Regards 2015/2 N° 48

Couverture de REGAR_048

Article de revue

Les jeunes sont-ils sacrifiés par la protection sociale ?

Pages 41 à 52

Notes

  • [1]
    Source : CREDOC/DGCS, enquête « conditions de vie et aspirations », 2011. Voir HOIBAN S. (2011), « Baromètre de la cohésion sociale. Pour l’opinion, la cohésion sociale repose sur les efforts de chacun et l’action des pouvoirs publics », collection des rapports du CREDOC, n° 275. http://www.credoc.fr/pdf/Rapp/R275.pdf
  • [2]
    CHAUVEL L. (2010), Le destin des générations, Paris, PUF [1998].
  • [3]
    Chauvel L. et Schröder M. (2014), “Generational Inequalities and Welfare Regimes”, Social Forces, vol. 92, n° 4, pp. 1259-1283.
  • [4]
    Ou bien de faire des hypothèses pour reconstruire les transferts en dehors de la fenêtre d’observation.
  • [5]
  • [6]
    Albis (d’) H., Bonnet C., Navaux J., Pelletan J., Toubon H., Wolff F.- C. (2015), « The Lifecycle Deficit for France, 1979-2005 », Journal of the Economics of Ageing, vol. 5, pp. 79-85.
  • [7]
    Heckman J. (2013), Giving Kids a Fair Change, Cambridge, MIT Press
  • [8]
    Dalous J.-P., Jeljoul M. et Rudolf M. (2011), « La dépense par élève ou étudiant en France et dans l’OCDE », Note d’information, n° 11.15, octobre 2011.

Introduction

1Selon l’enquête « Conditions de vie et aspirations 2011 » du CREDOC [1], un quart des jeunes de 18 à 24 ans estime que notre société privilégie les plus âgés aux dépens des plus jeunes. S’il s’agit d’une opinion qui reste minoritaire, elle est tout de même plus fréquente chez les jeunes que dans le reste de la population. Plusieurs éléments peuvent expliquer ce sentiment : difficulté des jeunes sur le marché du travail, durcissement des conditions d’accès au logement ou encore surreprésentation des plus âgés dans les instances de représentation politiques ou syndicales. Ce sentiment peut-il s’expliquer aussi par un fonctionnement de notre système de protection sociale qui sacrifierait la jeunesse ?

2Les travaux de Louis CHAUVEL [2] sur la France suggèrent que les générations du baby-boom sont parvenues, mieux que les générations suivantes mais aussi que les générations précédentes, à capter les gains matériels de la croissance économique. Ce phénomène pouvait paraître trivial durant les Trente Glorieuses, période de forte croissance économique. Mais il s’observait encore durant les trois décennies suivantes, alors que la croissance avait beaucoup ralenti. Les « jeunes valorisés » d’hier seraient ainsi devenus les « vieux favorisés » d’aujourd’hui.

3Surtout, CHAUVEL et SHRÖDER (2014) [3], à partir de comparaisons internationales, montrent que le traitement de faveur dont bénéficient les générations du baby-boom varie beaucoup d’un pays à l’autre en fonction de son régime d’État-providence. C’est dans les pays caractérisés par un régime d’État-providence « conservateur » et notamment les pays méditerranéens (France, Italie, Espagne) que le phénomène est le plus net. En revanche, ce phénomène ne s’observe pas, ou beaucoup moins, dans les pays caractérisés par un régime d’État-providence libéral (États-Unis, Grande-Bretagne) ou social-démocrate (pays scandinaves). L’explication tiendrait à ce que les régimes d’État-providence conservateurs tendent à protéger les « insiders » au détriment des « outsiders », ce que ne font pas les régimes libéraux et sociaux-démocrates.

