Regards 2018/1 N° 53

Couverture de REGAR_053

Article de revue

Identifier les facteurs explicatifs du renoncement aux soins pour appréhender les différentes dimensions de l’accessibilité sanitaire

Pages 29 à 41

Notes

  • [1]
    Desprès et al., 2011, « Le renoncement aux soins : une approche socio-anthropologique », In Questions d’économie de la santé, n°169, p.3
  • [2]
    Warin P. et C. Chauveaud, 2014, « Le Baromètre du renoncement aux soins dans le Gard (BRSG) », rapport d’étude pour la CPAM du Gard, ODENORE.
  • [3]
    Warin P. et C. Chauveaud, 2014, ibid.
  • [4]
    Desprès C., 2013, « Significations du renoncement aux soins : une analyse anthropologique », In Sciences sociales et santé, vol. 31, 2013/2, p. 73.
  • [5]
    Desprès C., 2012, « Le renoncement aux soins pour raisons financières. Analyse socio-anthropologique », DREES, Série Études et Recherche, n°119, mars, p.14 et 15.
  • [6]
    Revil H. (en collaboration avec S. Bailly), 2018, « Diagnostic du renoncement aux soins des assurés des CPAM de la seconde vague de généralisation des PFIDASS », rapport pour la CNAMTS, ODENORE/Programme LIFE, mars.
  • [7]
    Dourgnon P. and al., 2011, « Le renoncement aux soins pour raisons financières. Une approche économétrique », In Question d’économie de la santé, n°170, novembre.
  • [8]
    Chauvin P. and al., 2001, « Déterminants psychosociaux du renoncement aux soins pour raisons financières dans 5 zones urbaines sensibles de la région parisienne », INSERM, Document de travail.
  • [9]
    Warin P. and al., 2013, « CERESO : Ce que renoncer aux soins veut dire », ODENORE, novembre, p. 4.
  • [10]
    Warin P. and al., 2013, ibid, p. 41.
  • [11]
    Revil H. (en collaboration avec S. Bailly), 2018, ibid.
  • [12]
    Nous rappelons que, dans le BRS, les personnes peuvent citer plusieurs raisons pour expliquer leur(s) renoncement(s).
  • [13]
    Revil H., 2014, « Le « non-recours » à la Couverture maladie universelle : émergence d’une catégorie d’action et changement organisationnel », Thèse de Science-politique, Université Grenoble Alpes, janvier.
  • [14]
    Desprès C., 2012, op.cit., p.92.
  • [15]
    À l’heure actuelle, près de trois cents entretiens qualitatifs ont été réalisés avec des personnes en renoncement aux sons dans le cadre de la démarche BRS.
  • [16]
    Revil H. et P. Warin, 2016, « Le renoncement aux soins des assurés sociaux en Languedoc-Roussillon. Diagnostic dans le régime général, le régime social des indépendants et le régime de la mutualité sociale agricole », ODENORE, rapport pour les organismes d’Assurance Maladie obligatoire du Languedoc-Roussillon, mars 2016.
  • [17]
    Revil H. (en collaboration avec S. Bailly), 2018, op. cit.
  • [18]
    Certains travaux ont permis de souligner que des situations d’endettement peuvent être à l’origine des difficultés rencontrées par les personnes pour réaliser des soins ; voir par exemple, Revil H. et P. Warin, 2016, op. cit.
  • [19]
    Revil H. et P. Warin, 2016, « La plateforme d’intervention départementale pour l’accès aux soins et à la santé (PFIDASS). Regard sur un dispositif expérimental de détection du renoncement aux soins et d’action pour aider les personnes à réaliser leurs soins », ODENORE, rapport pour la CPAM du Gard, mars.
  • [20]
    Warin P., 2016 (actualisation), « Le non-recours : définitions et typologies », ODENORE, Working Paper, décembre.
  • [21]
    Warin P., 2016, op. cit.
  • [22]
    Revil H., 2014, op. cit.
  • [23]
    Richez C., 2016, « Diagnostic de l’accès aux soins en Languedoc-Roussillon. Monographie de l’Hérault », ODENORE, rapport pour la CPAM de l’Hérault, mars.
  • [24]
    Warin P., 2017, Le non-recours aux politiques sociales, PUG.
  • [25]
    Warin P. et C. Chauveaud, 2014, op. cit.
  • [26]
    Revil H. et P. Warin, 2016, op. cit.
  • [27]
    Revil H. (en collaboration avec S. Bailly), 2018, op. cit.
  • [28]
    Blanchet N. et H. Revil, 2018, « Evaluation participative de la PFIDASS du Gard », ODENORE, avril 2018.
  • [29]
    Revil H. et P. Warin, 2016, op. cit.
  • [30]
    Desprès C., 2012, op.cit., p.150.
  • [31]
    Blanchet N. et H. Revil, 2018, op. cit.
  • [32]
    Desprès C., 2012, ibid.
  • [33]
    Revil H., « Des droits et des soins hors d’atteinte », In Pratiques, n°74, juillet 2016.
  • [34]
    Wicky-Thisse M., « Causes de renoncements et de non-recours aux soins primaires des personnes en situation de précarité », Thèse de Médecine, Université de Franche-Comté, juin 2017, p.5.
  • [35]
    Wicky-Thisse M., 2017, ibid, p.5.

