Couverture de RCE_003

Article de revue

Les ambiguïtés de la théorie de l'efficience informationnelle des marchés financiers

Pages 104 à 117

Notes

  • [1]
    Un profit anormal ou excès de rentabilité est défini comme un profit ou une rentabilité supérieur à la rémunération du risque.
  • [2]
    Face à l’abondante littérature visant à tester l’efficience, Fama [1991] suggère de modifier quelque peu cette classification qui nous servira de trame pour aborder les tests économétriques.
  • [3]
    Nous n’abordons pas ici les problèmes d’anomalies et de saisonnalités dans les rentabilités, ni les problèmes liés à la volatilité excessive des cours boursiers. On pourra, sur ces deux points, se reporter à Mignon [1998] et Lardic et Mignon [2006].
  • [4]
    Pour une revue de la littérature sur les résultats des tests d’efficience, on pourra consulter Fama [1970, 1991] ; pour un exposé des divers tests économétriques et des résultats plus récents, voir Mignon [1998].
  • [5]
    Plus spécifiquement, ces auteurs expliquent la mean reversion par la présence de phénomènes de modes et de manies en ayant ainsi la vision d’un marché inefficient.
  • [6]
    Un tel résultat est par ailleurs cohérent avec Grossman et Stiglitz [1980].
  • [7]
    Voir notamment les premières études de Neiderhoffer et Osborne [1966], Scholes [1972] et Jaffe [1974].
English version

1La théorie de l’efficience* des marchés financiers, selon laquelle le prix observé reflète à chaque instant toute l’information disponible, est certainement l’une des théories les plus controversées dans le domaine économique ou financier. Pour l’appréhender, nous adopterons une approche volontairement critique en mettant en avant les interprétations opposées d’un même résultat et les contradictions intrinsèques à la définition même de l’efficience.

2On verra qu’il est toujours possible d’interpréter les résultats comme on le désire selon que l’on est ou non partisan de l’efficience. Toutefois, ce problème fondamental d’interprétation ne nous semble pas uniquement provenir de l’économétrie. Ces contradictions sont issues de la définition même de l’efficience, ou plus exactement des définitions de l’efficience. Nous mettrons ainsi en avant non seulement les contradictions issues des tests économétriques, mais également les problèmes inhérents à la définition du concept d’efficience.

Les définitions de l’efficience informationnelle

3L’efficience est un concept pouvant revêtir plusieurs dimensions. On s’intéresse ici à l’efficience informationnelle dans la mesure où cette notion constitue le pilier essentiel de la théorie de la finance moderne.

Le prix observé reflète toute l’information disponible

4L’intuition de base des marchés efficients est que les opérateurs prennent position sur le marché en fonction de l’information dont ils disposent et de leur situation propre. Cette information est supposée commune à tous les agents et gratuite. Le prix de marché agrège l’ensemble des comportements des individus et reflète ainsi, à chaque instant, toute l’information disponible ; telle est la définition d’un marché informationnellement efficient. Dès lors, le prix observé sur le marché est égal à la valeur fondamentale, définie comme la somme actualisée des dividendes* futurs anticipés rationnellement par les agents [André Orléan, p. 120].

La présence d’un grand nombre d’opérateurs sur le marché

5L’hypothèse d’efficience suppose l’atomicité des agents. Ainsi, les participants, en grand nombre sur le marché, sont en concurrence active afin de réaliser des profits, de telle sorte qu’aucun d’entre eux ne puisse à lui seul influer sur le niveau des prix qui s’établiront sur le marché.

6Dans un article de 1965, Fama met en évidence deux propositions essentielles. En premier lieu, du fait de la présence active d’un grand nombre d’opérateurs sur le marché, les écarts du prix observé par rapport à la valeur fondamentale vont décroître. Ainsi, un marché est d’autant plus efficient que le nombre d’individus sur le marché est important. En second lieu, si les prix reflètent pleinement l’information disponible, tous les événements futurs dont dépendent les profits des entreprises sont identifiés, ainsi que leurs conséquences. Il est par conséquent possible de leur affecter une distribution de probabilité. Il s’ensuit que les fluctuations de prix ne peuvent êtres dues qu’à l’apparition d’événements imprévisibles, elles sont aléatoires.

