinéma de genre. Second constat : l’exercice critique connaît deux déclinaisons principales, une version centrée sur l’expérience émotionnelle du film qui cherche à convaincre – ou dissuader – de nouveaux spectateurs et une version plus retenue et érudite qui se rapproche dans ses formules et ses thèmes de la critique professionnelle. La première est nettement plus répandue chez les spectateurs qui pratiquent peu la critique et contrevient au modèle de cinéphilie éclairée proposé par la charte des critiques élaborée par le site. Enfin, une lecture linéaire des critiques sur un même film montre l’émergence de thèmes communs de discussion qui permettent aux critiques de faire lien entre eux. Le monde de la critique amateur apparaît alors comme un monde de l’entre-soi où s’opèrent des apprentissages d’écriture.
Évaluer versus commenter (nombre de notes et nombre de critiques par film)
Clef de lecture : chaque point représente un film, avec en ordonnée le nombre de critiques reçues et en abscisse le nombre de notes. Le film Intouchables très atypique par le volume de notes et de critiques généré (20 273 notes, 4 516 critiques spectateurs) a été exclu de la courbe. Le coefficient de corrélation est R2 = 0,97.Éléments de méthode
Sur un corpus délimité de films (les films parus en 2011 et encore à l’affiche fin 2011, soit 140 films), nous avons recueilli toutes les informations disponibles : sur le film lui-même (réalisateur, acteurs, nationalité, genre, date de sortie…), sur ses évaluations par la critique professionnelle (notes et extraits de critiques) et par la critique amateur (notes et « Critiques Spectateurs »). Pour chacune des critiques spectateurs, les informations disponibles sur son auteur ont été recueillies : son pseudo, son ancienneté sur le site, le nombre de critiques rédigées, l’appartenance ou non au Club. Les données ont été aspirées sur le site et mises sous forme de base de données relationnelle. Sur les 140 films sortis en 2011 et encore à l’affiche en décembre 2011, 40 000 critiques spectateurs ont été rédigées par 18 000 internautes différents. Ces données ont fait l’objet de traitements statistiques.
Pour l’analyse du contenu textuel des critiques, nous avons utilisé le logiciel Alceste et sa version en open source Iramuteq de deux manières (Reinert, 1993). Tout d’abord de façon inductive en construisant une typologie des critiques sur la base des co-occurrences de vocabulaire. Le corpus est divisé en deux de manière à ce que chaque ensemble de critiques soit le plus homogène possible en termes de vocabulaire utilisé et le plus différent possible de l’autre groupe. La procédure est réitérée sur chaque groupe ainsi identifié. Pour neutraliser les effets de concentration de l’attention sur certains films, nous avons constitué un sous-corpus en sélectionnant au maximum les 100 premières critiques de chaque film à partir du jour de la sortie (les critiques postées avant la sortie étant en grande majorité non pas des critiques, mais des messages d’impatience avant la sortie du film). Le sous-corpus est ainsi constitué de 8 751 critiques.
Ensuite, ces méthodes ont été utilisées pour valider des hypothèses liées à l’intensité de l’engagement dans la pratique amateur. Les caractéristiques textuelles des catégories de contributeurs que nous avons définies ont été identifiées.
Enfin, bien sûr, nous avons lu et relu un grand nombre de critiques, notamment pour comprendre l’organisation des discussions autour de films particuliers.
Le choix des films
26Le choix des films est entièrement laissé au libre arbitre des internautes inscrits, le site ne cherchant pas du tout pas à encadrer cette étape. Comme on peut le voir sur la figure 2, la distribution des critiques de spectateurs par film montre une répartition très inégale de l’attention avec quelques rares films qui reçoivent un grand nombre de critiques et beaucoup de films qui en reçoivent très peu.
27Le nombre de critiques aurait pu reproduire les écarts sur le nombre d’entrées. Plus un film serait haut placé dans le box-office, plus il recevrait de critiques. Cette corrélation se vérifie partiellement. Le tableau 1 montre ainsi une relation très nette entre le succès d’audience d’Intouchables et le nombre considérable de critiques que le film a suscitées. On a dans ce cas une démarche critique qui s’inscrit dans le plaisir de la sociabilité partagée et ressemble fort aux conversations sur les films qui se déroulent dans la vie quotidienne. Le fait que la presse ait jugé Intouchables plus sévèrement que les internautes a dû certainement jouer aussi. Aller poster une critique en l’accompagnant d’une note élevée (ce qui fut le cas de plus des trois quarts des critiques sur ce film) est une manière de revendiquer la supériorité du jugement profane sur l’expertise des professionnels. On a enfin sans doute des effets de renforcement de l’attention et des mécanismes de boule de neige pour certains films où la présence de nombreuses critiques incite à poster davantage, ce qui a été observé à propos des notes par d’autres chercheurs (Gao et al., 2006 ; Moe et Trusov, 2011).
Comparaison entre le nombre de critiques spectateurs et les entrées du box-office (films 2011)
Comparaison entre le nombre de critiques spectateurs et les entrées du box-office (films 2011)
Clef de lecture : le classement dans la dernière colonne est fait sur l’ensemble des films sortis en 2011 et non sur les 141 de notre corpus. Les données proviennent de JP’s Box Office.* postées au 31 décembre 2011
28Mais il existe aussi des décalages par rapport au box-office. Si l’on regarde par exemple les 20 films les plus critiqués en 2011, il n’y en a que 6 qui font partie des 20 films les plus vus (tableau 1). Inversement, des films situés assez bas dans le box-office ont généré un très grand nombre de commentaires : c’est le cas de Drive (2e en nombre de commentaires et 30e au box-office), The Tree of Life (4e et 62e), Source code (9e et 80e), Melancholia (13e et 122e), Contagion (12e et 83e). La lecture d’un échantillon de critiques sur chacun de ces films permet de faire quelques constats.
29On peut identifier des cas de polémiques entre internautes sur fond de remise en question du jugement expert. Les réactions à Melancholia et The Tree of life sont ainsi très comparables. Ce sont deux films primés à Cannes qui ont reçu un accueil très positif de la part de la critique professionnelle. Une partie des critiques amateurs oppose une expérience personnelle, très négative, à l’engouement expert.
Un film creux loin, très loin derrière les avis des critiques de Cannes. Pour pseudo-intellos uniquement, juste histoire pour ceux qui veulent dire que j’ai vu un Lars von Trier ; je ne comprends pas le hourra de la presse.
31Ils se sont ennuyés, n’ont pas compris où les réalisateurs voulaient en venir, et ont constaté que de nombreux spectateurs étaient dans le même cas qu’eux puisqu’ils quittaient la salle
C’est chiant au possible, tellement chiant que vous risquez de quitter la salle avant la fin, ce que j’ai fait.