1Dans la littérature scientifique, il existe plusieurs manières de définir le renoncement aux soins. Pour l’anthropologue Caroline Desprès, la notion exprime le fait « que des individus […] ne sollicitent pas les services de soins et les professionnels de santé alors qu’ils éprouvent un trouble, constatent un désordre corporel ou psychique ou quand ils n’accèdent pas à la totalité du soin prescrit » [1]. Pour Philippe Warin, responsable de l’Observatoire des non-recours aux droits et services (ODENORE), on parle de renoncement « lorsque des personnes déclarent ne pas pouvoir satisfaire la totalité, ou une partie, de leurs besoins de soins » [2]. La notion de non-recours est, quant à elle, mobilisée par P. Warin pour désigner des besoins de soins non satisfaits, justifiés médicalement. Plusieurs notions cohabitent donc ; une étude de l’ODENORE a toutefois montré que, dans les faits, renoncement et non-recours se recoupent pour une grande partie. La majorité des besoins de soins ressentis par les personnes et qui, pour différentes raisons, demeurent insatisfaits, est ainsi justifiée d’un point de vue médical [3].

2Une autre précision est importante : étymologiquement, le verbe renoncer peut suggérer « un abandon », ainsi qu’« une décision par choix, un acte volontaire découlant d’un processus de délibération » [4]. Caroline Desprès a d’ailleurs opéré une distinction entre « renoncements barrières » et « renoncements refus », les premiers venant pointer les obstacles, par exemple financiers, qui compliquent les itinéraires de soins, les seconds témoignant « de l’expression d’une préférence, – préférer se traiter par soi-même ou solliciter d’autres types de soins que ceux qui sont légitimes dans notre système de santé » [5]. À l’heure actuelle, la notion de renoncement aux soins est utilisée par des acteurs de différentes natures, notamment du monde la protection sociale, plutôt dans son acception « barrières », pour signifier les « empêchements », les « gênes », que les personnes rencontrent par rapport aux soins.

3Dans les enquêtes que nous avons effectuées, lors des échanges avec les personnes sur les besoins de soins qu’elles disent ne pas pouvoir satisfaire, on retrouve le plus souvent un vocabulaire exprimant des difficultés, des freins, des impossibilités auxquelles les personnes expliquent devoir faire face, et ce à différents moments de leurs itinéraires de soins. Certes, une partie d’entre elles évoque les alternatives mises en place pour se soigner ; les personnes parlent notamment de leurs pratiques d’automédication. Mais elles indiquent aussi qu’elles ont le plus souvent « été contraintes » de faire autrement pour soulager leurs maux.

4Si les définitions théoriques du renoncement ne se recoupent que partiellement et si la notion peut revêtir différentes acceptions, dans les faits en tout cas, le renoncement décrit bien un ensemble de situations où des personnes ne réalisent pas certains soins dont elles auraient besoin, n’adressent pas une partie ou la totalité de leurs demandes au système de santé, ne continuent pas à se soigner alors qu’elles ont engagé des démarches.

I – Observer le renoncement aux soins : l’exemple d’un baromètre à la croisée des mondes administratif et scientifique

5L’un des axes du programme scientifique de l’ODENORE, dispositif de recherche du Laboratoire « Politiques publiques, Action politique et Territoires » (PACTE), porte sur le renoncement en matière de santé. La production de connaissances sur le phénomène se fait en interaction permanente avec des acteurs du monde sanitaire et social. En 2014 par exemple, la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) du Gard et l’ODENORE ont mis au point un outil pour observer et décrypter le renoncement aux soins. Concrètement, le « Baromètre du renoncement aux soins » (BRS) consiste en une démarche d’enquête mêlant méthodes quantitative et qualitative. Sa finalité première est de donner aux organismes d’Assurance maladie (et à leurs partenaires) une idée du phénomène tel qu’il « se présente » en leur sein (voire tel qu’il prend forme chez les partenaires) [6]. La connaissance produite alimente également les travaux de recherche de l’ODENORE, ainsi que ceux du programme LIFE de l’Initiative d’excellence (IDEX) de l’Université Grenoble-Alpes qui a vocation à développer la compréhension des trajectoires de soins et de santé.

6Par rapport à d’autres enquêtes relatives au renoncement, le BRS ne se concentre pas sur un seul type de soins mais cherche à dessiner un panorama général des soins renoncés (consultations, actes médicaux, examens et analyses, achat de matériel ou de médicaments…). En parallèle, il donne des indications sur l’intensité et l’impact – individuel et social – des difficultés rencontrées par les personnes pour se soigner. Ces éléments sont essentiels pour saisir ce que l’absence de soins induit. Comme la plupart des enquêtes relatives au renoncement aux soins, le BRS a aussi pour objectif de capter de l’information sur ce qui produit le phénomène. Il cherche ainsi à en saisir les causes, sans se concentrer sur une en particulier.

7Une partie des travaux portant sur le renoncement aux soins a en effet focalisé son attention sur les raisons de nature financière [7]. D’autres ont en revanche eu vocation à mettre en évidence ses différents déterminants. En 2001, P. Chauvin et son équipe indiquent par exemple qu’en travaillant sur le renoncement leur objectif est de « montrer qu’au-delà des facteurs socio-économiques classiques, d’autres facteurs, de l’ordre des conditions de vie, des ruptures et intégrations sociales, des représentations de santé et des caractéristiques psychologiques, sont associés à un tel [phénomène] » [8]. En 2013, une enquête qualitative réalisée par l’ODENORE avait également vocation à rendre compte de Ce que renoncer à des soins veut dire pour les personnes, afin de vérifier le caractère relatif de l’explication du phénomène pour des raisons financières [9]. Le prolongement de ce travail exploratoire visait quant à lui « à caractériser les causes du renoncement interrogeant directement les choix publics, à savoir les causes relatives aux systèmes d’assurances, aux systèmes d’offres de soins et aux statuts et relations professionnels » [10].

8La construction du module du BRS relatif aux causes du renoncement aux soins s’est faite en tenant compte des raisons signalées dans les travaux précités et, plus particulièrement, de celles apportées au travers des entretiens qualitatifs de l’étude CERESO. Le questionnaire a également été précisé à la suite de sa passation initiale dans le Gard. Le BRS permet finalement d’appréhender, à un moment T, la diversité des raisons qui contribuent, de manière plus ou moins forte, à éloigner les personnes des soins, à entraver leur commencement ou à les interrompre.