L’imprévisibilité des variations de prix et le modèle de marche aléatoire

7Les variations de prix (rentabilités*) sont imprévisibles puisque tous les événements connus et anticipés sont déjà reflétés dans le cours actuel. Ceci a initialement été interprété en termes d’absence d’autocorrélation des rentabilités au cours du temps. Dans ce cas, il est impossible de prévoir les rentabilités futures à partir des rentabilités passées. Econométriquement, il s’ensuit que les prix suivent une marche aléatoire et que les rentabilités répondent à un processus de bruit blanc. Le prix observé sur le marché fluctue alors de façon aléatoire autour de la valeur fondamentale.

8Ainsi, la théorie de l’efficience des marchés, par le caractère imprévisible des rentabilités, a très souvent été associée au modèle de marche aléatoire. Il est cependant très important de remarquer que la relation entre marche aléatoire et efficience n’est pas une équivalence. En effet, si l’hypothèse de marche aléatoire repose sur la théorie de l’efficience, l’hypothèse de marché efficient n’implique pas que les prix suivent une marche aléatoire. Par conséquent, si les prix ne suivent pas une marche aléatoire, ceci n’entraîne pas l’inefficience du marché. Il suffit par exemple que l’hypothèse de neutralité vis-à-vis du risque ne soit pas respectée ou que les fonctions d’utilité des individus ne soient pas séparables et additives [Leroy, 1982]. Suite aux violations empiriques (voir infra) de l’indépendance des rentabilités, le modèle de marche aléatoire est apparu trop restrictif. Samuelson [1965] a alors développé le lien entre marché efficient et martingale et a ainsi présenté la martingale comme une alternative au modèle de marche aléatoire.

L’impossibilité de réaliser des profits anormaux et le modèle de martingale

9Le modèle de martingale est moins restrictif que celui de la marche aléatoire au sens où aucune condition n’est imposée sur l’autocorrélation des rentabilités. Ainsi, Pt suit une martingale si :

10

equation im1

11stipulant que la meilleure prévision du prix en t+1, sachant l’ensemble d’information It, est le prix en t.

12On peut encore écrire :

13

equation im2

14Cette définition implique que l’on ne peut s’attendre à une rentabilité qui soit supérieure à la rentabilité de marché, au sens où l’espérance conditionnelle des variations de prix est nulle. En revanche, le modèle de martingale ne suppose pas que la vraie distribution (Pt+1-Pt) est indépendante. En d’autres termes, la martingale n’interdit pas la dépendance des rentabilités successives, contrairement au modèle de marche aléatoire.

15Une des conditions nécessaire (et suffisante) à la validité du modèle de martingale est la neutralité vis-à-vis du risque. Cette dernière implique la martingale mais n’implique pas le modèle plus restrictif de marche aléatoire. En effet, la neutralité vis-à-vis du risque a pour conséquence que les agents ne s’intéressent qu’au premier moment de la distribution des rentabilités, et non pas aux moments d’ordre deux (variance et covariance). De ce fait, ils ne peuvent rien tirer d’une éventuelle corrélation sérielle dans les rentabilités. Pour cette raison, le modèle de martingale est apparu plus adapté comme représentation de l’hypothèse d’efficience que le modèle de marche aléatoire.

16L’apport fondamental de Samuelson consiste à affirmer que les prix observés sur un marché sont toujours égaux à la valeur fondamentale et non plus qu’ils fluctuent autour de cette valeur fondamentale. La différence est ici de taille. En effet, si les prix fluctuent aléatoirement autour de la valeur fondamentale, il est possible d’acheter (respectivement de vendre) les titres dont les prix sont inférieurs (respectivement supérieurs) à la valeur fondamentale. En revanche, si les prix sont toujours égaux à la valeur fondamentale, il est bien évident que l’on ne peut espérer tirer un profit en spéculant sur une différence entre les deux. Jensen [1978] propose alors une nouvelle définition de l’efficience : « un marché est efficient conditionnellement à un ensemble d’information ?t s’il est impossible de réaliser des profits économiques en spéculant sur la base de l’ensemble d’information ?t ».

