Notes
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[1]
Je remercie Samuel Delpeuch ainsi que l’équipe de Regards Croisés sur l’Économie pour leur relecture attentive et leurs nombreuses remarques.
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[2]
Afin de localiser leurs profits dans les paradis fiscaux, les entreprises peuvent distordre à la hausse les prix de leurs imports avec leurs filiales localisées dans des paradis fiscaux et à la baisse le prix de leurs exports vers ces filiales. Ces pratiques sont interdites par les régulations de prix de transfert qui établissent que le prix des transactions entre entités du même groupe doit être le même que le prix de marché afin de ne pas distordre l’allocation des profits entre les entités du groupe.
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[3]
Les LuxLeaks sont une fuite dans la presse ayant révélé en 2014 les rescrits fiscaux avantageux (tax rulings) pratiqués par le Luxembourg et les montages fiscaux des entreprises en profitant.
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[4]
Comme le montre le recours récurrent à la formule « Nous payons toutes les taxes que nous devons et nous conformons aux règles fiscales de tous les pays dans lesquels nous opérons à travers le monde » par les entreprises accusées d’évasion fiscale dans les médias.
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[5]
Cette spécialisation n’est pas anodine. Laffitte et Toubal (2019) étudient l’utilisation des paradis fiscaux par les entreprises états-uniennes et suggèrent que la spécialisation sectorielle des paradis fiscaux est corrélée à leurs caractéristiques géographiques.
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[6]
Voir par exemple le cas dans le célèbre Sandwich Hollandais (employé notamment par Google) qui utilise l’Irlande, les Bermudes et les Pays-Bas dans sa structure.
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[7]
Selon les données de l’IRS (https://www.irs.gov/statistics/soi-tax-stats-country-by-country-report).
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[8]
En appliquant le taux de taxe officiel de 33,3 %, on trouve des pertes fiscales autour de 10 milliards d’euros.
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[9]
En France, l’écart de TVA, qui mesure la différence entre les recettes de TVA attendues et perçues, est de 20 milliards d’euros en 2015. En plus de la fraude et de l’évitement, cet écart dépend des cas de faillite, insolvabilité et erreurs de mesures.
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[10]
Les Paradise Papers sont une fuite dans la presse révelant des documents confidentiels issus d’un cabinet d’avocats spécialisé dans le secteur offshore.
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[11]
Voir également à ce sujet l’encadré de Samuel Delpeuch dans ce numéro.
Argent caché et paradis fiscaux : de quoi parle-t-on ?
1Pourquoi évoque-t-on les paradis fiscaux lorsqu’on se demande où est l’argent ? À quel argent fait-on alors référence ? Et quelle quantité se trouve dans ces endroits que l’on nomme les paradis fiscaux ?
2La réponse, nous allons le voir plus loin, tient en partie dans les effets distributifs des paradis fiscaux. La recherche récente a montré que l’utilisation des paradis fiscaux était principalement le fait des individus les plus riches (selon Alstadsæter et al., 2019 qui utilisent des données scandinaves, les 0,01 % les plus riches évitent près d’un quart de leurs taxes totales quand en moyenne un individu de leur échantillon n’évade que 5 % de ses taxes) et des plus grandes entreprises (Davies et al., 2018 suggèrent que la distorsion des prix de transfert [2] est réservée aux plus grandes entreprises). Ainsi l’utilisation des paradis fiscaux, en plus d’ôter des revenus fiscaux aux États, participerait à rendre le système fiscal moins progressif, voire régressif, et à enrichir les individus et entreprises les plus riches. Une autre raison est probablement la complexe ingénierie fiscale mise en place par les individus et entreprises soustrayant leurs revenus à leur taxation normale. Les LuxLeaks [3] ainsi que de récents livres (par exemple Shaxson, 2018) ont mis en exergue la complexité des montages en lien avec les paradis fiscaux.
