Réseaux 2012/6 n° 176

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Article de revue

La disparité des modes de traitement journalistiques et des énonciations éditoriales sur le web

Le cas d'un sondage sur Marine Le Pen et la Présidentielle de 2012

Pages 73 à 103

Notes

  • [1]
    Cette démarche s’inscrit dans le programme de recherche Ipri - Internet, pluralisme et redondance de l’information (anr-09-jcjc-0125-01b), soutenu par l’Agence nationale de la recherche. Elle vient compléter l’analyse quantitative de la variété et de la distribution des sujets d’actualité sur le web présentée dans un autre article de ce dossier (Marty et al., 2012)
  • [2]
    Analyse réalisée avec l’assistance du logiciel d’analyse de contenu Tropes : www.tropes.fr.
  • [3]
    Voir l’article de Marty et al. (2012) dans ce même dossier pour la méthodologie détaillée de sélection des sites et les critères de constitution des catégories.
  • [4]
    À l’aide de l’application ScreenGrab (http://www.screengrab.org/).
  • [5]
    Logiciel libre et gratuit développé par P. Ratinaud, laboratoire LERASS, Université Toulouse 3 (http://www.iramuteq.org/).
  • [6]
    La méthode ALCESTE consiste à découper le corpus d’articles en unités de contexte (U.C.) qui correspondent à des portions de texte dont la grandeur est de l’ordre de la phrase, pour repérer dans chacune d’elles les formes lexicales fortement co-occurrentes. Les unités de contexte les plus semblables sur le plan lexical sont regroupées au sein de classes, assimilables à autant d’univers de discours.
  • [7]
    Les résultats de cette analyse sont disponibles en annexes.
  • [8]
    Littéralement, un cadrage « course de chevaux ».
  • [9]
    Renvoyant au premier tour de l’élection présidentielle de 2002, où Lionel Jospin avait été devancé par Jean-Marie Le Pen et privé du second tour.
  • [10]
    Par commodité, nous réduisons le nom du site au seul nom du blogueur Seb Musset dans la suite du texte.
  • [11]
    Du grec polemikos signifiant « relatif à la guerre ».
  • [12]
    L’image est visible sur le blog malgré le décès de l’auteur quelques semaines après la publication du billet. Le texte suivant accompagne le montage photo : « Marine Le Pen, Évidemment que je ressemble à mon père… Les chiens ne font pas des chats non ? »
  • [13]
    La catégorie des infomédiaires peut ici être associée à cette catégorie, en ce qu’elle reproduit des articles essentiellement issus des médias en ligne.
  • [14]
    L’analyse sémio-pragmatique approfondie a amené à regrouper les classes 3 et 4 en un même univers lexical. De manière générale, on peut en effet avancer que les articles relevant des classes 3 et 4 consistent essentiellement, pour les sites qui les prennent en charge, à faire perdurer « l’événement médiatique » du sondage. Qu’il s’agisse du débat sur la validité méthodologique du sondage, ou du lien effectué par certains sites entre le sondage et les propos très droitiers de Chantal Brunel, on peut en effet penser que ces articles ont eu vocation à faire rebondir le sujet en lui adjoignant des éléments périphériques entretenant l’indignation, plus encore que le débat.
  • [15]
    Les passages caractéristiques sont fonction de la présence co-occurrente du lexique spécifique, dont est réalisé un calcul du khi² sur l’ensemble des formes lexicales du texte.

1Alors que l’internet a sans conteste démultiplié le nombre d’informations disponibles aux publics, différentes questions se posent au chercheur qui souhaite sonder cette abondance. L’objectif de cet article consiste à évaluer l’existence d’un véritable pluralisme dans le traitement des actualités sur le web [1], lié au travail éditorial et rédactionnel, et se manifestant dans la variété des mises en scène de l’information, l’expression d’opinions, de points de vue différenciés (Anderson et al., 2005 ; Czepek et al., 2009). Pour ce faire, nous nous sommes concentrés sur un sujet d’actualité donné, un « moment discursif », que Moirand (2007) définit comme « un fait du monde réel qui devient par et dans les médias, un événement ». La publication, le 8 mars 2011, d’un sondage donnant Marine Le Pen en tête des intentions de vote au premier tour de l’élection présidentielle de 2012, a donné lieu ce jour-là à une abondance d’articles sur le web. Au-delà de son importance en termes quantitatifs, le sujet revêt une dimension potentiellement polémique autorisant l’expression d’un grand nombre d’opinions et de points de vue, rendant particulièrement intéressante la question de la prise en charge de ces derniers par les différents sites web.

2La question de l’énonciation est dès lors centrale. Elle permet d’identifier la singularité de l’expression médiatique, en lien avec les contraintes situationnelles de la production de l’information en ligne. Ainsi, notre travail questionne le rôle des cadres de production sur les modalités de traitement de l’actualité, entraînant la production de récits médiatiques communs à certaines catégories d’acteurs et de publications. L’étude vise aussi à mettre au jour les éventuelles continuités entre médias hors ligne et en ligne ainsi que les spécificités du traitement opéré par certains sites. Si l’existence de modèles ou de normes hérités de pratiques antérieures à l’internet se retrouve probablement dans le travail des journalistes professionnels, les productions moins encadrées pourraient renouveler au moins partiellement l’écriture de l’information d’actualité. Enfin, le travail sur l’énonciation peut permettre de révéler les stratégies de différenciation de certains sites pour dessiner une identité éditoriale distincte et pour capter des audiences dans un contexte d’« hyperconcurrence » (Charron & de Bonville, 2004). La vérification de l’ensemble de ces hypothèses implique de constituer un corpus approprié au travail d’analyse qualitative du discours médiatique. Celui-ci procède d’une déconstruction minutieuse et progressive des informations, dont nous devons expliciter brièvement la méthodologie avant d’en présenter les résultats.

Analyser les modes de traitement d’une actualité en ligne

Les outils d’une analyse sémio-pragmatique du discours

3L’étude a été conduite dans une perspective sémio-pragmatique. Cette dernière a pour objet d’identifier les principales stratégies mises en œuvre par les différents sites face aux normes et contraintes de tous ordres qui régissent leur activité de production. Normes et stratégies sont respectivement liées aux grammaires de production (Lemieux, 2000) et aux routines discursives (Neveu, 2001) qui intéressent la sociologie du journalisme. Dans le matériau textuel, elles se manifestent par des configurations morpho-syntaxiques [2] relevant d’actes de discours particuliers (narration, description, argumentation, etc.) dont l’identification est l’objet de la pragmatique (Ghiglione & Trognon, 1993). Au sein de ces actes de discours, les locuteurs peuvent se distancier de leurs énoncés et neutraliser leur propos, ou marquer au contraire leur subjectivité par une implication énonciative. Parmi les différentes normes structurant le journalisme professionnel, la plus prégnante est sans doute l’objectivité, que Koren (2004) désigne sous le nom de doxa objectiviste et dont on s’attachera à questionner les manifestations discursives. Dans une perspective d’étude du pluralisme, on s’intéressera ensuite aux acteurs dont la parole est mise en scène, c’est-à-dire les sources auxquelles on accorde une tribune médiatique : personnalités, quidams, groupes sociaux particuliers, etc. (Kunelius, 2008). Une attention particulière sera portée à la mobilisation de ces discours rapportés, notamment via la nature des verbes déclaratifs employés (Agnès, 2008 ; Moirand, 2007), éventuellement par l’usage de cadrages particuliers. L’analyse sémio-pragmatique prendra aussi en compte les modalités d’expression de l’énonciation éditoriale (Souchier, 1998 ; Touboul, 2001) en étudiant certains choix éditoriaux qui donnent forme à l’information, parmi lesquels le graphisme et l’iconographie.