33À l’inverse, beaucoup d’autres internautes ont été enthousiasmés, distribuent des 4 et des 5, et essayent de transmettre leur interprétation.
34Drive, un thriller qui a été couronné par le prix de la mise en scène à Cannes, propose a priori un cas assez proche. L’acteur Ryan Gosling et le réalisateur Nicolas Winding Refn ont visiblement leurs aficionados – certains se réclament de Matrix –, mais d’autres ont décidé d’écrire pour au contraire contester le jugement du jury et de la presse : « Je ne comprends pas les 5/5 en série de la presse », « Y’a de quoi s’interroger sur les critiques professionnels », « Que dire sur ce film qui a été encensé par la critique et les spectateurs… – il lui donne la note 1. »
35Bref, mais il faudrait le vérifier sur un plus grand échantillon de films, les palmarès de Cannes sont un objet important de discussion, et un jugement positif trop unanime de la critique professionnelle tend à susciter de nombreuses réactions opposées.
36Dans les films sur-commentés se trouvent aussi deux films de science-fiction (Source Code, Contagion), ce qui n’est sans doute pas un hasard. Un croisement du nombre de critiques par le genre du film? [19] montre de manière nette que certains genres accueillent un nombre de critiques amateur beaucoup plus important que d’autres (tableau 2). Ainsi, alors que les films classés dans les genres thriller, action, science-fiction, fantastique, épouvante-horreur représentent 18 % des films de notre corpus, ils recueillent plus du tiers des critiques amateurs. Inversement, les drames et comédies dramatiques qui couvrent 29 % de nos films ne reçoivent que 22 % des critiques. Les documentaires, qui représentent 8 % de nos films, ne sont, quant à eux, quasiment jamais critiqués.
37On voit apparaître un décalage sensible avec la critique professionnelle? [20] qui couvre d’une manière plus homogène l’ensemble des genres bien qu’elle tende à privilégier les genres traditionnellement dominants : le drame plutôt que la comédie, les genres nobles plutôt que les sous-genres. Le décalage est particulièrement sensible pour ce qu’on appelle le « cinéma de genre » : thriller, action, science-fiction, épouvante-horreur. Les films appartenant à cette catégorie drainent 21 % des critiques de la presse contre 37 % des critiques des spectateurs.
Répartition des critiques par genre
Répartition des critiques par genre
Clef de lecture : sur notre corpus de 140 films, 29 % relèvent du genre drame ou comédie dramatique. 34 % des critiques presse faites sur les 140 films portent sur des films de ces genres contre seulement 22 % des critiques spectateurs.Les deux modèles critiques
38Une première impression se dégage vite de la lecture des critiques : les auteurs semblent prendre très au sérieux l’exercice. C’est sensible au niveau de la forme. Nous sommes aux antipodes des provocations et des relâchements de langage qui sont fréquents sur les forums. Certains auteurs ont même un haut niveau de sophistication dans le vocabulaire et les tournures de phrase (sur le film 17 filles, on peut par exemple lire ces lignes : « filmées à la fois en groupe et dans la solitude de leur chambre, sorte de cellule protectrice à l’écart du monde des parents, les lycéennes échafaudent de manière réfléchie et intelligente leur curieux projet jusqu’à provoquer la stupeur de leur entourage, ce qui donne prétexte à une scène croustillante de réunion des profs où chacun(e) y va de son avis »). Il y a des différences d’une critique à l’autre, mais l’orthographe est visiblement relue et corrigée dans la plupart des cas. Tout laisse donc supposer qu’on a affaire à des auteurs munis d’un certain bagage intellectuel.
39Mais surtout, à la lecture des critiques, il apparaît que la plupart des rédacteurs sont animés par l’idée que leur critique aura du poids. Ils cherchent à convaincre – ou à dissuader, selon les cas. Au moment de donner une note au film, ils sont mus par un sentiment de responsabilité :
J’ai longtemps hésité entre 4 et 4.5 étoiles !!! Comme je ne me suis pas ennuyé un seul instant (ce qui arrive fréquemment avec les block américains) et comme l’acteur Jake Gyllenhaal est très bon, j’ai penché vers le 4.5.
Vu ce film après avoir lu les critiques élogieuses… on a pas envie d’être trop méchants alors je mets 2,5, mais bon…
42Comme l’avaient constaté Pinch et Kesler (2011) pour les critiques sur Amazon, les auteurs peuvent aussi agir pour défendre un film (« Je lui mets un 5 pour remonter sa côte ! [sic] je ne suis pas du tout d’accord avec toutes les critiques de ce film », Rhum express). Finalement, il est sans doute agréable de noter (« C’est sympas à regarder mais il ne faut pas s’attendre a un chef d’œuvre. Je mets 4 quand même », Mission Noël). Peut-être faut-il croire ce qu’écrit cet internaute qui demande aux lecteurs de ne pas tenir compte des mauvaises critiques postées sur le film Intouchables auquel lui-même a donné la note 5 : les critiques spectateurs c’est « juste un plaisir de se croire juge du travail de quelqu’un ».
43Les professionnels du site ont cherché à encadrer l’exercice critique en rédigeant une charte qui est publiée en ligne. Elle donne des indications précises qui permettent de viser une certaine homogénéité en termes de formats : éviter les critiques de moins de 50 caractères (contrainte majeure inscrite dans le système, puisque les critiques de moins de 50 caractères ne sont pas validées (« Mon dieu quel ennui… ennui, ennui, ennui ennui (je répète le mot, car il faut au moins 50 caractères pour la publication de la critique », biaise un auteur !), et de plus de 1 000 caractères, pour privilégier un calibrage entre 200 et 500 caractères.
44Elle souligne aussi l’importance accordée à l’argumentation (« pourquoi vous avez aimé ou pas le film »). Les professionnels interviewés relaient volontiers cette vision normée des critiques attendues sur le site (« savoir formuler des critiques de manière intéressante, pas le genre “c’était naze” », « quelqu’un qui fait “waouhh” et c’est tout, eh bien c’est rejeté », « il faut que ce soit argumenté, il faut que ce soit intéressant, il faut qu’il y ait un vrai avis d’expert »). Enfin, des consignes sont données pour ne pas révéler des éléments importants du film : la partie du texte concernée doit être marquée par « spoiler » et devient alors invisible à la lecture.
45Cet effort de normalisation de la pratique se lit également dans l’évolution de la charte. En janvier 2011, elle s’ouvrait sur : « Nous sommes heureux de vous offrir la possibilité, à travers cet espace critique, de vous exprimer en toute liberté sur les films qui vous ont marqués. » En janvier 2013, l’expression « en toute liberté » a été supprimée. En réalité, il est tout à fait impossible pour les professionnels du site de pratiquer un contrôle a priori vu le nombre de critiques. Au mieux, ils peuvent réagir à une signalisation d’abus par un internaute.
