Notes
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[1]
Jacobo Arbenz, Discurso de renuncia a la presidencia de la Republica (Archivo Nacional de Guatemala, ANG). Pour une vue globale sur l’histoire contemporaine du Guatemala, voir Jorge Luján Muñoz, Guatemala. Breve Historia Contemporánea, Fondo de Cultura Económica, México, 2004.
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[2]
Stephen Schlesinger et Stephen Kinzer, Fruta Amarga. La CIA en Guatemala, Mexico, Siglo XXI Editores, 1987.
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[3]
Luis Cardoza y Aragón, La Revolución guatemalteca, Guatemala Ciudad, Ediciones del Pensativo, 2004.
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[4]
Pour une approche d’ensemble, voir Piedro Gleijeses, Shattered Hope. The Guatemalan Revolution and the United States, 1944-1954, Princeton, Princeton University Press, 1991.
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[5]
Préfigurant la naissance de l’OEA, le Traité interaméricain d’assistance réciproque (TIAR) avait été signé en septembre 1947 à Rio de Janeiro sur des bases proches de celles que l’on observera deux ans plus tard lors de la création de l’Organisation du traité de l’Atlantique-Nord.
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[6]
Entretien de l’auteur avec Alfonso Bauer País, ministre délégué au Travail dans le gouvernement Arévalo (Guatemala Ciudad).
-
[7]
Economic Development of Guatemala, report of mission, International Bank for Reconstruction and Development, Washington (DC), 1951.
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[8]
Soit 57 % des paysans d’après le recensement effectué en 1950. Voir Alain Destexhe, Amérique centrale. Enjeux politiques, Bruxelles, Complexe, 1989, p. 54.
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[9]
Sur la réforme agraire, cf. par exemple Jim Handy, « The most precious fruit of the Revolution. The Guatemalan Agrarian Reform, 1952-1954 », Hispanic American Historical Review, no 68, 1988, p. 675-705.
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[10]
Précisons que les États-Unis, suivis par leurs alliés, avaient décrété un embargo total des ventes d’armes au Guatemala dès la fin des années 1940.
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[11]
Eisenhower était lui-même actionnaire de la UFCO, de même qu’une grande partie de son entourage politique.
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[12]
Président du Guatemala entre 1898 à 1920, qui a signé notamment un accord offrant une concession de quatre-vingt-dix-neuf ans dans la région d’Izabal dans l’est du pays.
-
[13]
Avant sa nomination au Guatemala, John Peurifoy était ambassadeur des États-Unis en Grèce où il avait travaillé en étroite collaboration avec la CIA dans le cadre de la guerre civile.
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[14]
Notons ici que le Venezuela, qui avait connu trois années de démocratie au sortir de la Seconde Guerre mondiale, vit depuis 1948 sous la dictature du général Marcos Pérez Jiménez.
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[15]
Le texte condamne « les activités du mouvement communiste international en cela qu’elles constituent une intervention dans les affaires américaines ; exprime la détermination des États américains de prendre les mesures nécessaires pour protéger leur indépendance politique contre l’intervention du communisme international qui agit pour les intérêts du despotisme étranger ».
-
[16]
Voir Secretaría General - OEA, Carta de la Organización de los Estados Americanos, Bogotá, marzo 30 - mayo 2, 1948, Biblioteca CIRMA, Antigua, Guatemala.
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[17]
Ibid.
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[18]
« L’OEA, pour réaliser les principes sur lesquels elle se fonde et remplir ses obligations régionales en accord avec la Charte des Nations Unies, établit les principes essentiels suivants : garantir la paix et la sécurité du continent ; prévenir les possibles causes de difficultés et assurer des solutions pacifiques aux controverses qui surgissent entre les États membres ; organiser l’action solidaire de ceux-ci en cas d’agression ; offrir la solution aux problèmes politiques, juridiques et économiques qui existent entre eux et, promouvoir par le biais de l’action coopérative, leur développement économique, social et culturel » (ibid.).
-
[19]
Ce que l’historiographie a retenu sous le nom de « corollaire Roosevelt » réside en fait dans un message du président Théodore Roosevelt adressé au Congrès le 6 décembre 1904, dans lequel il est notamment mentionné que « des défaillances répétées et une carence du pouvoir se traduisant par un relâchement généralisé des liens de la société civilisée peuvent, en Amérique comme ailleurs, nécessiter en dernière ressource l’intervention de quelque nation civilisée, et, dans l’hémisphère occidental, l’adhésion des États-Unis à la doctrine Monroe peut les pousser, dans de tels cas flagrants de manquements et d’impéritie, à exercer, bien qu’à contrecœur, un pouvoir de police international ». Sur ce point et pour une mise en perspective des relations interaméricaines entre le début du XIXe siècle et le début du XXe, voir association ALEPH, « Bolivarisme, panaméricanisme, interventionnisme : trois moments pour penser l’Amérique », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no 67, 1997, p. 21-48.
-
[20]
Formulée par le président James Monroe en 1823, cette « doctrine » a souvent été détournée des intentions premières de celui qui en a jeté les principes. Loin de revendiquer un quelconque droit de regard sur les affaires internes des jeunes Républiques latino-américaines, l’adresse de Gettysburg ne fait que prôner la fraternité des peuples américains en mettant en avant le principe de sécurité commune sur le continent. Message lancé aux anciennes puissances coloniales européennes, elle s’apparente dans sa première forme à une simple déclaration d’intention cherchant à éloigner ces puissances du continent américain.
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[21]
Voir Olivier Dabène, L’Amérique latine au XXe siècle, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus », 1994, p. 89.
-
[22]
United Nations, Official Records, Security Council, 675e séance, 20 juin 1954, S/PV.675, p. 6, archives United Nations Office at Geneva (UNOG).
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[23]
Ibid.
