Notes
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[1]
Ce coût comprend les coûts directs comme les droits d’inscription, mais également le coût d’opportunité c’est-à-dire le salaire auquel un individu renonce en poursuivant ses études plutôt qu’en entrant directement sur le marché du travail.
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[2]
La « démocratisation » est entendue ici comme une réduction des inégalités sociales d’accès à l’enseignement supérieur.
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Voir Courtioux (2014) pour une présentation des débats français.
1Le principe des prêts à remboursement contingent pour les étudiants (PARC) a été inventé par l’économiste américain Milton Friedman (1955). Il a connu une première forme d’expérimentation limitée dans les années 1970, avant de connaître ses premières expériences nationales à la fin des années 1980. Si depuis, de nombreux pays ont mis en place ce type de dispositif (notamment l’Australie, le Chili, les États-Unis, l’Éthiopie, la Hongrie, la Nouvelle-Zélande, la République d’Afrique du Sud, le Royaume-Uni, la Suède et la Thaïlande), il reste mal connu en France où il est souvent assimilé aux idées libérales de son inventeur. Or les prises de position en faveur des PARC ont une base beaucoup plus large au sein de laquelle on retrouve par exemple James Tobin qui a contribué directement à la mise en place de ce type de dispositif à l’université de Yale dans les années 1970, Gary Becker ou Joseph Stiglitz. Il apparaît dès lors intéressant de regarder plus en détail le PARC et les enseignements que l’on peut tirer de ses diverses applications à travers le monde.
Qu’est-ce qu’un PARC ?
2Avec un prêt à remboursement contingent au revenu (PARC), un individu emprunte pour financer ses études. La différence avec un prêt bancaire standard est que, lors de la période de remboursement, les annuités ne sont pas définies à l’avance sur la base des sommes empruntées, mais déterminées sur la base du revenu courant de l’ancien étudiant. Si ce revenu est inférieur à un certain seuil, l’étudiant ne paie rien et la dette continue de courir ; si son revenu est supérieur à ce seuil le montant de l’annuité due est calculé sur la base du revenu courant.
3Au-delà de ce principe général, les modalités concrètes d’un PARC peuvent être très différentes. Tout d’abord, l’accès au PARC peut être « universel » ou ne concerner qu’une partie de la population : une condition de ressources parentales peut par exemple servir à cibler les étudiants qui ont le plus besoin d’une aide financière. Le montant emprunté peut être limité : il peut par exemple correspondre à la couverture des droits d’inscription dans un établissement du supérieur, et/ou inclure la prise en charge des frais de vie. De plus, le taux d’intérêt appliqué peut correspondre au taux d’intérêt du marché ou au contraire être subventionné. Par ailleurs, le prêt peut avoir ou non un moratoire : dans ce cas de figure, au-delà d’une certaine durée de prêt, ou lorsque l’emprunteur atteint un âge donné, la dette qui court encore est effacée. Le mode de calcul de l’annuité peut être plus ou moins progressif. En effet comme pour le calcul de l’impôt sur le revenu, le seuil de déclenchement et les taux appliqués aux différentes tranches de revenus peuvent être plus ou moins élevés.
4Au vu de ces éléments, il est intéressant de noter que le PARC n’est pas un dispositif dont l’objectif est univoque. Son effet sur les inégalités face à l’enseignement supérieur dépend très largement de ses modalités concrètes d’application et du contexte institutionnel dans lequel il s’insère. Ainsi, dans les pays où les étudiants s’endettent pour poursuivre leurs études, le PARC est un moyen de réduire la dette étudiante. À l’inverse, dans les pays où le coût des études est déjà largement pris en charge, le PARC a plutôt été utilisé comme un moyen d’augmenter la contribution des anciens étudiants en préservant une forme d’équité.
Un PARC pour lever les contraintes financières pesant sur les choix étudiants
5Une dette étudiante trop élevée peut avoir deux effets négatifs que le PARC va pouvoir atténuer : les phénomènes d’auto-sélection des étudiants d’origine sociale défavorisée en amont du système d’enseignement supérieur, mais également les contraintes sur les choix de carrière une fois le diplôme obtenu.
Rendements privés, incertitude et inégalités d’accès
6Dans certains pays, les étudiants doivent fortement s’endetter pour poursuivre leurs études alors qu’il existe par ailleurs une incertitude sur leur réussite aux examens et sur l’évolution de leur carrière une fois le diplôme obtenu.