II – « Photographier » les raisons du renoncement aux soins

9La dernière « photographie » du renoncement aux soins, à partir de l’enquête quantitative du BRS, a été faite fin 2017 et concerne 29 territoires métropolitains. En leur sein, plus de quarante mille personnes ont été interrogées et 22,4 % ont déclaré avoir renoncé à un ou plusieurs soins au cours des douze derniers mois [11].

II.1 – Coûts des soins et absence de protection complémentaire

10Les analyses des raisons apportées par ces personnes à leurs difficultés en matière de soins montrent que les obstacles financiers sont les plus cités. C’est tout du moins de ce type de difficultés dont les personnes parlent le plus en première intention. Tous territoires confondus, 60 % des « renonçants » disent ainsi que les restes à charge des soins (RAC) sont la ou l’une des raisons de leur(s) renoncement(s) [12]. Ils sont 29 % à dire que l’avance de frais est en cause. 11,2 % expliquent, en outre, que des incertitudes concernant le coût de certains soin(s) peuvent les amener à y renoncer. Selon les territoires, les pourcentages relatifs aux raisons financières du renoncement varient assez fortement : la part la plus élevée de personnes qui dit renoncer à cause des restes à charge atteint quasiment 71% dans les Yvelines, tandis que la plus faible est de 48 %. Elle concerne le Cantal. S’agissant de l’avance de frais, l’amplitude entre les taux est d’environ 40 points (12 % des renonçants Vendéens en parlent alors que c’est le cas de 43 % de ceux qui résident dans les Yvelines).

11Dans l’ensemble des territoires, la difficulté à assumer les frais liés à certains soins, mais aussi à procéder à des avances auprès des professionnels, est pour partie liée à l’absence de complémentaire santé ; 17 % de l’ensemble des renonçants du dernier BRS déclarent être dépourvus d’une telle protection, alors que ce taux est de 10 % pour les répondants. L’absence de complémentaire santé ressort ainsi comme un facteur « favorisant » fortement le renoncement aux soins, en particulier à certains d’entre eux. Les données qualitatives du BRS signalent en l’occurrence qu’une partie des personnes sans complémentaire est éligible à la CMU-C ou à l’ACS. Les difficultés financières d’accès aux soins s’inscrivent donc, pour certaines, dans la continuité d’un « primo non-recours » aux dispositifs de la complémentaire gratuite ou aidée. On estime, qu’en 2014, à l’échelle nationale, 23 à 36 % des personnes éligibles n’ont pas eu recours à la Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). S’agissant de l’Aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS), le taux de non-recours était compris entre 57 et 70 % cette année-là [13].

12L’absence de protection complémentaire accroît certes le risque de renoncer à des soins. Mais il paraît utile de souligner que, tous territoires confondus, une partie des « renonçants » dispose d’une telle protection. On peut en déduire que s’il est essentiel de bénéficier d’une complémentaire pour prévenir les difficultés d’accès aux soins, la question est bien également celle de la qualité des contrats, et de l’adaptation des garanties qui les composent, aux besoins des personnes. Comme le signalait C. Desprès il y a quelques années, « les situations de renoncement pour raisons financières dépendent largement de la qualité de la protection sociale, soit l’existence d’une complémentaire santé (privée ou publique, la CMU-C) et de la qualité de cette complémentaire » [14].

II.2 – Des raisons « temporelles » : délais pour accéder aux soins et disponibilité des personnes

13Hormis les problématiques financières, un autre type de raisons est, tous territoires confondus, cité par plus d’un quart des « renonçants » de la dernière campagne du BRS : il s’agit des problématiques « temporelles » et qui renvoient, d’une part, aux délais pour avoir un rendez-vous avec certains professionnels de la santé et, d’autre part, au manque de disponibilité que peuvent rencontrer les personnes pour inclure des consultations ou actes médicaux dans leurs emplois du temps. Au niveau de l’échantillon total du BRS, les problèmes de disponibilité sont cités par 11 % des personnes en renoncement et les délais par un peu plus de 15 % d’entre elles. Le fait de ne pas réussir à faire prendre en charge leurs besoins de soins dans des délais qu’elles jugent « raisonnables » apparaît ainsi comme la troisième raison la plus évoquée pour expliquer le renoncement. Dans quelques territoires, elle est même la seconde raison la plus citée devançant ainsi l’avance de frais. La part de personnes indiquant que les motifs temporels font partie de ceux qui expliquent leur renoncement connait, en effet, des variations territoriales : s’agissant du manque de disponibilité, cette part oscille entre 5 % dans l’Indre et 16 % en Gironde. La question des délais est quant à elle citée par 33 % des personnes en renoncement dans l’Eure, mais par seulement 8 % de celles affiliées à la CPAM de Bayonne.

II.3 – D’autres raisons de renoncer : de l’éloignement géographique aux attitudes individuelles par rapport aux soins et à la santé

14Selon les territoires, d’autres motifs que financiers et/ou temporels sont plus ou moins cités par les personnes pour expliquer leurs difficultés d’accès ou de maintien dans les soins.

15Dans un tiers des territoires pris en compte dans campagne du BRS de fin 2017, c’est l’accessibilité géographique des soins qui questionne un peu plus qu’ailleurs. La part des personnes qui renoncent à cause de l’éloignement géographique, du coût du déplacement vers les soins ou de l’absence de moyen de transport, y est ainsi plus élevée. C’est notamment le cas en Haute-Marne où 13,3 % des renonçants parlent de leur éloignement par rapport à l’offre médicale et 6,7 % du coût du déplacement vers les soins.

