Notes
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[1]
« Recherches sur l’histoire des expositions universelles : pour une histoire culturelle comparée », panel co-dirigé par Duanmu Mei et Pascal Ory, avec la participation de Guido Abbatista, Yohan Ariffin, Myriam Boussahba-Bravard, Claude Hauser, Yu Wenjie, Qiao Zhaohong, Wu Zhiqiang.
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[2]
François Chaubet, Laurent Martin, Histoire des relations culturelles dans le monde contemporain, Paris, Armand Colin, 2011.
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[3]
Quelques mois avant son ouverture, la manifestation a été au centre de plusieurs affaires de corruption.
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[4]
Sur ces aspects, notamment Anne Rasmussen, « Jalons pour une histoire des congrès internationaux au xix e siècle : Régulation scientifique et propagande intellectuelle », Relations internationales (62), 1990, pp. 115‑133 ; Madeleine Herren, Hintertüren zur Macht. Internationalismus und modernisierungsorientierte Aussenpolitik in Belgien, der Schweiz und den USA, 1865-1914, Munich, R. Oldenbourg, 2000 ; Anne Rasmussen, « Tournants, inflexions, ruptures : le moment internationaliste », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle (19), 2001, pp. 2‑41 ; Madeleine Herren, Sacha Zala, Netzwerk Aussenpolitik. Internationale Kongresse und Organisationen als Instrumente der schweizerischen Aussenpolitik 1914-1950, Zurich, Chronos, 2002.
-
[5]
Outre une très précieuse bibliographie établie jusqu’en 2005 par Alexander C.T. Geppert, Jean Coffey et Tammy Lau, International Exhibitions, Expositions Universelles and World’s Fairs, 1851-2005: A Bibliography, Freie Universität Berlin, Germany, California State University, Fresno, USA, s.d. [disponible en ligne sur : http://www.fresnostate.edu/library/subjectresources/specialcollections/worldfairs/ExpoBibliography3ed.pdf, dernière consultation le 21 septembre 2015], voir Jack Masey et Conway Lloyd Morgan, Cold War Confrontations : US Exhibitions and their Role in the Cultural Cold War, Baden, Lars Müller, 2008 ; Thomas Grossbölting, « Im Reich der Arbeit »: Die Repräsentation gesellschaftlicher Ordnung in den deutschen Industrie und Gewerbeausstellungen : 1790-1914, Munich, Oldenbourg Verlag, 2008 ; Olivier Lugon (dir.), Exposition et médias : photographie, cinéma, télévision, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2012.
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[6]
Pascal Ory, 1889, L’Expo universelle, Bruxelles, éd. Complexe, 1989.
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[7]
Pour une approche récente, Olivier Lugon et François Vallotton (dir.), Revisiter l’Expo 64 : acteurs, discours, controverses, Lausanne, PPUR, 2014.
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[8]
Guido Abbattista, « Beyond the “Human Zoos”. Exoticism, Ethnic Exhibitions and the Power of Gaze », Ricerche storiche, XLV, 1-2, janvier-août 2015, pp. 207-218 ; idem, Umanità in mostra. Esposizioni etniche e invenzioni esotiche in Italia (1880-1940), Trieste, 2013.
1 Le XXIIe Congrès du Comité international des Sciences historiques (CISH) qui s’est tenu du 23 au 29 août 2015 à Jinan, dans la province chinoise du Shandong, a réuni près de 3 000 praticiens de l’Histoire venus du monde entier. Une occasion unique pour ces historiennes et historiens de confronter leurs idées, travaux et projets lors d’un événement largement médiatisé qui, à bien des égards, peut s’apparenter à une « exposition des savoirs » et une « foire aux questions », débattues en un lieu propice à la mise en réseau globale d’un milieu professionnel généralement plutôt cloisonné dans ses champs de recherche thématiques et nationaux. En portant sur ce Congrès mondial des historiens et les expositions internationales ou universelles un regard « méta » et distancié, il est aisé de déceler des parentés et des rapprochements entre ces deux événements-monde. Ce n’est donc pas un hasard si parmi les nombreux panels organisés à Jinan, une des rencontres thématiques était consacrée à la problématique des expositions universelles, abordées sous l’angle d’une histoire culturelle comparée [1]. Proposées par des chercheurs d’horizons divers, chinois et européens principalement, les contributions présentées avaient pour objectif d’analyser comment la dimension utopique de « progrès », intrinsèque à tout projet d’exposition universelle orienté vers l’échange culturel, la connaissance de l’Autre et la compréhension mutuelle, avait pu se conjuguer avec l’évolution d’un monde contemporain marquée par les conflits, les concurrences et rivalités de puissance, des débuts de l’ère industrielle au tournant du xxi esiècle.
