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Article de revue

Le modèle des « insiders-outsiders » : entre théorie et pratiques

Pages 81 à 90

Notes

  • [*]
    Luc SIMAR est économiste et conseiller au Service d’Études de la Confédération des Syndicats Chrétiens.
  • [1]
    Ils ajoutent « The results for Norway and the U.S. are perhaps not very believable, but similar estimates are not unheard of » (p. 1024).
  • [2]
    Bodart, Jacquet et Van der Linden (2002).

1 Comment une théorie économique traduit-elle les observations, la réalité et avec quelles limites ? Permet-elle aux décideurs d’adopter des comportements plus efficaces ? C’est la voie que tente d’explorer cette contribution, plutôt « de terrain » que d’équations ou de modèles sophistiqués.

2 Une première partie synthétise la théorie des « insiders-outsiders » et ses implications. Une deuxième décrit le mode de formation des salaires en Belgique. La troisième croise les hypothèses du modèle à quelques résultats macroéconomiques. La dernière vise à lancer quelques pistes de réflexion.

1. LA THÉORIE « INSIDERS-OUTSIDERS »

3 La théorie « insiders-outsiders » tente d’expliquer pourquoi les salaires ne diminuent pas, voire continuent d’augmenter, en présence d’un chômage important.

4 La théorie économique classique, un peu caricaturée, indique que s’il y a du chômage persistant c’est parce que les salaires sont trop élevés par rapport aux salaires d’équilibre. Une réduction des salaires permettra des créations d’emploi.

5 L’observation indique que les salaires sont rigides, du moins à la baisse. Plusieurs fondements expliquent cette rigidité, parmi ceux-ci la théorie des « insidersoutsiders ». L’hypothèse est que seuls les travailleurs ayant un emploi (les insiders) pèsent dans les négociations salariales. Cette influence s’exerce au détriment des chômeurs, exclus de la négociation (outsiders). Les travailleurs ayant un emploi se protègent en outre par des délais ou indemnités de licenciement, des formations, …

6 Le pouvoir de négociation des travailleurs en place provient du constat qu’en général il est coûteux pour une entreprise de remplacer ses travailleurs en place par des nouveaux venus. Les coûts proviennent de plusieurs sources. Le temps tout d’abord, recruter en demande. Viennent ensuite les coûts de licenciement, de recrutement (annonces, interview, … ) et de formation. Le pouvoir de négociation serait renforcé par les syndicats, qui peuvent augmenter ces divers coûts : les coûts de licenciement des travailleurs en place ou de recrutement en exigeant des procédures complexes ou des formations.

7 Les revendications et les négociations salariales menées par les travailleurs et leurs représentants syndicaux ne prendraient donc pas en compte les chômeurs.

8 L’évolution du coût salarial ne tiendrait pas compte du chômage élevé ou croissant. Une suite possible de cette assertion est la dérégulation du marché du travail. Celle-ci devrait permettre aux salaires de s’ajuster, de prendre en compte l’augmentation du chômage, comme cela se passe, suppose-t-on, par exemple, aux États-Unis.

9 Une autre réponse à cet effet supposé du corporatisme est la centralisation ou la coordination des négociations salariales. Dans ce cas, les négociateurs devraient prendre en compte un plus grand nombre d’intérêts, dont celui des sans emploi et celui de ceux qui risquent de le devenir si les évolutions salariales se traduisent par des diminutions d’emploi. Les modèles « insiders-outsiders » peuvent être vus comme un essai d’expliquer simultanément l’existence de normes salariales, de chômage involontaire et le rôle économique des syndicats de travailleurs (Lindbeck et Snower, 1988).

2. LA FORMATION DES SALAIRES EN BELGIQUE

Un peu d’histoire

10 Les négociations collectives, qui concernent pour partie la formation des salaires, se déroulent à trois niveaux : le niveau national, appelé interprofessionnel, le niveau sectoriel, dans des commissions paritaires, et le niveau de l’entreprise, où les négociations peuvent être collectives ou individuelles.