La construction méthodique d’un échantillon d’articles

4L’analyse sémio-pragmatique de discours a porté sur un échantillon d’articles web qui, le 8 mars 2011, ont traité du sondage donnant Marine Le Pen en tête des intentions de vote à la Présidentielle. Ce jour-là, 161 articles, parmi l’ensemble de ceux produits par les 209 sites d’information générale et politique réunis dans le programme Ipri [3], ont porté sur ce sujet d’actualité. Un enregistrement manuel des copies d’écran [4] des pages web ainsi que du texte intégral a été effectué pour chacun des articles traitant du sondage. Au nombre de 161, ils sont répartis comme suit entre les différentes catégories de sites d’actualité :

Tableau 1

Synthèse de la collecte des articles et pages-écrans publiés le 8 mars 2011 à propos d’un sondage donnant Marine Le Pen en tête des intentions de vote à l’élection présidentielle de 2012

Tableau 1
Catégorie de sites d’actualité Nb sites Nb articles publiés sur le sujet d’actualité concerné Blogs 110 24 Infomédiaires 14 31 Médias en ligne 43 70 Sites natifs de l’internet 42 36 Total 209 161

Synthèse de la collecte des articles et pages-écrans publiés le 8 mars 2011 à propos d’un sondage donnant Marine Le Pen en tête des intentions de vote à l’élection présidentielle de 2012

5Mener une analyse qualitative détaillée sur l’ensemble des 161 articles aurait supposé de disposer d’un temps considérable et de moyens énormes, elle constituait une tâche quasi impossible. Il était donc nécessaire de construire un échantillon plus réduit d’articles, ce qui a été fait à l’aide d’Iramuteq[5], logiciel de statistique lexicale fonctionnant sur la méthode ALCESTE (Reinert, 1990) [6]. Pour Gobin et Deroubaix (2009), les outils proposés par la lexicométrie contribuent à l’identification des stratégies argumentatives et de la signification politique des discours, que ceux-ci soient « explicitement partisans ou plus discrets sur leur rapport à une doctrine politique ou une idéologie de gouvernement » (p. 205). La statistique lexicale est ainsi régulièrement utilisée pour étudier la médiatisation des questions politiques telles que l’environnement (Chetouani, 1994) ou plus récemment pour analyser le débat sur l’identité nationale (Marchand & Ratinaud, 2012).

6Ici, l’usage du logiciel a permis un défrichage méthodique du corpus par l’identification de trois univers lexicaux [7], à partir desquels il a été possible de sélectionner un échantillon d’articles sur une base raisonnée. Le premier univers, qui semble plutôt le fait des médias en ligne et des infomédiaires, consiste essentiellement en un compte rendu factuel et distancié du résultat du sondage, marqué par un lexique très descriptif. Le second privilégie le commentaire à travers un lexique politique dans lequel l’engagement des locuteurs est plus marqué. Il est plutôt véhiculé par les blogs et les sites natifs de l’internet. Enfin, le dernier groupe, lexicalement plus composite, s’attache à faire rebondir l’événement, à le prolonger sur le mode de la polémique, notamment en lui adjoignant des faits périphériques mais vecteurs d’indignation. Ce dernier groupe ne semble pas être pris en charge par une catégorie particulière de sites d’actualité.

7Si la statistique lexicale effectue des comptages, identifie des régularités, mesure des fréquences, elle n’explique pas pour autant le sens du discours. Pour Marchand (2007) « c’est le praticien qui, ayant posé l’hypothèse que cette mesure était pertinente pour son problème, l’interprète et la traduit en action » (p. 49). Ici, les éléments de co-occurrence lexicale identifiés par le logiciel ont permis de choisir 20 articles relevant de tous ces univers lexicaux et de toutes les catégories de sites d’actualité (voir tableau 2), à partir de grandes tendances discursives que l’analyse qualitative va déconstruire pour en comprendre les stratégies, les contraintes, les déterminants.

Tableau 2

Échantillon des sites et articles soumis à l’analyse qualitative de discours

Tableau 2
Site Catégorie Titres des articles RTL Média en ligne « Marine Le Pen en tête, quel que soit le candidat PS » Les Échos Média en ligne « Sarkozy table sur une réédition du 21 avril, selon des politologues » MSN Actu Infomédiaire « Un nouveau sondage donne Marine Le Pen en tête du 1er tour » Le Figaro Média en ligne « 2012 - Un sondage donne Le Pen devant DSK et Sarkozy » Metro Média en ligne « Dans tous les cas, Marine Le Pen arrive en tête du 1er tour » Le Monde Média en ligne « La politique de Nicolas Sarkozy “nourrit” la montée du FN, selon Martine Aubry » François Desouche Site natif « Un sondage donne Marine Le Pen en tête au premier tour » Agoravox Site natif « Une France bleue Marine ? » Marc Vasseur Blog « Marine Le Pen, Front National… petit rappel d’articles anciens » Mon avis t’intéresse Blog « La tambouille d’une blonde » CSP Blog « We need to go deeper » Seb Musset Blog « Une France sans futur ? » Hashtable Blog « Pour la journée de la Femme, envoyez la Marine ! » Politis Média en ligne « Sondages » Le Point Média en ligne « Fillon - Le véritable match aura lieu en 2012 » L’Expansion Média en ligne « Sondage Le Pen. Les sondés payés » Mediapart Site natif « Sondage loterie / Les sondés de l’institut Harris sont payés ! » L’Humanité Média en ligne « Une députée UMP propose de “remettre” les immigrés dans des bateaux » Plume de presse Blog « UMP, FN, même combat / Rejeter les migrants à la mer, et pourquoi pas couler les bateaux ? » TF1 Média en ligne « Immigration : Copé “désapprouve” les propos de Brunel sur “les bateaux” »

Échantillon des sites et articles soumis à l’analyse qualitative de discours

Décrire l’événement : une transparence trompeuse

8Une partie des articles de notre échantillon se situe clairement dans le compte rendu factuel de la compétition électorale. Il s’agit essentiellement d’articles issus de médias en ligne tels que RTL, Les Échos, Le Figaro, Le Monde ou Metro, mais aussi d’infomédiaires comme MSN Actualités, ou encore du site natif de l’internet François Desouche, dont nous expliciterons par la suite la physionomie éditoriale assez particulière. Dans ces articles, les rédacteurs détaillent de manière distanciée les résultats du sondage et collectent diverses réactions, élaborant leur discours dans une forme de cadrage qu’Iyengar (1991) a qualifiée de « horse race framing » [8]. L’expression désigne le fait de construire le traitement d’une élection en présentant, sondages à l’appui, les évolutions de popularité des différents candidats engagés dans une campagne envisagée comme une course, avec ses favoris, ses outsiders, ses évolutions et rebondissements. Cet ensemble d’opérations conventionnelles et normées de l’activité journalistique professionnelle soulève toutefois des questions, notamment lorsqu’elles sont appliquées à un sondage donnant une personnalité politique telle que Marine Le Pen en tête des intentions de vote à la présidentielle de 2012.

Le sondage : fait médiatique et outil objectivant

9Il faut en premier lieu noter que le sondage constitue, dans ces articles, l’unique fait justifiant leur existence. Des titres tels que « Marine Le Pen en tête, quel que soit le candidat PS » (RTL), ou encore « 2012 - un sondage donne Le Pen devant DSK et Sarkozy » (Le Figaro) témoignent explicitement de sa centralité. Ici, le sondage peut permettre aux journalistes de légitimer leurs choix éditoriaux, en focalisant l’attention autour de données chiffrées présentées comme miroir de l’opinion. Cette analyse proposée par Champagne (1990) il y a une vingtaine d’années concernant la presse écrite s’actualise parfaitement avec les articles de notre échantillon mobilisant ainsi le sondage, issus pour la plupart de déclinaisons web de médias existants. Le caractère exceptionnel du résultat du sondage en fait un véritable « scoop », sur lequel la production médiatique en ligne a abondé. On retrouve d’ailleurs de manière récurrente l’expression « coup de tonnerre » pour désigner ce résultat (RTL, MSN Actualités, Le Figaro, Metro, Le Monde) et renforcer le caractère à la fois crucial et inattendu de ce dernier. Mais l’usage journalistique du sondage ne se limite pas à la justification du choix des sujets. Comme expression de l’opinion publique, il confère en effet aux journalistes une posture distanciée vis-à-vis des politiques et leur permet d’échapper aux accusations de complaisance ou au contraire de posture partisane. Ayant travaillé sur les évolutions du traitement de l’information politique, Saitta (2008) explique le glissement de la « rhétorique de l’expertise critique » vers le discours distancié par de profondes évolutions d’un champ journalistique marqué par le désenchantement, le désengagement et les contraintes économiques et professionnelles.