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[24]
Le Nicaragua d’Anastasio Somoza signe le 23 avril 1954 un accord de secours mutuel avec le gouvernement américain. Il en est de même pour le Honduras, qui signe un protocole d’assistance militaire avec les États-Unis le 21 mai de la même année. Voir United Nations, Official Records, Security Council, 675e séance, op. cit., p. 33, archives UNOG.
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[25]
United Nations, Official Records, Security Council, 675e séance, op. cit., p. 12, archives UNOG.
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[26]
Rappelons ainsi que le Brésil avait été le seul pays à entrer en conflit avec l’Allemagne durant la Première Guerre mondiale (octobre 1917), rejoignant les forces alliées au nom de l’entente entre les deux pays bâtie à l’aube du siècle sous les auspices du baron de Rio Branco (ministre des Relations extérieures à Rio de Janeiro entre 1902 et 1912).
-
[27]
Le Danemark fait partie des 12 membres fondateurs de l’OTAN en avril 1949, tandis que la Turquie entre dans l’organisation en 1952. Quant à la Nouvelle-Zélande, elle intègre l’Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est (OTASE) lors de sa création en septembre 1954.
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[28]
On trouve des éléments complémentaires sur cet épisode dans André Urban, États-Unis, Tiers Monde et relations internationales, Paris, L’Harmattan, 2005 (notamment p. 33 et s.).
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[29]
United Nations, Official Records, Security Council, 675e séance, op. cit., p. 31, archives UNOG.
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[30]
Il s’agit principalement des articles 34, 35 et 39 de la Charte.
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[31]
United Nations, Official Records, Security Council, 675e séance, op. cit., p. 12, archives UNOG.
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[32]
Le Honduras, le Nicaragua, le Brésil et la Colombie sont les plus insistants pour obtenir le traitement de l’affaire devant l’OEA.
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[33]
United Nations, Official Records, Security Council, 675e séance, op. cit.. p. 16-17, archives UNOG.
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[34]
United Nations, Official Records, Security Council, 676e séance, 25 juin 1954, S/PV.676, p. 34, archives UNOG.
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[35]
Lodge to Dulles, telegr. no 876, 24 juin 1954, Department of State, Archives du Centro de Investigaciones de la Region Meso Americana (CIRMA).
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[36]
Ibid.
-
[37]
Jacobo Schifter, Costa Rica 1948. Análisis de documentos confidenciales del Departamento de Estado, Editorial Unversidad Centroamericana, 1982, p. 219.
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[38]
Le colonel Diaz était le chef d’état-major de l’armée guatémaltèque. Il propose à Arbenz de démissionner de ses fonctions de président pour lui éviter d’être déposé par l’armée.
1« Il faut chercher la vérité dans les intérêts financiers de la Compagnie fruitière (United Fruit Company) et des autres monopoles nord-américains qui ont investi de grands capitaux en Amérique latine, prenant peur que l’exemple du Guatemala se propage aux pays frères latino-américains. Le temps se chargera de démontrer que ce que je dis à présent est vrai. Malgré tout, ils s’accrochent à soutenir l’idée que le communisme international est la cause de ce qui se passe au Guatemala et c’est au nom de cette idée qu’ils essaient de saigner encore un peu plus le pays et de détruire notre économie. » [1] C’est par ces mots que le président du Guatemala, Jacobo Arbenz, renonce à ses fonctions le 27 juin 1954 devant l’avancée du lieutenant-colonel Carlos Castillo Armas, qui envahit le Guatemala à partir du Honduras à la tête d’une armée ne comptant que 150 à 200 hommes. En moins de dix jours, Castillo Armas parvient à renverser le premier régime démocratique du pays à la tête de sa petite troupe, ayant bénéficié de l’appui politique des États-Unis et du soutien financier et matériel de la Central Intelligence Agency (CIA).
2La bonne compréhension de ces événements, qui demeurent profondément ancrés dans la mémoire guatémaltèque mais n’ont paradoxalement pas fait l’objet de nombreux travaux historiques, nécessite de revenir brièvement sur le contexte historique – tant national qu’international – dans lequel se déroule ce coup d’État. Depuis le début du XXe siècle et jusqu’en 1944, le Guatemala a connu une succession de dictatures militaires maintenant en place une structure sociale fréquemment qualifiée de semi-féodale. Ces dictatures ont notamment permis aux entreprises nord-américaines de s’implanter sur le territoire et, petit à petit, de contrôler presque entièrement l’économie guatémaltèque. Parmi celles-ci, la très puissante United Fruit Company (UFCO) possède environ un tiers des terres arables du pays au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et détient par ailleurs 48 % des actions de l’International Railways Company, contrôlant ainsi les moyens de communication interne [2]. Le 20 octobre 1944 et sous la pression populaire, un coup d’État est organisé par deux militaires et un civil et renverse le président Ponce Vaides, qui venait de succéder à Jorge Ubico – président de 1931 à 1944 et allié fidèle des États-Unis [3]. Les dix années qui suivent ce coup d’État sont marquées par un exercice inédit de la démocratie, qui s’apparente très largement à un apprentissage mais n’en entraîne pas moins une profonde transformation des structures sociales et politiques du pays. Surtout, ces mutations internes au Guatemala entre 1944 et 1954 ont de fortes répercussions sur les relations avec les États-Unis qui, plus que jamais dans les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale, voient dans l’Amérique latine une zone d’influence naturelle [4].
3Outre ce contexte national particulier, l’année 1954 n’est évidemment pas anodine dans l’histoire des relations internationales. Quelques mois après l’armistice de Pan Mun Jon mettant fin à la guerre de Corée, l’accession au pouvoir de Nasser en Égypte et la défaite française à Diên Biên Phû en mai ont ravivé les tensions entre les États-Unis et l’Union soviétique, qui prennent notamment forme dans des conflits diplomatiques au sein des organisations internationales. La révolution guatémaltèque s’inscrit donc aussi dans un contexte international particulièrement tendu. En cela, elle constitue un prisme utile pour analyser le mode de fonctionnement des instances internationales créées, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, afin de trouver des solutions pacifiques aux conflits entre États : l’Organisation des Nations Unies (ONU) bien sûr, mais aussi l’Organisation des États américains (OEA) dont la charte a été signée le 2 mai 1948 à Bogotá au cours de la IXe Conférence internationale américaine [5].
