Notes
-
[1]
Cet article engage la seule responsabilité de son auteur et ne reflète pas nécessairement la position de l’OCDE.
-
[2]
Quelques leviers permettent théoriquement de circonscrire les dépenses associées à un médicament : restreindre la prise en charge à certaines indications seulement, à une sous-population cible, ou à une utilisation en seconde intention – après échec d’un autre traitement – ; conditionner le remboursement à une autorisation préalable de l’assureur, ou à la prescription par une catégorie de médecins (spécialistes).
-
[3]
Aux États-Unis, les entreprises de pharmaceutical benefit management (PBM), qui gèrent la couverture médicament pour le compte d’assureurs et d’employeurs, couvrent souvent des millions de personnes, jusqu’à 60 millions pour le plus important [OCDE, 2008].
-
[4]
Les PBM obtiennent ainsi des rabais allant jusqu’à 27 % des ventes totales pour les formulaires –listes de produits remboursés – les moins restrictifs, et plus importants sur les formulaires les plus restrictifs [FTC, 2005].
-
[5]
Les importations parallèles ne représentaient que 2 % du marché pharmaceutique de l’Union européenne en 2003, mais étaient concentrées sur quelques marchés : les importations représentaient 20 % du marché britannique et 7 % du marché allemand ; les exportations 22 % du marché grec. Quant au commerce transfrontalier entre les États-Unis et le Canada, il représentait à son apogée, en 2004, 0,5 % du marché américain et 8 % du marché canadien [OCDE, 2008].
-
[6]
Le niveau 2 correspond à une amélioration importante en termes d’efficacité et/ou de réduction des effets indésirables ; le niveau 3 à une amélioration modeste de ces mêmes effets ; le niveau 4 à une amélioration mineure en termes d’efficacité et/ou d’utilité. En 2007, la Commission de la transparence a rendu 267 avis sur des premières inscriptions sur la liste des produits remboursables et 41 avis concernant des demandes d’extension d’indication. La grande majorité des produits (238) présentaient un SMR important. Un seul produit représentait un progrès thérapeutique majeur (ASMR 1), 7 produits se sont vus attribuer un ASMR 2, 8 produits un ASMR 3, 7 produits un ASMR 4 et 242 produits un ASMR 5 [HAS, 2008].
-
[7]
Pour le petit nombre d’entreprises ne signant pas de convention, les remises sont calculés sur l’ensemble du CA et de sa progression, selon des modalités définies par le Code de la Sécurité sociale.
1La France régule le prix des médicaments remboursables par l’assurance maladie, comme elle régule l’ensemble des tarifs des services médicaux. Cette pratique suscite des débats houleux sur la scène internationale, alimentés par les grands laboratoires pharmaceutiques et par l’administration américaine. En 2004, un rapport du département américain du commerce accusait les pays régulateurs de ne pas payer les médicaments assez chers, de compromettre l’innovation future et de profiter, tels des passagers clandestins, d’une innovation pharmaceutique essentiellement financée par les consommateurs américains [ITA, 2004].
2Pour mieux comprendre ces débats, il semble utile de revenir sur les motivations de la régulation des prix, de brosser à grands traits les caractéristiques du marché pharmaceutique mondial, et de décrire les modalités de la régulation à la française. Nous pourrons alors nous pencher sur les enjeux de la régulation dans les années à venir.
Pourquoi régule-t-on le prix du médicament ?
Les pays régulateurs
3Si la plupart des pays de l’OCDE régulent le prix du médicament, les motifs invoqués, le segment de marché concerné, et les outils utilisés varient selon les contextes nationaux.
4Le médicament est en général considéré comme un « bien méritoire », c’est-à-dire un bien auquel les citoyens doivent avoir accès en cas de besoin, indépendamment de leur capacité à payer. La couverture maladie, garante de cet accès, a pour effet de réduire la sensibilité au prix des consommateurs. En outre, dans de nombreux cas, le médecin, souvent indifférent au prix, est l’ordonnateur de cette demande. La consommation de médicaments étant peu influencée par leur prix, les mécanismes de confrontation de l’offre et de la demande ne permettent pas d’aboutir à un prix optimal.