17Les rentabilités peuvent être (faiblement) dépendantes, mais il est impossible de spéculer sur cette dépendance pour générer des profits anormaux [1]. En d’autres termes, la prévisibilité des rentabilités n’implique pas nécessairement la possibilité de réalisation d’excès de rentabilité.

Une classification en trois catégories

18La définition proposée par Fama [1965], selon laquelle un marché est informationnellement efficient si le prix observé sur le marché reflète pleinement et instantanément toute l’information disponible, prend en compte le contexte informationnel dans son ensemble et se révèle, de ce fait, trop générale pour permettre une quelconque vérification empirique. C’est pourquoi, Fama [1970] propose trois formes d’efficience selon l’information contenue dans cet « ensemble d’information disponible ». On distingue ainsi :

  • l’efficience au sens faible : l’ensemble d’information disponible comprend uniquement l’historique des séries de prix et de rentabilités. Les tests de la forme faible sont essentiellement des tests de marche aléatoire et visent à déterminer si les rentabilités futures peuvent être prévues à partir des rentabilités passées ;
  • l’efficience au sens semi-fort : l’ensemble d’information contient toute l’information publique. Cette information peut regrouper toute information concernant l’entreprise émettrice telle que les rapports annuels, l’annonce des bénéfices, les distributions d’actions* gratuites, l’information fournie par la presse, etc. L’objet est de tester si les prix s’ajustent rapidement à cette information, c’est-à-dire si le marché a correctement anticipé l’annonce ou la publication des résultats ;
  • l’efficience au sens fort : l’ensemble d’information comprend, en plus de l’information publique, toute information privée. Les tests visent à déterminer si les individus ayant un accès monopolistique à l’information sont capables de réaliser des profits supérieurs aux autres agents [2].

Des contradictions intrinsèques

19Cette section a pour objet de souligner les difficultés, voire les contradictions, que revêt la définition même de l’efficience.

Une absence d’échanges

20Un marché efficient est un marché sur lequel les prix reflètent toute l’information disponible et où les agents ont un comportement et des anticipations rationnels. Or, si les prix reflètent toute l’information disponible et si les agents agissent rationnellement il s’ensuit une disparition du marché. En effet, sous ces conditions, il n’y aura pas d’échange puisque tous les agents vont vouloir vendre les titres dont le prix va baisser et acheter ceux dont le prix va croître. Faute d’échanges, le marché ne peut exister. On voit donc ici apparaître une contradiction au sein même de la définition de l’efficience : si le marché est efficient, les agents – qui forment leurs décisions sur la base de l’information – n’ont aucun intérêt à chercher à obtenir telle ou telle information. Ainsi, si les marchés sont informationnellement efficients, la recherche et l’acquisition d’information ne sont qu’une pure perte de temps. Dès lors, comment résoudre ce dilemme et surtout comment réhabiliter le marché ? La solution consisterait alors à postuler que les agents se comportent comme si le marché n’était pas efficient…

21Une seconde interprétation possible consiste à supposer que l’on n’échange plus, à une date t, parce que l’on se situe à l’équilibre. À l’équilibre, il n’y a donc plus de motivation « spéculative » à échanger. Dans un deuxième temps, à la date t+1, il y aura révélation d’information, tâtonnement et nouvelle mise à jour. Dans ce cas, un marché efficient ne conduit pas à une absence d’échanges.

Asymétries et coûts d’information

22La gratuité de l’information est sous-jacente au fait que les prix reflètent toute l’information. Bien évidemment, ceci paraît fortement irréaliste et l’existence de coûts d’acquisition et de traitement de l’information a des conséquences très fortes sur l’efficience comme l’ont montré Grossman [1976, 1978] et Grossman et Stiglitz [1980]. Ces derniers élaborent un modèle dans lequel coexistent deux catégories d’agents : les agents informés qui acquièrent une information à un certain coût et les agents non informés qui observent uniquement les prix. S’il n’y a pas de bruit sur le marché et si les agents deviennent de plus en plus informés, toute l’information est transmise aux agents non informés par l’intermédiaire des prix. Sur un marché efficient, les prix reflétant toute l’information disponible, chaque agent informé pense qu’il peut arrêter de payer l’information et faire aussi bien qu’un agent non informé qui lui ne paie rien et observe simplement l’information au travers des prix. Il s’ensuit un désintérêt à investir dans l’acquisition d’information. Si tous les agents informés font de même, ils vont tenter d’inférer l’information à partir du système de prix qui ne contiendra plus aucune information. Il n’existe donc pas d’équilibre concurrentiel et Grossman et Stiglitz [1980] montrent que la gratuité de l’information n’est pas seulement une condition suffisante à la validité de l’efficience informationnelle, mais constitue en plus une condition nécessaire.