2 Dans un monde actuel marqué par l’accroissement des contacts, des échanges et des transferts culturels, les expositions internationales, qui plus est universelles, représentent bien un espace-temps privilégié qui témoigne de la globalisation des relations culturelles internationales. Elles sont dès lors devenues, comme l’ont relevé François Chaubet et Laurent Martin dans leur synthèse consacrée à cette histoire des relations culturelles internationales, un objet d’étude prisé et « bon à penser », pour reprendre la formule adoptée dans les propos conclusifs à ce volume par Pascal Ory et Duanmu Mei [2].
3 On peut se questionner à juste titre, en tant que citoyen(ne), sur l’utilité contemporaine de ces grandes manifestations qui pourraient paraître désuètes à l’heure d’internet et de l’interconnexion généralisée. L’approche historique et donc critique de ces expositions démontre qu’elles demeurent malgré tout, au fil des éditions, comme des points d’ancrage, des « places to be » où l’important est non seulement de participer, mais aussi de procurer aux organisateurs aussi bien qu’aux visiteurs l’occasion d’un « arrêt sur images » révélateur des enjeux et interrogations de nos sociétés sur le monde contemporain. À cet égard, on ne peut qu’être frappé de l’évolution du discours des concepteurs de l’Exposition universelle de Shanghai 2010 : tout entière vouée au culte de la croissance et à la promotion du modèle économique chinois largement exposé dans un pavillon national surdimensionné, l’Expo 2010 débouche à présent sur un effort de promotion aux tons propagandistes qui présente l’expérience de Shanghai comme initiatrice d’une nouvelle ère. En muséifiant dans la mégapole chinoise l’histoire des expositions universelles présentée dans un « World Expo Museum » conçu avec l’aide du Bureau international des Expositions, les concepteurs de ce projet marquent une volonté de fixer et de modéliser une fois pour toutes, au regard du monde entier, l’expérience du « better city better life » prêchée du haut du pavillon chinois en 2010. La « fenêtre sur le monde » que l’on souhaite ainsi ouvrir à partir de ce musée consacré à l’histoire des expositions offrira à n’en pas douter aux visiteurs une vue bien particulière. En se retournant pour observer, par cette même fenêtre, les tenants et aboutissants d’un projet à bien des égards pharaonique, les futurs historiens de ce nouvel « objet d’expositions » ne manqueront pas — pour autant qu’un accès aux documents internes de conception leur soit accordé ! — de s’interroger sur les enjeux politiques et économiques d’une telle entreprise muséale, alors même que les critiques et polémiques se multiplient à propos de l’organisation des expositions les plus récentes, telles celle accueillie par Milan en cette année 2015 [3].
4 Partant de ces interrogations contemporaines sur les expositions universelles et leur signification, il nous est apparu intéressant de consacrer un numéro spécial à la problématique élargie des expositions internationales : ce choix permet en effet de renouveler le regard sur cet objet d’histoire, et ceci à un triple égard.
5 Tout d’abord, il fournit l’occasion d’élargir le cadre et de s’émanciper d’une historiographie très centrée sur les seules expositions universelles, en prenant en compte une géographie plus large de ces manifestations qui ne se limitent pas aux grandes métropoles. De par leur nombre plus important, les expositions internationales offrent une cartographie plus fine de ces événements, tant dans le temps que dans l’espace. Elles permettent d’intégrer également leur développement dans une histoire plus large des phénomènes d’internationalisation depuis la seconde moitié du xix esiècle qui passe, entre autres, par la multiplication d’associations et d’organisations supranationales, ou encore par la recrudescence des congrès et autres conférences [4]. La mise en place du réseau des foires commerciales qui se développe à partir de 1914 et qui contribue grandement à la restauration d’un « internationalisme libéral », pour reprendre les propos de Claire-Lise Deblüe, est représentative de cette évolution.