10Dans ces articles privilégiant une certaine neutralité énonciative, les journalistes s’emploient à recueillir des réactions et commentaires auprès du personnel politique. Leurs propos sont rapportés au discours direct, leur statut institutionnel – habilitant à la parole médiatique – est rappelé : ainsi des « ténors de l’UMP », de « la première secrétaire du PS » pour RTL, du « candidat potentiel aux primaires du PS pour 2012 », pour MSN Actualités, ou encore du « président du MoDem » pour Le Figaro. Le traitement majoritaire se caractérise ainsi par l’absence de commentaire journalistique et par la mise en scène d’une polyphonie de locuteurs autorisés. Produite par des professionnels du journalisme, l’extrême neutralité de ton présente dans ces articles correspond à l’exigence déontologique d’objectivité, portée par la presse dite « historique » et qui trouve une continuité dans les espaces de publication en ligne.

11Ferenczi (1996) et Chalaby (1998) ont montré dans une perspective historique comment, en s’émancipant à la fois de la politique partisane et de la littérature, qui en étaient le terreau, le journalisme constitué en profession s’est trouvé confronté à des enjeux économiques et marchands et s’est progressivement mué en industrie culturelle. L’objectivité peut alors être vue comme une stratégie d’évitement des clivages politiques, clivages susceptibles d’exclure une partie du public, ce qui a permis « aux entreprises médiatiques naissantes d’assurer un marché de lecteurs de plus en plus rentable et donc de maximiser leur profit » (Serrano, 2007). Une telle logique est sans doute d’autant plus saillante sur le web, où la concurrence est exacerbée et où le lecteur est d’autant moins identifiable, du fait de la volatilité des publics internautes et de la déportalisation des contenus, notamment via les infomédiaires. Ces derniers, à l’image de l’article tiré de MSN Actualités, puisent d’ailleurs largement dans les dépêches AFP, modèles achevés de neutralité énonciative et de concision factuelle, également exploitées par les gratuits tels que Metro.

12L’absence de parti pris des auteurs se retrouve également dans les choix iconographiques effectués par les sites privilégiant ce registre de discours. L’image photographique s’y veut simple illustration et se situe dans la dénotation et la redondance avec les titres des articles. C’est le cas des photos et infographies de l’article de RTL (voir figure 1) par exemple, répondant au titre « Marine le Pen en tête, quel que soit le candidat PS ». Le photomontage se présente comme un document de synthèse visuelle, basé sur des données quantitatives sourcées qui renforcent l’impression d’objectivité en même temps que le caractère irrésistible de l’ascension de la popularité de Marine Le Pen. Répond à cette infographie une photo de la candidate visiblement très satisfaite de cette ascension.

Figure 1

Captures d’écran du site de RTL

Figure 1

Captures d’écran du site de RTL

13De même, MSN Actualités et Metro font le choix d’une photographie prise en conférence de presse, événement scénographié par l’équipe de la leader frontiste, chargée de cantonner les photographes à un simple rôle d’enregistrement. Ces articles et images portent pour seule signature la mention AFP, ce qui corrobore l’impression de désengagement éditorial.

Le renoncement au débat et ses conséquences politiques

14Le cadrage « horse race » précédemment évoqué, caractéristique de ces articles, se focalise alors avant tout sur les aspects « politiciens » et stratégiques de la campagne. Reléguant la doctrine politique au second plan au profit du jeu politique, il n’autorise les journalistes à parler des personnalités politiques qu’en termes de positionnement et d’attractivité. À ce titre, les sondages et leur forte médiatisation contribuent à dessaisir les journalistes de leur autorité dans le débat politique au profit des sondeurs. Très présents dans les médias, ces derniers fournissent la matière première du débat politique et en définissent les termes. Dès lors, les journalistes s’appuient sur leurs propos pour élaborer des scénarios prospectifs reliant les intentions de vote aux offres politiques respectives des candidats. Dans notre échantillon, cette position surplombante des experts est particulièrement marquée dans les articles du site des Échos et dans celui du Monde, où les propos de « Stéphane Rozès, président de l’Institut Cap » et de « Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême droite », sont une nouvelle fois fidèlement restitués.

15L’ensemble des éléments de discours pointés dans ces articles (prédominance du factuel, neutralisation de l’énonciation, position surplombante des sondeurs) ont par le passé été identifiés comme prégnants dans la majorité des médias écrits et audiovisuels. Ils sont à nouveau très présents dans les sites d’actualité étudiés ici, que ceux-ci proviennent de la presse écrite payante (Le Figaro, Le Monde, Les Échos), de la presse gratuite (Metro), de la radio (RTL), ou encore des infomédiaires (MSN Actualités). Ils sont également mis en œuvre par le site natif de l’internet François Desouche, qui traite du sondage via une compilation d’articles et de séquences audio-visuelles essentiellement issus des médias en ligne. Ce site, qui affiche clairement son idéologie nationaliste et dont on pourrait attendre un discours plus militant, se contente pourtant d’empiler les documents privilégiant une apparente neutralité, sans aucune mise en perspective ni effort de synthèse. Il paraît alors essentiel de s’interroger sur les implications d’un tel traitement en termes politiques.

16En effet, les procédés d’auto-légitimation du discours présents sur ces sites pourraient contribuer à la légitimation de l’objet de leur discours, à savoir Marine Le Pen. Il en va ainsi de la référence répétée au « 21 avril 2002 » [9], présenté comme un précédent dans l’histoire politique française (RTL, Les Échos, MSN Actualités, Le Figaro, Metro, François Desouche, Le Monde). Or il s’agit d’un faux précédent, relevant d’un double processus de légitimation pourtant fallacieux. D’abord, il met sur le même plan scrutin présidentiel et sondage, soit deux données dont la teneur est totalement différente. Si un tel procédé sert avant tout la présentation dudit sondage comme « micro-référendum », il contribue, par ricochet, à présenter la candidate du Front national comme ayant symboliquement remporté un véritable scrutin. Cette référence crée également un second parallèle, non moins important, entre Marine Le Pen et son père, alors parvenu au second tour de l’élection présidentielle. En liant ces deux « événements », séparés par dix années, le traitement journalistique acte une filiation, une sorte de passation de pouvoir entre père et fille, qui constitue précisément l’un des enjeux de la construction de l’ethos de la candidate, comme le note Boudillon (2005) en précisant que « cette ascendance légitimante est largement mise en récit dans son discours et celui des médias » (p. 81). Des éléments, plus épars, convergent aussi vers cette légitimation de la candidate, tels que l’expression « vague marine » (Metro) proche du slogan maîtrisé sinon initié par l’équipe de communication de la candidate, ou encore l’iconographie qui représente Marine Le Pen comme une femme politique entière et impliquée, souvent associée aux couleurs du drapeau national. Par exemple, la photo de l’article du Figaro (publiée aussi par Le Monde), la montre à la tribune, alliant le geste (doigt pointé) à la parole (« Je ne pars pas pour faire de la figuration (…). Je veux porter mon projet et appliquer les solutions qui sont celles du Front national »). L’iconographie du meeting contribue là encore à construire un ethos positif de Marine Le Pen qui semble incarner l’engagement, le courage et la sincérité (Boudillon, 2005).

17Ces stratégies discursives répondent à des contraintes économiques et temporelles qui se situent dans la continuité voire l’exacerbation de celles qui ont cours dans le journalisme de presse écrite et audiovisuelle. En effet, les rédactions web, dont on connaît la propension à réaliser un travail de « desk », sont étroitement dépendantes des dépêches d’agence et des interlocuteurs professionnalisés, que Hall, Critcher et Jefferson (1978) ont désigné sous l’appellation de « définisseurs primaires » pour souligner leur facilité d’accès à la tribune médiatique et leur pouvoir de définition des situations et événements traités dans les médias. Il en résulte, dans le cas présent, que l’immense majorité de la surface éditoriale consacrée au sujet est issue de dépêches d’agence parfois très peu remaniées. Pour ces rédactions, une publication rapide et actualisée en permanence constitue un enjeu majeur, en ce qu’elle conditionne la possibilité d’obtenir l’exclusivité d’une information, la reprise sur d’autres sites, et un bon référencement par les moteurs de recherche. En privilégiant la réactivité, la concision et la neutralité factuelle, propres au registre discursif des agences de presse, ces articles n’interrogent pas les dynamiques et les enjeux du résultat du sondage. Ils contribuent ainsi implicitement à construire de la candidate frontiste la représentation d’une présidentiable légitime. Mais face à ces stratégies discursives restrictives, d’autres acteurs de l’actualité sur le web ont décidé de prendre le contre-pied en proposant un traitement engagé, subjectivé de l’information, obéissant à des valeurs radicalement différentes.