16Les difficultés relatives à une méconnaissance du système de santé ou à des incompréhensions par rapport à la prise en charge des soins sont, pour leur part, davantage explicatives pour les « renonçants » de quatre territoires. Dans l’Eure par exemple, plus de 10 % ont indiqué renoncer parce qu’ils ne connaissent pas de praticiens pouvant prendre en charge leurs besoins ou à cause de la complexité des démarches à mettre en œuvre pour accéder aux soins.

17Les raisons renvoyant à des craintes, voire à des peurs, par rapport au monde médical, aux soignants et/ou aux diagnostics, sont quant à elles plus prégnantes pour les renonçants de quatre territoires. C’est le cas dans la Marne où 7 % des personnes qui renoncent parlent de craintes par rapport aux soignants et 7 % disent avoir des inquiétudes par rapport aux diagnostics qui pourraient être établis par les professionnels de santé si elles consultent.

18Pour tous les territoires, on retrouve, en filigrane, des raisons de renoncer que l’on peut dire en lien avec des attitudes individuelles, des « sentiments », par rapport aux soins, à la prise en charge par les personnes de leur santé, mais également par rapport au système de protection sociale et aux démarches administratives. La lassitude et la négligence semblent toutefois plus présentes chez les renonçants de certains territoires, en particulier de Haute-Corse où près de 10 % décrivent leur lassitude et plus de 10 % également révèlent être négligents par rapport à leur santé.

19Ces quelques exemples indiquent l’intérêt d’avoir une lecture des déterminants du renoncement, territoire par territoire. On peut faire l’hypothèse que les variations quant à la fréquence de citation de certains déterminants, et donc quant à la prégnance plus ou moins marquée de certains obstacles, sont notamment fonction de la nature de l’offre de soins disponible sur les territoires, de sa répartition, des actions et dispositifs existants pour limiter les inégalités d’accès aux soins, ainsi que des caractéristiques sociodémographiques des populations.

III – Saisir de manière plus qualitative ce qui gêne l’accès et le maintien dans les soins

20Les enquêtes qualitatives réalisées dans le cadre de la démarche BRS viennent utilement compléter les résultats statistiques et apportent un éclairage différent sur les difficultés qui jalonnent les itinéraires de soins [15]. Elles permettent de mieux comprendre leur « mécanique » et de mettre en évidence des éléments dont les chiffres ne rendent que partiellement compte : c’est le cas des problématiques qui ont trait à la méconnaissance, aux incompréhensions, aux problèmes d’orientation dans le système de protection maladie et de santé, ainsi que des dimensions relatives à la relation qu’entretiennent patients et soignants.

III.1 – La mécanique des obstacles financiers

21Les obstacles financiers dans l’accès aux soins s’articulent bien souvent avec d’autres causes. L’analyse des données quantitatives du BRS indique que le fait de renoncer à cause de restes à charge se combinent plus fréquemment avec certaines raisons, par exemple les délais pour avoir un rendez-vous médical mais aussi l’éloignement géographique [16]. Les entretiens qualitatifs permettent de mieux comprendre ces combinaisons. Ils montrent que les délais pour avoir rendez-vous avec des professionnels de la santé compliquent la planification financière des soins de personnes qui tentent de faire coïncider au mieux le moment de leurs dépenses de santé avec les périodes un peu moins « serrées » financièrement. L’imprévisibilité des ressources, dû notamment à un rapport à l’emploi discontinu, peut rendre difficile la projection de dépenses liées à des soins qui interviendraient plusieurs mois après une prise de rendez-vous et dont les personnes n’arrivent, en outre, pas précisément à déterminer le montant.

22Les entretiens qualitatifs donnent également à voir un point important sur lequel d’autres enquêtes relatives au renoncement ne s’attardent pas : le fait que, si les obstacles financiers dans l’accès aux soins sont massifs, ils sont aussi pour une partie d’entre eux le résultat d’un « imaginaire collectif ». Certaines personnes n’adressent ainsi pas leur(s) demande(s) de soin parce qu’elles anticipent des restes à charge élevés mais sans avoir de données objectives pour en juger. Ceci rejoint d’autres constats selon lesquels de nombreuses personnes disent méconnaitre les tarifs des soins, les parts qui peuvent leur être remboursées, et ne savent pas où, ni comment, se renseigner pour y voir plus clair. Il est évident que les restes à charge peuvent être élevés et qu’ils constituent un obstacle majeur pour des personnes dont les restes pour vivre mensuels sont limités ; mais il est probable que, pour une partie des soins auxquels les personnes disent renoncer à cause de restes à charge, ceux-ci soient « en réalité » moins importants qu’elles ne l’imaginent [17]. Aider les personnes à mieux comprendre les coûts des soins, en fonction des protections dont elles disposent, est certainement un enjeu.

23Lorsqu’elles évoquent le coût des soins, les personnes pensent notamment aux dépassements d’honoraires ; ces suppléments sont la partie des restes à charge dont le montant leur semble le plus difficile à prévoir, les personnes ne comprenant en l’occurrence pas toujours quels sont les professionnels qui peuvent les pratiquer. On peut noter que la plupart des personnes rencontrées en entretien ne s’autorise pas à poser des questions sur ce point au moment de la prise d’un rendez-vous médical. Dans ce contexte, l’exposition à des dépassements lors d’actes de soins passés emporte chez les personnes une tendance à les anticiper pour la suite de leur parcours et à avoir l’impression qu’elles ne pourront pas y faire face. Les suppléments d’honoraires peuvent en ce sens contribuer à ce que les personnes s’éloignent « par anticipation » de certains soins dont elles auraient besoin. Les représentations concernant les coûts médicaux se construisent ainsi au fil des expériences de soins, mais aussi en tenant compte de représentations collectives, de ce que les personnes entendent dire « autour d’elles » ou par les médias.