3Il n’existe pas de définition communément admise des paradis fiscaux. Le vocabulaire pour les désigner est souvent riche, et l’on utilise parfois des substituts imparfaits, comme le terme de centre financier offshore faisant référence à des juridictions délivrant de manière conséquente des services financiers à des non-résidents (donc bien souvent des paradis fiscaux !). En suivant l’OCDE (2000) et Palan et Chavagneux (2017), il est possible de déterminer un ensemble de critères pour définir les paradis fiscaux. Ce sont des territoires avec un faible niveau de taxation, un échange d’information avec les autorités fiscales étrangères limité et n’ayant pas d’activité économique substantielle. Plusieurs caractéristiques peuvent être ajoutées comme l’existence du secret bancaire, la (non-)présence d’accords d’échange d’informations avec d’autres pays, des procédures administratives d’enregistrement d’une entreprise simplifiées, etc. Il est important de noter que les paradis fiscaux correspondent à divers cadres souverains, allant de pays indépendants (l’Irlande ou la Suisse par exemple) à des territoires outre-mer dépendants (c’est le cas des Îles Caïmans ou des Îles anglo-normandes qui sont sous souveraineté directe du Royaume-Uni), ou même des parties d’un territoire (le canton de Vaud en Suisse a pu être considéré comme un paradis fiscal dans le paradis fiscal ; l’État du Delaware aux États-Unis est également identifié comme tel).
4En fonction de sa spécialisation, un paradis fiscal peut être utilisé par des individus ou des entreprises afin de diminuer de manière significative le montant de leurs impôts. Précisons d’abord le vocabulaire que nous utiliserons : nous considérerons sous le terme « évasion fiscale » l’ensemble des comportements, d’entreprises ou d’individus, illégaux ou non, visant à déplacer des revenus afin de les soustraire à l’autorité fiscale détenant un droit à taxer ces revenus en accord avec l’esprit de la loi. L’évasion fiscale se divise alors entre la fraude fiscale, clairement illégale, et l’évitement fiscal ou optimisation agressive, se situant dans la zone grise entre légalité et illégalité [4]. À noter que la loi française, contrairement à la common law anglo-saxonne, prévoit la notion d’abus de droit, permettant de taxer des opérations profitant de montages artificiels mais légaux visant uniquement à réduire le montant de ses impôts. Le but est alors de faire respecter l’esprit de la loi même lorsque la lettre en est respectée.
5Chaque paradis fiscal est différent car chacun propose une combinaison de dispositions législatives différentes. Celles-ci s’articulent autour de deux grands axes : i) les dispositions visant à réduire l’imposition, ii) les dispositions garantissant une opacité à même de permettre des montages fiscaux avec d’autres paradis fiscaux, ou de garantir l’anonymat de certains fonds, souvent ayant des origines et des usages illégaux (drogue, terrorisme). Autour de ces grands axes, chaque paradis fiscal se spécialise encore dans une activité [5]. Par exemple, l’Irlande est connue pour accueillir (ou avoir accueilli) la propriété intellectuelle de grands groupes comme Apple et Google, mais aussi pour accueillir beaucoup d’entreprises pharmaceutiques. Le Luxembourg est souvent utilisé pour son système de holdings, le Panama pour le secret administratif qu’il permet ainsi que l’immatriculation offshore de navires. Certains paradis fiscaux sont beaucoup plus employés par les individus quand d’autres se spécialisent dans l’accueil d’entreprises. Cette spécialisation implique que plusieurs paradis fiscaux sont souvent utilisés dans une même stratégie d’évasion et de fraude fiscale afin de profiter des avantages fournis par chacun [6]. Enfin, il faut noter que certains paradis fiscaux offrent des rescrits fiscaux, c’est-à-dire qu’ils permettent aux entreprises de négocier directement avec l’administration leur propre niveau de taxation. C’est ce qu’ont révélés les LuxLeaks pour le Luxembourg.