11 Du début des années 50 jusqu’au milieu des années 70, l’évolution des salaires est déterminée librement par les représentants des employeurs et ceux des travailleurs. La formation des salaires passe largement par les commissions et les sous-commissions paritaires sectorielles, où sont conclues des conventions collectives de travail. Le niveau national, le Conseil National du Travail en particulier, a un rôle, qui est fort limité (Pochet 2000). Les commissions paritaires fixent la classification des fonctions, l’évolution des barèmes liés à ces fonctions, le mécanisme d’indexation des salaires et l’octroi des augmentations salariales valables pour l’ensemble d’un secteur. Les barèmes ou salaires conventionnels constituent les rémunérations minimales qui doivent être respectées par les entreprises. Il s’agit d’un socle. Les accords d’entreprises peuvent s’ajouter aux conventions sectorielles ou les suppléer lorsqu’il n’y a pas d’accord sectoriel.

12 Dès le milieu des années 70, le pouvoir politique intervient de manière contraignante dans la détermination des salaires. Les accords nationaux ou de secteurs sont rares. L’accent est mis sur les négociations en entreprises. Le dialogue est rompu entre 1976 et 1985. Le gouvernement bloque les salaires et suspend l’indexation automatique au début des années 80. Ensuite, il y a quelques accords nationaux qui renvoient la responsabilité des négociations salariales aux secteurs.

13 La situation actuelle résulte de la loi de 1996 relative à la promotion de l’emploi et la sauvegarde de la compétitivité, troisième du genre, après celles de 1983 et 1989.

14 La loi de 1996 introduit une norme salariale qui fixe, par période de 2 ans, les limites de l’évolution des salaires nominaux, en tenant principalement compte des évolutions du coût salarial des trois principaux partenaires commerciaux de la Belgique, l’Allemagne, la France et les Pays-Bas. Si les représentants des entreprises et ceux des travailleurs ne parviennent pas à un accord, le gouvernement fixe lui-même la norme. Cela c’est produit pour les années 1997 et 1998. Les accords suivants, négociés en 1998,2000 et 2002, contiennent la définition d’une marge par les interlocuteurs sociaux eux-mêmes. Ces marges sont indicatives mais sont globalement respectées par les différents secteurs.

15 L’accord interprofessionnel 2003-2004, conclu fin 2002, s’exprime sur la norme salariale de la manière suivante : « Conformément à la loi du 26 juillet 1996, la hausse du coût salarial de 5,4% pour les deux prochaines années est admise comme norme indicative. Vu les perspectives internationales et économiques incertaines, les interlocuteurs interprofessionnels appellent les négociateurs dans les secteurs et les entreprises à ménager au maximum l’année 2003 lorsqu’ils fixeront les augmentations du coût salarial. Comme la cotisation patronale maximum en matière de chèques-repas n’a pas suivi l’évolution du coût de la vie, les interlocuteurs sociaux demandent au gouvernement d’augmenter le montant maximum de l’intervention patronale de 4,46 € à 4,91 € par chèque, sans modifier la quote-part personnelle du travailleur. »

16 Cet accord interprofessionnel est alors traduit en conventions collectives de travail sectorielles, souvent rendues obligatoires pour tous les acteurs du secteur.

17 Ces conventions ont généralement une durée de 2 ans.

2. LES ACCORDS SECTORIELS 2003 -2004

18 De nombreuses conventions sectorielles 2003-2004 sont conclues. Au 30 juin 2003, sur base de l’analyse de 44 accords en commissions paritaires, quelques enseignements peuvent être tirés. La marge conseillée dans l’accord interprofessionnel, bien qu’indicative, n’a été dépassée dans aucun secteur. Certains secteurs ont prévu des augmentations inférieures de 0,1 à 0,5%. Il s’agit notamment des non ferreux, de la construction mécanique et métallique, des garages, des industries alimentaires. L’appel à ménager l’année 2003 pour les augmentations salariales a été suivi par de nombreux secteurs. Les premières augmentations auront lieu soit fin 2003, soit en janvier 2004. Certains secteurs ont même repoussé une première augmentation à mi 2004. Parmi les secteurs faisant exception, celui de la chimie est probablement le plus significatif.

