Couverture de RCE_020

Article de revue

Comment financer la transition écologique ?

Pages 159 à 163

Notes

  • [1]
    Cet exemple très simple est directement extrait d’Aglietta et Espagne (2015, Box 1, p.5).
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1Le constat est implacable : le coût de l’immobilité face au réchauffement climatique est supérieur à celui de l’action immédiate (Stern, 2006). Le récent Accord de Paris a affirmé l’objectif de contenir l’augmentation de la température moyenne de la planète « nettement en-dessous » de 2˚C et de poursuivre les démarches existantes visant à limiter l’accroissement des températures à 1,5˚C. Pour ce faire, il est estimé que tous les pays devront fournir un effort supplémentaire de réduction de leurs émissions de gaz à effets de serre (GES) d’environ 30 % à horizon 2030 (Auverlot et Beeker, 2016). Comment financer cette transition ? Les réponses à cette question sont multiples et, dans ce court texte, nous n’analyserons que deux leviers qui nous apparaissent être les plus essentiels : d’une part, la mise en place d’un véritable prix du carbone, et d’autre part, l’utilisation du levier du crédit bancaire et de l’épargne.

Raffermir le signal-prix du carbone

2Les économistes insistent depuis longtemps sur le fait que le prix du carbone doit prendre en compte, « internaliser », son coût social afin de réduire les émissions de GES à un niveau acceptable (Stern, 2006). Deux solutions principales s’opposent : une taxe carbone, mise en place notamment en Suède dès 1991 et en France depuis 2015 ; et un marché de droits d’émission négociables (« cap and trade » en anglais), bien plus répandu, qui existe au niveau européen depuis 2005 sous le nom d’Emission Trading Scheme et dans une quarantaine d’autres pays. Cependant, les prix du carbone résultant de ces initiatives restent bien trop faibles pour être efficaces (Tirole, 2016).

3Pour avoir un impact significatif et éviter le phénomène des « fuites de carbone » résultant de l’application unilatérale de mesures vertes, Jean Tirole (2016) envisage d’instaurer un prix mondial du carbone. Une fois un accord sur ce prix trouvé, une institution indépendante serait chargée de mesurer et contrôler les émissions des pays. À cela s’ajouterait un fonds vert pour aider les pays en développement. Au niveau européen, et à plus court terme, il est aussi envisageable de mettre en place un « corridor de prix » de la tonne de carbone comme récemment proposé par Canfin, Grandjean et Mestrallet (2016), ce qui permettrait d’inciter les investissements bas-carbone, notamment dans le secteur de l’énergie. Le gouvernement actuel avait d’ailleurs décidé dans ce sens d’unilatéralement aménager un prix plancher du carbone pour les centrales électriques au charbon avant de finalement abandonner cette idée.

Mettre la finance au service de la transition écologique

4De nombreux investisseurs perçoivent les investissements dans la transition écologique comme étant trop incertains avec un retour dans le long terme, ce qui ne permet pas de stimuler les investissements nécessaires (Dron et Francq, 2013). En l’absence d’une valorisation adéquate de l’externalité négative générée par le carbone, les investissements dans les projets bas-carbone resteront insuffisants (Aglietta et Espagne, 2015a).

5Michel Aglietta et Etienne Espagne (2015b) du CEPII proposent donc de créer un certificat carbone. Concrètement, supposons [1] qu’une entreprise investisse, grâce à un emprunt bancaire, dans un projet bas-carbone de 100 euros conduisant à une réduction de 5 unités d’émission de CO2. Celle-ci obtiendrait ainsi 5 certificats carbone, équivalent aux émissions restreintes grâce au projet. Si le coût social du carbone est de 2 euros, alors l’entreprise n’aurait besoin de rembourser que 90 euros à la banque, les 5 certificats carbone d’une valeur totale de 10 euros étant rachetés par la BCE. Cependant ce dispositif requiert des informations relativement difficiles à obtenir : estimation de la réduction d’émissions de carbone attachée à tout investissement, fixation d’un coût social du carbone.

6Pour rendre rentable la transition, Giraud (2015) et Grandjean et Martini (2016) suggèrent un montage financier public-privé permettant d’émettre de nouvelles obligations sans alourdir la dette publique. Sur le modèle de la Société de Financement de l’Économie Française, créée en 2008 dans le cadre du sauvetage des banques françaises, la Société de Financement de la Transition serait une société de droit privé mais dotée de garanties publiques, qui émettrait des obligations pour investir les sommes perçues dans les projets d’investissements concrets liés à la transition écologique.

Conclusion : vers une transformation sociétale ?

7Ces deux axes de réformes doivent être envisagés comme complémentaires : le financement de la transition écologique ne pourra se faire qu’avec une multitude d’instruments économiques. Néanmoins, une tension existe dans le débat concernant l’étendue des changements sociétaux requis par la transition écologique. Alors que certains considèrent le changement climatique comme résoluble avec des réformes « classiques », d’autres proposent une vision posant explicitement la possibilité d’une révolution de la pensée économique, de la comptabilité, des politiques publiques et de l’organisation des finances (Aglietta, 2011). Il apparaît ainsi que la question de la transition écologique est autant un enjeu politique et démocratique, qu’économique.

Bibliographie

Bibliographie

  • Aglietta M. (2011) « Croissance durable : mesurons-nous bien le défi ? », Revue d’économie du développement, 19 (2), 199-250.
  • Aglietta M. et Espagne E. (2015) « Financer les investissements pour une croissance soutenable en Europe », La Lettre du CEPII N°353, CEPII, Paris.
  • Aglietta M. et Espagne E. (2015) “Financing energy and low-carbon investment: public guarantees and the ECB”, Policy Brief N°6, CEPII, Paris.
  • Auverlot D. et Beeker E. (2016) « Climat : Comment agir maintenant ? », Enjeux 2017/2027, France Stratégie, Paris.
  • Canfin P., Grandjean A. et Mestrallet G. (2016) « Propositions pour les prix du carbone alignés avec l’Accord de Paris », Rapport de la mission, Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, Paris.
  • Dron D. et Francq T. (2013) « Livre blanc sur le financement de la transition écologique », Direction générale du Trésor et Commissariat général du développement durable, Paris.
  • France Stratégie (2017) « Climat : Comment agir maintenant ? Synthèse des Débats », France Stratégie 2017/2027 [en ligne], Paris.
  • Giraud G. (2014) Illusion financière : Des subprimes à la transition écologique, Les Éditions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine.
  • Grandjean A. et Martini M. (2016) Financer la transition énergétique, Les Éditions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine.
  • Stern N. (2006) Stern Review Report on the Economics of Climate Change, Cambridge University Press, Cambridge.
  • Tirole J. (2016) L’Économie du Bien Commun, Presses Universitaires de France, Paris.

Notes

  • [1]
    Cet exemple très simple est directement extrait d’Aglietta et Espagne (2015, Box 1, p.5).
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