4De fait, confrontée au risque de perdre le contrôle de l’économie guatémaltèque à la suite des réformes engagées par le gouvernement démocratique, la diplomatie américaine parvient à instrumentaliser les principales organisations internationales dans les mois qui précèdent le renversement d’Arbenz afin de légitimer le coup d’État et le nouveau régime, dans un rapport de force international qui dépasse de loin les frontières de l’Amérique latine.
LA DEGRADATION DES RELATIONS ENTRE LES ETATS-UNIS ET LE GUATEMALA
5Les deux gouvernements révolutionnaires, celui de Juan José Arévalo (mars 1945 - mars 1951) et celui de Jacobo Arbenz (mars 1951 - juin 1954), ont été l’objet de nombreuses tentatives de coup d’État dans la mesure où les réformes entreprises allaient pour beaucoup à l’encontre de l’oligarchie guatémaltèque et des entreprises étrangères implantées sur le territoire. Le premier gouvernement révolutionnaire, élu en 1945, mène Arévalo à la présidence. Chantre d’un « socialisme spirituel » reposant sur une pédagogie émancipatrice des individus et connu sous le nom d’arevalismo, ce philosophe de formation ayant enseigné en Argentine lance un train de réformes qui bousculent l’ordre social traditionnel. La plus importante d’entre elles est sans doute la mise en place d’un Code du travail en mai 1947 : celui-ci affirme le droit à la syndicalisation, assure une protection des travailleurs contre les licenciements abusifs ou les mauvais traitements et réglemente le travail des femmes et des mineurs. Cette loi entraîne le développement de l’activité syndicale tant en milieu urbain qu’en milieu rural au point que, dès la fin de l’année 1947, les ouvriers agricoles employés par la UFCO – première force syndicale du pays – se mettent en grève contre la compagnie nord-américaine pour exiger l’application de la nouvelle législation [6]. Le Code du travail de 1947 constitue une première source de conflits entre le gouvernement révolutionnaire et les oligarchies locales, appuyées par la UFCO. Toutefois, le Département d’État ne peut s’opposer directement à la mise en place de ce texte comparable aux codes qui existent alors dans les pays industrialisés, mais engage néanmoins des pressions diplomatiques contre l’administration Arévalo. Le Guatemala perd dès lors son statut d’allié inconditionnel des États-Unis.
6En 1951, l’élection d’Arbenz à la présidence de la République ouvre un nouveau chapitre des relations entre les deux pays. Le mandat est principalement marqué par la ratification par le Congrès du décret 900, le 17 juin 1952, qui met en place la première véritable réforme agraire en Amérique centrale. Ce texte, inspiré par les théories keynésiennes et porté par les recommandations de la Banque internationale de Reconstruction et de Développement (BIRD) [7], vise à redistribuer les terres non cultivées aux paysans non propriétaires [8]. Il vise donc les grandes exploitations agricoles, attaque les intérêts des latifundios et concerne toutes les exploitations, y compris celles de la UFCO. Bien que l’expropriation soit dédommagée par le versement d’une rente sous forme de bons agricoles valables vingt-cinq ans, les grands propriétaires terriens, alliés aux représentants de la UFCO, s’opposent vigoureusement à la mise en place de cette réforme menaçant des intérêts économiques considérables [9].
7Outre ce conflit sur la terre, une seconde source de mécontentement apparaît avec la montée en puissance du Partido Guatemalteco del Trabajo, Parti communiste rendu légal sous Arbenz. Ses membres les plus importants sont des proches du président et le premier secrétaire, José Manuel Fortuny, est le principal auteur du projet de réforme agraire. La montée en puissance des communistes au sein du gouvernement d’Arbenz contrarie non seulement l’oligarchie guatémaltèque attachée à l’ordre social traditionnel, mais aussi les autorités nord-américaines qui, dans le contexte de la guerre froide et de la crise maccarthyste, ne sauraient laisser se développer un État socialiste entre le canal de Panama et les puits de pétrole du Texas. Et ce d’autant que le Guatemala semble alors se rapprocher du bloc de l’Est, comme en témoigne la livraison d’armes en provenance de Tchécoslovaquie dans la première moitié de l’année 1954 [10]. C’est pour l’ensemble de ces raisons que Washington s’engage dans une lutte acharnée contre le gouvernement Arbenz, en déchaînant dans un premier temps une importante campagne de presse dans laquelle le Guatemala est présenté comme un satellite de Moscou menaçant la paix et la stabilité du continent américain.
8Bien que certains plans d’invasion aient vu le jour sous le mandat de Truman, c’est avec l’accession d’Eisenhower à la Maison-Blanche en janvier 1953 que le harcèlement diplomatique prend véritablement forme [11]. Le nouveau président nomme à la tête du Département d’État et de la CIA les frères Dulles, anciens avocats et actionnaires importants de la UFCO, qui font de la révolution guatémaltèque l’une de leurs priorités latino-américaines. Le premier, John Foster, qui avait rédigé au nom de la Sullivan & Co. les contrats de la UFCO avec le dictateur guatémaltèque Manuel Estrada Cabrera [12], profite de sa nouvelle fonction de secrétaire d’État pour activer immédiatement la pression diplomatique à l’échelle internationale contre le gouvernement Arbenz. Le second, Allen, qui siège au conseil d’administration de la UFCO, prend en main sous l’égide de la CIA l’opération PBsuccess destinée à renverser Arbenz par l’intermédiaire du colonel Castillo Armas, désigné pour diriger les troupes de la contre-révolution entraînées, financées et armées par l’agence nord-américaine.