19 Plusieurs accords sectoriels mettent en place divers mécanismes pour faire correspondre la marge négociée à la marge réelle ex post, compte tenu de l’inflation réalisée qui peut être différente de l’inflation anticipée. Ce point n’est pas présent dans l’accord interprofessionnel en raison d’un désaccord entre les organisations représentatives des employeurs, attachées à des augmentations prévisibles « all inclusive » et les organisations syndicales attachées aux mécanismes de l’indexation des salaires aux prix à la consommation.

20 Deux méthodes de correction se trouvent parmi les accords sectoriels. La première méthode consiste à octroyer une augmentation salariale en fin de période de validité de l’accord, soit fin 2004, et de conditionner cette augmentation.

21 Elle est calculée, par exemple, comme étant le solde entre la marge salariale sectorielle et l’indexation réelle plus l’augmentation préalable. Si l’inflation réelle est inférieure à celle prévue, il y aura un supplément d’augmentation. Ce mécanisme est appliqué dans plusieurs secteurs du métal, l’industrie alimentaire et le nettoyage. Une deuxième méthode de correction tient dans l’enchaînement des marges dans le temps. Si l’indexation effective a été plus importante que celle anticipée, la différence réduira la marge pour la période suivante. Ce mécanisme est appliqué dans la construction et le nettoyage.

22 Le rapide tour d’horizon d’une partie significative des accords sectoriels indique, pour la période 2003-2004, un respect de la marge indicative, un développement des mécanismes de correction liés à l’indexation et des augmentations de salaires plutôt proportionnelles (en pour cent) que nominales.

3. INSIDERS-OUTSIDERS, ÉLÉMENTS EMPIRIQUES

23 Les études empiriques utilisent généralement l’un ou l’autre indicateur relatif à la centralisation des négociations collectives, comme celui présenté au tableau 1.

24 D’après l’OCDE, le degré de centralisation des négociations salariales est relativement stable dans le temps. Le niveau décentralisé, de l’entreprise, domine aux États-Unis, au Japon, au Royaume-Uni depuis 1994. Les pays nordiques et l’Autriche ont un degré élevé de centralisation. Les pays du « modèle rhénan », comme les Pays-Bas, l’Allemagne et la Belgique, sont généralement classés comme intermédiaires.

Tableau 1.

Degré de centralisation des négociations collectives

Tableau 1.
Tableau 1. Degré de centralisation des négociations collectives 1980 1990 1994 Austria 2+ 2+ 2+ Belgium 2+ 2+ 2+ Denmark 2+ 2+ 2+ Finland 2,5 2% 2+ France 2 2 2 Greece n.a. n.a n.a Ireland n.a. n.a n.a Italy 2- 2- 2 Luxembourg n.a. n.a n.a Netherlands 2 2 2 Portugal 2- 2+ 2 Spain 2+ 2 2 Sweden 3 2+ 2 United Kingdom 2 2- 1.5 Switzerland 2 2 2 Japan 1 1 1 United states 1 1 1 (a) 1 = Company/plant level 2 = Sectoral level 3 = Central level Source : OECD Employment Outlook 197 (OECD Secretriat estimates), p. 71

Degré de centralisation des négociations collectives

OECD Employment Outlook 197 (OECD Secretriat estimates), p. 71

25 Le degré élevé de centralisation belge n’apparaît pas nettement à la lecture du processus, qui fait des secteurs les acteurs majeurs. Cependant le mécanisme d’indexation, commun à toutes les branches d’activités, a un aspect centralisateur. Entre 1990 et 1998, par exemple, 40% de l’augmentation totale des salaires étaient dus à l’indexation (Pochet 2000). Le caractère centralisé paraît renforcé depuis l’adoption de la loi de 1996.

3.1 L’OCDE teste le lien salaire-chômage

26 Si l’existence de syndicats, d’institutions pour la formation des salaires, d’allocations de chômage « généreuses » expliquent des salaires trop élevés en Europe continentale, les salaires de pays où les négociations sont plus décentralisées devraient être plus sensibles aux variations du chômage. Une étude économétrique, réalisée par l’OCDE, permet d’approcher ces relations. Elle s’intéresse aux déterminants de la formation des salaires et vérifie dans quelle mesure une hausse du chômage peut avoir un lien sur la formation des salaires. Le tableau 2 reproduit les principaux résultats.