4Aujourd’hui, il est peut-être encore trop tôt pour réaliser un bilan de la façon dont notre protection sociale a plus ou moins favorisé telle ou telle génération, ce qui suppose de suivre les cohortes de leur naissance à leur mort [4] et de prendre en compte les transferts reçus mais aussi les impôts et cotisations prélevés. On s’en tiendra donc à un exercice plus simple, en observant la façon dont, au cours du temps, la protection sociale a réparti ses dépenses entre les différents groupes d’âges. Nous montrerons que la part des dépenses de protection sociale consacrées aux plus âgés est en effet beaucoup plus importante qu’elle ne l’était dans le passé. Mais nous verrons aussi que cette évolution, ces trente dernières années, est d’abord imputable à des facteurs démographiques (les plus âgés sont plus nombreux) et que les dépenses dont bénéficient les individus de chaque groupe d’âge ont évolué de façon sensiblement parallèle. D’une façon générale, les difficultés de notre jeunesse, dans certains cas bien réelles, ne sont peut-être pas attribuables au premier chef à un défaut de protection sociale même si l’on peut s’inquiéter de ce que la pauvreté touche aujourd’hui bien davantage les plus jeunes que les plus âgés. En tout état de cause il n’apparaîtrait pas absurde d’exiger davantage des aînés pour assurer, a minima, la soutenabilité financière de nos dépenses sociales.

I – Les plus âgés pèsent de plus en plus lourd dans les comptes de la protection sociale

5Pour juger la manière dont la protection sociale affecte ses ressources aux différents âges, on peut tout d’abord s’intéresser à la ventilation de ses dépenses entre les différents risques. Le graphique 1, qui reprend des données des comptes de la protection sociale, présente cette ventilation depuis 1959. On y distingue l’évolution dans le temps du poids de sept grands risques : maladie ; accidents du travail/maladie professionnelle ; maternité/famille ; logement/pauvreté ; invalidité ; vieillesse/survie ; insertion professionnelle/chômage.

Graphique 1

Prestations de protection sociale par grands risques en % de PIB

Graphique 1

Prestations de protection sociale par grands risques en % de PIB

Source : DREES-CPS, base 1970 (1959-1970 et 1970-1981), base 2000 (1981-2006), base 2005 (2006-2009) et base 2010 (2009-2013)

6Ce qui saute immédiatement aux yeux, outre la progression globale des dépenses de protection sociale qui passent de 14,5 % à 31,9 % du PIB entre 1959 et 2013, ce sont les différences très nettes d’évolution des différents risques. Si l’on s’intéresse aux deux risques les plus « spécialisés » sur les deux extrémités des âges de la vie, vieillesse/survie pour les plus âgés et maternité/famille pour les plus jeunes, on constate que le risque vieillesse/survie, qui n’absorbait que 5,1 % des ressources nationales en 1959, en absorbe aujourd’hui 14,6 % alors que le risque maternité/famille, lui, est passé de 4,3% du PIB en 1959 à 2,7 % aujourd’hui. Quant aux dépenses du risque maladie, si elles sont moins concentrées sur un âge particulier, on sait qu’elles croissent quand même assez nettement avec l’âge. Or, leur poids dans le PIB est passé de 3,1 % à 8,7 % entre 1959 et 2013.

7En s’en tenant à la ventilation des dépenses par grands risques, il semble donc clair que la protection sociale a beaucoup concentré ses efforts sur les plus âgés. On peut toutefois affiner un peu le diagnostic en mobilisant de nouvelles données, issues des Comptes de Transferts Nationaux (voir encadré 1). Ces comptes permettent en particulier d’affecter l’ensemble des dépenses publiques aux différents âges, en mobilisant des données d’enquêtes qui sont recalées sur des agrégats macro-économiques. Pour bien comprendre la méthode, on reproduit (graphique 2) le profil des prestations de protection sociale reçues en moyenne en 2011 par un individu en fonction de son âge. Les montants sont exprimés en milliers d’euros et on a ajouté les dépenses d’éducation aux grands risques traditionnels identifiés par la protection sociale.