Commenter l’événement : la participation au débat social

18Loin de la présentation distanciée et de la recherche d’objectivité caractéristiques des conventions journalistiques d’écriture, certains articles s’inscrivent dans une démarche de commentaire, d’explication voire de critique et de dénonciation. Le traitement de l’information devient alors éclairage, analyse ou tribune d’opinion, au sein desquels l’engagement énonciatif – et souvent politique – du rédacteur est manifeste. De façon assez attendue, les articles regroupés autour de ce type d’approche sont principalement issus de blogs (Marc Vasseur, Mon avis t’intéresse, CSP, Seb Musset, Hashtable) mais aussi d’un site natif de l’internet (Agoravox) et de deux sites de médias en ligne (Le Point et Politis).

L’écriture réflexive et l’engagement de l’écrivant

19Comme pour la rédaction d’un éditorial ou d’un billet d’humeur dans la presse écrite, commenter l’actualité sur le web consiste en une pratique d’écriture mobilisant différentes stratégies sur le plan de l’expression comme du contenu pour séduire et convaincre autour d’une prise de position individuelle assumée. Cette pratique se rapproche de celle de « l’écrivant » (Barthes, 1964) dont la fonction serait « de dire en toute occasion et sans retard ce qu’il pense » (p. 152). Dans cet ensemble, l’article du Point fait figure d’exception. Il semble en effet correspondre aux normes du champ journalistique professionnel (objectivité, distanciation, rôle de monstration de l’image). La neutralité du journaliste confine même à l’absence de re-médiation car l’article ne présente qu’une accumulation de citations du Premier ministre, permettant à ce dernier d’exprimer une position politique en mentionnant la crise, l’emploi, mais également de façon concomitante la sécurité et l’immigration. Dès lors, s’il y a bien une analyse dans le texte du Point, il s’agit de celle d’un acteur politique auquel le média offre une tribune.

20Par-delà cet article un peu particulier, les autres textes sont longs, argumentés et travaillés sur le plan de l’écriture. L’argumentation se manifeste généralement par la multiplication des connecteurs logiques et mobilise différents procédés pour expliquer ou convaincre. Ainsi, le contributeur d’Agoravox privilégie une rétrospective narrativisée d’événements politiques récents, la blogueuse de Mon avis t’intéresse fait le choix d’une analyse critique du programme du Front National, alors que sur le site de Politis, l’auteur propose une mise en perspective de la situation en parlant d’un « déplacement historique de la droite parlementaire qui n’a certes pas commencé hier ». L’écriture est structurée en paragraphes thématiques qui ne sont pas uniquement guidés par l’injonction à « écrire court » pratiquée par les salles de rédaction des médias en ligne. Le propos est généralement introduit par une interpellation directe du lecteur (« Collision d’actualité ou message clair envoyé par les Français à leurs dirigeants ? », Hashtable) ou par un effet de style visant à susciter la curiosité (« Ils ne parlent que de ça », Agoravox). Différentes figures rhétoriques sont mobilisées parmi lesquelles l’anaphore ou l’interrogation oratoire (Hashtable, CSP, Seb Musset), l’antiphrase (« l’endoctrinement y sera différent, plus patriotique si j’ose dire… on y prônera la mal-pensance – la bien-pensance ce sera fini comme l’anti-racisme, la tolérance », Mon avis t’intéresse), ou encore la métonymie (« Allez vous faire voir rue de Solférino », CSP). La construction structurée du propos permet au rédacteur de passer par différentes postures parmi lesquelles la prédiction (« Les plus jeunes quitteront d’eux-mêmes ce pays vitrifié », Seb Musset ; « Ne vous rassurez pas à bon compte : le pire est encore à venir », CSP) ou l’avertissement (« La gauche serait bien inspirée d’en prendre conscience », Politis). Les auteurs soignent enfin la progression de l’intensité dramatique jusqu’à mobiliser un langage oralisé (absence de négation, expressions familières comme « hein !… ben… Nom di diou ! », Mon avis t’intéresse) ainsi que différentes formes oratoires d’interpellation du lecteur (« Français, Française, vous avez le destin de la Fraônce, que dis-je, le destin du Maônde entre vos mains ! », Hashtable).

21Loin des contraintes imposées à la plupart des rédactions web, l’engagement énonciatif des billets d’opinion se manifeste par l’usage du « je » (« je suis intimement convaincu », Marc Vasseur) ou d’un « nous » renvoyant à la rédaction du journal (« Pour nous, ce n’est pas franchement une surprise », Politis). Cette inscription énonciative des auteurs se double d’une responsabilité auctoriale (Foucault, 1994) car contrairement aux articles plus factuels, l’opinion est généralement signée (en amorce d’article sur Politis, dans une colonne réservée à la présentation de l’auteur sur Agoravox et dans un onglet ou un pavé dédié sur la plupart des blogs à l’exception de CSP et Hashtable qui semblent cultiver un certain mystère autour de leur identité). Loin de la construction formatée des médias en ligne précédemment évoqués, la revendication forte d’une énonciation propre et singulière trouve différentes modalités visuelles d’expression sur les sites d’autopublication individuelle. On trouve notamment différentes mises en scène de soi dans l’en-tête (un portrait sur Les jours et l’ennui de Seb Musset[10]), parfois métaphoriques ou suggestives (un gros plan sur un regard sévère derrière une paire de lunettes pour CSP). Les images sont souvent accompagnées de citations (« L’optimisme est une fausse espérance à l’usage des lâches et des imbéciles », G. Bernanos, sur le blog de Marc Vasseur), de slogans ou de projets présentés comme autant d’épigraphes (« Petites chroniques désabusées d’un pays en lente décomposition », Hashtable). Le travail graphique sert aussi à personnaliser le fond du site, avec des motifs comme les fils de fer barbelés sur le blog Mon avis t’intéresse ! À l’inverse, certains font preuve d’une grande sobriété voire d’austérité avec une interface dépouillée, sans images, presque sans couleurs (Marc Vasseur) qui peut être interprétée comme une forme de distinction et de personnalisation de l’environnement discursif.

22Au sein de cet ensemble d’articles analytiques, celui d’Agoravox se distingue du fait de l’absence totale de critique à l’encontre du sondage et des perspectives politiques qui en découlent. Le rédacteur, dans une apparente volonté d’imiter les éditorialistes politiques, explique, analyse, pronostique et se garde de toute position critique vis-à-vis du Front National, donnant l’impression, à force de bienveillance, de légitimer et d’approuver la place de sa présidente dans la vie politique française. En dehors de la situation particulière du texte publié sur Agoravox, les articles de commentaire semblent former un ensemble relativement homogène qui pourrait correspondre à la production de « l’écrivain-écrivant » défini par Barthes (1964) comme un « un type bâtard (…) qui provoque et conjure à la fois ; formellement sa parole est libre, soustraite à l’institution du langage littéraire, et cependant, enfermée dans cette liberté même, elle sécrète ses propres règles, sous forme d’une écriture commune » (p. 153). Cependant, par-delà les formes partagées de l’écriture de commentaires sur l’actualité, l’analyse révèle aussi des modalités différenciées dans l’exercice de la critique.