Tableau 2.

Sensibilité des salaires au chômage

Tableau 2.
Tableau 2. Sensibilité des salaires au chômage Belgique Danemark France Italie Pays-Bas Norvège -0,78 -0,66 -0,58 -0,54 -0,99 -0,96 Autriche Suède Royaume-Uni États-Unis Allemagne -1,16 -1,59 -0,54 -0,60 -1,26 Source : (OCDE, 1993 in Janssen)

Sensibilité des salaires au chômage

(OCDE, 1993 in Janssen)

27 Contrairement à l’intuition du modèle insider-outsider, ce tableau semble indiquer que la formation des salaires dans divers pays de l’Europe continentale ne réagit pas moins à une hausse du chômage qu’aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Dans les pays qui connaissent un marché du travail flexible et peu de négociation collective, un accroissement du taux de chômage de 1% conduit à un ralentissement de l’évolution des salaires réels de 0,5% à 0,6%. Les résultats pour la France, l’Italie, le Danemark et la Belgique révèlent une sensibilité des salaires au chômage comparable à légèrement supérieure. Certains pays comme les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Autriche, la Suède réagissent plus vigoureusement à une augmentation du chômage. Dans ces pays, la sensibilité de la croissance salariale est supérieure à l’unité.

3.2 Les différences intersectorielles de salaires

28 En théorie, les différences salariales entre secteurs sont déterminées par les compétences des travailleurs et la compensation de caractéristiques propres à l’emploi, comme le risque, le travail de nuit,… À court terme, des variations de productivité dans un secteur peuvent se traduire par des salaires plus élevés dans ce secteur; mais ensuite, ces gains salariaux devraient disparaître, suite à l’arrivée de nouveaux travailleurs dans ces secteurs rémunérateurs (Holmlund et Zetterberg 1991).

29 Cependant, les négociations salariales peuvent perturber ces évolutions. Dans un modèle centralisé de négociation, il n’y a que peu de place pour des marges salariales au sein des secteurs ou des entreprises. Par contre, dans un système de négociation où les secteurs sont privilégiés, les travailleurs d’un secteur vont tenter d’obtenir des augmentations salariales en lien avec les gains de productivité de ce secteur. Sur base de données sectorielles pour 5 pays du degré de centralisation des négociations salariales, Holmlund et Zetterberg testent l’hypothèse selon laquelle les salaires d’un secteur sont déterminés par les conditions de ce secteur ou s’ils sont déterminés par des conditions économiques générales. Les « insiders » seraient en action dans le premier cas, pas dans le second. Les pays retenus sont la Suède, la Norvège, la Finlande, l’Allemagne et les États-Unis.

30 Le principal résultat empirique est que c’est aux États-Unis que les salaires sont les plus sensibles aux conditions de prix et de productivité sectorielles, tant à court qu’à long terme. Or ce pays est toujours classé comme le moins corporatiste. Ce qui est plutôt contre intuitif du point de vue de la théorie « insideroutsider ». Les salaires sectoriels dans les pays nordiques sont très peu affectés par des facteurs sectoriels. Pour l’Allemagne, il y a une forme de partage de la rente sectorielle mais moins prononcée qu’aux États-Unis.

31 Holmlund et Zetterberg examinent également le lien entre le chômage et l’évolution des salaires. Pour la Suède, la Finlande et l’Allemagne, le signe est négatif et significatif : une augmentation du chômage s’accompagne d’une moindre augmentation des salaires. Par contre, la relation est inversée pour la Norvège et les États-Unis [1].