Quelques chiffres pour comprendre les paradis fiscaux
6Au niveau mondial, plusieurs estimations pointent l’effet d’attraction au-dessus de la normale de la part des paradis fiscaux sur les flux monétaires et d’investissement : par exemple 30 % des stocks d’Investissement Directs à l’Étranger transiteraient par des paradis fiscaux (Haberly et Wojcik, 2015). Si ces pays sont parfois les véritables destinataires du flux, la recherche a montré qu’ils ne jouent en général qu’un rôle de conduit de l’investissement qui permettra à l’investisseur de profiter de certaines dispositions fiscales ou administratives du paradis fiscal.
7Le manque à gagner lié à la présence des individus et des entreprises dans des paradis fiscaux a fait l’objet d’une large littérature. Celui-ci n’est pas facile à estimer car ces pratiques sont le plus souvent cachées. Il faut procéder à des détours, ce qui produit une large variété de méthodologies aboutissant à des résultats différents. Nous pouvons cependant tracer des grandes lignes.
8Pour les individus, un récent papier d’Alstadsæter et al. (2019) estime que la richesse mondiale détenue dans les paradis fiscaux en 2015 correspond à plus de 11 % du PIB mondial. La Suisse, malgré son rôle déclinant depuis le milieu des années 2000 absorbe près d’un quart de cette richesse. La richesse détenue dans ces pays varie fortement en fonction des pays d’origine des fonds. Si la France se situe un peu au-dessus de la moyenne des richesses détenues dans des paradis fiscaux avec 15 % de son PIB, ce chiffre est de plus de 70 % du PIB aux Émirats arabes unis en 2007.
9En ce qui concerne les entreprises multinationales, les études chiffrent entre 80 et 647 milliards de dollars le manque à gagner fiscal lié au déplacement de profits dans les paradis fiscaux. De manière certaine, on peut remarquer qu’en 2016 les profits enregistrés par les entreprises états-uniennes dans les paradis fiscaux correspondaient à 40 % de leurs profits à l’étranger alors que l’emploi dans ces pays était de seulement 7 % de leur emploi total à l’étranger [7]. Si tous ces profits ne sont pas forcément le fruit d’évasion fiscale, ils ne résultent pas uniquement de l’activité productive de ces territoires, comme le révèle la grande différence entre part des profits et part de l’emploi. À l’échelle française, plusieurs études estiment autour de 30 milliards les profits déplacés dans des juridictions à bas taux de taxation en 2015 (voir Vicard, 2019 ou Torslov, Wier et Zucman, 2018). Ces estimations sont à comparer avec des recettes de l’impôt sur les sociétés autour de 60 milliards d’euros en 2015 [8]. Si ces estimations souffrent d’incertitudes inhérentes à ce type d’estimations, elles révèlent néanmoins l’ampleur importante des profits déplacés.
10Quelles que soient les méthodes d’estimations, il apparaît qu’une part substantielle des revenus est transférée de manière opportuniste et (parfois) illégale dans des paradis fiscaux. Ce montant est comparable à d’autres types d’évitement ou de fraude observés dans la société comme la fraude à la TVA [9]. Pour autant, ce sont les paradis fiscaux qui semblent intéresser particulièrement le débat public. Une hypothèse est que leurs utilisateurs sont une catégorie spécifique d’individus ou d’entreprises. Que ce soient les entreprises ou les individus, seuls ceux disposant du plus de moyens sont capables d’organiser leurs activités et de développer l’ingénierie nécessaire afin de déplacer leurs revenus dans les paradis fiscaux.
11Les paradis fiscaux ont donc à la fois des conséquences concrètes sur les finances publiques, ainsi que des conséquences distributives, permettant aux individus les plus fortunés et aux plus grandes entreprises de diminuer les impôts qu’ils payent. Ils sont profondément liés, dans l’imaginaire collectif, aux notions d’(im)moralité, d’(in)justice et d’(in)égalité. C’est ainsi que les paradis fiscaux peuvent être perçus comme l’endroit où est l’argent.