46Existe-t-il un ou des modèles types de critiques ? Pour répondre à cette question, nous avons procédé à une analyse de la structure lexico-sémantique des critiques amateurs de notre corpus, avec des outils de text-mining (encadré méthode). Cela nous a permis de différencier deux grandes catégories de critiques, avec d’un côté des critiques centrées sur le film (sur son contenu et sa forme) et de l’autre des critiques centrées sur la réception (ce que le film fait au spectateur). Dans la première classe, les critiques sont plus longues avec une plus grande richesse de vocabulaire (le taux d’hapax – mots n’apparaissant qu’une seule fois – est de 38 %) que dans la seconde (taux d’hapax de 24 %). Voici le vocabulaire le plus spécifique de chacune des classes :
Classe 1 : réalisateur, vie, mise en scène, homme, spectateur, femme, sujet, cinéma, personnage, plan, montrer, sentir, dernier, filmer, sembler, amour, force, monde, vivre, prendre, image, jeune, côté, cinéaste, grand, jour, beauté, politique, devenir, humain, regard, rendre, travail, laisser, réalité, parler, lumière, comprendre, œuvre, interprétation, donner, rester, manière, question, venir, drame, mère, art, fois, premier, partie, propos, propre, documentaire, minute, corps, façon, difficile, temps, doute, social, noir, canne, face, agir, com, raconter, caméra, séquence, auteur, fond, époque, récit, sortir, travers, long…
Classe 2 : sympa, super, rire, adorer, dessin animé, gag, rigoler, drôle, marrant, décevoir, action, divertissement, animation, annonce, moment, ennuyer, humour, comédie, saga, détente, divertissant, navet, requin, fan, nain, vivement, chat, recommander, conseil, vraiment, destination, spécial, sympathique, bande, voir, bond, top, agréable…
48Alors que dans la première classe dominent d’une part un vocabulaire relevant de la fonction référentielle (de quoi parle le film) et d’autre part des termes appartenant au champ sémantique du cinéma (réalisateur, spectateur, plan, filmer…), dans la seconde sont surreprésentés des termes qui renvoient aux émotions, au ressenti du spectateur, ainsi qu’un ensemble de termes appartenant au vocabulaire de la recommandation (recommander, conseil). Étant donné la place de la recommandation dans cette seconde classe, il est naturel que les pronoms de la 1re et 2de personne (je-vous) y soient très nettement représentés. Les critiques de la première classe empruntent au contraire un style impersonnel, qui se rapproche de la critique savante : attention accordée à la forme, au contenu, au média. Enfin, l’opposition entre les deux modèles critiques renvoie aussi à des effets de genre : les drames et les comédies dramatiques représentent plus de la moitié des critiques du premier groupe, et seulement 20 % de celles du second groupe. Inversement, les comédies sont sur-représentées dans le second groupe (25 % contre 11 % dans le premier) tout comme les films d’action (26 % contre 11 %).
Deux types de critique
Deux types de critique
49Voici quelques exemples prototypiques de ces deux catégories. Dans la première, on peut trouver de longs développements analytiques, comme dans cette critique :
Les esprits cartésiens et scientifiques éprouvent d’évidence les pires difficultés à pénétrer le cinéma de Bruno Dumont, qui effectivement exige qu’on abandonne à l’entrée de la salle ses certitudes. Voir se produire à l’écran des événements surnaturels – un exorcisme, un arrêt d’incendie et une ressuscitation – ne peut en rien justifier la disqualification d’un film. L’intérêt se situe ici sur la forme : comment le réalisateur s’y prend-il pour mettre en scène cette histoire absolutiste, faite de silences et d’une sécheresse qui peut rebuter [suivent encore 20 lignes]
51Ou bien des propos qui s’attachent à rendre compte du contexte et de l’histoire comme dans celle-ci :
Un sujet dur sur l’enfance difficile d’un jeune garçon délaissé par son père, mais merveilleusement bien mis en scène par les frères Dardenne. Cécile de France est extrêmement touchante dans son rôle de coiffeuse attendrie, armée d’une grande patience et pleine d’amour. Thomas Doret joue avec tout le naturel de son jeune âge. Une très belle fable sur l’amour, qui a bien mérité d’être récompensée à Cannes !
53Dans la seconde catégorie, c’est l’évaluation et la recommandation qui priment.
C’est frais, drôle et surtout sans prétention. J’ai passé un excellent moment et je le conseille vivement.
Les gags sont prévisibles, mais ce film n’est pas si mauvais je trouve, même si les meilleures scènes comiques sont dans la bande-annonce.
56Cette opposition entre des critiques fondées sur l’analyse et des évaluations centrées sur l’effet du film est très proche de celle identifiée par Laurence Allard au sein d’un forum de cinéphiles entre ceux qui « construisent leur discours autour des qualités intrinsèques du film » et ceux qui le construisent « autour de leur rapport émotionnel ou intellectuel » (Allard, 2000). Dans le premier cas, on est bien dans la logique de l’argumentation de la note, dans le second le critique se contente de partager ses émotions et de recommander le film. Rappelons-le, cette dernière manière de faire critique ne correspond pas au modèle que promulgue le site à travers sa charte. Il est intéressant de constater qu’il n’y a pourtant pas de différence notable dans les notes attribuées par les critiques de l’un ou l’autre type : autrement dit, le fait d’avoir aimé ou pas aimé certains films ne constitue pas un clivage aussi important que celui d’adopter une posture critique tournée vers l’analyse du film ou vers les émotions que celui-ci procure.
La critique amateur : une communauté de pratique
57Le site cherche aussi à programmer un modèle de sociabilité entre critiques bien particulier. Les points de vue sur les films doivent être individuels : la charte insiste ainsi sur le fait qu’il faut éviter le dialogue dans les critiques (« vos critiques ne doivent en aucun cas réagir aux avis d’autres internautes ou se référer à de précédentes critiques »). De manière générale d’ailleurs, les transformations du design visuel du site ont tendu à réduire les occasions d’échanger entre contributeurs. Quand nous avons commencé notre enquête en 2011, il existait un onglet « Communauté », qui permettait d’accéder à une page sur les « membres du Club », les dernières publications dans les blogs, les messages des forums. Cet onglet a été supprimé en 2012.
58Pourtant, une lecture attentive du texte des critiques ne laisse aucun doute : les rédacteurs se lisent entre eux et s’inscrivent dans une communauté de pratique (Lave et Wenger, 1991 ; Wenger, 1998). L’exercice critique se double d’une activité de lecture dans une logique de dialogue avec les autres rédacteurs. Ces critiques ne sont pas lues par les professionnels du site, et très peu consultées par les internautes si l’on en croit l’enquête faite par Tomas Legon : sur le site, les jeunes internautes s’intéressent en priorité à la bande-annonce et à l’affiche pour décider du choix d’un film? [21]. Les notes attribuées par les internautes sont prises en compte par moins d’un cinquième des jeunes interrogés et la critique presse n’est consultée que par la frange la plus diplômée de l’échantillon.