7Du point de vue de l’analyse économique, cette incertitude peut peser sur le choix de s’engager dans les études supérieures même si les rendements privés moyens des études sont substantiels : des individus fortement averses au risque mais plutôt talentueux décideront de ne pas s’engager dans des études qui, même si elles « rapportent en moyenne », ont un risque, même faible, de « ne pas payer ». Or dans la mesure où le degré d’aversion au risque est fortement corrélé à l’origine sociale (les individus issus de familles qui ont de bons revenus ou qui ont un patrimoine important sont certainement moins sensibles aux risques que les individus issus de familles pauvres) l’accès à l’enseignement supérieur dépendra fortement de l’origine sociale. Dans ce cadre, plus les coûts d’accès à l’enseignement supérieur sont élevés [1], la probabilité de ne pas obtenir son diplôme forteet l’incertitude sur les carrières ouvertes après l’obtention du diplôme importante, plus l’accès à l’enseignement supérieur dépendra de l’origine sociale.
8La mise en place d’un PARC permet alors de réduire le coût de l’accès à l’enseignement supérieur et de réduire les risques liés à l’incertitude sur le revenu net futur en garantissant que les contraintes de remboursement seront adaptées au revenu courant de l’ancien étudiant.
9C’est dans cet esprit que la République d’Afrique du Sud a mis en place un PARC en 1991 (Jackson, 2002). Suite à sa transition politique, le pays cherchait à rattraper le plus rapidement possible l’important retard d’accès des Noirs à l’enseignement supérieur. Le dispositif, qui s’est fortement développé depuis sa création, se caractérise par le fait qu’il ne cherche pas particulièrement à subventionner les étudiants : l’obtention du prêt se fait sous conditions de ressource, le seuil de déclenchement du remboursement est assez bas, le taux d’intérêt est subventionné à hauteur de 20 %. Cependant, une partie du prêt (jusqu’à 40 %) peut être transformée en bourse en fonction des résultats obtenus lors du cursus.
10Cet objectif de réduction des inégalités d’accès apparaît plus clairement pour les pays qui ont mis en place un PARC destiné à couvrir les frais de vie des étudiants. C’est le cas de la Suède qui lance un tel dispositif en 1989 pour couvrir les prêts que les étudiants contractent traditionnellement pour couvrir leur frais de vie et accéder à l’autonomie (Strömqvist, 2006 ; Charles, 2012).
Esprit et limites de la réforme Clinton
11Un endettement étudiant élevé peut conduire à contraindre les choix de carrière des étudiants une fois leur diplôme obtenu : la nécessité pour ces derniers de rembourser leurs créanciers les conduit à écarter le choix d’une carrière moins bien rémunérée mais qui pourtant pourrait être utile à la collectivité (c’est-à-dire une carrière qui produit des externalités positives), notamment les carrières publiques.
12C’est avec pour objectif d’atténuer ce problème que le président américain Bill Clinton (qui avait participé en tant qu’étudiant à l’expérience de Yale) a introduit un PARC dans le cadre de la réforme des prêts Stafford de 1993. La réforme consistait à introduire une option de conversion des prêts étudiants traditionnels en PARC. À travers l’analyse des discours du Président Clinton, Brody (1994) montre qu’au-delà des stricts enjeux financiers, les motifs « civiques » étaient particulièrement importants. Cependant, le taux de recours est resté très en deçà des attentes.
13De manière générale, cet échec relatif s’explique par le fait que le PARC n’était pas assez incitatif (Chapman et Lounkaew, 2010), qu’il nécessitait de la part de l’étudiant une action « volontaire » et un certain niveau de compréhension des enjeux financiers sous-jacents (OCDE, 2007) et qu’il n’avait pas bénéficié de campagne d’information suffisante (Schrag, 2001). Malgré cet échec, le PARC reste au cœur des débats américains : Gary Becker (2006) proposait que le PARC soit l’option « par défaut » des prêts étudiants, tandis que plus récemment Joseph Stiglitz a pris position en faveur de ce type de dispositif (Chapman et alii, 2014). Cependant, il est important de noter que le débat s’est déplacé : les motivations très « civiques » du projet clintonien ont disparu. La question principale est bien de contrôler le niveau de la dette étudiante afin d’éviter l’augmentation des défauts de paiement qui ont atteint dans ce pays des niveaux très préoccupants.