24Si les obstacles financiers que rencontrent les personnes pour se soigner méritent d’être compris au regard de leur connaissance et de leur compréhension du coût « réel » des soins, il est, en parallèle, indispensable d’en avoir une lecture à partir des restes pour vivre dont les ménages disposent une fois les charges et dépenses fixes mensuelles déduites. On pourrait formuler les choses de la manière suivante : en soi, un reste à charge n’est pas nécessairement un obstacle pour se soigner ; en revanche, pour des personnes dont les restes pour vivre mensuels (une fois toutes les charges - dont les crédits [18]- et dépenses fixes payées) sont inférieurs à cent euros, voire proches ou égaux à zéro, un reste à charge peut devenir impossible à assumer. Il en est de même pour les avances de frais qui deviennent encore plus problématiques à certaines périodes du mois.

25Les entretiens rappellent que lorsque les situations financières sont fragiles et même si la grande majorité des personnes accorde de l’importance à sa santé, les dépenses liées aux soins ne sont pas la priorité. La plupart des renonçants explique d’ailleurs être dans l’obligation d’effectuer, quotidiennement, des choix financiers [19]. Le coût des soins peut devenir un obstacle plus prégnant encore lorsque des changements viennent bouleverser des situations financières déjà incertaines. 7 % des renonçants de la dernière campagne du BRS ont fait un lien direct entre leurs difficultés financières pour se soigner et une perte de revenu lié à un arrêt de travail. Les entretiens montrent en outre que des personnes « évitent » de consulter par peur qu’un arrêt leur soit prescrit et que cela impacte négativement leur situation financière.

III.2 – Les difficultés à comprendre et à s’orienter dans le système de protection maladie et de santé

26Nous l’avons vu, dans le volet quantitatif du BRS, une partie des personnes en renoncement explique cette situation par une non-connaissance des professionnels de santé qui pourraient prendre en charge leurs besoins, mais aussi par la complexité des démarches à mettre œuvre pour obtenir certains soins. La connaissance produite au travers des enquêtes qualitatives permet de mieux comprendre cette dimension du phénomène. Elle met en évidence que les obstacles financiers, mais aussi les attitudes et sentiments par rapport au système de santé, méritent d’être compris en ayant à l’esprit cette forte méconnaissance du système (de protection maladie et de soins).

27Les entretiens signalent, en premier lieu, que le non-recours, par non connaissance[20], à certaines prestations – Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et Aide complémentaire santé (ACS) notamment – et/ou aux aides exceptionnelles pouvant aider les personnes à assumer le coût de certains soins, est important. Le non-recours peut aussi prendre la forme de la non-réception[21] ; c’est le cas pour l’ACS dont l’accès est régulièrement décrit « comme un parcours du combattant » [22] par les personnes qui y sont éligibles, mais aussi par beaucoup de professionnels du social. Dans ce contexte, les personnes engagent des démarches de demande, mais ne vont pas au bout de celles-ci, en particulier parce qu’elles n’ont pas compris les différentes étapes qui mènent à l’ouverture du droit et au bénéfice effectif de la prestation.

28S’ajoutent à ces situations de non-recours aux prestations légales ou extralégales, des incompréhensions concernant l’usage que les personnes peuvent faire de leurs droits une fois ceux-ci obtenus. C’est le cas pour la CMU-C ; lors des entretiens, nombreuses sont les personnes à dire qu’elles ne savent pas précisément à quoi la prestation leur donne droit, avoir des incertitudes concernant le « panier de soins » pris en charge, et qui déclarent, de ce fait, ne pas oser adresser certaines de leurs demandes au système de soins.

29La méconnaissance des personnes concerne aussi l’offre de soins disponible à proximité de leur domicile et/ou sa diversité, ainsi que les moyens à leur disposition pour connaître et mieux appréhender cette offre.

30Tous ces éléments peuvent entraver sinon empêcher les personnes d’accéder aux soins dont elles ont besoin. Non-connaissance, méconnaissance, incompréhensions à propos des droits, des aides, de l’offre médicale et des tarifs en matière de santé, peuvent gêner fortement l’entrée en soins des personnes ainsi que la poursuite, le cas échéant, de leur prise en charge. Alors que la notion de parcours est au cœur des discours sur le système de santé et que leur « optimalité » est recherchée, il est intéressant de constater que, dans les entretiens, le vocabulaire illustrant des formes de désorientation est légion : « je ne savais pas si je devais passer par mon médecin traitant, si je pouvais m’en occuper directement, alors j’ai laissé tomber », « je n’avais aucune idée de vers qui me tourner pour ces soins », « je n’ai pas continué car je ne pouvais pas payer et je ne savais pas qu’il y avait d’autres endroits où j’aurais eu moins à payer ». Nombreux sont les verbatim qui, au-delà de signaler une désorientation, indiquent que les personnes sont perdues dans ces univers qu’elles perçoivent comme particulièrement complexes.

31Une part importante de la population repérée en renoncement, diverse dans ses caractéristiques sociodémographiques mais aussi au regard des parcours sociaux et trajectoires de vie, apparaît ainsi en difficulté dans ses démarches par rapport à la protection maladie et aux soins [23]. En vis-à-vis, nombreuses sont les personnes qui disent être à la recherche d’informations, d’explications, de conseils pouvant les aider à se rapprocher des soins et à s’y maintenir. Les besoins de guidance décrits initialement par Philippe Warin et Catherine Chauveaud dans le rapport du BRSG apparaissent effectivement prégnants [24]. Les personnes ne renvoient pas la responsabilité de cette situation à un professionnel ou à un autre en particulier, mais ont le sentiment ne pas toujours trouver de soutien suffisant du côté des acteurs administratifs, sociaux et/ou sanitaires. Elles cherchent donc par elles-mêmes leur chemin, essaient de frapper à différentes portes pour obtenir des informations sinon de l’aide, et peuvent avoir tendance à suivre des itinéraires qui, du point de vue des professionnels du sanitaire et du social, ne sont pas « les bons ». Le découragement, la lassitude, dont parlent une partie des personnes qui renoncent à des soins peuvent d’ailleurs découler de ces parcours « chaotiques ».