59Ces textes ont donc un public principal : celui des autres critiques. Malgré l’interdiction du dialogue dans les critiques, on a des exemples de références explicites aux critiques précédentes, y compris avec citation du pseudo :
Je partage pleinement l’avis de plus 35.
Réponse à Michel T, Bono n’a pas de charisme ! mort de rire, va voir un seul de ses concerts et après tu pourras t’exprimer objectivement.
Comme Creepshow2 : Sa critique : J’aurai aimé savoir si la maison de distribution du film, a le droit de diffuser une bande-annonce qui ne correspond pas au film ?
64Plus généralement, il est très fréquent que la critique se situe par rapport à d’autres collectifs : la critique presse, les spectateurs de la salle fréquentée au moment du film, les critiques amateurs du site (« Je ne partage pas l’enthousiasme assez majoritaire des critiques et des spectateurs », Les géants). Chaque rédacteur se fait une représentation des accords et désaccords entre critiques, et les avis rédigés en témoignent.
Impossible de ne pas évoquer ces critiques crétines qui donnent sérieusement l’impression qu’ils n’ont pas vu le film.
Olala ! comment ne pas hésiter à aller voir le nouvel opus de Lou Ye après avoir lu les critiques ?? Puis je me suis souvenu des réactions primaires de rejet qui avaient déjà été lâchées pour le précédent.
Je ne comprends pas les critiques aussi durs de certains cinéphiles. De là à dire que c’est une m… il y a franchement pire ! et puis pour ceux qui n’auraient remarqué que le clin d’œil à seul au monde, révisez vos classiques car il y en a plusieurs autres qui visiblement vous ont échappé.
Quelle surprise, autant d’avis complètement négatifs pour un film aussi magnifique.
69Nous ne multiplierons pas les exemples, mais les références aux goûts, parfois clivés, du public et des critiques presse sont très présentes dans les critiques spectateurs, montrant l’ancrage dans un collectif de cinéphiles pratiquant la critique.
70Enfin, et c’est le phénomène le plus marquant, pour chaque film, des topoï spécifiques émergent et toute une série de critiques se situent par rapport à ces thèmes communs ; chaque film se constitue comme une conversation qui se déploie dans le temps. Ainsi, pour Paranormal Activity 3, les nœuds de la conversation portent sur la comparaison avec les autres volets de la saga (le troisième est-il meilleur ou moins bon que les précédents ?), sur les « effets » du film (tension versus sursauts, réactions du public dans la salle) et enfin sur les décalages entre la bande-annonce et le film (sur ce point il y a consensus entre les spectateurs déçus de n’avoir pas retrouvé l’esprit de la bande-annonce dans le film). Outre le fait qu’autour de chaque film des éléments structurant la discussion se mettent en place, on observe aussi l’émergence de thèmes par rafales qui témoignent d’une lecture de proximité. Ainsi, la référence à Kubrick dans les critiques de The Tree of Life devient-elle systématique dans un bloc de critiques datées de la même période.
71En somme, les auteurs s’inscrivent et se situent dans des collectifs de lecture et d’écriture autour du film. Les travaux de Moe et Trusov (2011) ont montré l’influence des autres notes dans la manière de noter ; ici nous voyons comment de micro-communautés se constituent autour d’un film avec des influences réciproques. Le monde des amateurs est un lieu de socialisation où se constituent des apprentissages de la pratique. On a un entre-soi, peu visible à l’œil nu, mais actif autour d’un film particulier, avec des apprentissages diffus qui se font essentiellement par imitation et reproduction. Si la notion de communauté de pratique a trouvé son origine dans l’analyse des organisations et se caractérise par l’existence d’une entreprise commune, de relations d’engagements mutuels et d’un répertoire de ressources partagées (Wenger, 1998), elle s’applique également à ce collectif de critiques amateurs qui apprennent à travers la lecture et la fréquentation des autres critiques et non pas par le suivi de formations dédiées : ils apprennent en observant, en interagissant et en imitant les autres (Lave et Wenger, 1991).
Diversité des formes d’engagement et hiérarchies internes
72C’est un constat qu’étayent les différences de pratiques entre novices et habitués que nous allons étudier maintenant. L’exploration du monde de ces critiques amateurs fait en effet émerger de très grandes variations dans l’activité d’écriture autour de films.
Novices et habitués
73Nos 40 000 critiques ont été rédigées par 18 000 contributeurs différents. À y regarder de plus près, on est très loin d’une répartition homogène où chaque spectateur aurait rédigé deux critiques en moyenne. Il s’agit une fois encore d’une distribution en loi de puissance avec beaucoup de rédacteurs qui publient très peu et quelques-uns qui sont très actifs. Un tiers des contributeurs n’a écrit qu’une seule critique (ils sont intervenus pour la première fois sur le site en 2011) ; 12 % n’en ont écrit que 2 ou 3 depuis leur inscription sur le site… et à l’autre extrême 10 % en ont rédigé plus de 50. Le plus prolixe a publié 6 152 critiques depuis son inscription sur le site. Ces écarts d’engagement dans la pratique se lisent dans la structure du corpus de critiques 2011 sur lequel nous travaillons : les critiques de novices (ceux qui n’ont publié qu’un seul avis) ne représentent que 15 % du corpus, tandis que celles des gros contributeurs (ceux qui ont rédigé plus de cinquante critiques) couvrent un tiers du corpus. Moins nombreux, mais beaucoup plus actifs, les gros contributeurs ont sur le site une visibilité plus importante, et contribuent à la constitution d’un style de critique spécifique.
Répartition des contributeurs et des critiques en fonction du nombre de critiques rédigées depuis leur date d’inscription
Répartition des contributeurs et des critiques en fonction du nombre de critiques rédigées depuis leur date d’inscription
Clef de lecture : Sur les 18 011 contributeurs, 1 773, soit 10 %, ont rédigé plus de 50 critiques depuis leur inscription sur Viv@films et ont produit 13 199 critiques sur nos 140 films, soit 34 % du corpus de critiques (info manquante pour 180 spectateurs, soit 593 critiques).74Cette distribution très inégale rend compte de la diversité des modes de participation et d’engagement dans la pratique de critique amateur. Elle est incontestablement liée à la cinéphilie et à l’intensité de la pratique de visionnage de films, mais aussi à des postures très contrastées face à l’objet culturel. Entre un spectateur qui écrit une fois un commentaire sur un film et un autre qui s’investit dans une activité de publication très régulière, il n’est pas difficile d’imaginer des motivations, des façons de faire, des formes d’engagement fort différentes. L’idéal de participation porté par l’idéologie du Web 2.0 trouve ici ses propres limites : les utilisateurs s’emparent de manière très contrastée de ces nouvelles opportunités de publication. Les recherches sur le terrain, centrées sur les usages, ont d’ailleurs depuis les années 1990 montré les nouvelles hiérarchies qui se constituent dans ces espaces numériques, avec un rôle décisif joué par l’intensité de l’activité de contribution et de l’engagement dans la sociabilité de réseau (Beaudouin et Velkovska, 1999 ; Beuscart, Dagiral et Parasie, 2009).