De l’analyse critique au pamphlet

23Considérant la position de M. Le Pen sur l’échiquier politique, les articles et billets qui analysent et commentent les résultats du sondage manifestent à des degrés divers une dimension critique et s’inscrivent dans un registre que l’on peut qualifier de polémique selon Yanoshevsky (2003). En s’appuyant notamment sur les travaux de Kerbrat-Orecchioni et Gelas (1980), elle considère la polémique [11] comme une « guerre de plumes » ou une « guerre de mots » dans laquelle on inscrit explicitement le discours de l’adversaire pour mieux le combattre. D’après de Jonge et Nicolas (2009), la polémique s’inscrit dans le principe du débat et « s’appuie donc sur un échange de “coups” rationnels par lesquels chacun s’applique à respecter, mais aussi à repousser les limites de l’acceptabilité discursive, tout en veillant à ne pas s’exclure du lieu, à s’exiler de cette communauté du verbe et se retrouver en situation d’atopie disqualifiante » (p. 55). Les blogueurs tout comme le journaliste sur le site de Politis prennent parti, soutiennent une thèse, permettent le commentaire et n’hésitent pas à interpeller les lecteurs, sans donner l’impression de vouloir se soustraire au débat. Selon Yanoshevsky (2003), le discours polémique présente une nécessaire dimension monstrative ; en s’adressant à un tiers, il cherche un appui pour vaincre l’adversaire. Les médias sont par conséquent des supports privilégiés du discours polémique. Et, a fortiori, le web permet l’interaction entre les parties prenantes du conflit et des tiers susceptibles d’adhérer à l’un ou l’autre des camps.

24Dans cette joute verbale où l’on vise la disqualification de l’autre, les rédacteurs s’en prennent principalement à trois types d’acteurs : les sondeurs, le personnel politique et enfin Marine Le Pen. Ils questionnent la validité du sondage « méthodologiquement discutable » (Politis), ou le rejettent parce qu’il propose un « scénario (…) toujours payant (…) dans la parfaite continuité du soap-opera visant à faire de la fille du fiel, la Florence Foresti de la politique » (Seb Musset). Quant à Marc Vasseur, il dénonce la « sondagite aiguë qui secoue le microcosme politique hors sol » que Politis attribue aux « politologues de service ». Le sondage, rapidement disqualifié, n’est qu’un prétexte pour introduire une réflexion sur les causes et enjeux de la montée du Front national dans l’opinion publique, qui demeure dans ces articles le cœur du débat.

25Le discours prend alors pour cible le personnel politique dans son ensemble avec une prédilection marquée pour le parti socialiste. Les auteurs basculent assez rapidement de l’explication à la dénonciation virulente en ayant recours à différents procédés de dénigrement. Les acteurs politiques sont sans cesse délégitimés et apparaissent englués dans leurs luttes partisanes, déconnectés et indifférents aux conditions de vie des électeurs, à l’image des propos de Marc Vasseur qui dénonce « la déliquescence du PS », « les conglomérats de notables », « le clientélisme qui devient la seule matrice idéologique », « vicié par un réseau d’obligés ». Les discours opposent « Deux France en 2011. Celle qui possède, qui jouit et celle qui subit, trime, stresse ou s’ennuie », Seb Musset), reprenant à leur compte une vulgate de la lutte des classes, l’idée générale étant que la gauche ne travaille plus pour « cette “France d’en bas” qui subit le libéralisme » (CSP). On note l’usage de nombreuses modélisations d’intensité, de négation et de termes dévalorisants, qui disqualifient clairement les acteurs cités uniquement par leur nom, écrit parfois sans majuscule (« besson va être content le trafic aérien va reprendre à plein régime », Mon avis t’intéresse). À travers cette diatribe virulente contre la classe politique, les énonciateurs expriment évidemment une forme d’engagement militant sur la question du Front National mais, paradoxalement, Marine Le Pen et son parti paraissent moins stigmatisés, à l’exception notable du blog Mon avis t’intéresse. La blogueuse ironise en reprenant point par point le programme du Front National et joue sur la question du genre pour ridiculiser la leader frontiste. Elle participe à la construction d’un ethos féminin négatif de Marine Le Pen (Boudillon, 2005). Ainsi, cette dernière se voit affublée du stéréotype genré de la racoleuse ou de l’écervelée, mobilisé à travers le vocable de « blonde » présent dans le titre « La tambouille d’une blonde » sur le blog Mon avis t’intéresse, ainsi que dans le billet : « Bref, la blonde, elle réfléchit comme une blonde. » Certains auteurs la comparent avec son père pour noter qu’elle est « plus lisse, moins provocatrice (…) ce qui la rend plus dangereuse » (Politis). Un photomontage illustrant le billet du blog C’est juste histoire dire (hors échantillon) présente même une femme blonde en déshabillé avec le visage de Jean-Marie Le Pen [12]. Ce procédé disqualifiant fut un temps celui des médias qui souhaitaient prendre leurs distances avec le FN en insistant sur la masculinité des traits et du comportement de Marine Le Pen, comportement tour à tour qualifié de brutal ou vulgaire : « Figure symptomatique d’une menace, […] Marine Le Pen devient alors créature hybride, mi-homme mi-femme, voire mi-père mi-fille. » (Boudillon 2005, pp. 85-86)

26Certains billets, particulièrement virulents, pourraient même s’apparenter à ce que de Jonge et Nicolas (2009) désignent comme une « posture pamphlétaire » héritée du XIXe siècle. Excessif voire extrémiste, le pamphlet est défini comme un « geste antirhétorique », une « distanciation radicale », « une provocation », un texte qui « par définition, refoule d’un lieu dont il est le seul occupant, l’impossible contradicteur » (p. 56). Ce refus du débat et de l’interaction, qui distingue radicalement le discours pamphlétaire du discours polémique, constitue une tactique assumée. Pour Hastings (2009), le pamphlétaire est « un personnage qui inscrit son être et son agir dans un “registre de la singularité”, et qui revendique un ethos fait d’irréductibilité, d’héroïsme, de solitude et d’indignation. Il est le réfractaire qui défie les autorités et dont le franc-parler fait trembler les puissants. […] La vitupération pamphlétaire se déploie donc dans un nouvel espace public du tout dire où le rôle de “conscience observante” singularise la parole politique, héroïse l’indignation et prophétise l’horizon national » (Hastings 2009, pp. 41-42). Ainsi, le rédacteur à l’humour désespéré et grinçant de Hashtable se saisit de la journée de la femme pour écrire une chronique sarcastique qui n’appelle aucune réponse, sur la nullité des acteurs politiques, hommes ou femmes. Le billet est illustré par deux photographies dont l’une présente le visage souriant de Martine Aubry grossièrement retouché pour lui donner l’aspect d’un homme mal rasé. Enfin, le texte se termine par une harangue invitant les électeurs à montrer « qu’une femme peut, elle aussi, de façon complètement consciente, ruiner un pays et foutre en l’air une nation ! ». L’auteur incarne le rôle d’un personnage solitaire et conduit le lecteur, à force d’outrances et de sarcasmes, vers une conclusion en forme d’impasse grandiloquente. Dans la même veine, mais dans un registre nettement plus grossier, le rédacteur de CSP commence son billet en dénonçant l’existence de « stupides écoles de marketing (…) où de parfaits incompétents apprennent à des neuneus en chemisette bleue comment (…) faire parler d’un site de merde ». Le billet s’acharne de façon nominative sur un blogueur pro-PS, dénonce la nullité des socialistes et conclut en affirmant : « Je ferai la même chose qu’à tous les seconds tours : je n’irai pas voter ». Ces deux blogueurs, qui par ailleurs sont les seuls de l’échantillon à masquer leur identité, s’inscrivent dans une tactique « qui vient soutenir et même renforcer l’auto-exclusion de l’énonciateur, lequel, justement, tire son statut éthique de cette exhibition positionnelle » (de Jonge & Nicolas, 2009, p. 56). La posture énonciative, les outrances langagières et iconiques semblent tisser une filiation avec la verve des journaux satiriques et pamphlétaires (Serfaty, 2006) même si les spécialistes du registre de la vitupération considèrent le pamphlet comme une forme historique indissociable du contexte post-révolutionnaire à partir duquel il s’est développé (de Jonge & Nicolas, 2009 ; Hastings, 2009).