23La définition même de l’efficience paraît donc fortement « instable » au vu des remarques précédentes. Ainsi, si le prix reflète toute l’information disponible et si les agents sont homogènes, il n’y a plus aucune place pour le processus d’échange et le marché n’a donc plus aucune utilité. En outre, en présence de coûts d’information, on peut aboutir à une situation dans laquelle le prix ne reflète plus aucune information, ce qui constitue bien évidemment une violation totale de l’hypothèse d’efficience. Il est important de rappeler que toutes ces contradictions sont intrinsèques à la définition même de l’efficience et ne peuvent donc pas être dues à d’éventuelles interprétations contradictoires de résultats de tests économétriques.

24Qu’en est-il à présent d’un point de vue empirique ? Les tests économétriques permettent-ils d’obtenir des conclusions tranchées en termes d’efficience ou d’inefficience des marchés ?

L’apport des tests économétriques [3]

25Il convient tout d’abord de souligner l’existence d’une caractéristique commune à tous les tests d’efficience : tout test d’efficience est un test joint de l’hypothèse d’efficience et d’un modèle d’évaluation des actifs. Ce problème est selon Fama [1991] le plus sérieux dans la mesure où il a pour conséquence que l’efficience n’est pas directement testable : elle doit nécessairement être testée conjointement avec un certain modèle de formation des prix. Ainsi, tester l’efficience au moyen même d’un simple test de marche aléatoire ou de martingale est déjà un test joint puisque l’on suppose dans ce cas que le modèle de formation des prix répond à un processus de type marche aléatoire ou martingale. Une conclusion majeure est qu’il est impossible de déterminer avec certitude si le rejet de l’hypothèse nulle provient de l’inefficience du marché ou d’une mauvaise spécification du modèle d’évaluation retenu. En revanche, si l’on accepte l’hypothèse nulle, ceci signifie que l’efficience est acceptée puisque, dans ce cas on accepte à la fois l’efficience et la validité du modèle d’évaluation, ce dernier « incluant » l’hypothèse d’efficience. Malgré ce problème de fond, Fama [1991] indique qu’il est essentiel et intéressant de continuer à tester l’efficience dans la mesure où les résultats issus de ces tests changent la vision et la pratique des professionnels du marché [Mathieu L’Hoir, p. 133].

Les tests de prévisibilité des rentabilités

Les tests de forme faible

26Les multiples tests [4] concernant la prévisibilité des rentabilités font apparaître la nécessité d’effectuer une distinction entre horizon court et horizon long. Les études sur horizon court mettent majoritairement en évidence l’existence d’autocorrélations statistiquement significatives, témoignant ainsi de la possibilité de prévoir les rentabilités à partir des valeurs passées. Malgré leur significativité statistique, Fama [1970, 1991] juge ces autocorrélations non significatives d’un point de vue économique au sens où la présence d’autocorrélations à court terme ne permet pas l’élaboration de stratégies rémunératrices. On se trouve ici face à un problème inhérent à toute étude sur l’efficience : alors que les tests économétriques font apparaître une prévisibilité des rentabilités à partir des valeurs passées, les partisans de l’efficience affirment que la connaissance de ce phénomène ne remet nullement en cause l’efficience. Devant cet état de fait, divers auteurs se sont attachés à tester l’hypothèse d’efficience en travaillant sur des horizons plus longs.