9Le 17 juin 1954, la petite troupe de mercenaires honduriens et salvadoriens dirigés par Castillo Armas pénètre dans le pays en ne rencontrant aucune résistance militaire. La menace d’une invasion directe des marines, relayée par l’ambassadeur des États-Unis John Peurifoy [13], suffit à dissuader l’état-major guatémaltèque d’opposer une quelconque résistance, malgré les ordres du président. Devant l’avancée des troupes, Jacobo Arbenz se tourne alors vers les organisations internationales pour faire valoir l’intégrité territoriale de son pays et tenter de préserver le régime démocratique.
L’UTILISATION DE L’OEA PAR LES ETATS-UNIS
10Anticipant cette attitude de la part du président guatémaltèque, les diplomates nord-américains ont pris soin d’empêcher tout recours devant l’OEA dans le cadre de ce conflit. Bien au contraire, le département d’État est parvenu à utiliser l’assemblée de l’OEA pour porter sa première offensive diplomatique contre le Guatemala.
11En effet, c’est au cours de la Xe Conférence interaméricaine, qui se tient à Caracas en mars 1954, que les autorités nord-américaines s’attribuent le concours des États américains afin de préparer et de légitimer leur intervention armée [14]. Bien que l’essentiel des délégations latino-américaines présentes à Caracas entendent donner à cette conférence un tournant purement économique, l’équipe menée par John Foster Dulles fait passer au premier plan des débats un projet de résolution connue sous le nom de résolution Dulles, adoptée comme 93e résolution de l’OEA. Elle s’établit sous la forme d’une Déclaration de solidarité pour la préservation de l’intégrité politique des États américains contre l’intervention du communisme international [15]. La seule présentation de cette motion entraîne un long débat opposant Guatémaltèques et Nord-Américains. Les premiers tentent de mettre en avant l’irrégularité d’une telle déclaration au regard des articles de la charte de Bogotá qui déterminent les fonctions et attributions de l’OEA. En effet, une telle résolution semble alors contraire à l’esprit des articles 9, 10 et 15 qui rappellent le principe de souveraineté nationale reconnu par les signataires de la Charte [16]. Adopter une telle résolution revient de fait à rogner la souveraineté nationale dans le sens où elle contrarie la mise en place d’un gouvernement sur les fondements du socialisme au sein du contient américain. Elle empêche ainsi chaque État « de défendre son intégrité et son indépendance, pourvoir à sa conservation et prospérité et, par conséquent, de s’organiser comme il l’entend, légiférer selon ses intérêts, administrer ses services et déterminer la juridiction et la compétence de ses tribunaux. L’exercice de ces droits n’a pas d’autres limites que l’exercice des droits des autres États conformément au droit international » [17]. Elle s’oppose enfin à l’article 4 de la charte de l’OEA, qui définit la préservation de la sécurité du continent comme l’une des principales fonctions de l’Organisation [18]. En effet, l’adoption d’une telle motion met en péril la sécurité continentale en cela qu’elle rend légitime la condamnation et, éventuellement, le renversement de tout gouvernement qui serait taxé de communiste par ses pairs américains.
12Bien qu’ils ne soient pas clairement énoncés en tant que tels par John Foster Dulles, la résolution 93 présente de nombreux intérêts pour la diplomatie nord-américaine. D’une part, elle permet l’exportation sur l’ensemble du sous-continent latino-américain de la politique maccarthyste et apparaît comme l’internationalisation de la politique menée à l’intérieur à l’échelle du continent américain. À moyen ou long terme, ce texte ouvre la voie à une nouvelle ère hégémonique sur l’Amérique latine, en établissant une norme internationale selon laquelle aucun régime dont les orientations politiques seraient contraires ou néfastes aux États-Unis ne peut voir le jour sans que Washington ne puisse intervenir légalement. Et dans une certaine mesure, le temps semble alors revenu des interventions militaires directes, qui s’étaient multipliées en Amérique centrale et dans les Caraïbes dans les deux premières décennies du XXe siècle à la suite du corollaire Roosevelt à la doctrine Monroe (décembre 1904) et dont le Guatemala avait été lui-même victime en 1920 [19]. D’autre part et dans le cadre d’une politique à court terme, l’adoption de cette résolution revient à obtenir la condamnation du régime guatémaltèque et, par conséquent, à envisager un renversement du gouvernement d’Arbenz avec toute la légitimité qu’offre l’assemblée de l’OEA.
13La résolution Dulles fait également entrer la doctrine Monroe dans une nouvelle ère dans la mesure où elle ne s’adresse plus aux mêmes adversaires. Si, en 1823, James Monroe s’adressait aux puissances européennes [20], Dwight Eisenhower et John Foster Dulles la tournent cette fois-ci contre l’Union soviétique et, d’une manière plus générale, contre le communisme. C’est là un des points clés de l’adoption de résolution Dulles – au point qu’il faudrait peut-être parler de « corollaire Dulles » – qui fait entrer l’intégralité du continent américain dans le temps de la guerre froide et dans la lutte contre l’Union soviétique par le biais même de l’OEA.