5De son côté, l’assureur, unique ou en concurrence, dispose en général de moyens limités pour influencer la demande de médicaments remboursables [2]. Un assureur peut, dans certains cas, négocier les prix des produits pharmaceutiques avec les laboratoires. C’est typiquement ce qui se passe aux États-Unis. Il faut pour cela que l’assureur dispose d’un important pouvoir de marché [3], qu’il puisse sélectionner à l’intérieur d’une classe thérapeutique les produits qu’il rembourse ou auxquels il assure un statut préférentiel (un copaiement plus faible pour le patient) ; il faut en outre que plusieurs médicaments soient en concurrence au sein d’une classe thérapeutique et puissent être considérés comme substituables par le prescripteur. Dans ces conditions, l’assureur peut négocier un prix en échange d’un volume garanti [4]. Mais dans la plupart des pays de l’OCDE, le « panier » de médicaments couverts est défini au niveau national et est identique pour tous les assurés. Le régulateur se substitue donc aux assureurs pour exercer un pouvoir de marché en se plaçant dans une position souvent assimilée à celle d’un monopsone. Un laboratoire a toujours la possibilité de commercialiser son produit sans en demander le remboursement. La position de monopsone du régulateur est donc relative et le laboratoire accepte la régulation en échange d’une solvabilisation de la demande.
6Le monopole conféré par les brevets aux nouveaux produits pendant une quinzaine d’année à partir de leur commercialisation est souvent invoqué pour justifier la régulation des prix. Il s’agit de protéger les consommateurs contre d’éventuels abus des laboratoires liés à leur situation de monopole. Seul un petit nombre de pays justifient et organisent la régulation en fonction de cette caractéristique. C’est le cas par exemple au Canada, où la régulation des prix s’exerçant au niveau fédéral est menée au nom de la protection des consommateurs et s’applique donc à l’ensemble des médicaments sous brevets, remboursables ou non.
7En fait, dans de nombreux cas, si le médicament jouit effectivement d’un monopole dans le sens où il ne peut pas être copié, il n’est pas forcément en position de monopole thérapeutique. Pour tout dire, une telle situation est plutôt l’exception que la règle : la plupart des nouveaux médicaments commercialisés ont déjà des concurrents pour les indications qu’ils couvrent, dont ils se différencient seulement à la marge (par une amélioration du confort de prise, une réduction des effets indésirables ou encore une meilleure efficacité pour une partie de la population cible). Une concurrence par les prix pourrait donc s’exercer dans la plupart des cas si la demande était sensible au prix. C’est d’ailleurs ce que l’on observait sur le marché américain jusqu’à la fin des années 1980 : les produits peu innovants pénétraient le marché à un prix inférieur à ceux de leurs concurrents pour gagner des parts de marché [OCDE, 2008].
8La régulation vise donc principalement à atténuer les effets de l’assurance sur l’élasticité de la demande finale aux prix. En effet, la demande étant à peu près stable quel que soit le prix en vigueur, les laboratoires pourraient profiter de cette situation pour imposer des prix élevés et mettre ainsi en difficulté financière les systèmes assurantiels. C’est pourquoi la plupart des pays régulent les prix des produits remboursables, qu’ils soient ou non protégés par des brevets. De plus, étant donné que les dépenses de médicaments sont très majoritairement financées sur fonds publics, la régulation prétend contribuer à contenir ces dépenses et/ou à garantir leur efficience.
Les pays qui ne régulent pas le prix du médicament
9Quelques pays néanmoins, et non des moindres, ne régulent pas le prix des médicaments. Aux États-Unis, les prix sont principalement déterminés par le marché : les assureurs, libres de définir les produits qu’ils couvrent – en fonction des primes qu’ils collectent – sont en mesure d’exercer une pression sur les prix des produits en concurrence. Le niveau notoirement élevé des prix aux États-Unis semble contredire cette affirmation. Deux remarques s’imposent. Premièrement, les prix réellement payés par les assureurs pour les médicaments ne sont pas réellement connus, puisque les accords entre assureurs et industriels sont confidentiels. Deuxièmement, jusqu’à récemment, les primes d’assurance augmentaient continuellement et fortement, incitant les assureurs à préférer des formulaires peu restrictifs offrant moins d’opportunités de négocier.