Encadré 1 : les Comptes de Transferts Nationaux

Les Comptes de Transferts Nationaux reposent sur une méthodologie internationale [5] permettant de constituer des profils par âge de revenus, de consommations et de transferts publics et privés. À terme, il s’agit d’arriver à mieux comprendre la façon dont les ressources publiques et privées circulent entre les âges et entre les générations. En France, c’est une équipe de treize chercheurs dirigée par Hippolyte d’Albis qui dirige ces travaux [6]. Les profils de consommation et de revenu sont d’ores et déjà disponibles pour toutes les années entre 1979 et 2011.
Les profils par âge de revenu et de consommation sont généralement obtenus en exploitant des données d’enquête (et notamment l’enquête Budget des Familles). Ces profils sont systématiquement recalés sur des agrégats de la comptabilité nationale pour assurer la cohérence de l’ensemble.
Outre les profils de revenu et de consommation, des profils de transferts publics et privés, reçus et versés, sont en cours de constitution. Nous utilisons ici les profils de transferts publics reçus, en retenant ceux qui relèvent de la protection sociale. Les conventions retenues dans le cadre des Comptes de Transferts Nationaux peuvent s’éloigner de celles qui sont adoptées pour élaborer les comptes de la protection sociale. Par conséquent, les montants agrégés, en sommant les dépenses sur l’ensemble de la population, peuvent différer de ceux que l’on trouve dans les comptes de la protection sociale.
Certaines dépenses de protection sociale sont aisément attribuables aux individus. C’est le cas des pensions de retraite. C’est le cas aussi des dépenses de santé, dont les profils par âge peuvent être construits en exploitant les Enquêtes sur la Santé et la Protection Sociale (ESPS 1992 et 1998) et l’Échantillon Permanent des Assurés Sociaux (EPAS 2000, 2002, 2004, 2006 et 2008). Mais le montant de nombreuses dépenses de protection sociale, principalement lorsqu’il s’agit de prestations en espèces, n’est connu qu’au niveau du ménage. Pour pouvoir constituer les profils par âge de ces transferts, il est donc nécessaire de faire des hypothèses sur le destinataire final de la prestation au sein du ménage. Par exemple, le montant des prestations familiales reçues par un ménage est alloué aux enfants (et non aux adultes) et est réparti de façon uniforme entre les enfants potentiellement bénéficiaires la prestation.
Pour en savoir plus, on pourra consulter le site des Comptes de Transferts Nationaux hébergé par l’INED : http://ctn.site.ined.fr/
Graphique 2

Profil individuel des prestations sociales reçues annuellement en 2011 (k€)

Graphique 2

Profil individuel des prestations sociales reçues annuellement en 2011 (k€)

Source : Comptes de Transferts Nationaux

8Ce graphique permet de bien apprécier le poids des différentes dépenses de protection sociale pour un individu au fur et à mesure qu’il vieillit. La croissance des dépenses de santé en fonction de l’âge est en particulier confirmée, de même, bien entendu, que la concentration aux deux extrémités des âges de la vie des dépenses de prestations familiales et des dépenses d’éducation d’un côté et des dépenses relatives au risque vieillesse de l’autre. À partir de ces profils individuels, on peut construire des profils agrégés en multipliant à chaque âge les dépenses individuelles moyennes par les effectifs de la tranche d’âge. Pour 2011 toujours, on aboutit alors au graphique 3 où les dépenses sont exprimées cette fois en milliards d’euros. La forme générale du profil change assez significativement aux âges élevés, les dépenses agrégées diminuant logiquement en même temps que diminuent les effectifs.

Graphique 3

Profil des dépenses agrégées de protection sociales en 2011 (Md €)

Graphique 3

Profil des dépenses agrégées de protection sociales en 2011 (Md €)

Source : Comptes de Transferts Nationaux

9Les Comptes de Transferts Nationaux permettent de remonter à 1979 et d’apprécier donc les évolutions des profils par âge de dépenses sur une trentaine d’années. Dans le graphique 4, nous avons reproduit l’évolution du poids des dépenses de protection sociale dans le PIB en distinguant trois groupes d’âge : les moins de 25 ans, les 25-59 ans et les plus de 60 ans. On présente les évolutions de deux façons : en raisonnant sur les dépenses de protection sociale au sens strict ou bien en incluant les dépenses publiques d’éducation. Dans les deux cas, le résultat est le même : le poids des dépenses de protection sociale affectées aux plus âgés a beaucoup augmenté ces trente dernières années tandis que les plus jeunes recevaient une part décroissante (hors éducation) ou stable (en incluant l’éducation) des dépenses. Ainsi, les dépenses de protection sociale dont bénéficient les plus de 60 ans passent de 11 % à 17,2 % du PIB entre 1979 et 2011 tandis que celles qui bénéficient aux moins de 25 ans passent de 4 % à 3,6 % sur la même période si l’on raisonne hors dépenses d’éducation et de 8,8 % à 8,6 % si l’on inclut les dépenses d’éducation.