6 Ensuite, les expositions internationales, en intégrant le très large spectre des expositions thématiques, permettent d’intégrer toute une série d’objets historiques encore trop souvent négligés. Tout au long des xix e et xx esiècles, on voit ainsi apparaître des manifestations consacrées à des secteurs spécifiques (exposition internationale d’Électricité de Paris en 1881, du textile à Roubaix en 1911, puis à Lille en 1951), à des moyens de transport (l’aviation à Stockholm en 1936), à divers domaines (sport, hygiène, horticulture), ou encore à certains médias (expositions photographiques, radiophoniques, télévisuelles) comme le démontre la contribution d’Anne-Katrin Weber consacrée aux expositions internationales de télévision qui constituent le lieu premier de l’expérimentation et de la diffusion de cette nouvelle technique avant l’ère du petit écran et le triomphe de la vision domestique.
7 La réflexion plus générale sur les expositions internationales permet enfin de s’interroger sur les dispositifs mais aussi sur les formes d’organisation propres à ces événements, leur architecture et leur esthétique, les parcours plus ou moins prescrits aux visiteurs, les formes de transport, etc. Il s’agit également d’aborder toutes les manifestations qui gravitent autour de l’exposition stricto sensu qu’il s’agisse des visites officielles, des journées spéciales, des conférences ou autres projections et manifestations culturelles parallèles. L’article que Claude Hauser consacre à l’Exposition de Montréal en 1967 comme empreinte et matrice d’une Francophonie en émergence se fonde sur ces différents indicateurs pour étayer sa démonstration.
8 Plusieurs approches dans l’historiographie récente encouragent aujourd’hui une appréhension plus globale du phénomène des expositions. Il s’agit d’abord du vaste domaine de recherche caractérisé comme les « exhibition studies [5] ». Domaine particulièrement large, à vocation pluridisciplinaire, il tente en premier lieu de prêter une attention particulière aux enjeux esthétiques et scénographiques de ces expositions qui, par leur architecture mais aussi leurs langages visuels, contribuent à renouveler l’art officiel ou l’urbanisme. En deuxième lieu, les tenants de cette approche s’interrogent sur les multiples fonctions de l’exposition et ses enjeux aussi bien économiques, culturels que sociaux : l’article panoramique que propose Yohan Ariffin dans ce numéro met l’accent sur les fonctions éducatives et ludiques qui se succèdent progressivement au fil des expositions organisées durant le long xx esiècle.
9 Un deuxième axe est fourni par le renouvellement de l’histoire diplomatique et des relations internationales. Les expositions sont évidemment l’occasion pour la puissance invitante de profiter de l’attention et de l’intérêt très large de ces arènes pour s’y présenter de la manière la plus avantageuse et attractive [6]. Une manière aussi de détourner pour un temps l’attention de la population des enjeux intérieurs, souvent très préoccupants, comme en témoigne l’insécurité à la fois économique et sociale qui constitue la toile de fond de l’Exposition de Londres de 1851. Mais c’est également l’occasion pour les nations invitées d’investir cet espace et de profiter de cette tribune pour nouer des relations privilégiées ou présenter une certaine image du pays. Au niveau bilatéral, l’exemple de l’exposition de 1867 et de son importance dans l’évolution des relations franco-russes proposé par l’article d’Estelle Lebrun est parlant. L’exposition offre enfin un espace de rencontre et de discussion propre à élaborer ou consolider certains réseaux d’intérêts spécifiques, qu’il s’agisse d’unions politiques, culturelles ou plus sectorielles. À ce titre, la contribution de Myriam Boussabah-Bravard met l’accent sur l’importance de ces réunions internationales pour la promotion des intérêts de minorités engagées qui, comme les femmes suffragistes, saisissent l’occasion de ces rencontres pour faire avancer leur cause. L’exposition comme lieu de rencontre contribue aussi à l’accélération de transferts d’idées, de techniques et de marchandises qui participent à la recomposition des formes d’acculturation, voire à l’accélération de phénomènes de mondialisation, à l’échelon de la planète.
10 Enfin, notre démarche s’inspire également des apports de l’histoire culturelle tendant à ne pas voir seulement l’exposition comme miroir d’une société mais comme matrice et productrice de représentations et schèmes de perception propres à renouveler certains courants esthétiques, politiques ou sociaux, comme à faire naître de nouvelles émotions et sensibilités [7] : c’est à ce type de réflexion que nous invitent les travaux de Guido Abbattista – présent à Jinan, mais malheureusement absent de ce numéro – consacrés à l’exhibition ostentatoire de certains groupes humains au sein des expositions ethnologiques et coloniales [8].