Un PARC pour augmenter la contribution étudiante
14Le PARC couplé avec une augmentation des droits d’inscription permet de dégager des ressources quand les rendements privés de l’enseignement supérieur sont substantiels. Le cas australien montre que cela ne nuit pas à la « démocratisation » de l’enseignement supérieur et peut contribuer à son développement quand les droits d’inscription sont substantiels mais raisonnables.
Rendements privés et contribution des anciens étudiants
15Dans certains pays où l’accès aux études supérieures est gratuit et/ou les étudiants bénéficient de subventions importantes pour financer leurs frais de vie, la mise en place d’un PARC peut servir à augmenter leur contribution au financement du système. Le PARC constitue alors le plus souvent l’une des modalités d’un redéploiement des moyens dans le cadre d’une rationalisation de l’action publique. Il vise à transférer une partie des charges pesant sur le contribuable sur le bénéficiaire direct de l’investissement éducatif tout en conditionnant, de manière progressive, la contribution annuelle de l’ancien étudiant à son revenu courant. Dans ce cas, le principe du PARC est assez proche de celui de l’impôt sur le revenu : l’étudiant bénéficie de l’accès gratuit à un service d’éducation et contribue au financement du système en fonction de ses revenus une fois ses études terminées. Cependant, contrairement à l’impôt sur le revenu, le PARC permet de différencier la contribution des citoyens ayant bénéficié d’une éducation tertiaire de la contributionde ceux qui n’en ont pas bénéficié.
16De ce point de vue, l’intérêt de différencier impôt sur le revenu et PARC est limité si les inégalitéssont faibles, les impôts fortement redistributifs et l’État-Providence très développé. L’expérience de PARC suédoise, entamée en 1989 puis abandonnée en 2001, peut être interprétée dans ce cadre : il y avait peu d’avantages au PARC dans un pays caractérisé par un faible niveau d’inégalités, des prélèvements obligatoires importants et progressifs. De ce point de vue, la Suède constitue certainement un cas polaire où il ne serait pas particulièrement intéressant de développer des PARC. Cependant, on peut penser que les débats autour du PARC sont susceptibles de resurgir, car la trajectoire actuelle de ce pays se caractérise par une augmentation des inégalités.
Des liens faibles entre « démocratisation » et gratuité de l’enseignement supérieur
17Dans certains pays, la mise en place de PARC s’est faite de manière concomitante avec une augmentation substantielle des droits d’inscription. Cette décision d’augmenter ces droits s’appuyait sur le constat de liens faibles entre « démocratisation [2] » et gratuité de l’enseignement supérieur. Plusieurs raisons peuvent expliquer la faiblesse de ces liens. Par exemple, les élèves d’origine sociale défavorisée sont plus souvent en situation d’échec scolaire au cours de leur cursus primaire et secondaire et ne sont plus en situation de poursuivre leurs études au terme de ce cursus. Ensuite, la gratuité des études n’implique pas la prise en charge des frais de vie qui peuvent être une contrainte importante pour les étudiants issus de familles défavorisées (même si une partie d’entre eux bénéficie de bourses) : des étudiants d’origine sociale défavorisée même s’ils sont en capacité scolaire de poursuivre leurs études peuvent finalement « préférer » entrer directement sur le marché du travail pour alléger les contraintes financières pesant sur leurs familles.
18En 1973, l’Australie s’était lancée dans une stratégie de développement et de « démocratisation » de l’enseignement supérieur en supprimant les droits d’inscription à l’université. À la fin des années 1980, il apparaissait que cette mesure n’avait pas modifié la composition des étudiants selon leur origine sociale. Le diagnostic porté par le gouvernement en place était que les dépenses publiques pour l’éducation supérieure étaient « régressives » et « non équitables » (unfair). Ceci a conduit l’Australie à augmenter les droits d’inscription de manière substantielle en 1989 et à mettre en place un PARC pour les acquitter (Chapman, 2006).
19La mise en place conjointe de droits d’inscription et d’un PARC pour les couvrir n’est pas un outil de lutte contre les inégalités d’accès mais bien un moyen de dégager des ressources publiques supplémentaires sans accentuer ces inégalités. De fait, en Australie, la réforme n’a pas modifié la composition sociale des étudiants, mais à niveau de « démocratisation » équivalent, elle a couté moins cher au contribuable et a permis de dégager d’autres ressources utilisables pour le développement de l’enseignement supérieur. Par ailleurs, il est intéressant de constater que ce dispositif au départ très controversé est désormais considéré favorablement par les Australiens (Higgins et Withers, 2009). De fait, ce dispositif est toujours en place et a survécu aux différentes majorités politiques avec des changements dans ses modalitésmais sans remise en cause de son principe.