75Aux deux extrêmes, deux catégories d’amateurs méritent une attention particulière : les novices qui n’ont rédigé qu’une seule critique d’un côté, les habitués qui en ont rédigé plus de 50 de l’autre. Tout se passe comme s’il y avait un chemin qui fait que l’activité de rédaction s’intensifiant, les modalités de la contribution se transforment et se rapprochent de celles des habitués.
76Les novices représentent un tiers des contributions et leur manière de faire des critiques est très spécifique. Ils sont plus généreux dans la notation avec une moyenne de 3,63 (contre 3,48) et une médiane de 4,5 (contre 4). Ils préfèrent les comédies et les films d’action, évitent les drames. 6 % de leurs « critiques » sont publiées avant la sortie du film, non pas pour montrer qu’ils ont eu le privilège de voir le film en avant-première, mais pour témoigner de leur envie de voir le film, surtout s’il s’agit d’une grande production ou d’un épisode dans une suite avec un gros travail de teasing préalable. Les critiques sont courtes, avec une médiane de 30 mots et une moyenne de 52 mots. Elles privilégient l’expression du ressenti et la recommandation aux autres. Plus de 70 % des critiques sont centrées sur la réception et la recommandation. Pas d’analyse du film, pas de référence au monde du cinéma, mais un partage impulsif de l’émotion.
Se film est vraiment tro bien et tro marant franchement je le recomende a toute le monde.
Film excellent, Humour à gogo non stop et bonnes réparties. persos très attachants. Film à voir sans hésitation. À revoir absolument sans modération.
79Chez ces critiques novices et occasionnels, le plaisir ressenti pendant la projection et le désir de partager semblent être le moteur principal de leur contribution, ce qui peut expliquer que les notes soient si élevées. L’inscription dans l’univers de la cinéphilie n’est pas leur préoccupation. Ils prennent la plume pour inciter les autres à voir le film. Cet effet a été particulièrement fort autour du film Intouchables, où des centaines d’avis allaient tous dans le même sens
Un film magnifique, touchant les deux acteurs sont absolument extraordinaire. 2 h de bonheur de rire et d’emotions vivement conseillé.
FORMIDABLE ! De l’emotion et une histoire magnifique ! À aller voir d’urgence. Pour un premier rôle Omar Sy est tout simplement magnifique, à ne rater sous aucun pretexte.
82À l’autre extrême du spectre, les habitués, ceux qui ont publié sur le site plus de 50 critiques, ont une manière toute différente d’écrire sur les films. Les notes sont moins élevées. Les critiques s’allongent : deux fois plus longues en moyenne que celles des novices. Elles portent plus souvent sur des drames, moins souvent sur des comédies et des films d’action. Plus de 60 % de leurs critiques sont centrées sur l’analyse de film et évitent les points de vue subjectifs et la recommandation. Les habitués déploient un grand niveau d’expertise et de savoir-faire dans l’activité. Toujours sur Intouchables :
Eric Tolédano et Olivier Nakache, les deux réalisateurs du réussi Nos Jours Heureux, reviennent avec leur compère Omar Sy pour un film qui pourrait tomber dans les clichés s’il n’était pas adapté d’une histoire vraie. En effet, un jeune des banlieues et un riche aristocrate ne forment a priori pas la paire de potes idéale. Intouchables remet en cause cette théorie, sur un ton léger et détendu. Moins caricatural donc, que Le Prince et le Pauvre de Mark Twain, par exemple, qui faisait gentiment rêver les enfants de l’époque. Le duo improbable que constituent Cluzet et Omar Sy fonctionne à merveille, surtout grâce au second, qui crève littéralement l’écran. Cette recette savante nous livre une des meilleures comédies françaises de l’année. L’humour est omniprésent, et certaines scènes sont tout simplement mémorables. Les bons seconds rôles sont les points forts des comédies anglaises, mais Intouchables n’a rien à envier à nos voisins d’outre-manche : la fille de Philippe Pozzo di Borgo, Bastien, Magalie ou encore Yvonne. Précipitez-vous tous en salles, car voici la comédie du mois !
84Entre ces deux types de participation extrêmes, celle des novices et celle des habitués, il existe un continuum : plus on écrit de critiques, plus on évite les notes trop hautes et les critiques très courtes, plus on parle au nom de l’esthétique du film et non de ses impressions personnelles de spectateur, moins on s’intéresse à la comédie et aux films d’action. Bref, plus on écrit, plus on s’aligne sur les manières de faire des critiques professionnels.
85Si les différences dans la manière de rédiger les critiques sont rarement commentées dans les avis, elles recouvrent partiellement une autre tension au sein des amateurs de cinéma, régulièrement mobilisée dans les textes, entre les « vrais » cinéphiles experts et amateurs de cinéma d’auteur d’un côté et les amateurs de grandes productions hollywoodiennes de l’autre. Se construit un eux/nous régulièrement mis en scène dans les critiques.
Amateurs de sensations fortes et de films bien bourrins comme Hollywood sait le faire, s’abstenir…
Que les kevins fans de ce genre de films ne viennent pas dire que le cinéma d’auteur c’est chiant.
Je pense être cinéphile et apprécier le cinéma d’auteur.
Regardez plutot un docu sur arte, vous economiserez votre place de cinema ! c’est pretentieux, de la philosophie de bazar, nul et en plus… la palme d’or, intellos a 2 balles !!
90Les niveaux d’engagement très variés dans l’activité de critique dessinent des hiérarchies entre contributeurs, redoublées par des tensions entre des formes de rapport au cinéma souvent présentées comme incompatibles.
91Cependant, contrairement à un site comme Amazon, qui met en scène les classements entre contributeurs, Viv@films ne cherche pas – du moins pendant la période de notre recherche – à rendre visibles sur le site les hiérarchies entre contributeurs. Pourtant, l’entreprise a opté pour la création d’une élite de critiques amateurs, baptisée Le Club. Quelle place occupe ce Club à la charnière entre le monde des amateurs et celui des critiques professionnels ? En quoi les membres du Club se distinguent-ils des gros contributeurs sur le site ?