27Selon Summers [1986], on ne peut conclure en faveur de l’efficience uniquement en examinant les autocorrélations à horizon court. À travers un exemple simple, Summers montre que l’on peut ne pas observer d’autocorrélation à court terme alors même que le processus est autocorrélé. Pour appréhender cette autocorrélation, il est indispensable de travailler sur des horizons longs. Plus spécifiquement, Summers [1986] montre que si le modèle habituel de formation des cours — modèle d’actualisation des dividendes futurs — est vérifié, alors on doit observer des autocorrélations négatives à horizon long, ce qui témoigne du phénomène de retour à la moyenne des rentabilités (mean reversion) : après une période de hausse (respectivement de baisse), les rentabilités suivront une tendance décroissante (respectivement croissante) afin de retourner vers leur valeur moyennes. Cette présence du phénomène de mean reversion a été confirmée par divers auteurs, dont Poterba et Summers [1988].

28Quelle est alors l’implication du phénomène de retour à la moyenne des prix sur l’efficience ? Tout d’abord, le fait que les prix retournent vers la valeur fondamentale indique que, durant la période où le phénomène de mean reversion prend place, les rentabilités sont prévisibles à partir des rentabilités passées. Les prix ne suivent donc pas une marche aléatoire et contiennent une composante stationnaire transitoire. Le rejet de la marche aléatoire n’implique pas cependant le rejet de l’hypothèse d’efficience des marchés financiers. Toutefois, la présence d’une composante mean reverting dans les prix induit nécessairement un écart (plus ou moins durable) du prix à la valeur fondamentale, ce qui remet en cause l’hypothèse de Samuelson concernant l’égalité à tout instant entre le prix et la valeur fondamentale. En outre, plus l’écart des prix par rapport à la valeur fondamentale est durable, plus les autocorrélations dans les rentabilités sont longuement négatives et plus il est possible d’établir des règles de spéculation permettant de générer des profits anormaux. Summers [1986] et Poterba et Summers [1988] voient ainsi dans le phénomène de mean reversion une source d’inefficience du marché [5]. Mais, comme dans tout débat sur l’efficience, nous trouvons naturellement la position inverse, à savoir que le phénomène de mean reversion ne témoigne en rien d’une inefficience du marché, mais bien au contraire de l’efficience. Fama et French [1988a] suggèrent ainsi que la corrélation sérielle négative observée dans les rentabilités à horizon long peut résulter du fait que les rentabilités attendues sont variables au cours du temps. Or, le fait que ces rentabilités espérées varient au cours du temps reflète la possibilité d’un taux d’intérêt variable, ce qui n’est pas incompatible avec l’efficience. Par ailleurs, alors que les « adversaires » de l’efficience insistent sur le fait que la présence d’une composante mean reverting dans le prix témoigne d’un écart – plus ou moins durable – entre le prix et la valeur fondamentale, les « partisans » de l’efficience voient dans cette composante le fait que le prix tend à retourner vers la valeur fondamentale, ce qui entraîne la vérification de l’hypothèse d’efficience à long terme. En effet, si les prix retournent vers la valeur fondamentale, alors le modèle d’évaluation est vérifié à long terme. Ce modèle reposant sur l’hypothèse d’efficience, l’acceptation du modèle induit l’acceptation de l’efficience. Face au débat quelque peu stérile concernant la prévisibilité des rentabilités à partir des rentabilités passées, les auteurs se sont penchés sur l’étude de la prévisibilité des rentabilités à partir d’autres variables économiques ou financières. Ces dernières comprennent notamment les taux d’intérêt, le ratio dividendes/cours (dividend yield), le PER*., etc. Nous choisissons ici de présenter les résultats issus des tests de cointégration entre les cours et les dividendes.