10De leur côté, le Royaume-Uni et l’Allemagne ne régulent pas (encore) les prix des nouveaux entrants. Cependant, pour ces deux pays, d’autres mécanismes de régulation atténuent autant que faire se peut les effets de la faible sensibilité de la demande au prix. Au Royaume-Uni, jusqu’à une période récente, le taux de profit réalisé par les entreprises sur les ventes au système national de santé était ainsi plafonné ; les prescriptions des groupes de médecins étaient contraintes par les budgets, et l’évaluation médico-économique pouvait être utilisée pour statuer sur le financement des produits onéreux par le système national de santé. En Allemagne, le marché est contraint par le système des prix de référence, et par les budgets indicatifs de prescriptions pour les médecins. Dans ces deux pays, les hausses de prix des médicaments après leur mise sur le marché sont encadrées, et des baisses de prix sont régulièrement imposées aux laboratoires.
11Par ailleurs, quelques segments de marché ne sont pas régulés dans de nombreux pays. Il s’agit des médicaments non remboursés par l’assurance maladie – considérés comme « non méritoires » – et des médicaments vendus aux hôpitaux – dont la demande est réputée sensible aux prix.
Le cas de la France
12La France s’inscrit dans le schéma le plus classique : elle régule les prix des médicaments remboursables, sous brevet ou non, vendus en pharmacie de ville. Les prix des produits non-remboursables sont totalement libres, ainsi que les prix des produits utilisés à l’hôpital, à une exception près : quelques médicaments très onéreux, dont l’utilisation n’est pas assez systématique pour que leur coût soit toujours intégré aux « paiements par cas » prévus par la nouvelle tarification à l’activité, sont remboursés a posteriori par l’assurance maladie « en sus » du tarif s’appliquant au séjour hospitalier. Pour ces médicaments – une centaine de molécules en 2007 –, les prix sont régulés [Grandfils, 2007].
13La régulation du prix du médicament porte sur le prix fabricant (ce sur quoi nous nous concentrons dans cet article), mais également sur le prix de détail : les grossistes et les pharmaciens sont rémunérés par une marge dégressive lissée, définie en fonction du prix fabricant. Les marges de distribution et la TVA représentent en moyenne 34 % du prix de détail en France.
14Voilà donc exposés les motifs du régulateur. Avant de décrire plus précisément les modalités de la régulation à la française, intéressons-nous au secteur régulé, l’industrie pharmaceutique, et à l’environnement dans lequel il opère.
Les entreprises pharmaceutiques innovantes opèrent sur un marché mondial
15Le marché pharmaceutique est relativement concentré : en 2006, les dix premières entreprises se partageaient 46 % des ventes mondiales, et les cinquante premières 71 %. Les entreprises pharmaceutiques innovantes opèrent sur un marché mondial : la moitié des molécules globales commercialisées entre 1994 et 1999 étaient disponibles dans 18 pays [Danzon et al., 2005]. Jusqu’à la fin des années 1980, les laboratoires commercialisaient leurs produits sur des marchés segmentés et pratiquaient une discrimination par les prix. Cette situation permettait aux entreprises de maximiser leurs revenus et de financer une grande partie de leurs dépenses de R&D sur fonds propres, tout en permettant aux pays ayant une faible capacité à payer d’accéder aux nouveaux produits.
16Aujourd’hui, bien que les politiques de prix et de remboursement du médicament restent des prérogatives nationales, la segmentation des marchés et surtout la discrimination par les prix ne sont plus si aisées. Tout d’abord, la circulation de l’information sur les prix a progressivement conduit les régulateurs à s’interroger sur le prix qu’ils paient pour les médicaments. Vingt-trois pays parmi les trente pays membres de l’OCDE se réfèrent explicitement aux prix affichés dans d’autres pays pour réguler les prix de tout ou partie de leurs médicaments [OCDE, 2008]. Ensuite, le développement du commerce parallèle, au sein de l’Union européenne, et du commerce transfrontalier – essentiellement aux frontières des États-Unis – ont rendu les marchés plus interdépendants. En dépit de flux relativement limités [5], ces opportunités représentent une menace de pertes de revenus pour l’industrie pharmaceutique.
