Couverture de RCE_006

Article de revue

La réglementation environnementale

Pages 175 à 178

Notes

  • [1]
    Première application française à propos du maïs transgéniques (CE, 1998, Greenpeace).
  • [2]
    On y retrouve les principes de développement durable, de précaution, d’action préventive et de correction par priorité à la source des atteintes à l’environnement, le principe pollueur-payeur et enfin le principe de participation.
  • [3]
    La directive définit les meilleures technologies comme « le stade de développement le plus efficace et avancé des activités et de leurs modes d’exploitation […] visant à éviter, et lorsque cela s’avère impossible, à réduire de manière générale les émissions et l’impact sur l’environnement ».
  • [4]
    Bureau D. et Mougeot M. (2004), Politiques environnementales et compétitivité, rapport du Conseil d’analyse économique, n° 54, La Documentation française, Paris.
English version

1Depuis l’introduction de la Charte de l’environnement en 2004, la protection de l’environnement a sa place dans la Constitution. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 19 juin 2008, et le Conseil d’État, dans son arrêt du 3 octobre 2008 « commune d’Annecy », ont consacré la pleine valeur normative de chacun des articles de la charte, parachevant ainsi la montée en puissance récente du droit de l’environnement. Désormais affirmée de manière solennelle par le juge constitutionnel et le juge administratif, la sauvegarde de l’environnement est banalisée par la réglementation qui s’impose à la plupart des activités économiques à travers l’édiction de normes d’émissions, de qualité, de produit ou de procédé.

2Sources et principes

3Le droit de l’environnement englobe à la fois la réglementation environnementale proprement dite et les autres instruments de préservation de l’environnement comme les marchés de quotas ou la fiscalité. Il puise à de multiples sources, tant constitutionnelles et législatives que communautaires. Au-delà de sa récente consécration constitutionnelle dans l’ordre interne et de la montée en puissance des traités et des déclarations internationales, l’importance particulière de la protection environnementale a été affirmée de longue date par le droit communautaire. Les principes du droit de l’environnement figurent à l’article 174 du Traité de Rome : principe de précaution et d’action préventive qui implique la prévention des dégradations même incertaines [1], principe pollueur-payeur imputant le coût des dommages causés à l’environnement au pollueur plutôt qu’à la collectivité, et enfin principe de correction par priorité à la source des atteintes à l’environnement. En France, la loi du 2 février 1995, dite loi Barnier, a intégré les principes du droit de l’environnement aujourd’hui codifiés à l’article L.110-1 du Code de l’environnement adopté le 18 septembre 2000 [2].

4Parmi ces grands principes, celui de correction par priorité à la source des atteintes à l’environnement est particulièrement révélateur des enjeux propres à la réglementation environnementale. Traduisant l’idée simple qu’il est préférable d’arrêter l’émission de la pollution plutôt que de tenter d’en réparer les atteintes, il prévoit la fixation de normes d’émissions ou de normes de qualité par les autorités publiques via l’imposition de la meilleure technique disponible (dont le non-respect sera ensuite sanctionné le cas échéant par le juge via un contrôle de proportionnalité). Dans cette perspective, la directive 96/61 du 24 septembre 1996 relative à la prévention et à la réduction intégrée de la pollution (dite directive « IPPC ») s’efforce de déterminer le mode d’exploitation le plus efficace pour atteindre un niveau élevé de protection de l’environnement [3]. Conscient de son coût pour les entreprises, le législateur européen a tempéré l’obligation de recours aux meilleures techniques disponibles par la condition d’un « coût économiquement acceptable » qui en réduit d’autant la portée, mais illustre bien l’exigence d’équilibre entre impératif économique et protection environnementale.

5Un chantier inabouti

6Contrairement aux États-Unis où les normes environnementales relèvent essentiellement de la soft law, l’Europe et la France ont progressivement fait le choix d’une réglementation environnementale relativement contraignante, s’inscrivant plus directement dans une perspective d’équité intergénérationnelle. Cette construction par sédimentation successive se caractérise à la fois par la grande multiplicité de ses acteurs et par sa relative opacité. Elle reste surtout inachevée.