Graphique 4

Dépenses totales de protection sociale par groupe d’âge, en points de PIB

Graphique 4

Dépenses totales de protection sociale par groupe d’âge, en points de PIB

Source : Comptes de Transferts Nationaux

10Si les dépenses de protection sociale destinées aux plus âgés ont augmenté beaucoup plus vite que celles destinées aux plus jeunes, il n’est pas évident en revanche que cette évolution soit d’abord due à une plus grande générosité de notre système de protection sociale à l’égard des premiers et au détriment des seconds.

II – Mais chaque jeune bénéficie de dépenses qui sont restées relativement stables au cours des trente dernières années

11Les tendances commentées précédemment, qui font masse des dépenses de protection sociale pour l’ensemble des individus d’un groupe d’âge, sont largement affectées par l’évolution dans le temps de la taille relative de ces groupes d’âge. Une autre façon d’envisager le problème est de raisonner au niveau individuel et d’observer la dépense moyenne de protection sociale dont un individu d’un groupe d’âge donné bénéficie. Pour faciliter la comparaison dans le temps, on rapporte cette dépense moyenne au PIB par tête.

12Le graphique 5 exclut les dépenses publiques d’éducation. Si la dépense moyenne dont bénéficie un individu de plus de 60 ans et plus est toujours nettement plus élevée que celle dont bénéfice un individu de moins de 25 ans, en revanche, cette dépense, rapportée au PIB par tête, a augmenté dans les deux cas de façon parallèle (+15 %) entre 1979 et 2011.

Graphique 5

Évolution des dépenses individuelles moyennes de protection sociale hors éducation, rapportées au PIB par tête

Graphique 5

Évolution des dépenses individuelles moyennes de protection sociale hors éducation, rapportées au PIB par tête

Graphique 6

Évolution des dépenses individuelles moyennes de protection sociale y compris éducation, rapportées au PIB par tête

Graphique 6

Évolution des dépenses individuelles moyennes de protection sociale y compris éducation, rapportées au PIB par tête

Source : Comptes de Transferts Nationaux

13Si l’on prend en compte l’éducation, la dépense moyenne dont bénéficient les moins de 25 ans est deux fois plus importante que si l’on s’en tient aux seules dépenses de protection sociale. Qui plus est, l’évolution de cette dépense moyenne est plus favorable puisque la croissance de cette dépense rapportée au PIB par tête n’est plus de 15 % mais de 23 %, croissance qui s’explique par la massification de l’enseignement et l’allongement de la durée des études.

14Il est toujours possible de juger que la protection sociale est trop généreuse à l’égard des plus âgés au détriment des plus jeunes dans la mesure où la dépense moyenne dont les premiers bénéficient reste très supérieure à celle dont bénéficient les seconds. Pour autant, il resterait à déterminer le critère d’équité permettant de décider quel serait le bon niveau de dépense pour les individus de chacune des deux classes d’âge, sachant que les dépenses destinées aux uns et aux autres répondent à des besoins qui, fondamentalement, ne sont pas de même nature. En tout état de cause, l’observation du niveau de dépense moyenne ces trente dernières années ne permet pas de conclure à une aggravation de la défaveur dont seraient victimes les plus jeunes, si défaveur il y a.

III – Les difficultés des jeunes s’expliquent-elles par un défaut de protection sociale ?

15L’un des objectifs de la protection sociale est de lutter contre la pauvreté. De fait, les dépenses sociales contribuent dans une large mesure à faire baisser le taux de pauvreté. Mais cette capacité de notre système de protection sociale à atténuer les phénomènes de pauvreté est assez différenciée selon les groupes d’âges que l’on considère.