17Lorsqu’une entreprise pharmaceutique a développé un nouveau produit, elle a a priori intérêt à le commercialiser dans le plus grand nombre de pays possible – et le plus rapidement – pour maximiser ses revenus. En théorie, elle devrait commercialiser son produit sur chaque marché sur lequel les revenus espérés sont supérieurs aux coûts engagés. Les coûts d’entrée sur le marché recouvrent les frais relatifs à l’évaluation par l’agence qui délivre les autorisations de mise sur le marché, les frais de traduction et de packaging, les frais de logistique, de promotion, etc. Les revenus espérés dépendent de la population totale, du contexte épidémiologique, des perspectives de diffusion du produit et, bien entendu, du prix du médicament. En fonction des coûts et des revenus espérés, l’entreprise définit un prix de réservation, au-dessous duquel elle décidera de ne pas commercialiser le produit dans ce pays. Les coûts marginaux de production étant en général relativement faibles, l’entreprise sera d’autant plus encline à consentir une baisse de prix que les perspectives de marché seront élevées. En revanche, lorsque l’entreprise craint qu’un prix trop bas ne se traduise par des pertes de revenus sur d’autres marchés – par le biais du benchmarking international ou du commerce parallèle ou transfrontalier –, elle peut résister à une baisse de prix, voire retarder la mise sur le marché de son produit, ou même y renoncer.
La régulation du prix du médicament en France
18En France, depuis 1994, la régulation des prix des médicaments est intégrée dans le cadre d’une politique conventionnelle, définie par des accords quinquennaux entre l’industrie pharmaceutique, représentée aujourd’hui par le LEEM (les Entreprises du médicament) et l’État, représenté par le Comité économique des produits de santé (CEPS). Ces « accords-cadre » incluent de nombreuses dispositions concernant notamment le partage d’informations (sur les dépenses) ou la promotion du bon usage du médicament. Ils définissent également le contenu des conventions individuelles signées annuellement entre chaque laboratoire opérant en France et le CEPS. Enfin, ces accords précisent les modalités de fixation des prix et les règles applicables à la régulation macro-économique des dépenses remboursables de médicaments.
Comment se détermine le prix d’un médicament ?
19Lorsqu’un laboratoire souhaite que son produit soit pris en charge par l’assurance maladie, il doit en faire la demande et présenter un dossier à la Commission de la transparence. Composée d’experts scientifiques (médecins, pharmaciens, etc.), cette commission, intégrée depuis 2004 à la Haute autorité de santé (HAS), évalue le produit, à partir des données fournies par le laboratoire et de la littérature scientifique. Elle remet un avis, contenant notamment les éléments suivants : le service médical rendu (SMR) par le médicament, la liste des produits existants auxquels le produit peut être comparé, l’amélioration du service médical rendu (ASMR) par rapport aux thérapeutiques existantes, et la population « cible », c’est-à-dire concernée par les différentes indications du produit.
20La Commission apprécie le service médical rendu sur une échelle à quatre niveaux variant de « majeur ou important » à « insuffisant ». En fonction de ce critère et de la gravité de la pathologie traitée, elle émet un avis sur l’opportunité de rembourser le médicament et, le cas échéant, recommande un taux de prise en charge (100 %, 65 %, 35 %, voire 0 %). Le niveau d’ASMR est également évalué sur une échelle de 1 (qualifiant un progrès thérapeutique majeur) à 5 (absence d’amélioration) [6].