27Sans prétendre clore le débat, on peut considérer que les auteurs d’articles critiques de notre échantillon, tout comme les blogueurs politiques étudiés par Pène (2007), manifestent un engagement explicite et revendiquent une expertise en matière d’analyse de l’actualité, avec la mobilisation de cadres théoriques (citation de Bourdieu par CSP) ou une mise en perspective historique (Politis). Cette expertise prend forme dans une pratique d’écriture régulière et argumentée, dont la subjectivité est revendiquée pour proposer une mise en intelligibilité de l’actualité. Mais l’étude montre que cette écriture critique de l’information se trouve prise dans une tension paradoxale. La revendication d’une identité singulière se combine avec un nécessaire travail de singularisation vis-à-vis des producteurs mainstream de l’information mais aussi des pairs. La liberté de ton, de sujet, sans hiérarchie et sans impératifs marketing, rencontre des normes et grammaires liées aux contraintes de mise en réseau (la reconnaissance par les pairs, le classement des blogs, l’utilisation d’interfaces préformatées) mais aussi d’une culture partagée. Les blogueurs semblent s’inscrire au croisement de deux héritages culturels : celui de la presse d’opinion que l’on retrouve jusqu’à la moitié du XXe siècle, avant que la grande majorité des journaux ne fasse le choix d’un registre plus policé, et celui des libéraux-libertaires, acteurs et activistes de l’internet. Par rapport au journalisme, Serfaty considère que les blogs politiques fonctionnent « comme un niveau de médiation supplémentaire, qui élabore un schéma d’interprétation de l’actualité partisan et polémique et participe de façon ponctuelle à la mise en agenda de certains thèmes » (2006, p. 34). La distinction n’est donc pas nécessairement synonyme de concurrence frontale et l’analyse critique ou la polémique, registres de prédilection des blogs, ne leur sont pas réservés. Des relations d’interdépendances et d’influences réciproques peuvent être observées entre médias en ligne, blogs et sites natifs de l’internet.

Prolonger l’événement : le scandale comme stratégie éditoriale

28Les sites choisissant le registre discursif du compte rendu permettent difficilement l’expression de l’opinion dans leurs articles, tandis qu’en parallèle, une partie du web produit un discours passionné sur le sujet. Ces deux types de publication d’actualités en ligne peuvent apparaître comme relativement étanches, en ce sens que le débat qui anime la blogosphère et ses communautés d’internautes semble de prime abord échapper aux médias en ligne. Or tous les sites d’actualité, de quelque catégorie qu’ils soient (blogs et sites natifs de l’internet mais également médias en ligne) ont visiblement saisi la nécessité de se positionner sur le registre de l’opinion, à partir de stratégies éditoriales et discursives leur permettant de nourrir la controverse. Sans se travestir, sans changer de registre énonciatif, des sites appartenant à différentes catégories choisissent d’agiter des éléments scandaleux pour prendre position sur le territoire de l’information en ligne. Dans notre échantillon, certains s’attachent donc à faire perdurer « l’événement médiatique » du sondage dans ses aspects polémiques. Qu’il s’agisse d’un débat d’ordre éthique sur la méthodologie du sondage Harris, lancé par Mediapart, ou des propos controversés de la députée UMP Chantal Brunel sur les immigrés, certains sites ont eu vocation à faire rebondir le sujet du sondage en lui associant des éléments périphériques, alimentant chez l’internaute l’indignation, plus encore que la réflexion ou le débat. Cette stratégie se manifeste dans les articles selon des modes différenciés de prise en charge de l’opinion. L’auteur dispose en effet de plusieurs rôles discursifs potentiels qui dépendent du contrat de communication (Charaudeau, 1997), c’est-à-dire des règles du jeu tacites auxquelles l’auteur ou l’entité à laquelle il appartient doivent se plier. Selon Yanoshevsky (2003), l’auteur endosse un rôle énonciatif impliquant un degré variable d’impartialité ou au contraire d’engagement, allant du témoignage, descriptif et largement documenté, à la coalition, signifiant que l’on se rallie à l’une des parties.

Le scoop et le suivisme médiatique

29Le premier exemple provient d’un article du site natif de l’internet Mediapart. Sous le titre « Sondage loterie / Les sondés de l’institut Harris sont paye?s ! », il peut d’abord laisser penser à une éventuelle affaire de corruption, dans laquelle les sondés auraient reçu des incitations financières pour exprimer des intentions de vote en faveur de Marine Le Pen. L’information arrive toutefois dès les premières lignes de l’article et vient démentir cet implicite, en indiquant qu’il s’agit d’une rémunération du panel sous la forme d’un jeu-concours. Si la véracité des faits qu’impose la déontologie journalistique est parfaitement respectée, il est patent que le site se place, tant par le choix d’une information exclusive que par la tournure accrocheuse du titre de l’article, dans une stratégie du scoop destinée à faire réagir non seulement les internautes mais également les autres acteurs de l’information sur le web.

30L’article de L’Expansion vient valider la stratégie de Mediapart en reprenant fidèlement l’information : l’auteur prend soin de citer à plusieurs reprises sa source et reproduit largement certains de ses passages. Si les deux sites divulguent la même information, la prise en charge énonciative diffère grandement. Du côté de Mediapart qui détient la primeur de l’information, la stratégie est clairement argumentative et consiste en une double mise en cause méthodique du sondage et de son responsable, tantôt individuel (« Jean-Daniel Levy, directeur du département opinion »), tantôt collectif (« l’Institut Harris Interactive »). La disqualification des acteurs est visible dans les verbes introductifs de discours rapportés. Jean-Daniel Lévy est ainsi « interrogé » par Mediapart et « bien obligé de (…) reconnaître » sa méthode de recrutement. Le lexique est clairement celui d’une accusation voire d’un jugement porté par l’auteur, sur un acteur qui, dans le discours, est placé dans une posture d’aveu. En position d’accusé, « Jean-Daniel Levy tente de se justifier », tentative que l’ironie de l’auteur (p. ex., « assure-t-il sans rire ») achève de rendre infructueuse aux yeux du lecteur. De plus, le journaliste de Mediapart s’implique énonciativement dans les propos tenus, ainsi que la rédaction du site par l’usage du « nous » (« dans la journée de mardi, face à la polémique provoquée par nos informations… »). Pour Datchary (2010), la dimension participative d’un site tel que Mediapart tend à modifier en son sein les pratiques rédactionnelles, dans le sens d’un desserrement des formats de production et d’un assouplissement des contraintes formelles

31En revanche, L’Expansion choisit un autre mode de gestion de l’information sensationnelle. Là où Mediapart poursuit son article avec la mention détaillée de l’initiative de deux sénateurs pour interdire de tels procédés, sans succès jusqu’alors du fait de la réticence d’une partie de la classe politique que le site ne manque d’ailleurs pas de pointer, L’Expansion s’en tient à la première information, en indiquant que cette « forme de rémunération [est] interdite, selon le site ». Il s’agit là d’une distorsion des propos de Mediapart, qui expose précisément les difficultés à légiférer sur la question. Mais l’article de L’Expansion ne restitue pas la complexité de cette information et privilégie la teneur polémique du sujet, validant ainsi la stratégie de scoop de Mediapart. Ce sont donc bien les contrats de communication respectifs des deux titres qui ont déterminé la teneur discursive de leurs articles. Là où Mediapart s’attache à pointer un objet scandaleux et à en analyser les enjeux de manière subjectivée, en conformité avec son positionnement revendiqué de média d’investigation, L’Expansion se contente d’utiliser le matériau discursif produit par le premier pour occuper l’espace médiatique sur le web. Mediapart joue dès lors un rôle particulier, en permettant aux rédactions travaillant en desk d’obtenir s’ils le souhaitent des informations en décalage avec celles traditionnellement portées par les définisseurs primaires (Hall et al., 1978).

Propos controversés, reprises et surenchères

32Une autre stratégie de publication liée au sondage consiste à se concentrer sur les réactions provoquées par les propos controversés de Chantal Brunel, proposant de « remettre les immigrés dans les bateaux », propos explicitement mis en relation avec le résultat du sondage. Ils sont produits par des médias imprimés et audiovisuels présents sur le web (L’Humanité et LCI/TF1), et par le blog Plume de Presse. Ces propos controversés ont alors largement circulé d’un site à l’autre, traversant les médias en ligne pour être mis en débat dans les blogs, dont la fonction de retraitement réflexif ou de chambre d’écho de l’information première est, là encore, patente. Mais d’importantes différences subsistent dans les modes de gestion de ces propos.