Les origines historiques des paradis fiscaux
12Afin de mieux comprendre la situation actuelle des paradis fiscaux, un retour sur leurs origines historiques est intéressant pour appréhender les enjeux qui y sont associés. Vanessa Ogle (2017) soutient que la transformation des anciennes et actuelles colonies en paradis fiscaux est le fruit de « décisions concrètes, conscientes et délibérées de la part des gouvernements » (p. 1433). C’est aussi ce qu’affirme Ronald Sanders (2002), ancien Haut-Commissaire à Antigua-et-Barbuda à Londres, en écrivant que les petites juridictions visées par l’OCDE dans la lutte contre les paradis fiscaux avaient en fait développé leurs services financiers « poussées par plusieurs pays de l’OCDE et des organisations financières internationales » dans le but de diversifier leurs économies et de générer des revenus.
13Il ne faut néanmoins pas oublier que parmi les plus grands paradis fiscaux au monde, beaucoup sont en fait localisés en Europe voire dans l’Union européenne (UE) : Irlande, Pays-Bas, Luxembourg, Suisse entre autres. Ainsi, il est possible de distinguer plusieurs périodes dans l’histoire des paradis fiscaux modernes. Le paradis fiscal suisse a pris de l’importance dès le début du XXe siècle après la fin de la Première Guerre mondiale (voir Zucman, 2017 par exemple). Le Luxembourg adopte en 1929 la loi sur les holdings qui exempte ce type d’entreprises de taxation sur les revenus et la Suisse renforce le secret bancaire dans une loi en 1934. Après la Seconde Guerre mondiale et avec la vague de décolonisation qui suivit, les anciennes colonies ont mis en place des mesures agressives pour attirer les revenus provenant d’autres pays. La mise en place du marché des eurodollars à la fin des années 1960, qui permet des échanges en dehors des cadres normaux de régulation est selon Chavagneux et al. (2010) et Ogle (2017) un des grands déclencheurs de l’explosion du monde offshore.
14À partir des années 1960 à 1990, plusieurs pays décident alors, avec succès ou non, d’adapter leur législation afin de permettre l’installation des revenus offshores (par l’intermédiaire de la taxation ou des règles administratives). Cela conduit à l’émergence de paradis fiscaux, souvent interconnectés dans toutes les parties du monde. Ces paradis fiscaux répondent également à une demande grandissante de services de cette nature. Finalement, le début des années 2000 marque le début des tentatives de régulation des paradis fiscaux menées notamment par l’OCDE et l’Union européenne, probablement en réponse à un besoin croissant de finances publiques.
La lutte contre les paradis fiscaux : entre intervention, hypocrisie et souveraineté
15Cette brève caractérisation historique des paradis fiscaux met en lumière leur situation paradoxale : ceux-ci semblent s’être développés en parallèle de l’économie capitaliste moderne et parfois accompagnés et couverts par les plus riches pays du monde. Pourtant face à une demande publique de plus en plus pressante, des dispositions contre les paradis fiscaux ont été prises. L’OCDE à travers le projet BEPS (base erosion and profit shifting) a rassemblé un nombre important de pays dans le but de coordonner une action contre les paradis fiscaux accueillant les profits des entreprises multinationales. L’Union européenne a également commencé à publier à partir de 2017 une liste noire des pays à bas taux de taxes et non coopératifs.
16Les pays les plus visés par cette dernière initiative sont en général des petits paradis fiscaux relativement isolés géographiquement. Pourtant, une grande partie de l’activité des paradis fiscaux au niveau mondial transite à un moment par des paradis fiscaux beaucoup plus grands et généralement non désignés comme tels par les autorités. C’est par exemple le cas de l’Irlande, du Luxembourg, de la Suisse ou des Pays-Bas qui ne sont pas visés par la liste de l’Union européenne tout comme d’autres juridictions généralement citées dans des révélations comme les LuxLeaks ou les Paradise Papers [10].