3.3 La négociation collective revisitée par l’OCDE

32 Une autre étude de l’OCDE, publiée avec les perspectives de l’emploi 1997, s’intéresse de manière générale à la relation entre la négociation collective et la performance économique des pays pour la période 1974-1996. Le point de départ n’est pas tout à fait le modèle « insider-ousider », qui suppose une relation quasi linéaire entre performance économique et degré de centralisation. Il s’agit de l’hypothèse de Calmfors et Drifill, selon laquelle les pays dotés d’un système très centralisé ou très décentralisé obtiennent de meilleurs résultats que ceux dotés d’un système intermédiaire, c’est-à-dire sectoriel. Le nombre de variables macroéconomiques prises en compte est élargi, les systèmes de négociations sont précisés (coordination, taux de syndicalisation, taux de couverture des conventions collectives, … ).

33 Le principal résultat statistiquement significatif est la corrélation négative observée entre la plupart des indicateurs du système de négociation et l’inégalité des salaires (OCDE 1997). Les résultats ne témoignent guère d’une relation entre la performance économique et les indicateurs du système de négociation. Le seul résultat significatif est que ce sont les pays à systèmes centralisés/coordonnés qui affichent le taux de chômage le plus faible. Dans le domaine de l’inflation, les pays à systèmes centralisés/coordonnés et ceux à systèmes intermédiaires obtiennent des performances identiques et meilleures que celles des pays à systèmes décentralisés/non coordonnés. Les résultats les plus probants concernent l’inégalité des salaires. Les pays à systèmes centralisés/coordonnés et à systèmes intermédiaires ont une échelle des salaires plus égalitaire que les autres pays.

34 Un élément d’explication à ces relations peu significatives (Teulings 1995) serait que les mécanismes de marché comportent leurs propres rigidités. Dans un marché du travail « libre », comme celui des États-Unis, les contrats individuels incorporent des éléments d’incertitude comme l’évolution future des prix. Lors de mouvements macroéconomiques, les changements se font au fil des renouvellements de contrats de travail, ce qui peut prendre du temps. Dans un marché du travail plus « institutionnalisé » les travailleurs et les employeurs confient au niveau sectoriel ou national la négociation sur les adaptations au contexte macroéconomique, qu’il s’agisse de la croissance réelle ou de l’inflation. Dans cette situation, ce sont l’ensemble des contrats d’un secteur d’activité ou du secteur privé qui sont adaptés. La modification, peut-être moins radicale, s’applique à un ensemble beaucoup plus large, d’où la relative « flexibilité » de systèmes pourtant dénoncés comme rigides.

35 La Belgique a peut-être connu la coexistence de ces deux mécanismes durant les années 99-00, où les évolutions salariales ont été assez rapides mais moins dans les secteurs où les négociations collectives sont régulières. Certains secteurs, des NTIC notamment, ont connu des hausses de salaires liées à des accords individuels, plus proches de la situation de marché que de celle de la régulation.

4. LE POINT DE VUE DES « OUTSIDERS »

36 Les personnes sans emploi sont-elles vraiment hors du mécanisme de négociation ? Si, dans certains pays ou dans les entreprises, les organisations représentatives des travailleurs n’ont comme membres que des actifs, il n’en va pas de même en Belgique, où les organisations syndicales ont aussi une fonction d’organisme de paiement des allocations de chômage. Le taux de syndicalisation des chômeurs belge est d’environ 85%. Ils représentent une part non négligeable de l’ensemble des affiliés.

37 Leur participation aux débats et décisions internes est inférieure à leur poids numérique mais plus la discussion est centralisée, plus leur voix peut se faire entendre. À l’intérieur d’une entreprise, l’écho est très faible mais ce n’est pas un niveau de négociation très important en Belgique. Dans les secteurs, la prise en compte est faible; par contre au niveau de l’ensemble, interprofessionnel, l’attention à l’emploi et au chômage est bien présente.

38 Les outsiders recherchent un emploi de qualité. Ils sont donc solidaires des demandes de revalorisation salariale, d’amélioration des conditions de travail. La dualité supposée par le modèle est peu perceptible sur ces matières. Par contre, la dualité est présente au sujet de deux autres thèmes qui font également partie des négociations collectives : la forme des augmentations salariales et l’utilisation des réductions de cotisations sociales. Les personnes sans emploi, chômeurs ou autres allocataires sociaux, sont très attentives à ce que les rémunérations soient soumises aux cotisations sociales et à l’impôt. Ils stigmatisent les rémunérations octroyées sous forme de chèques-repas, de voitures de société ou d’assurances diverses.