L’élite à la frontière du monde professionnel : Le Club
92Le Club a été créé en 2008 avec des principes assez différents de celui des top reviewers d’Amazon ou des super reviewers de Rotten tomatoes. Le site s’est gardé une grande latitude dans le choix des élus : ce n’est pas le volume de contribution qui donne accès au club, ni le nombre de votes « utiles » (la possibilité de noter « utile » une critique n’existait d’ailleurs pas avant 2013). Et surtout, Le Club ne regroupe pas uniquement des critiques qui écrivent pour le site, mais compte aussi pour moitié des blogueurs sur le cinéma – qui postent sur le site les critiques écrites pour leur blog en renvoyant à ce dernier. Il y a en fait chez Viv@films une perspective commune en termes de projet cinéphilique, fondée à la fois sur le rejet du bas de gamme (« Plus belle la vie c’est pas notre tasse de thé », « les potins sur les stars, c’est pas dans notre Adn », expliquent les professionnels interviewés) et la défense du cinéma de genre et des films populaires (« notre top des meilleurs films de tous les temps correspond à ce dont les gens parlent dans la rue »). Cette perspective a prévalu lors de la création du Club :
La plupart ils étaient hypercontents ! surtout la notion de club, surtout cinéphile, ça donne quand même, on n’est pas du bas de gamme comme […], on est quand même dans quelque chose de culturel et en même temps jeune, parce que Viv@films a une image très jeune, donc ils étaient hypercontents […] c’est histoire vraiment de marquer le coup, de leur dire, vous aussi vous méritez d’être dans le haut du panier, dans ce club de cinéphiles, qui est reconnu comme cinéphile, alors c’est vrai que c’est intéressant pour eux…
94En 2012, quatre ans après sa création, Le Club compte 485 membres, dont environ 200 blogueurs? [22]. Au fil des années, les managers ont pratiqué une certaine ouverture, mais ils ont toujours maintenu un certain secret sur les critères de recrutement, qui restent à la fois flous et élitistes (des « blogueurs influents », des « contributions intéressantes »). La chose alimente d’ailleurs une certaine grogne sur les forums où des internautes se plaignent de choix « à la tête du client », qui tiennent peu compte des efforts contributifs fournis.
95Le Club fonctionne selon un accord gagnant-gagnant. Pour un membre, il offre à la fois une récompense symbolique – c’est un brevet de cinéphilie aux yeux des distributeurs notamment –, et des entrées privilégiées dans le monde du cinéma : invitations à des festivals, rencontres avec des acteurs ou des réalisateurs, organisation de projections privées (« la promesse du Club, c’est de les faire passer au-dessus de la barrière pour leur permettre de se voir dérouler le tapis rouge »). Pour ceux qui ont un blog, cela peut aussi générer un trafic supplémentaire.
96Pour les professionnels du site, c’est une excellente opération de communication. Le phénomène n’est en rien spécifique à Viv@films, ni même au secteur des biens culturels : il se déploie dans tous les secteurs marchands, de la cosmétique à la robotique, en passant par la gastronomie ou le journalisme. Les marques s’attachent les services d’individus ayant un capital social déjà constitué, elles les achètent avec leur audience – souvent aujourd’hui sur la base d’un nombre de « followers » sur Twitter (Dupuy-Salle, 2014 ; Naulin, 2014).
97Le site procède ainsi à un échange de procédés réputationnels : il officialise la réputation d’un amateur par l’entrée dans Le Club, et l’amateur agit à son tour comme promoteur de la marque. Les membres sont invités à tester les nouvelles fonctionnalités, à écrire des critiques sur certains films, à mettre en ligne les récits des festivals où ils ont été invités :
Ils ont une espèce de partenariat avec nous-mêmes s’il n’y a rien d’écrit, ni d’obligation ni rien, […] ils sont très attachés à la marque, c’est un peu leur bébé aussi, alors ils se l’approprient, ils donnent des idées, alors ça en termes de communication ça vaut toutes les campagnes d’affichage du monde… Nous, on a fait le pari de capitaliser sur un « community manager » pour renforcer les liens. C’est le but du poste, c’est de se rapprocher, d’humaniser en fait une relation de marque avec les utilisateurs. Il est là pour leur expliquer, qu’ils se disent pas Viv@films ils se la pètent, ils sont lointains. »
99De fait, le « community manager » entretient des relations très individualisées avec les membres du Club (« y en a, je parle avec eux au quotidien… Il y a une très grande proximité »). Et, contrairement à la stratégie suivie avec les autres internautes contributeurs, la sociabilité entre membres est encouragée : des cocktails sont organisés à l’issue des projections (« ils se voient aux projections, y en a qui sont devenus des amis »), des liens se tissent lors des festivals.
100On aurait donc tort de parler d’un seul monde amateur. La gestion des contributeurs par le site obéit à des logiques différentes, qui conduisent l’entreprise à adopter des stratégies parfois contradictoires. Elle crée de la compétition entre contributeurs, et propose un modèle d’excellence critique avec son Club, mais sur le site elle met très peu en valeur ces élus. Il faut aller assez loin dans le nombre de clics pour savoir que telle critique a été rédigée par un de ses membres.
101Il reste à comprendre en quoi les membres du Club se distinguent dans leur pratique des autres critiques amateurs. Au regard de l’ensemble des contributeurs, Le Club constitue une élite de taille extrêmement réduite : sur nos 18 000 contributeurs de l’année 2011, 91 seulement (soit 0,5 %) en faisaient partie. Mais ils sont très actifs : ils ont produit 3 % des critiques, soit une moyenne sept fois plus élevée que les autres, avec 14 critiques. Ils sont de fait de gros contributeurs : 85 % d’entre eux ont publié plus de 50 critiques depuis leur inscription sur le site.
102Si les membres du Club ont globalement une activité de critique intense, l’examen du profil des plus gros contributeurs montre que l’intensité de la publication ne suffit pas pour en faire partie.
Les spectateurs ayant produit le plus de critiques sur les 140 films de 2011
Les spectateurs ayant produit le plus de critiques sur les 140 films de 2011
103Comme le montre le tableau 5, sur les 17 spectateurs qui ont produit le plus grand nombre de critiques sur nos films (au moins 50 critiques sur les 140 films du corpus), seuls 5 font partie du Club. Titoo66 ou traversay1 qui publient plus de 200 critiques par an n’en font pas partie.
104Puisque ce n’est pas seulement l’intensité de la pratique qui joue, qu’est-ce qui distingue les membres du Club dans la manière de faire des critiques ?