III.3 – La relation avec les professionnels de santé comme déterminant de la demande de soins et de leur continuité

32Les enquêtes qualitatives réalisées auprès de personnes qui renoncent à des soins permettent d’appréhender une autre dimension du phénomène : celle relative à la relation qu’entretiennent les personnes avec les soignants. Une précision mérite ici d’être faite : parler de « renonçants » est certes pratique dans l’écriture, mais ne correspond pas vraiment à la réalité. Avoir des difficultés pour réaliser un, ou même plusieurs soins, ne veut pas dire que les personnes n’en consomment aucun et renoncent à tous [25]. On remarque d’ailleurs au travers des enquêtes qualitatives qu’une partie non négligeable des personnes en renoncement est suivie pour une maladie chronique. Leur situation est paradoxale puisqu’elles sont tout à la fois en contact très régulier avec le système de soins et en retrait de celui-ci. Ces cas sont utiles pour comprendre que le renoncement aux soins n’est pas un phénomène extérieur au système de santé, mais qu’il est bien – aussi – en plein cœur de celui-ci [26]. Les « renonçants » sont ainsi également en relation avec des soignants.

33Pour la plupart de ceux interrogés, la relation qui apparait comme la plus importante est celle qui se noue avec le médecin traitant. Les personnes craignent d’ailleurs de ne pas en retrouver un si le leur arrête d’exercer ou change de territoire. Sur cette question du médecin traitant, les données quantitatives du BRS apportent un éclairage intéressant : elles indiquent que les personnes qui disent renoncer à un ou plusieurs soins ont un peu moins que les autres déclaré un médecin traitant. Globalement, le taux de déclaration est très élevé (95 % des répondants du dernier BRS disent avoir fait cette déclaration). Mais si l’on zoome sur la population « renonçante », on remarque que ce taux décroît légèrement (93,4 %). Alors que 4,2 % des « non-renonçants » n’ont pas de médecin traitant, c’est le cas de 6,2 % des « renonçants » [27].

34Ce résultat statistique est à considérer avec prudence. Cependant, certains éléments qualitatifs lui donnent de l’épaisseur. Les personnes expliquent bien en quoi le fait d’avoir un médecin traitant, de lui faire confiance, peut aider à faire face aux difficultés d’accès et de maintien dans les soins. Les échanges avec les personnes donnent, en l’occurrence, des indices sur ce qu’elles recherchent en priorité pour que la relation avec leur médecin soit « de qualité » : de l’humanité, de l’écoute, de la disponibilité [28]. Alors que les personnes disent, pour la plupart, avoir du mal à juger de la compétence technique des professionnels de santé et de l’aspect purement médical de la prise en charge, elles se réfèrent, en premier lieu, à des dimensions humaines pour « juger » de la « qualité » des soignants, et en particulier de leur médecin traitant. Les personnes veulent, en parallèle, avoir confiance dans les diagnostics faits, dans les décisions prises, dans les solutions proposées. Mais elles disent « ne pas faire une confiance aveugle » et souhaitent qu’on leur permette de comprendre les diagnostics posés et/ou la raison d’être des soins réalisés ou proposés et/ou la décision de ne pas prescrire un traitement ou un examen complémentaire.

35Les personnes regrettent d’ailleurs que certains praticiens, en particulier spécialisés, ne prennent pas suffisamment le temps d’expliquer davantage ce qu’ils font et pourquoi. Elles trouvent, en outre, que les échanges avec les professionnels ne sont pas toujours possibles. On remarque également que les personnes ne s’autorisent pas nécessairement ces échanges. Lors des entretiens, certaines précisent n’avoir pas compris des aspects du diagnostic ou du traitement prescrit par un spécialiste, mais avoir préféré attendre un rendez-vous avec leur médecin traitant pour en savoir plus. Dans ce contexte, avoir la possibilité de questionner librement le médecin traitant par rapport à leur état de santé, au traitement prescrit, au suivi préconisé (par lui ou par d’autres professionnels), sentir que leurs points de vue par rapport aux soins dispensés ou proposés comptent, sont des éléments qui peuvent aider les personnes à continuer leurs démarches de soins [29].

36Selon les « renonçants », ce rôle, que nous pourrions qualifier de traducteur, endossé par le médecin traitant est important pour mettre en œuvre leurs soins. La question des incompréhensions qui parsèment les consultations et les itinéraires de soins est, en effet, majeure : les échanges avec les « renonçants » mettent bien en évidence que le fait de ne pas comprendre ce qu’il en est s’agissant des diagnostics, des traitements et/ou des soins complémentaires à effectuer, alors même que tout cela concerne directement leur corps, leur santé et, plus largement, leur vie, vient gêner les processus de soins. Ainsi comme l’écrivait C. Desprès, « en dehors d’une perte de confiance, cela peut avoir des conséquences relativement directes sur le maintien dans le processus de soins. N’ayant pas bien compris les enjeux, le malade peut interrompre le traitement ou les soins » [30]. C. Desprès réfère sur ce point aux travaux de S. Fainzang qui a montré que l’information donnée (ou non) au patient varie selon son groupe social d’appartenance et qu’elle est, en premier lieu, délivrée aux membres des catégories sociales supérieures. Pourtant, les enquêtes qualitatives menées dans le cadre du BRS montrent bien que le besoin de compréhension n’est pas positionné que chez les patients appartenant aux catégories sociales supérieures.