39 Les « outsiders », comme certains économistes [2], reprochent aux négociateurs d’utiliser une partie des réductions de cotisations à la sécurité sociale à des augmentations de salaires. Des résultats de recherche, cités par l’Ires, avancent qu’au moins 50% des allègements de cotisations patronales ont été in fine récupérés sous forme d’une hausse du salaire brut. Les rapports annuels de la Banque Nationale soulignent également cette évolution.

5. CONCLUSION

40 Comme l’indique Solow, « les mécanismes des prix et des salaires témoignent d’un manque de flexibilité. Je crois qu’il est absurde de pouvoir espérer remédier à ces imperfections avec le temps. Je pense que les rigidités de prix et de salaires correspondent à des besoins auxquels les institutions sociales tentent de répondre, et ces institutions ne fonctionnent pas très bien quand les salaires sont à la merci de mouvements importants à tout instant. Nous avons donc deux approches. D’un côté, on pourrait supposer que, le système fonctionnant bien, la réalité n’a aucune raison de ne pas reproduire ce monde merveilleux décrit par les manuels. L’alternative consiste à déclarer le système irrémédiablement défectueux.

41 On ne peut parvenir à faire fonctionner correctement le capitalisme, laissons donc l’État ou un autre acteur tout gérer. »

42 La théorie « insider-outsider » a connu un certain succès comme élément explicatif de supposées rigidités salariales. Plusieurs éléments empiriques, avec leurs propres limites, relativisent la portée pratique de ces enseignements. D’autres systèmes que les systèmes décentralisés sont efficaces, permettent une adaptation des salaires aux conditions macroéconomiques, tout en assurant une plus grande égalité. Si la négociation collective est efficace, on peut se demander pourquoi elle n’est pas généralisée. Suivant Teuling, la principale raison est qu’elle suppose la préexistence d’organisations représentatives qui aient une légitimité suffisante pour recevoir de ses adhérents, qu’ils soient travailleurs ou employeurs, le pouvoir de signer des accords qui les engagent. Ce type d’institution est plus facile à détruire qu’à construire.

43 À l’heure de l’Union Économique et Monétaire et de l’élargissement de l’Union européenne, de nouveaux défis se posent aux acteurs et aux institutions qui participent à la fixation des salaires. Les économistes sont aussi des « insiders », se préservant des champs de travail futurs.

Bibliographie

RÉFÉRENCES

  • BODART V., JACQUET L., VAN DER LINDEN B. (2002), « Salaires et norme salariale en Belgique » Regard économique, IRES, UCL, Louvain-la-Neuve, n? 6.
  • CARRUTH A., OSWALD A. (1987), « On union preferences and labour market models : insiders and outsiders », Economic Journal, 97 (376).
  • HOLMLUND B. and ZETTERBERG J. (1991), « Insider effects in wage determination », European Economic Revue, 1009-1034.
  • JANSSEN R. (1997), La promesse brisée, Erasme et Artel.
  • LINDBECK A. et SNOWER D. (1988), The insider-outsider theory of employment and unemployment, MIT, Cambridge.
  • LOPEZ NOVELLA M. (2001), « Salaires conventionnels et effectifs en Belgique : une analyse empirique et macroéconomique des écarts », BfP Working Paper 2-01.
  • OECD, Employment Outlook (1993,1997).
  • POCHET P. (2000), Union monétaire et négociations collectives en Europe.
  • SOLOW R. (2003), « L’économie expliquée par Robert Solow », Problèmes économiques, n? 2808.
  • TEULINGS C. (1995), « Efficiënte loonvorming door sociale partners », Economisch en Sociaal Bericht, pp. 460-464.

Notes

  • [*]
    Luc SIMAR est économiste et conseiller au Service d’Études de la Confédération des Syndicats Chrétiens.
  • [1]
    Ils ajoutent « The results for Norway and the U.S. are perhaps not very believable, but similar estimates are not unheard of » (p. 1024).
  • [2]
    Bodart, Jacquet et Van der Linden (2002).
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