105En réalité, ils ont un profil proche de celui des habitués, mais en accentuent fortement les traits distinctifs au point de se rapprocher fortement des formats, des formes et des choix de la critique professionnelle. On peut le mesurer sur de nombreux points :
- les notes. Ils sont encore plus mesurés que les habitués (gros contributeurs) dans leur notation et évitent les extrêmes, surtout les très bonnes notes. Pour Le Club, la moyenne des notes est à 3 tout comme la médiane, alors que pour les gros contributeurs, la moyenne est à 3,3 et la médiane à 3,5. Si le pourcentage de notes à 5 étoiles est de 17 % en moyenne par film, pour les membres du Club, il tombe à 9 %.
- la date de publication de la critique. Sur le corpus de films retenus, 45 % des critiques du Club ont été publiées la semaine de la sortie, alors que ce n’est le cas que de 36 % des critiques faites par les gros contributeurs, eux-mêmes pourtant plus enclins que les autres à écrire leurs critiques au moment de la sortie. Les membres du Club sont également relativement plus nombreux à publier des critiques avant la sortie témoignant ainsi de leurs privilèges (projections privées, présence aux avant-premières…).
- la longueur du texte. Si les critiques des habitués sont beaucoup plus longues que celles des novices, celles du Club sont en moyenne deux fois plus longues que celles des habitués : un tiers des critiques ont plus de 200 mots et se rapprochent du format des critiques de presse en termes de longueur.
- le genre des films commentés. Ils font porter leurs critiques encore plus fréquemment que les gros contributeurs sur les drames et comédies dramatiques (31 % de leurs critiques contre 22 % pour les autres) et délaissent les comédies (12 % contre 17 %). Ils manifestent aussi une attention plus grande que les autres spectateurs aux thrillers et aux documentaires. Les films qui sont relativement les plus commentés par les membres du Club sont des films marqueurs d’une cinéphilie d’expert, qui coïncident le plus souvent avec les films les plus choisis par la critique presse. Les films les plus populaires, adressés à des sous-publics ciblés, sont les moins commentés.
- le ton de la critique. 80 % de leurs critiques sont centrées sur le film, évitent l’expression émotionnelle, la présence d’un je/vous marqueur d’une interaction avec le public et tout ce qui de près ou de loin touche à la promotion et à la recommandation. C’était le cas pour 60 % des critiques des habitués. Là encore, les membres du Club accentuent les traits des habitués et marquent une préférence encore plus nette pour un modèle de critique proche du modèle professionnel. Les critiques manifestent une maîtrise du champ du cinéma sous toutes ses facettes : connaissance de l’histoire du cinéma – films, réalisateurs, comédiens, genres ; maîtrise des techniques de l’image animée ; maîtrise du monde de la critique, des festivals, des prix…
106Est-ce ce comportement hors jeu profane qui leur vaut une certaine animosité de la part des contributeurs les plus actifs ? Sans doute pas, puisque ces derniers, comme on l’a vu, s’approchent eux aussi de ce modèle. Toujours est-il que l’image du Club avec les privilèges qui lui sont attachés, si elle suscite une certaine émulation-compétition entretenue par les professionnels du site, provoque aussi du dépit. À en croire les échanges relevés sur certains forums du site, les gros travailleurs de la contribution qui n’ont pas réussi à recevoir le label du Club ont du mal à accepter une désignation des élites qui ne repose pas sur les efforts fournis en interne, mais sur une réputation acquise ailleurs.
Guigoune, Posté le 06/04/2010
Quelque chose me turlupine depuis quelque temps ! Pourquoi Viv@films fait-il entrer dans Le Club des gens dont les profils sont VIDES, où il n’y a aucune critique, aucun point, aucune personnalisation, rien en fait ! Pourquoi nous rabâcher sans cesse des trucs genre « contribuez, faites des critiques », si c’est pour au final accepter des membres inconnus au bataillon ! Pourquoi avoir accepté si tard Plume231 dans Le Club par exemple ? […]
tyler66, 07/04/2010
C’est clair je pensais y entrer assez vite et puis nada toujours au bout de 27 500 points… Et dire que Viv@films nous offre un voyage aux Seychelles en plus, dès qu’on rentre dans ce club VIP, pff…
109Mais, comme le répond un membre du susdit club qui a bien intériorisé la différence entre volume de travail et volume de reconnaissance :
Il ne suffit pas de faire de la contribution pour faire partie du Club, à la base ce club ne regroupe pas des contributeurs, mais des cinéphiles passionnés influents sur le web par le biais de leurs blogs ou de leurs critiques, donc si tu fais que de la contrib’, excuse, mais tu ne serviras pas à grand-chose au sein du Club.
111À l’intérieur du monde amateur, une hiérarchie interne se construit qui repose sur le nombre de critiques publiées (le taux de couverture), sur leur type (plutôt analytique et formel) et sur le genre de films choisis. Le Club vient à la fois questionner cet ordre interne et créer de nouveaux enjeux, car l’entrée dans Le Club ne ratifie pas seulement le fait d’être haut dans la hiérarchie interne. Elle signifie qu’une réputation a franchi les frontières du site.
Conclusion
112Nous avions démarré cette recherche avec l’objectif de travailler sur le caractère prescriptif des critiques. Mais, pour prescrire, encore faut-il être lu. Or, et ce fut une surprise du terrain, nous avons vite découvert que ces critiques n’avaient pratiquement aucune audience auprès d’un échantillon de jeunes usagers du site (bien mieux renseignés par l’affiche et la bande-annonce). Très vite aussi, l’enquête auprès des professionnels du site montrait un très faible intérêt pour les avis rédigés, qui peinent à trouver leur place dans un système dont l’équilibre économique repose sur le nombre de clics et de notes. Faut-il pour autant considérer que la critique amateur sur les biens culturels constitue un objet de recherche marginal ? Non. Car si elle semble être une pratique de faible portée prescriptive, elle reste une pratique sociale et culturelle hautement intéressante qui se situe au croisement d’un goût pour le cinéma et d’un goût pour l’écriture. Les contributeurs se constituent en communauté de pratique avec des normes partagées en dépit des divergences de jugement sur les films. Ils écrivent ensemble, entre eux, en débordant le cadre d’expression attendu par le site qui cherche à encourager un point de vue individuel sur les films. Durant le temps bref de notre recherche, nous avons assisté à la mise à distance progressive des espaces communautaires sur le site. Tout se passe comme si l’argument « communauté » avait été un moyen pour attirer et fidéliser une audience (en donnant la possibilité de créer un blog, puis de créer une fiche profil). Une fois les audiences atteintes, l’entreprise se recentre sur le cœur de son modèle économique. Ceci n’empêche pas le collectif de continuer son activité de lecture et d’écriture autour des films et de poursuivre son engagement, avec de subtiles hiérarchies qui se traduisent dans les choix des films critiqués, la forme de la critique et les manières de relater l’expérience filmique sur un mode expert ou émotionnel.