17Pour expliquer les difficultés à établir une action couvrant l’ensemble des pays généralement considérés comme paradis fiscaux il faut bien comprendre les enjeux diplomatiques de telles actions. La situation peut s’analyser en voyant la diplomatie comme la continuation de la guerre par d’autres moyens. Les souverainetés ne sont pas toutes équivalentes et la primeur revient aux États les plus forts, les plus à même de contraindre économiquement, voire militairement les autres États. En effet les paradis fiscaux peuvent affirmer que les dispositions fiscales qu’ils choisissent ne sont que le résultat de leur souveraineté. En vertu du principe de non-ingérence, ce choix ne devrait donc pas être discuté ou remis en cause par d’autres pays. Face à ces arguments, les pays visés peuvent répliquer qu’en fixant des listes noires ou en sanctionnant les pays non-coopératifs, ils ne font qu’agir eux-mêmes en États souverains essayant de lutter contre une fuite perçue de leurs revenus. La connaissance des origines coloniales de certains paradis fiscaux ainsi que des considérations plus générales comme la stabilité de l’UE pourrait expliquer pourquoi tous les paradis fiscaux ne sont pas traités de la même manière. Cela explicite aussi les enjeux d’une coopération internationale contre les paradis fiscaux.
18Il faut tout de même noter que l’Union européenne a récemment entrepris plusieurs initiatives affectant ses paradis fiscaux internes. La Commission européenne a entrepris de lutter contre certains rescrits fiscaux en les jugeant illégaux et en obligeant les entreprises concernées à verser les impôts impayés (des procédures ont été mises en place vis-à-vis de l’Irlande et de la Belgique par exemple). En 2016, la Commission européenne a également lancé les directives ATAD (Anti Tax Avoidance Directive, Directive contre l’évasion fiscale) visant à appliquer des actions encouragées par le Projet BEPS de l’OCDE et à lutter concrètement contre l’utilisation des paradis fiscaux. Si ces mesures vont dans le bon sens, la Cour de justice de l’Union européenne a cependant plusieurs fois limité leur application, en vertu du droit européen.
19Certaines récentes propositions sont également expérimentées afin de rendre plus efficace la lutte contre les paradis fiscaux tout en assurant que cette lutte sera d’abord dirigée vers les pays les plus responsables de perte fiscale. Par exemple la mise en place d’un échange automatique d’informations fiscales permettrait de faciliter les investigations. Les premières investigations sur le modèle de convention de l’OCDE (Common Reporting Standard) montrent que la mise en place de cette coopération internationale a permis de réduire les dépôts bancaires dans les paradis fiscaux (Casi et al., 2018). En revanche, une partie des flux semblent s’être relocalisés aux États-Unis, qui ne font pas partie de ces accords, montrant les limites de la coordination internationale quand certains pays n’y participent pas.
20Une mesure conseillée depuis longtemps par les organismes non-gouvernementaux et récemment adoptée largement dans le cadre des négociations de l’OCDE pour une réforme de la fiscalité mondiale est le report pays par pays d’informations comptables capitales pour évaluer l’organisation fiscale d’une entreprise. Il faut néanmoins s’interroger sur les mécanismes permettant à la transparence de réduire les comportements agressifs. Par exemple la comparabilité entre pays, la mise à disposition de ces données auprès du public ou leur exploitation systématique par les administrations fiscales semblent être des conditions importantes pour la réussite d’une telle initiative. Ce sont les mêmes enjeux qui se posent pour la création d’un cadastre financier mondial tel que proposé par Zucman (2017) afin de mieux tracer les richesses au niveau mondial.
Conclusion
21Le chemin vers la fin des paradis fiscaux, telle qu’annoncée par Nicolas Sarkozy en 2009 ne semble pas encore achevé. De récentes actions de coopération internationale vont pourtant dans le bon sens, notamment dans le cas de l’évasion fiscale des entreprises multinationales et du projet BEPS de l’OCDE. Cependant les enjeux économiques et diplomatiques propres à chaque pays pourrait pousser vers le maintien du statu quo avec des modifications à la marge ou vers un ensemble non coordonné de mesures unilatérales destinées à protéger uniquement les économies nationales [11].
Bibliographie
Bibliographie
- Alstadsæter A., Johannesen N., Zucman G. (2019), « Tax Evasion and Inequality », American Economic Review, vol. 109, n° 6.