14Bien que la résolution Dulles soit adoptée, la Xe Conférence interaméricaine entraîne cependant de vives réactions au sein des opinions publiques latino-américaines. D’une part, la plupart des États démocratiques – majoritaires dans la première moitié des années 1950 [21] – condamnent aussi bien l’adoption de cette résolution que la politique extérieure nord-américaine dans son ensemble. La presse se fait le relais de ces critiques, à l’instar du journal cubain Bohemia estimant que « des Guatémaltèques [...] ont telle ou telle opinion [...], mais [que] cela n’autorise pas à dire que le Guatemala est communiste ou constitue un péril communiste. En outre, il y a quelque chose de contradictoire à dire que le Guatemala est communiste et à vouloir le bannir du concert des peuples américains, alors que les États-Unis accordent une aide militaire, économique et technique au gouvernement yougoslave qui, lui, ne se cache pas d’être communiste » [22]. D’autre part, les dictatures du sous-continent américain appuient sans réserve la position nord-américaine. Paraît ainsi dans le quotidien français Le Monde cette analyse : « Les gouvernements qui l’ont défendue [la résolution 93] avec le plus d’enthousiasme sont justement les gouvernements dictatoriaux qui s’appuient sur une camarilla militaire et sur les représentants officiels des grandes sociétés nord-américaines. » [23] C’est en effet dans leur soutien presque inconditionnel à la politique nord-américaine que les dictateurs centre-américains voient la manière la plus sûre de conserver le pouvoir : l’appui de ces gouvernements aux États-Unis leur permet de s’assurer la continuité des relations économiques, mais aussi des alliances militaires dans un contexte où les États-Unis sont de très loin les premiers fournisseurs en Amérique latine. Ainsi, l’appui du Honduras et du Nicaragua à la CIA dans l’opération PBsuccess se traduit par la signature d’un accord bilatéral avec le gouvernement d’Eisenhower assurant une coopération stratégique, ainsi que le renouvellement des contrats militaires entre les trois pays [24].
15Malgré l’opposition de l’opinion publique et de certains chefs d’État, la résolution 93 est adoptée à l’unanimité moins trois voix – celle du Guatemala, qui vote naturellement contre, et celles de l’Argentine et du Mexique qui s’abstiennent. Les explications de ce vote se trouvent très largement dans les attentes d’une collaboration économique que le plan Marshall a détourné de l’Amérique latine au profit de l’Europe. Les États-Unis ont en effet fourni plus de 13 milliards de dollars par l’intermédiaire de la BIRD à seize nations européennes en l’espace de quatre ans, tandis que l’Amérique latine n’a reçu que 400 millions de dollars pour la même période. C’est donc aussi dans l’espoir de voir naître un plan Marshall latino-américain que la majorité des États ont adopté la résolution Dulles.
16Il semble donc que les États-Unis soient parvenus à faire voter des délégués latino-américains idéologiquement opposés au projet nord-américain par la promesse d’un renouveau de la coopération économique, au-delà même des relations diplomatiques déséquilibrées unissant les deux parties de l’hémisphère occidental depuis la fin du XIXe siècle. En somme, la conférence de Caracas correspond donc la convergence de deux dérives de la doctrine Monroe : d’une part, l’utilisation de la politique du big stick à l’égard du Guatemala et, d’autre part, l’utilisation de la diplomatie du dollar à l’égard du reste de l’Amérique latine.
LE BLOCAGE DE L’ONU
17Le 17 juin 1954, l’ordre d’attaque est donné aux troupes contre-révolutionnaires menées par Castillo Armas. Environ 150 hommes de troupe traversent la frontière hondurienne pour pénétrer sur le territoire guatémaltèque, alors que des bombardements effectués par des avions sans cocarde – mais identifiés comme étant des chasseurs bombardiers Republic P-47 Thunderbolt provenant de l’arsenal états-unien – ont pilonné certaines casernes et les principales voies d’accès du pays [25]. S’estimant victimes d’une agression par des troupes étrangères, les responsables guatémaltèques se tournent vers les Nations Unies afin de déposer un recours devant la communauté internationale et, surtout, d’obtenir un règlement du conflit.
18Étant donné le contexte international en ce milieu d’année 1954, ce recours cristallise toutefois rapidement les tensions et le conflit entre Guatemala Ciudad et Washington se retrouve bientôt pris dans le cadre plus large du conflit Est-Ouest. Il est par ailleurs utile de s’arrêter sur la composition du Conseil de sécurité à ce moment-là : outre les cinq membres permanents que sont les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Chine nationaliste et l’Union soviétique, les six membres non permanents sont presque tous acquis à la cause occidentale. Outre le Brésil et la Colombie qui entretiennent des relations étroites avec les États-Unis [26], il faut aussi relever la présence de la Turquie, du Danemark et de la Nouvelle-Zélande qui, tous trois, appartiennent alors à des systèmes d’alliance militaire qui les rattachent directement à la puissance américaine [27]. Le bloc occidental au sein du Conseil est ainsi susceptible d’atteindre la majorité des voix, avec six représentants sur les onze que compte alors le Conseil.
19L’examen de la plainte déposée par le Guatemala devant le Conseil de sécurité de l’ONU donne lieu à un nouvel affrontement entre l’équipe diplomatique soviétique et la représentation états-unienne dont l’ambassadeur, Henry Cabot Lodge, est temporairement président du Conseil et fait partie des actionnaires majoritaires de la UFCO [28]. Prenant la défense du Guatemala, l’ambassadeur soviétique, Tsarapkine, dépasse largement le cadre de la plainte examinée pour se livrer à une attaque en règle de l’ensemble de la politique étrangère nord-américaine à l’égard de l’Amérique latine. Les États-Unis répondent sur un même mode argumentaire contre la politique étrangère soviétique, en dénonçant les manœuvres communistes et en soulignant que « le communisme international se sert du Guatemala comme d’un instrument » [29] pour pousser l’ingérence jusque dans les affaires internes du continent américain. La plainte déposée par le Guatemala est donc vite supplantée par une guerre diplomatique générale, qui met de côté les véritables enjeux du problème au sein du Conseil.