33Dans l’article du site de L’Humanité, les propos de la députée UMP sont relatés de manière distanciée, mettant en relief leur violence, alors que les discours rapportés des acteurs de gauche portent les marques de l’indignation : « Pour Pierre Laurent, “cette sortie atroce de la part de la députée UMP donne envie de vomir. On touche le fond.” » Si l’indignation est en quelque sorte « externalisée » par le propos rapporté, un parti pris est cependant notable dans l’absence d’équilibre dans le choix des locuteurs, qui sont tous de gauche. L’absence de relais des critiques formulées par certains élus de droite incline à penser que la position exprimée par Chantal Brunel serait représentative de celle de l’UMP. Si L’Humanité semble de prime abord respecter les normes professionnelles de l’écriture journalistique, ces éléments montrent que l’inscription communiste du titre n’est pas sans conséquence sur son traitement de l’information.

34Cela étant, l’assimilation de Chantal Brunel à l’ensemble de l’UMP est également présente dans le billet de Plume de presse. Mais celle-ci est alors exprimée de manière explicite et énonciativement assumée par l’auteur, conformément au contrat de communication des blogs : « Depuis la publication d’un sondage avarié reflétant la montée de l’extrême droite, l’UMP devient folle. » Plume de presse est le blog d’un journaliste professionnel devenu blogueur, qui connaît donc les conventions journalistiques tout en jouant de la liberté de ton permise par le blog. Son billet a une visée argumentative et se rapproche d’autres blogs analysés précédemment comme Seb Musset ou Marc Vasseur, tout en empruntant aux médias en ligne les procédés journalistiques de propos rapportés. Les locuteurs mis en scène y sont cependant explicitement dénigrés auprès de tiers, les lecteurs, qui sont directement interpellés, renvoyant une fois de plus à la définition de la polémique avancée par Yanoshevsky (2003).

35À l’inverse, dans l’article du site de LCI/TF1, on retrouve le principe d’enchaînements de discours rapportés sans aucune inscription explicite de l’énonciateur. Contrairement à l’article de L’Humanité, la hiérarchie des partis y est respectée en termes de positions de pouvoir dans le champ politique. En effet, les condamnations émises par des membres du PS et de l’UMP apparaissent en premier, suivies de ceux du parti communiste et du NPA. LCI/TF1 tend donc à respecter un certain équilibre dans les propos rapportés, même si cet équilibre est construit de façon différenciée en fonction du rang des partis.

36Sur un plan iconographique, les stratégies discursives des trois sites sont également cohérentes avec leurs identités éditoriales respectives. Dans L’Humanité, le parti pris du journal n’apparaît que dans l’implicite, à la lecture de la légende qui accompagne la photographie de C. Brunel : « La députée est par ailleurs présidente du groupe d’Amitié France-Cambodge… ». Sans que cela ne soit trop manifeste, la légende invite à faire le rapprochement entre les Libyens fuyant la guerre et les boat people du sud-est asiatique, ce qui rend la prise de position de Chantal Brunel plus scandaleuse encore. Dans le blog Plume de presse, l’image de petite taille montre C. Brunel, poing serré, qui s’exprime de façon apparemment véhémente, ce qui pourrait la rapprocher de Marine Le Pen, en écho au titre du billet : « UMP, FN, même combat : rejeter les migrants à la mer, et pourquoi pas couler les bateaux ? ». De son côté, LCI/TF1 publie une photographie de la députée souriante et prenant la parole dans les gradins de l’Assemblée nationale. Cette bienveillance dans le traitement iconographique de LCI/TF1 répond à un titre faisant preuve d’une très grande retenue, en évoquant de manière relativement évasive « les propos de Brunel sur “les bateaux” ».

37À travers ces deux exemples de faits marginaux relatifs au sondage, on constate que les sites d’actualité de toutes catégories, sans exception, se saisissent d’éléments factuels périphériques pour prolonger un événement médiatique dans ses aspects controversés. Mais les modes d’appréhension du sujet par les acteurs de l’information sur le web dépendent à la fois des cadres de production dans lesquels ils évoluent et des attentes de leur lectorat, lesquelles sont impulsées par l’identité éditoriale qu’ils revendiquent. C’est l’ensemble de ces éléments, qualifiés par Charaudeau (1997) de « contractuels », qui déterminent la position d’un site web d’information vis-à-vis de ses concurrents. Ces éléments nous permettent de mieux comprendre la place particulière d’initiateur du scandale d’un site comme Mediapart, ou le rôle de « simple » propagateur joué par des médias en ligne tels que LCI/TF1, L’Expansion et dans une moindre mesure L’Humanité, ou encore le statut de catalyseur de l’indignation publique dévolu aux blogs tels que Plume de presse. Ces positionnements éditoriaux, qui ne sont pas nécessairement spécifiques à l’information en ligne, s’établissent, sur le web, au sein d’un système relativement circulaire de l’information marqué par la propagation et l’inter-citation accrues des contenus, mais dans lequel des régimes différenciés de restitution des faits et des paroles se font jour, recoupant largement les catégories de sites que nous nous sommes attachés à appréhender.

Conclusion

38Dans cette étude, nous avons mis en lumière des configurations particulières du traitement de l’information. Les différents sites d’actualité construisent des énonciations éditoriales différenciées qui recoupent des cadres de production de l’information spécifiques. Les sites de médias existants, tout d’abord, répondent à des normes professionnelles qui découlent d’un travail de desk dominant largement les rédactions web. Ces derniers privilégient une énonciation distanciée et formatée, répondant à un contrat de communication fondé sur des valeurs d’objectivité. Ceci amène la plupart de ces sites à se situer dans la narration de l’événement, éventuellement dans sa prolongation à travers des événements périphériques [13]. Dans ce contexte, l’expression d’une énonciation éditoriale singulière ne peut se manifester que de façon discrète au travers d’images faiblement connotées ; et de façon indirecte avec la sélection et la mise en scène des propos rapportés ou la qualification des acteurs. Contrairement à cette première catégorie, la grande majorité des blogs, et dans une moindre mesure les sites natifs de l’internet, affichent une identité éditoriale plus originale dans laquelle l’amateurisme joue un rôle important. L’opposition à des codes professionnels restreignant l’écriture journalistique, tels que précédemment évoqués, y est flagrante, faisant de ces sites autant de lieux où s’exprime une certaine énonciation alternative. Ceci au sein d’un contrat de communication ancré dans le commentaire et l’échange entre internautes, où l’expression de la subjectivité et de l’engagement tend à constituer une norme, une obligation vis-à-vis des publics et des pairs. Enfin, certaines zones de porosité sont apparues entre ces deux grandes tendances, dans des espaces de publication relevant de médias existants comme de médias natifs de l’internet. Notre analyse a donc mis au jour une hybridation entre des tendances éditoriales jusqu’ici relativement étanches (professionnalisme ou amateurisme, publication verticale ou distribuée, engagement énonciatif ou neutralité distante), autant due à l’intérêt stratégique des médias dits traditionnels pour de nouvelles formes d’expression, notamment des formes polémiques très présentes sur l’internet, qu’à une volonté de certains contributeurs amateurs de valoriser leur contenu, y compris parfois sur un plan économique et au sein d’espaces de publication professionnalisés. Mais, comme cela a déjà été mentionné dans d’autres articles de ce dossier (notamment Marty et al., 2012), la place qu’occupent ces modalités de renouvellement du traitement de l’actualité dans les pratiques d’information effectives des internautes ne peut être appréhendée par la seule étude de l’offre d’information en ligne, fût-elle qualitative. Des études de réception de l’information en ligne, mêlant là aussi méthodes quantitatives et qualitatives, telles qu’ont pu les mettre en place Granjon et Le Foulgoc (2010), ne manqueraient certainement pas de pointer de véritables disparités dans les consultations des différentes catégories de sites, liées aux pratiques des publics internautes. Ce dernier point nous amène à rester prudent quant à un éventuel pouvoir de renouvellement du paysage de l’information sur le web, parfois conféré aux blogs et aux sites participatifs natifs de l’internet.