11 L’histoire des Expositions est restée longtemps une histoire assez figée, limitée à son paramètre tant spatial que chronologique, fortement dépendante des productions documentaires officielles élaborées et conservées par les comités d’organisation et autres puissances invitantes. Sur le plan de ses représentations paradigmatiques, elle s’est construite qui plus est autour de certains emblèmes iconiques (la Tour Eiffel en 1889 ou encore l’Atomium en 1958, pour ne prendre que deux exemples) sans prendre en compte l’organisation générale mais aussi la diversité architecturale et typologique des multiples pavillons et secteurs qui la composent. Le présent numéro ouvre des pistes prometteuses sur de nouvelles sources liées aux cultures visuelles, aux manifestations périphériques ou à certaines organisations exposantes. Elles sont susceptibles de montrer une image plus contrastée de ces événements en soulignant notamment les multiples conflits dont ils sont les témoins et les prétextes. Les expositions sont en ce sens un formidable incubateur des tensions et contradictions à l’œuvre dans les sociétés qui leur tiennent lieu de cadres.
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[1]
« Recherches sur l’histoire des expositions universelles : pour une histoire culturelle comparée », panel co-dirigé par Duanmu Mei et Pascal Ory, avec la participation de Guido Abbatista, Yohan Ariffin, Myriam Boussahba-Bravard, Claude Hauser, Yu Wenjie, Qiao Zhaohong, Wu Zhiqiang.
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François Chaubet, Laurent Martin, Histoire des relations culturelles dans le monde contemporain, Paris, Armand Colin, 2011.
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[3]
Quelques mois avant son ouverture, la manifestation a été au centre de plusieurs affaires de corruption.
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Sur ces aspects, notamment Anne Rasmussen, « Jalons pour une histoire des congrès internationaux au xix e siècle : Régulation scientifique et propagande intellectuelle », Relations internationales (62), 1990, pp. 115‑133 ; Madeleine Herren, Hintertüren zur Macht. Internationalismus und modernisierungsorientierte Aussenpolitik in Belgien, der Schweiz und den USA, 1865-1914, Munich, R. Oldenbourg, 2000 ; Anne Rasmussen, « Tournants, inflexions, ruptures : le moment internationaliste », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle (19), 2001, pp. 2‑41 ; Madeleine Herren, Sacha Zala, Netzwerk Aussenpolitik. Internationale Kongresse und Organisationen als Instrumente der schweizerischen Aussenpolitik 1914-1950, Zurich, Chronos, 2002.
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[5]
Outre une très précieuse bibliographie établie jusqu’en 2005 par Alexander C.T. Geppert, Jean Coffey et Tammy Lau, International Exhibitions, Expositions Universelles and World’s Fairs, 1851-2005: A Bibliography, Freie Universität Berlin, Germany, California State University, Fresno, USA, s.d. [disponible en ligne sur : http://www.fresnostate.edu/library/subjectresources/specialcollections/worldfairs/ExpoBibliography3ed.pdf, dernière consultation le 21 septembre 2015], voir Jack Masey et Conway Lloyd Morgan, Cold War Confrontations : US Exhibitions and their Role in the Cultural Cold War, Baden, Lars Müller, 2008 ; Thomas Grossbölting, « Im Reich der Arbeit »: Die Repräsentation gesellschaftlicher Ordnung in den deutschen Industrie und Gewerbeausstellungen : 1790-1914, Munich, Oldenbourg Verlag, 2008 ; Olivier Lugon (dir.), Exposition et médias : photographie, cinéma, télévision, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2012.
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[6]
Pascal Ory, 1889, L’Expo universelle, Bruxelles, éd. Complexe, 1989.
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Pour une approche récente, Olivier Lugon et François Vallotton (dir.), Revisiter l’Expo 64 : acteurs, discours, controverses, Lausanne, PPUR, 2014.
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Guido Abbattista, « Beyond the “Human Zoos”. Exoticism, Ethnic Exhibitions and the Power of Gaze », Ricerche storiche, XLV, 1-2, janvier-août 2015, pp. 207-218 ; idem, Umanità in mostra. Esposizioni etniche e invenzioni esotiche in Italia (1880-1940), Trieste, 2013.