20En outre, tout comme à Caracas lors de la Xe Conférence interaméricaine, la question de l’invasion du Guatemala par des troupes étrangères est également supplantée par un ensemble de discussions juridiques concernant les compétences des différentes organisations internationales susceptibles d’intervenir sur la question. La position guatémaltèque, qui consiste à saisir le Conseil de sécurité de l’affaire, est mise à l’épreuve par d’autres délégations, contrôlées et poussées par les États-Unis, qui insistent sur les lois internationales pour décharger le Conseil de sécurité du cas en arguant qu’il relève de l’autorité de la Commission de la paix de l’OEA. La représentation guatémaltèque s’appuie sur différents articles de la Charte des Nations Unies [30] qui permettent au Conseil de sécurité d’intervenir directement, soit par la prise de mesures de coercition soit par l’envoi d’une force d’interposition dans le pays concerné. Elle demande notamment au « Conseil de sécurité de constituer une commission d’observation [et que...] cette commission d’observation se rende au Guatemala et, le cas échéant, dans d’autres pays » [31] afin de geler la situation et de maintenir ainsi le régime en place. Quant aux délégations latino-américaines [32] alliées aux États-Unis, elles mettent en avant l’article 52 de la Charte en préconisant le renvoi de la plainte devant la Commission de la paix de l’OEA : « 2 – Les membres des Nations Unies qui concluent ces accords ou constituent ces organismes doivent faire tous leurs efforts pour régler d’une manière pacifique, par le moyen desdits accords ou organismes, les différends d’ordre local, avant de les soumettre au Conseil de sécurité. 3 – Le Conseil de sécurité encourage le développement du règlement pacifique des différends d’ordre local par le moyen de ces accords ou de ces organismes régionaux, soit sur l’initiative des États intéressés, soit sur le renvoi du Conseil de sécurité. » Obtenir le renvoi de l’affaire devant l’OEA permettrait, sans aucun doute, de voir la demande guatémaltèque d’un règlement pacifique et international rejetée par les États américains dans la mesure où la Conférence de Caracas avait déjà indirectement condamné le Guatemala, trois mois auparavant. L’importance des États-Unis au sein de cette organisation laisse supposer que tous les moyens pourraient alors être mis en œuvre pour retarder les conclusions de la Commission de la paix de l’OEA et laisser ainsi le plan d’invasion se dérouler jusqu’à son terme. En effet, il s’agit là de l’une des clés de la stratégie nord-américaine pour laisser le temps aux troupes de Castillo Armas de mener à bien leur campagne militaire et de renverser le gouvernement révolutionnaire.
21Après l’adoption d’une motion déposée par la France faisant « appel pour qu’il soit mis fin immédiatement à toute action susceptible de provoquer l’effusion de sang » [33], une nouvelle session du Conseil est réunie le 25 juin 1954. Cette séance démontre une fois de plus que la procédure juridique prend le pas sur l’examen véritable de la demande guatémaltèque. En effet, au fil d’un débat une fois de plus houleux, l’ordre du jour – à savoir l’examen de la question guatémaltèque – est rejeté à la suite d’un vote « par cinq voix contre quatre, avec deux abstentions » [34]. L’abstention des délégations française et britannique lors de ce vote condamne de fait le gouvernement Arbenz.
22Pourtant, ces deux membres permanents du Conseil s’étaient intéressés de près au cas guatémaltèque lors de la 675e séance. Ce changement de ligne politique trouve sa racine dans les pressions et les menaces lancées en privé par Cabot Lodge la veille de la tenue de la 676e séance du Conseil de sécurité. Un télégramme daté du 24 juin 1954, adressé par le représentant nord-américain, Cabot Lodge, à John Foster Dulles, indique que le président du Conseil de sécurité a clairement menacé ses homologues européens des conséquences géopolitiques qu’engendrerait un vote en faveur de l’ordre du jour [35]. Il y est notamment révélé que Henry Cabot Lodge « était chargé par le Président de leur dire que si la Grande-Bretagne et la France estimaient qu’elles devaient adopter une ligne indépendante en soutenant l’actuel gouvernement du Guatemala, nous [le gouvernement des États-Unis] nous sentirions libres d’adopter une ligne également indépendante concernant des sujets tels que l’Égypte et l’Afrique du Nord, sujets sur lesquels nous avions malgré tout essayé d’exercer la plus grande compréhension de sorte à ne pas embarrasser la Grande-Bretagne et la France » [36]. En menaçant les États européens de venir en aide aux mouvements nationalistes ou indépendantistes qui secouent alors les colonies ou zones d’influence du Vieux Continent et encore de menacer directement les intérêts économiques de ces pays, la délégation nord-américaine contraint ses homologues européens à ne pas s’opposer à sa position et assure ainsi l’hégémonie et le droit d’ingérence des États-Unis en Amérique latine. En dirigeant ses menaces sur l’Égypte, Henry Cabot Lodge fait clairement référence à la question du canal de Suez qui représente, tant pour les Français que pour les Anglais, une position stratégique et économique de première importance dont l’arrivée au pouvoir de Nasser rend l’avenir incertain. Et c’est d’ailleurs dans une logique comparable que la crise de 1956 sera finalement réglée au détriment des intérêts français et britanniques. Quant aux menaces pesant sur l’Afrique du Nord, elles sont plus spécifiquement dirigées contre le gouvernement français qui, quelques semaines après la défaite de Diên Biên Phû, s’inquiète de la radicalisation nationaliste agitant le Maghreb.
23Le règlement de l’affaire guatémaltèque, finalement enterrée au Conseil de sécurité de l’ONU, traduit donc parfaitement la manière dont les États-Unis, dans la continuité des accords de Yalta, négocient par la menace le partage du monde en zones d’influences avec leurs homologues européens. En adoptant cette démarche, le gouvernement nord-américain affirme sa suprématie diplomatique sur l’Europe en même qu’il renforce sa chasse gardée latino-américaine. Et comme en témoignent les sources relatives aux débats du Conseil de sécurité, la mise en parallèle des empires coloniaux européens et de l’Amérique centrale tend à ériger celle-ci en véritable « colonie » des États-Unis dans l’imaginaire des diplomates, d’un point de vue économique au moins.