37Confiance, possibilité d’échanger et de questionner, compréhension et traduction, les personnes attendent aussi de leur médecin traitant qu’il les oriente, voire les guide vers des spécialistes lorsque cela est nécessaire. Dans l’esprit des assurés et selon leurs capacités à se repérer dans le système de soins, cette orientation peut consister à simplement désigner la spécialité, à recommander un praticien en particulier, voire à prendre directement le rendez-vous, notamment lorsque le degré d’urgence le justifie [31]. En cas de pathologie grave et/ ou chronique, le lien assuré par le médecin traitant entre tous les spécialistes et autres acteurs de la prise en charge, ainsi que sa capacité à centraliser l’information, sont d’autres éléments primordiaux pour le maintien des personnes dans les soins et pour la continuité de ceux-ci. Les rôles joués par le médecin traitant d’orientation, voire de médiation[32]directe vers les soins de seconds recours, mais aussi de coordination, participent ainsi, selon les personnes, de ceux qui peuvent contribuer à parer au renoncement.

38La relation entretenue aujourd’hui par les personnes avec les professionnels de santé est marquée de toutes celle(s) précédemment expérimentée(s), du souvenir d’expériences de soins et de leurs résultats. Mais cette relation peut également être impactée par les « refus de prise en soins » potentiellement vécus par les personnes au cours de leurs parcours sanitaires. 3,2 % des « renonçants » du BRS passé fin 2017 évoquent ce point, ce taux dépassant les 8 % dans certains territoires. De manière plus globale, les « traitements différenciés », pour des raisons liées (notamment) au type de protections dont disposent les personnes, peuvent avoir un impact fort sur la confiance accordée aux soignants, mais aussi sur la capacité et l’envie des personnes d’adresser leurs demandes de soins au système de santé [33]. Cette impression « d’être des malades différents » et ses effets sur la relation entre patients et soignants avaient été pointés dans le cadre de la recherche/action intitulée La relation soignant/soigné dans le cadre de l’accès aux soins et à la prévention des populations démunies initiée par le Mouvement ATD Quart-Monde.

IV – Concevoir un indicateur territorial d’accessibilité des soins ?

39Au final, la connaissance produite par les enquêtes quantitative et qualitative du BRS permet de distinguer sept grands « types » ou « ensembles » de facteurs qui peuvent contribuer à expliquer le renoncement aux soins :

  • Les facteurs financiers ;
  • Les facteurs renvoyant à la connaissance, à la compréhension et à l’orientation dans le système de protection maladie et de santé ;
  • Les facteurs temporels ;
  • Les facteurs relatifs à l’accessibilité géographique et/ou à la mobilité individuelle ;
  • Les facteurs relatifs à avec la relation qu’entretiennent patients et soignants ;
  • Les facteurs renvoyant à des craintes par rapport au monde médical, mais également par rapport au monde du travail ;
  • Les facteurs en relation avec des attitudes individuelles et des sentiments par rapport aux soins, à la prise en charge de sa santé, au système de protection sociale et/ou aux démarches administratives ;

40Ces « grands ensembles » correspondent à des déterminants du renoncement aux soins de plusieurs natures : structurels, institutionnels, organisationnels, professionnels et individuels. Ils rappellent que les responsabilités du phénomène sont partagées, pour reprendre l’expression de Wim Van Oorschot à propos du non-recours.

41La réflexion initiée avec le Baromètre du renoncement aux soins (BRS) confirme la multiplicité des facteurs qui peuvent éloigner des personnes des soins. La vocation du BRS n’étant toutefois pas uniquement de travailler sur ce qui produit le renoncement – nous l’avons souligné en introduction de cet article –, les analyses faites ne permettent pas de comprendre avec précision le rôle joué par les différents facteurs, la manière dont ils s’articulent les uns aux autres, ni l’intensité de leur influence, pour une personne ou sur un territoire.

42Un prolongement du BRS pourrait ainsi être envisagé ; en considérant que les facteurs précités concourent à expliquer le renoncement, on peut en déduire qu’ils renvoient tous à des dimensions de l’accessibilité des soins (accessibilité financière, accessibilité géographique, accessibilité relationnelle, accessibilité cognitive…). Deux directions de travail pourraient en l’occurrence être pertinentes :

  • Une qui tendrait à comprendre, de façon dynamique, l’influence de ces dimensions de l’accessibilité sur des parcours individuels et à mettre en lumière les chaînes causales ; le travail conduit dans le cadre de la réécriture du PRAPS par l’Agence Régionale de Santé (ARS) de Bourgogne-Franche-Comté est intéressant sur ce point. Un comité stratégique du « parcours précarité-vulnérabilité » a été créé dont « les réflexions ont abouti au projet de construction d’un dispositif dynamique d’évaluation qualitative des facteurs de non accès aux soins sur le territoire régional. Ce dispositif permettrait de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre dans le non-recours aux soins, et d’en déterminer des leviers potentiels » [34]. Le travail de thèse de Marie Wicky-Thisse s’inscrit dans le cadre du dispositif mis en place par l’ARS. Dans ce contexte, son objet a été « d’expertiser les multiples causes de difficultés d’accès aux soins des personnes en situation de précarité, que nous observerons par le prisme des renoncements et des non-recours aux soins » [35].
  • Une autre qui aurait plutôt pour objectif de saisir l’impact croisé des différentes dimensions de l’accessibilité au niveau d’un (voire de plusieurs) territoire(s), en mettant en vis-à-vis le point de vue d’habitants et d’acteurs sanitaires et sociaux, mais aussi en tenant compte des caractéristiques sociodémographiques des populations et d’indications relatives à l’offre de soins ainsi qu’aux dispositifs territoriaux ayant pour but d’intervenir sur les inégalités en matière de santé.