21Dans un deuxième temps, un accord doit être trouvé sur le prix du médicament pour que celui-ci soit effectivement admis sur la liste des produits remboursables. Le CEPS, composé de représentants des ministères chargés de la santé, de la Sécurité sociale et de l’industrie, des caisses d’assurance maladie et des assurances complémentaires, est responsable de la régulation des prix. Selon le Code de la Sécurité sociale, le prix du médicament doit être fixé en fonction de son niveau d’ASMR, du prix de ses concurrents et des volumes de ventes espérés. Si un médicament présente un progrès par rapport à ses concurrents dans une indication thérapeutique (ASMR 1 à 4), son prix peut être supérieur à celui de ses concurrents. En revanche, si le médicament n’apporte rien de nouveau (ASMR 5), il ne sera admis au remboursement que s’il permet une économie dans le coût du traitement. Cependant, ni le niveau de la « prime » accordée aux produits innovants, ni celui de la « décote » appliquée aux non-innovants ne sont précisément définis, sauf dans le cas des génériques, dont le prix est généralement fixé à 55 % du prix des originaux qu’ils copient.
22Dans les années 1990, chaque prix faisait l’objet d’une négociation entre le laboratoire et le CEPS. Depuis 2003, une nouvelle procédure, dite de « dépôt de prix », permet aux laboratoires de déterminer seuls le prix d’un produit innovant. Ce prix doit être cohérent avec le prix de ce produit sur quatre marchés européens (Royaume-Uni, Allemagne, Espagne et Italie) et le CEPS garde le droit de s’opposer au prix proposé pour des raisons de santé publique ou s’il existe un écart important entre les volumes de ventes annoncés par le laboratoire et la population cible identifiée par la Commission de transparence. Au départ, cette procédure était réservée aux produits d’ASMR 1 et 2, ainsi qu’à certains produits d’ASMR 3 ; elle a été élargie en 2007 à tous les produits d’ASMR 3 et aux produits d’ASMR 4, permettant une économie dans le coût d’analyse. Cette procédure n’est pas systématiquement utilisée par les laboratoires, qui lui préfèrent parfois la procédure classique de négociation : en 2006, le dépôt de prix n’a été utilisé que pour 4 spécialités.
23Au-delà de ces règles générales, le CEPS et les laboratoires signent des accords spécifiques pour certains produits, notamment lorsqu’il existe un risque de mésusage ou de prescription hors indications « remboursables », ou lorsque les volumes de ventes prévus sont particulièrement importants. Il s’agit d’accords « volume-prix » ou d’accords reposant sur le coût moyen du traitement journalier. Ces accords prévoient le versement de remises par les entreprises au-delà d’un certain volume cible ou lorsque le coût moyen de traitement journalier excède le coût correspondant à la posologie et aux indications prévues par l’autorisation de mise sur le marché.
24Depuis 2003, le CEPS fixe en outre des tarifs forfaitaires de responsabilité (TFR) pour certains groupes génériques dans lesquels la pénétration du marché par les génériques est jugée insuffisante. Le TFR est le montant remboursé par l’assurance maladie pour tout médicament du groupe concerné (original ou générique) ; il est unique et indépendant du prix de chaque produit. Lorsque le prix d’un produit dépasse le TFR, la différence entre les deux reste à la charge du patient. Cette politique ne concerne qu’une faible part du marché (environ 5 %).
25La France associe donc plusieurs outils fréquemment utilisés par d’autres pays : le benchmarking international pour les produits les plus innovants, la référence aux produits existants, et les montants maximum de remboursement.
La régulation macro-économique et le versement de remises par les laboratoires en fin d’année
26La régulation macro-économique des dépenses de médicaments remboursables, inscrite dans la législation depuis 1999, s’organise de la façon suivante : chaque année, la loi de financement de la Sécurité sociale définit un taux de croissance du chiffre d’affaires réalisé par l’ensemble des laboratoires pharmaceutiques sur des produits remboursables (le « taux K ») au-delà duquel les entreprises devront verser des remises aux caisses de Sécurité sociale. Les entreprises sont invitées à signer des conventions avec le CEPS qui permettent d’ajuster ces remises à la situation particulière de leur portefeuille de produits et à l’évolution du chiffre d’affaires associé [7]. De telles conventions sont signées par la grande majorité des entreprises.