CONCLUSION
24Bien que peu connu par l’historiographie, le conflit américano-guatémaltèque apparaît comme un excellent révélateur des tensions parcourant les relations internationales dans la première moitié des années 1950, de la manière dont les États-Unis conçoivent leurs relations avec l’Amérique latine et du mode de fonctionnement des organisations internationales. Le gouvernement américain de Dwight Eisenhower est parvenu en 1954 à réaffirmer l’hégémonie politique américaine sur de nombreux terrains. Sans même discuter du fait que le Guatemala d’Arévalo et d’Arbenz soit un État communiste ou non, les manœuvres nord-américaines au sein des organisations internationales ont permis à l’équipe gouvernementale états-unienne d’imposer deux lignes très claires. La première, de court terme, a permis de légitimer une intervention armée contre un État souverain au sein même d’une organisation internationale supposée garantir la paix et la sécurité sur le continent américain, grâce à la superposition de la diplomatie du dollar et la tactique du big stick. Par ailleurs et à plus long terme, les États-Unis précipitent l’intégralité du continent américain dans la guerre froide – avant même la prise de La Havane par les troupes castristes en janvier 1959. Washington semble alors renouer avec la politique d’impérialisme économique du début du siècle, tout en imposant un contrôle politique du sous-continent. Le temps de la politique de bon voisinage et d’un panaméricanisme bien compris est définitivement révolu.
25Si l’OEA a été instrumentalisée par les États-Unis, l’équipe diplomatique en poste à l’ONU s’est contentée de bloquer le fonctionnement du Conseil de sécurité en insérant la question guatémaltèque dans un cadre international dépassant de loin les frontières de l’hémisphère occidental. Comme l’explique Jacobo Schifter, « grâce au fait que les États-Unis présidaient le Conseil de sécurité des Nations Unies durant l’assaut rebelle au Guatemala, [ils] ont neutralisé et rendu inutiles tous les efforts entrepris par le Guatemala pour obtenir l’aide internationale » [37]. Bien que l’organisation du Conseil et la surreprésentation de leurs Alliés leur aient facilité la tâche, il leur a néanmoins fallu menacer directement deux membres permanents pour pouvoir s’imposer. Cela démontre une vision globale du monde et des relations internationales, dont une approche uniquement centrée sur les organisations régionales – OEA, OTAN, OTASE, etc. – ne saurait rendre compte et à laquelle l’Europe a été contrainte de se soumettre au détriment du caractère universaliste de la Charte des Nations Unies.
261954 marque une victoire de la diplomatie américaine sur tous les fronts et constitue une date charnière dans l’histoire des relations internationales comme dans celle des relations interaméricaines. Pour le Guatemala, cette année-là marque également le retour de la dictature militaire : le rejet par l’armée des ordres d’Arbenz, dû à la pression nord-américaine, permet à Castillo Armas de s’imposer sans rencontrer aucune résistance. Le 2 juillet 1954, l’ambassadeur nord-américain en poste à Guatemala Ciudad, Peurifoy, négocie le pacte de San Salvador entre le colonel Díaz [38] – chef du gouvernement provisoire – et Castillo Armas qui se voit conférer tous les pouvoirs. Le lendemain, Castillo Armas fait une entrée triomphale dans la capitale et son gouvernement est immédiatement reconnu par les États-Unis, puis par les autres États latino-américains. Élu président de la République le 1er novembre par la junte transitoire de gouvernement qu’il dirigeait depuis juillet, le nouvel homme fort du Guatemala s’empresse d’annuler la réforme agraire, rendant ainsi les terres expropriées à leurs anciens propriétaires – au premier rang desquels la UFCO – alors que quelque 500 000 Guatémaltèques avaient bénéficié de ladite réforme.
Notes
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[1]
Jacobo Arbenz, Discurso de renuncia a la presidencia de la Republica (Archivo Nacional de Guatemala, ANG). Pour une vue globale sur l’histoire contemporaine du Guatemala, voir Jorge Luján Muñoz, Guatemala. Breve Historia Contemporánea, Fondo de Cultura Económica, México, 2004.
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[2]
Stephen Schlesinger et Stephen Kinzer, Fruta Amarga. La CIA en Guatemala, Mexico, Siglo XXI Editores, 1987.
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[3]
Luis Cardoza y Aragón, La Revolución guatemalteca, Guatemala Ciudad, Ediciones del Pensativo, 2004.
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[4]
Pour une approche d’ensemble, voir Piedro Gleijeses, Shattered Hope. The Guatemalan Revolution and the United States, 1944-1954, Princeton, Princeton University Press, 1991.
-
[5]
Préfigurant la naissance de l’OEA, le Traité interaméricain d’assistance réciproque (TIAR) avait été signé en septembre 1947 à Rio de Janeiro sur des bases proches de celles que l’on observera deux ans plus tard lors de la création de l’Organisation du traité de l’Atlantique-Nord.
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[6]
Entretien de l’auteur avec Alfonso Bauer País, ministre délégué au Travail dans le gouvernement Arévalo (Guatemala Ciudad).
-
[7]
Economic Development of Guatemala, report of mission, International Bank for Reconstruction and Development, Washington (DC), 1951.
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[8]
Soit 57 % des paysans d’après le recensement effectué en 1950. Voir Alain Destexhe, Amérique centrale. Enjeux politiques, Bruxelles, Complexe, 1989, p. 54.
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[9]
Sur la réforme agraire, cf. par exemple Jim Handy, « The most precious fruit of the Revolution. The Guatemalan Agrarian Reform, 1952-1954 », Hispanic American Historical Review, no 68, 1988, p. 675-705.
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[10]
Précisons que les États-Unis, suivis par leurs alliés, avaient décrété un embargo total des ventes d’armes au Guatemala dès la fin des années 1940.
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[11]
Eisenhower était lui-même actionnaire de la UFCO, de même qu’une grande partie de son entourage politique.
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[12]
Président du Guatemala entre 1898 à 1920, qui a signé notamment un accord offrant une concession de quatre-vingt-dix-neuf ans dans la région d’Izabal dans l’est du pays.
-
[13]
Avant sa nomination au Guatemala, John Peurifoy était ambassadeur des États-Unis en Grèce où il avait travaillé en étroite collaboration avec la CIA dans le cadre de la guerre civile.