43À l’heure où une réflexion existe sur les indicateurs qui permettront, au local, d’évaluer le Plan pour l’accès aux soins porté par l’actuelle ministre de la Santé, où la compréhension des différentes facettes de accès aux soins est au cœur du projet institutionnel de la Caisse nationale d’Assurance Maladie des travailleurs salariés (CNAM), la seconde direction de travail – qui pourrait aboutir à la conception d’un indicateur territorialisé d’accessibilité des soins – nous paraît avoir tout particulièrement du sens.

Notes

  • [1]
    Desprès et al., 2011, « Le renoncement aux soins : une approche socio-anthropologique », In Questions d’économie de la santé, n°169, p.3
  • [2]
    Warin P. et C. Chauveaud, 2014, « Le Baromètre du renoncement aux soins dans le Gard (BRSG) », rapport d’étude pour la CPAM du Gard, ODENORE.
  • [3]
    Warin P. et C. Chauveaud, 2014, ibid.
  • [4]
    Desprès C., 2013, « Significations du renoncement aux soins : une analyse anthropologique », In Sciences sociales et santé, vol. 31, 2013/2, p. 73.
  • [5]
    Desprès C., 2012, « Le renoncement aux soins pour raisons financières. Analyse socio-anthropologique », DREES, Série Études et Recherche, n°119, mars, p.14 et 15.
  • [6]
    Revil H. (en collaboration avec S. Bailly), 2018, « Diagnostic du renoncement aux soins des assurés des CPAM de la seconde vague de généralisation des PFIDASS », rapport pour la CNAMTS, ODENORE/Programme LIFE, mars.
  • [7]
    Dourgnon P. and al., 2011, « Le renoncement aux soins pour raisons financières. Une approche économétrique », In Question d’économie de la santé, n°170, novembre.
  • [8]
    Chauvin P. and al., 2001, « Déterminants psychosociaux du renoncement aux soins pour raisons financières dans 5 zones urbaines sensibles de la région parisienne », INSERM, Document de travail.
  • [9]
    Warin P. and al., 2013, « CERESO : Ce que renoncer aux soins veut dire », ODENORE, novembre, p. 4.
  • [10]
    Warin P. and al., 2013, ibid, p. 41.
  • [11]
    Revil H. (en collaboration avec S. Bailly), 2018, ibid.
  • [12]
    Nous rappelons que, dans le BRS, les personnes peuvent citer plusieurs raisons pour expliquer leur(s) renoncement(s).
  • [13]
    Revil H., 2014, « Le « non-recours » à la Couverture maladie universelle : émergence d’une catégorie d’action et changement organisationnel », Thèse de Science-politique, Université Grenoble Alpes, janvier.
  • [14]
    Desprès C., 2012, op.cit., p.92.
  • [15]
    À l’heure actuelle, près de trois cents entretiens qualitatifs ont été réalisés avec des personnes en renoncement aux sons dans le cadre de la démarche BRS.
  • [16]
    Revil H. et P. Warin, 2016, « Le renoncement aux soins des assurés sociaux en Languedoc-Roussillon. Diagnostic dans le régime général, le régime social des indépendants et le régime de la mutualité sociale agricole », ODENORE, rapport pour les organismes d’Assurance Maladie obligatoire du Languedoc-Roussillon, mars 2016.
  • [17]
    Revil H. (en collaboration avec S. Bailly), 2018, op. cit.
  • [18]
    Certains travaux ont permis de souligner que des situations d’endettement peuvent être à l’origine des difficultés rencontrées par les personnes pour réaliser des soins ; voir par exemple, Revil H. et P. Warin, 2016, op. cit.
  • [19]
    Revil H. et P. Warin, 2016, « La plateforme d’intervention départementale pour l’accès aux soins et à la santé (PFIDASS). Regard sur un dispositif expérimental de détection du renoncement aux soins et d’action pour aider les personnes à réaliser leurs soins », ODENORE, rapport pour la CPAM du Gard, mars.
  • [20]
    Warin P., 2016 (actualisation), « Le non-recours : définitions et typologies », ODENORE, Working Paper, décembre.
  • [21]
    Warin P., 2016, op. cit.
  • [22]
    Revil H., 2014, op. cit.
  • [23]
    Richez C., 2016, « Diagnostic de l’accès aux soins en Languedoc-Roussillon. Monographie de l’Hérault », ODENORE, rapport pour la CPAM de l’Hérault, mars.
  • [24]
    Warin P., 2017, Le non-recours aux politiques sociales, PUG.
  • [25]
    Warin P. et C. Chauveaud, 2014, op. cit.
  • [26]
    Revil H. et P. Warin, 2016, op. cit.
  • [27]
    Revil H. (en collaboration avec S. Bailly), 2018, op. cit.
  • [28]
    Blanchet N. et H. Revil, 2018, « Evaluation participative de la PFIDASS du Gard », ODENORE, avril 2018.
  • [29]
    Revil H. et P. Warin, 2016, op. cit.
  • [30]
    Desprès C., 2012, op.cit., p.150.
  • [31]
    Blanchet N. et H. Revil, 2018, op. cit.
  • [32]
    Desprès C., 2012, ibid.
  • [33]
    Revil H., « Des droits et des soins hors d’atteinte », In Pratiques, n°74, juillet 2016.
  • [34]
    Wicky-Thisse M., « Causes de renoncements et de non-recours aux soins primaires des personnes en situation de précarité », Thèse de Médecine, Université de Franche-Comté, juin 2017, p.5.
  • [35]
    Wicky-Thisse M., 2017, ibid, p.5.
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