- Casi E., Spengel C., Stage B., 2019, « Cross-Border Tax Evasion after the Common Reporting Standard : Game Over ? », ZEW Discussion Papers, No. 18-036.
- Chavagneux C., Palan R. (2017), « Les paradis fiscaux », Repères, La Découverte, 4e édition.
- Chavagneux C., Palan R., Murphy R. (2010), « Tax havens. How globalization really works », Cornell University Press.
- Haberly D., Wojcik D. (2015), « Tax havens and the production of offshore FDI », Journal of Economic Geography, 15(1), pp. 75-101.
- Laffitte, S., Toubal F. (2019), « A Fistful of Dollars ? Foreign Sales Platforms and Profit Shifting in Tax Havens », CEPII Working Paper, 2019-02.
- OCDE (2000), « Vers une Coopération Fiscale Globale », Les éditions de l’OCDE, Paris.
- Ogle V. (2017), « Archipelago Capitalism : Tax Havens, Offshore Money, and the State, 1950s-1970s », American Historical Review, vol. 122, no. 5, Décembre.
- Sanders R. (2002), « The fight against fiscal colonialism : The OECD and small jurisdictions », The Round Table, Vol. 91, pp. 325-348.
- Shaxson N. (2018), « The finance curse : how global finance is making us all poorer », Vintage.
- Tørsløv T., Wier L., Zucman G. (2018), « The Missing Profits of Nations », NBER Working Paper 24701.
- Vicard V. (2019), « L’évitement fiscal des multinationales en France : combien et où ? » La lettre du cepii, n° 400, Juin.
- Zucman G. (2015), « The Hidden Wealth of Nations », University of Chicago Press, Septembre.
Notes
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[1]
Je remercie Samuel Delpeuch ainsi que l’équipe de Regards Croisés sur l’Économie pour leur relecture attentive et leurs nombreuses remarques.
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[2]
Afin de localiser leurs profits dans les paradis fiscaux, les entreprises peuvent distordre à la hausse les prix de leurs imports avec leurs filiales localisées dans des paradis fiscaux et à la baisse le prix de leurs exports vers ces filiales. Ces pratiques sont interdites par les régulations de prix de transfert qui établissent que le prix des transactions entre entités du même groupe doit être le même que le prix de marché afin de ne pas distordre l’allocation des profits entre les entités du groupe.
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[3]
Les LuxLeaks sont une fuite dans la presse ayant révélé en 2014 les rescrits fiscaux avantageux (tax rulings) pratiqués par le Luxembourg et les montages fiscaux des entreprises en profitant.
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[4]
Comme le montre le recours récurrent à la formule « Nous payons toutes les taxes que nous devons et nous conformons aux règles fiscales de tous les pays dans lesquels nous opérons à travers le monde » par les entreprises accusées d’évasion fiscale dans les médias.
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[5]
Cette spécialisation n’est pas anodine. Laffitte et Toubal (2019) étudient l’utilisation des paradis fiscaux par les entreprises états-uniennes et suggèrent que la spécialisation sectorielle des paradis fiscaux est corrélée à leurs caractéristiques géographiques.
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[6]
Voir par exemple le cas dans le célèbre Sandwich Hollandais (employé notamment par Google) qui utilise l’Irlande, les Bermudes et les Pays-Bas dans sa structure.
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[7]
Selon les données de l’IRS (https://www.irs.gov/statistics/soi-tax-stats-country-by-country-report).
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[8]
En appliquant le taux de taxe officiel de 33,3 %, on trouve des pertes fiscales autour de 10 milliards d’euros.
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[9]
En France, l’écart de TVA, qui mesure la différence entre les recettes de TVA attendues et perçues, est de 20 milliards d’euros en 2015. En plus de la fraude et de l’évitement, cet écart dépend des cas de faillite, insolvabilité et erreurs de mesures.
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[10]
Les Paradise Papers sont une fuite dans la presse révelant des documents confidentiels issus d’un cabinet d’avocats spécialisé dans le secteur offshore.
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Voir également à ce sujet l’encadré de Samuel Delpeuch dans ce numéro.