Cointégration entre cours et dividendes et efficience

29Stipuler que les cours et les dividendes sont cointégrés revient à affirmer qu’il existe une relation stable (ou d’équilibre) entre ces deux variables à long terme. En d’autres termes, ces deux séries évoluent ensemble, de telle sorte qu’il n’existe pas d’écart durable entre les cours et les dividendes : à long terme, le terme d’erreur de la relation liant les cours et les dividendes est nul. Si les cours et les dividendes ne sont pas cointégrés, cela implique qu’il existe un écart durable entre le cours et la valeur fondamentale en vertu du modèle d’actualisation des dividendes futurs. Le prix ne revient donc pas vers la valeur fondamentale, ce que l’on peut interpréter comme des traces d’inefficience. Il convient cependant de noter que la cointégration entre cours et dividendes ne permet pas d’obtenir de conclusion fiable quant à l’efficience des marchés. En effet, dans le cadre de l’efficience, les cours et les dividendes doivent constituer une relation stationnaire, mais la cointégration signifie également qu’il est possible de prévoir les cours à partir des dividendes et cours passés, ce qui devient plus difficilement compatible avec l’efficience. Le sens de la causalité entre cours et dividendes est ici primordial : si les cours causent les dividendes, il est possible de prévoir les dividendes à partir des cours et dividendes passés, ce qui selon Lilti [1994] reste cohérent avec l’efficience. Mais si ce sont les dividendes qui causent les cours, la conclusion quant à l’hypothèse d’efficience reste ambiguë [Campbell et Shiller, 1987]. Comme dans le cas de la mean reversion, les résultats des tests de cointégration entre les cours et les dividendes peuvent donner lieu à deux interprétations opposées. D’une part, la cointégration indique l’absence d’écart durable entre le prix et la valeur fondamentale, ce qui est cohérent avec l’hypothèse d’efficience. D’autre part, la cointégration induit la présence d’une prévisibilité des cours à partir des dividendes passés, ce qui va à l’encontre du concept d’efficience.

Les tests d’études événementielles

30Dans cette deuxième catégorie, les prix intègrent non seulement toute l’information portant sur l’historique des prix et des variables fondamentales, mais également toute l’information publique concernant la santé des entreprises (annonces des résultats annuels, émission de nouvelles actions, distributions d’actions gratuites, etc.). L’objet des tests d’études événementielles est de déterminer si les prix intègrent rapidement ces diverses informations publiques. On teste ainsi la réaction du marché à une information rendue publique en analysant la vitesse avec laquelle le prix s’ajuste à cette information. Selon Fama [1991], la majorité des études événementielles menées sur données quotidiennes fait ressortir un ajustement rapide des cours des actions à toute information publique : en moyenne, les prix semblent s’ajuster en un jour à l’annonce d’un événement. Fama [1991] conclut alors que le marché est efficient au sens semi-fort. Toutefois, les analyses de Charest [1978], Mitchell et Mulherin [1994] et Bernard et Thomas [1990] montrent que le marché ne réagit pas rapidement à l’annonce, ce qui semble contredire l’efficience au sens semi-fort [6]. Dans ce cas d’ajustement lent des prix, Fama [1991] met en avant le problème de l’hypothèse jointe visant bien évidemment à tenter de réhabiliter l’hypothèse d’efficience. Face à ce constat et aux résultats quelques peu divergents des études, il paraît à nouveau bien difficile de conclure sans ambiguïté en termes d’efficience ou d’inefficience du marché au sens semi-fort.

Les tests sur l’information privée

31Cette troisième et dernière catégorie de l’efficience informationnelle concerne le problème de l’information privée : existe-t-il des investisseurs détenant une information privée qui n’est pas reflétée dans les prix ? Dans l’affirmative, ces investisseurs peuvent-ils espérer des rentabilités supérieures à celles des agents ne disposant pas de cette information ? De façon générale, les études sur l’efficience au sens fort peuvent être classées en trois catégories. La première est constituée des études sur les délits d’initiés dont l’objet est de déterminer si des investisseurs possédant une information privée réalisent un arbitrage. La deuxième catégorie repose sur l’analyse des performances des portefeuilles gérés par les professionnels ; l’objet étant de déterminer si ces derniers réalisent ou non des profits anormaux. Enfin, la troisième catégorie est constituée de divers tests, tels que les résultats d’expériences menées en laboratoire, l’analyse d’opérations d’initiés spécifiques ou les mesures de richesse (pseudo-initiés). La grande partie des études [7] met globalement en avant la détention d’informations privées par les spécialistes, les insiders et éventuellement les gestionnaires de fonds communs. De ce fait, les prix ne reflètent pas pleinement toute l’information disponible. Néanmoins, pour apporter une conclusion plus tranchée en termes d’efficience, il convient de déterminer si ces investisseurs, agissant sur la base de cette information, sont aptes à battre le marché c’est-à-dire s’ils peuvent réaliser des profits anormaux. Or, on retrouve à nouveau le problème de l’hypothèse jointe : mesurer des rentabilités anormales nécessite la définition d’une « norme ». Il est alors impossible d’obtenir une conclusion tranchée en termes d’efficience.