27Sans entrer dans un niveau de détail superflu, précisons que le CEPS et le LEEM s’entendent pour décliner le taux K en taux d’évolution « cibles » définis pour soixante-dix classes thérapeutiques, en fonction de l’évolution prévisible du marché (nouveaux entrants, classes en déclin, déremboursement, etc.) [CEPS, 2007]. Les industriels commercialisant des produits dans une classe dont la croissance a été supérieure au taux cible doivent verser des remises en fin d’année. Ces remises ne représentent qu’une partie du dépassement de la cible (entre 25 % et 35 % selon les années). Elles n’ont donc pas comme objectif de dissuader les entreprises de vendre au-delà de ces volumes cibles, mais plutôt de permettre à l’assurance maladie d’obtenir des rabais sur les prix au-delà d’un certain volume de ventes. Au total, les remises ne représentent qu’une faible part du chiffre d’affaires total réalisé par l’ensemble des laboratoires (2,3 % en 2005).
La France apporte-t-elle une juste contribution aux efforts de R&D ?
28Dans le contexte international, la France se caractérise par des délais moyens d’accès au marché et au remboursement pour les nouveaux médicaments. Les prix fabricants se situent dans la moyenne européenne et l’accès des patients aux nouveaux traitements, en particulier ceux qui sont très innovants, ne semblent pas compromis par les contraintes budgétaires. Les volumes consommés par habitant sont parmi les plus élevés de la zone OCDE et la dépense par habitant près de 40 % supérieure à la moyenne OCDE [OCDE, 2008]. Enfin, l’adoption et la diffusion des nouveaux traitements sont assez rapides une fois qu’ils sont commercialisés. En résumé, si les prix ne sont pas très élevés, les volumes et la rapidité de diffusion continuent à rendre le marché français attractif pour les produits pharmaceutiques. La France absorbe 6 % des ventes mondiales de médicaments, occupant la troisième place derrière les États-Unis (45 %) et le Japon (9 %).
29Comme d’autres pays régulateurs, la France est appelée à s’interroger sur sa contribution aux dépenses globales de R&D pharmaceutiques et à répondre à l’accusation de « passager clandestin ». Mais la question est-elle pertinente pour le régulateur ?
30S’il est vrai que le marché américain, conjuguant prix et volumes élevés, apporte près de la moitié de ses revenus à l’industrie pharmaceutique, il est important de rappeler que c’est aussi le cas sur d’autres marchés, non régulés et innovants. Pour autant, le consommateur de micro-informatique s’interroge-t-il sur sa juste contribution aux dépenses de R&D de l’inventeur lorsqu’il achète un nouvel équipement ? Certainement pas. Le prix qu’il est prêt à payer dépend de sa capacité à payer, mais aussi de l’utilité qu’il espère tirer de l’achat du produit, en fonction de ses préférences. Pourquoi devrait-il en être autrement dans le secteur du médicament ? Pourquoi la plupart des pays se réfèrent-ils à « ce que paient les autres » pour fixer le prix d’un médicament, plutôt que de s’interroger sur l’utilité qu’ils peuvent en tirer ?
31La réponse à cette question est double. Premièrement, le benchmarking international est une solution simple à mettre en œuvre, activement promue par l’industrie pharmaceutique, qui a trouvé de nombreux moyens de s’en accommoder (lancements séquentiels des produits sur les marchés en commençant par les pays à prix « libres », conclusion d’accords confidentiels avec les régulateurs déconnectant le prix affiché du prix réellement payé). Deuxièmement, pour un régulateur, déterminer le niveau d’utilité espérée d’un produit et en déduire une « propension à payer » est un véritable casse-tête.