16Le graphique 7 présente ainsi pour 2013 le taux de pauvreté (au seuil de 60 % de la médiane des niveaux de vie), avant et après transferts sociaux, selon le groupe d’âge. On pourra certes objecter que pour des retraités, le taux de pauvreté avant transferts sociaux n’a pas grand sens, dans la mesure où les pensions de retraite constituent l’essentiel de leurs revenus. Il n’en demeure pas moins que si les transferts sociaux permettent de diviser par deux le taux de pauvreté monétaire des moins de 24 ans, celui-ci reste, après transferts, nettement plus élevé qu’il ne l’est chez les individus d’âge actif et a fortiori chez les plus de 65 ans.

Graphique 7

Taux de pauvreté monétaire (au seuil de 60 % de la médiane des niveaux de vie) avant et après transferts sociaux, selon l’âge en 2013

Graphique 7

Taux de pauvreté monétaire (au seuil de 60 % de la médiane des niveaux de vie) avant et après transferts sociaux, selon l’âge en 2013

Sources : SILC – Eurostat

17Alors que dans les années 1950 et 1960, la pauvreté touchait davantage les personnes âgées que les jeunes, ce n’est clairement plus le cas aujourd’hui. C’est une des raisons qui poussent certains à appeler notre système de protection sociale à investir davantage dans la jeunesse. Cet investissement ne passe pourtant pas nécessairement par davantage de prestations monétaires, mais plus certainement par davantage de services.

18On manque ainsi sans doute de structures de prise en charge collective des jeunes enfants, qui favorisent tant leur socialisation que leur développement cognitif, surtout lorsqu’ils vivent dans des environnements sociaux et familiaux dégradés. Les travaux de l’économiste James HECKMAN [7] sur le « rendement » de l’investissement dans la petite enfance sont ainsi souvent cités à l’appui de cette proposition. Ils montrent en effet qu’une intervention est d’autant plus efficace qu’elle est précoce. Ils montrent aussi que le bénéfice des interventions précoces est plus grand pour les enfants qui vivent dans les environnements les moins favorisés.

19Un autre secteur d’investissement social à l’intention des jeunes pourrait, logiquement, concerner notre système d’éducation. Celui-ci se caractérise en effet par l’importance des phénomènes de décrochage et de sorties sans diplôme. Bien sûr, il n’est pas certain, ici comme en d’autres domaines, que le remède passe nécessairement par davantage de moyens. Ces moyens, tant humains que financiers, ne semblent d’ailleurs pas avoir diminué au cours du temps. Selon le ministère de l’Éducation nationale, en France, la dépense moyenne par élève ou par étudiant a été globalement multipliée par 1,75 de 1980 à 2009 en euros constants. Elle a augmenté à tous les niveaux, le coefficient multiplicateur étant de 1,77 dans le premier degré, de 1,65 dans le second degré et de 1,41 dans l’enseignement supérieur [8]. Il n’en reste pas moins qu’en moyenne sur les années 2008, 2009 et 2010, 122 000 jeunes terminaient chaque année leur formation initiale sans aucun diplôme ou uniquement avec le brevet des collèges, soit 17 % des sortants du système éducatif.

20Ces ratés de notre système de formation ne sont sans doute pas totalement étrangers à la très forte exposition des jeunes au chômage, même si cette surexposition s’observe dans l’immense majorité des pays de l’Union européenne. Le graphique 8 montre que le taux de chômage des jeunes, entre 1975 et 2013, a toujours été deux à trois fois supérieur à celui des 25-49 ans et que son niveau est beaucoup plus sensible aux changements de conjoncture que celui des plus âgés.

Graphique 8

Taux de chômage au sens du BIT par classe d’âge

Graphique 8

Taux de chômage au sens du BIT par classe d’âge

Champ : France métropolitaine, population des ménages, personnes de 15 ans ou plus (âge courant).
Source : Insee, enquêtes Emploi 1975-2013. Données corrigées des ruptures de série en 2003 et 2013.

21Par ailleurs, le développement des « formes particulières d’emploi », intérim et CDD notamment, touche en fait principalement les jeunes : en 2013, près de 90 % des salariés âgés de 25 à 49 ans étaient en contrat à durée indéterminée, alors que ce n’était le cas que de 46 % des salariés âgés de 15 à 24 ans (source enquête Emploi). La flexibilisation du marché du travail a donc été principalement réalisée en faisant jouer aux jeunes le rôle de variable d’ajustement.