7La question de la responsabilité environnementale est à cet égard particulièrement problématique. Sans faire montre d’une grande diligence, la France vient de transposer la directive européenne sur la prévention et la réparation des dommages environnementaux du 21 avril 2004, qui introduit pour la première fois la réparation du préjudice porté à l’environnement à travers la notion de « dommage écologique pur ». La loi du 1er août 2008 issue de cette transposition établit un double régime de responsabilité sans faute (pour les activités à très hauts risques) et de responsabilité pour faute, sans épuiser les multiples interrogations soulevées par la notion de « dommage écologique pur » et de sa réparation. Comment établir le lien de causalité entre l’activité et le dommage ? Comment évaluer le dommage ? Quelles sont les sanctions adaptées ? Comment prendre en compte leur impact économique ?

8Marquée par la cohabitation de normes à la technicité forte et de grands principes fédérateurs, la réglementation française tant qu’européenne s’efforce constamment de concilier protection de l’environnement et efficacité économique dans un équilibre encore précaire.

9Un instrument sous-optimal ?

10On oppose parfois aux normes environnementales leurs conséquences négatives sur la compétitivité des entreprises et in fine sur leur localisation. Mais les études empiriques ne semblent pas confirmer ce préjugé [4]. Si l’on observe certes aux États-Unis des effets de localisation à l’échelle infra-fédéral, le coût global de la réglementation n’apparaît pas suffisamment désincitatif en Europe pour peser significativement sur les choix d’implantation. La dépense de protection de l’environnement à la charge des entreprises représente en effet moins de 1 % du PIB ; en outre, les activités polluantes et dangereuses les plus concernées par la réglementation environnementale sont en général peu mobiles (coûts de transports élevés). Notons par ailleurs que le coût de la réglementation environnementale ne la discrédite pas en soi : celle-ci reste susceptible de conduire à localiser à terme les industries polluantes là où les dommages sont les plus faibles et d’encourager des substitutions vers les produits et les procédés les moins polluants.

11L’exemple spécifique de la pollution atmosphérique illustre les difficultés particulières auxquelles se trouve confrontée la réglementation environnementale aux prises avec la dispersion des sources de pollution et la difficulté à déterminer des normes de pollution optimales. Cependant, même dans ce cadre contraignant, les progrès réalisés n’ont pas été négligeables : à la faveur de la mise en place de réglementations exigeantes et surtout d’un contrôle vigilant des combustibles et des installations, la pollution de soufre et de fumées noires a diminué de 40 % à 50 % entre 1998 et 2008 à Paris. Des progrès substantiels ont par ailleurs pu être réalisés grâce à la fixation de normes européennes relatives à la consommation de matières premières des industriels et à certaines émissions dans l’air, sans pour autant mettre en péril la compétitivité des économies.

12En matière de réchauffement climatique, l’intervention par les normes (telle la réduction progressive des limites de rejet maximal polluant pour les véhicules, prévue par la législation européenne) reste cependant, d’un strict point de vue économique, un moyen d’action sous-optimal par rapport aux alternatives que constituent la fiscalité écologique et la mise en place de marché de quotas d’émissions. La réglementation ne permet pas en effet de préserver la liberté de choix des agents, et elle apparaît mal adaptée aux situations complexes. Du point de vue de l’optimum économique, il serait donc préférable d’agir sur les incitations économiques pour orienter efficacement les choix de consommation, plutôt que d’ériger des normes contraignantes.

13Au-delà de ces considérations d’efficacité, l’émergence d’un véritable droit de l’environnement n’en reste pas moins à l’origine de changements profonds des comportements des acteurs et de leur perception des risques. La jurisprudence joue en la matière un rôle de révélateur et d’impulsion qui contribue largement à une plus grande implication des industriels comme de la société civile sur le terrain de la préservation des équilibres environnementaux.

Notes

  • [1]
    Première application française à propos du maïs transgéniques (CE, 1998, Greenpeace).
  • [2]
    On y retrouve les principes de développement durable, de précaution, d’action préventive et de correction par priorité à la source des atteintes à l’environnement, le principe pollueur-payeur et enfin le principe de participation.
  • [3]
    La directive définit les meilleures technologies comme « le stade de développement le plus efficace et avancé des activités et de leurs modes d’exploitation […] visant à éviter, et lorsque cela s’avère impossible, à réduire de manière générale les émissions et l’impact sur l’environnement ».
  • [4]
    Bureau D. et Mougeot M. (2004), Politiques environnementales et compétitivité, rapport du Conseil d’analyse économique, n° 54, La Documentation française, Paris.
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