-
[14]
Notons ici que le Venezuela, qui avait connu trois années de démocratie au sortir de la Seconde Guerre mondiale, vit depuis 1948 sous la dictature du général Marcos Pérez Jiménez.
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[15]
Le texte condamne « les activités du mouvement communiste international en cela qu’elles constituent une intervention dans les affaires américaines ; exprime la détermination des États américains de prendre les mesures nécessaires pour protéger leur indépendance politique contre l’intervention du communisme international qui agit pour les intérêts du despotisme étranger ».
-
[16]
Voir Secretaría General - OEA, Carta de la Organización de los Estados Americanos, Bogotá, marzo 30 - mayo 2, 1948, Biblioteca CIRMA, Antigua, Guatemala.
-
[17]
Ibid.
-
[18]
« L’OEA, pour réaliser les principes sur lesquels elle se fonde et remplir ses obligations régionales en accord avec la Charte des Nations Unies, établit les principes essentiels suivants : garantir la paix et la sécurité du continent ; prévenir les possibles causes de difficultés et assurer des solutions pacifiques aux controverses qui surgissent entre les États membres ; organiser l’action solidaire de ceux-ci en cas d’agression ; offrir la solution aux problèmes politiques, juridiques et économiques qui existent entre eux et, promouvoir par le biais de l’action coopérative, leur développement économique, social et culturel » (ibid.).
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[19]
Ce que l’historiographie a retenu sous le nom de « corollaire Roosevelt » réside en fait dans un message du président Théodore Roosevelt adressé au Congrès le 6 décembre 1904, dans lequel il est notamment mentionné que « des défaillances répétées et une carence du pouvoir se traduisant par un relâchement généralisé des liens de la société civilisée peuvent, en Amérique comme ailleurs, nécessiter en dernière ressource l’intervention de quelque nation civilisée, et, dans l’hémisphère occidental, l’adhésion des États-Unis à la doctrine Monroe peut les pousser, dans de tels cas flagrants de manquements et d’impéritie, à exercer, bien qu’à contrecœur, un pouvoir de police international ». Sur ce point et pour une mise en perspective des relations interaméricaines entre le début du XIXe siècle et le début du XXe, voir association ALEPH, « Bolivarisme, panaméricanisme, interventionnisme : trois moments pour penser l’Amérique », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no 67, 1997, p. 21-48.
-
[20]
Formulée par le président James Monroe en 1823, cette « doctrine » a souvent été détournée des intentions premières de celui qui en a jeté les principes. Loin de revendiquer un quelconque droit de regard sur les affaires internes des jeunes Républiques latino-américaines, l’adresse de Gettysburg ne fait que prôner la fraternité des peuples américains en mettant en avant le principe de sécurité commune sur le continent. Message lancé aux anciennes puissances coloniales européennes, elle s’apparente dans sa première forme à une simple déclaration d’intention cherchant à éloigner ces puissances du continent américain.
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[21]
Voir Olivier Dabène, L’Amérique latine au XXe siècle, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus », 1994, p. 89.
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[22]
United Nations, Official Records, Security Council, 675e séance, 20 juin 1954, S/PV.675, p. 6, archives United Nations Office at Geneva (UNOG).
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[23]
Ibid.
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[24]
Le Nicaragua d’Anastasio Somoza signe le 23 avril 1954 un accord de secours mutuel avec le gouvernement américain. Il en est de même pour le Honduras, qui signe un protocole d’assistance militaire avec les États-Unis le 21 mai de la même année. Voir United Nations, Official Records, Security Council, 675e séance, op. cit., p. 33, archives UNOG.
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[25]
United Nations, Official Records, Security Council, 675e séance, op. cit., p. 12, archives UNOG.
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[26]
Rappelons ainsi que le Brésil avait été le seul pays à entrer en conflit avec l’Allemagne durant la Première Guerre mondiale (octobre 1917), rejoignant les forces alliées au nom de l’entente entre les deux pays bâtie à l’aube du siècle sous les auspices du baron de Rio Branco (ministre des Relations extérieures à Rio de Janeiro entre 1902 et 1912).
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[27]
Le Danemark fait partie des 12 membres fondateurs de l’OTAN en avril 1949, tandis que la Turquie entre dans l’organisation en 1952. Quant à la Nouvelle-Zélande, elle intègre l’Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est (OTASE) lors de sa création en septembre 1954.
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[28]
On trouve des éléments complémentaires sur cet épisode dans André Urban, États-Unis, Tiers Monde et relations internationales, Paris, L’Harmattan, 2005 (notamment p. 33 et s.).
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[29]
United Nations, Official Records, Security Council, 675e séance, op. cit., p. 31, archives UNOG.
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[30]
Il s’agit principalement des articles 34, 35 et 39 de la Charte.
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[31]
United Nations, Official Records, Security Council, 675e séance, op. cit., p. 12, archives UNOG.
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[32]
Le Honduras, le Nicaragua, le Brésil et la Colombie sont les plus insistants pour obtenir le traitement de l’affaire devant l’OEA.
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[33]
United Nations, Official Records, Security Council, 675e séance, op. cit.. p. 16-17, archives UNOG.
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[34]
United Nations, Official Records, Security Council, 676e séance, 25 juin 1954, S/PV.676, p. 34, archives UNOG.
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[35]
Lodge to Dulles, telegr. no 876, 24 juin 1954, Department of State, Archives du Centro de Investigaciones de la Region Meso Americana (CIRMA).
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[36]
Ibid.
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[37]
Jacobo Schifter, Costa Rica 1948. Análisis de documentos confidenciales del Departamento de Estado, Editorial Unversidad Centroamericana, 1982, p. 219.
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[38]
Le colonel Diaz était le chef d’état-major de l’armée guatémaltèque. Il propose à Arbenz de démissionner de ses fonctions de président pour lui éviter d’être déposé par l’armée.