22Les difficultés rencontrées par les jeunes sont donc réelles. Si la pauvreté des mineurs peut effectivement être imputée à un défaut de protection sociale, tel n’est sans doute pas le cas du décrochage scolaire, des sorties sans diplôme ou de la surexposition des jeunes au chômage et aux emplois précaires. Sur ce dernier point, l’hypothèse d’un régime d’État-providence qui tend à protéger les « insiders » au détriment des « outsiders » semble effectivement la plus plausible. Mais la notion de régime d’État-providence déborde largement celle, plus restreinte, de protection sociale. Elle recouvre en effet non seulement tout le système de transferts publics (sociaux et fiscaux), mais aussi de nombreuses institutions, de l’école à l’entreprise, et l’ensemble des règles qui encadrent le fonctionnement du marché du travail, mais aussi de celui du logement ou encore du crédit.

Conclusion

23Les jeunes sont-ils sacrifiés par la protection sociale ? Si l’on regarde les dépenses dont chacun bénéficie au titre de la protection sociale et a fortiori, si l’on y ajoute les dépenses publiques d’éducation, on ne peut pas dire que la générosité du système à leur égard se soit détériorée ces trente dernières années. Certes un individu jeune reçoit aujourd’hui nettement moins, au titre de la protection sociale, qu’un individu âgé, mais cela n’a rien de nouveau ni rien de choquant puisque les besoins et les logiques de redistribution ne sont pas les mêmes. Hormis la question importante de la pauvreté infantile, il ne semble pas que la résolution des problèmes rencontrés par les jeunes passe par davantage de dépenses de protection sociale, sauf à adopter une définition très élargie de celle-ci. Il reste néanmoins que les jeunes d’aujourd’hui seront les actifs de demain et les retraités d’après-demain. Cette simple considération appelle à se demander si la générosité actuelle de la protection sociale vis-à-vis des plus âgés est bien soutenable à moyen terme. Les réformes successives de notre système de retraite devraient permettre de ramener dans les prochaines décennies la progression des dépenses de pensions à un niveau acceptable, au prix d’un décrochement du montant des pensions vis-à-vis des salaires, sous réserve toutefois qu’il y ait un minimum de croissance économique. Mais les dépenses de santé sont, elles aussi, appelées à augmenter d’ici 2060, de l’ordre sans doute de 2,5 à 3 points de PIB. Et il faudra encore financer la dépendance. Même si l’évolution du mode de financement de la protection sociale permet indirectement de mettre davantage à contribution les plus âgés, avec notamment le développement de la CSG, il apparaîtrait souhaitable et possible, compte tenu de leur niveau de ressources, d’exiger de leur part, et sans attendre, un effort financier plus important.


Date de mise en ligne : 01/12/2016

https://doi.org/10.3917/regar.048.0041

Notes

  • [1]
    Source : CREDOC/DGCS, enquête « conditions de vie et aspirations », 2011. Voir HOIBAN S. (2011), « Baromètre de la cohésion sociale. Pour l’opinion, la cohésion sociale repose sur les efforts de chacun et l’action des pouvoirs publics », collection des rapports du CREDOC, n° 275. http://www.credoc.fr/pdf/Rapp/R275.pdf
  • [2]
    CHAUVEL L. (2010), Le destin des générations, Paris, PUF [1998].
  • [3]
    Chauvel L. et Schröder M. (2014), “Generational Inequalities and Welfare Regimes”, Social Forces, vol. 92, n° 4, pp. 1259-1283.
  • [4]
    Ou bien de faire des hypothèses pour reconstruire les transferts en dehors de la fenêtre d’observation.
  • [5]
  • [6]
    Albis (d’) H., Bonnet C., Navaux J., Pelletan J., Toubon H., Wolff F.- C. (2015), « The Lifecycle Deficit for France, 1979-2005 », Journal of the Economics of Ageing, vol. 5, pp. 79-85.
  • [7]
    Heckman J. (2013), Giving Kids a Fair Change, Cambridge, MIT Press
  • [8]
    Dalous J.-P., Jeljoul M. et Rudolf M. (2011), « La dépense par élève ou étudiant en France et dans l’OCDE », Note d’information, n° 11.15, octobre 2011.

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