Annexes

Résultats synthétiques de l’analyse lexicométrique pour l’échantillonnage du corpus (logiciel Iramuteq)

39L’analyse lexicométrique a permis de distinguer quatre classes de discours correspondant en réalité à trois grands univers lexicaux [14], dont la position et le poids peuvent être succinctement présentés ainsi :

40La classe 1 représente 31,67 % du corpus. Cette classe se situe résolument dans le compte rendu factuel de la compétition électorale, se cantonnant à annoncer le résultat du sondage, avec un lexique co-occurrent tel que “Marine Le Pen”, “tour”, “premier”, “tête”, “présidentiel”, “sondage”, “Harris Interactive”, éventuellement en évoquant les noms d’autres personnalités politiques concernées par l’élection présidentielle (“Nicolas Sarkozy”, “Dominique Strauss-Kahn”, “François Hollande”, “Martine Aubry”, “Jospin”, “Villepin”) ainsi que le vocabulaire stratégique étroitement lié aux sondages (“placer”, “hypothèse”, “devancer”). Parmi les sites ayant privilégié ce lexique on peut citer Voila Actualités, Orange Actualités, Les Échos, RTL, Le Figaro, Metro, MSN Actualités. À titre illustratif, voici un passage caractéristique [15] de cette classe, tiré de notre corpus :

41

« Dans l’hypothèse d’une candidature DSK, Nicolas Sarkozy, 3e, serait éliminé dès le premier tour. Le coup de tonnerre se répète et même s’amplifie : un nouveau sondage à paraître mardi dans Le Parisien place de nouveau Marine Le Pen en tête du premier tour de la présidentielle dans les trois cas de figures les plus probables »
(Le Figaro)

42La classe 2 représente 53,8 % du corpus. Cette classe est largement constituée par l’analyse des dynamiques voire la dénonciation de la poussée du Front National (avec les mots “erreur”, “pire”, “problème”, “situation”, “débat”). Les causes, les dynamiques et les perspectives y sont interrogées de manière problématisée, comme en atteste le lexique des valeurs sociales et des thématiques politiques qui la constitue (“social”, “question”, “populaire”, “crise”, “laïcité”, “emploi”, “immigration”, etc.). Parmi les sites qui ont privilégié cette classe de discours, on trouve Marc Vasseur, Le Post, Agoravox, Le Point, CSP, Hashtable, Politis, Chroniques du Yéti. Le passage suivant est caractéristique de la classe 2 :

43

« La dynamique du Front national de cette élection semble démontrer que celle-ci va au-delà de sa seule et historique influence délétère sur un scrutin. Hénin-Beaumont est une ville populaire, où la misère sociale a fait son lit sur une crise économique qui n’a pas commencé à l’été 2007 mais à la fin des années 1970. »
(Marc Vasseur)

44La classe 3, très minoritaire, représente 4,37 % du corpus. Il s’agit alors d’une sorte d’événement périphérique, concernant la révélation par Mediapart du fait que l’institut Harris-Interactive ait proposé pour ce sondage une “rémunération” à son “panel” sous forme de “jeu-concours” permettant de gagner des bons d’achat. S’en est suivi un débat sur la “validité” méthodologique du sondage en question et, plus largement, sur la nécessité de “réguler” le fonctionnement des instituts. Parmi les sites qui ont privilégié cette classe de discours, se trouvent L’Expansion, France 3, Metro, L’Express, Voila Actualités… Le passage suivant est caractéristique de cette troisième classe :

45

« Interrogé lundi soir par Mediapart, Jean-Daniel Lévy, directeur du Département Opinion, est bien obligé de le reconnaître : pour attirer le chaland et le motiver à répondre à son enquête réalisée sur internet auprès d’environ 1 600 personnes, l’institut a organisé un jeu-concours et fait miroiter une récompense de 7000 euros »
(Mediapart)

46Enfin, la classe 4, qui représente 10,16 % du corpus, apparaît elle aussi comme relativement connexe au cœur du sujet. Il s’agit en réalité d’articles traitant de la “proposition” controversée de la “député”[e] “UMP” “Chantal Brunel” sur les “populations” en “migration” depuis la “Méditerranée”. Bien que le fait puisse être considéré là encore comme périphérique au résultat du sondage, le cadrage médiatique réalisé par un certain nombre de sites a explicitement lié les deux faits, faisant apparaître le second comme une conséquence ou une réponse au premier. Parmi les sites ayant privilégié ce discours, il y a L’Humanité, Aujourd’hui en France, LCI/TF1, Plume de presse, RTL… Le passage suivant est caractéristique de cette classe :

47

« “Il faut rassurer les Français sur toutes les migrations de populations qui viendraient de la Méditerranée. Après tout remettons-les dans les bateaux !” a osé la député UMPiste de Seine-et-Marne Chantal Brunel, s’adressant à la presse dans les couloirs de l’Assemblée. “Le temps n’est plus à la parole mais aux actes et aux décisions. Marine Le Pen n’a aucune solution à proposer.” »
(Plume de presse)

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Date de mise en ligne : 14/01/2013

https://doi.org/10.3917/res.176.0073

Notes

  • [1]
    Cette démarche s’inscrit dans le programme de recherche Ipri - Internet, pluralisme et redondance de l’information (anr-09-jcjc-0125-01b), soutenu par l’Agence nationale de la recherche. Elle vient compléter l’analyse quantitative de la variété et de la distribution des sujets d’actualité sur le web présentée dans un autre article de ce dossier (Marty et al., 2012)
  • [2]
    Analyse réalisée avec l’assistance du logiciel d’analyse de contenu Tropes : www.tropes.fr.
  • [3]
    Voir l’article de Marty et al. (2012) dans ce même dossier pour la méthodologie détaillée de sélection des sites et les critères de constitution des catégories.
  • [4]
    À l’aide de l’application ScreenGrab (http://www.screengrab.org/).
  • [5]
    Logiciel libre et gratuit développé par P. Ratinaud, laboratoire LERASS, Université Toulouse 3 (http://www.iramuteq.org/).
  • [6]
    La méthode ALCESTE consiste à découper le corpus d’articles en unités de contexte (U.C.) qui correspondent à des portions de texte dont la grandeur est de l’ordre de la phrase, pour repérer dans chacune d’elles les formes lexicales fortement co-occurrentes. Les unités de contexte les plus semblables sur le plan lexical sont regroupées au sein de classes, assimilables à autant d’univers de discours.
  • [7]
    Les résultats de cette analyse sont disponibles en annexes.
  • [8]
    Littéralement, un cadrage « course de chevaux ».
  • [9]
    Renvoyant au premier tour de l’élection présidentielle de 2002, où Lionel Jospin avait été devancé par Jean-Marie Le Pen et privé du second tour.
  • [10]
    Par commodité, nous réduisons le nom du site au seul nom du blogueur Seb Musset dans la suite du texte.
  • [11]
    Du grec polemikos signifiant « relatif à la guerre ».
  • [12]
    L’image est visible sur le blog malgré le décès de l’auteur quelques semaines après la publication du billet. Le texte suivant accompagne le montage photo : « Marine Le Pen, Évidemment que je ressemble à mon père… Les chiens ne font pas des chats non ? »
  • [13]
    La catégorie des infomédiaires peut ici être associée à cette catégorie, en ce qu’elle reproduit des articles essentiellement issus des médias en ligne.
  • [14]
    L’analyse sémio-pragmatique approfondie a amené à regrouper les classes 3 et 4 en un même univers lexical. De manière générale, on peut en effet avancer que les articles relevant des classes 3 et 4 consistent essentiellement, pour les sites qui les prennent en charge, à faire perdurer « l’événement médiatique » du sondage. Qu’il s’agisse du débat sur la validité méthodologique du sondage, ou du lien effectué par certains sites entre le sondage et les propos très droitiers de Chantal Brunel, on peut en effet penser que ces articles ont eu vocation à faire rebondir le sujet en lui adjoignant des éléments périphériques entretenant l’indignation, plus encore que le débat.
  • [15]
    Les passages caractéristiques sont fonction de la présence co-occurrente du lexique spécifique, dont est réalisé un calcul du khi² sur l’ensemble des formes lexicales du texte.

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