20Au Royaume-Uni, les PARC ont été introduits en 1998. Depuis la réforme de 2004, comme en Australie, ils servent à couvrir des droits d’inscription substantiels. Cependant, les droits d’inscription ont augmenté très fortement sur la période : ils ont triplé en 2006 et à nouveau triplé en 2011. Cette augmentation très forte s’est traduite par un arrêt de la phase d’expansion de l’enseignement supérieur en Angleterre (Orr et alii, 2014). De ce point de vue, il apparaît que la mise en place de PARC doit s’accompagner de droits d’inscription « raisonnables » afin de ne pas remettre en cause les objectifs d’expansion de l’éducation tertiaire.
Conclusion
21En France où les droits d’inscription à l’université sont très faibles et où la question de dégager des ressources financières à la fois pour les établissements et pour les étudiants se pose de manière récurrente, les débats académiques ont principalement porté sur la question d’une réforme à l’australienne, de la transposition de son principe au contexte français et des marges financières que cela permettait de dégager [3]. Cet article a montré que les objectifs et les effets que l’on pouvait attendre de la mise en place d’un PARC dépendaient fortement de ses modalités concrètes et du contexte institutionnel dans lequel il s’insérait. À bien des égards l’expérience australienne apparaît comme bien distincte de l’expérience américaine de développement de l’enseignement supérieur et pourrait servir d’inspiration aux réformes concernant le mode de financement des études en France.
Bibliographie
Bibliographie
- Becker G. (2005), “Government’s Role in Student Loans”, January 9, www.becker-posner-blog.com.
- Brody E. (1994), “Paying Back Your Country through Income-Contingent Loans”, San Diego Law Review, 31, 499-518.
- Chapman B. (2006), Government Managing Risk. Income contingent loans for social and economic progress, Routledge.
- Chapman B., Higgins T. et Stiglitz J. eds. (2014), Income Contingent Loans. Theory, practice and prospect. Serie : International Economic Association, Palgrave Macmillan.
- Chapman B. et Lounkaew K. (2010), “Repayment Burdens with US college Loans”, Discussion paper n° 647, November, Centre for Economic Policy Research, Australian national University.
- Charles N. (2012), “Les prêts à remboursement contingent au revenu : un système de financement des études importable en France ?”, Revue française de sociologie, 53 (3), 293-333.
- Courtioux P. (2014), “Que peut-on attendre d’un prêt à remboursement contingent au revenu pour les étudiants en France”, EDHEC Position Paper, septembre 2014.
- Friedman M. (1955), “The role of Government in Education” in Solo, A. (ed), Economics and the Public Interest, New Brunswick NJ : Rutgers University Press, p. 123-144.
- Higgins T. et Withers G. (2009), “Community Attitudes to Income Contingent Loans”, Australian Journal of Labour Economics, 12 (2), 217-236.
- Jackson R. (2002), “The National Student Financial Aid Scheme of South Africa (NSFAS) : How and Why it Works”, The University of Wales Journal of Education,11(1), 82-94.
- OCDE, (2007), “Financement de l’enseignement supérieur. États-Unis”, Études économiques de l’OCDE, chap. 6, vol 2007/9, mai, p. 145-180.
- Orr D., Usher A. et Wespel J. (2014), Do changes in cost-sharing have an impact on the behavior of students and higher education institutions ? Evidence from nine case studies. Volume I : Comparative report, DG Education and Training, European Commission.
- Schrag, P. G. (2001), “The federal Income-contingent repayment Option for Law Student Loans”, Hofstra Law Review, 29, 733-862.
- Strömqvist S. (2006), Forms of student support in Sweden. Past, present and future, International Institute for Education Planning, UNESCO.
Notes
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[1]
Ce coût comprend les coûts directs comme les droits d’inscription, mais également le coût d’opportunité c’est-à-dire le salaire auquel un individu renonce en poursuivant ses études plutôt qu’en entrant directement sur le marché du travail.
-
[2]
La « démocratisation » est entendue ici comme une réduction des inégalités sociales d’accès à l’enseignement supérieur.
-
[3]
Voir Courtioux (2014) pour une présentation des débats français.