113La question qui reste entière est celle de la capacité de ces critiques amateurs à modifier les échelles de jugement dans le champ culturel. L’idéologie de la participation, dont l’utilité pour les entreprises qui la portent est évidente pour asseoir leur modèle économique, garantit-elle des effets de démocratisation et d’empowerment du consommateur, qui pourraient faire bouger les échelles et la valeur des biens ? Va-t-on vers un déplacement ou un renforcement des modèles traditionnels de consécration? [23] ? L’existence d’un Club, qui sert de référence et d’horizon d’attente pour les contributeurs, alors qu’il entre en tension avec une hiérarchie interne liée à l’intensité de la pratique, tend à imposer comme norme un modèle expert de la critique qui se situe clairement du côté des modèles médiatiques traditionnels. On pourrait du coup arguer que la critique amateur de film, loin de proposer un modèle alternatif et concurrent de classement par le jugement profane, renforce in fine le modèle du jugement expert.
Bibliographie
Références
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Notes
-
[1]
Il s’agit d’un nom d’emprunt, et nous avons légèrement modifié leur devise.
-
[2]
Le Département des Études (DEPS) du ministère de la Culture a financé cette recherche. Nous remercions Denis Vilar pour l’extraction et la mise en forme des données, et les professionnels de Viv@films qui ont accepté de se prêter aux entretiens.
-
[3]
Gao et al. (2006) montrent que les notations postées par les consommateurs sont corrélées aux notations déjà en ligne, surtout lorsque celles-ci sont consensuelles, et qu’elles sont aussi influencées par les notes attribuées par les critiques professionnels.
-
[4]
Comme l’ont souligné certains auteurs, sous couvert de donner le pouvoir à tout un chacun, le pouvoir de s’exprimer comme celui de produire des contenus créatifs, les algorithmes de l’industrie du Web participatif permettent de construire à moindres frais des modèles commerciaux rentables. La valeur commerciale des métadonnées est totalement occultée par un discours sur la qualité culturelle des contributions et la valeur sociale positive du fait de contribuer (Beer, 2009 ; Van Djik et Nieborg, 2009).
-
[5]
Source Panel de mesure d’audience, janvier 2012.
-
[6]
Bureaux situés dans le quartier de la capitale où la plupart des distributeurs de cinéma ont leurs sièges sociaux.
-
[7]
Acteurs économiques opérant uniquement dans la sphère Internet.
-
[8]
« Chaque action donne des points, ça fait un peu d’incentive, c’est une compétition gentillette », explique un responsable.
-
[9]
Nous avons interviewé dix professionnels du site. Afin de respecter l’anonymat, leurs fonctions exactes ne seront pas précisées.
-
[10]
Le fait que les sites décident en interne des notes de la presse semble être peu connu et en tout cas n’est jamais mentionné dans les nombreux articles de marketing qui comparent les notes des critiques professionnels et amateurs.
-
[11]
IMDb : Internet Movie Database.
-
[12]
L’accès à ces émissions est précédé de publicités vidéo très longues.
-
[13]
Chacun pouvait se constituer une page avec ses « amis » sur le site et ses goûts représentés par des vignettes et organisés par catégorie (films, série, réalisateurs, acteurs…).
-
[14]
La gamification fait référence aux nouvelles métriques de soi qui se sont développées. « Ces pratiques ont en commun d’être des notations personnelles introduisant une forme de réflexivité ou de retour sur soi volontaire » (Pharabod et al., 2012). L’idée du site est d’étendre ce principe de gamification à l’expérience cinématographique.
-
[15]
The dark knight rises et Avengers ont cumulé respectivement 8 et 11 millions de clics sur les bandes-annonces au cours des deux ans qui ont précédé leur sortie en salle. Les grosses productions américaines consacrent des budgets très importants aux bandes-annonces et en proposent des versions successives qui sont testées.
-
[16]
Comme le souligne Cochoy, c’est une extension du système de pari spéculatif de la finance : la valeur de l’entreprise dépend non plus de ses fondamentaux, mais de la valeur que d’autres sont susceptibles de lui attribuer en fonction de la valeur que d’autres sont susceptibles de lui attribuer, etc. (Cochoy, 2012, p. 83).
-
[17]
Les chiffres sur le buzz sont valorisés sur deux supports professionnels : un site internet dédié aux professionnels du cinéma, et un magazine professionnel de référence du cinéma. Encore une fois, il est intéressant de voir quelles sont les données mises en avant sur ces deux supports. Sur le site pour les professionnels, les statistiques portent uniquement sur le nombre de clics sur les bandes-annonces, les fiches films et les fiches acteurs. Il y a bien des onglets prévus pour connaître le nombre de consultations des critiques spectateurs ou le nombre de citations dans les blogs, mais ils ne sont pas renseignés. Dans le magazine de référence, la logique prédictive est poussée à son extrême avec la publication mensuelle des résultats d’un questionnaire rempli par les exploitants de salles à qui l’on demande de noter de 1 à 10 la popularité attendue et le potentiel de buzz des films qui vont sortir le mois suivant. Ce sondage mensuel est complété par la publication hebdomadaire du top 10 des « films les plus attendus », classement fondé sur le nombre de clics des internautes sur les films qui ne sont pas encore sortis en salle.
-
[18]
Ce chiffre calculé sur les données de films est sensiblement différent des données fournies par le service des études du site, mais ces dernières incluent aussi les données sur les séries.
-
[19]
On part ici des catégories de genres telles qu’elles sont constituées par le site qui peut attribuer d’un à trois genres à un film (par exemple, Les aventures de Tintin est codé comme Aventure, Animation, Action).
-
[20]
Le site propose pour chaque film des extraits de critiques de la presse ainsi que la note associée construite à partir de la tonalité de la critique. Ils suivent une trentaine de titres et le nombre de Critiques Presse est un indicateur de l’intérêt que la critique professionnelle accorde au film.
-
[21]
Le troisième volet de cette recherche, dont il ne sera pas fait état ici, a consisté en une analyse des usages du site par des jeunes de 15 à 20 ans dans deux régions de France. Elle s’est fondée sur un questionnaire passé auprès de 300 jeunes, de 27 entretiens individuels et de 10 entretiens collectifs.
-
[22]
D’après le « community manager », le profil des membres du Club est « 28, 29 ans, y en a beaucoup qui travaillent, des étudiants aussi, un peu plus d’hommes que de femmes, même si c’est à peu près équivalent, autant dans la capitale qu’en province ».
-
[23]
Bastard et al. (2012) ont par exemple montré que pour la promotion des artistes dans le domaine de la musique, l’engagement des amateurs ne faisait que renforcer les effets des médias traditionnels et qu’il y avait peu de déplacements.