32C’est précisément à cette question que l’évaluation médico-économique se propose de répondre. De nombreux pays l’utilisent aujourd’hui pour statuer sur le remboursement d’un médicament. Sans être un instrument direct de régulation des prix, elle fixe une limite au prix acceptable pour le régulateur. Bien entendu, le recours à l’évaluation médico-économique pose de nombreux problèmes méthodologiques et éthiques. L’évaluation est empreinte de jugements de valeur, notamment lorsqu’il s’agit de sélectionner les coûts et les résultats qui seront valorisés. La fixation de seuils de coût-efficacité, au-delà desquels les médicaments ne sont pas pris en charge, est souvent considérée comme inacceptable par les citoyens. Pourtant, peut-on vraiment faire l’économie de cette évaluation ? En 2008, l’évaluation économique est systématiquement utilisée pour les nouvelles molécules en Australie, en Suède, par les programmes publics de la plupart des provinces canadiennes, et plus ponctuellement au Royaume-Uni. La France et l’Allemagne ont prévu de l’utiliser dans un avenir proche. À l’heure où les laboratoires demandent des prix très élevés pour des produits développés pour des populations cibles de petite taille, il est important que les régulateurs donnent des signaux sur leur propension à payer.
Bibliographie
Bibliographie
- Comité économique des produits de santé (2008), Rapport d’activité 2007, CEPS, Paris.
- Federal Trade Commission (2005), Pharmacy benefit managers : ownership of mail-order pharmacies, Federal Trade Commission report.
- Danzon P., Wang Y.R et Wang L. (2005), « The impact of price regulation on the launch delay of new drugs – Evidence from twenty five major markets in the 1990s », Health Economics, vol. 14, p. 269-292.
- Grandfils N. (2007), « Fixation et régulation des prix des médicaments en France », Revue française des affaires sociales, vol. 61, n°3-4, p. 53-72.
- Haute autorité de santé (2008), Rapport d’activité 2007, Paris.
- International Trade Administration (2004), « Pharmaceutical price controls in OECD countries : implications for US consumers, pricing, research and development, and innovation », US Department of Commerce, Washington, D.C.
- OCDE (2008), Pharmaceutical pricing policies in a global market, OCDE, Paris
Notes
-
[1]
Cet article engage la seule responsabilité de son auteur et ne reflète pas nécessairement la position de l’OCDE.
-
[2]
Quelques leviers permettent théoriquement de circonscrire les dépenses associées à un médicament : restreindre la prise en charge à certaines indications seulement, à une sous-population cible, ou à une utilisation en seconde intention – après échec d’un autre traitement – ; conditionner le remboursement à une autorisation préalable de l’assureur, ou à la prescription par une catégorie de médecins (spécialistes).
-
[3]
Aux États-Unis, les entreprises de pharmaceutical benefit management (PBM), qui gèrent la couverture médicament pour le compte d’assureurs et d’employeurs, couvrent souvent des millions de personnes, jusqu’à 60 millions pour le plus important [OCDE, 2008].
-
[4]
Les PBM obtiennent ainsi des rabais allant jusqu’à 27 % des ventes totales pour les formulaires –listes de produits remboursés – les moins restrictifs, et plus importants sur les formulaires les plus restrictifs [FTC, 2005].
-
[5]
Les importations parallèles ne représentaient que 2 % du marché pharmaceutique de l’Union européenne en 2003, mais étaient concentrées sur quelques marchés : les importations représentaient 20 % du marché britannique et 7 % du marché allemand ; les exportations 22 % du marché grec. Quant au commerce transfrontalier entre les États-Unis et le Canada, il représentait à son apogée, en 2004, 0,5 % du marché américain et 8 % du marché canadien [OCDE, 2008].
-
[6]
Le niveau 2 correspond à une amélioration importante en termes d’efficacité et/ou de réduction des effets indésirables ; le niveau 3 à une amélioration modeste de ces mêmes effets ; le niveau 4 à une amélioration mineure en termes d’efficacité et/ou d’utilité. En 2007, la Commission de la transparence a rendu 267 avis sur des premières inscriptions sur la liste des produits remboursables et 41 avis concernant des demandes d’extension d’indication. La grande majorité des produits (238) présentaient un SMR important. Un seul produit représentait un progrès thérapeutique majeur (ASMR 1), 7 produits se sont vus attribuer un ASMR 2, 8 produits un ASMR 3, 7 produits un ASMR 4 et 242 produits un ASMR 5 [HAS, 2008].
-
[7]
Pour le petit nombre d’entreprises ne signant pas de convention, les remises sont calculés sur l’ensemble du CA et de sa progression, selon des modalités définies par le Code de la Sécurité sociale.