Conclusion : peut-on encore parler d’efficience ?

32Cet article s’est attaché à soulever diverses interrogations liées à l’hypothèse d’efficience informationnelle des marchés. Il a mis en avant qu’une telle hypothèse est relativement mal définie et n’est pas exempte de contradictions internes. Outre ces difficultés théoriques, nous avons vu que la quasi-totalité des résultats issus des tests d’efficience pouvaient être interprétés de deux façons diamétralement opposées selon que l’on est ou non partisan de l’efficience ; les cas les plus flagrants concernant les analyses sur horizons longs avec les phénomènes de mean reversion et de cointégration.

33Face à ces ambiguïtés, de nouvelles approches de l’efficience ont été développées. Celles-ci ont pour caractéristique commune de s’inscrire dans une perspective dynamique. Une première approche, l’hypothèse de marché fractal, repose sur l’existence d’horizons différenciés selon les investisseurs, conférant une structure fractale au marché. D’autres approches se centrent sur les préférences et les comportements des intervenants sur le marché. Tel est notamment le cas des approches comportementales de l’efficience parmi lesquelles figurent l’approche sociologique et l’approche évolutionniste.

34Dans les recherches futures, il semble important de garder à l’esprit les faiblesses de l’hypothèse d’efficience des marchés financiers et de maintenir une approche éclectique. A titre d’exemple, l’approche comportementale apporte beaucoup dans la compréhension du boom des marchés financiers internationaux dans les années 1990 et de la crise de 2000, événements durant lesquels les comportements humains et les phénomènes de rétroaction ont généré d’importants biais dans l’allocation des ressources. La conclusion fondamentale est ainsi que les intervenants sur les marchés financiers sont humains et que les « forces du marché » ne sont pas suffisamment puissantes pour compenser les défaillances humaines. L’enjeu pour les économistes est maintenant de réussir à intégrer une telle réalité dans les modèles théoriques.

35Pour aller plus loin : une version détaillée de cet article est disponible sur www. rce-revue. com

Bibliographie

Bibliographie

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  • Scholes M. (1972), « The market for securities : substitution versus price pressure and the effects of information on share prices », Journal of Business, vol. 45, p. 179-211.
  • Shiller R.J. (1989), The market volatility, MIT Press, Cambridge.
  • Summers L.H. (1986), « Does the stock market rationally reflect fundamental values ? », The Journal of Finance, vol. 51, n° 3, p. 591-601.

Date de mise en ligne : 15/03/2008.

https://doi.org/10.3917/rce.003.0104

Notes

  • [1]
    Un profit anormal ou excès de rentabilité est défini comme un profit ou une rentabilité supérieur à la rémunération du risque.
  • [2]
    Face à l’abondante littérature visant à tester l’efficience, Fama [1991] suggère de modifier quelque peu cette classification qui nous servira de trame pour aborder les tests économétriques.
  • [3]
    Nous n’abordons pas ici les problèmes d’anomalies et de saisonnalités dans les rentabilités, ni les problèmes liés à la volatilité excessive des cours boursiers. On pourra, sur ces deux points, se reporter à Mignon [1998] et Lardic et Mignon [2006].
  • [4]
    Pour une revue de la littérature sur les résultats des tests d’efficience, on pourra consulter Fama [1970, 1991] ; pour un exposé des divers tests économétriques et des résultats plus récents, voir Mignon [1998].
  • [5]
    Plus spécifiquement, ces auteurs expliquent la mean reversion par la présence de phénomènes de modes et de manies en ayant ainsi la vision d’un marché inefficient.
  • [6]
    Un tel résultat est par ailleurs cohérent avec Grossman et Stiglitz [1980].
  • [7]
    Voir notamment les premières études de Neiderhoffer et Osborne [1966], Scholes [1972] et Jaffe [1974].
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